• Quels actes forts la France va-t-elle poser pour imposer la paix à Gaza ? #QAG 14/02/2024 - YouTube
    https://www.youtube.com/watch?v=sCHTpR2Jf1E


    Après un hommage à Missak et Méliné Manouchian, question du député Dharréville et réponse de Mme Chrysoula Zacharopoulou
    Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée du Développement et des Partenariats internationaux, à la place de Stéphane Séjourné, empêché.
    #gaza #complicité #France #génocide #inaction

  • #Université, service public ou secteur productif ?

    L’#annonce d’une “vraie #révolution de l’Enseignement Supérieur et la Recherche” traduit le passage, organisé par un bloc hégémonique, d’un service public reposant sur des #carrières, des #programmes et des diplômes à l’imposition autoritaire d’un #modèle_productif, au détriment de la #profession.

    L’annonce d’une « #vraie_révolution » de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) par Emmanuel Macron le 7 décembre, a pour objet, annonce-t-il, d’« ouvrir l’acte 2 de l’#autonomie et d’aller vers la #vraie_autonomie avec des vrais contrats pluriannuels où on a une #gouvernance qui est réformée » sans recours à la loi, avec un agenda sur dix-huit mois et sans modifications de la trajectoire budgétaire. Le président sera accompagné par un #Conseil_présidentiel_de_la_science, composé de scientifiques ayant tous les gages de reconnaissance, mais sans avoir de lien aux instances professionnelles élues des personnels concernés. Ce Conseil pilotera la mise en œuvre de cette « révolution », à savoir transformer les universités, en s’appuyant sur celles composant un bloc d’#excellence, et réduire le #CNRS en une #agence_de_moyen. Les composantes de cette grande transformation déjà engagée sont connues. Elle se fera sans, voire contre, la profession qui était auparavant centrale. Notre objet ici n’est ni de la commenter, ni d’en reprendre l’historique (Voir Charle 2021).

    Nous en proposons un éclairage mésoéconomique que ne perçoit ni la perspective macroéconomique qui pense à partir des agrégats, des valeurs d’ensemble ni l’analyse microéconomique qui part de l’agent et de son action individuelle. Penser en termes de mésoéconomie permet de qualifier d’autres logiques, d’autres organisations, et notamment de voir comment les dynamiques d’ensemble affectent sans déterminisme ce qui s’organise à l’échelle méso, et comment les actions d’acteurs structurent, elles aussi, les dynamiques méso.

    La transformation de la régulation administrée du #système_éducatif, dont nombre de règles perdurent, et l’émergence d’une #régulation_néolibérale de l’ESR, qui érode ces règles, procède par trois canaux : transformation du #travail et des modalités de construction des #carrières ; mise en #concurrence des établissements ; projection dans l’avenir du bloc hégémonique (i.e. les nouveaux managers). L’action de ces trois canaux forment une configuration nouvelle pour l’ESR qui devient un secteur de production, remodelant le système éducatif hier porté par l’État social. Il s’agissait de reproduire la population qualifiée sous l’égide de l’État. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase du #capitalisme, et cette reproduction est arrimée à l’accumulation du capital dans la perspective de #rentabilisation des #connaissances et de contrôle des professionnels qui l’assurent.

    Le couplage de l’évolution du système d’ESR avec la dynamique de l’#accumulation, constitue une nouvelle articulation avec le régime macro. Cela engendre toutefois des #contradictions majeures qui forment les conditions d’une #dégradation rapide de l’ESR.

    Co-construction historique du système éducatif français par les enseignants et l’État

    Depuis la Révolution française, le système éducatif français s’est déployé sur la base d’une régulation administrée, endogène, co-construite par le corps enseignant et l’État ; la profession en assumant de fait la charge déléguée par l’État (Musselin, 2022). Historiquement, elle a permis la croissance des niveaux d’éducation successifs par de la dépense publique (Michel, 2002). L’allongement historique de la scolarité (fig.1) a permis de façonner la force de travail, facteur décisif des gains de productivité au cœur de la croissance industrielle passée. L’éducation, et progressivement l’ESR, jouent un rôle structurant dans la reproduction de la force de travail et plus largement de la reproduction de la société - stratifications sociales incluses.

    À la fin des années 1960, l’expansion du secondaire se poursuit dans un contexte où la détention de diplômes devient un avantage pour s’insérer dans l’emploi. D’abord pour la bourgeoisie. La massification du supérieur intervient après les années 1980. C’est un phénomène décisif, visible dès les années 1970. Rapidement cela va télescoper une période d’austérité budgétaire. Au cours des années 2000, le pilotage de l’université, basé jusque-là sur l’ensemble du système éducatif et piloté par la profession (pour une version détaillée), s’est effacé au profit d’un pilotage pour et par la recherche, en lien étroit avec le régime d’accumulation financiarisé dans les pays de l’OCDE. Dans ce cadre, l’activité économique est orientée par l’extraction de la valeur financière, c’est à dire principalement par les marchés de capitaux et non par l’activité productive (Voir notamment Clévenot 2008).
    L’ESR : formation d’un secteur productif orienté par la recherche

    La #massification du supérieur rencontre rapidement plusieurs obstacles. Les effectifs étudiants progressent plus vite que ceux des encadrants (Piketty met à jour un graphique révélateur), ce qui entrave la qualité de la formation. La baisse du #taux_d’encadrement déclenche une phase de diminution de la dépense moyenne, car dans l’ESR le travail est un quasi-coût fixe ; avant que ce ne soit pour cette raison les statuts et donc la rémunération du travail qui soient visés. Ceci alors que pourtant il y a une corrélation étroite entre taux d’encadrement et #qualité_de_l’emploi. L’INSEE montre ainsi que le diplôme est un facteur d’amélioration de la productivité, alors que la productivité plonge en France (voir Aussilloux et al. (2020) et Guadalupe et al. 2022).

    Par ailleurs, la massification entraine une demande de différenciation de la part les classes dominantes qui perçoivent le #diplôme comme un des instruments de la reproduction stratifiée de la population. C’est ainsi qu’elles se détournent largement des filières et des établissements massifiés, qui n’assurent plus la fonction de « distinction » (voir le cas exemplaire des effectifs des #écoles_de_commerce et #grandes_écoles).

    Dans le même temps la dynamique de l’accumulation suppose une population formée par l’ESR (i.e. un niveau de diplomation croissant). Cela se traduit par l’insistance des entreprises à définir elles-mêmes les formations supérieures (i.e. à demander des salariés immédiatement aptes à une activité productive, spécialisés). En effet la connaissance, incorporée par les travailleurs, est devenue un actif stratégique majeur pour les entreprises.

    C’est là qu’apparaît une rupture dans l’ESR. Cette rupture est celle de la remise en cause d’un #service_public dont l’organisation est administrée, et dont le pouvoir sur les carrières des personnels, sur la définition des programmes et des diplômes, sur la direction des établissements etc. s’estompe, au profit d’une organisation qui revêt des formes d’un #secteur_productif.

    Depuis la #LRU (2007) puis la #LPR (2020) et la vague qui s’annonce, on peut identifier plusieurs lignes de #transformation, la #mise_en_concurrence conduisant à une adaptation des personnels et des établissements. Au premier titre se trouvent les instruments de #pilotage par la #performance et l’#évaluation. À cela s’ajoute la concurrence entre établissements pour l’#accès_aux_financements (type #Idex, #PIA etc.), aux meilleures candidatures étudiantes, aux #labels et la concurrence entre les personnels, pour l’accès aux #dotations (cf. agences de programmes, type #ANR, #ERC) et l’accès aux des postes de titulaires. Enfin le pouvoir accru des hiérarchies, s’exerce aux dépens de la #collégialité.

    La généralisation de l’évaluation et de la #sélection permanente s’opère au moyen d’#indicateurs permettant de classer. Gingras évoque une #Fièvre_de_l’évaluation, qui devient une référence définissant des #standards_de_qualité, utilisés pour distribuer des ressources réduites. Il y a là un instrument de #discipline agissant sur les #conduites_individuelles (voir Clémentine Gozlan). L’important mouvement de #fusion des universités est ainsi lié à la recherche d’un registre de performance déconnecté de l’activité courante de formation (être université de rang mondial ou d’université de recherche), cela condensé sous la menace du #classement_de_Shanghai, pourtant créé dans un tout autre but.

    La remise en question du caractère national des diplômes, revenant sur les compromis forgés dans le temps long entre les professions et l’État (Kouamé et al. 2023), quant à elle, assoit la mise en concurrence des établissements qui dépossède en retour la profession au profit des directions d’établissement.

    La dynamique de #mise_en_concurrence par les instruments transforme les carrières et la relation d’#emploi, qui reposaient sur une norme commune, administrée par des instances élues, non sans conflit. Cela fonctionne par des instruments, au sens de Lascoumes et Legalès, mais aussi parce que les acteurs les utilisent. Le discours du 7 décembre est éloquent à propos de la transformation des #statuts pour assurer le #pilotage_stratégique non par la profession mais par des directions d’établissements :

    "Et moi, je souhaite que les universités qui y sont prêtes et qui le veulent fassent des propositions les plus audacieuses et permettent de gérer la #ressource_humaine (…) la ministre m’a interdit de prononcer le mot statut. (…) Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts (…) moi, je vous invite très sincèrement, vous êtes beaucoup plus intelligents que moi, tous dans cette salle, à les changer vous-mêmes."

    La démarche est caractéristique du #new_management_public : une norme centrale formulée sur le registre non discutable d’une prétérition qui renvoie aux personnes concernées, celles-là même qui la refuse, l’injonction de s’amputer (Bechtold-Rognon & Lamarche, 2011).

    Une des clés est le transfert de gestion des personnels aux établissements alors autonomes : les carrières, mais aussi la #gouvernance, échappent progressivement aux instances professionnelles élues. Il y a un processus de mise aux normes du travail de recherche, chercheurs/chercheuses constituant une main d’œuvre qui est atypique en termes de formation, de types de production fortement marqués par l’incertitude, de difficulté à en évaluer la productivité en particulier à court terme. Ce processus est un marqueur de la transformation qui opère, à savoir, un processus de transformation en un secteur. La #pénurie de moyen public est un puissant levier pour que les directions d’établissement acceptent les #règles_dérogatoires (cf. nouveaux contrats de non titulaires ainsi que les rapports qui ont proposé de spécialiser voire de moduler des services).

    On a pu observer depuis la LRU et de façon active depuis la LPR, à la #destruction régulière du #compromis_social noué entre l’État social et le monde enseignant. La perte spectaculaire de #pouvoir_d’achat des universitaires, qui remonte plus loin historiquement, en est l’un des signaux de fond. Il sera progressivement articulé avec l’éclatement de la relation d’emploi (diminution de la part de l’emploi sous statut, #dévalorisation_du_travail etc.).

    Arrimer l’ESR au #régime_d’accumulation, une visée utilitariste

    L’État est un acteur essentiel dans l’émergence de la production de connaissance, hier comme commun, désormais comme résultat, ou produit, d’un secteur productif. En dérégulant l’ESR, le principal appareil de cette production, l’État délaisse la priorité accordée à la montée de la qualification de la population active, au profit d’un #pilotage_par_la_recherche. Ce faisant, il radicalise des dualités anciennes entre système éducatif pour l’élite et pour la masse, entre recherche utile à l’industrie et recherche vue comme activité intellectuelle (cf. la place des SHS), etc.

    La croissance des effectifs étudiants sur une période assez longue, s’est faite à moyens constants avec des effectifs titulaires qui ne permettent pas de maintenir la qualité du travail de formation (cf. figure 2). L’existence de gisements de productivité supposés, à savoir d’une partie de temps de travail des enseignants-chercheurs inutilisé, a conduit à une pénurie de poste et à une recomposition de l’emploi : alourdissement des tâches des personnels statutaires pour un #temps_de_travail identique et développement de l’#emploi_hors_statut. Carpentier & Picard ont récemment montré, qu’en France comme ailleurs, le recours au #précariat s’est généralisé, participant par ce fait même à l’effritement du #corps_professionnel qui n’a plus été à même d’assurer ni sa reproduction ni ses missions de formation.

    C’est le résultat de l’évolution longue. L’#enseignement est la part délaissée, et les étudiants et étudiantes ne sont plus au cœur des #politiques_universitaires : ni par la #dotation accordée par étudiant, ni pour ce qui structure la carrière des universitaires (rythmée par des enjeux de recherche), et encore moins pour les dotations complémentaires (associées à une excellence en recherche). Ce mouvement se met toutefois en œuvre en dehors de la formation des élites qui passent en France majoritairement par les grandes écoles (Charle et Soulié, 2015). Dès lors que les étudiants cessaient d’être le principe organisateur de l’ESR dans les universités, la #recherche pouvait s’y substituer. Cela intervient avec une nouvelle convention de qualité de la recherche. La mise en œuvre de ce principe concurrentiel, initialement limité au financement sur projets, a été élargie à la régulation des carrières.

    La connaissance, et de façon concrète le niveau de diplôme des salariés, est devenu une clé de la compétitivité, voire, pour les gouvernements, de la perspective de croissance. Alors que le travail de recherche tend à devenir une compétence générale du travail qualifié, son rôle croissant dans le régime d’accumulation pousse à la transformation du rapport social de travail de l’ESR.

    C’est à partir du système d’#innovation, en ce que la recherche permet de produire des actifs de production, que l’appariement entre recherche et profit participe d’une dynamique nouvelle du régime d’accumulation.

    Cette dynamique est pilotée par l’évolution jointe du #capitalisme_financiarisé (primauté du profit actionnarial sur le profit industriel) et du capitalisme intensif en connaissance. Les profits futurs des entreprises, incertains, sont liés d’une part aux investissements présents, dont le coût élevé repose sur la financiarisation tout en l’accélérant, et d’autre part au travail de recherche, dont le contrôle échappe au régime historique de croissance de la productivité. La diffusion des compétences du travail de recherche, avec la montée des qualifications des travailleurs, et l’accumulation de connaissances sur lequel il repose, deviennent primordiaux, faisant surgir la transformation du contenu du travail par l’élévation de sa qualité dans une division du travail qui vise pourtant à l’économiser. Cela engendre une forte tension sur la production des savoirs et les systèmes de transmission du savoir qui les traduisent en connaissances et compétences.

    Le travail de recherche devenant une compétence stratégique du travail dans tous les secteurs d’activité, les questions posées au secteur de recherche en termes de mesure de l’#efficacité deviennent des questions générales. L’enjeu en est l’adoption d’une norme d’évaluation que les marchés soient capables de faire circuler parmi les secteurs et les activités consommatrices de connaissances.

    Un régime face à ses contradictions

    Cette transformation de la recherche en un secteur, arrimé au régime d’accumulation, suppose un nouveau compromis institutionnalisé. Mais, menée par une politique néolibérale, elle se heurte à plusieurs contradictions majeures qui détruisent les conditions de sa stabilisation sans que les principes d’une régulation propre ne parviennent à émerger.

    Quand la normalisation du travail de recherche dévalorise l’activité et les personnels

    Durant la longue période de régulation administrée, le travail de recherche a associé le principe de #liberté_académique à l’emploi à statut. L’accomplissement de ce travail a été considéré comme incompatible avec une prise en charge par le marché, ce dernier n’étant pas estimé en capacité de former un signal prix sur les services attachés à ce type de travail. Ainsi, la production de connaissance est un travail entre pairs, rattachés à des collectifs productifs. Son caractère incertain, la possibilité de l’erreur sont inscrits dans le statut ainsi que la définition de la mission (produire des connaissances pour la société, même si son accaparement privé par la bourgeoisie est structurel). La qualité de l’emploi, notamment via les statuts, a été la clé de la #régulation_professionnelle. Avec la #mise_en_concurrence_généralisée (entre établissements, entre laboratoires, entre Universités et grandes écoles, entre les personnels), le compromis productif entre les individus et les collectifs de travail est rompu, car la concurrence fait émerger la figure du #chercheur_entrepreneur, concerné par la #rentabilisation des résultats de sa recherche, via la #valorisation sous forme de #propriété_intellectuelle, voire la création de #start-up devenu objectifs de nombre d’université et du CNRS.

    La réponse publique à la #dévalorisation_salariale évoquée plus haut, passe par une construction différenciée de la #rémunération, qui rompt le compromis incarné par les emplois à statut. Le gel des rémunérations s’accompagne d’une individualisation croissante des salaires, l’accès aux ressources étant largement subordonné à l’adhésion aux dispositifs de mise en concurrence. La grille des rémunérations statutaires perd ainsi progressivement tout pouvoir organisationnel du travail. Le rétrécissement de la possibilité de travailler hors financements sur projet est indissociable du recours à du #travail_précaire. La profession a été dépossédée de sa capacité à défendre son statut et l’évolution des rémunérations, elle est inopérante à faire face à son dépècement par le bloc minoritaire.

    La contradiction intervient avec les dispositifs de concurrence qui tirent les instruments de la régulation professionnelle vers une mise aux normes marchandes pour une partie de la communauté par une autre. Ce mouvement est rendu possible par le décrochage de la rémunération du travail : le niveau de rémunération d’entrée dans la carrière pour les maîtres de conférences est ainsi passé de 2,4 SMIC dans les années 1980 à 1,24 aujourd’hui.

    Là où le statut exprimait l’impossibilité d’attacher une valeur au travail de recherche hors reconnaissance collective, il tend à devenir un travail individualisable dont le prix sélectionne les usages et les contenus. Cette transformation du travail affecte durablement ce que produit l’université.

    Produire de l’innovation et non de la connaissance comme communs

    Durant la période administrée, c’est sous l’égide de la profession que la recherche était conduite. Définissant la valeur de la connaissance, l’action collective des personnels, ratifiée par l’action publique, pose le caractère non rival de l’activité. La possibilité pour un résultat de recherche d’être utilisé par d’autres sans coût de production supplémentaire était un gage d’efficacité. Les passerelles entre recherche et innovation étaient nombreuses, accordant des droits d’exploitation, notamment à l’industrie. Dans ce cadre, le lien recherche-profit ou recherche-utilité économique, sans être ignoré, ne primait pas. Ainsi, la communauté professionnelle et les conditions de sa mise au travail correspondait à la nature de ce qui était alors produit, à savoir les connaissances comme commun. Le financement public de la recherche concordait alors avec la nature non rivale et l’incertitude radicale de (l’utilité de) ce qui est produit.

    La connaissance étant devenue un actif stratégique, sa valorisation par le marché s’est imposée comme instrument d’orientation de la recherche. Finalement dans un régime d’apparence libérale, la conduite politique est forte, c’est d’ailleurs propre d’un régime néolibéral tel que décrit notamment par Amable & Palombarini (2018). Les #appels_à_projet sélectionnent les recherches susceptibles de #valorisation_économique. Là où la #publication fait circuler les connaissances et valide le caractère non rival du produit, les classements des publications ont pour objet de trier les résultats. La priorité donnée à la protection du résultat par la propriété intellectuelle achève le processus de signalement de la bonne recherche, rompant son caractère non rival. La #rivalité exacerbe l’effectivité de l’exclusion par les prix, dont le niveau est en rapport avec les profits anticipés.

    Dans ce contexte, le positionnement des entreprises au plus près des chercheurs publics conduit à une adaptation de l’appareil de production de l’ESR, en créant des lieux (#incubateurs) qui établissent et affinent l’appariement recherche / entreprise et la #transférabilité à la #valorisation_marchande. La hiérarchisation des domaines de recherche, des communautés entre elles et en leur sein est alors inévitable. Dans ce processus, le #financement_public, qui continue d’endosser les coûts irrécouvrables de l’incertitude, opère comme un instrument de sélection et d’orientation qui autorise la mise sous contrôle de la sphère publique. L’ESR est ainsi mobilisée par l’accumulation, en voyant son autonomie (sa capacité à se réguler, à orienter les recherches) se réduire. L’incitation à la propriété intellectuelle sur les résultats de la recherche à des fins de mise en marché est un dispositif qui assure cet arrimage à l’accumulation.

    Le caractère appropriable de la recherche, devenant essentiel pour la légitimation de l’activité, internalise une forme de consentement de la communauté à la perte du contrôle des connaissances scientifiques, forme de garantie de sa circulation. Cette rupture de la non-rivalité constitue un coût collectif pour la société que les communautés scientifiques ne parviennent pas à rendre visible. De la même manière, le partage des connaissances comme principe d’efficacité par les externalités positives qu’il génère n’est pas perçu comme un principe alternatif d’efficacité. Chemin faisant, une recherche à caractère universel, régulée par des communautés, disparait au profit d’un appareil sous doté, orienté vers une utilité de court terme, relayé par la puissance publique elle-même.

