Faisant le constat que les stades outre-Rhin étaient plus beaux et plus remplis, Eric Besson, alors secrétaire d’Etat du gouvernement de Nicolas Sarkozy, avait plaidé dans un rapport pour une modernisation des équipements en favorisant le recours aux investissements privés, notamment au travers des partenariats public-privé (PPP), et au naming (pratique consistant à donner le nom d’une société partenaire à une enceinte sportive). Philippe Séguin, à l’époque président de la Cour des comptes, avait estimé que « le recours au PPP est parfaitement adapté et conforme à l’intérêt général ».
« Tout le monde a été incité à construire en PPP et plusieurs villes ont plongé : Le Mans en premier, puis Nice, Bordeaux, Lille et Marseille qui étaient des places fortes du football », rappelle Jean-Pascal Gayant, économiste du sport et professeur à l’université de Rennes. Le schéma semblait simple : une entreprise de BTP prête de l’argent à une collectivité pour l’érection de l’enceinte sportive, s’occupe de sa construction, prend en charge l’exploitation et la maintenance avec un contrat qui couvre l’activité sur trente ans. Le montage avait l’avantage pour ces villes et métropoles, qui restent les propriétaires officiels, de déléguer la construction en étalant la charge financière ; le club résident devant, lui, verser un loyer aux collectivités.
Un cahier des charges trop lourd
A Bordeaux, le stade aux mille poteaux blancs a ainsi été construit en 2015 pour un coût de 295 millions d’euros. Il a porté les espoirs d’un renouveau sportif quand Alain Juppé, alors maire (UMP) de la ville, s’était porté candidat à l’accueil de l’Euro 2016. Mais le Matmut Atlantique avec ses 42 000 sièges a souvent sonné vide, se souviennent les habitués. Même quand les Girondins étaient bien classés en Ligue 1, la première division du football. Aménagée dans la zone industrielle du Lac, trop éloignée du centre-ville, l’enceinte n’a pas su garder le public du stade Chaban-Delmas, antre historique des Girondins. Les descentes en Ligue 2 en 2022, puis en National 2, ont accentué le manque d’appétit des spectateurs.
Neuf autres villes – Lens, Lille, Paris, Saint-Denis, Saint-Etienne, Marseille, Nice, Lyon, Toulouse – s’étaient elles aussi lancées dans l’aventure, avec des schémas de financement variés. Pour coller au modèle allemand, le cahier des charges imposé était pourtant lourd à porter : il fallait de grosses enceintes, des loges et des espaces hospitalité pour booster les recettes. Résultat, les nouveaux stades ont été surdimensionnés au regard de leur bassin de population. Tous ont affiché, dès la deuxième année d’exploitation, des fréquentations bien moindres qu’attendues.
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Pour Jérémy Moulard, postdoctorant en management du sport à l’université de Lausanne (Suisse), au-delà du cas de Bordeaux, c’est le « modèle français » institué en vue de l’Euro 2016 qui est un échec. « Construits trop grands, ces stades n’ont jamais été vraiment rentables : le surdimensionnement coûte plus cher en exploitation et en termes de marges, car le prix des places est moins élevé quand les tribunes sont à moitié vides », remarque le chercheur qui a mené une enquête fouillée sur le sujet. Saint-Etienne a préféré revenir à une taille plus modeste de 35 000 places après le tournoi, et le club remplit régulièrement ses gradins.
Aux yeux des observateurs, le choix de faire appel à des sociétés gestionnaires, type Vinci ou Eiffage, a aussi été une erreur. Elles n’ont pas toujours su exploiter les lieux. « L’idée était qu’une société privée serait plus performante qu’un club pour gérer l’équipement. Mais aucune n’avait cette expérience dans le domaine sportif, souligne Nadine Dermit, maîtresse de conférences en management du sport à l’université de Rouen. Les clubs se sont concentrés sur les places à prestation [loges privées, buffet…] qui rapportent plus, en oubliant le public nécessaire pour remplir le stade. » Ainsi à Marseille, l’Olympique de Marseille a racheté en 2018 la société d’exploitation Arema, née pour gérer le partenariat public-privé afin de s’éviter une gestion déficitaire. Bien que le club n’ait jamais eu de problèmes de remplissage, le Vélodrome coûte encore 30 millions d’euros par an à la ville, soit trois fois plus que prévu.
Remplissage en deçà des prévisions
A Nice, en revanche, l’Allianz Riviera peine à exploiter le potentiel de ses 45 000 places (35 000 en configuration sportive). Les matchs de l’OGC Nice ne font pas le plein et les programmations de concerts ne suffisent pas à assurer la rentabilité de l’équipement. La métropole azuréenne se targue malgré tout d’avoir accueilli les demi-finales du Top 14 et la Coupe du monde de rugby, en 2023, des rencontres des Jeux olympiques en 2024, ou un concert de Travis Scott : « C’est grâce à cet équipement et aux superbes conditions qu’il offre que nous avons réussi à nous imposer comme une terre d’accueil incontournable pour tous les événements sportifs et culturels d’envergure », affirme Christian Estrosi, président (Horizons) de la métropole Nice-Côte d’Azur.
Il peine à convaincre l’opposition, qui a beau jeu de souligner l’impact de l’équipement sur la dette de la collectivité locale (400 millions d’euros selon la Cour des comptes) et de dénoncer un remplissage en deçà des prévisions : la saison 2024 affiche une moyenne de 25 000 spectateurs, mais les anneaux supérieurs sont la plupart du temps vides.