• Au Sénégal, la douloureuse réinstallation des migrants rapatriés
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/25/au-senegal-la-douloureuse-reinstallation-des-migrants-rapatries_6190947_3212

    Au Sénégal, la douloureuse réinstallation des migrants rapatriés
    Le retour des candidats à l’exil est souvent considéré comme un échec pour les familles qui se sont démenées afin de réunir l’argent du départ.
    Par Théa Ollivier( Thiaroye-sur-mer, correspondance)
    « Je me sens abattu, je dois tout reprendre à zéro », lâche dans un souffle Baldé. Au téléphone, le jeune homme de 25 ans raconte son histoire d’une voix hésitante depuis Kolda, sa ville d’origine à 700 km au sud de Dakar où il a été contraint de retourner. Etudiant en lettres modernes à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il avait décidé de quitter le Sénégal l’année dernière pour tenter sa chance en Espagne, faute de pouvoir payer ses études. Mais à son arrivée sur les îles Canaries, il est arrêté par les autorités espagnoles puis rapatrié par avion dans son pays le 22 septembre 2022.
    « Ma famille m’a abandonné… Mes deux oncles et un cousin qui ont cotisé 3 millions de francs CFA [environ 4 500 euros] pour que je voyage vers l’Espagne en passant par le Maroc ne me parlent plus et me demandent de les rembourser », témoigne-t-il. Baldé n’a pas pu retourner dans la maison familiale et habite seul dans une petite chambre à Kolda, où il essaie de se débrouiller en faisant des petits boulots au jour le jour. « Beaucoup de gens se sont moqués de moi car je n’ai pas réussi alors que d’autres sont arrivés à destination. »
    L’Union européenne (UE) s’alarme du nombre d’arrivées de migrants sur son sol ces dernières semaines, mais de nombreux candidats à une nouvelle vie en Europe ne parviennent jamais à leur but. Certains périssent en mer, d’autres survivent à la défaillance de leur embarcation et beaucoup sont interpellés par les forces de l’ordre. Selon le ministère des forces armées sénégalaises, la marine nationale a ainsi intercepté 1 500 migrants entre le mois de mai et le 6 septembre sur la route migratoire passant par les îles Canaries ou le Maroc, « illustrant ainsi un net regain des tentatives d’émigration irrégulière au cours de cette période. Cette recrudescence du nombre de traversées, qui s’observe aussi sur la route passant par la Tunisie et menant à Lampedusa en Italie, ne s’est pas tarie depuis. » Les autorités ont annoncé que, le 19 septembre, deux pirogues transportant 167 passagers ont été arraisonnées par la marine nationale sénégalaise à 120 km au large de Dakar.
    Après un échec, il n’est pas toujours facile pour ces migrants de se réinstaller dans leur pays d’origine. Lébou, pêcheur de 33 ans, a quant à lui été bien accueilli par sa famille à son retour, alors qu’il était rentré sans papiers et sans argent chez lui après vingt-quatre heures de traversée. « Nous avons été interceptés en mer début septembre par la marine nationale au large de Saint-Louis. Une fois débarqués au port de Dakar, nous nous sommes débrouillés pour rentrer chez nous, sans aucune aide ni