• Et les critères diagnostiques du DSM-5 :

    A. Un mode persistant d’inattention et/ou d’hyperactivité-impulsivité qui interfère avec le fonctionnement ou le développement, caractérisé par (1) et/ou (2) :
    1. Inattention : Six (ou plus) des symptômes suivants persistent depuis au moins 6 mois, à un degré qui ne correspond pas au niveau de développement et qui a un
    retentissement négatif direct sur les activités sociales et scolaires/professionnelles :
    N.B. : Les symptômes ne sont pas seulement la manifestation d’un comportement opposant, provocateur ou hostile, ou de l’incapacité de comprendre les tâches ou
    les instructions. Chez les grands adolescents et les adultes (17 ans ou plus), au moins cinq symptômes sont requis.
    a. Souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails, ou fait des fautes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités (p. ex. néglige ou ne remarque pas des détails, le travail est imprécis).
    b. A souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux (p. ex. a du mal à rester concentré pendant les cours magistraux, des conversations ou la lecture de longs textes).
    c. Semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement (p. ex. semble avoir l’esprit ailleurs, même en l’absence d’une source de distraction évidente).
    d. Souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs scolaires, ses tâches domestiques ou ses obligations professionnelles (p. ex. commence des tâches mais se déconcentre vite et se laisse facilement distraire).
    e. A souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités (p. ex. dificulté à gérer des tâches comportant plusieurs étapes, dificulté à garder ses affaires et ses documents en ordre, travail brouillon ou désordonné, mauvaise gestion du temps, échoue à respecter les délais).
    f. Souvent, évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un effort mental soutenu (p. ex. le travail scolaire ou les devoirs à la maison ; chez les grands adolescents et les adultes, préparer un rapport, remplir des formulaires, analyser de longs articles).
    g. Perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (p. ex. matériel scolaire, crayons, livres, outils, portefeuilles, clés, documents, lunettes, téléphones mobiles).
    h. Se laisse souvent facilement distraire par des stimuli externes (chez les grands adolescents et les adultes, il peut s’agir de pensées sans rapport).
    i. A des oublis fréquents dans la vie quotidienne (p. ex. effectuer les tâches ménagères et faire les courses ; chez les grands adolescents et les adultes, rappeler des personnes au téléphone, payer des factures, honorer des rendez-vous).
    2. Hyperactivité et impulsivité : Six (ou plus) des symptômes suivants persistent depuis au moins 6 mois, à un degré qui ne correspond pas au niveau de développement et qui a un retentissement négatif direct sur les activités sociales et scolaires/professionnelles :
    N.B. : Les symptômes ne sont pas seulement la manifestation d’un comportement opposant, provocateur ou hostile, ou de l’incapacité de comprendre les tâches ou les instructions. Chez les grands adolescents et les adultes (17 ans ou plus), au moins cinq symptômes sont requis.
    a. Remue souvent les mains ou les pieds, ou se tortille sur son siège.
    b. Se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est supposé rester assis (p. ex. quitte sa place en classe, au bureau ou dans un autre lieu de travail, ou dans d’autres situations où il est censé rester en place).
    c. Souvent, court ou grimpe partout, dans des situations où cela est inapproprié
    (N.B. : Chez les adolescents ou les adultes cela peut se limiter à un sentiment d’impatience motrice.)
    d. Est souvent incapable de se tenir tranquille dans les jeux ou les activités de loisir.
    e. Est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il était « monté sur ressorts » (p. ex. n’aime pas rester tranquille pendant un temps prolongé ou est alors mal à l’aise, comme au restaurant ou dans une réunion, peut être perçu par les autres comme impatient ou dificile à suivre).
    f. Parle souvent trop.
    g. Laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas encore entièrement posée (p. ex. termine les phrases des autres, ne peut pas attendre son tour dans une conversation).
    h. A souvent du mal à attendre son tour (p. ex. dans une ile d’attente).
    i. Interrompt souvent les autres ou impose sa présence (p. ex. fait irruption dans les conversations, les jeux ou les activités, peut se mettre à utiliser les affaires des autres sans le demander ou en recevoir la permission ; chez les adolescents ou les adultes, peut être intrusif et envahissant dans les activités des autres).
    B. Plusieurs symptômes d’inattention ou d’hyperactivité-impulsivité étaient présents avant l’âge de 12 ans.
    C. Plusieurs symptômes d’inattention ou d’hyperactivité-impulsivité sont présents dans au moins deux contextes différents (p. ex. à la maison, à l’école, ou au travail ; avec des amis ou de la famille, dans d’autres activités).
    D. On doit mettre clairement en évidence que les symptômes interfèrent avec ou réduisent la qualité du fonctionnement social, scolaire ou professionnel.
    E. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’une schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique, et ils ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (p.ex., trouble de l’humeur, trouble anxieux, trouble dissociatif, trouble de la personnalité, intoxication par, ou sevrage d’une substance).

    Des marqueurs biologiques ? Non :

    Il n’existe pas de marqueurs biologiques permettant le diagnostic du TDAH. Pris dans leur ensemble, en comparaison avec leurs pairs, les enfants ayant un TDAH présentent une augmentation des ondes lentes à l’électroencéphalogramme (Barry et al. 2003), un volume total du cerveau réduit à l’imagerie par résonance magnétique (Castellanos et al. 2002) et possiblement un retard de maturation corticale dans le sens postérieur-antérieur (Shaw et al. 2007), mais ces constatations ne participent pas au diagnostic. Dans les cas rares où il existe une cause génétique connue (p. ex.
    syndrome de l’X fragile, syndrome de délétion 22q11), la présence d’un tableau clinique de TDAH devra aussi faire poser le diagnostic de ce trouble.

    Facteurs de risque génétiques ? Malgré les pirouettes sophistiques, non plus :

    Bien que plusieurs gènes spécifiques aient été corrélés avec le TDAH (Gizer et al. 2009), ce ne sont des facteurs causaux ni nécessaires ni sufisants.

    https://psyclinicfes.files.wordpress.com/2020/03/dsm-5-manuel-diagnostique-et-statistique-des-troubles-
    #psychanalyse #enfants_terribles

  • La fausse épidémie de TDAH de Patrick Landman, in Etudes 2018/11 (Novembre)

    Au fur et à mesure des éditions du DSM, le TDAH s’est vu diminuer les seuils d’inclusion : avant sept ans, puis avant douze ans. On a également allégé les restrictions au diagnostic : le dernier allègement est la comorbidité possible avec les troubles autistiques. Et le TDAH a été adapté aux effets escomptés du médicament, avec une focalisation sur l’attention cible du méthylphénidate, au détriment de l’hyperactivité sur laquelle le médicament agit beaucoup moins. Toutes ces modifications ont permis un élargissement considérable du marché. La théorie non prouvée du dommage cérébral minimum s’est transformée en une autre théorie non prouvée : « Le TDAH n’est plus dans le DSM-5 un trouble du comportement, mais un trouble neuro-développemental. »
    (...)
    Dans les versions qui précédaient le DSM-5 actuel, le TDAH était considéré comme un trouble du comportement. Depuis cette cinquième version du DSM, le TDAH est intégré dans le vaste ensemble des troubles neuro-développementaux. Qui dit neuro-développemental dit participation cérébrale. Or qui sont les enfants étiquetés TDAH ? La plupart d’entre eux appartiennent à la catégorie très floue des enfants « ingérables », ingérables par les parents qui sont en souffrance, ingérables par l’école soumise à des conditions de travail très compliquées, ingérables par la société en général. Naturaliser sans preuve scientifique une catégorie pathologique sans spécificité, sans distinction claire avec la norme et surtout pourvue de corrélations fortes avec la condition sociale, peut présenter des risques potentiels éthiques et même politiques.

    https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ETU_4254_0053
    #psychanalyse #enfants_terribles

  • Le modèle neuropsychiatrique du TDAH de Jean-Claude St-Onge, in Canal Psy 113/114|2015

    L’imagerie médicale montre des différences entre les cerveaux des TDAH et des enfants de groupes témoins. Cependant, il est impossible de savoir à quoi attribuer ces différences, car la plupart des sujets TDAH participant aux études étaient médicamentés et la vaste majorité d’entre eux étaient porteurs de deux, voire trois ou quatre diagnostics. Par ailleurs, en 2012 le groupe de travail en imagerie médicale de l’APA, signalait que ces différences quantitatives ne sont pas assez importantes ni assez spécifiques pour servir de marqueur biologique (First, 2012).

    Plusieurs de ces études présentent des failles. Une étude de l’Institut national de santé mentale des États-Unis, d’une durée de 10 ans, soutenait que le cerveau des TDAH serait de 3 % à 4 % plus petit. Or, les enfants TDAH, qui n’étaient pas médicamentés, avaient deux ans de moins que les enfants qui en étaient exempts, et on sait que la taille du cerveau est en corrélation avec la masse corporelle (Leo, 2003).

    Les régions du cerveau liées au TDAH ne sont pas les mêmes et les résultats des études sur une même région sont contradictoires. Certains spécialistes pensent que le cortex préfrontal, qui serait le siège du raisonnement, de la mémoire de travail, du contrôle des impulsions, fonctionnerait différemment. Or, certaines études ont identifié une diminution de l’activité dans le cortex préfrontal, d’autres n’ont constaté aucune différence et au moins une autre a remarqué une augmentation de l’activité (Leo, 2003).

    https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1481
    #psychanalyse #enfants_terribles

  • L’accueil, une clinique d’hospitalité

    L’Utopie concrète du soin psychique

    A la suite de l’essai Emancipation de la psychiatrie qui remet en perspective les acquis institutionnels de la psychothérapie institutionnelle et du secteur de psychiatrie publique généraliste, L’accueil, une clinique d’hospitalité, utopie concrète du soin psychique, le reprend à partir de pratiques cliniques d’accueil du soin psychique émancipatrice de la « valeur humaine » en psychiatrie. L’humain, technique alternative en est l’enjeu politique majeur d’accès inconditionnel aux soins psychique dans la société, que ce soit pour les populations autochtones ou pour les réfugiés et exilés migrant de l’humanitaire.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/11/15/laccueil-une-clinique-dhospitalite

    #santé

  • Silvia Lippi et Patrice Maniglier, pour une psychanalyse féministe
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/silvia-lippi-et-patrice-maniglier-9645300

    "Il faut recommencer la psychanalyse." Pour Silvia Lippi et Patrice Maniglier, qui font paraître leur ouvrage Sœurs, Pour une psychanalyse féministe chez Seuil, il est grand temps de définir le féminin en dehors de toute référence au masculin, de prendre en compte la capacité des femmes à partager leurs symptômes, et d’explorer sérieusement la voie de la sororité.

    Silvia Lippi et Patrice Maniglier font référence au SCUM Manifesto de Valerie Solanas, pour proposer de penser les femmes indépendamment des hommes. Ils vont ainsi à l’encontre de la conception lacanienne de la femme, qui stipule que la féminité et la masculinité s’articulent autour du Phallus.

    "Il ne s’agit pas de dire que le Phallus n’existe pas, il y a des personnes qui sont soumises à la loi phallique et dont les fantasmes et les désirs tournent autour de la question œdipienne. L’idée est plutôt de montrer qu’il y a d’autres phénomènes, de dire qu’on peut s’extraire de cette loi."

    #femmes #psychanalyse_féministe #sororité

  • A propos de la commission ayant signalé le livre Bien trop petit de Manu Causse :

    On apprend à cette occasion la composition de cette Commission, née dans l’après-guerre, sans donner les noms. 16 membres avec voix délibérative : un membre du Conseil d’État, président de la commission, quatre fonctionnaires représentant les ministres de la Culture, de l’Éducation nationale, de la Justice et de l’Intérieur, deux représentants des personnels de l’enseignement (un pour le public, un pour le privé), deux représentants des éditeurs jeunesse, deux représentants des éditeurs généralistes, deux représentants des auteurs et dessinateurs, un représentant des organisations de jeunesse, un représentant de l’Union nationale des associations familiales, et un magistrat honoraire ayant siégé dans les tribunaux pour enfants.