    Un bloc hégémonique réduit, contre la collégialité universitaire

    En tant que mode de gouvernance, la collégialité universitaire a garanti la participation, et de fait la mobilisation des personnels, car ce n’est pas la stimulation des rémunérations qui a produit l’#engagement. Les collectifs de travail s’étaient dotés d’objectifs communs et s’étaient accordés sur la #transmission_des_savoirs et les critères de la #validation_scientifique. La #collégialité_universitaire en lien à la définition des savoirs légitimes a été la clé de la gouvernance publique. Il est indispensable de rappeler la continuité régulatrice entre liberté académique et organisation professionnelle qui rend possible le travail de recherche et en même temps le contrôle des usages de ses produits.

    Alors que l’université doit faire face à une masse d’étudiants, elle est évaluée et ses dotations sont accordées sur la base d’une activité de recherche, ce qui produit une contradiction majeure qui affecte les universités, mais pas toutes. Il s’effectue un processus de #différenciation_territoriale, avec une masse d’établissements en souffrance et un petit nombre qui a été retenu pour former l’élite. Les travaux de géographes sur les #inégalités_territoriales montrent la très forte concentration sur quelques pôles laissant des déserts en matière de recherche. Ainsi se renforce une dualité entre des universités portées vers des stratégies d’#élite et d’autres conduites à accepter une #secondarisation_du_supérieur. Une forme de hiatus entre les besoins technologiques et scientifiques massifs et le #décrochage_éducatif commence à être diagnostiquée.

    La sectorisation de l’ESR, et le pouvoir pris par un bloc hégémonique réduit auquel participent certaines universités dans l’espoir de ne pas être reléguées, ont procédé par l’appropriation de prérogatives de plus en plus larges sur les carrières, sur la valorisation de la recherche et la propriété intellectuelle, de ce qui était un commun de la recherche. En cela, les dispositifs d’excellence ont joué un rôle marquant d’affectation de moyens par une partie étroite de la profession. De cette manière, ce bloc capte des prébendes, assoit son pouvoir par la formation des normes concurrentielles qu’il contrôle et développe un rôle asymétrique sur les carrières par son rôle dominant dans l’affectation de reconnaissance professionnelle individualisée, en contournant les instances professionnelles. Il y a là création de nouveaux périmètres par la norme, et la profession dans son ensemble n’a plus grande prise, elle est mise à distance des critères qui servent à son nouveau fonctionnement et à la mesure de la performance.

    Les dispositifs mis en place au nom de l’#excellence_scientifique sont des instruments pour ceux qui peuvent s’en emparer et définissant les critères de sélection selon leur représentation, exercent une domination concurrentielle en sélectionnant les élites futures. Il est alors essentiel d’intégrer les Clubs qui en seront issus. Il y a là une #sociologie_des_élites à préciser sur la construction d’#UDICE, club des 10 universités dites d’excellence. L’évaluation de la performance détermine gagnants et perdants, via des labels, qui couronnent des processus de sélection, et assoit le pouvoir oligopolistique et les élites qui l’ont porté, souvent contre la masse de la profession (Musselin, 2017).

    Le jeu des acteurs dominants, en lien étroit avec le pouvoir politique qui les reconnait et les renforce dans cette position, au moyen d’instruments de #rationalisation de l’allocation de moyens pénuriques permet de définir un nouvel espace pour ceux-ci, ségrégué du reste de l’ESR, démarche qui est justifié par son arrimage au régime d’accumulation. Ce processus s’achève avec une forme de séparatisme du nouveau bloc hégémonique composé par ces managers de l’ESR, composante minoritaire qui correspond d’une certaine mesure au bloc bourgeois. Celles- et ceux-là même qui applaudissent le discours présidentiel annonçant la révolution dont un petit fragment tirera du feu peu de marrons, mais qui seront sans doute pour eux très lucratifs. Toutefois le scénario ainsi décrit dans sa tendance contradictoire pour ne pas dire délétère ne doit pas faire oublier que les communautés scientifiques perdurent, même si elles souffrent. La trajectoire choisie de sectorisation déstabilise l’ESR sans ouvrir d’espace pour un compromis ni avec les personnels ni pour la formation. En l’état, les conditions d’émergence d’un nouveau régime pour l’ESR, reliant son fonctionnement et sa visée pour la société ne sont pas réunies, en particulier parce que la #rupture se fait contre la profession et que c’est pourtant elle qui reste au cœur de la production.

    https://laviedesidees.fr/Universite-service-public-ou-secteur-productif
    #ESR #facs #souffrance

  • #François_Piquemal : « la #rénovation_urbaine se fait sans les habitants des #quartiers_populaires »

    Il y a 20 ans naissait l’#Agence_Nationale_pour_la_Rénovation_Urbaine (#ANRU). Créée pour centraliser toutes les procédures de #réhabilitation des quartiers urbains défavorisés, elle promettait de transformer en profondeur la vie des habitants, notamment en rénovant des centaines de milliers de logements. Malgré les milliards d’euros investis, les révoltes urbaines de l’été 2023 ont démontré combien les « #cités » restent frappées par la #précarité, le #chômage, l’#insécurité et le manque de #services_publics. Comment expliquer cet échec ?

    Pour le député insoumis #François_Piquemal, qui a visité une trentaine de quartiers en rénovation dans toute la #France, la #rénovation_urbaine est réalisée sans prendre en compte les demandes des habitants et avec une obsession pour les #démolitions, qui pose de grands problèmes écologiques et ne règle pas les problèmes sous-jacents. Il nous présente les conclusions de son rapport très complet sur la question et nous livre ses préconisations pour une autre politique de rénovation urbaine, autour d’une planification écologique et territoriale beaucoup plus forte. Entretien.

    Le Vent Se Lève – Vous avez sorti l’an dernier un rapport intitulé « Allo ANRU », qui résume un travail de plusieurs mois mené avec vos collègues députés insoumis, basé sur une trentaine de visites de quartiers populaires concernés par la rénovation urbaine dans toute la France. Pourquoi vous être intéressé à ce sujet ?

    François Piquemal – Il y a trois raisons pour moi de m’intéresser à la rénovation urbaine. D’abord, mon parcours politique débute avec un engagement dans l’association « Les Motivés » entre 2005 et 2008 à Toulouse, qui comptait des conseillers municipaux d’opposition (Toulouse est dirigée par la droite depuis 2001, à l’exception d’un mandat dominé par le PS entre 2008 et 2014, ndlr). C’est la période à laquelle l’ANRU est mise en place, suite aux annonces de Jean-Louis Borloo en 2003. Le hasard a fait que j’ai été désigné comme un des militants en charge des questions de logement, donc je me suis plongé dans le sujet.

    Par ailleurs, j’ai une formation d’historien-géographe et j’ai beaucoup étudié la rénovation urbaine lorsque j’ai passé ma licence de géographie. Enfin, j’étais aussi un militant de l’association Droit au Logement (DAL) et nous avions de grandes luttes nationales sur la question de la rénovation urbaine, notamment à Grenoble (quartier de la Villeneuve) et à Poissy (La Coudraie). A Toulouse, la contestation des plans de rénovation urbaine est également arrivée assez vite, dans les quartiers du Mirail et des Izards, et je m’y suis impliqué.

    Lorsque je suis devenu député en 2022, j’ai voulu poursuivre ces combats autour du logement. Et là, j’ai réalisé que l’ANRU allait avoir 20 ans d’existence et qu’il y avait très peu de travaux parlementaires sur le sujet. Bien sûr, il y a des livres, notamment ceux du sociologue Renaud Epstein, mais de manière générale, la rénovation urbaine est assez méconnue, alors même qu’elle est souvent critiquée, tant par des chercheurs que par les habitants des quartiers populaires. Donc j’ai décidé de m’emparer du sujet. J’en ai parlé à mes collègues insoumis et pratiquement tous ont des projets de rénovation urbaine dans leur circonscription. Certains connaissaient bien le sujet, comme Marianne Maximi à Clermont-Ferrand ou David Guiraud à Roubaix, mais la plupart avaient du mal à se positionner parmi les avis contradictoires qu’ils entendaient. Donc nous avons mené ce travail de manière collective.

    LVSL – Ce sujet est très peu abordé dans le débat public, alors même qu’il s’agit du plus grand chantier civil de France. Les chiffres sont impressionnants : sur 20 ans, ce sont 700 quartiers et 5 à 7 millions de personnes, soit un Français sur dix, qui sont concernés. 165.000 logements ont été détruits, 142.000 construits, 410.000 réhabilités et 385.000 « résidentialisés », c’est-à-dire dont l’espace public environnant a été profondément transformé. Pourtant, les révoltes urbaines de l’été dernier nous ont rappelé à quel point les problèmes des quartiers en question n’ont pas été résolus. On entend parfois que le problème vient avant tout d’un manque de financement de la part de l’Etat. Partagez-vous cette analyse ?

    F. P. – D’abord, les chiffres que vous venez de citer sont ceux du premier programme de l’ANRU, désormais terminé. Un second a été lancé depuis 2018, mais pour l’instant on dispose de peu de données sur celui-ci. Effectivement, lors de son lancement par Jean-Louis Borloo, la rénovation urbaine est présentée comme le plus grand chantier civil depuis le tunnel sous la Manche et les objectifs sont immenses : réduire le chômage et la précarité, renforcer l’accès aux services publics et aux commodités de la ville et combattre l’insécurité. On en est encore loin.

    Ensuite, qui finance la rénovation urbaine ? Quand on regarde dans le détail, on se rend compte que l’Etat est peu présent, comme le montre un documentaire de Blast. Ce sont les collectivités locales et les bailleurs sociaux qui investissent, en plus du « 1% patronal » versé par les entreprises. Concernant l’usage de ces moyens, on a des fourchettes de coût pour des démolitions ou des reconstructions, mais là encore les chiffres varient beaucoup.

    LVSL – Vous rappelez que les financements de l’Etat sont très faibles dans la rénovation urbaine. Pourtant, certains responsables politiques, comme Eric Zemmour, Jordan Bardella ou Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat à la ville de Macron, estiment que trop d’argent a été investi dans ces quartiers…

    F. P. – C’est un discours que l’on entend souvent. Mais on ne met pas plus d’argent dans les quartiers populaires que dans d’autres types de territoires. Par exemple, on mentionne souvent le chiffre de 90 à 100 milliards d’euros en 40 ans, avec les douze plans banlieue qui se sont succédé depuis 1977. Dit comme ça, ça semble énorme. Mais en réalité, cela représente en moyenne 110€ par habitant et par an dans les quartiers de la politique de la ville (QPV), un chiffre inférieur aux montants dépensés pour les Français n’habitant pas en QPV. Néanmoins, nous manquons encore d’informations précises et j’ai posé une question au gouvernement pour avoir des chiffres plus détaillés.

    LVSL – Parmi les objectifs mis en avant par l’ANRU dans les opérations qu’elle conduit, on retrouve tout le temps le terme de « mixité sociale ». Il est vrai que ces quartiers se sont souvent ghettoïsés et accueillent des populations très touchées par la pauvreté, le chômage et l’insécurité. Pour parvenir à cette fameuse mixité, il semble que l’ANRU cherche à gentrifier ces quartiers en y faisant venir des couches moyennes. Quel regard portez-vous sur cette façon d’assurer la « mixité sociale » ?

    F. P. – D’abord, il faut questionner la notion même de mixité sociale. Ce concept, personne ne peut être contre. Mais chacun a une idée différente de comment y parvenir ! Pour la droite, la mixité sociale passe par le fait que les classes moyennes et populaires deviennent des petits propriétaires. Pour la gauche, c’est la loi SRU, c’est-à-dire l’obligation d’avoir 25% de logement public dans chaque commune, afin d’équilibrer la répartition sur le territoire national.

    Peu à peu, la gauche et la droite traditionnelles ont convergé, c’est ce que le philosophe italien Antonio Gramsci appelle le « transformisme ». En réalité, c’est surtout l’imaginaire de la droite s’est imposé : aujourd’hui, vivre en logement public n’est pas perçu comme souhaitable, à tort ou à raison. Ceux qui y vivent ou attendent un logement public ne voient cela que comme une étape dans leur parcours résidentiel, avant de devenir enfin petit propriétaire. Dès lors, habiter en logement public devient un stigmate de positionnement social et les quartiers où ce type de logement domine sont de moins en moins bien perçus.

    Concrètement, ça veut dire que dans un quartier avec 50 ou 60% de logement public, la politique mise en œuvre pour parvenir à la mixité sociale est de faire de l’accession à la propriété, pour faire venir d’autres populations. Ca part d’un présupposé empreint de mépris de classe : améliorer la vie des personnes appartenant aux classes populaires passerait par le fait qu’elles aient des voisins plus riches. Comme si cela allait forcément leur amener plus de services publics ou de revenus sur leur compte en banque.

    Quels résultats a cette politique sur le terrain ? Il a deux cas de figure. Soit, les acquéreurs sont soit des multi-propriétaires qui investissent et qui vont louer les appartements en question aux personnes qui étaient déjà là. C’est notamment ce que j’ai observé avec Clémence Guetté à Choisy-le-Roi. Soit, les nouveaux propriétaires sont d’anciens locataires du quartier, mais qui sont trop pauvres pour assumer les charges de copropriété et les immeubles se dégradent très vite. C’est un phénomène qu’on voit beaucoup à Montpellier par exemple. Dans les deux cas, c’est un échec car on reproduit les situations de précarité dans le quartier.

    Ensuite, il faut convaincre les personnes qui veulent devenir petits propriétaires de s’installer dans ces quartiers, qui font l’objet de beaucoup de clichés. Allez dire à un Parisien de la classe moyenne d’aller habiter à la Goutte d’Or (quartier populaire à l’est de Montmartre, ndlr), il ne va pas y aller ! C’est une impasse. Rendre le quartier attractif pour les couches moyennes demande un immense travail de transformation urbanistique et symbolique. Très souvent, la rénovation urbaine conduit à faire partir la moitié des habitants d’origine. Certes, sur le papier, on peut trouver 50% de gens qui veulent partir, mais encore faut-il qu’ils désirent aller ailleurs ! Or, on a souvent des attaches dans un quartier et les logements proposés ailleurs ne correspondent pas toujours aux besoins.

    Donc pour les faire quitter le quartier, la « solution » est en général de laisser celui-ci se dégrader jusqu’à ce que la vie des habitants soit suffisamment invivable pour qu’ils partent. Par exemple, vous réduisez le ramassage des déchets ou vous laissez les dealers prendre le contrôle des cages d’escaliers.

    LVSL – Mais cet abandon, c’est une politique délibérée des pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’ANRU ou de certaines mairies ? Ou c’est lié au fait que la commune n’a plus les moyens d’assurer tous les services ?

    F. P. – Dans certains quartiers de Toulouse, que je connais bien, je pense que cet abandon est un choix délibéré de la municipalité et de la métropole. Par exemple, dans le quartier des Izards, il y avait un grand immeuble de logement public, certes vieillissant, mais qui pouvait être rénové. Il a été décidé de le raser. Or, beaucoup d’habitants ne voulaient pas partir, notamment les personnes âgées. Dans le même temps, d’autres appartements étaient vides. Certains ont été squattés par des réfugiés syriens, avant que le bailleur ne décide de payer des agents de sécurité pour les expulser. Par contre, ces agents laissaient sciemment les dealers faire leur business dans le quartier !

    Dans d’autres cas, le bailleur décide tout simplement d’abandonner peu à peu un immeuble voué à la démolition. Donc ils vont supprimer un concierge, ne pas faire les rénovations courantes etc. Et on touche là à un grand paradoxe de la rénovation urbaine : en délaissant certains immeubles, on dégrade aussi l’image du quartier dans lequel on souhaite faire venir des personnes plus aisées.

    LVSL – Il semble aussi que la « mixité sociale » soit toujours entendue dans le même sens : on essaie de faire venir ces ménages plus aisés dans les quartiers défavorisés, mais les ghettos de riches ne semblent pas poser problème aux pouvoirs publics…

    F. P. – En effet, il y a une grande hypocrisie. Faire venir des habitants plus riches dans un quartier prioritaire, pourquoi pas ? Mais où vont aller ceux qui partent ? Idéalement, ils visent un quartier plus agréable, qui a une meilleure réputation. Sauf que beaucoup de maires choisissent de ne pas respecter la loi SRU et de maintenir une ségrégation sociale. Résultat : les bailleurs sociaux ne peuvent souvent proposer aux personnes à reloger que des appartements trop chers ou inadaptés à leurs besoins.

    Donc on les déplace dans d’autres endroits, qui deviennent de futurs QPV. A Toulouse par exemple, beaucoup des personnes délogées par les programmes de rénovation urbaine sont envoyées au quartier Borderouge, un nouveau quartier avec des loyers abordables. Sauf que les difficultés sociales de ces personnes n’ont pas été résolues. Donc cela revient juste à déplacer le problème.

    LVSL – Ces déplacements de population sont liés au fait que les programmes de rénovation urbaine ont un fort ratio de démolitions. Bien sûr, il y a des logements insalubres trop compliqués à rénover qu’il vaut mieux détruire, mais beaucoup de démolitions ne semblent pas nécessaires. Pensez-vous que l’ANRU a une obsession pour les démolitions ?

    F. P. – Oui. C’est très bien montré dans le film Bâtiment 5 de Ladj Ly, dont la première scène est une démolition d’immeubles devant les édiles de la ville et les habitants du quartier. Je pense que l’ANRU cherchait à l’origine un effet spectaculaire : en dynamitant un immeuble, on montre de manière forte que le quartier va changer. C’est un acte qui permet d’affirmer une volonté politique d’aller jusqu’au bout, de vraiment faire changer le quartier en reconstruisant tout.

    Mais deux choses ont été occultées par cet engouement autour des démolitions. D’abord, l’attachement des gens à leur lieu de vie. C’est quelque chose qu’on retrouve beaucoup dans le rap, par exemple chez PNL ou Koba LaD, dont le « bâtiment 7 » est devenu très célèbre. Ce lien affectif et humain à son habitat est souvent passé sous silence.

    L’autre aspect qui a été oublié, sans doute parce qu’on était en 2003 lorsque l’ANRU a été lancée, c’est le coût écologique de ces démolitions. Aujourd’hui, si un ministre annonçait autant de démolitions et de reconstructions, cela soulèverait beaucoup de débats. A Toulouse, le commissaire enquêteur a montré dans son rapport sur le Mirail à quel point démolir des immeubles fonctionnels, bien que nécessitant des rénovations, est une hérésie écologique. A Clermont-Ferrand, ma collègue Marianne Maximi nous a expliqué qu’une part des déchets issus des démolitions s’est retrouvée sur le plateau de Gergovie, où sont conduites des fouilles archéologiques.

    LVSL – Maintenant que les impacts de ces démolitions, tant pour les habitants que pour l’environnement, sont mieux connus, l’ANRU a-t-elle changé de doctrine ?

    F. P. – C’est son discours officiel, mais pour l’instant ça ne se vérifie pas toujours dans les actes. J’attends que les démolitions soient annulées pour certains dossiers emblématiques pour y croire. Le quartier de l’Alma à Roubaix est un très bon exemple : les bâtiments en brique sont fonctionnels et superbes d’un point de vue architectural. Certains ont même été refaits à neuf durant la dernière décennie, pourquoi les détruire ?

    Maintenir ces démolitions est d’autant plus absurde que ces quartiers sont plein de savoir-faire, notamment car beaucoup d’habitants bossent dans le secteur du BTP. Je le vois très bien au Mirail à Toulouse : dans le même périmètre, il y a l’école d’architecture, la fac de sciences sociales, plein d’employés du BTP, une école d’assistants sociaux et un gros vivier associatif. Pourquoi ne pas les réunir pour imaginer le futur du quartier ? La rénovation urbaine doit se faire avec les habitants, pas sans eux.

    LVSL – Vous consacrez justement une partie entière du rapport aux perceptions de la rénovation urbaine par les habitants et les associations locales, que vous avez rencontré. Sauf exception, ils ne se sentent pas du tout écoutés par les pouvoirs publics et l’ANRU. L’agence dit pourtant chercher à prendre en compte leurs avis…

    F. P. – Il y a eu plein de dispositifs, le dernier en date étant les conseils citoyens. Mais ils ne réunissent qu’une part infime de la population des quartiers. Parfois les membres sont tirés au sort, mais on ne sait pas comment. En fait le problème, c’est que l’ANRU est un peu l’Union européenne de l’urbanisme. Tout décideur politique peut dire « c’est pas moi, c’est l’ANRU ». Or, les gens ne connaissent pas l’agence, son fonctionnement etc. Plusieurs entités se renvoient la balle, tout est abstrait, et on ne sait plus vers qui se tourner. Cela crée une vraie déconnexion entre les habitants et les décisions prises pour leur quartier. La rénovation se fait sans les habitants et se fait de manière descendante. Même Jean-Louis Borloo qui en est à l’origine en est aujourd’hui assez critique.