accompagnement de l’Etat », regrette-t-il. Une version que réfutent les autorités. Selon le ministère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, les candidats à l’émigration sont toujours accueillis à leur arrivée par une équipe des Bureaux d’accueil, d’orientation et de suivi (BAOS), présents dans chacune des quatorze régions du Sénégal ainsi qu’à l’aéroport international Blaise-Diagne. « Nous distribuons des collations, de l’eau, des tee-shirts, des chaussures ainsi que des primes de transport, qui peuvent monter jusqu’à 50 000 francs CFA (76 euros). Cela leur permet de redémarrer leur vie », assure Maguette Seck Mbow, coordinatrice des BAOS, photos à l’appui qu’elle fait défiler sur son téléphone.
    Les équipes des BAOS assurent qu’elles se chargent d’offrir un appui psychosocial aux migrants rapatriés et de les rediriger vers les structures de l’Etat qui peuvent répondre à leurs besoins de formation ou de financement de projets. L’objectif de ce programme, soutenu par l’UE et la coopération espagnole, est de les accompagner dans leur réinsertion et de les convaincre de renoncer à un nouveau projet migratoire en leur présentant les opportunités sur place. En 2023, les BAOS ont accueilli 2 098 migrants revenus au pays de façon involontaire, dont 64 femmes et 16 enfants.
    « Malheureusement, nous n’avons pas les moyens ni les ressources humaines pour faire un véritable suivi étant donné le nombre de migrants rapatriés », regrette Amadou François Gaye, à la tête de la direction générale d’appui aux Sénégalais de l’extérieur, qui reconnaît que ses équipes ont du mal à être écoutées. « La plupart des candidats à l’émigration qui ont été rapatriés sont laissés à eux-mêmes, donc ils sont forcément tentés de repartir », regrette Boubacar Seye, président de l’organisation de défense des migrants Horizon sans frontières, qui estime que « rien n’est fait pour les retenir ».
    Dogo, célibataire de 40 ans, a vendu son taxi pour se payer le voyage vers l’Espagne. Un projet qui lui a coûté 2,5 millions de francs CFA. Mais, une fois arrivé aux îles Canaries, il a aussi été arrêté et expulsé par avion. Arrivé à l’aéroport, il assure qu’il n’a jamais croisé les équipes du BAOS. Quelques semaines après son retour, il a trouvé une petite chambre à Keur Massar, une commune excentrée de la banlieue dakaroise, moins chère que son précédent logement aux Parcelles Assainies, un quartier beaucoup plus central.
    Faute de pouvoir se racheter un taxi, il s’est lancé dans un petit élevage de poulets avec difficulté. « Je pense à des projets mais je ne trouve pas l’argent pour investir et les banques ne me feront jamais un prêt car je n’ai pas les garanties suffisantes », regrette Dogo. Il ne peut plus compter sur sa famille qui lui a tourné le dos.
    Les migrants rapatriés n’ont alors qu’une idée en tête : essayer de nouveau la traversée. « Je n’ai pas honte d’être revenu chez moi après un deuxième échec, car j’ai des amis qui ont tenté plus de cinq fois avant d’y arriver », explique Lébou, qui est prêt à repartir. « Ce n’est pas en nous interceptant que nous allons nous décourager. »