    Quant aux motifs :

    ... la commission a considéré que l’oeuvre était émaillé de « scènes de sexe très explicites, complaisantes et dénuées de tout contexte sentimental », et jugé que le scénario retenu consistant à mettre ces scènes sous la plume d’un adolescent de 16 ans « présentait un caractère artificiel (…) servant de prétexte à l’auteur pour écrire un récit pornographique destiné à la jeunesse ».

    https://actualitte.com/article/112736/droit-justice/censeur-de-roman-jeunesse-le-ministere-de-l-interieur-enfonce-le-clou
    #littérature #ordures #psychanalyse #enfants_terribles

  • Roudinesco dessine le portrait d’Isabelle Filliozat, l’éduc’ positive du pouvoir :

    Née en 1957, autrice d’une quarantaine de livres, Isabelle Filliozat est issue d’une famille de psychothérapeutes. Titulaire d’une maîtrise de psychologie clinique, qui ne lui permettait pas de s’installer comme psychologue, elle s’est tournée vers des thérapies non homologuées pour exercer le métier de conférencière.
    (...) Considérée par des chercheurs en neurosciences comme une scientifique de haut niveau, Isabelle Filliozat a été reçue par Anne Hidalgo à la Mairie de Paris, le 12 avril 2022, soutenue par les écologistes, décorée de la Légion d’honneur, applaudie par Muriel Salmona, fondatrice de l’association Mémoire traumatique. Elle a été vice-présidente, en 2019, de la commission des 1 000 premiers jours, mandatée par le gouvernement sous la haute autorité d’Olivier Véran, alors ministre de la santé, pour formuler des « propositions » sur la petite enfance.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/12/elisabeth-roudinesco-en-voulant-fabriquer-des-enfants-parfaits-on-risque-de-
    #psychanalyse #enfants_terribles

  • Lise Gaignard, Les psychanalystes et le travail
    https://ladispute.fr/catalogue/la-psychanalyse-et-le-travail

    Que se passerait-il si la #psychanalyse prenait en compte l’activité de travail des patient-e-s dans la cure ? Et à quoi ressemblerait le monde si nous envisagions les malheurs qui nous touchent, nous blessent et parfois nous tuent comme consubstantiels aux rapports de production des services et des biens ?
    Telles sont les questions auxquelles se confronte #Lise_Gaignard, à partir de sa pratique de psychanalyste et le récit de cas cliniques qu’elle a rencontrés. Interrogeant l’occultation systématique du travail par les psychanalystes, l’auteure défend au contraire l’hypothèse d’une double inscription du #travail dans la cure psychanalytique : dans les activités de travail des patient-e-s mais aussi dans la pratique même des psychanalystes.

    #livre

  • Maternophobie
    https://www.youtube.com/watch?v=SbvdX5OGuzQ

    Ce programme vidéo expose le mécanisme des placements abusifs d’enfants autistes et le désenfantement des mères qui cherchent à protéger leur enfant victime d’abus sexuels, sur la foi d’expertises psychanalytiques obscurantistes, en contradiction radicale avec les données acquises de la science et les recommandations de la HAS.

    Réalisé et produit par Sophie Robert pour Ninsun Project et Océan Invisible Productions.

    INVITES

    Me Sophie Janois, avocate spécialisée en droit de la santé
    Pr Christophe Lançon, professeur de psychiatrie, hôpital de la Conception à Marseille
    Illel Kieser, psychologue spécialisé dans la protection des enfants victimes de violences sexuelles
    Caroline Colombel, mère divorcée
    Véronique Gropl, mère d’un adolescent autiste
    Maud Lacroix, mère d’un enfant autiste, présidente de l’association Petits Bonheurs

    #femmes #maternophobie #autisme #violences_sexuelles #handicap #france_2023 #syndrome_munchausen #syndrome_alienation_parental #psychanalyse #gardiens_de_la_morale #mères #mere_autonome

    merci à @jacotte

  • Compte rendu de : #Sandrine_Garcia, Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants. (2011)
    https://llss.hypotheses.org/462

    Naissance d’une “cause de l’enfant”

    La troisième partie va donc décrire les étapes de « la construction psychanalytique d’une ‘cause de l’enfant’ ». L’auteur étudie tout d’abord (chapitre 6) l’application de la #psychanalyse à de nouveaux terrains comme l’#éducation, et la diffusion de la psychanalyse de l’enfant dans la pédiatrie institutionnelle grâce en particulier à Jenny Aubry. Cette dernière s’appuie sur les travaux de René Spitz, John Bowlby et Donald Winnicot sur les effets pathogènes de la « carence de soins maternels » pour améliorer la prise en charge des enfants placés en institution.

    La psychanalyse acquiert ainsi une forte légitimité, qui va contribuer à « imposer durablement le paradigme de la séparation mère/enfant comme facteur de ‘risque psychologique’ » (p. 208). Un thème qui va s’avérer très extensible puisqu’il pourra s’appliquer à l’accouchement, à la reprise du travail par la mère, au sevrage, etc. Par conséquent, une amélioration incontestable de la situation des enfants conduit en parallèle, de manière relativement peu visible, à une réimposition d’une division sexuelle du travail parental, et à une vision normative du rôle des mères. Tout un ensemble de « savoirs psy » va être mobilisé par les nouveaux professionnels de l’enfance, qui leur permet d’assigner les parents à une position de profanes, tout en affirmant leur position face aux médecins. Ces « intermédiaires sociaux » (assistantes sociales, psychologues scolaires, etc.), dont le nombre explose dans les années 1970, sont particulièrement enclins à la « psychologisation du social » qui tend à anoblir leur position, comme l’a montré Francine Muel-Dreyfus.

    La figure éminemment populaire de #Françoise_Dolto, qui incarne bien souvent à elle seule la psychanalyse de l’enfant en France, permet à l’auteur d’illustrer comment se construit une position d’autorité en prenant appui sur La genèse et la structure du champ religieux de Pierre Bourdieu. Dolto est selon ce schéma pensée en termes de figure charismatique, et mise en relation avec une configuration historique particulière (la forte expansion du mouvement psychanalytique dans l’après-guerre).

    Comment expliquer le succès de Françoise Dolto malgré ses positions conservatrices sur l’avortement et la contraception ? C’est l’un des points les plus passionnants du livre. Pour Sandrine Garcia, Dolto fonctionne comme un emblème politique « qui dépasse largement ses propres positions, voire les contredit » (p. 216). Elle remarque qu’on lui attribue des positions bien plus féministes et progressistes que celles qu’elle défendait. Un emblème construit par les médias et les exégètes, qui masque les tensions entre un projet éducatif novateur (l’orthopsychanalyse) et une vision traditionnelle du rôle des #femmes. Son discours, ambivalent, a pu se prêter à plusieurs appropriations, tout en coïncidant avec la sensibilité anti-autoritaire de l’époque. Une des clés de compréhension réside dans le recours à des pratiques hétérodoxes par rapport au mouvement psychanalytique (elle est exclue de l’Association psychanalytique internationale, comme Lacan), qui contribue à produire une impression de nouveauté radicale et une « aura de subversivité ». L’auteur affirme :

    « Si l’on veut sociologiser le ‘génie’ de Françoise Dolto, on peut donc faire l’hypothèse qu’il consiste à capitaliser un certain nombre d’idées, de thèses, de ‘découvertes’ d’une entreprise collective, qui peuvent paraître comme inédites auprès du public extérieur auquel elle s’adresse dans l’après-guerre en s’appuyant sur sa légitimité de représentante d’une science jeune et prometteuse, et alors que l’anxiété parentale est devenue, selon Annick Ohayon, un ‘marché juteux’ pour les médecins ». (p. 226)

    Les ressources sociales et scolaires de Françoise Dolto doivent également être mobilisées pour expliquer le succès de cette positon d’autorité alors qu’elle n’est ni psychiatre ni médecin des hôpitaux : issue d’une famille de la grande bourgeoisie catholique parisienne, ses convictions religieuses jouent un grand rôle dans ses théories – ce que Sandrine Garcia appelle la « ressource religieuse » (p. 228), qui fonctionne comme une matrice symbolique. On le voit bien dans la théorie de l’enfant envisagé comme une personne dés la conception, et même avant. La psychanalyse permet à Françoise Dolto de réintroduire les topiques religieux qui avaient été bannis par Marie-Andrée Lagroua. Il s’agit selon Sandrine Garcia d’une « réappropriation par le religieux du pouvoir d’édicter la norme familiale, au prix d’une ouverture sur les questions de sexualité » (p. 216). Si le projet visé semble révolutionnaire (l’épanouissement de l’enfant dans sa singularité), il accorde une place centrale à la disponibilité des mères qui sont assignées à une maternité très contraignante, liée à des modes de vie socialement situés (ne pas travailler, ou à mi-temps), qui renvoient à la propre position de Dolto, qui disposait de personnel de maison.

    L’auteur le montre en soulignant la multiplication des « conseils paradoxaux », qui sont tout à la fois variables et réversibles : il faut être le moins directif possible avec les enfants, sans pour autant être laxiste. Soit un jeu permanent de doubles injonctions, et un double langage tout à la fois culpabilisant / déculpabilisant. Le résultat est l’augmentation des contraintes exercées sur les mères, qui voient ainsi leur liberté fortement réduite. L’exemple de l’acquisition de la propreté le montre bien : Dolto affirme que la propreté ne s’apprend pas, mais doit « venir toute seule ». Son apprentissage fait courir aux enfants de « graves névroses », sans que de telles affirmations ne soient jamais étayées, du fait d’une grande liberté dans les modalités d’administration de la preuve. Le concept de « risque psychologique » de l’enfant en situation ordinaire est la pièce maîtresse de cette entreprise de culpabilisation, et l’une des ressources les plus efficaces pour rappeler les femmes à leurs devoirs.

    C’est finalement un « ordre naturel des genres » qui est promu au travers de la croisade pour « la cause des enfants » : la régulation des naissances est sans cesse dénoncée, le choix de l’allaitement maternel est présenté comme une évidence, de même que le fait qu’un enfant a besoin de sa mère jusqu’à trois ans, au moins. Sur l’avortement, la position est plus subtile : il s’agit de ne pas interdire au fœtus, qui en a le désir, de vivre. Ce qui consiste en une vision nostalgique de l’ordre social qui s’inscrit dans la lutte contre la vision pastorienne.

    Dans le champ scolaire (chapitre 8), Françoise Dolto et Maud Mannoni forment l’avant-garde qui prend pour cible, dans le sillage de 1968, l’école et la famille en tant qu’institutions hiérarchisées, en prenant appui sur une vision néo-rousseauiste. Ces pédagogies psychanalytiques reposent sur une idéologie du don qui revient à imputer les inégalités de talent aux inégalités naturelles, en occultant la dimension sociale dans la réussite scolaire : « Ceux qui ont la capacité et la volonté de devenir savants le deviendront, ceux qui n’ont que les capacités de balayer balaieront » (A. S. Neill, cité p. 267) Comme le rappelle l’auteur, « laisser faire la nature en matière scolaire, c’est en fait laisser agir les dispositions sociales, et en particulier l’héritage culturel » (p. 269). Sandrine Garcia souligne que ces visions s’enracinent dans une expérience sociale très privilégiée : c’est en quelque sorte une « révolte d’héritiers » qui bénéficient du capital culturel nécessaire pour réussir à l’école sans s’identifier au projet scolaire républicain. En effet, Françoise Dolto ne fréquentera l’école publique qu’à partir de 16 ans, étant formée à domicile par une institutrice, puis dans un cours privé.

  • Le Business du bonheur

    De la légendaire Lise Bourbeau à la reine du rangement Marie Kondo, en passant par la star du développement personnel Tony Robbins, le bonheur est une industrie qui fait des millionnaires. C’est aussi une idéologie : le culte de l’optimisme, de la résilience et de la performance individuelle. Mais alors que la consommation d’antidépresseurs ne cesse d’augmenter et que les burn-out se multiplient dans nos sociétés, que cache cette obsession contemporaine pour le bonheur ?