    A l’origine, les habitants ne sont pas opposés à la rénovation de leur quartier. Mais quand on leur dit que la moitié vont devoir partir et qu’ils voient les conditions de relogement, c’est déjà moins sympa. Pour ceux qui restent, l’habitat change, mais les services publics sont toujours exsangues, la précarité et l’insécurité sont toujours là etc. Dans les rares cas où la rénovation se passe bien et le quartier s’améliore, elle peut même pousser les habitants historiques à partir car les loyers augmentent. Mais ça reste rare : la rénovation urbaine aboutit bien plus souvent à la stagnation qu’à la progression.

    LVSL – L’histoire de la rénovation urbaine est aussi celle des luttes locales contre les démolitions et pour des meilleures conditions de relogement. Cela a parfois pu aboutir à des référendums locaux, soutenus ou non par la mairie. Quel bilan tirez-vous de ces luttes ?

    F. P. – D’abord ce sont des luttes très difficiles. Il faut un niveau d’information très important et se battre contre plusieurs collectivités plus l’ANRU, qui vont tous se renvoyer la balle. Le premier réflexe des habitants, c’est la résignation. Ils se disent « à quoi bon ? » et ne savent pas par quel bout prendre le problème. En plus, ces luttes débutent souvent lorsqu’on arrive à une situation critique et que beaucoup d’habitants sont déjà partis, ce qui est un peu tard.

    Il y a tout de même des exemples de luttes victorieuses comme la Coudraie à Poissy ou, en partie, la Villeneuve à Grenoble. Même pour l’Alma de Roubaix ou le Mirail de Toulouse, il reste de l’espoir. Surtout, ces luttes ont montré les impasses et les absurdités de la rénovation urbaine. La bataille idéologique autour de l’ANRU a été gagnée : aujourd’hui, personne ne peut dire que cette façon de faire a fonctionné et que les problèmes de ces quartiers ont été résolus. Certains en tirent comme conclusion qu’il faut tout arrêter, d’autres qu’il faut réformer l’ANRU.

    LVSL – Comment l’agence a-t-elle reçu votre rapport ?

    F. P. – Pas très bien. Ils étaient notamment en désaccord avec certains chiffres que nous citons, mais on a justement besoin de meilleures informations. Au-delà de cette querelle, je sais qu’il y a des personnes bien intentionnées à l’ANRU et que certains se disent que l’existence de cette agence est déjà mieux que rien. Certes, mais il faut faire le bilan économique, écologique et humain de ces 20 ans et réformer l’agence.

    Jean-Louis Borloo est d’accord avec moi, il voit que la rénovation urbaine seule ne peut pas résoudre les problèmes de ces quartiers. Il l’avait notamment dit lors de l’appel de Grigny (ville la plus pauvre de France, ndlr) avec des maires de tous les horizons politiques. Je ne partage pas toutes les suggestions de Borloo, mais au moins la démarche est bonne. Mais ses propositions ont été enterrées par Macron dès 2018…

    LVSL – Justement, quelles répercussions votre rapport a-t-il eu dans le monde politique ? On en a très peu entendu parler, malgré les révoltes urbaines de l’été dernier…

    F. P. – Oui, le rapport Allo ANRU est sorti en avril 2023 et l’intérêt médiatique, qui reste limité, n’est arrivé qu’avec la mort de Nahel. Cela montre à quel point ce sujet est délaissé. Sur le plan politique, je souhaite mener une mission d’information pour boucler ce bilan de l’ANRU et pouvoir interroger d’autres personnes que nous n’avons pas pu rencontrer dans le cadre de ce rapport. Je pense à des associations, des collectifs d’habitants, des chercheurs, des élus locaux, Jean-Louis Borloo…

    Tous ces regards sont complémentaires. Par exemple, l’avis d’Eric Piolle, le maire de Grenoble, était intéressant car il exprimait la position délicate d’une municipalité prise entre le marteau et l’enclume (les habitants de la Villeneuve s’opposent aux démolitions, tandis que l’ANRU veut les poursuivre, ndlr). Une fois le constat terminé, il faudra définir une nouvelle politique de rénovation urbaine pour les deux prochaines décennies.

    LVSL – Concrètement, quelles politiques faudrait-il mettre en place ?

    F. P. – Des mesures isolées, comme l’encadrement à la baisse des loyers (réclamé par la France Insoumise, ndlr), peuvent être positives, mais ne suffiront pas. A minima, il faut être intraitable sur l’application de la loi SRU, pour faire respecter partout le seuil de 25% de logement public. On pourrait aussi réfléchir à imposer ce seuil par quartier, pour éviter que ces logements soient tous concentrés dans un ou deux quartiers d’une même ville.

    Ensuite, il faut changer la perception du logement public, c’est d’ailleurs pour cela que je préfère ce terme à celui de « logement social ». 80% des Français y sont éligibles, pourquoi seuls les plus pauvres devraient-ils y loger ? Je comprends bien sûr le souhait d’être petit propriétaire, mais il faut que le logement public soit tout aussi désirable. C’est un choix politique : le logement public peut être en pointe, notamment sur la transition écologique. Je prends souvent l’exemple de Vienne, en Autriche, où il y a 60% de logement public et qui est reconnue comme une ville où il fait bon vivre.

    Pour y parvenir, il faudra construire plus de #logements_publics, mais avec une #planification à grande échelle, comme l’avait fait le général de Gaulle en créant la DATAR en 1963. Mais cette fois-ci, cette planification doit être centrée sur des objectifs écologiques, ce qui implique notamment d’organiser la #démétropolisation. Il faut déconcentrer la population, les emplois et les services des grands centres urbains, qui sont saturés et vulnérables au changement climatique. Il s’agit de redévelopper des villes comme Albi, Lodève, Maubeuge… en leur donnant des fonctions industrielles ou économiques, pour rééquilibrer le territoire. C’est ambitieux, quasi-soviétique diront certains, mais nous sommes parvenus à le faire dans le passé.

    https://lvsl.fr/francois-piquemal-la-renovation-urbaine-se-fait-sans-les-habitants-des-quartier

    #quartiers_populaires #urbanisme #TRUST #Master_TRUST #logement #aménagement_territorial #écologie

  • Une organisation en #souffrance

    Les Français seraient-ils retors à l’effort, comme le laissent entendre les mesures visant à stigmatiser les chômeurs ? Et si le nombre de #démissions, les chiffres des #accidents et des #arrêts_de_travail étaient plutôt le signe de #conditions_de_travail délétères.

    Jeté dans une #concurrence accrue du fait d’un #management personnalisé, évalué et soumis à la culture froide du chiffre, des baisses budgétaires, le travailleur du XXIe siècle est placé sous une #pression inédite...

    L’étude de 2019 de la Darès (Ministère du Travail) nous apprend que 37% des travailleurs.ses interrogés se disent incapables de poursuivre leur activité jusqu’à la retraite. Que l’on soit hôtesse de caisse (Laurence) ou magistrat (Jean-Pierre), tous témoignent de la dégradation de leurs conditions de travail et de l’impact que ces dégradations peuvent avoir sur notre #santé comme l’explique le psychanalyste Christophe Dejours : “Il n’y a pas de neutralité du travail vis-à-vis de la #santé_mentale. Grâce au travail, votre #identité s’accroît, votre #amour_de_soi s’accroît, votre santé mentale s’accroît, votre #résistance à la maladie s’accroît. C’est extraordinaire la santé par le travail. Mais si on vous empêche de faire du travail de qualité, alors là, la chose risque de très mal tourner.”

    Pourtant, la #quête_de_sens est plus que jamais au cœur des revendications, particulièrement chez les jeunes. Aussi, plutôt que de parler de la semaine de quatre jours ou de développer une sociabilité contrainte au travail, ne serait-il pas temps d’améliorer son #organisation, d’investir dans les métiers du « soin » afin de renforcer le #lien_social ?

    Enfin, la crise environnementale n’est-elle pas l’occasion de réinventer le travail, loin du cycle infernal production/ consommation comme le pense la sociologue Dominique Méda : “Je crois beaucoup à la reconversion écologique. Il faut prendre au sérieux la contrainte écologique comme moyen à la fois de créer des emplois, comme le montrent les études, mais aussi une possibilité de changer radicalement le travail en profondeur.”

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/une-organisation-en-souffrance-5912905

    #travail #audio #sens #reconnaissance #podcast #déshumanisation #grande_distribution #supermarchés #Carrefour #salariat #accidents_du_travail # location-gérance #jours_de_carence #délai_de_carence #financiarisation #traçabilité #performance #néo-taylorisme #taylorisme_numérique #contrôle #don #satisfaction #modernisation #mai_68 #individualisation #personnalisation #narcissisation #collectif #entraide #épanouissement #marges_de_manoeuvre #intensification_du_travail #efficacité #rentabilité #pression #sous-traitance #intensité_du_travail #santé_au_travail #santé #épidémie #anxiété #dépression #santé_publique #absentéisme #dégradation_des_conditions_de_travail #sommeil #identité #amour_de_soi #santé_par_le_travail #tournant_gestionnaire #gouvernance_de_l'entreprise #direction_d'entreprise #direction #règles #lois #gestionnaires #ignorance #objectifs_quantitatifs #objectifs #performance #mesurage #évaluation #traçabilité #quantification #quantitatif #qualitatif #politique_du_chiffre #flux #justice #charge_de_travail

    25’40 : #Jean-Pierre_Bandiera, ancien président du tribunal correctionnel de Nîmes :

    « On finit par oublier ce qu’on a appris à l’école nationale de la magistrature, c’est-à-dire la motivation d’un jugement... On finit par procéder par affirmation, ce qui fait qu’on gagne beaucoup de temps. On a des jugements, dès lors que la culpabilité n’est pas contestée, qui font abstraction de toute une série d’éléments qui sont pourtant importants : s’attarder sur les faits ou les expliquer de façon complète. On se contente d’une qualification développée : Monsieur Dupont est poursuivi pour avoir frauduleusement soustrait 3 véhicules, 4 téléviseurs au préjudice de Madame Durant lors d’un cambriolage » mais on n’est pas du tout en mesure après de préciser que Monsieur Dupont était l’ancien petit ami de Madame Durant ou qu’il ne connaissait absolument pas Madame Durant. Fixer les conditions dans lesquelles ce délit a été commis de manière ensuite à expliquer la personnalisation de la peine qui est quand même la mission essentielle du juge ! Il faut avoir à chaque fois qu’il nous est demandé la possibilité d’adapter au mieux la peine à l’individu. C’est très important. On finit par mettre des tarifs. Quelle horreur pour un juge ! On finit par oublier la quintessence de ce métier qui est de faire la part des choses entre l’accusation, la défense, l’auteur de faits, la victime, et essayer d’adopter une sanction qui soit la plus adaptée possible. C’est la personnalisation de la peine, c’est aussi le devenir de l’auteur de cette infraction de manière à éviter la récidive, prévoir sa resocialisation. Bref, jouer à fond le rôle du juge, ce qui, de plus en plus, est ratatiné à un rôle de distributeur de sanctions qui sont plus ou moins tarifées. Et ça c’est quelque chose qui, à la fin de ma carrière, c’est quelque chose qui me posait de véritables problèmes d’éthique, parce que je ne pensais pas ce rôle du juge comme celui-là. Du coup, la qualité de la justice finit par souffrir, incontestablement. C’est une évolution constante qui est le fruit d’une volonté politique qui, elle aussi, a été constante, de ne pas consacrer à la justice de notre pays les moyens dont elle devait disposer pour pouvoir fonctionner normalement. Et cette évolution n’a jamais jamais, en dépit de tout ce qui a pu être dit ou écrit, n’ai jamais été interrompue. Nous sommes donc aujourd’hui dans une situation de détresse absolue. La France est donc ??? pénultième au niveau européen sur les moyens budgétaires consacrés à sa justice. Le Tribunal de Nîme comporte 13 procureurs, la moyenne européenne nécessiterait qu’ils soient 63, je dis bien 63 pour 13. Il y a 39 juges au Tribunal de Nîmes, pour arriver dans la moyenne européenne il en faudrait 93. Et de mémoire il y a 125 greffiers et il en faudrait 350 je crois pour être dans la moyenne. Il y avait au début de ma carrière à Nîmes 1 juge des Libertés et de la détention, il y en a aujourd’hui 2. On a multiplié les chiffres du JLD par 10. Cela pose un problème moral et un problème éthique. Un problème moral parce qu’on a le sentiment de ne pas satisfaire au rôle qui est le sien. Un problème éthique parce qu’on finit par prendre un certain nombre de recul par rapport aux valeurs que l’on a pourtant porté haut lorsqu’on a débuté cette carrière. De sorte qu’une certaine mélancolie dans un premier temps et au final un certain découragement me guettaient et m’ont parfois atteint ; mes périodes de vacances étant véritablement chaque année un moment où la décompression s’imposait sinon je n’aurais pas pu continuer dans ces conditions-là. Ce sont des heures de travail qui sont très très chargés et qui contribuent aussi à cette fatigue aujourd’hui au travail qui a entraîné aussi beaucoup de burn-out chez quelques collègues et puis même, semble-t-il, certains sont arrivés à des extrémités funestes puisqu’on a eu quelques collègues qui se sont suicidés quasiment sur place, vraisemblablement en grande partie parce que... il y avait probablement des problèmes personnels, mais aussi vraisemblablement des problèmes professionnels. Le sentiment que je vous livre aujourd’hui est un sentiment un peu partagé par la plupart de mes collègues. Après la réaction par rapport à cette situation elle peut être une réaction combative à travers des engagements syndicaux pour essayer de parvenir à faire bouger l’éléphant puisque le mammouth a déjà été utilisé par d’autres. Ces engagements syndicaux peuvent permettre cela. D’autres ont plus ou moins rapidement baissé les bras et se sont satisfaits de cette situation à défaut de pouvoir la modifier. Je ne regrette rien, je suis parti serein avec le sentiment du devoir accompli, même si je constate que en fermant la porte du tribunal derrière moi je laisse une institution judiciaire qui est bien mal en point."

    Min. 33’15, #Christophe_Dejours, psychanaliste :

    « Mais quand il fait cela, qu’il sabote la qualité de son travail, qu’il bâcle son travail de juge, tout cela, c’est un ensemble de trahisons. Premièrement, il trahi des collègues, parce que comme il réussi à faire ce qu’on lui demande en termes de quantité... on sait très bien que le chef va se servir du fait qu’il y en a un qui arrive pour dire aux autres : ’Vous devez faire la même chose. Si vous ne le faites pas, l’évaluation dont vous allez bénéficier sera mauvaise pour vous, et votre carrière... vous voulez la mutation ? Vous ne l’aurez pas !’ Vous trahissez les collègues. Vous trahissez les règles de métier, vous trahissez le justiciable, vous trahissez les avocats, vous leur couper la parole parce que vous n’avez pas le temps : ’Maître, je suis désolé, il faut qu’on avance.’ Vous maltraitez les avocats, ce qui pose des problèmes aujourd’hui assez compliqués entre avocats et magistrats. Les relations se détériorent. Vous maltraitez le justiciable. Si vous allez trop vite... l’application des peines dans les prisons... Quand vous êtes juges des enfants, il faut écouter les enfants, ça prend du temps ! Mais non, ’va vite’. Vous vous rendez compte ? C’est la maltraitance des justiciables sous l’effet d’une justice comme ça. A la fin vous trahissez la justice, et comme vous faites mal votre travail, vous trahissez l’Etat de droit. A force de trahir tous ces gens qui sont... parce que c’est des gens très mobilisés... on ne devient pas magistrat comme ça, il faut passer des concours... c’est le concours le plus difficile des concours de la fonction publique, c’est plus difficile que l’ENA l’Ecole nationale de magistrature... C’est des gens hyper engagés, hyper réglo, qui ont un sens de la justice, et vous leur faites faire quoi ? Le contraire. C’est ça la dégradation de la qualité. Donc ça conduit, à un moment donné, à la trahison de soi. Ça, ça s’appelle la souffrance éthique. C’est-à-dire, elle commence à partir du moment où j’accepte d’apporter mon concours à des actes ou à des pratiques que le sens moral réprouve. Aujourd’hui c’est le cas dans la justice, c’est le cas dans les hôpitaux, c’est le cas dans les universités, c’est le cas dans les centres de recherche. Partout dans le secteur public, où la question éthique est décisive sur la qualité du service public, vous avez des gens qui trahissent tout ça, et qui entrent dans le domaine de la souffrance éthique. Des gens souffrent dans leur travail, sauf que cette souffrance, au lieu d’être transformée en plaisir, elle s’aggrave. Les gens vont de plus en plus mal parce que le travail leur renvoie d’eux-mêmes une image lamentable. Le résultat c’est que cette trahison de soi quelques fois ça se transforme en haine de soi. Et c’est comme ça qu’à un moment donné les gens se suicident. C’est comme ça que vous avez des médecins des hôpitaux, professeurs de médecine de Paris qui sautent par la fenêtre. Il y a eu le procès Mégnien, au mois de juin. Il a sauté du 5ème étage de Georges-Pompidou. Il est mort. Comment on en arrive là ? C’est parce que les gens ont eu la possibilité de réussir un travail, de faire une oeuvre, et tout à coup on leur casse le truc. Et là vous cassez une vie. C’est pour cela que les gens se disent : ’Ce n’est pas possible, c’est tout ce que j’ai mis de moi-même, tous ces gens avec qui j’ai bossé, maintenant il faut que ça soit moi qui donne le noms des gens qu’on va virer. Je ne peux pas faire ça, ce n’est pas possible.’ Vous les obligez à faire l’inverse de ce qu’ils croient juste, de ce qu’ils croient bien. Cette organisation du travail, elle cultive ce qu’il y a de plus mauvais dans l’être humain. »

    #suicide #trahison #souffrance_éthique

    • Quels facteurs influencent la capacité des salariés à faire le même travail #jusqu’à_la_retraite ?

      En France, en 2019, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des #risques_professionnels – physiques ou psychosociaux –, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment accru d’#insoutenabillité du travail.

      Les métiers les moins qualifiés, au contact du public ou dans le secteur du soin et de l’action sociale, sont considérés par les salariés comme les moins soutenables. Les salariés jugeant leur travail insoutenable ont des carrières plus hachées que les autres et partent à la retraite plus tôt, avec des interruptions, notamment pour des raisons de santé, qui s’amplifient en fin de carrière.

      Une organisation du travail qui favorise l’#autonomie, la participation des salariés et limite l’#intensité_du_travail tend à rendre celui-ci plus soutenable. Les mobilités, notamment vers le statut d’indépendant, sont également des moyens d’échapper à l’insoutenabilité du travail, mais ces trajectoires sont peu fréquentes, surtout aux âges avancés.

      https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quels-facteurs-influencent-la-capacite-des-salaries-faire-
      #statistiques #chiffres

  • Report: Arlington’s first guaranteed income pilot boosted quality of life for poorest residents

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    En résumé:
    Employment INCREASED by 16%, and their incomes from paid work INCREASED by 37%. The control group saw no such gains.
    https://hachyderm.io/@scottsantens/111890582659889973

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    Results from Arlington’s first guaranteed income pilot reveal that an additional $500 per month significantly enhanced the quality of life for impoverished families.

    Parents with children under 18, earning less than $46,600 annually, reported that the additional $500 monthly helped them obtain better-paying jobs, address basic needs and improve their overall well-being, according to a new report by the Arlington Community Foundation (ACF), the local nonprofit that oversaw the pilot.

    Moreover, the monthly payments enabled individuals to invest in certifications and educational advancement and tackle their medical bills, credit card debt and student loans.

    Between September 2021 and last December, ACF provided the monthly stipend to families earning 30% of the area median income so they could continue living in Arlington, which is known for having some of the highest living costs in the nation.

    The pilot sought to challenge the stigma associated with guaranteed income, which grants a minimum income to those who do not earn enough to support themselves. It drew inspiration from similar programs in Stockton, California, and Jackson, Mississippi.

    In the long term, Arlington’s Guarantee is meant to persuade state and federal lawmakers to implement some form of guaranteed income. This is not to be confused with universal basic income, another touted policy reform that guarantees income to people regardless of their eligibility for government assistance or their ability to work.

    Findings from the pilot come on the heels of a separate report, which found that more than half of families living in South Arlington cannot afford basic food, housing, medical and childcare expenses, compared to just 15% of families in North Arlington. ACF noted that most guaranteed income pilot participants reside in South Arlington.

    While private donations and philanthropy fully funded the $2 million program, Arlington County’s Department of Human Services (DHS) helped select, track and evaluate participants.

    DHS randomly chose 200 households to receive $500 a month and created a control group with similar demographics and income levels, which did not receive stipends, to compare the results. Most (53%) of participants identified as Black or African-American, followed by people who identify as white (23%). Thirty percent identified as Hispanic or Latino and 70% as non-Hispanic.

