Stephen Bannon, un idéologue controversé à la Maison Blanche
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La nomination de Stephen Bannon comme conseiller stratégique du futur président américain suscite de vives critiques. L’ex-patron du site « Breitbart News » est accusé d’antisémitisme et de racisme.
Le site ultraconservateur Breitbart News a donné l’impression, mardi 15 novembre, d’avoir pour unique mission de défendre Stephen Bannon. La nomination de son ancien dirigeant comme conseiller stratégique du président élu Donald Trump, une fonction aux contours encore incertains, a suscité en effet une vague de critiques compte tenu de l’idéologie identitaire qui lui est prêtée. L’Anti-Defamation League et le Southern Poverty Law Center notamment, spécialisés dans la surveillance des groupuscules d’extrême droite, s’en sont indignés, assurant que, sous sa responsabilité, le site a banalisé les thèses de suprémacistes blancs et une forme d’antisémitisme.
Breitbart News a dénoncé une cabale ourdie par « des élites battues et humiliées » à la suite de l’élection de M. Trump le 8 novembre. Mais la défiance s’étend au Parti républicain. « Ce site, c’est la poubellisation des esprits », déplore sous couvert d’anonymat un consultant conservateur rencontré mardi.
Entré définitivement au service du milliardaire en août, après l’avoir activement soutenu par l’intermédiaire du site créé en 2007 par Andrew Breitbart, mort subitement en 2012, M. Bannon a tout pour détoner à la Maison Blanche. Il n’a aucune expérience du pouvoir et est entré tardivement en politique après une carrière passée dans l’armée, au sein de la marine, chez la banque Goldman Sachs, puis à Hollywood où il a produit des films avant de réaliser des documentaires consacrés successivement à Ronald Reagan, à Sarah Palin, la candidate républicaine à la vice-présidence en 2008, et enfin au mouvement Occupy Wall Street – deux hagiographies, et un brûlot contre la gauche américaine.
Ethno-nationalisme anti-immigration
A cet égard, il est un outsider au même titre que le futur 45e président des Etats-Unis, pourfendeur des « élites » malgré un passage par la Harvard Business School (comme M. Trump à la Wharton School of Business de l’University of Pennsylvania), et contempteur de la mondialisation. Son ethno-nationalisme anti-immigration doublé d’une défiance absolue vis-à-vis de l’islam l’a rapproché de figures telles que la polémiste Ann Coulter ou la militante islamophobe Pamela Geller.
M. Bannon s’est retrouvé spontanément dans la candidature de M. Trump, qui avait lancé en 2011 une croisade « nativiste » contre le président Barack Obama, accusé d’avoir menti sur son lieu de naissance et d’être en fait inéligible.
Cette proximité a été entretenue par une série d’entretiens sur une radio rattachée à Breitbart News. Des extraits donnés par le Washington Post, mardi, mettent en évidence l’influence du polémiste sur le candidat, notamment au sujet de l’islam.
Les deux hommes y partagent la dénonciation du politiquement correct, Breitbart étant devenu le refuge des républicains radicaux jugeant la chaîne conservatrice Fox News trop policée. Un puissant moteur de mobilisation, puisqu’une étude du Policy Religion Research Institute a montré, en octobre, que 69 % des électeurs blancs, la base électorale de M. Trump, jugent qu’il faut « parler franchement des sujets sensibles et des problèmes auxquels le pays est confronté même si cela peut offenser certaines personnes ».
Le blanchiment opéré par M. Bannon, via son site, des thèses radicales de l’« alternative right » ou Alt-Right, tenue longtemps à la lisière du camp conservateur, explique que sa nomination ait été perçue comme une victoire stratégique et saluée par le nationaliste blanc Richard Spencer, du National Policy Institute comme du site Vdare, classés racistes par le Southern Poverty Law Center. David Duke, ancien responsable du Ku Klux Klan, battu aux élections pour le poste de gouverneur de la Louisiane en 1991, a été également un des premiers à louer la nomination de M. Bannon.
Un ancien du site qui avait rompu avec lui en mars, Ben Shapiro, qui anime désormais sa propre plate-forme, The Daily Wire, a estimé après l’annonce de sa nomination que le procès pour racisme et antisémitisme instruit contre M. Bannon éclipse ce qui figure au cœur de la stratégie d’un guerrier idéologique fasciné par le pouvoir. A savoir la volonté de transformation du Parti républicain – qu’il abhorre autant que la gauche américaine – alignée sur les mots d’ordre des extrêmes droites européennes.
C’est ce conflit que M. Trump a importé à la Maison Blanche. Il a nommé en effet le même jour le patron du Grand Old Party (GOP), Reince Priebus, au poste également stratégique de chief of staff, proche à la fois d’une fonction de chef de cabinet et de premier ministre. Cette association peut s’avérer explosive. Pour Breitbart, un proche de M. Priebus, le speaker (président) de la Chambre des représentants du Congrès, le républicain Paul Ryan, jugé trop modéré, est en effet une cible à abattre.
M. Bannon a montré par le passé que la fin justifiait les moyens. Breitbart News a diffusé, mardi, un article sur la menace islamiste agrémenté d’une photo menaçante d’hommes masqués. Elle avait été publiée en mars 2015 par le site britannique The Independent avec une légende précisant qu’il s’agissait de soldats irakiens à l’exercice avant une offensive contre l’organisation Etat islamique.
La veille, un titre laissait entendre que M. Trump avait remporté le vote populaire sans préciser que, pour parvenir à ce résultat, l’auteur avait exclu les villes où les démocrates sont nettement majoritaires.