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/66144
    #film #documentaire #film_documentaire
    #développement_personnel #management #positivité #bonheur #psychologie_positive #choix #marché #coaching #individualisme #science_du_bonheur #Martin_Seligman #psychanalyse #Freud #thérapie_comportementale #optimisme #pessimisme #espoir #forces_Clifton #Don_Clifton #leadership #volontarisme #self-help #protestantisme #la_recherche_du_bonheur #recherche_du_bonheur #self-made_man #méritocratie #responsabilité_individuelle #inégalités #agency (#pouvoir_d'agir) #USA #Etats-Unis #libéralisme #éducation_positive #émotions #psychologie_sociale #team-building #cache-misère #travail #chief_happiness_officer #volonté #convivialité #docilité #happiness_economics #Richard_Layard #center_of_economic_performance (#CED) #bien-être_individuel #David_Cameron #programmes_d'activation_comportementale #chômage #rapport_Stiglitz #Gallup #adaptation #privatisation_de_la_souffrance

  • Laurie Laufer : « La psychanalyse a du mal à inventer un autre langage, à penser au-delà de Freud et Lacan »

    Alors que les études de genre, les savoirs et les théories LGBTQI + ont inventé d’autres perspectives en matière de sexualité, la discipline s’est quelque peu refermée sur elle-même et doit intégrer les changements sociétaux, explique la psychanalyste dans un entretien au « Monde ».

    Dans son ouvrage Vers une psychanalyse émancipée. Renouer avec la subversion (La Découverte, 240 pages, 18,50 euros), la psychanalyste Laurie Laufer dresse une critique sévère de sa discipline. Repliée sur elle-même, cette dernière serait dépassée, voire à contre-courant de notre société, certains psychanalystes n’hésitant pas à afficher leurs opinions contre le mariage pour tous ou contre la PMA pour les couples de femmes. Alors, la psychanalyse a-t-elle encore des choses à dire, et si oui, lesquelles ? Laurie Laufer, également professeure des universités à Paris-Cité et directrice de l’UFR Institut humanités, sciences et sociétés, invite à une relecture des principes fondateurs de sa discipline en replaçant le sujet – qu’il soit hétérosexuel, bi, homo, trans ou intersexe – au cœur de son travail analytique, sans négliger le contexte social et politique dans lequel s’inscrit sa démarche.

    Des grands concepts psychanalytiques sont aujourd’hui rejetés par les mouvements LGBTQI +, quels sont-ils ?
    `
    Il me semble que ce qui est plutôt rejeté, ce ne sont pas tant les concepts qu’a développés Freud, mais la façon dont certains psychanalystes les utilisent. Si des praticiens considèrent que la différence des sexes – l’un des principes fondateurs de la psychanalyse – revient à dire que l’anatomie fait le destin, cela produit une position normée et normative. Je pense que ce qui est rejeté, à juste titre, c’est la hiérarchisation, ce sont les discriminations et les oppressions que produit l’idée de la différenciation binaire. L’hétéronormativité – et la binarité qui va avec – participe d’un discours dominant, issu de ceux qui ont le privilège de ne pas être inquiétés par cette différenciation.

    De même, la notion de « femme phallique », ou de femme « puissante », est toujours considérée de manière péjorative ou dénigrante par la doxa. Mais pourquoi serait-il pathologique pour une femme de souhaiter obtenir ce que les hommes ont comme privilèges ? On associe souvent les termes « femme », « passive », « soumise » et « masochiste ». Mais à force de répéter cette association, on l’intègre. C’est notamment ce que souligne la philosophe américaine Judith Butler : nous jouons et rejouons dans le champ social les normes de genre que nous avons intériorisées ; si je veux me faire reconnaître comme femme, alors je dois jouer la passivité, la soumission, etc. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment la psychanalyse peut créer les conditions pour défaire cette chaîne de mots socialement intégrée.

    Vous rappelez que, pour Freud, l’homosexualité est une « variation de la fonction sexuelle ». D’aucuns soutiennent que la psychanalyse prédispose à l’homophobie…

    C’est en partie vrai. Plusieurs textes écrits par des psychanalystes traitaient l’homosexualité comme s’il fallait la guérir, sous-entendant que c’était une maladie. Mais ce n’est pas ce que dit Freud. Selon lui, l’homosexualité est « un choix d’objet », comme l’hétérosexualité. Il y a une sorte de détermination inconsciente qui fait que le sujet choisit son objet. C’est une forme de contingence, en somme.

    Rappelons-nous qu’à partir des années 1920 il y a un conflit majeur entre [le psychiatre et psychanalyste gallois - 1879-1958 ] Ernest Jones et Sigmund Freud. Jones s’oppose à Freud en assurant qu’une personne homosexuelle ne peut pas devenir psychanalyste. Cette pensée a irrigué la formation des analystes. Mais personne ne s’étonne qu’un hétérosexuel puisse analyser un autre hétérosexuel.

    Est-ce à dire que ce sont les disciples de Freud qui ont pathologisé l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ?

    Il est compliqué de l’affirmer, car vous pouvez lire Freud et trouver dans ses textes de l’homophobie. Il en est de même avec Lacan et la transphobie. Mais lorsque Lacan commente l’œuvre de Freud, il invite à toujours replacer ses concepts dans leur contexte historique. Il n’a d’ailleurs cessé de dire qu’il fallait réinventer la psychanalyse en permanence.

    En tant que psychanalyste, j’ai appris de ces concepts-là. Mais ce qui importe, c’est la façon dont je peux m’y référer, en lien avec les situations cliniques que je rencontre. A savoir, des configurations familiales et sexuelles différentes de l’époque de Freud ou Lacan.

    Du reste, il n’y a pas de raisons pour que la psychanalyse actuelle échappe à la droitisation de la sphère publique et politique. L’analyste n’est pas tout-puissant, en surplomb par rapport à son époque. Il y a donc des psychanalystes qui ont des positions politiques conservatrices.

    La psychanalyse a-t-elle finalement oublié d’être subversive, comme elle l’a été au moment de sa fondation ?

    Dire, comme l’a fait Freud, que l’homosexualité est une variation sexuelle, que la vie psychique est amorale, que l’enfant est un pervers polymorphe – au moment où on le considère comme candide et innocent –, tout cela est extrêmement subversif pour l’époque.

    On peut rappeler qu’en 1886 le psychiatre allemand Krafft-Ebing (1840-1902) écrit Psychopathia sexualis, ouvrage dans lequel il répertorie toutes les « déviances sexuelles », c’est-à-dire, selon lui, les actes sexuels qui ne visent pas la reproduction de l’espèce. Freud rompt avec cette idée. La question, aujourd’hui, pour moi, est de comprendre comment la psychanalyse s’est moralisée et normalisée. Et c’est en cela que Michel Foucault [1926-1984] m’intéresse. En 1975, dans une interview, il demande : « Qu’est-ce que c’est que cette pudeur sacralisante qui consiste à dire que la psychanalyse n’a rien à voir avec la normalisation ? »

    Certains psychanalystes sont restés enfermés dans la binarité sexuelle et de genre, et il y a une sorte d’affolement dès qu’on parle du corps. Car le corps est révolutionnaire, puissant, il n’est pas simplement anatomique. Il est également politique. C’est le support des formes de libération. Et c’est cette question que soulèvent la pensée, les savoirs et les théories LGBTQI +. Que peut un corps ? Beaucoup de choses, je crois. Ce sont les corps, les sexualités qui peuvent mettre le désordre dans un ordre social rigidifié.

    Les psychanalystes ne sont-ils pas suffisamment curieux ?

    C’est souvent compliqué de penser le « désordre » pour un psychanalyste, habitué à la différence des sexes et à la norme sexuelle. La pathologisation peut servir à calmer l’angoisse d’un praticien qui ne sait pas entendre une personne LGBTQI +. Il est des analystes qui préfèrent dire que ce sont des pervers ou des psychotiques, car ils n’arrivent pas à penser les personnes LGBTQI + en dehors des catégories qu’ils ont eux-mêmes figées. Ils n’ont pas vu l’aspect politique des mouvements LGBTQI + et sont restés sourds aux avancées scientifiques qui, tout au long du XXe siècle, ont remis en cause la binarité. Ils pensent une psychanalyse « hors histoire ».

    Lors de la Manif pour tous, l’expression de catastrophe anthropologique, utilisée par plusieurs psychanalystes, a été reprise en chœur par les anti-mariage pour tous et par les transphobes, se revendiquant de « la » psychanalyse, ainsi instrumentalisée. Qu’est-ce qui nous fait croire qu’il faut un père et une mère pour élever un enfant ? La question de l’œdipe est bien plus complexe que cela. L’anthropologie et la sociologie nous permettent de comprendre qu’il y a une multiplicité de formes de familles possibles.

    C’est donc cela que vous tentez de faire dans votre ouvrage, repenser votre discipline en l’inscrivant dans son temps ?

    L’idée de mon livre, ce n’est pas de dire « voilà ce que la psychanalyse peut dire des LGBTQI + », mais « voilà ce que les personnes LGBTQI + peuvent faire entendre à la psychanalyse ». Il s’agit d’analyser la façon dont la psychanalyse peut se laisser instruire par un autre discours, qui ne soit pas un discours autoréférencé. Parfois, j’ai l’impression que les psychanalystes parlent de la psychanalyse aux psychanalystes. Il faut sortir de sa bulle : le monde existe autour de nous !

    Il y a des psychanalystes qui considèrent les identités LGBTQI + comme de la « perversion sociale ». Moi, cela ne m’intéresse pas. Je ne suis pas une experte en diagnostic, et je ne suis pas dans une approche pathologisante. Quand un patient vient en séance, ma question n’est pas de savoir qui il/elle aime. Je ne suis pas là pour faire de la morale.
    Les mouvements LGBTQI + parlent de sexualité, de désir, de genre – tout ce qui intéresse la psychanalyse. Ils et elles ont écrit, pensé, produit des savoirs. A l’exception majeure de l’Ecole lacanienne de psychanalyse (ELP), qui a introduit un dialogue entre les théoriciens queers et la psychanalyse, comment se fait-il que la discipline ne soit pas allée regarder du côté de ce nouveau corpus théorique ?

    De quoi la psychanalyse souffre-t-elle aujourd’hui ?

    Je trouve que la psychanalyse n’a pas suffisamment travaillé à une épistémologie critique, à une réflexivité sur l’émergence de ses propres concepts. Comme l’a écrit le philosophe et théologien Michel de Certeau [1925-1986] dans Histoire et psychanalyse entre science et fiction (Gallimard, 1987) : « Là où la psychanalyse “oublie” sa propre historicité (…), elle devient ou un mécanisme de pulsions, ou un dogmatisme du discours, ou une gnose de symboles. » Je crois aussi qu’il ne faut pas négliger le poids des écoles psychanalytiques. II y a une sorte d’autoréférence permanente dans les formations. La psychanalyse a également du mal à inventer un autre langage, à penser au-delà de Freud et Lacan.

    Quel risque la psychanalyse court-elle en ne se réinventant pas ?

    Le risque – si c’est un risque – est d’amplifier cette idée que la psychanalyse est une pratique normative, réactionnaire. Je n’ai pas envie de sauver « la » psychanalyse, je pense simplement qu’il y a une autre façon de la pratiquer. Il y a aujourd’hui des psychanalystes qui intègrent les éléments de la théorie critique et les éléments politiques de notre société : les choses changent. Plusieurs psychanalystes se sont récemment déclarés homosexuels : c’est un geste éminemment politique. Aujourd’hui, il y a d’ailleurs une demande de « psy safe », à savoir des psys concernés ou alliés. Mais tout le monde devrait être concerné par la violence, la discrimination ou l’oppression. Depuis quand accepte-t-on que quelqu’un se fasse détruire ? C’est quand même curieux, non ?

    La psychanalyse a donc un réel intérêt pour les personnes LGBTQI + ?

    Il n’y a pas d’analyse « pour » les LGBTQI + : cela sous-entendrait qu’il y a un « eux », et un « nous » universel. En revanche, il peut y avoir des contextes de discrimination et d’oppression qui produisent des effets réels. Mais si une personne souffre ou a envie de parler à quelqu’un, de s’inventer, de retrouver des capacités d’agir et d’aimer, un élan érotique, alors la psychanalyse peut être une expérience intéressante. Judith Butler parle de l’agency– la puissance, la capacité d’agir – ainsi : « Qu’est-ce que je fais avec ce que l’on fait de moi ? » Pour le dire autrement, que fait-on avec les assignations dans lesquelles on est enfermé ? Pour l’expérience analytique, j’ajouterais : comment fais-je avec ce que je ne sais pas de moi-même ?