    With the extra $500 a month, most participants reported putting the money toward groceries, paying bills, buying household essentials, rent and miscellaneous expenses including car repairs.

    Individuals who received the stipend reported increasing their monthly income by 36%, from $1,200 to $1,640, compared to the control group, whose income only rose 9%. ACF says the extra cash gave participants breathing room to make investments that could improve their job prospects.

    “Rather than working overtime or multiple jobs to meet basic needs, some participants reported using the time to pursue credentials… that could lead to a higher-paying job or starting their own business,” ACF said. “Other participants indicated that Arlington’s Guarantee helped them pursue better-paying jobs by allowing them to purchase interview clothes or cover the gap between their old and new jobs.”

    By the end of the study, nearly three-quarters of participants who received a guaranteed income reported improved mental and physical well-being and an increased sense of control, compared to the control group.

    “It’s a mental thing for me. Just the fact that I knew that I had an income coming, it helped me not have panic attacks,” said one participant. “I knew I could have food for the kids and pay the bills. It allowed me to use my time to be wise about money and not stressed about money.”

    Still, most participants reported they still could not cover an unexpected $400 expense from their savings and said they would need to borrow money, get a loan or sell their belongings in case of an emergency. Income, food and housing insecurity were most acute among undocumented immigrants and those who were once incarcerated.

    Arlington County is not the only locality in Northern Virginia experimenting with a guaranteed income program. Last year, Fairfax County also supported a guaranteed income pilot, offering a monthly stipend of $750 to 180 eligible families over 15 months.

    Although the Arlington County Board signed a resolution imploring state and federal lawmakers to implement a guaranteed income program, neither it nor Fairfax County has indicated that a permanent version of these programs would be implemented locally.

    Meanwhile, ACF said it has been engaging state lawmakers about the prospect of restoring the child tax credit, which expired in 2021, to help raise families out of poverty.

    “This expanded federal CTC in 2021 was a game changer: it reduced child poverty by 46% by lifting 3.7 million children out of poverty before it was allowed to lapse in 2022,” the report said. “This was effectively a trial of guaranteed income policy by the federal government.”

    The U.S. House of Representatives recently passed legislation to expand this credit, which has headed to the Senate for a vote. The tax credit offers a break of up to $2,000 per child, with potentially $1,600 of that being refundable. If signed into law, it would incrementally raise the tax credit amount of $100 annually through 2025.

    Democrats in the Virginia General Assembly, meanwhile, have proposed establishing a child tax credit that would extend until 2029. A House of Delegates subcommittee voted yesterday to delay consideration of the bill until next year.

    https://www.arlnow.com/2024/02/06/report-arlingtons-first-guaranteed-income-pilot-boosted-quality-of-life-for-

    #rdb #revenu_de_base #revenu_garanti #qualité_de_vie #réduction_de_la_pauvreté #travail #Arlington #USA #Etats-Unis #statistiques #chiffres

  • À la frontière égyptienne avec Gaza, des élus de gauche veulent envoyer un « symbole fort » | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/international/060224/la-frontiere-egyptienne-avec-gaza-des-elus-de-gauche-veulent-envoyer-un-sy
    Des parlementaires français emmenés par le député LFI Éric Coquerel ont appelé à un cessez-le-feu à Gaza, devant la porte égyptienne du poste-frontière de Rafah. Les élus ont également pu constater les difficultés d’acheminement de l’aide humanitaire.

    Justine Babin | 6 février 2024

    Poste-frontière de Rafah (Égypte).– Les bombardements s’étaient tus, et seul le bourdonnement de quelques drones se faisait entendre, dans l’après-midi du dimanche 4 février, lors du déplacement d’une délégation d’élu·es français·es de gauche, député·es pour la plupart, à la frontière entre l’Égypte et Gaza. Quelques heures plus tôt, pourtant, des frappes israéliennes faisaient plusieurs morts dans un jardin d’enfants à l’est de la ville de Rafah, de l’autre côté du poste-frontière, selon l’agence d’information palestinienne Wafa.

    Cessez-le-feu : Retour des élu-es Français-es de Rafah !
    mardi 6 février - La France insoumise - Groupe parlementaire
    https://www.youtube.com/watch?v=5T1dGaXDzBY

    • Les Écologistes à l’Assemblée
      @EcologistesAN
      3:54 PM · 6 févr. 2024
      https://twitter.com/EcologistesAN/status/1754881316401619003

      Le devoir de la France, c’est d’être du côté de la dignité et de l’humanité, par la demande d’un cessez-le-feu immédiat.

      @SabrinaSebaihi
      revient de Rafah, seul point d’entrée de l’aide humanitaire dans #Gaza.

      📣 Elle interpelle le Gouvernement sur la situation sur place.❞
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      Eric Coquerel
      @ericcoquerel
      4:24 PM · 6 févr. 2024
      https://twitter.com/ericcoquerel/status/1754888880774324239

      🔴 À Rafah, nous avons été porter un message de paix : le cessez-le-feu permanent et immédiat, assorti de la libération des otages.

      Nous y avons rencontré les 6 médecins humanitaires français sortis de Gaza ce lundi. Quand on leur demande : que pensez-vous du risque génocidaire énoncé par la CIJ ? Les 6 répondent : « le génocide est en cours ».

      🚨Dans un mois, l’UNRWA, la seule institution humanitaire et administrative présente pourrait s’arrêter faute de financement.

      👉La France n’a pas suspendu son aide mais s’engagera-t-elle à poursuivre les versements à l’UNRWA ?
      Que compte-t-elle faire pour que les pays qui ont interrompu leur versement reviennent sur cette décision qui étranglent l’agence onusienne ?

      27 000 morts et 2 millions d’êtres humains sont privés de leur dignité.

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      LCP @LCP
      2:14 PM · 7 févr. 2024
      https://twitter.com/LCP/status/1755218472265568697

      « Il n’y a pas de mots assez forts pour qualifier les crimes commis par le #Hamas » dit @S_Bourouaha
      en préambule de sa question sur #Gaza, et ajoute : « L’horreur de ces vies brisées ne peut justifier ce [qu’il s’y] passe actuellement », « un champ de ruines ».
      #DirectAN #QAG

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      LCP @LCP
      2:15 PM · 7 févr. 2024
      https://twitter.com/LCP/status/1755218758887477289

      Situation à #Gaza : « La France peut être fière d’être le pays européen le plus actif sur le terrain », défend @steph_sejourne
      .
      #DirectAN #QAG

  • « La ruée minière au XXIe siècle » : le #mensonge de la #transition_énergétique

    La transition énergétique telle qu’elle est promue par les entreprises, les institutions et les gouvernements partout dans le monde repose sur l’extraction d’une quantité abyssale de #métaux. C’est ce paradoxe que décortique la journaliste et philosophe #Celia_Izoard dans son essai intitulé La ruée minière au XXIe siècle, qui paraît cette semaine au Québec aux Éditions de la rue Dorion.

    « Pour régler le plus important problème écologique de tous les temps, on a recours à l’industrie la plus polluante que l’on connaisse », résume l’autrice en visioconférence avec Le Devoir depuis son domicile, situé en pleine campagne dans le sud-ouest de la France.

    Cette dernière examine depuis plusieurs années les impacts sociaux et écologiques des nouvelles technologies. Elle a notamment publié un livre sur la vie des ouvriers de l’entreprise chinoise Foxconn, le plus grand fabricant de produits électroniques au monde. Ironiquement, nos outils numériques font défaut au cours de l’entrevue, si bien que nous devons poursuivre la discussion par le biais d’une bonne vieille ligne téléphonique résidentielle.

    Les métaux ont beau être de plus en plus présents dans les objets qui nous entourent, dont les multiples écrans, l’industrie minière fait très peu partie de l’imaginaire collectif actuel, explique Mme Izoard d’un ton posé et réfléchi. « Je croise tous les jours des gens qui me disent : “Ah bon, je ne savais pas que notre système reposait encore sur la #mine.” Ça me conforte dans l’idée que c’était utile de faire cette enquête. Notre système n’a jamais autant reposé sur l’#extraction_minière qu’aujourd’hui. »

    L’extraction de métaux a déjà doublé en vingt ans et elle n’est pas en voie de s’amenuiser, puisque les #énergies dites renouvelables, des #batteries pour #voitures_électriques aux panneaux solaires en passant par les éoliennes, en dépendent. Elle est susceptible d’augmenter de cinq à dix fois d’ici à 2050, selon une évaluation de l’Agence internationale de l’énergie.

    « Électrifier le parc automobile français nécessiterait toute la production annuelle de #cobalt dans le monde et deux fois plus que la production annuelle de #lithium dans le monde. Donc soit cette transition prendra beaucoup trop longtemps et ne freinera pas le réchauffement climatique, soit elle se fera dans la plus grande violence et une destruction incroyable », rapporte l’autrice.

    On bascule d’une forme d’extraction, du pétrole, à une autre, des métaux. « Cela n’a pas plus de sens que d’essayer de venir à bout de la toxicomanie remplaçant une addiction par une autre », juge-t-elle.

    Une justification officielle

    Les pouvoirs publics ne semblent pas y voir de problème. Ils font largement la promotion de cette #ruée_minière, promettant le développement de « #mines_responsables ». La #transition est la nouvelle excuse pour justifier pratiquement tous les #projets_miniers. « Une mine de cuivre est devenue miraculeusement une mine pour la transition », souligne Mme Izoard. Pourtant, le #cuivre sert à de multiples usages au-delà de l’#électrification, comme l’électronique, l’aérospatiale et l’armement.

    C’est dans ce contexte que la journaliste est partie à la recherche de mines responsables. Elle s’est documentée, elle a visité des sites d’exploitation, elle a consulté des experts de ce secteur d’activité et elle a rencontré des travailleurs, tout cela en #France, au #Maroc, au #Suriname et en #Espagne.

    Malgré les engagements publics et les certifications de plusieurs #entreprises_minières envers des pratiques durables et les droits de la personne, Celia Izoard n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait. Au cours de cette quête, elle a publié une enquête pour le média Reporterre au sujet d’une mine marocaine mise en avant par les constructeurs automobiles #BMW et #Renault comme étant du « #cobalt_responsable ». Or, il s’est avéré que cette mine empoisonne les sols à l’#arsenic, dessèche la #nappe_phréatique et cause des maladies aux travailleurs.

    « La #mine_industrielle est un modèle qui est voué à avoir des impacts catastrophiques à moyen et long terme. Ce n’est pas parce que ces entreprises sont méchantes et malhonnêtes, mais parce qu’il y a des contraintes physiques dans cette activité. Elle nécessite énormément d’#eau et d’énergie, elle occupe beaucoup d’espace et elle déforeste. »

    #Boues_toxiques et pluies d’oies sauvages

    Dans son livre, Mme Izoard décrit de nombreux ravages et risques environnementaux qui sont matière à donner froid dans le dos. Les premières pages sont notamment consacrées au phénomène du #Berkeley_Pit, une ancienne mine de cuivre devenue un lac acide causant la mort de milliers d’oies sauvages.

    « Rappelons-nous la rupture de digue de résidus de la mine de cuivre et d’or de #Mount_Polley en 2014, lors de laquelle 17 millions de mètres cubes d’eau chargée en #métaux_toxiques ont irréversiblement contaminé de très grandes superficies et des ressources en eau d’une valeur inestimable, a-t-elle souligné au sujet de cette catastrophe canadienne. Or, des bassins de résidus de même type, il y en a 172 rien qu’en #Colombie-Britannique, et les boues toxiques qui y sont stockées représentent l’équivalent d’un million de piscines olympiques. Malheureusement, avec le chaos climatique, les risques de rupture accidentelle de ces barrages sont décuplés. » Elle considère d’ailleurs que le Canada est « au coeur de la tourmente extractiviste ».

    Les gouvernements du #Québec et du #Canada soutiennent généralement que le développement minier sur leur territoire respectera des #normes_environnementales plus strictes, en plus d’utiliser de l’énergie plus propre. Cet argument justifierait-il l’implantation de nouvelles mines ? Non, estime Mme Izoard.

    « Aucun État puissant industriellement ne relocalise sa #production_minière ni ne s’engage à cesser d’importer des métaux. Ce qui est en train de se passer, c’est que les besoins en métaux explosent dans tous les domaines et que les entreprises minières et les États se sont mis d’accord pour créer des mines partout où il est possible d’en créer. Ce n’est pas parce qu’on accepte une mine dans sa région qu’il n’y aura pas de mine pour la même substance à l’autre bout du monde. » Il est peu probable, par exemple, que des batteries produites au Québec s’affranchissent totalement des métaux importés.

    Pour une #décroissance_minérale

    Celia Izoard estime plutôt qu’une grande partie des mines du monde devraient fermer, puisqu’elles sont situées dans des zones menacées par la sécheresse. Nous n’aurions alors pas d’autre choix que de nous engager dans une désescalade de la consommation de métaux, « une remise en cause radicale de la manière dont on vit ». Selon cette vision, il faudrait contraindre l’ensemble du secteur industriel à se limiter, tout comme on lui demande de réduire ses émissions de GES. Les métaux devraient être réservés aux usages alors déterminés comme étant essentiels. Les immenses centres de données, les avions, les VUS électriques et les canettes d’aluminium sont-ils nécessaires à la vie humaine ?

    « Il faut arrêter de se laisser intimider par le #déterminisme_technologique, soit l’idée que le #progrès suit cette direction et qu’on ne peut rien changer. Ce sont des choix idéologiques et politiques très précis avec du financement public très important. Il faut cesser de penser que les technologies sont inéluctablement déployées et qu’on ne peut pas revenir en arrière. »

    https://www.ledevoir.com/lire/806617/coup-essai-mensonge-transition-energetique
    #mines #extractivisme #terres_rares #pollution

  • Faire justice. #Moralisme_progressiste et #pratiques_punitives dans la lutte contre les violences sexistes

    Là où il est admis que le recours à la #police en cas de violence n’est pas la solution mais plutôt un problème supplémentaire, la tentation est de s’y substituer. Si l’intention est louable, son application l’est moins. Les mesures sont expéditives et les outils pour faire justice sont encore profondément empreints d’une philosophie punitive : menace, exclusion, harcèlement, dénonciation publique et discréditation politique. Comment sortir de cette impasse ? La question est d’autant plus difficile qu’elle surgit au moment où les forces réactionnaires mènent une large offensive contre le wokisme pour mieux protéger ceux qui organisent les violences dans nos sociétés.
    Écrit par une « militante gouine », ce livre propose une critique fine du moralisme progressiste et des pratiques punitives dans les luttes sociales. En se saisissant d’exemples concrets rencontrés au gré de son militantisme et en discutant précisément l’abolitionnisme pénal, elle pose les jalons d’une justice transformatrice inventive, capable de prendre soin des victimes et de transformer les individu.es comme les groupes.
    Endiguer les violences c’est aussi ne plus craindre le conflit, ne plus avoir peur de lutter.

    https://lafabrique.fr/faire-justice
    #justice #justice_transformatrice #livre #VSS #violences_sexistes

    voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/1027419

    ping @_kg_

  • Sahra Wagenknecht und Co. : Im Zweifel nennt man sie „Querfront“
    https://www.berliner-zeitung.de/kultur-vergnuegen/sahra-wagenknecht-und-co-im-zweifel-nennt-man-sie-querfront-li.2180

    Une vérification de quelques faits historique révèle pourquoi les accusation de collaboration avec la droite sont des prétextes pour nuire au mouvement contre l’extrême droite.

    27.1.2024 von Dennis Desoi - Politischen Widersachern wird allzu schnell der Kampfbegriff „Querfront“ angehängt. Wieso sieht man in neuen linken Bewegungen keine Chance? Ein Gastbeitrag.

    Der Gebrauch von Kampf- und Schimpfbegriffen hat in den letzten 20 Jahren inflationär zugenommen. Bereits die „Schurken“-Staatschefs Milosevic, Saddam, Gaddafi, Assad und Putin waren wahlweise „Hitler II“. Mediale, elektronisch geladene Kontaktsperrgitter werden errichtet um sogenannte Nach-rechts-Offene, Verschwörungstheoretiker, Querdenker, Klimaleugner oder Schwurbler.

    Sogar der Begriff „links“, einst aus Parlamentssitzordnungen abgeleitet, droht als Worthülse zu versanden. Jedenfalls hat es nichts mit „links“ zu tun, wenn Leitmedien auf sogenannte bildungsferne AfD-Wähler herabschauen. Das führt nur dazu, dass sich sozial Abgehängte zusätzlich noch kulturell abgehängt fühlen.

    Auch „Querfront“ wurde ein solcher Kampfbegriff: Sehnsucht für die einen, wenn sich im Wagenknecht-Büro die Appelle stapeln, „doch endlich mit Alice zusammenzugehen“. Und Hassfigur für die anderen, besonders für „woke“ Journalisten. Die hätten zwar nichts dagegen, wenn das Bündnis Wagenknecht die AfD zerkleinerte. Aber nach den Europa- und Thüringen-Wahlen wird es dann schnell wieder totgeschwiegen. Und höchst vorsorglich schon jetzt als „Querfront“ dämonisiert.

    Goebbels Teilnahme am BVG-Streik

    In der Realität gelingt die Verteidigung der Demokratie nur mit einer breiten Bündelung der Kräfte und in aller Öffentlichkeit. Und genau dagegen wird das sperrige Wort aus den letzten Tagen der Weimarer Republik in Stellung gebracht, leichtgläubig und quellenfrei: Querfront.

    Um es vorwegzunehmen: In der deutschen Geschichte hat es eine demokratieschädigende Querfront nie gegeben. Früher wurde linken Schülern vom Lehrpersonal ein Foto gezeigt, auf dem Walter Ulbricht neben Joseph Goebbels zu sehen war. Angeblich auf einem Lohnstreik-Podium der Berliner Verkehrsbetriebe am 4. November 1932. Der Tenor: wie „Extremisten von links und rechts“ gemeinsam die Weimarer Republik zerstört hätten. Doch das Foto stammt aus dem Januar 1931 und zeigt ein Streitgespräch, das in einer Saalschlacht zwischen Kommunisten und Nazis endete. Goebbels Teilnahme am BVG-Streik brachte ihm in seinem Wahlbezirk bei der Reichstagswahl am 6. November 1932 erhebliche Stimmenverluste.

    Schleicher präsentierte sich als „sozialer General“

    Der Begriff Querfront erweist sich bei historischer Betrachtung als Wortpatronenhülse. „Quer“ – das soll eine angebliche „Front“ gewesen sein: vom KPD-Führer Ernst Thälmann bis zu Adolf Hitler. Doch erstens war Thälmann zu keinem „Querfront“-Gespräch je eingeladen. Und zweitens richtete sich das Ganze gegen Hitler. Georg Fülberth im „Freitag“ (48/22) beschreibt jene schicksalhaften Tage differenzierter als viele Kritiker: „Kurt von Schleicher versucht als Reichskanzler Ende 1932, den ‚linken‘ Flügel der NSDAP, die SPD und Gewerkschaften zu gewinnen, um mit einer Links–Rechts-Front die Nazi-Diktatur zu verhindern. Industrie und Banken jedoch wollten Adolf Hitler.“

    Nach links versprach Schleicher die Intensivierung gemeinsamer Manöver der Reichswehr und der Roten Armee als friedensbildende Maßnahme. Außerdem bot er an: weitergehende soziale Rechte und die Eindämmung der politischen Macht des extremen Hitlerflügels im Monopolkapital um Krupp und Thyssen. Schleicher wollte tatsächlich – sicher auch aus egoistischen Motiven – ein Massenbollwerk aus Teilen der Arbeiterbewegung, der Bauern und der Reichswehr formen. Er präsentierte sich als „sozialer General“ gegen Hitler – von Goebbels prompt als „der rote General“ verspottet.

    Auch Gregor Strasser, der den Arbeiterflügel in der NSDAP anführte, war zu jener Zeit bereits Hitlers Gegner, nicht anders als sein Bruder Otto, der schon zwei Jahre zuvor aus der Nazipartei ausgetreten war. Prominente Führungskader der SA, etwa Bodo Uhse, traten in die KPD über. Andere folgten, beispielsweise der auf der Rechten hochgeachtete Offizier und Großbauer Richard Scheringer, der sich 1931 mit Anhängern und Familie von der NSDAP abwandte und nach dem Krieg die KPD/DKP aufbauen half.

