Chaque jour, nous mangions – des haricots rouges et des tortillas, pour l’essentiel – sous le portrait d’Abdullah Öcalan, leader du PKK embastillé par l’État turc, et dormions dans des lits superposés que l’usage dirait peu ou prou « de fortune ». En zone zapatiste, l’alcool et les drogues sont prohibés, de même que l’usage de pesticides. Les fresques recouvrant chaque bâtiment donnaient à voir les figures nationales, le maïs sacré, Frida Kahlo, la rébellion contre l’ordre néolibéral, l’escargot totémique (symbole du temps à retrouver face à la modernité déferlante et l’hybris capitaliste, avatar de la lutte à construire pierre après pierre), l’incontournable Che ou le combat des Afro-Américains. J’avais noté, amusé, ce slogan peint dans l’ombre d’un toit : « L’algèbre de l’éducation révolutionnaire est la dialectique ».
Nous avions longuement discuté avec quelques militants zapatistes, dansé – un peu et très mal – et assisté aux cours d’histoire anticapitalistes prodigués à la centaine d’élèves de l’internat, appelés « camarades » par leur « promoteur d’éducation ». « Nous marchons et le gouvernement ne sait plus vraiment comment agir », nous avait confié N., en espagnol et à visage découvert (comme le sont la presque totalité des zapatistes une fois franchie, hors rassemblements semi-publics, l’enceinte des caracoles). Le mystère quant à leur nombre est à dessein entretenu par la direction. « Un zapatiste naît tous les jours, impossible de savoir », avait confirmé notre interlocuteur, paysan et enseignant d’une trentaine d’années. N. affichait des pommettes pleines, de sombres yeux creusant une face qu’une barbiche prolongeait en poils indécis. « Nous n’avons pas la possibilité ni le luxe de partir ou de voyager, car on n’a pas de sous et on doit construire l’autonomie. C’est difficile de vivre en communauté mais c’est ainsi. Nous sommes en guerre. Mais nous avons beaucoup d’espoir : les petits feront ce qu’on n’a pas su faire. Nos parents ne savaient pas lire et il n’y avait pas d’écoles. Beaucoup de bébés mouraient d’une simple fièvre. Le zapatisme a changé tout ça. »