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/14/laurie-laufer-la-psychanalyse-a-du-mal-a-inventer-un-autre-langage-a-penser-

    #théorie #historicité #hétéronormativité #psychanalyse #droitisation #pathologisation #normes #femmes #homosexualité #homophobie #corps #sexualité

  • Critique du sujet et critique de l’économie politique : Remarques de méthode, par Sandrine Aumercier
    http://www.palim-psao.fr/2022/06/critique-du-sujet-et-critique-de-l-economie-politique-remarques-de-method

    Comment se fait-il donc que la psychanalyse puise depuis ses débuts dans un spectre aussi large de références théoriques (art, littérature, psychiatrie, mathématiques, linguistique, logique, anthropologie, etc.) mais ne se plonge justement pas dans l’étude sérieuse de ce qui constitue la dynamique matérielle de la civilisation dans laquelle elle est apparue ? Comment se peut-il que ni Freud ni Lacan ni leurs successeurs ne se soient impliqués dans la critique de l’économie politique alors que le mode de production capitaliste détermine tendanciellement la totalité de l’existence planétaire, et qu’il provoque un faisceau de crises de plus en plus patentes, ainsi qu’un mécontentement social croissant (et ce, jusque dans les séances d’analyse) ? N’y a-t-il rien de plus à en dire que de ressasser 80 ans après le Malaise dans la civilisation ou telle formule — finalement anecdotique — de Lacan sur le discours du capitaliste ? Peut-on continuer à ignorer cette problématique grosse comme l’éléphant dans la pièce ?

    […]

    Sous la domination impersonnelle du capital, on ne peut plus comprendre la structure moderne du pouvoir à partir de l’aspiration personnelle au pouvoir des dirigeants, tout comme on ne prend jamais les motivations extérieures d’un analysant au pied de la lettre. Le capitalisme dans sa structure ne s’explique pas non plus par la quête du profit ou l’exploitation de certains par d’autres, ni par l’appropriation de survaleur ; ce qu’il faut expliquer, c’est pourquoi la création de valeur et l’accumulation d’argent est une obligation absolue de ce mode de production — et ce qui se passe quand ça ne marche plus. De même, la critique du capitalisme financier est aussi peu pertinente pour la compréhension du capitalisme que d’aborder un symptôme clinique à partir de la dénonciation de ses excès, sans remonter à la structure. La critique de l’hédonisme n’a pas non plus d’intérêt théorique si elle n’est rapportée à la constitution de l’homo economicus, qui est toujours d’abord un travailleur avant d’être un consommateur. Enfin, on ne peut pas expliquer le néolibéralisme à partir de l’idéologie managériale ; le « discours néolibéral » ne tient pas seul sur ses pattes.

    […]

    Il n’est d’aucun intérêt de psychologiser les rapports de production à partir des places occupées par les « masques de caractère » au sein de la totalité fonctionnelle. Ce n’est pas parce que nous sommes environnés d’idéologies légitimatrices que celles-ci expliquent le fonctionnement du capitalisme ; elles expliquent tout au plus comment chacun se raconte et justifie sa place dans une situation objective, mais elles n’expliquent pas cette situation. De même que Freud a renoncé à expliquer la névrose à partir de sa première théorie du trauma, de même le capitalisme ne s’explique pas à partir de l’exploitation de certains par d’autres à l’intérieur du rapport capitaliste. De même que le conflit psychique inconscient ne peut être confondu avec les conflits actuels (par exemple la dernière dispute conjugale), de même le capitalisme ne peut pas être interprété à partir des antagonismes visibles (par exemple la dernière vague de grèves), qui ne sont que la forme empirique d’un rapport formel qui enveloppe tous les sujets de la marchandise et qui, lui, doit être explicité.

    #théorie #théorie_critique #psychanalyse #critique_de_la_valeur #wertkritik #capitalisme #sujet #critique_du_sujet

  • Daniel Oppenheim, Le désir de détruire. Comprendre la destructivité pour réduire le terrorisme, Paris, C&F éditions, coll. « Interventions », 2021. | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-journal-de-la-psychanalyse-de-l-enfant-2022-1-page-257.htm

    Comprendre… Projet impensable pour la destructivité qui s’acharne contre le sens dans la pensée.
    Daniel Oppenheim, psychiatre et psychanalyste, a travaillé dans les quartiers et lieux institutionnels, le mettant en résonance avec des enfants et des adolescents face au chaos… Il a été confronté à la mort et la destruction de la pensée avec les enfants souffrant de tumeurs cancéreuses à Villejuif ; et plus récemment à l’infirmité des amblyopes sévères.
    Il souligne dans cet ouvrage les racines personnelles, identitaires et historiques intergénérationnelles, et culturelles qui conduisent au choix de la jouissance de la toute-puissance destructrice.
    Après avoir dans un premier temps abordé en psychanalyste la question de la pulsion de mort avec Freud, les angoisses précoces de morcellement avec Winnicott, voire de vide et de perte des limites du corps et du temps, il s’interroge sur les conséquences de leur réactualisation à l’adolescence. Tout le monde, avec un tel processus d’organisation de son développement, ne devient pas terroriste, écrit-il. Dans certains cas, tuer combat la phobie de la mort !
    Le mérite de ce livre est de s’inscrire dans un processus qui donne sa place à différents auteurs littéraires et à des situations cliniques. Il privilégie le contexte historique, géographique, socioculturel du développement de l’adolescent et de sa famille, etc…

    #Daniel_Oppenheim #Destructivité #Psychanalyse

  • La découverte impardonnable de Ferenczi | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2003-3-page-57.htm

    On raconte que lors de la visite de Ferenczi à Freud au 19 de la Berggasse, le 30 août 1932, pour lui lire ce qui s’est avéré être son dernier article, « Confusion de langue », qu’il s’apprêtait à prononcer au congrès de Wiesbaden, Freud en a été si bouleversé qu’il refusa ensuite de lui serrer la main (Bonomi, 1999, p. 512). Quelques jours plus tard, Freud écrivit à sa fille Anna : « Je l’écoutais, choqué. Le processus de régression où il est engagé le porte à entretenir les vues d’une étiologie à laquelle j’ai cru, mais que j’ai abandonnée il y a trente-cinq ans : à savoir que les névroses sont couramment causées par des traumatismes sexuels subis dans l’enfance » (Gay, 1988, p. 336)

    #freud_wars #théorie_de_la_séduction #Ferenczi #psychanalyse

    • Le concept ferenczien d’identification à l’agresseur signifiait quelque chose de tout à fait différent que la façon plus familière d’Anna Freud d’utiliser ce terme. Selon Ferenczi, il s’agissait de l’élimination par la victime de sa propre subjectivité pour devenir précisément ce que l’agresseur avait besoin qu’elle soit, afin d’assurer sa survie. Ce concept fait partie d’une théorie du trauma remarquablement contemporaine et subtile. Pour saisir pleinement ce concept et ses implications pour la technique analytique, il est nécessaire d’esquisser l’arrière-plan de certains aspects de sa façon ultérieure de penser le trauma.

  • (...) la floraison soudaine, surprenante, comme magique, de nouvelle facultés qui apparaissent suite au choc violent. Cela fait fait penser aux tours de fakirs qui, dit-on, peuvent faire croître des tiges et des fleurs à partir d’une graine, et ce sous nos yeux. L’adversité extrême, particulièrement la peur de la mort, semblent avoir le pouvoir soudain d’éveiller et d’activer des prédispositions latentes, non encore investies, qui attendaient leur maturation dans une tranquillité profonde. L’enfant ayant subi une #agression_sexuelle peut soudainement, sous la pression de l’urgence du #traumatisme, déployer toutes les facultés futures qui sont virtuellement préformées en lui et sont nécessaire pour le mariage, la maternité et la paternité, ainsi que toutes les émotions d’une personne mature. Là on peut parler de progression ou de #prématurité traumatique (pathologique), qui contraste avec le concept familier de régression. On pense à un fruit qui mûrit prématurément quand le bec d’une oiseau l’a meurtri, ou de la maturation prématuré d’un fruit véreux. Le choc peut conduire une partie de la personne à mûrir tout à coup, non seulement affectivement mais aussi intellectuellement. Je vous rappelle ce rêve typique du « bébé savant », que j’avais mis en avant voilà longtemps, dans lequel un nourrisson dans son berceau se met soudain à parler et même à enseigner la sagesse à toute la famille. La peur devant un adulte désinhibé - et donc fou en quelque sorte - transforme pour ainsi dire l’enfant en psychiatre. Pour se protéger des dangers que représentent des adultes sans contrôle, l’enfant doit d’abord savoir comment s’identifier complétement à eux. C’est incroyable à quel point nous pouvons réellement en apprendre de nos « enfants savant », les névrosés.

    #ferenczi #trauma #confusion_des_langues #psychanalyse #inceste #pédocriminalité #pédophilie

  • « Une société peut-elle être fatiguée ? », tribune d’Alain Ehrenberg

    L’idée que la société est déprimée, ou fatiguée, pour reprendre le titre du livre de la Fondation Jean Jaurès, met le doigt sur des sujets sensibles, mais elle est trompeuse. En quoi ? Et pourquoi est-ce important de le comprendre ?

    Nombre d’informations récentes vont à l’encontre de mes questions. L’Organisation mondiale de la santé a publié en novembre 2020 une note sur la « pandemic fatigue », « la fatigue nerveuse ou épuisement psychique, qui mène à l’immobilisme ». « Dépression, troubles du sommeil, anxiété… les inquiétants effets psychiques de la pandémie et du confinement », titre un article du Monde le 26 novembre 2020. La pandémie de Covid-19 a mis au premier plan les problèmes de santé mentale. Toutes ces souffrances psychiques sont traversées par la fatigue, le ralentissement de la pensée et de l’action, voire par l’immobilisme.

    L’idée est trompeuse parce qu’elle traite la société comme un gros individu, confondant ainsi « individu » et « individualisme ». Toute société fait place à l’individuel, mais seules les nôtres sont individualistes. Cela signifie que l’individualisme est un esprit social, un esprit commun. Et c’est cet esprit commun qui s’est modifié et qui a favorisé la transformation de questions relevant du domaine spécialisé de la psychiatrie et de la psychologie clinique en souci central de nos sociétés, affectant toute la vie sociale et personnelle, dans l’entreprise, à l’école…

    En quoi ce souci est-il révélateur de l’esprit social de la société individualiste d’aujourd’hui ?

    La fatigue considérée comme épuisement psychique est devenue un thème central, avec la dépression, au cours des années 1970, en même temps que les épidémiologistes constataient, statistiques à l’appui, que cette dernière était désormais le trouble mental le plus développé dans les sociétés occidentales. Non seulement cette pathologie est beaucoup plus répandue qu’on ne le pensait, mais elle change de signification dans la psychopathologie et dans la société. L’évolution de la psychanalyse à son égard permet de comprendre ce double changement.

    Dépressions et angoisses sont d’abord considérées par Freud et les psychanalystes comme un symptôme des névroses (hystérie, phobie, obsession), qui sont l’expression d’un conflit psychique œdipien entre le moi et le surmoi (interdicteur). Il s’agit donc d’un conflit entre le permis et le défendu. Dans une société de discipline, la dépression soulève une question à la fois commune et personnelle : que m’est-il permis de faire ?

    Panne de l’action

    A partir des années 1960 (voire un peu plus tôt aux Etats-Unis) et surtout 1970, les psychanalystes repèrent dans leurs clientèles de nouvelles pathologies non névrotiques qu’ils appellent « narcissiques ». La dépression y occupe une place centrale, et elle est moins le symptôme d’un conflit que d’un sentiment de vide, d’insuffisance affectant le narcissisme de l’individu qui ne parvient pas à être à la hauteur de ses idéaux. La honte a tendance à subordonner la culpabilité.

    De plus, c’est moins la tristesse et la douleur morale qui apparaissent au premier plan que la panne de l’action. Les psychanalystes interprètent généralement ces changements par les nouveaux modes de vie prônant l’émancipation des individus : parce qu’ils affaiblissent les interdits, et en conséquence la force protectrice du surmoi, ils créent de nouvelles souffrances psychiques.