    Schleicher und Strasser wurden erschossen

    Zum Jahreswechsel 1932/33 hatten die Geheimgespräche Hitlers mit dem inzwischen abgelösten Reichskanzler Franz von Papen Fahrt aufgenommen. Im Kern ging es darum, Kurt von Schleicher, Reichskanzler seit Anfang Dezember, zum Abschuss freizugeben. Anfang Januar schockten dann der Industrielle Gustav Krupp, Papen und dessen Vorgänger Heinrich Brüning den Reichspräsidenten mit einer heißen Information: Reichskanzler von Schleicher organisiere einen „Querfront-Staatsstreich“. Deshalb müsse Hindenburg so schnell wie möglich Hitler an dessen Statt zum Reichskanzler ernennen.

    In der Tat hatte Schleicher den Reichstag auflösen wollen. Doch trotz der Nazi-Wahlschlappe im November 1932 (gegenüber der Juli-Wahl hatte die NSDAP 4,2 Prozent verloren) wuchs die Reputation des „kleinen Gefreiten Hitler“ (Hindenburg) beim Großkapital. Von ziemlicher Bedeutung war dabei ein Treffen am 3. Januar 1933 im Kölner Haus des Bankiers Kurt Freiherr von Schröder. Die Unterredung war auf Initiative rheinisch-westfälischer Industrieller um die Frontkämpfer-Vereinigung „Stahlhelm“ zustande gekommen. Bei dem Treffen hatte Hitler sich als „wirtschaftlichen Liberalen“ bezeichnet und dem Industriekapital angedient. Dem Journalisten Hellmuth Elbrechter, einem Vertrauten Schleichers und Gregor Strassers, gelang ein Foto, das die Beteiligten beim Betreten der Villa zeigte.

    Noch am selben Abend legte Elbrechter dem Reichskanzler das Foto vor. Schleichers Zornesausbruch sprach sich bis zu Hitlers Kadern rum. Am 5. Januar titelte die „Tägliche Rundschau“: „Hitler und Papen gegen Schleicher.“ Die beiden „Querfrontler“ Schleicher und Strasser wurden im Jahr darauf, im Rahmen der sogenannten Röhm-Morde um den 1. Juli 1934, erschossen.
    Die demokratische Linke war vor 1933 gespalten

    In der Rückschau waren Schleichers Bemühungen vielleicht der letzte ernsthafte Versuch, die Naziherrschaft abzuwenden. Dennoch schlagen einige Journalisten heute mit den Begriffen „Querfront“ und „nach rechts offen“ in Richtung linker Rüstungsgegner. (Aber in welche Richtung sollten marxistische Ohren sonst offen sein? Richtung linksaußen, wo die Sekten sitzen?) Und: hatte nicht die Weimarer Linke mit ihrem viel zu kleinlauten Protest gegen die Versailler Vertragsdiktate besonders die Langzeitarbeitslosen und Kleinstunternehmer den Rechtsextremen in die Küche getrieben? Und das, obwohl Paul Levi, Karl Radek, Clara Zetkin, Ernst Bloch, Bert Brecht, Hanns Eisler, Wolfgang Abendroth und andere linke Querdenker für breitere Volksbündnisse geworben hatten?

    Im August 1930 verabschiedete die KPD immerhin ihre Programmerklärung zur „Nationalen und sozialen Befreiung des deutschen Volkes“. Auf deren Grundlage konnten die Kommunisten im November 1932 den Nazis noch rund 700.000 Stimmen abnehmen. Dennoch warf ihnen Ernst Bloch später vor: „Kampflos, Genossen, habt ihr das Kleinbürgertum dem Faschismus überlassen!“

    Die demokratische Linke war vor 1933 gespalten und daher zu keiner breiten Volksfront fähig. Dabei ist schon richtig: Die ganze Monstrosität des Hitlerflügels innerhalb des Monopolkapitals konnte sie kaum vorausahnen. Ein medial bis heute gut gehütetes Geheimnis blieben auch die eiskalten Spekulationen des späteren Deutsche-Bank-Chefs Hermann Josef Abs von „innerdeutscher Kapitalbindungskraft (…) von ungeheurem Reiz (…) durch den siegreichen Ausgang des Krieges“ vor Bankenvertretern und Reichswirtschaftsführern am 25. Oktober 1940, acht Monate vor dem Überfall auf Sowjetrussland.
    Anstrengungen der Patrioten aller Parteien zur Rettung des Vaterlands

    Aber „Mein Kampf“ war bekannt. Dennoch begnügten sich die meisten Nicht-Faschisten mit passiver Beobachtung der Kräfteverschiebungen im Berliner Regierungsviertel – die sie dann allenfalls wie nörglerische Zuschauer mit spöttischem Agitprop kommentierten. Jedoch dort keineswegs eingriffen.

    Dabei hatte Lenin schon 1920 gerade die deutschen Linken gemahnt, die „feinsten Risse“ im gegnerischen Mauerwerk zu nutzen – ansonsten hätten sie vom „Marxismus keinen Deut verstanden“. Die Kommunisten hatten zwar im April 1932 zur Reichspräsidentenwahl plakatiert: „Wer Hindenburg wählt, wählt Hitler. Wer Hitler wählt, wählt den Krieg“ – aber dann doch nur ihren Parteivorsitzenden Thälmann gegen Hindenburg aufgeboten. Und – was viele abstieß – von „Sowjetdeutschland“ geschwärmt, statt an einem wirklich breiten Anti-Hitler-Angebot zu arbeiten und etwa einen Carl von Ossietzky zur Kandidatur zu bewegen.

    Während die KPD die SPD-Führung als „Sozialfaschisten“ beschimpfte, ließen SPD-Beamte auf KPD-Leute als „rot lackierte Faschisten“ knüppeln und schießen. Diese Spaltung auf der Linken begünstigte die Überlegenheit des vom „terroristischsten, imperialistischsten Finanzkapital“ (Georgi Dimitroff) geförderten Hitlerflügels auf der Rechten. Dagegen musste Schleichers Anlauf saft- und kraftlos bleiben.

    Heißt das nun postum, dass es keine außerordentlichen Bündnisanstrengungen gegen außerordentliche Bedrohungen geben darf? Etwa, wenn jetzt öffentliche Aufrufe von Wolodymyr Selenskyj und Joschka Fischer für atomare Abschreckung gegen Russland ertönen? Wer sagt, wir befänden uns bereits mit einem Zeh im Dritten Weltkrieg, dem steht Engstirnigkeit schlecht zu Gesicht.

    Andere hatten „ihren“ Lenin besser verstanden. Mao Zedong zum Beispiel. Im Krieg gegen die massenmörderischen japanischen Besatzer und Hitler-Verbündete appellierte er im Oktober 1943 eindringlich an das 11. Plenum der Kuomintang-Partei (seine Gegner!) und besonders an deren rechten Flügel um Tschiang Kai-schek, „die Anstrengungen der Patrioten aller Parteien (…) zur Rettung des Vaterlands zu vereinen“.
    Sozialstaatlichkeit kann gesetzlich nur im Nationalstaat abgesichert werden

    Oder: Wie breit mussten die Alliierten aufgestellt sein, um den Hauptfeind Faschismus zu schlagen – vom Antikommunisten Winston Churchill bis zu Josef Stalin. Weitsichtige Antiimperialisten wollten selten Macht und Köpfe kampflos ihren Todfeinden überlassen. Als der „Faschistische Großrat“ in Italien am 25. Juli 1943 Mussolini absetzte und durch eine Regierung der nationalen Einheit ohne faschistische Parteimitglieder, aber unter dem militant-monarchistischen Marschall Pietro Badoglio ersetzte, traten schließlich (gegen harte innerlinke Widerstände) zwei Kommunisten in die Regierung ein, unter ihnen Palmiro Togliatti. Und zwar mit einer Erklärung unter dem Titel „Liebe zum Vaterland“. Alles „Querfront“?

    Ebenfalls „nach rechts offen“ hat Erich Weinert agitiert, als er für das „Nationalkomittee Freies Deutschland“ mit patriotischen Parolen Wehrmachtssoldaten zum Desertieren aufrief – im Übrigen erfolgreich. Oder war es falsch von Walter Ulbricht, in der „Nationalen Front“ um Breite und Traditionen zu ringen - und damit um kleine NS-Mitläufer? Während in Westdeutschland der Justiziar der Judenausrottung, Hans Globke, Chef in Adenauers Kanzleramt wurde? Während der Auschwitz-Kreditgeber Abs zu Adenauers Chefverhandler in Geldfragen werden und Polen wie Griechenland um Wiedergutmachung prellen durfte? Während der Wehrmachtsgeneral Reinhard Gehlen zu Adenauers Geheimdienstchef wurde und - freilich mit Geleitschutz der CIA - linke Journalisten niedermachen konnte?

    Das alles wird beim Querfront-Vorwurf vieler Medien totgeschwiegen. Dafür warf in der FAZ vom 5. September 2022 der Leiter der Augsburger Brecht-Forschungsstätte dem Dichter vor, mit einstigen „Günstlingen des NS-Regimes zusammengearbeitet“ zu haben. Gemeint waren unter anderem Brechts Jugendfreund und Bühnenbildner Caspar Neher und Gustaf Gründgens.

    Im Grunde geht es bei dem Querfront-Vorwurf darum, populäre Positionen für die Nation und für die Heimat von Linken fernzuhalten. Das Spiel heißt: „Teile und herrsche!“ Es reduziert den Wirkungskreis Intellektueller auf die Universitätshörsäle und öffnet den Rechten die Festzelte und Plenarsäle. In demagogischer Weise werden chauvinistischer Nationalismus und nationalstaatliche Vernunft gleichgesetzt. Heute können sich transnational agierende Konzernchefs bei woken Medien bedanken, wenn sie Nationalstaaten und deren Grenzen schleifen und zu Failed States machen.

    Sozialstaatlichkeit kann gesetzlich nur im Nationalstaat abgesichert werden. Das Recht der Freihandelszone EU bietet nämlich der Sozialstaatlichkeit per se keinen Platz – allen „Pro-EU-Gesängen“ zum Trotz, die zum Europa-Wahljahr von neuem gegen die Nationalstaaten angestimmt werden. Auch heute wieder wird der werktätige und kleinbürgerliche Alltagsverstand kampflos dem Chauvinismus überlassen. Dabei hatten bereits Marx und Engels im „Kommunistischen Manifest“ geschrieben, dass im Bewusstsein und „der Form nach der Kampf des Proletariats gegen die Bourgeoisie zunächst ein nationaler“ sei.

    Joschka Fischer, der Völkerrechtsbrecher gegen Jugoslawien, schlug 1982 im „Pflasterstrand“ vor, „deutsche Helden wie tollwütige Hunde“ zu erschlagen. Aber wer waren die eigentlichen „deutschen Helden“? Waren es nicht die des Widerstands? Hießen sie nicht Robert Blum, Rosa Luxemburg und Sophie Scholl?

    #Allemagne #,politique #antifascisme #histoire #front_populaire #Querfront

  • Les « stages kebab », reflets des difficultés dès la 3ᵉ pour les jeunes des quartiers populaires
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/23/les-stages-kebab-reflets-des-difficultes-des-la-3-pour-les-jeunes-des-quarti


    AUREL

    Chaque année, de nombreux #élèves issus de milieux défavorisés effectuent un #stage d’observation par défaut, n’ayant pu trouver des #entreprises plus prestigieuses prêtes à les accueillir. Une première expérience de discrimination.

    Quand Maric (il n’a pas souhaité donner son nom) était petit, il rêvait de devenir avocat. Alors, en classe de 3e, pour son stage d’observation, ce jeune homme habitant à Grigny (Essonne) envoie une poignée de CV préparés en classe à des cabinets d’avocats à Paris. « On m’a dit que ce n’était pas possible parce que j’étais trop jeune, ou alors qu’ils ne prenaient pas de stagiaires », se souvient l’adolescent, qui a 16 ans aujourd’hui. Il fait finalement son stage dans un supermarché tenu par son oncle, « par manque de choix ». Un an plus tard, son petit frère a fait le même stage. « Les gens autour de moi ne tentent pas trop les cabinets d’avocats, les banques ou ce genre de choses à Paris, reconnaît-il. Ils se disent que ça ne sert à rien. On va les envoyer balader. »
    Dans les quartiers populaires, on les appelle les « stages kebab ». Ces stages par défaut que de nombreux jeunes de #banlieue vont faire dans un kebab, une épicerie, un centre social, une pharmacie du quartier, souvent tenus par un proche, faute d’avoir trouvé une expérience plus enrichissante dans la grande #ville du coin. Se tenant sur cinq jours, généralement entre décembre et février en fonction des établissements, le stage d’observation en milieu professionnel, obligatoire en classe de 3e, devient ainsi le reflet des discriminations vécues par les jeunes issus de familles défavorisées, souvent sans réseau professionnel, et illustre la difficulté, dès le plus jeune âge, de s’extraire du quartier.

    https://justpaste.it/dh2nb

    #école #collège #quartiers_populaires #formation #emploi

  • Un long article de synthèse sur un débat en cours : jusqu’à quel point la société française actuelle est-elle marquée par des legs coloniaux ? A retenir, notamment, les noms et analyses des philosophes Souleymane Bachir Diagne et Nadia Yala Kisukidi.
    (la suite de l’article est à lire en vous connectant au site du Monde)

    Comment la question coloniale trouble les sociétés occidentales
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/19/comment-la-question-coloniale-trouble-les-societes-occidentales_6211842_3232

    Comment la question coloniale trouble les sociétés occidentales
    Par Nicolas Truong, le 19 janvier 2024

    Si l’histoire des colonisations se renouvelle en France, ses approches théoriques restent déconsidérées par une frange de l’opinion qui en refuse les conclusions et les réduit à leurs aspects les plus controversés.

    C’est une histoire qui travaille les mémoires. Un passé qui pèse sur le présent. La question coloniale ne cesse de hanter la politique nationale. A croire que chaque fracture française réveille ce passé qui a encore du mal à passer. Dans certaines de ses anciennes colonies, notamment africaines, où la France est conspuée et même chassée de pays longtemps considérés comme des prés carrés. Dans ses banlieues paupérisées au sein desquelles les émeutes contre les violences policières ravivent le sentiment du maintien d’une ségrégation sociale, spatiale et raciale héritée de la période coloniale. Dans des stades où La Marseillaise est parfois sifflée.

    Une histoire qui s’invite jusque dans les rangs de l’Assemblée nationale, où l’usage du terme « métropole » pour désigner la France continentale sans les territoires d’outre-mer est désormais rejeté, car considéré comme colonialiste. Et jusqu’à l’Elysée : après avoir affirmé, lors de la campagne présidentielle de 2017, que la colonisation était un « crime contre l’humanité » qui appartient à un « passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes », Emmanuel Macron a finalement estimé, en 2023, qu’il n’avait « pas à demander pardon ». Un ravisement contemporain d’un ressassement idéologique et médiatique permanent contre la « repentance », la « haine de soi » et l’« autoflagellation ».

    Cependant, il semble difficile pour une société d’éviter les sujets qui finissent inexorablement par s’imposer. Il en va de la colonisation comme de la collaboration. La génération Mitterrand et les années Chirac ont été ponctuées par des révélations, débats et discours marquants liés à la période du gouvernement de Vichy. La France d’Emmanuel Macron n’échappe pas à l’actualité de l’histoire de ses anciennes colonies. Car « le passé colonial est partout », résume l’historien Guillaume Blanc, l’un des quatre coordinateurs de Colonisations. Notre histoire, ouvrage collectif dirigé par Pierre Singaravélou (Seuil, 2023).

    (...).

    #colonisation #colonialité #racisme #antiracisme #émancipation #universalisme

    • Suite de l’article :

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/19/comment-la-question-coloniale-trouble-les-societes-occidentales_6211842_3232

      « Le colonialisme n’est pas achevé »

      Au Sahel, la présence de la France est devenue indésirable. Bien sûr, la stratégie africaine de la Chine comme l’emprise de la Russie, à travers les milices privées du Groupe Wagner, n’y sont pas étrangères. Mais « il faut souligner l’épaisseur historique de ce sentiment », insiste Guillaume Blanc. L’histoire de cette réprobation est « à la fois récente et ancienne », ajoute-t-il, en référence aux analyses d’Ousmane Aly Diallo, chercheur à Amnesty International, selon qui les interventions militaires de la France dans ses anciennes colonies en Afrique – près de cinquante depuis 1960 – ont pérennisé « l’hégémonie française dans ces espaces ». Ainsi, à partir de 2022, lorsque l’armée française quitte le Mali et le Burkina Faso et se replie au Niger, « elle a beau dire y lutter contre le djihadisme, les populations y voient une ingérence française de plus », constate Guillaume Blanc.

      Cette histoire est également plus ancienne et « nous ramène notamment aux années 1950 », explique-t-il, à la lumière des apports de l’historienne Gabrielle Hecht : c’est à cette époque, selon elle, que la France a construit sa prétendue « indépendance énergétique » en exploitant l’uranium du Gabon et du Niger. En échange de prix avantageux, la France soutenait les dirigeants gabonais et nigériens au pouvoir.
      Lire aussi la tribune | Article réservé à nos abonnés « La question du passé colonial est le dernier “tabou” de l’histoire de France des XIXᵉ et XXᵉ siècles »

      C’est pourquoi « les sociétés africaines sont des sociétés postcoloniales, tout simplement au sens où le passé colonial pèse encore sur le présent », observe Guillaume Blanc, qui estime que « la France est, elle aussi, une société postcoloniale ». En effet, rappelle le philosophe Souleymane Bachir Diagne, l’Organisation des Nations unies (ONU) considère toujours que la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont des territoires « non autonomes », ce qui signifie que leurs populations « ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes ». Pour le professeur d’études francophones à l’université Columbia (New York), « cela veut dire que la majorité des nations qui composent l’ONU, et qui pour la plupart ont conquis leur souveraineté contre le colonialisme, estime que le mouvement des décolonisations, qui a défini l’histoire du XXe siècle, n’est pas achevé ».

      Souleymane Bachir Diagne rappelle une situation encore assez méconnue. Car si les recherches sur les colonisations et décolonisations sont nombreuses, novatrices et fécondes, la diffusion de ces savoirs reste parcellaire. Afin d’enseigner l’histoire de la colonisation et aussi « combattre les clichés », Guillaume Blanc, maître de conférences à l’université Rennes-II, trouve « assez utile » de partir des chansons, des bandes dessinées ou des films lors de ses cours sur les sociétés africaines et asiatiques du XIXe au XXIe siècle. Dans les amphithéâtres, l’auteur de Décolonisations (Seuil, 2022) n’hésite pas à diffuser le tube de Michel Sardou Le Temps des colonies (1976), où l’on entend : « Y a pas d’café, pas de coton, pas d’essence en France, mais des idées, ça on en a. Nous on pense », ou à évoquer certains albums d’Astérix « qui parlent de “nègres” aux lèvres protubérantes et ne sachant ni lire ni écrire ».

      La popularité du couscous

      D’autres contributeurs de Colonisations, comme la linguiste et sémiologue Marie Treps, s’attachent à l’actualité des « mots de l’insulte », comme « bougnoul », emprunté à la langue wolof où il signifie « noir », apparu au Sénégal à la fin du XIXe siècle, terme vernaculaire transformé en sobriquet « lourdement chargé de mépris » qui désigne désormais « un étranger de l’intérieur ». Les experts du fait colonial mobilisent l’analyse des objets ou de la cuisine – avec la popularité du couscous ou du banh mi – mais aussi du paysage urbain, comme le géographe Stéphane Valognes, qui montre la façon dont les rues de Cherbourg (Manche) portent encore les traces de la conquête coloniale, avec ses maisons de style néomauresque et ses rues estampillées du nom d’anciens généraux coloniaux. Sans oublier le palais de l’Elysée, à Paris, ancien hôtel particulier financé pour la monarchie par Antoine Crozat (1655-1738), qui bâtit sa fortune, dans les années 1720, grâce à la traite transatlantique, après avoir obtenu le monopole de la fourniture en esclaves de toutes les colonies espagnoles.

      « Si l’histoire de la colonisation est bien connue des spécialistes, en revanche, en France, il y a encore un refus de voir ce que fut la colonisation », estime Guillaume Blanc, qui trouve « aberrant » d’entendre encore des hommes politiques et certains médias évoquer les routes et les écoles que la France aurait « amenées » dans ses colonies : « Sans le travail forcé, la mort et la sueur des Congolais, des Malgaches ou des Vietnamiens, il n’y aurait jamais eu de routes. Quant à l’école, les petits garçons et les petites filles colonisés n’y allaient tout simplement pas : l’enseignement était réservé à une élite restreinte, et la France n’a jamais eu l’intention de scolariser les millions d’enfants qu’elle colonisait. »

      Nous vivons un moment postcolonial parce que notre époque est postérieure à l’ère des grandes colonisations – d’où le préfixe « post » – mais aussi, selon certains chercheurs, parce qu’il convient d’analyser ce passé qui pèse sur le présent en dépassant les anciennes dichotomies forgées aux temps des colonies. Notamment celles entre Orient et Occident, centre et périphérie ou civilisation et barbarie. « Postcolonial » est ainsi à la fois le marqueur d’une période historique et la désignation d’un mouvement théorique : après la critique du « néocolonialisme » des années 1960-1970, à savoir de l’emprise occidentale encore manifeste au cœur des nouvelles nations indépendantes, les études postcoloniales – postcolonial studies – émergent à la fin des années 1970. Elles prennent leur essor dans les années 1980 sur les campus américains et s’attachent à montrer comment les représentations et les discours coloniaux, en particulier ceux de la culture, ont établi une différence radicale entre les colonisés et le monde occidental, notamment forgé sur le préjugé racial.