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  • Migrants en Tunisie : « On dirait qu’ils les poussent à partir » vers les côtes italiennes
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    Migrants en Tunisie : « On dirait qu’ils les poussent à partir » vers les côtes italiennes
    Par Monia Ben Hamadi(Tunis, correspondance)
    Au moment où les arrivées d’embarcations de migrants sur l’île de Lampedusa se multiplient depuis la Tunisie, Tunis intensifie ses opérations à l’encontre des ressortissants subsahariens encore présents à Sfax, la deuxième ville du pays. Photos à l’appui, le ministère de l’intérieur a annoncé, dimanche 17 septembre, avoir évacué le centre historique de la ville, où des centaines de migrants avaient trouvé refuge après avoir été expulsés de leur logement début juillet. Ceux-ci avaient alors fait, avec le soutien des forces de l’ordre, l’objet d’une chasse à l’homme. « Cette campagne de sécurité a été bien accueillie par les habitants de la région, en particulier après le rétablissement de l’ordre public et l’évacuation des places publiques », s’est félicité le ministère de l’intérieur dans un communiqué publié en fin de journée.
    Plus tôt dans la semaine, ce dernier avait déjà prévenu les organisations venant en aide aux migrants et, selon un volontaire présent sur place ayant requis l’anonymat, empêché les bénévoles de leur porter assistance. Acheminées samedi et dimanche dans des bus de la société régionale de transport de Sfax, des centaines de personnes ont été ainsi déplacées vers les zones rurales à quelques dizaines de kilomètres de là, particulièrement dans les localités de Jebeniana et Al-Amra.
    « Il n’y a pas eu de résistance car on leur a fait croire qu’ils allaient être pris en charge dans des camps, alors qu’ils ont été jetés au milieu des champs d’oliviers », décrypte Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG locale. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des habitants de ces localités protester contre l’arrivée de bus, escortés par des véhicules de la garde nationale, transportant les migrants délogés du centre de Sfax et déposés au milieu de la route en pleine campagne. « La réponse des autorités tunisiennes est purement sécuritaire et semblable à la politique européenne. On reproduit les mêmes erreurs », dénonce M. Ben Amor.
    Après les journées d’extrême tension qui avaient suivi la mort d’un Tunisien le 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens d’après la version officielle, des centaines de ressortissants d’Afrique subsaharienne avaient été expulsés de Sfax et conduits dans le désert aux frontières de l’Algérie et de la Libye. Abandonnés sans eau, ni nourriture sous une chaleur caniculaire, au moins 25 d’entre eux avaient péri, selon des sources humanitaires, tandis que des centaines d’autres avaient parcouru des dizaines de kilomètres à pied avant d’être secourus, placés dans des centres d’accueil plus ou moins officiels ou relâchés.
    Cette fois, les migrants ont été déplacés vers des zones côtières, au nord de Sfax, connues pour être des points de départ privilégiés vers les côtes italiennes, particulièrement l’île de Lampedusa, située à moins de 150 km. « Il y a des centaines de migrants qui étaient déjà ici à Al-Amra depuis ce qui s’est passé en juillet, ils y séjournent des jours, voire des semaines, avant d’embarquer, c’est l’une des principales zones de départ dans la région », témoigne Wahid Dahech, un militant présent sur place. « On dirait qu’ils les poussent à partir, alors qu’ils n’ont même pas les moyens de payer leur traversée. On les mène à la mort », fustige Romdhane Ben Amor.
    Depuis le 11 septembre, la petite île de Lampedusa, qui compte 7 000 habitants, a enregistré un nombre record d’arrivées d’embarcations de fortune en provenance de Tunisie. En moins de soixante-douze heures, elle a accueilli jusqu’à 6 800 personnes, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne. Deux mois après la signature d’un mémorandum d’entente entre la Tunisie et l’Union européenne (UE) visant à accroître le contrôle des frontières au sud de la Méditerranée, les autorités tunisiennes semblent dépassées par un nombre croissant de départs à destination de l’Europe.
    En juillet, le porte-parole de la Garde nationale tunisienne avait indiqué au Monde que plus de 30 000 migrants avaient été interceptés dans les six premiers mois de l’année 2023, un nombre qui a plus que décuplé depuis 2019. « Il y a un épuisement du dispositif sécuritaire qui manque de moyens et travaille en continu depuis plusieurs mois », estime Romdhane Ben Amor, alors que l’UE s’était engagée, en des termes imprécis, à « fournir un appui financier additionnel adéquat notamment pour les acquisitions, la formation et le soutien technique nécessaires pour améliorer davantage la gestion des frontières tunisiennes », comme le stipule l’accord conclu entre les deux parties et qui tarde à être appliqué.
    Selon plusieurs ONG en Tunisie, ces départs massifs ont été favorisés par une météo clémente et une chute du prix de la traversée proposée en moyenne à 1 500 dinars par personne (moins de 500 euros) contre près de 2 000 euros en moyenne en 2022. Une baisse qui s’explique par l’utilisation de barques en métal, moins chères à produire mais aussi plus fragiles. Ces départs s’expliquent également par les conditions de vie des migrants subsahariens « qui se sont largement détériorées depuis qu’ils ne peuvent plus ni se loger ni travailler. Certains d’entre eux pensaient organiser leur projet migratoire sur un temps long mais ont dû précipiter leur départ », explique le responsable du FTDES. Pour ce dernier, le discours officiel sur la lutte contre les réseaux de passeurs, tant de la part de la Tunisie que de l’UE, relève de la « propagande ».