    Nombre de sociologues et de philosophes, de Christopher Lasch, qui publie La Culture du narcissisme [Flammarion, 2008] aux Etats-Unis dans les années 1970, à Marcel Gauchet, qui parle d’une « mutation anthropologique » en France dans les années 2000, ont répondu que nous faisions face à une privatisation inexorable de l’existence. C’est cette interprétation que l’on retrouve dans l’idée de société fatiguée, parce que cette fatigue semble résulter de l’affaiblissement des liens sociaux, donc de l’idée de commun ou de collectif.

    On a plutôt affaire à une transformation de l’esprit social de l’individualisme.

    Entre 1970 et aujourd’hui, nous sommes progressivement entrés dans une société imprégnée par des idées, des valeurs et des normes gravitant autour de l’autonomie individuelle. D’une aspiration collective dans les années 1960-1970, à travers les mouvements de libération des mœurs revendiquant l’indépendance, le choix, la propriété de soi en même temps que l’égalité entre les hommes et les femmes, l’autonomie devient à partir des années 1980 la condition commune, c’est-à-dire un système d’attentes collectives à l’égard de chacun, et pas seulement un choix personnel. Elle relève alors de l’obligation sociale. Ces idéaux encouragent l’expression de l’individualité sous de multiples formes, tout en la mettant à l’épreuve.

    Dimension de plus en plus affective du travail

    C’est le cas de l’entreprise, par exemple. Elle génère des détresses psychologiques qui ne cesseraient de croître. L’imaginaire du travail n’est plus un imaginaire taylorien de l’exécution mécanique des ordres ou du suivi des cadences. On demande aux gens d’être responsables, autonomes, d’avoir de l’initiative, de développer des compétences de « savoir être », etc. Dans le système d’attentes collectives de l’autonomie, la question « que suis-je capable de faire ? » se substitue à « que m’est-il permis de faire ? ». Ce changement de nos régimes d’action exige de chacun des formes d’autocontrôle émotionnel et pulsionnel qui étaient parfaitement marginales dans le taylorisme, ce qui donne une place nouvelle aux dimensions affectives du travail.

    La santé mentale est alors sociologiquement un langage commun permettant d’exprimer des tensions de nos relations sociales, et donc une attitude collective à l’égard de la contingence (de toutes sortes d’adversités, des aléas des événements de la vie et de ceux des relations sociales) dans les sociétés individualistes de masse contemporaines imprégnées par les idées, valeurs et normes de l’autonomie individuelle. Elle permet à la fois de soulever des problèmes noués à cette normativité et d’y répondre, plus ou moins bien, par des accompagnements psychothérapeutiques ou médicamenteux multiples.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/22/alain-ehrenberg-une-societe-peut-elle-etre-fatiguee_6106948_3232.html

    #norme #travail #activité #narcissisme #dépression #psychanalyse

  • Dis grand-mère, pourquoi on meurt ?
    https://www.notretemps.com/famille/petits-enfants-grands-parents/dis-grand-mere-pourquoi-on-meurt-42054

    Pan ! T’es mort ! Votre petit fils se relève sourire aux lèvres. Mais depuis que son papi est malade, il est passé du jeu aux questions. Comment lui parler.

    Tous les enfants se posent la question de la mort. Preuve d’intelligence, cela fait partie de leur développement et ne signifie pas qu’ils traversent une phase dépressive. Que cela arrive après l’hospitalisation d’un proche, la mort de son papy ou celle de son petit animal, restez attentif. Votre enfant a besoin de réponses générales et précises. Il s’interroge sur la mort ? Comment répondre à ses questions

    Pourquoi on meurt ? La psychanalyste Françoise Dolto suggérait cette explication : « On ne meurt que lorsqu’on a fini de vivre. » Cette réponse juste complétera celle phrase que l’on a l’habitude de dire à la mort d’un proch : « Parce qu’il était malade. »

    Ça fait mal ? Votre petit-enfant se pose cette question en relation avec ce qu’il a vu ou entendu. Expliquez-lui que les soignants savent calmer la douleur.

    Quand on est mort, c’est pour toujours ? Pas question de lui mentir. Mais il importe de lui faire prendre conscience que la relation peut se prolonger en pensant à la personne ou à l’animal. Dites-lui : « Vous ne jouerez plus ensemble, mais tu peux continuer à penser à lui. » Cela lui évitera d’être dans le « tout ou rien », c’est-à-dire face à un vide générateur d’angoisses, de cauchemars, d’illusions ou d’imaginaire excessif.

    Et toi, tu vas mourir un jour ? Dites-lui la vérité : « Oui, je vais mourir un jour, quand j’aurai terminé ma vie, mais je sais que tu pourras bien te débrouiller dans ta vie même si je ne serai plus là. » L’attitude que vous avez vous-même face à la mort se répercute sur votre enfant. Si vous ne lui dites pas la vérité, il se sentira trahi et en colère en la découvrant.

    Comment le préparer à un décès ?

    Devant une mort imminente, expliquez à votre petit-enfant ce qui se passe. Les non-dits sur la mort engendrent de nombreuses souffrances. Abordez le sujet en douceur. Prenez vos exemples dans la nature, évoquez la mort des feuilles à l’automne, celle d’un poisson... Afin d’évoquer ensuite la fin de vie de son papi.

    Soyez clair. Évitez de lui dire que « Papi va faire un long voyage » ou que son petit hamster va s’endormir. Parlez en termes simples : « Ton papi est très vieux, son cœur va bientôt s’arrêter... ».

    L’aider à faire le deuil

    La mort est perçue par l’enfant comme une séparation. Celui qui reste a le sentiment d’être abandonné et en partie responsable. Rassurez-le : « Je sais que tu es triste, mais ton grand-père ne t’a pas abandonné, il t’aimait beaucoup. Cela n’arrive pas parce que tu crois n’avoir pas été assez gentil. »

    Vous aussi, vous êtes triste. Partagez votre expérience avec votre enfant : « Quand mon papi est mort, j’ai été triste moi aussi. Cela ne m’a pas empêché de rencontrer ton papa, d’avoir des enfants, la vie continue. » Cet échange permet d’inscrire votre enfant dans la continuité de la vie.

    Si la mort concerne son petit animal, ne vous précipitez pas à son secours en lui disant : « Ce n’est pas grave, on va-t-en acheter un autre. » On ne remplace pas un animal comme un jouet.

    L’important pour un enfant n’est pas tant d’avoir des réponses générales que de vous voir reconnaître la valeur de ses questions, que vous accompagniez sa réflexion : un long processus. Une grande partie de votre message passera par votre attitude aimante.

    ©Enfant.com

    #Daniel_Oppenheim #Mort #Psychanalyse

  • « L’art peut participer à la guerre de position », Sandra Lucbert, BALLAST
    https://www.revue-ballast.fr/sandra-lucbert-lart-peut-participer-a-la-guerre-de-position

    Son troi­sième livre, Personne ne sort les fusils, a racon­té de l’in­té­rieur le pro­cès de France Télécom-Orange, qui s’est tenu durant l’an­née 2019. On se sou­vient : suite à la pri­va­ti­sa­tion de la socié­té de télé­com­mu­ni­ca­tions et à son ouver­ture à la concur­rence, les sala­riés, mal­trai­tés, har­ce­lés et ter­ro­ri­sés par les nou­velles formes de mana­ge­ment, se sont mas­si­ve­ment sui­ci­dés — trente-cinq cas au cours des seules années 2008 et 2009. Le PDG, Didier Lombard, avait alors par­lé d’« une mode ». Avec son nou­vel ouvrage, Le Ministère des contes publics, l’écri­vaine Sandra Lucbert ajoute une pierre à son entre­prise de ren­ver­se­ment lit­té­raire du capi­ta­lisme : elle vise, cette fois, la sacra­li­sa­tion de la dette publique et l’im­pact du lan­gage sur la per­cep­tion du monde de la finance. Littérature et poli­tique : une dis­cus­sion affilée.

    À la ques­tion que George Orwell se pose quant aux rai­sons qui le poussent à écrire, il répond qu’il aspire à « faire de l’écriture poli­tique un art à part entière ». Vous ratifiez ?

    Absolument. Avec cepen­dant une pré­ci­sion : je ne consi­dère pas du tout que la lit­té­ra­ture ait essen­tiel­le­ment à être poli­tique. Comme tout art, elle jouit d’une pleine auto­no­mie dans le choix de ses objets ou de ses pro­pos, et tous sont éga­le­ment éli­gibles. Ce que je crois en revanche, c’est qu’il y a des périodes par­ti­cu­lières où per­sis­ter à tour­ner le dos aux objets poli­tiques quand on est auteur ou artiste est un pro­blème. En cer­taines conjonc­tures, la hau­teur des enjeux, des urgences et même des périls nous requiert. Je ne veux pas dire qu’il est inad­mis­sible, pour une auteure ou une artiste, même dans ces conjonc­tures, de conti­nuer à tra­vailler sur des ques­tions ou des objets non poli­tiques, mais si tous les sec­teurs de l’art demeurent dans ce type de ques­tion­ne­ment et dans ce type seule­ment, alors ils col­la­borent objec­ti­ve­ment à ne rien ten­ter du tout pour enrayer les des­truc­tions en cours. Or je pense que nous vivons pré­ci­sé­ment une de ces époques où nous sommes requis. L’art ne peut plus se com­plaire dans la seule pré­oc­cu­pa­tion de l’innovation for­melle : il faut le _tran­si­ti­ver_1, en l’occurrence poli­ti­que­ment. Le sen­ti­ment d’urgence poli­tique m’est venu hors de la lit­té­ra­ture, mais c’est par elle et par ses exi­gences for­melles que j’arrive à faire quelque chose de ce sen­ti­ment d’urgence.

    « Hors de la lit­té­ra­ture », c’est-à-dire où ?

    La herse néo­li­bé­rale, je l’ai sen­tie au tra­vail (dans l’éducation natio­nale et l’hôpital public) comme beau­coup de gens — et, par la lit­té­ra­ture, je cherche les moyens de (me) figu­rer ce qui nous tient, sans quoi je risque la dis­lo­ca­tion. J’ajoute main­te­nant que « faire de l’écriture poli­tique un art à part entière » com­mence par congé­dier l’opposition inepte entre art « à thèse » et art tout court. Si on peut dire d’un roman à sujet poli­tique : roman à thèse, c’est sim­ple­ment que le tra­vail for­mel est insuf­fi­sant à méta­bo­li­ser la matière ana­ly­tique qu’il entend tra­vailler. C’est que ce roman échoue à en faire de la lit­té­ra­ture : pro­duit un suc­cé­da­né d’essai, ou de tract, dégui­sé en roman. L’art poli­tique véri­ta­ble­ment art pose donc une double exi­gence : ana­ly­tique et for­melle. Exigence ana­ly­tique d’abord, car, par défi­ni­tion, l’art requis, l’art poli­ti­que­ment tran­si­ti­vé, se donne pour but de dire quelque chose des objets du social-his­to­rique poli­tique. Pour dire quelque chose d’un objet, il faut l’avoir pen­sé — contrai­re­ment à ce que sou­tiennent les hérauts de l’art du sen­sible-inef­fable, de l’art qui ne réflé­chit pas. Et quand il s’agit des objets du social-his­to­rique capi­ta­liste, la barre ana­ly­tique est pla­cée très haut — il est certes moins fati­guant de s’abandonner à ses pentes asso­cia­tives. Mais ça n’est pas tout : un art poli­tique doit « par­ler » des objets, mais il doit en par­ler à sa manière : avec l’intransigeance de ses exi­gences propres. Travailler les objets poli­ti­co-éco­no­miques, oui, mais dans la gram­maire de l’art. C’est ici qu’il faut sou­li­gner les mérites de l’autonomie du champ — lorsqu’elle ne se dégrade pas en une forme de céci­té poli­tique. Car c’est l’indépendance rela­tive des logiques de l’art qui est garante de l’exigence for­melle dont je parle.

    [...] S’éloignant de sa détestation originelle du règne bourgeois, le champ de l’art a glissé dans l’ignorance de ce qui l’environne et le détermine. C’est là un des effets du refermement autoréférentiel du champ : moins d’incitation à regarder au dehors. Pourtant il y a pire : car, malgré tout, oui, les artistes, bien forcés par les crises, ont fini par se saisir des objets du social-historique. Mais d’une manière où, cette fois, éclate l’ignorance de ce que le dehors fait au-dedans, des effets qu’entraîne pour le champ le fait d’être plongé dans un monde capitaliste qui détermine largement les conditions de la reproduction matérielle et symbolique dans le champ. De sorte que l’anticonformisme dont vous parlez, celui d’un champ qui confond désormais autonomie et méconnaissance du dehors, se retrouve de fait indexé sur la direction hégémonique. (...)