      Publié en 1978, L’Orientalisme, ouvrage de l’écrivain palestino-américain Edward Said (1935-2003) consacré à la façon dont un Orient fantasmé a été « créé » par l’Occident (Seuil, 1980), est considéré comme l’un des premiers jalons du courant postcolonial, même s’il n’en revendique pas le terme. Au cours d’une déconstruction des représentations et clichés véhiculés sur l’Orient depuis le siècle des Lumières, ce défenseur lettré de la cause palestinienne assure que « le trait essentiel de la culture européenne est précisément ce qui l’a rendue hégémonique en Europe et hors de l’Europe : l’idée d’une identité européenne supérieure à tous les peuples et à toutes les cultures qui ne sont pas européens ». Se réclamant d’un « humanisme » qui ne se tient pas « à l’écart du monde », cet ancien professeur de littérature comparée à l’université Columbia estimait dans une nouvelle préface publiée en 2003, en pleine guerre en Irak à laquelle il était opposé, que « nos leaders et leurs valets intellectuels semblent incapables de comprendre que l’histoire ne peut être effacée comme un tableau noir, afin que “nous” puissions y écrire notre propre avenir et imposer notre mode de vie aux peuples “inférieurs” ».
      « La continuation du rapport de domination »

      La pensée postcoloniale fut largement inspirée par les subaltern studies, courant né en Inde dans les années 1970, autour de l’historien Ranajit Guha (1923-2023), études consacrées aux populations à la fois minorées par la recherche et infériorisées dans les sociétés récemment décolonisées. Une volonté de faire « l’histoire par le bas », selon les termes de l’universitaire britannique Edward Palmer Thompson (1924-1993), une façon de rompre avec l’idée d’un progrès historique linéaire qui culminerait dans l’Etat-nation, une manière de réhabiliter des pratiques et des savoirs populaires mais aussi d’exercer une critique des élites indiennes souvent constituées en mimétisme avec l’ancienne bourgeoisie coloniale.

      L’ambition des intellectuels postcoloniaux est assez bien résumée par l’Indien Dipesh Chakrabarty, professeur d’histoire, de civilisations et de langues sud-asiatiques à l’université de Chicago : il s’agit de désoccidentaliser le regard et de Provincialiser l’Europe (Amsterdam, 2009). L’Europe n’est ni le centre du monde ni le berceau de l’universel. Incarnée par des intellectuels comme la théoricienne de la littérature Gayatri Chakravorty Spivak ou l’historien camerounais Achille Mbembe, cette approche intellectuelle « vise non seulement à penser les effets de la colonisation dans les colonies, mais aussi à évaluer leur répercussion sur les sociétés colonisatrices », résume l’historien Nicolas Bancel (Le Postcolonialisme, PUF, 2019).
      Lire aussi l’enquête (2020) : Article réservé à nos abonnés « Racisé », « racisme d’Etat », « décolonial », « privilège blanc » : les mots neufs de l’antiracisme

      L’empreinte de l’époque coloniale n’est pas seulement encore présente à travers des monuments ou les noms des rues, elle l’est aussi dans les rapports sociaux, les échanges économiques, les arts ou les relations de pouvoir. Car une partie de ses structures mentales se serait maintenue. « La fin du colonialisme n’est pas la fin de ce que l’on appelle la “colonialité” », explique Souleymane Bachir Diagne. Forgé au début des années 1990 par le sociologue péruvien Anibal Quijano (1928-2018), ce terme désigne un régime de pouvoir économique, culturel et épistémologique apparu à l’époque moderne avec la colonisation et l’essor du capitalisme mercantile mais qui ne s’achève pas avec la décolonisation.

      La colonialité, c’est « la continuation du rapport de domination auquel les décolonisations sont censées mettre fin », poursuit Souleymane Bachir Diagne. « Et les jeunes ont une sensibilité à fleur de peau à ces aspects », relève-t-il, en pensant notamment aux altercations entre policiers et adolescents des « quartiers ». Pour le philosophe, une définition « assez éclairante de cette colonialité structurelle » a été donnée par le poète et homme d’Etat sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001), selon qui « l’ordre de l’injustice qui régit les rapports entre le Nord et le Sud » est un ordre fondé sur « le mépris culturel ». Ainsi, poursuit l’auteur du Fagot de ma mémoire (Philippe Rey, 2021), « on peut se demander si les populations “issues de l’immigration” dans les pays du “Nord” ne constituent pas une sorte de “Sud” dans ces pays ».

      « Le concept de colonialité ouvre des réflexions fécondes », renchérit la philosophe Nadia Yala Kisukidi, maîtresse de conférences à l’université Paris-VIII. Loin du terme « néocolonialisme » qui réduit la domination à une cause unique, la colonialité permet « d’articuler les formes de la domination politico-économique, ethnoraciale, de genre, culturelle et psychosociale, issues du monde colonial et de déceler leur continuation dans un monde qu’on prétend décolonisé. Ce qui permet de dire que, dans un grand nombre de cas, les décolonisations apparaissent comme des processus inachevés », poursuit l’autrice de La Dissociation (Seuil, 2022).

      Souleymane Bachir Diagne insiste sur le fait que Léopold Sédar Senghor, en « grand lecteur de Jean Jaurès », croyait comme le fondateur du journal L’Humanité en un monde où « chaque nation enfin réconciliée avec elle-même » se verrait comme « une parcelle » de cette humanité solidaire qu’il faut continûment travailler à réaliser. « Mais pour cela il faut combattre la colonialité, le mépris culturel, l’ordre de l’injustice. D’un mot : il faut décoloniser. L’impensé colonial existe : il consiste à ignorer la colonialité. »
      Universalisme eurocentré

      C’est ainsi que l’approche décoloniale, nouveau paradigme apparu dans les années 1990, est venue s’ajouter aux études postcoloniales autour de cette invitation à « décoloniser ». Née en Amérique du Sud au sein d’un groupe de recherche intitulé Modernité/Colonialité, la pensée décoloniale se donne notamment comme ambition de décoloniser les savoirs. Et de revisiter l’histoire. C’est pourquoi, selon ce courant théorique, la date capitale de la domination occidentale est 1492, le moment où Christophe Colomb ne « découvre » pas l’Amérique, mais l’« envahit ». C’est la période lors de laquelle naît la modernité par « l’occultation de l’autre », explique le philosophe et théologien argentino-mexicain Enrique Dussel (1934-2023). Un moment où la « reconquête » menée par la chrétienté expulsa les musulmans de la péninsule Ibérique et les juifs d’Espagne. Ainsi, une « désobéissance épistémique » s’impose, enjoint le sémiologue argentin Walter Mignolo, afin de faire éclore des savoirs alternatifs à une conception de l’universalisme jugée eurocentrée.

      Tous les domaines politiques, sociaux, économiques et artistiques peuvent être analysés, réinvestis et repolitisés à l’aide de cette approche décoloniale, à la fois savante et militante. L’écologie est notamment l’un des nombreux thèmes investis, car « la double fracture coloniale et environnementale de la modernité » permet de comprendre « l’absence criante de Noirs et de personnes racisées » dans les discours sur la crise écologique, assure l’ingénieur en environnement caribéen Malcom Ferdinand dans Une écologie décoloniale (Seuil, 2019). « Faire face à la tempête écologique, retrouver un rapport matriciel à la Terre requiert de restaurer les dignités des asservis du navire négrier tout autant que celles du continent africain », écrit Malcom Ferdinand.

      Partis d’Amérique latine, « ces travaux ont essaimé dans le monde entier », explique Philippe Colin, coauteur avec Lissell Quiroz de Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine (Zones, 2023). Dans les années 1990, les lectures partisanes des théories postcoloniales ont suscité des controverses dans l’espace public, notamment autour de la notion de « discrimination positive » et du « politiquement correct ». Une discorde qui se rejoue aujourd’hui, notamment avec les attaques menées par les néoconservateurs américains contre ce qu’ils appellent, de manière péjorative, la « cancel culture », cette culture dite « de l’annulation » censée être portée par un « maccarthysme de gauche » et même un « fascisme d’extrême gauche », résume d’un trait Donald Trump.
      Pensées « victimaires »

      Aux Etats-Unis, les études postcoloniales et décoloniales, « forgées dans une matrice marxiste au sein d’une diaspora d’intellectuels indiens, africains ou sud-américains enseignant dans les campus américains, se sont déployées d’abord dans le champ académique », précise Philippe Colin. Alors qu’en France, la réception de ces travaux s’est faite immédiatement de façon polémique. « Le concept a été revendiqué par le Parti des indigènes de la République à partir de 2015 de manière explicite, et cela a changé beaucoup les choses en France », analyse l’historien Pascal Blanchard. « Il est alors devenu une cible idéale pour ceux qui cherchaient un terme global pour vouer aux gémonies les chercheurs travaillant sur la colonisation », poursuit-il dans le livre collectif Les Mots qui fâchent. Contre le maccarthysme intellectuel (L’Aube, 2022).

      Dans L’Imposture décoloniale (L’Observatoire, 2020), l’historien des idées Pierre-André Taguieff se livre à une critique radicale de « l’idéologie postcoloniale et décoloniale, centrée sur la dénonciation criminalisante de la civilisation occidentale ». Une position que l’on retrouve également au sein de L’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, un site Web dont les contributeurs alimentent régulièrement les dossiers à charge des médias en guerre contre le « wokisme ».
      Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le « wokisme », déconstruction d’une obsession française

      Les critiques ne viennent toutefois pas uniquement de la galaxie conservatrice, des sites de veille idéologique ou des sphères réactionnaires. Auteur d’un ouvrage critique sur Les Etudes postcoloniales. Un carnaval académique (Karthala, 2010), le politologue Jean-François Bayart leur reproche de « réifier le colonialisme » car, affirme-t-il, aujourd’hui, « le colonial n’est pas une essence mais un événement ». Par ailleurs, rappelle-t-il, « le colonialisme n’a pas été l’apanage des seuls Etats occidentaux ». Des chercheurs insistent également sur le fait que la colonisation est un fait historique pluriel et qu’il convient de tenir compte de la diversité des sociétés où elle s’est exercée. Or, la prise en compte des formes de pouvoir propres à chaque société anciennement colonisée serait parfois omise par les approches décoloniales.

      Auteur de L’Occident décroché (Fayard, 2008), l’anthropologue Jean-Loup Amselle estime que ce courant de pensée a « détrôné l’Occident de sa position de surplomb, ce qui est une bonne chose, mais a entraîné des effets pervers », puisque, selon lui, elle reprend parfois à son compte « les stigmates coloniaux en tentant d’en inverser le sens ». Sur le site Lundimatin, l’essayiste Pierre Madelin critique, lui, les travers du « campisme décolonial » notamment apparu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, à l’occasion de laquelle, dit-il, « plusieurs figures de proue des études décoloniales » ont convergé vers la rhétorique anti-occidentale de Vladimir Poutine.

      Procès en relativisme

      Comme toute théorie, ces approches postcoloniales et décoloniales sont critiquables, estime Nicolas Bancel, « mais à partir de textes, de positions théoriques et épistémologiques, et non à partir de tribunes maniant l’invective, la désinformation, la dénonciation ad hominem, sans que leurs auteurs sachent rien de la réalité et de l’importance de ce champ intellectuel », juge-t-il. D’ailleurs, prolonge Nadia Yala Kisukidi, au-delà de l’université, les termes « décolonial » ou « postcolonial », dans le débat public français, « fonctionnent comme des stigmates sociaux, pour ne pas dire des marqueurs raciaux. Loin de renvoyer à des contenus de connaissance ou, parfois, à des formes de pratiques politiques spécifiques, ils sont mobilisés pour cibler un type d’intellectuel critique, souvent non blanc, dont les positionnements théoriques et/ou politiques contribueraient à briser la cohésion nationale et à achever le déclassement de l’université française. Comme si le mythe de la “cinquième colonne” avait intégré le champ du savoir ». D’autant que « décoloniser n’est pas un mot diabolique », relève le sociologue Stéphane Dufoix (Décolonial, Anamosa, 2023)

      Un reproche résume tous les autres : celui du procès en relativisme. Une critique qui est le point de discorde de tous les débats qui opposent de façon binaire l’universalisme au communautarisme. Or, cette querelle a presque déjà été dépassée par deux inspirateurs historiques de ces mouvements postcoloniaux et décoloniaux : Aimé Césaire (1913-2008) et Frantz Fanon (1925-1961). Dans sa Lettre à Maurice Thorez, publiée en 1956, dans laquelle il explique les raisons de sa démission du Parti communiste français, à qui il reproche le « chauvinisme inconscient » et l’« assimilationnisme invétéré », le poète martiniquais Aimé Césaire expliquait qu’« il y a deux manières de se perdre : par la ségrégation murée dans le particulier ou par la dilution dans l’“universel” ».

      Aimé Césaire a dénoncé « un universalisme impérial », commente Souleymane Bachir Diagne, auteur de De langue à langue (Albin Michel, 2022). Mais, dans le même temps, « il a refusé avec force de s’enfermer dans le particularisme ». Au contraire, poursuit le philosophe, Césaire « a indiqué que s’il a revendiqué la “négritude”, c’était pour “contribuer à l’édification d’un véritable humanisme”, l’“humanisme universel”, précise-t-il, “car enfin il n’y a pas d’humanisme s’il n’est pas universel” ». Des propos que le Frantz Fanon des dernières pages de Peau noire, masques blancs (Seuil, 1952) « pourrait s’approprier », estime Souleymane Bachir Diagne.

      Ces exemples remettent en cause l’idée selon laquelle les études, réflexions et théories actuelles sur le fait colonial, postcolonial ou décolonial seraient des importations venues des campus américains et issues du seul frottement des études subalternes avec la French Theory, du tiers-monde et de la déconstruction. « Il n’est donc tout simplement pas vrai que les penseurs du décolonial soient unanimement contre l’universel », déclare Souleymane Bachir Diagne, qui, loin de tous les impérialismes et réductionnismes, appelle à « universaliser l’universel ».

      Nicolas Truong

    • « La question du passé colonial est le dernier “tabou” de l’histoire de France des XIXᵉ et XXᵉ siècles », Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, historiens

      L’#histoire_coloniale est désormais à l’agenda des débats publics. Et si les débats sont très polarisés – entre les tenants d’une vision nostalgique du passé et les apôtres du déclin (de plus en plus entendus, comme le montre la onzième vague de l’enquête « Fractures françaises ») et les décoloniaux les plus radicaux qui assurent que notre contemporanéité est tout entière issue de la période coloniale –, plus personne en vérité ne met aujourd’hui en doute l’importance de cette histoire longue, en France, de cinq siècles.

      Loin des conflits mémoriaux des extrémistes, l’opinion semble partagée entre regarder en face ce passé ou maintenir une politique d’amnésie, dont les débats qui accompagnèrent les deux décrets de la loi de 2005 sur les « aspects positifs de la #colonisation » furent le dernier moment d’acmé. Vingt ans après, les politiques publiques sur le sujet sont marquées par… l’absence de traitement collectif de ce passé, dont l’impossible édification d’un musée colonial en France est le symptôme, au moment même où va s’ouvrir la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts.

      Si l’histoire coloniale n’est pas à l’origine de l’entièreté de notre présent, ses conséquences contemporaines sont pourtant évidentes. De fait, les récents événements au Niger, au Mali et au Burkina Faso signent, selon Achille Mbembe, la « seconde décolonisation », et sont marqués par les manifestations hostiles à la #France qui témoignent bien d’un désir de tourner la page des relations asymétriques avec l’ancienne métropole. En vérité, malgré les assurances répétées de la volonté des autorités françaises d’en finir avec la « Françafrique », les actes ont peu suivi les mots, et la page coloniale n’a pas véritablement été tournée.

      Relation toxique

      La France souffre aussi d’une relation toxique avec les #immigrations postcoloniales et les #quartiers_populaires, devenus des enjeux politiques centraux. Or, comment comprendre la configuration historique de ces flux migratoires sans revenir à l’histoire coloniale ? Comment comprendre la stigmatisation dont ces populations souffrent sans déconstruire les représentations construites à leur encontre durant la colonisation ?

      Nous pourrions multiplier les exemples – comme la volonté de déboulonner les statues symboles du passé colonial, le souhait de changer certains noms de nos rues, les débats autour des manuels scolaires… – et rappeler qu’à chaque élection présidentielle la question du passé colonial revient à la surface. C’est très clairement le dernier « tabou » de l’histoire de France des XIXe et XXe siècles.

      Ces questions, la France n’est pas seule nation à se les poser. La plupart des anciennes métropoles coloniales européennes sont engagées dans une réflexion et dans une réelle dynamique. En Belgique, le poussiéreux Musée de Tervuren, autrefois mémoire d’une histoire coloniale chloroformée, a fait peau neuve en devenant l’AfricaMuseum. Complètement rénové, il accueille aujourd’hui une programmation ambitieuse sur la période coloniale et ses conséquences. Une commission d’enquête nationale (transpartisane) a par ailleurs questionné le passé colonial.

      En France, le silence

      En Allemagne, outre le fait que les études coloniales connaissent un développement remarquable, plusieurs expositions ont mis en exergue l’histoire coloniale du pays. Ainsi le Münchner Stadtmuseum a-t-il proposé une exposition intitulée « Decolonize München » et le Musée national de l’histoire allemande de Berlin consacré une exposition temporaire au colonialisme allemand en 2017. Et, si le Humboldt Forum, au cœur de Berlin, fait débat pour son traitement du passé colonial et la présentation des collections provenant du Musée ethnologique de Berlin, la question coloniale est à l’agenda des débats publics de la société allemande, comme en témoigne la reconnaissance officielle du génocide colonial en Namibie.

      En Angleterre, le British Museum consacre une partie de son exposition permanente à cette histoire, alors que l’#esclavage colonial est présenté à l’International Slavery Museum à Liverpool. Aux Pays-Bas, le Tropenmuseum, après avoir envisagé de fermer ses portes en 2014, est devenu un lieu de réflexion sur le passé colonial et un musée en première ligne sur la restitution des biens culturels. Au Danemark, en Suisse (où l’exposition « Helvécia. Une histoire coloniale oubliée » a ouvert ses portes voici un an au Musée d’ethnologie de Genève, et où le Musée national suisse a programmé en 2024 une exposition consacrée au passé colonial suisse), au Portugal ou en Italie, le débat s’installe autour de l’hypothèse d’une telle institution et, s’il est vif, il existe. Et en France ? Rien. Le silence…

      Pourtant, le mandat d’Emmanuel Macron faisait espérer à beaucoup d’observateurs un changement de posture. Quoi que l’on pense de cette déclaration, le futur président de la République avait déclaré le 15 février 2017 à propos de la colonisation : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face. »

      Notre pays est à la traîne

      Puis, durant son mandat, se sont succédé les commissions d’historiens sur des aspects de la colonisation – avec deux commissions pilotées par Benjamin Stora entre 2021 et 2023, l’une sur les relations France-Algérie durant la colonisation, l’autre sur la guerre d’#Algérie ; et une autre commission sur la guerre au #Cameroun, présidée par Karine Ramondy et lancée en 2023 – qui faisaient suite au travail engagé en 2016 autour des « événements » aux #Antilles et en #Guyane (1959, 1962 et 1967) ou la commission sur les zoos humains (« La mémoire des expositions ethnographiques et coloniales ») en 2011 ; alors qu’était interrogée parallèlement la relation de la France à l’#Afrique avec la programmation Africa 2020 et la création de la Fondation de l’innovation pour la démocratie confiée à Achille Mbembe en 2022. En outre, le retour des biens culturels pillés lors de la colonisation faisait également l’objet en 2018 d’un rapport détaillé, piloté par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy.

      Mais aucun projet de musée d’envergure – à l’exception de ceux d’un institut sur les relations de la France et de l’Algérie à Montpellier redonnant vie à un vieux serpent de mer et d’une maison des mondes africains à Paris – n’est venu concrétiser l’ambition de regarder en face le passé colonial de France, aux côtés du Mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre (#Guadeloupe) qui s’attache à l’histoire de l’esclavage, des traites et des abolitions… mais se trouve actuellement en crise en matière de dynamique et de programmation.

