• Au-delà du retour à zéro | Félix Guattari, Toni Negri, Futur antérieur n° 4, Hiver 1990
    https://www.multitudes.net/Au-dela-du-retour-a-zero

    La subjectivité capitalistique implique une binarisation et une déqualification systémique de tous les « messages ». Elle couronne le règne d’un équivaloir généralisé qui a, par ailleurs, déployé ses coordonnées dans les domaines de l’Espace, du Temps, de l’Energie, du Capital, du Signifiant, de l’Etre… Il s’agit à la fois d’un horizon historique, dont le surgissement est daté, et d’un vertige axiologique qui remonte à la nuit des temps. Partout, toujours il y a eu menace d’abolition par l’intérieur de la complexité qualifiée. Le chaos habite le complexe ; le complexe habite le chaos. Ce qui implique que ce dernier soit composé d’entités animées à vitesse absolue – quitte à ce que la science « ralentisse » ces vitesses avec des constantes telles que c, h (constante de Planck), l’instant zéro du big bang, le zéro absolu etc… Ce qui légitime une perspective de « révolution moléculaire » c’est que cette entropie capitalistique de la subjectivité s’instaure à toutes les échelles et renaît constamment de ses cendres. Une périodisation comme celle qui enchaîne le passage des sociétés de souveraineté aux sociétés disciplinaires pour aboutir aux sociétés de contrôle est à la fois généalogique et ontogénétique. Tous ces régimes de territorialisation du pouvoir, du savoir et de la subjectivité se décomposent et se recomposent dans la subjectivité contemporaine. Ce qui fait, par exemple, qu’on ne peut pas parler aujourd’hui, avec la montée des intégrismes et des racismes de « régression archaïque » mais plutôt de progressisme fasciste ou, à la rigueur, de néo-archaïsme étant entendu qu’ils réinventent de toutes pièces des formes d’intelligence et de sensibilité du monde contemporain. Recommencer l’histoire par le début ou la tendre vers des finalités progressistes ce n’est vraiment plus le problème ! Il s’agit plutôt de recomposer, sur d’autres bases, les agencements de subjectivation et, à cette occasion, de recréer d’une façon pathique les diverses figures de la subjectivation historique, dont la subjectivité capitalistique est la plus vertigineuse par son vide, sa banalité, sa vulgarité, son état des choses à ras des marguerites. (...)

    Relayée comme elle l’est par les mass-médias, les sondages, la publicité, les conseils en communication, la démocratie politique devient non seulement de plus en plus formelle, de plus en plus coupée des réalités, mais aussi de plus en plus délirante. Ce qui ne signifie pas qu’elle perde toute prise sur la subjectivité capitalistique. Les leaders politiques rivalisent avec les présentateurs de la télé pour pénétrer toujours plus avant dans la pseudo-intimité des foyers. C’est le règne du Bébête Show relayé par le Psycho-show. Ce qui est vertigineux, à travers tout ça, c’est la capacité de ce type de production de subjectivité de capturer toute immnence processuelle, toute mutation moléculaire. Existe-t-il cependant une épreuve de vérité qui soit discriminante à l’égard du leurre, de la grimace, du simulacre puisque ceux-ci peuvent aussi devenir le siège d’une authentique territorialisation existentielle ? Voir par exemple la gestuelle stéréotypée du star system de la culture rock, dont les traits sont néanmoins objets de réappropriation par des enfants et des adolescents à des moments cruciaux de leur existence. Mais l’épreuve de vérité ne trompe pas ; elle est d’ordre pathique ; c’est elle qui entraîne une sorte d’adhésion existentielle qui crée l’événement.
    Il n’est que trop vrai que tous ces foyers de résistance moléculaire contre la sérialité de la subjectivité capitalistique ne s’incarnent, le plus souvent, que dans des retours à la transcendance, au mysticisme, au culte du « naturel ». Ça me dérange moins que toi. Je me dis que Dieu y retrouvera les siens ! Il y a quelque chose de tellement artificiel dans ces néo-archaïsmes. Ils n’engagent jamais qu’une strate parmi d’autres des formations de subjectivité. On sait bien que les intégristes boivent la coupe et regardent des films pornos en cachette. Ce qui n’excuse rien ! Bref, le micro-fascisme est toujours renaissant mais pas forcément le macro-fascisme.

    #Félix_Guattari #micro-fascisme #subjectivité #progressisme_fasciste #néo-archaïsme ...