    Un exemple-type, même : la manière dont la question pourtant éminemment politique du « Monde vivant » est traitée. Faire parler la nature pour la rendre sensible, c’est normalement une démarche dictée par la menace qui pèse sur elle. Mais d’où vient cette menace, sinon du capitalisme en ses structures, ses institutions et ses mécanismes ? Or les propositions artistiques sur le Monde vivant s’appliquent à faire surgir du vivant invisible mais jamais l’invisible des structures capitalistes — qui détruisent l’invisible du vivant. Une cécité effarante frappe nombre d’artistes-auteures quand ils ou elles s’aventurent dans un hors-champ qu’ils réduisent à la nature exclusivement — lors même que c’est le hors-champ social historique, capitaliste, qui massacre ce hors-champ naturel. Les bons sentiments ne suffisent pas, et il n’est pas exclu que cela demande un certain effort de sauver les vies invisibles. S’émerveiller de la vie des poulpes avec Vinciane Despret ou de l’ancêtre replié dans l’éponge avec laquelle Baptiste Morizot prend sa douche8 est sans doute un heureux réveil de nos sensibilités, mais c’est un peu léger contre le démantèlement pur et simple de l’ONF ou les creusements de nouveaux pipelines de Total. En l’absence d’une problématisation formelle minimale de ce que fait effectivement le capitalisme fossile, on finit par rendre à Total et ses amis un grand service : on fait circuler de bien belles émotions concernant les morses — pendant que les causes de leur extermination, jamais dégagées, continuent d’opérer.

    #littérature #politique #bourgeoisie_culturelle

  • La clef sociale des songes
    https://laviedesidees.fr/Bernard-Lahire-La-part-revee.html

    À propos de : Bernard Lahire, La part rêvée. L’interprétation sociologique des rêves, volume 2, La Découverte. L’inconscient, selon B. Lahire, est “socialement structuré”. Ce principe permet la mise en oeuvre d’une #sociologie individuelle du rêve qui exige, tout comme l’interprétation psychanalytique, la présence d’un tiers pour comprendre les forces qui agissent sur le sujet rêveur.

    #Société #psychanalyse #interprétation #inconscient
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20210924_lahire.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20210924_lahire.docx

  • La solidarité protège plus que le chacun pour soi

    « C’est le constat angoissant de voir un nombre significatif d’adolescents et de jeunes gens « comprendre » et excuser la violence politique excessive, en particulier celle du terrorisme, voire être tenté de s’y engager, qui fut le point de départ de ce livre. En comprendre les causes et les mécanismes m’est apparu nécessaire pour contribuer à limiter cette tendance inquiétante et pour aider ceux qui pourraient être tentés par la violence politique excessive à s’en déprendre. Cette violence est omniprésente dans notre monde. Elle est celle des États dictatoriaux, « illibéraux », ou « démocratiques autoritaires », des groupes armés (aux divers objectifs, souvent mêlés), des génocides, massacres, guerres barbares menés par ces groupes, des partis ou des États. La destructivité m’a semblé être une porte d’entrée et une ligne directrice pertinente pour cette réflexion ». En introduction Daniel Oppenheim discute, entre autres, de la violence et de la destructivité, de pulsion de mort. Il présente le plan du livre, sa progression logique. Il propose de réfléchir dans un premier temps sur les mécanismes et les processus.

    Note sur : Daniel Oppenheim : Le désir de détruire
    Comprendre la destructivité pour résister au terrorisme
    https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/06/02/la-solidarite-protege-plus-que-le-chacun-pour-soi

    #politique #psychanalyse

  • Pourquoi a-t-on interné Alys Robi? | Radio-Canada.ca
    https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1796871/alys-robi-archives-internement-femmes-droits-chanteuse


    Alys Robi en 1948.
    PHOTO : ROMÉO GARIÉPY

    Elle était talentueuse, ambitieuse et à ses affaires. A-t-on enfermé et lobotomisé la première star internationale du Québec parce qu’elle était trop affranchie pour son époque ? C’est la question que se pose sa petite nièce à la lumière de récentes découvertes.

    • Toujours à l’encontre des femmes, les accuser de #folie ou d’#hystérie pour ne surtout pas entendre ce qu’elles ont a dire, les faire taire, les enfermer, les torturer, les détruire et masquer tout cela sous des soins cliniques et scientifiques. Atroce, oui.

      [Apparté] je découvre le verbe #noliser

    • Le Canada choqué par la découverte de 750 nouvelles tombes près d’un pensionnat pour autochtones - Toute l’actualité de la Guadeloupe sur Internet - FranceAntilles.fr
      https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/international/le-canada-choque-par-la-decouverte-de-750-nouvelles-tombes

      Une tribu autochtone a annoncé jeudi la découverte lors de fouilles de plus de 750 tombes anonymes sur le site d’un pensionnat au Canada, nouvelle illustration du calvaire subi pendant des décennies par des enfants autochtones dans des établissements scolaires catholiques.

      Le mois dernier, l’identification des restes de 215 enfants près d’un autre établissement autochtone avait déjà meurtri le pays.

      « Nous avons repéré 751 tombes non marquées », sur le site d’un ancien pensionnat hébergeant des enfants autochtones à Marieval, en Saskatchewan, dans l’ouest du Canada, a déclaré jeudi le chef de la nation Cowessess, Cadmus Delorme.

      « Ce n’est pas une fosse commune, ce sont des tombes non-identifiées », a-t-il ajouté.

      Le Premier ministre Justin Trudeau, qui a dit sa « peine » jeudi dans un communiqué, a estimé que le Canada devait « tirer les leçons de (son) passé et avancer sur le chemin commun de la réconciliation ».

      Ces découvertes ravivent le traumatisme vécu par quelque 150.000 enfants amérindiens, métis et inuits, coupés de leurs familles, de leur langue et de leur culture et enrôlés de force jusque dans les années 1990 dans 139 de ces pensionnats à travers le pays.

      Nombre d’entre eux ont été soumis à des mauvais traitements ou à des abus sexuels, et plus de 4.000 y ont trouvé la mort, selon une commission d’enquête qui avait conclu à un véritable « génocide culturel » de la part du Canada.

      Le chef de la Fédération des nations autochtones souveraines de la province de la Saskatchewan, Bobby Cameron, a dénoncé jeudi un « crime contre l’humanité ».

      « Le seul crime qu’on ait jamais commis était d’être nés autochtones », a-t-il affirmé.

      « Nous trouverons d’autres corps et nous ne nous arrêterons que lorsque nous aurons trouvé tous les enfants », a promis le responsable.

      Les fouilles autour de cette ancienne école de Marieval avaient débuté fin mai après la découverte des restes de 215 écoliers enfouis sur le site d’un autre ancien pensionnat, celui de Kamloops, en Colombie-Britannique, province la plus à l’ouest du pays.

      – « Tragique mais pas surprenant » -

      Cette découverte avait provoqué une onde de choc au Canada et relancé le débat sur ces institutions honnies où les enfants autochtones étaient envoyés de force afin d’y être assimilés à la culture dominante.

      Elle avait également relancé les appels à l’intention du pape et de l’Eglise à présenter des excuses pour les abus et violences dont ont souffert les élèves de ces pensionnats. Le souverain pontife s’était toutefois refusé à présenter de telles excuses, provoquant la colère et la frustration des communautés autochtones canadiennes.

      De leur côté, les experts en droits humains de l’ONU ont exhorté Ottawa et le Vatican à mener une enquête rapide et complète.

      « C’est absolument tragique mais pas surprenant », avait réagi dès mercredi soir Perry Bellegarde, chef de l’Assemblée des Premières nations, qui représente plus de 900.000 autochtones au Canada, sur son compte Twitter.

      Le pensionnat de Marieval, dans l’est de la Saskatchewan, a accueilli des enfants autochtones entre 1899 et 1997, avant d’être démoli deux ans plus tard et remplacé par une école de jour.

      Interrogé sur la chaîne CBC, un ancien pensionnaire de l’école de Marieval, Barry Kennedy, a estimé que cette nouvelle découverte n’était que la partie émergée de l’iceberg.

      « J’imagine que, vous savez, d’après les histoires qui ont été racontées par nos amis et camarades de classe, il y a plusieurs endroits (où se trouveraient des sépultures) par école », a-t-il expliqué.

      « J’ai eu un ami qui a été traîné au dehors une nuit, il hurlait », s’est-il souvenu. Il ne l’a plus jamais revu. « Il s’appelait Bryan... Je veux savoir où est Bryan. »

      « On nous a fait découvrir le viol », a ajouté Barry Kennedy. « On nous a fait découvrir les coups violents. On nous a fait découvrir des choses qui n’étaient pas normales dans nos familles. »

      Dans la foulée de la découverte des restes d’enfants au pensionnat de Kamloops, des fouilles ont été entreprises autour de plusieurs de ces anciens établissements scolaires partout au Canada, avec le concours des autorités gouvernementales.

      Plusieurs dirigeants de la communauté autochtone s’attendent à d’autres découvertes macabres dans les prochains mois.

    • Contrôle et mise sous tutelle : Britney Spears et Camille Claudel, même combat ?
      https://theconversation.com/controle-et-mise-sous-tutelle-britney-spears-et-camille-claudel-mem

      L’actualité récente concernant la contestation judiciaire par Britney Spears du contrôle exercé par son père sur ses biens — une « tutelle administrative » que la chanteuse a qualifié d’« abusive » — fait penser au sort réservé à la sculptrice Camille Claudel. Sa liberté a également été limitée par des membres de sa famille il y a plus d’un siècle.
      Un supporter de Britney Spears lors d’un rassemblement « Free Britney », le 14 juillet 2021, à Washington. Des fans ont organisé des manifestations depuis que la pop star s’est exprimée contre sa mise sous tutelle au tribunal. (AP Photo/Jose Luis Magana)

      Certains supporteurs de la campagne #FreeBritney sont choqués que la famille de Britney Spears ait pu maintenir l’artiste sous tutelle pendant 13 ans. Dans le cadre de cette tutelle, la vedette affirme avoir été abusée, exploitée, médicamentée et contrôlée.

      Mais de tels arrangements juridiques ont été imposés à des femmes artistes auparavant. Ils reflètent des croyances biaisées sur les capacités des femmes à gérer leur vie et leurs activités professionnelles.

      Claudel, qui est décédée en 1943, a été confrontée à un arrangement similaire à celui décrit par Spears. À une époque où il était très inhabituel pour une jeune femme de travailler comme sculpteur, Claudel a eu une carrière réussie. Elle a d’abord étudié avec le sculpteur Alfred Boucher avant de devenir l’élève, puis l’assistante, la collaboratrice et la partenaire romantique du sculpteur Auguste Rodin. En 1913, la famille de Claudel l’a fait admettre à un asile.
      Des attentes d’une vie conventionnelle

      La relation de Claudel avec Rodin a continué de façon intermittente de 1884 à 1896. C’étaient sans doute des années stimulantes pour la sculptrice, mais elles étaient aussi difficiles. Sa famille conservatrice de classe moyenne voulait qu’elle mène une vie conventionnelle — une vie où la sculpture figurait uniquement comme un passe-temps, et qui n’incluait certainement pas une relation extra-conjugale avec un homme beaucoup plus âgé. La famille de Claudel s’attendait à ce qu’elle se marie, comme la plupart des femmes de sa classe sociale.

      Rodin était lié à sa compagne Rose Beuret et ne voulait pas la quitter pour Claudel. Une lettre du frère de Claudel, le dramaturge et poète Paul Claudel, suggère que la sculptrice a été enceinte de Rodin et a subi au moins un avortement pendant leur relation.

      Lorsque leur relation tumultueuse a pris fin, Claudel s’est d’abord remise sur pied et a commencé à sculpter des œuvres très différentes de celles de Rodin. Elle utilisait des matériaux différents, ses œuvres étaient plus petites et ses sujets étaient plus contemporains.