      Situation extraordinaire : en France, le débat sur l’opportunité d’un musée colonial n’existe tout simplement pas, alors que la production scientifique, littéraire et cinématographique s’attache de manière croissante à ce passé. Notre pays est ainsi désormais à la traîne des initiatives des autres ex-métropoles coloniales en ce domaine. Comme si, malgré les déclarations et bonnes intentions, le tabou persistait.

      Repenser le #roman_national

      Pourtant, des millions de nos concitoyens ont un rapport direct avec ce passé : rapatriés, harkis, ultramarins, soldats du contingent – et les descendants de ces groupes. De même, ne l’oublions pas, les Français issus des immigrations postcoloniales, flux migratoires qui deviennent majoritaires au cours des années 1970. On nous répondra : mais ces groupes n’ont pas la même expérience ni la même mémoire de la colonisation !

      C’est précisément pour cela qu’il faut prendre à bras-le-corps la création d’un musée des colonisations, qui sera un lieu de savoir mais aussi d’échanges, de débats, de socialisation de cette #histoire. Un lieu majeur qui permettra de relativiser les mémoires antagonistes des uns et des autres, d’éviter la polarisation mortifère actuelle entre les nostalgiques fanatiques et les décoloniaux radicaux, mais aussi d’intégrer à l’histoire les millions de personnes qui s’en sentent exclues. Une manière de mettre les choses à plat, pour tourner véritablement la page.

      De toute évidence, l’histoire coloniale est une page majeure de notre histoire, et l’on doit désormais repenser notre roman national à l’aune de la complexité du passé et d’un récit qui touche dans leur mémoire familiale des millions de familles françaises. Ce n’est pas là la lubie de « sachants » voulant valoriser les connaissances accumulées. Les enjeux sont, on le voit, bien plus amples.

      Mais comment concevoir ce musée ? Ce n’est pas à nous d’en décrire ici les contours… Mais on peut l’imaginer comme un carrefour de l’histoire de France et de l’histoire du monde, ouvert aux comparaisons transnationales, à tous les récits sur cinq siècles d’histoire, ouvert à toutes les mémoires et à inventer en collaboration avec la quarantaine de pays et de régions ultramarines qui en sont parties prenantes. Un musée qui mettrait la France à l’avant-garde de la réflexion mondiale sur le sujet, dans une optique résolument moderne, et permettrait de mettre en perspective et en récit les politiques actuelles de retour des biens coloniaux pillés et des restes humains encore présents dans nos musées.

      Allons-nous, à nouveau, manquer ce rendez-vous avec l’histoire, alors que dans le même temps s’ouvre la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, installée dans le château de François Ier avec « 1 600 m² d’expositions permanentes et temporaires ouvertes au public, un auditorium de 250 places, douze ateliers de résidence pour des artistes… », dotée de plus de 200 millions d’investissements ? Si nous sommes capables d’édifier cette cité, nous devons imaginer ce musée. Sinon, la page coloniale ne pourra être tournée.
      Nicolas Bancel et Pascal Blanchard sont historiens (université de Lausanne), et ils ont codirigé Histoire globale de la France coloniale (Philippe Rey, 2022). Pascal Blanchard est également codirecteur de l’agence de communication et de conseil Les bâtisseurs de mémoire.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/30/la-question-du-passe-colonial-est-le-dernier-tabou-de-l-histoire-de-france-d

      (candidature d’intellectuel éclairé)

      #1492 #Indochine (omise) #colonialité

    • La « cancel culture » avec les historiens Henry Laurens et Pierre Vesperini
      Publié le : 17/06/2022

      https://www.rfi.fr/fr/podcasts/id%C3%A9es/20220617-la-cancel-culture-avec-les-historiens-henry-laurens-et-pierre-vesperini

      Pierre-Édouard Deldique reçoit dans le magazine Idées, pour le thème la « cancel culture » ou « culture de l’annulation » en français : Henry Laurens, historien, titulaire de la chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, qui vient d’écrire Le passé imposé (Fayard) et Pierre Vesperini, historien, spécialiste de l’Antiquité grecque et latine, auteur de Que faire du passé ? Réflexions sur la cancel culture (Fayard).

  • Action de visibilité : 1er féminicide de l’année

    Québec, 11 janvier 2024 – Le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (RGF-CN) a organisé une action de visibilité suite à l’annonce du premier féminicide de l’année 2024.

    Chloé Lauzon-Rivard a été tuée par son conjoint le 5 janvier à Granby. L’action, qui a réuni plusieurs militantes au coin des rues Cartier et René-Lévesque sur l’heure du midi, visait à briser le silence, exprimer notre colère, visibiliser les féminicides et exiger du gouvernement de faire de la lutte aux violences faites aux femmes et aux enfants une priorité.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/19/action-de-visibilite-1er-feminicide-de-lannee

    #féminisme #féminicide #quebec

  • « Incompétence des “juges”, absence d’indépendance réelle : les entorses du Conseil constitutionnel à la démocratie »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/17/incompetence-des-juges-absence-d-independance-reelle-les-entorses-du-conseil

    Le fait que nous nous soyons habitués à vivre au rythme des décisions du Conseil constitutionnel (un rythme qui s’est pris avec les lois adoptées pendant la pandémie de Covid-19, prolongé par l’épisode des retraites, et aujourd’hui la #loi_sur_l’immigration) ne signifie pas que celui-ci soit digne de la mission qui lui est confiée : protéger les #droits et #libertés garantis par la #Constitution.

    Avant qu’il rende sa décision sur le projet de loi « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » adopté par le Parlement le 19 décembre 2023, il importe de rappeler que des entorses de principe à la démocratie résultent de la composition et du fonctionnement du Conseil constitutionnel : partialité et incompétences des « juges », absence d’indépendance réelle vis-à-vis des pouvoirs qu’il contrôle, graves insuffisances dans la rédaction de ses décisions.

    Ces critiques ont déjà été portées, mais le constat demeure. Une affaire nous en donne l’occasion. La situation du Conseil se trouve actuellement examinée par un comité des Nations unies, le comité d’Aarhus, dont la mission est de suivre l’application de la convention du même nom. Cette convention porte notamment sur la question de l’accès à la justice à des fins de protection de l’environnement. Ce sont les trois associations France Nature Environnement, La Sphinx et Greenpeace France qui ont porté l’incurie du Conseil constitutionnel devant cette instance.

    Celui-ci avait en effet rendu une décision le 1er avril 2022 à propos de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN) sur une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’association La Sphinx (décision n° 2022-986 #QPC). Le Conseil confirma alors la constitutionnalité de la disposition qui privait les associations de la possibilité d’exercer un recours contre les permis de construire, dès lors qu’elles étaient constituées depuis moins d’un an.

    Règles de procédure inadéquates

    Parmi les griefs adressés par les trois associations au Conseil constitutionnel devant le comité onusien figurent les conditions dans lesquelles il a rendu sa décision du 1er avril 2022 : est ainsi mise en avant l’absence d’impartialité de la cour, une absence aggravée par des règles de procédure inadéquates et une forme de dépendance aux pouvoirs contrôlés.

    A ce sujet, nous avons formulé des observations devant le comité onusien, car nous sommes conscients de l’impérieuse nécessité démocratique de mettre un terme aux pratiques du Conseil constitutionnel, contraires aux standards d’une justice équitable, indépendante et impartiale. Cette occasion est importante, il ne faut pas la manquer.

    Nous avons d’abord fait observer que la plupart des neuf membres qui composent cette cour constitutionnelle sont d’anciennes personnalités politiques (premiers ministres, ministres ou parlementaires). Cette situation est quasiment inédite dans le monde. Le plus souvent, ces personnalités ont été concernées comme politiques par les textes législatifs qu’ils « jugent » ensuite au Conseil constitutionnel. C’était le cas dans l’affaire « La Sphinx », puisque deux anciens ministres, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault, étaient concernés par la loi en cause et ont participé au jugement.

    Dans le cadre de ses fonctions antérieures, Jacques Mézard a été chargé de la déclaration relative à la loi contestée (une loi dont le gouvernement avait pris l’initiative) devant l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018, déclaration à l’issue de laquelle il indique que « la loi ELAN va pouvoir devenir une réalité et je le crois améliorer le quotidien des Français, de tous les Français sur l’ensemble du territoire de la République ».

    Dans le cadre de ses fonctions gouvernementales, Jacqueline Gourault a eu la charge toute spécifique de rédiger la circulaire d’application de la loi contestée (circulaire du 21 décembre 2018), dont le contenu ne laisse pas de doute sur l’accord de son auteur avec le dispositif contesté : l’article 80 de la loi, indique la circulaire, « vise à sécuriser les autorisations de construire, accélérer les délais de jugement et mieux sanctionner les recours abusifs ».

    Jacques Mézard et Jacqueline Gourault ont ainsi tous deux exprimé une pensée en accord avec la loi contestée, mais, surtout, en ont défendu le principe dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions antérieures à celles de juges, et alors qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre soumis à des exigences d’indépendance et d’impartialité : l’un a défendu la loi devant l’Assemblée nationale qui devait voter la loi, et l’autre l’a défendue auprès des administrations qui devaient l’appliquer.

    Il s’agit là d’une situation de #partialité incompatible avec les standards de l’organisation de la justice en pays démocratique. Ces standards sont le fruit de l’histoire de la justice et de la démocratie et ont été également formulés par la Cour européenne des droits de l’homme. Pourtant, il existe un mécanisme destiné à l’éviter, celui du #déport, par lequel quelqu’un ne participe pas au jugement parce qu’il se trouve dans une situation « objective » de partialité. Mais la pratique du déport au sein du Conseil reste insuffisante, et cette affaire le rappelle.

    Obligation de quorum

    Nous avons également fait valoir que la composition problématique du Conseil constitutionnel était aggravée par certaines règles de procédure à suivre. Est d’abord visée l’obligation de quorum, une règle applicable à toute juridiction : pour juger valablement, sept au moins des neuf membres doivent être présents. Mais le nombre de personnalités susceptibles d’être en situation objective de conflit d’intérêts vis-à-vis de la loi jugée est fréquemment supérieur à deux.
    Cela fait que le Conseil est conduit à juger à six ou à cinq, ce qui n’est pas souhaitable pour un pays tel que le nôtre. Dans cette situation par exemple, la cour constitutionnelle d’Allemagne n’a tout simplement pas le droit de juger. Le Conseil français, lui, invoque l’idée de « force majeure », la vidant complètement de son sens puisque, en droit, la force majeure correspond à un événement imprévisible et irrésistible .
    Une autre règle de procédure, enfin, a spécifiquement posé problème dans cette affaire. Jacqueline Gourault est entrée en Conseil constitutionnel, et a participé à la décision du 1er avril 2022, après que le délai dont disposait La Sphinx pour demander la récusation de l’un des membres du Conseil constitutionnel avait expiré.

    Autrement dit, il n’était plus possible de demander que Jacqueline Gourault ne participe pas au jugement pour cause de situation de partialité, tout simplement parce qu’elle a intégré le Conseil alors que l’affaire était déjà en cours. Là encore, il y a une contrariété aux principes élémentaires de la justice, et la situation est systémique au Conseil constitutionnel.
    Tout le long de nos observations, nous avons donc essayé de montrer que ces manquements aux standards du fonctionnement des juridictions ne sont pas, hélas, le fait de la décision du 1er avril 2022, mais participent de la structure même de notre Conseil constitutionnel, une situation qui ne fait pas honneur à la prétention française à être leader dans le domaine des institutions démocratiques et de l’Etat de droit.

    Lauréline Fontaine est professeure de droit public à l’université Sorbonne-Nouvelle, autrice de La Constitution maltraitée (Ed. Amsterdam, 2023) ; Thomas Perroud est professeur de droit public à l’université Paris-II Panthéon-Assas (Cersa CNRS) ; Dominique Rousseau est professeur émérite de droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

    https://seenthis.net/messages/1036314

  • @l_envolee
    https://twitter.com/l_envolee/status/1747549304418353528

    ♨️Le prisonnier mort à #Seysses dimanche s’appelait Rachid. Il avait 19 ans. Selon plusieurs prisonniers il venait d’obtenir 1 remise en liberté avec bracelet éléctronique d’ici qq jours. Un autre prisonnier évoque des hématomes à la sortie du #mitard et met en cause la version👇

    Du « suicide par pendaison » servie par l’AP. Une grosse partie des prisonniers ont crié « matons assassins » avant de refuser de remonter en cellule pdt 2 heures lundi aprés-midi. Des #prisonniers évoquent l’équipe de #matons du #QD de sinistre réputation restée en fonction depuis 👇

    Les morts de Jules et Jawad.
    Loin d’évoquer ces éléments, la scandaleuse @ladepechedumidi ose « Impossible pour l’heure d’affirmer que ce mouvement de contestation serait la réponse à la mort de ce jeune homme » et en profite pour donner une fois de plus la parole 👇

    À un #MatonQuiPleurt du syndicat d’extrême droite SPS qui évoque 10 suicides par an à peu prés (sic) et regrette de ne pas être assez formé à ce type de situation. Le contre feu est habituel, grossier, violent mais vain : nous continuerons à dénoncer la violence structurelle 👇

    De la #prison, du QD, de l’AP et celle, vengeresse, de surveillants en particulier. Nous donnerons des infos supp dés que possible.
    #FermetureDesMitards
    #SolidariteAvecLesPrisonniers
    #LaPrisonTue

  • LCP. @LCP
    2:44 PM · 17 janv. 2024
    https://twitter.com/LCP/status/1747615905364750606

    Recours de l’Afrique du Sud contre Israël auprès de la CIJ : @Deputee_Obono
    dénonce la « complaisance » des gouvernements occidentaux. « La France doit urgemment emboîter le pas à l’Afrique du Sud » et enjoindre Israël à suspendre ses opérations militaires, plaide-t-elle.
    #DirectAN

    Réponse du ministre des Affaires étrangères :

    LCP @LCP
    2:46 PM · 17 janv. 2024
    https://twitter.com/LCP/status/1747616472392732794

    « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral », répond @steph_sejourne
    à @Deputee_Obono
    . « Nous n’avons pas de leçons à recevoir de votre parti ; vous n’êtes pas au clair, ni sur le Hamas, ni sur Gaza. »
    #DirectAN #QAG

    vers 0:54 « œuvrer à un cessez-le-feu immédiat pour permettre de garantir les souffrances des Palestiniens »
    #Francediplo #IsraelFrance

  • Marx et la question juive : Retour d’un procès anachronique
    https://www.nonfiction.fr/article-4435-marx-et-la-question-juive-retour-dun-proces-anachronique.htm
    Très intéressante comparaison de l’émancipation juive au dix neuvième siècle en France et Allemagne à travers une critique du livre malhonnête d’André Sénik « Marx, les Juifs et les droits de l’homme ».

    D’après ce texte il y a quelques omissions et différences non-négligeables entre le texte allemand
    Zur Judenfrage , 1843
    http://www.mlwerke.de/me/me01/me01_347.htm
    et sa traduction française
    La Question Juive
    https://www.marxists.org/francais/marx/works/1843/00/km18430001c.htm

    28.3.2011 par Frédéric MÉNAGER-ARANYI - Un ouvrage qui place la judéophobie au cœur de la pensée de Marx. Une thèse sans nuances, peu propice au débat et souvent simplificatrice sur le rapport de Marx à sa judaïté, plus complexe qu’il n’y paraît.

    Il n’est pas rare que des anciens staliniens repentis, deviennent les premiers contempteurs de leur ancienne foi.
    La démarche est souvent courageuse, lucide et instructive. Chez un auteur comme François Fejtö, elle s’accompagnait au cœur des années 70 d’un travail d’historien des démocraties populaires sans concession, tout en demeurant d’une fidélité exemplaire à une gauche démocratique que le stalinisme abhorrait par dessus tout. Il est d’autres attitudes beaucoup plus radicales qui consistent à prendre le contre-pied de ses anciennes passions. Chez Annie Kriegel, mère spirituelle de ce courant et redoutable apparatchik du PCF dans sa jeunesse, elle s’accompagnait d’un talent d’historienne reconnu qui éclate dans son livre ethnographique "Les Communistes" et d’un revirement politique clairement affiché.

    André Senik est de cette dernière famille de pensée, décidée à régler son compte au marxisme en même temps qu’à son passé. Ancien militant du PCF, Il a été un des leaders de ce qu’on a appelé à l’ époque le groupe des "italiens" de l’ UECI qui souhaitaient voir le PCF évoluer vers les positions du PCI et entamer une critique de l’ URSS ainsi qu’une libéralisation interne.
    Il est désormais membre du comité de rédaction de la revue "Le meilleur des mondes", née du rapprochement de plusieurs intellectuels ayant quitté l’extrême-gauche et se regroupant autour d’une analyse de la situation internationale fondée sur le choc des attentats du 11 septembre. Cela valut à cette revue quelques polémiques lors du déclenchement de la guerre en Irak lorsque ses rédacteurs soutinrent la position américaine.
    Cette mouvance est souvent présentée aujourd’hui comme un bastion du néo-conservatisme à la française.

    L’émancipation contre les Droits de l’Homme

    Il faut tout d’abord reconnaître les vertus formelles de ce livre.
    La première d’entre elles est la clarté du raisonnement et de la thèse défendue, l’exposé d’André Senik obéissant à un fil conducteur bien identifié.
    Souvent synthétique et accessible, agréable à lire, Senik a indéniablement trouvé un ton serein et posé.
    Développé de manière pédagogique, son propos s’articule autour du concept d’émancipation développé par le jeune Marx, pour en contester la teneur et tenter de prouver que ce concept contient en germe toute la violence inhérente au marxisme et aux régimes qui s’en réclameront.

    Pour cela il faut différencier l’émancipation humaine, concept utilisé par Marx, qui s’appliquerait à l’essence générique de l’homme, de l’émancipation politique qui serait le fruit de la déclaration des droits de l’homme et se fonderait sur une anthropologie individualiste reconnaissant à chacun des droits inaliénables.
    D’un côté, une émancipation qui se rangerait sous la bannière d’un universalisme totalisant, de l’autre un individualisme personnaliste bienveillant qui ferait de l’individu l’objet central de sa conception du monde et serait respectueuse de la liberté de conscience.
    Ainsi, la critique de la religion de Marx laisserait transparaître derrière le terme d’émancipation un refus de la liberté de croyance. La politique antireligieuse des démocraties populaires serait donc directement liée par exemple à la philosophie de Marx bien que Engels ait, pour sa part, critiqué toute forme de mesures de rétorsion sur cette question précise.
    Sénik nous rappelle par la suite que Marx n’appréciait guère les Droits de l’homme.
    Quelques décennies de rhétorique marxiste autour de la distinction entre droits formels et réels auraient suffi à nous rappeler que le philosophe de Trèves et ses disciples proclamés n’ont jamais été des tenants du libéralisme politique.
    Cet aspect de la pensée de Marx ne sera donc pas véritablement une révélation pour des lecteurs avertis.
    A l’exception, donc, de sa focalisation sur le concept d’émancipation, on ne trouvera rien de très bouleversant dans le premier tiers du livre. Toutefois, c’est ce concept, précisément, qui va amener André Sénik à développer son interprétation ultérieure et à cristalliser son opposition à la pensée de Marx.

    C’est donc dans un deuxième temps que l’auteur décide de passer à un degré supérieur.
    Il est désormais visible grâce à une analyse de "sur la question juive", un des premiers livres de Marx, que ce dernier, petit fils de rabbin, né de père et de mère juive, symbole aux yeux des nazis du caractère "enjuivé" du communisme, que ce Marx-là est rien moins qu’un des grands initiateurs de la haine antisémite moderne. Pour convaincre le lecteur, convoqué comme juré de l’histoire, on ne lésine pas sur l’exposé des preuves toutes issues de "la question juive", placées sous nos yeux en évidence et ne pouvant nous laisser d’autre choix que l’acquiescement au propos ou la complicité avec l’accusé.

    Rarement une lecture, jusqu’alors assez banale sans être inintéressante, n’aura si soudainement donné la désagréable sensation d’une prise d’otage de son lectorat, d’une convocation forcée devant le tribunal de l’histoire sans délibération ni recul.
    Il nous faut soudain partager le verdict de l’auteur qui ne cherche pas tant à convaincre qu’à imposer son point de vue en isolant les phrases les plus choquantes, en évoquant les témoignages les plus navrants.

    Que "Sur la question juive" soit un livre qui provoque le malaise, nul ne le niera.