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  • Crise politique, Covid, tarifs bas des passeurs... : les départs depuis la Tunisie ne cessent d’attirer de nouveaux clients - InfoMigrants
    https://www.infomigrants.net/fr/post/30810/crise-politique-covid-tarifs-bas-des-passeurs-les-departs-depuis-la-tu

    Alors qu’un nouveau drame a endeuillé les côtes tunisiennes mardi, avec la mort de 39 migrants en mer, des ONG pointent une augmentation des tentatives de départ depuis ce pays vers l’Europe. Cette hausse s’expliquerait notamment par des tarifs avantageux des passeurs en période hivernale et par la crise sanitaire privant des milliers d’Africains de travail.Trente-neuf migrants, dont quatre enfants, ont péri mardi 9 mars dans le naufrage de leurs embarcations au large de Sfax, dans l’est de la Tunisie. Si, depuis plusieurs années, la Tunisie fait office de point de départ privilégié pour les candidats à l’exil en Europe, cette énième tragédie vient rappeler que les traversées de migrants à bord de canots de fortune au départ de ce pays continuent d’augmenter. Depuis le début de l’année 2021, près de 95 interceptions ont eu lieu en mer, contre une cinquantaine l’année dernière sur la même période.Et ces passages ne se tarissent pas durant la période hivernale, alors que les conditions climatiques sont encore moins propices aux traversées, déplorent des ONG présentes en Tunisie.
    Explications avec Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, une association qui vient en aide, entre autres, aux migrants.
    InfoMigrants : Constatez-vous une augmentation des départs depuis la Tunisie ?
    Romdhane Ben Amor : Durant les mois de janvier/février 2021, les tentatives de traversées ont augmenté. Les autorités tunisiennes ont procédé à 94 interceptions, qui ont impliqué en tout 1 736 migrants.
    En comparaison, durant la même période l’année dernière, il y avait eu 47 interceptions, soit 887 migrants arrêtés. Nous avons donc le double de tentatives de passage cette année.
    Ces interceptions se font soit en mer, soit sur la terre, avant les départs, dans des maisons où se trouvent les migrants.En février 2021, 30 % de ces interceptions ont eu lieu avant le départ en mer, et 70 % ont eu lieu en mer. Ce chiffre aussi est en augmentation : en décembre 2020, environ 48 % des interceptions seulement avaient eu lieu en mer.
    IM : Quelle est la proportion de migrants étrangers et de Tunisiens dans ces départs ?
    RBA : Actuellement, on comptabilise 55 % de Subsahariens dans ces tentatives de traversée. Durant l’année 2020, la proportion des Subsahariens n’était que de 31 % en moyenne [Les Tunisiens constituaient la première nationalité à arriver clandestinement en Italie, ndlr].
    C’est un constat classique : en janvier/février, l’hiver donc, il y a toujours plus de Subsahariens [qui tentent de traverser la Méditerranée]. C’est le bon moment car les traversées sont moins chères étant donné les risques accrus (températures basses, mer agitée...).
    Les Tunisiens, eux, évitent en général cette période parce que les conditions climatiques ne sont pas bonnes.
    IM : D’où partent ces migrants ?

    RBA : En 2020, 27 % des départs sont partis des environs de la ville de Sfax, et 25 % de Mahdia [toutes deux situées sur la côte est du pays]. Ces deux régions totalisent donc la moitié des tentatives de départ.

    À Sfax, il y a une grosse communauté de migrants subsahariens et beaucoup de réseaux de passeurs très actifs. À Mahdia, il y a davantage de Tunisiens candidats au départ.
    IM : Comment expliquer cette augmentation des départs et tentatives de départ ?
    RBA : En Tunisie, les mois de janvier et de février 2021 ont été très perturbés politiquement et socialement. [Le pays a été agité par une crise politique et un mouvement de contestation sociale sur fond de marasme économique. De nombreuses manifestations ont eu lieu, notamment contre les violences policières, ndlr]. Il y a eu une vague de protestations partout. En réaction, l’Etat a concentré ses forces pour essayer de garder le calme, notamment dans les quartiers populaires. La lutte contre les réseaux de passeurs a donc été délaissée. Ils en ont profité.L’autre raison, c’est l’impact du Covid, surtout sur les communautés subsahariennes présentes en Tunisie. Ces migrants travaillent beaucoup dans le secteur informel [au noir, ndlr], sur les chantiers, dans les cafés, les restaurants… Avec la pandémie, ils ont perdu leur emploi. [Un couvre-feu est en place dans le pays, et les bars et restaurants sont autorisés à accueillir uniquement 30 % de leur capacité maximale dans les espaces fermés, ndlr.]Beaucoup de ces migrants subsahariens étaient jusque-là dans une situation assez stable. Leur projet migratoire existait mais ce n’était pas une priorité.Les Tunisiens qui se sont retrouvés au chômage ont pu recevoir des aides financières de l’Etat mais les Subsahariens, eux, n’ont pas de contrat, ils sont illégaux, ils sont donc privés de cette aide financière. Ils n’avaient pas d’autres solutions que de partir, d’autant qu’on ne sait pas quand cette crise prendra fin.Tout cela mène à des tragédies comme celle qu’on a vue mardi et on peut malheureusement s’attendre à d’autres drames de la sorte dans les prochains jours.

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