      Mais elle a eu du mal à obtenir des commandes pour ses œuvres et à gagner sa vie. Ses voisins ont commencé à se plaindre de son comportement étrange. Ses lettres révèlent qu’elle a commencé à devenir paranoïaque que « la bande de Rodin » lui vole ses idées et l’empêche de vendre ses statues.
      Diagnostic d’une « psychose paranoïaque »
      Sculpture représentant quatre femmes blotties dans un coin en train de discuter
      Les Causeuses, (Les commères) de Camille Claudel. Bronze et marbre teinté (ou albâtre). (Pierre André Leclercq/Flickr), CC BY

      Le 7 mars 1913, la famille de Claudel entame les démarches pour la faire admettre à l’asile de Ville-Evrard, où on l’amène quelques jours plus tard.

      Le médecin-en-chef de l’asile diagnostique Claudel d’une psychose paranoïaque. Cela confirmait les observations d’un autre médecin, le voisin de la sculptrice, qui avait préparé le certificat médical nécessaire à la demande de sa famille.

      Sa famille était préoccupée par la santé mentale de Claudel depuis plusieurs années. À peine une semaine après la mort de son père, elle a décidé de l’institutionnaliser. Le père de Claudel l’avait soutenue, moralement et financièrement, malgré la très forte désapprobation de sa carrière et de ses choix de vie de la part de sa mère. En vertu de la « loi sur les aliénés » de 1838, une fois diagnostiquée comme « aliénée », Claudel acquiert un statut légal équivalent à celui d’une mineure. Sa famille a le pouvoir de l’interner et de prendre des décisions en son nom.

      En 1914, lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Claudel est transférée à une seconde institution, l’asile de Montdevergues, près d’Avignon, plus loin du soutien qu’elle avait toujours à Paris. Claudel est restée à l’asile de Montdevergues jusqu’à sa mort, près de 30 ans plus tard.
      Campagne de libération

      Dans un premier temps, comme le montre la spécialiste en littérature française Anna Norris, le cousin de Claudel, Charles Thierry, écrit à sa famille et fait campagne pour sa libération. Mais sa famille refuse d’en entendre parler.

      Elle a plutôt obtenu que l’asile empêche Camille Claudel d’envoyer et de recevoir des lettres. Ne sachant pas que ses lettres ne sortaient pas, sauf aux membres de sa famille à qui l’institution les envoyait, elle a continué à écrire.

      Des chercheuses comme Norris et la professeure d’études françaises Susannah Wilson ont étudié les lettres que Claudel a écrites de l’asile pour mieux comprendre sa santé mentale. (Aujourd’hui, nous pouvons constater un intérêt populaire similaire pour l’analyse du compte Instagram de Britney Spears).
      La famille désapprouve

      Norris et le psychiatre Michel Deveaux écrivent tous les deux que dans les années 20, les médecins estimaient que Claudel pouvait être réintégrée à la société. Mais sa famille l’a gardé à Montdevergues et ce, malgré le désir de Claudel de partir. Cette tentative de contrôle n’était pas due au fait qu’ils profitaient de son travail (ainsi que Spears a accusé sa famille), mais plutôt, comme l’affirme Norris, parce qu’ils désapprouvaient de sa vie et avaient honte de ses choix.

      Je me suis demandé si la famille de la sculptrice ne pensait pas aussi qu’elle entraverait la carrière d’écrivain de son jeune frère, Paul Claudel, au moment où elle commençait à prendre son envol.
      Trailer de « Camille Claudel 1915. ».
      Liberté et autonomie menacées par d’autres

      Depuis les années 1980, la vie et l’œuvre de Claudel ont été redécouvertes par des chercheurs travaillant dans les domaines de l’histoire de l’art, des études féministes, des études culturelles et de l’histoire de la psychiatrie.

      Les artistes, en particulier en France, ont produit une foule d’œuvres populaires à son sujet. Des livres, des pièces de théâtre et des films se sont penchés sur sa relation avec Rodin et, plus récemment, sur son placement en institution.

      Comme pour Britney Spears, tous les faits concernant Claudel ne sont pas toujours faciles à interpréter. Ce qui est clair, c’est que ces deux femmes de talent ont perdu le contrôle de leur vie, ont été isolées et déclarées incapables par des professionnels de la santé après l’intervention de leur famille. Dans les deux cas, les systèmes médicaux ou juridiques ont échoué à aider ces femmes artistes à reprendre le contrôle de leur vie ou à améliorer leur santé mentale.

      #tutelle #patriarcat

    • Voices from the Asylum: Four French Women Writers, 1850-1920
      Susannah Wilson
      Abstract

      This book investigates the lives and writings of four women incarcerated in French psychiatric hospitals in the second half of the nineteenth century and early twentieth century. The renowned sculptor (and mistress of Rodin) Camille Claudel, the musician Hersilie Rouy, the feminist activist Marie Esquiron, and the self‐proclaimed mystic and eccentric Pauline Lair Lamotte, all left first‐hand accounts of their experiences. These rare and unsettling documents provide the foundation for a unique insight into the experience of psychiatric breakdown and treatment from the patient’s viewpoint. By linking the question of gender to the process of medical diagnosis made by contemporary clinicians such as Sigmund Freud, this book is a text‐based analysis, which argues that psychiatric medicine functioned as an integral part of an essentially misogynistic and oppressive society. It suggests that partially delusional narratives such as these may be read as metaphorical representations of real suffering. The construction of these narratives constituted an act of resistance by the women who wrote them, and they prefigure the feminist revisionist histories of psychiatry that appeared later in the twentieth century. Straddling the disciplines of literature and social history, and based on extensive archival research, this book makes an important contribution to the feminist project of writing women back into literary history. It brings to light a fascinating but hitherto unrecognized literary tradition in the prehistory of psychoanalysis: the psychiatric memoir.

      https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199579358.001.0001/acprof-9780199579358

      #freud #psychanalyse #psychiatrie

  • Psychanalyse : le divan a du ressort
    https://www.telerama.fr/debats-reportages/psychanalyse-le-divan-a-du-ressort-6810218.php

    Décriée depuis des décennies, aux Etats-Unis comme en Europe, battue en brèche par les thérapies comportementales, la psychanalyse a dû démontrer son efficacité. Une lutte incessante, rappelle le chercheur Guénaël Visentini. Mission accomplie ?

    Cent ans après les travaux pionniers de Sigmund Freud, les critiques à l’encontre de la psychanalyse se multiplient. L’an dernier, L’Obs publiait une tribune signée par soixante psychiatres et psychologues, reprochant à cette discipline ses « postulats obscurantistes ». À l’origine du texte, la documentariste Sophie Robert, qui avait déjà réalisé en 2011 un film à charge, Le Mur. La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme. Les polémiques saturent le débat public, à coups de livres chocs. En 2005, déjà, un collectif faisait paraître Le Livre noir de la psychanalyse. Michel Onfray lui a emboîté le pas avec Le Crépuscule d’une idole, sous-titré L’affabulation freudienne. Avant que le psychologue Jacques Van Rillaer ne dégaine son Freud et Lacan, des charlatans ? Depuis qu’elle existe, la psychanalyse s’est pourtant soumise à quantité d’études et d’essais cliniques pour évaluer son efficacité, rappelle Guénaël Visentini, chercheur associé au Centre de recherches psychanalyse, médecine et société (CRPMS). Ce psychanalyste, et psychologue clinicien en milieu hospitalier, publie L’Efficacité de la psychanalyse. Un siècle de controverses (éd. Puf, 17 février 2021). Il explique en quoi une cure analytique, qui sonde l’inconscient, est tout aussi efficace qu’une thérapie cognitivo-comportementale, centrée sur des exercices plus pratiques.

    Un climat de contestation entoure la psychanalyse. Pourquoi ?
    Des critiques intéressantes et constructives ont été formulées aux États-Unis dès les années 1950, avant d’atteindre un paroxysme dans les décennies 1980 et 1990, avec une série d’attaques très médiatisées qu’on a appelées les « Freud wars ». En France, à la même époque, les psychanalystes qui étaient bien implantés dans les universités et les institutions de soin, connaissaient plutôt un âge d’or… La donne a changé quand nous sommes entrés dans le XXIe siècle. En elles-mêmes, les critiques n’ont rien de problématique. Certaines, légitimes, ont été entendues par la discipline et lui ont permis d’évoluer : les progrès en génétique et en neurosciences ont par exemple montré que quelques-unes des hypothèses de la psychanalyse sur l’autisme ou la dyslexie devaient être rectifiées, comme la théorie du désinvestissement de l’enfant par la mère. Les acquis scientifiques poussent aujourd’hui à reconnaître la nature non entièrement psychogène de certains troubles. Le problème, ce sont les attaques qui émanent d’amateurs, qui ignorent l’actualité de la recherche et procèdent selon des méthodologies douteuses, réduisant la psychanalyse à la seule œuvre de Freud, au mépris de cent ans d’histoire ; osant des copiés-collés de phrases décontextualisées dont le sens est transformé. Une vidéaste, Sophie Robert, a ainsi prétendu que la démarche analytique légitimerait la pédophilie en reconnaissant les désirs d’enfants pour les adultes. Elle impute à une profession des positions dans lesquelles personne ne se reconnaîtrait !

    Cette tension actuelle est propre au contexte français, où, parmi toutes les sous-disciplines de la psychologie, la psychanalyse a été dominante plus longtemps qu’ailleurs. Dans le reste du monde, les débats sont désormais un peu moins tendus. Après une période de déclin, la psychanalyse renaît doucement aux États-Unis, élaguée de certains éléments théoriques obsolètes sur la paternité, la maternité, le féminin [comme les concepts du « primat du phallus » ou de « l’envie de pénis » que ressentiraient les petites filles en découvrant qu’elles en sont -dépourvues, ndlr]… En Europe, l’Allemagne, la Belgique, le Danemark ou la Suisse remboursent actuellement les séances de psychanalyse, à la différence de la France (où seules celles prodiguées par un médecin psychiatre peuvent l’être). Au niveau international, le dialogue entre la psychanalyse et les autres disciplines commence à être renoué.

    Qu’est-ce qui distingue l’approche psychanalytique d’autres pratiques en vogue, comme les TCC, les thérapies comportementale et cognitives ?
    Il s’agit de démarches scientifiques différentes. L’une est du côté des sciences humaines, l’autre, du côté des sciences expérimentales. En tant que chercheurs, les psychanalystes sont un peu comme des ethnographes ou des anthropologues. Ils prennent le temps de recueillir des données auprès de leurs patients et en tirent des théories (qui peuvent être révisées), permettant d’intervenir dans la relation. Un exemple : dans les névroses obsessionnelles, on remarque parfois un phénomène psychique d’« isolation » lorsque le patient n’établit pas de lien entre deux idées. L’analyste peut lui proposer d’en faire un. Si cela fait écho à un lien non conscient en lui, on peut espérer initier des changements. Pour repérer ces mécanismes psychiques, il faut laisser la parole aux patients. De leur côté, les thérapies cognitivo-comportementales adaptent des techniques issues d’expérimentations de laboratoire. Pour vaincre une phobie des araignées, il s’agit non pas de comprendre comment elle s’inscrit dans l’histoire unique d’un individu, mais d’exposer celui-ci à l’objet de sa peur pour le désensibiliser. Ces thérapies sont plus protocolaires, directives et ciblées sur certains symptômes.

    Une enquête menée par l’Inserm en 2004, encore très souvent citée en France, affirme que les TCC sont plus efficaces que la psychanalyse…
    Il faut la remettre dans son contexte. Aux États-Unis, la question de l’efficacité est devenue primordiale à partir des années 1980, avec le principe du « New Public Management », qui soumet les investissements publics aux mêmes critères que le privé, y compris dans le domaine de la santé. Pour optimiser le ratio coût/bénéfice, il faut évaluer les actions menées ; on va donc exiger pour les psychothérapies des essais cliniques, considérés comme les plus hauts niveaux de preuve. Les TCC, qui émergent alors sur le marché du soin et sont compatibles avec cela, vont saisir l’occasion pour produire quantité d’essais. Les psychanalystes, qui ont une tradition d’évaluation plus observationnelle et qualitative, résistent jusqu’aux années 2000. Le rapport de l’Inserm, lui, est sorti en 2004. Comme il s’appuie sur la littérature produite entre 1980 et 2000, il trouve qu’il existe globalement plus de preuves d’efficacité pour les TCC, mais cela ne veut pas dire que les cures analytiques sont inefficaces ! C’est pourtant ce qui apparaît insidieusement dans sa conclusion.

    Dans la psychanalyse, la relation entre le patient et le thérapeute n’accepte pas de regard extérieur. Est-ce un obstacle à son évaluation ?
    Ce n’est qu’en tête-à-tête et dans une relation de confiance que l’on peut s’avouer des pensées folles, obscènes, moches… C’est compliqué quand on est seul face à l’analyste, si on doit supporter le regard d’un témoin ça devient impossible ! Mais en effet, cela pose problème pour la recherche, car la science est basée sur un principe de transparence. Et face aux attaques dirigées contre la psychanalyse, sa perte d’autorité et de crédit dans les années 1980, ce verrou de la confidentialité a peu à peu sauté. Des psychanalystes ont commencé à offrir des séances gratuites en échange de leur exploitation scientifique. On a enregistré ou filmé des milliers de cures dans leur intégralité, ce qui a permis aux analystes chercheurs de démontrer la pertinence et l’efficacité de leurs concepts.
    “Les données actuelles de la recherche ne permettent pas d’affirmer qu’un type de thérapie serait significativement supérieur aux autres”

    Par la suite, comment ont-ils réussi à faire entrer leurs thérapies dans des essais prévus à l’origine pour tester des médicaments ?
    Cela a nécessité des aménagements. Les psychanalystes ont dû renoncer à leur autonomie de diagnostic, et accepter de se référer à un ouvrage, le DSM (manuel diagnostique et statistique), qui recense les différents troubles mentaux. Mais contrairement aux essais de médicaments, impossible ici de faire de traitement en « double aveugle », ce principe selon lequel ni le médecin ni le patient ne savent qui prend la molécule active ou le placebo. C’est inapplicable : comment ignorer qu’on propose une cure analytique, ou qu’on en suit une ? Ce qui réintroduit de nombreux biais. En dépit de toutes leurs limites, ces études ont quand même eu des résultats intéressants. Elles ont montré que les psychothérapies sont aussi efficaces, voire plus, que les médicaments pour soigner les troubles psychiques, les effets secondaires en moins. L’OMS a d’ailleurs acté depuis la possibilité de prescrire une psychothérapie comme traitement de première intention.

    #Psychanalyse #Science #Controverse #Evaluation

  • « La panique décoloniale a saisi beaucoup de milieux, y compris psychanalytiques », Sophie Mendelsohn
    https://www.youtube.com/watch?v=R7IaxDRZXPQ

    Sophie Mendelsohn est psychanalyste. Ses travaux portent sur les théories critiques du genre et de la race et elle vient de publier avec Livio Boni La vie psychique du racisme - L’empire du démenti aux Editions de La Découverte.

    https://www.editionsladecouverte.fr/la_vie_psychique_du_racisme-9782348066702
    S’il n’est plus cautionné par la biologie ou l’anthropologie, comme il l’était à l’apogée de la période coloniale, le racisme est loin d’avoir disparu. Son énigmatique persistance puise ses ruses et ses raisons dans l’inconscient et dans les effets de croyance qui l’accompagnent. Ce livre part à la recherche des traces d’une vie psychique collective héritière d’une histoire largement tributaire des grands partages coloniaux, rendue illisible dans notre actualité postcoloniale.
    Pour s’orienter dans ces voies parfois tortueuses, il a fallu miser sur l’apport sous-estimé d’#Octave_Mannoni. Philosophe venu tardivement à la psychanalyse, il a évolué pendant un quart de siècle dans les colonies avant d’entamer un processus de « décolonisation de soi » coïncidant avec une tentative de décrire l’envers inconscient de la scène coloniale : sa cruauté mais aussi ses fragilités intimes, donnant à penser leurs effets de longue durée tant chez les anciens colonisés que chez les anciens colonisateurs.
    En redonnant une visibilité à ce trajet, ses échos, ses critiques et ses reprises, les auteurs explorent à partir de la mécanique du démenti les ressorts inconscients du racisme. Se dessine ainsi une histoire mineure de la #psychanalyse française, qui avait affaire à la question raciale avant même que #Fanon s’en saisisse ouvertement, et que Lacan annonce, une fois le cycle des décolonisations achevé, que « le racisme a bien de l’avenir ».

    #racisme

    • La psychanalyse française a longtemps refoulé les questions raciales et coloniales
      http://www.slate.fr/story/205043/bonnes-feuilles-vie-psychique-racisme-livio-boni-sophie-mendelsohn-la-decouver

      Cela paraît d’autant plus étonnant qu’on trouve déjà chez les surréalistes, entre les années 1920 et 1940, des tentatives d’allier opposition au colonialisme et psychanalyse.

      (...) pour Mannoni, le prototype anthropologique de l’homme colonial n’est pas Christophe Colomb, ou d’autres figures de conquistador, mais Robinson Crusoé, cet homme naufragé, resté seul au monde, qui ne put pallier sa solitude sidérale que par la rencontre avec l’Autre « sauvage », chargé de conjurer son esseulement, c’est-à-dire de le confirmer et d’y remédier à la fois.

      Le racisme de matrice coloniale se présente dès lors, dans l’enquête méta-analytique de Mannoni, comme une formation névrotique visant à affirmer l’exceptionnalité de l’homme blanc moderne –seul homme au monde, car supposé être le seul à s’être émancipé de tout lien transcendant– mais ayant besoin de l’Autre « primitif » pour asseoir cette même exceptionnalité et s’en consoler en même temps, en projetant sur le « sauvage » tout ce à quoi il est censé avoir renoncé pour gagner son autonomie : l’infantile, les pulsions, la féminité, l’irrationnel, la croyance, la magie, désormais versés au compte de l’Autre colonisé.

    • Panique décoloniale chez les psychanalystes ! le 3 octobre 2019
      https://www.liberation.fr/debats/2019/10/03/panique-decoloniale-chez-les-psychanalystes_1755259

      Plus de 150 psys et intellectuels répondent aux 80 psychanalystes qui, la semaine passée dans une tribune, s’inquiétaient de l’emprise croissante des revendications identitaires et communautaristes. C’est le rôle même de la discipline, répliquent-ils, de travailler à connaître la diversité du corps social en intégrant de nouvelles perspectives critiques. Afin de déconstruire et de déjouer les assignations identitaires.

      On a pu lire dans les pages du journal le Monde le jeudi 26 septembre une curieuse tribune, signée par 80 psychanalystes, suivant ainsi à la lettre « l’exemple » des 80 intellectuels qui s’étaient insurgés contre une hégémonie supposée de la pensée décoloniale (le Point, 28 novembre 2018). Moins d’un an plus tard, la critique s’est transformée, avec l’aide de ces nouveaux signataires, en une mise en garde générale à l’intention des sciences humaines et sociales, des universités et de tou·te·s les citoyen·ne·s, visant rien moins qu’à préserver les esprits d’une « emprise » qui les mettrait à la merci de « revendications totalitaires » niant « la spécificité de l’humain » en imposant l’« identitarisme », le « particularisme » et le « communautarisme ». A l’heure où les pensées racistes circulent massivement et sans complexe dans l’espace public, où les discours d’extrême droite et de celles et ceux qui les accompagnent ou les reprennent, ne cessent de promouvoir la lutte des races et les affirmations identitaires, où les « dérives sectaires » qui menaceraient « nos valeurs démocratiques et républicaines » en rattachant « des individus à des catégories ethnoraciales ou de religion » sont évoquées presque quotidiennement dans les médias et les partis, on pourrait presque ironiser que des psychanalystes aient voulu voir la bête immonde et le mal qui vient chez les représentants de la pensée « décoloniale ». Passons aussi sur l’ignorance des rédacteurs de la tribune qui interprètent un questionnement scientifique d’abord sud-américain comme une idéologie politique et confondent études décoloniales, approches postcoloniales, intersectionnalité, multiculturalisme, « racialisme », autant de noms repoussoirs, diaboliques, identifiables au risque de « totalitarisme » qu’ils promettent. Pourquoi enrôler la psychanalyse dans une croisade idéologique qui lui est étrangère ? A quoi aura servi plus d’un siècle de réflexion sur le transfert, le désir, les ruses de la raison et de la déraison, et la prise en compte de la singularité des sujets, si c’est pour en faire les victimes programmées d’une « emprise » maléfique et d’une manipulation mentale ? La psychanalyse ne se réduit pas à ce discours outragé et outrancier qui donne le sentiment d’un rejet pur et simple du débat avec les courants critiques contemporains.

      Ecoutons plutôt ce qui se dit là où elle s’exerce au lieu de céder à la panique morale antidécoloniale. Car la clinique psychanalytique offre à ceux qui la pratiquent, analysant·e·s ou analystes, la possibilité de construire ensemble un champ de coexistence et de conflictualité où les manières toujours singulières de s’expérimenter soi-même comme désirant, dans le plaisir et la souffrance, s’entre-affectent. Faire exister cette hétérogénéité d’existences est l’exigence propre de cette pratique qui ne vit pas de dogmes mais de plus d’un siècle d’expériences et de récits de vie accumulés. Le racisme n’est pas un problème moral, c’est une politique qui s’appuie sur des institutions, une expérience vécue quotidiennement par celles et ceux que les psychanalystes rencontrent. En démentir l’impact interdit d’en mesurer les conséquences sur la vie psychique. Il y a « race » à partir du moment où la diversité de trajectoires biographiques, dépassant largement et depuis longtemps le cadre hexagonal, est raturée ; c’est depuis cette prise en considération que la psychanalyse peut accéder aux logiques les plus intimes de la séparation et de la ségrégation. L’universalisme « humaniste » républicain érigé en idéal abstrait ne peut pas devenir le principe au nom duquel il serait légitime de se faire le censeur de la vie des autres, réduits à n’être plus des semblables. Si les études décoloniales et postcoloniales inquiètent tant certains psychanalystes, à l’instar des études de genre il n’y a pas si longtemps, c’est qu’appliquées à notre société, elles en montrent certains impensés et contestent son grand récit national unitaire. Au lieu de se faire la complice de ce mauvais combat, et de favoriser le morcellement identitaire en réduisant l’inconscient au silence, la psychanalyse doit travailler à connaître et à reconnaître la plasticité du corps social en intégrant ces nouvelles perspectives critiques dans le projet, qui est le leur pour qui sait les lire, de déconstruire et de déjouer les assignations identitaires. Voilà pourquoi nous pensons aussi que la psychanalyse doit être attentive aux lieux où s’expérimentent, toujours collectivement, d’autres subjectivations que celles promues par le modèle majoritaire, et où l’on peut entendre des paroles qui n’ont été ni instituées ni authentifiées. Voilà aussi pourquoi il est nécessaire de s’intéresser aux circulations mondiales de la psychanalyse, aux séquences historiques et aux conjonctures politiques et culturelles dans lesquelles elle a pu être mobilisée dans des espaces imprévus et éloignés de ses foyers d’origine et où elle a, en retour, pu se laisser travailler de l’intérieur, par son dehors géographique et anthropologique. C’est à ce prix qu’elle pourra renouer avec sa créativité fondatrice et émancipatrice.

      Premiers signataires : Kader Attia Artiste, fondateur de la Colonie, Thamy Ayouch Psychanalyste, université Paris-Diderot, Livio Boni Psychanalyste, Collège international de philosophie, Boris Chaffel Psychanalyste, Michel Feher Philosophe, Guy Lérès Psychanalyste, Charlotte Hess Performeuse, Pierre Kammerer Psychanalyste, Leslie Kaplan Ecrivaine, Yala Kisukidi Philosophe, université Paris-VIII, Karima Lazali Psychanalyste, Laurie Laufer Psychanalyste, Patrice Maniglier Philosophe, université Paris-Ouest-Nanterre, Pascale Molinier Professeure de psychologie sociale, Paris-XIII, Marie-Rose Moro Pédopsychiatre, hôpital Cochin, Sophie Mendelsohn Psychanalyste, Heitor O’Dwyer de Macedo Psychanalyste, Toni Negri Philosophe, Esteban Radiszcz Psychanalyste, université du Chili, Marie-Caroline Saglio Anthropologue et psychologue, Inalco, Felwine Sarr Duke University, Alexandra de Séguin Psychiatre psychanalyste, Valentin Schaepelynck Sciences de l’éducation, université Paris-VIII.