    L’expression y est souvent violente et bien que juif, Marx emploie à l’ égard de l’univers dont il est issu des termes blessants particulièrement insupportables à des esprits contemporains.
    Qu’ André Senik en propose une lecture dé-concontextualisée, dénuée de toute perspective critique, sans jamais replacer l’ouvrage dans l’économie générale de l’œuvre, ni dans le contexte historique et intellectuel de son temps s’apparente néanmoins à du littéralisme pur et simple.
    On remarque également que les éléments biographiques sont également passés sous silence sauf lorsqu’ils sont favorables à la démonstration et servent de pièce à conviction.
    Peu importe que Marx ait été le disciple de Moses Hess, ancêtre du sionisme, puisqu’il détestait Lassalle, haine non pas politique mais judéophobe, bien entendu.
    D’ailleurs Engels était lui aussi atteint du même mal judéophobe : Peu importe également qu’il ait consacré un ouvrage à critiquer le philosophe Eugen Dühring et théorisé l’incompatibilité entre socialisme et antisémitisme. Rien ne vaut une belle phrase tronçonnée, hachée au sécateur, isolée dans une correspondance, pour établir un acte d’accusation.
    La procédure est donc à charge sans que les éléments de la défense puissent être produits.

    Il s’ensuit une peu convaincante analyse psychanalytique du cas Marx.
    Aux humiliations subies par son père s’ajouterait une haine de sa propre judaïté, poids social dont Marx aurait voulu se soulager en construisant sa théorie autour de l’émancipation hors de la Judaïté de la Société toute entière. Il aurait ainsi projeté sur le monde sa problématique personnelle. Le marxisme serait donc la grande névrose d’un juif honteux.
    Cette interprétation, s’agissant d’un homme décédé avant l’avènement de la psychanalyse, fera sans doute rêver les amateurs d’uchronie imaginant Marx sur le divan du Dr Freud, est elle d’un grand secours dans l’explication théorique ? N’est ce pas plutôt réduire une pensée à un simple symptôme ? C’est d’ailleurs ce terme de "symptôme" que l’auteur emploiera lorsqu’il s’agira de délégitimer toute interprétation non-littérale du texte marxien en particulier, la lecture althussérienne, sans doute une des plus subtiles et des plus abouties théoriquement.

    La critique des défenseurs de Marx

    On aurait aimé que Karl Popper, grand adversaire du marxisme s’il en est, ait pu tenir ce livre entre ses mains, il y aurait vu une vérification de ses thèses sur la notion de falsifiabilité.
    Que la démarche de l’auteur soit politique avant d’être critique éclate dans ce fait : pas de critique de la critique possible puisque celles-ci sont par avance déconstruites et surtout délégitimées politiquement et moralement.

    Non seulement la défense de Marx ne serait pas "morale" mais,de plus, serait de l’ordre de l’aveuglement volontaire, issue d’une mauvaise foi toute sartrienne. Ainsi, Sénik utilise le terme de lecture "symptomale" pour regrouper ceux qui, avec Althusser, refuseraient de s’arrêter à l’ évidence du texte et demeureraient dans le déni.
    Dans l’économie générale de la thèse du livre, la critique de l’ Althussérisme est d’ailleurs une étape majeure sur laquelle repose l’économie de la démonstration.
    En effet, admettre que l’oeuvre de Marx serait faite de ruptures épistémologiques ou simplement d’un affinement progressif ruinerait l’hypothèse selon laquelle la vérité du marxisme tout entière résiderait dans "la question juive", dont elle serait sortie telle Athéna casquée du cerveau de Zeus.

    Il faut donc invalider la thèse de la coupure épistémologique entre un jeune Marx post-hégelien et un Marx "scientifique".

    L’ habituelle caricature de la thèse althussérienne dite de l’"Anti-humanisme théorique" est encore une fois présentée de manière ironique alors qu’elle est simplement une transcription en vocabulaire structuraliste de l’abandon progressif par Marx de certaines positions qui relevaient encore d’une forme d’idéalisme lors de ses premiers écrits. Marx a effectivement délaissé la centralité du sujet dans le processus historique d’aliénation dépeint dans ses oeuvres de jeunesse pour laisser place à une société vue comme un ensemble structurel de rapports invariants. Les révolutions seraient les épiphénomènes évènementiels des brusques transformations de rapports entre les éléments de la structure. A ce titre, l’interprétation althussérienne en introduisant au sein du marxisme des processus historiques non dialectiques et une discontinuité se veut profondément novatrice.

    L’ "Anti-humanisme théorique" de Marx version Althusser n’est donc pas une apologie du totalitarisme, contrairement à des interprétations abusives, mais un positionnement scientifique de ce grand lecteur de Marx que fut Althusser.
    Citer "D’une sainte famille à l’autre" de Aron, c’est évidemment recourir à l’un des critiques les plus convaincants d’Althusser. Pour autant, la thèse de Aron est bien plutôt un plaidoyer pour l’unité de l’oeuvre de Marx et sa cohérence interne. Elle est une contestation de la coupure épistémologique mais pas du caractère évolutif de l’oeuvre de Marx.
    On ne fera pas l’insulte à André Senik de penser qu’il ne maîtrise pas son sujet , le contraire est même évident, il est simplement pris ici en flagrant délit de positionnement stratégique.
    Détourner un concept pour en diminuer la portée, en affadir les significations,c’est aussi ne pas donner à la défense le droit de réplique et clore le débat.

    Ce n’est pas tant le propos d’ André Sénik qui provoque un malaise que la sensation que l’auteur n’a pas véritablement écrit un livre pour susciter le débat, mais au contraire dans le but de l’empêcher en stigmatisant la pensée de Marx sans que l’on puisse nuancer, argumenter ou analyser le discours,
    Le texte d’André Senik ne laisse aucun droit à la distanciation et en cela il semble aussi totalisant que l’idéologie qu’il souhaite dénoncer.

    La postface de Taguieff : l’émancipation, voilà l’ennemi !

    La postface de Pierre André Taguieff se révèle particulièrement emblématique d’une certaine confusion qui règne actuellement entre procès des violences du XXème siècle et condamnation latente de l’ "idéologie"des Lumières jusque dans ses valeurs les moins contestées.

    La notion d’émancipation y subit par exemple une attaque en règle comme concept témoignant d’une violence universaliste qui aurait imposé aux juifs un renoncement à leur identité propre.

    L’attaque est très bien amenée , l’argumentaire de Taguieff est souvent habile et puissamment construit.

    Contrairement aux distinctions qu’effectuait prudemment Senik, dans cette postface, la notion d’émancipation devient soudainement beaucoup plus ambivalente revêtant tantôt un aspect politique et historique et tantôt un aspect philosophique, révélant l’inconscient de la focalisation de Senik sur ce terme.

    On ne s’embarrasse plus de distinguer deux formes d’émancipation, c’est le procès des "Lumières" qui,derrière celui de Marx ,est intenté. Le lecteur fera alors son opinion : Assistons nous à une répartition des rôles, Taguieff achevant le travail initié par Sénik, assistons nous à un abus de position dominante, Taguieff imposant sa propre vision à un Senik plus modéré ou à la révélation par un lecteur avisé et informé de l’inconscient profond de l’ouvrage ?

    Si on demeure en effet dans le domaine des idées pures, la logique d’émancipation relèverait d’une forme progressiste d’assimilation qui exige un certain renoncement aux particularismes et inflige une violence anti-identitaire.

    Elle nierait tout autant l’identité juive que des formes plus coercitives comme la conversion forcée, elle serait une forme d’aliénation impliquant une déperdition nécessaire de la mémoire pour se tourner vers un avenir ayant fait du passé table rase. Entre la violence universaliste chrétienne de Paul de Tarse et Les Lumières, il règnerait une connivence qui viserait à nier l’identité juive pour la recouvrir du voile d’un humanisme chrétien laïcisé dont Marx serait la nouvelle épiphanie.

    L’émancipation, une réalité historique concrète

    Pour autant, si l’on revient à la réalité de la réception historique de l’idée d’émancipation, tout de même sensiblement différente de l’image qui nous en est dépeint. Quittons donc le ciel des idées désincarnées pour rétablir quelques faits historiques et les nécessaires proximités entre les deux formes.

    La question de l’émancipation au sein de la communauté juive allemande répondit à plusieurs impératifs : Le premier fut celui de la pauvreté et de la marginalisation sociale et politique, le second, celui de la première crise de modernité qui affecta toutes les religions implantées en Occident au cours de la période 1750-1850 et résulta d’une confrontation directe entre les avancées scientifiques, y compris en matière de science historique, et les grands récits religieux.

    Ainsi, En Allemagne, lorsque Karl Marx écrit sa "question juive", et contrairement à la France, où l’Etat napoléonien prit en charge l’intégralité du processus d’émancipation, ce sont les juifs eux mêmes qui formulent les axiomes de leur aspiration à la citoyenneté ainsi qu’aux évolutions religieuses, questionnements qu’ils vont souvent accoler l’un à l’autre.
    C’est donc tout un pan du judaïsme allemand qui va adopter la position réformée et émancipatrice mais aussi une importante partie de l’orthodoxie qui acquiesce au "projet émancipateur" y compris dans sa dimension universaliste par volonté de conciliation avec les Nations et l’Etat séculier.
    Dans ce processus, dont Moses Mendelssohn fut un père fondateur, ce sont les rabbins allemands, qui jouèrent le rôle de vecteur et de propagateur de ce débat quelle que puisse être leur sensibilité, libérale, conservatrice ou orthodoxe "moderne".

    Interrogés par la modernité philosophique, les juifs élaborent leurs propres réponses au discours des Lumières, mieux, ils participent à l’élaboration de ce discours à leur tour, en adoptant une vision juive de l’universalisme fondé sur la non-contradiction entre loi religieuse et autorité civile.
    Ainsi, contrairement à ce qu’affirme P-A. Taguieff dans sa critique de P. Birnbaum, c’est bien ce dernier qui a raison lorsqu’il différencie assimilation et émancipation, à moins de considérer les rabbins allemands de l’époque comme des victimes de la mystification émancipatrice, historiquement aliénés, position finalement très marxiste..........

    En outre, les écrits de Marx prennent place dans une période très ambiguë de l’histoire juive allemande, celle de la fin du reflux post-napoléonien de la conquête des droits des juifs dans les états allemands. C’est un période de grand désespoir collectif et en particulier dans le monde intellectuel où ceux d’entre eux qui, instruits, avaient vu s’ouvrir les portes d’une intégration dans la société environnante, voient cet horizon se refermer brusquement.
    C’est une époque où des juifs comme Heinrich Heine, Rahel Varnhagen, lassés des obstacles qui leur sont opposés, finissent par se convertir. L’époque est la dénégation, au refus de soi-même, à l’absence de perspectives. C’est ce contexte historique qui permet de lire "la question juive" non comme cause du mal mais comme symptôme de ce dernier, témoignage masochiste du mal-être juif en ces années sombres auquel Marx a cru trouver remède par le dépassement vers le messianisme révolutionnaire.

    La question juive : Marx avant Marx ?

    Entre l’influence intellectuelle de la philosophie post-romantique et cette atmosphère de haine de soi due à la réaction anti-libérale du premier dix-neuvième siècle, il faut rappeler donc que la

    Marx se voulut le Feuerbach du judaïsme et confondit ainsi critique de la religion, qui n’a jamais été dans l’histoire une entreprise effectuée sans violence et sans injustice quelle qu’en soit la nécessité sociale, et reprise d’une vision sociologique caricaturale du Juif telle que portée par les représentations dominantes, utilisées avec peu de discernement dans sa critique anti-religieuse. Elle souligne le caractère encore inabouti de sa réflexion économique à l’ époque.

    Le drame de la question juive est de ne pas être un livre suffisamment "marxiste" précisément. Cette oeuvre souligne l’aveuglement de Marx au processus historique qui a amené nombre de juifs à posséder du capital circulant du fait de l’interdiction de la propriété foncière. Fait également très grossi puisque les statistiques historiques montrent que la plupart d’entre eux étaient des artisans et commerçants ruraux.

    Elle souligne également l’incorporation au sens sociologique du terme par un certain nombre de juifs et d’intellectuels de l’époque d’une idéologie préexistante et dominante. Elle montre la soumission intellectuelle du jeune Marx aux présupposés hégeliens voyant le peuple Juif comme "peuple hors de l’histoire", vision développée dans de nombreux écrits.
    Elle témoigne enfin de l’influence négative du romantisme sur la problématique sociale de l’émancipation juive autour de l’idée nationale allemande. La progressive émancipation (osons le mot) de Marx de la logique hégelienne qui préside aux destinées du "Capital" et constitue une coupure dans l’œuvre, n’est donc pas simplement une vue de l’esprit de Louis Althusser. Cette réflexion doit amener à ne pas englober l’ensemble de l’œuvre de Marx sous la marque infamante d’une judéophobie qui en constituerait l’origine, l’essence et la finalité.

    Enfin, simple point de détail sans doute, quel est le sens, au final, de prétendre que Marx était judéophobe, pouvait il l’être, lui, issue d’une lignée de rabbins, à la manière d’un Gobineau ou d’un Vacher de Lapouge ? Prétendre comme on le lit à un moment que Marx est racialiste relève de l’aberration la plus totale, ce dernier n’ayant jamais cru aux races biologiques et, de plus, totalement contradictoire avec la thèse de l’universalisme totalitaire qui implique pour le moins une croyance très forte en l’égalité du genre humain.

    Relire Birnbaum et Aron : un exercice de détachement

    Lire avec lucidité "la question juive" et ne pas sombrer dans l’émotion mais savoir raison garder est une entreprise difficile mais que beaucoup de penseurs juifs l’ont réalisée avec succès.
    Si elle n’innocente pas Marx, cette constatation doit nous permettre d’éclairer sa position de jeunesse due principalement à la forte influence hégelienne antérieure. Il est cependant moins à la mode et moins porteur de nos jours d’attaquer le philosophe d’Iéna.

    La problématique de Marx est une problématique biographique que rencontrèrent de nombreux savants juifs comme l’explique remarquablement P. Birnbaum dans sa "géographie de l’espoir". Ceux-ci en vinrent souvent à bannir de leur horizon de pensée le particularisme juif en cultivant l’indifférence ou, à défaut, l’hostilité.
    Birnbaum avait, d’ailleurs, dans cet ouvrage consacré un chapitre à la problématique de la "question juive" tout aussi peu complaisant pour Marx que le présent ouvrage. Il soulignait même l’incroyable et complaisant phénomène d’autocensure des versions françaises des oeuvres de Marx, ce que ne fait pas Senik, par exemple.
    Par contre, l’analyse demeurait d’ordre explicatif et ne visait pas à tirer de conclusions générales
    Sur cette question, il semble donc préférable pour avoir un regard d’une parfaite objectivité et pas moins critique, de consulter Birnbaum, de plus, mieux documenté.

    En effet, s’il est louable de dénoncer et d’interroger la part de haine de soi que comporte l’ouvrage de Marx et l’entreprise de censure de son oeuvre, on reste dubitatif sur le projet idéologique que porte le livre d’André Senik en arrière-plan.

    Attaquer le concept d’émancipation chez Marx est une chose, laisser subsister suffisamment d’ambiguïtés pour tenter de discréditer le projet progressif des Lumières en est une autre. L’histoire quand elle est sérieusement écrite est heureusement un puissant instrument de démystification qui nous laisse devant quelques faits bruts.
    On ne peut ainsi nier que c’est grâce à l’idée d’émancipation d’abord générique que les juifs obtinrent de considérables avancées quant à leurs droits élémentaires à vivre individuellement quand bien même ce mouvement se serait effectivement centré autour d’un humanisme abstrait anti-particulariste.

    Or, ce livre s’inscrit de manière implicite dans une tendance latente très contemporaine à contester au nom de la logique identitaire toute prétention universaliste et à soutenir la thèse selon laquelle toute vision de ce type est nécessairement une violence envers les particularismes dont la métonymie serait l’antisémitisme. Ce point néglige d’une part, la dimension universaliste du judaïsme et d’autre part l’adhésion sociologique et historique des juifs à un universalisme politique qui comprend nécessairement une part d’universalisme générique, cette séparation étant très artificielle.
    Critiquer le lien entre émancipation politique et émancipation générique chez Marx et adopter cette idée forte contestable pour la renverser en faveur du premier terme semble assez peu conséquent.

    Le risque d’une telle thèse est de légitimer et d’essentialiser les différentialistes, rendant suspecte toute vision républicaine universaliste. Elle tend, en outre, à séparer vision politique et anthropologique rendant impossible scientifiquement tout fondement d’une anthropologie politique, et en second lieu, laisse croire que le Politique est dissociable d’une anthropologie philosophique et donc d’une conception de l’Homme.

    Elle présente en outre une vision caricaturale de l’histoire qui serait, pour résumer, une trajectoire tragique reliant Voltaire à Hitler en passant par Rousseau et Marx.

    Enfin, considérer que la vérité de l’œuvre de Marx réside dans "la question juive" et doit discréditer "le Capital" par exemple est un raccourci à peu près aussi pertinent que de reléguer l’œuvre de Keynes dans le domaine des "gay studies". On ne peut adopter la syllogistique développée par Senik qui consiste à dire a) que la question juive est un livre judéophobe b) que l’œuvre de Marx est un bloc indissociable et continu c) que le Capital est donc un livre contaminé et que le marxisme en général est une doctrine suspecte

    En fait, derrière le revirement idéologique, l’auteur n’a pas perdu le vieux réflexe stalinien qui visait, dans les années 50, à ranger dans le camp du fascisme et du nazisme toute pensée qui n’allait pas dans le sens voulu par les dirigeants de la Place du Colonel Fabien. Si la méthode n’a pas beaucoup changé, l’objet en est désormais l’icône tant adorée par le passé : Karl Marx lui même. Pas plus aujourd’hui qu’hier cette méthode de réflexion n’arrive à nous convaincre, tant elle repose sur l’amalgame et parfois, hélas, le sophisme.

    Et quitte à lire une critique importante de l’œuvre de Marx, mieux vaut en effet relire d’abord Raymond Aron, un de ces juifs universalistes héritier des Lumières tant décriés. On découvrira un penseur qui n’a jamais eu le besoin de recourir à l’argumentaire utilisé dans ce livre et que l’hypothèse d’un Marx "judéophobe" » aurait probablement fait sourire. Enfin, On lira également avec profit un autre Aron, Jacques, cette fois, qui consacra il y a quelques années une étude à la question de l’antisémitisme supposé de Marx pour mieux monter l’anachronisme de cette accusation. On préférera donc avoir tort deux fois avec Aron que raison avec Senik.

    Charles Boyer , Marx et les droits de l’homme
    https://www.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2014-3-page-54.htm

    #anticommunisme #antisemitisme #France #Allemagne

  • Foundiougne / Émigration irrégulière : Démantèlement d’un réseau dont le cerveau est un étranger, 28 personnes arrêtées !
    https://www.dakaractu.com/Foundiougne-Emigration-irreguliere-Demantelement-d-un-reseau-dont-le-cerv

    Foundiougne / Émigration irrégulière : Démantèlement d’un réseau dont le cerveau est un étranger, 28 personnes arrêtées !
    Foundiougne / Émigration irrégulière : Démantèlement d’un réseau dont le cerveau est un étranger, 28 personnes arrêtées !
    Dans sa dynamique de lutte contre l’émigration irrégulière, la brigade territoriale de Foundiougne a organisé une opération qui a permis de démanteler un vaste réseau de trafic de migrants composés de sénégalais et d’étrangers. Le départ était prévu ce 15 janvier 2024 au quai de pêche de Foundiougne.Le cerveau est un étranger, propriétaire du bateau destiné au transport des migrants.
    Au cours de l’opération, 28 personnes ont été interpellées dont 01 Bissau guinéen, 10 gambiens, 17 sénégalais. En outre, 01 moteur hors bord a été saisi...

    #Covid-19#migration#migrant#senegal#migrationirreguliere#reseau#traficmigrant#quaidepeche

  • « Le Conseil constitutionnel n’a jamais défendu les droits des étrangers », Danièle Lochak [Gisti]

    Que peut-on attendre de la saisine actuelle du Conseil constitutionnel à propos de la loi immigration ?

    Danièle Lochak : Il y a trois éléments à prendre en compte. D’abord un élément de contexte général : on ne peut pas attendre grand-chose du Conseil constitutionnel lorsqu’il s’agit des droits des étrangers. Historiquement, à quelques nuances et réserves d’interprétation près, il a toujours validé l’ensemble des mesures votées par le législateur et accompagné sans ciller toutes les évolutions restrictives en la matière.

    Ainsi en matière d’enfermement – ce qu’on appelle aujourd’hui la rétention – le Conseil constitutionnel a d’abord dit en 1980 que sa durée devait être brève et placée sous le contrôle du juge judiciaire, garant de la liberté individuelle. Mais la durée maximale de rétention a été progressivement étendue : de sept jours, elle est passée à dix en 1993, puis douze en 1998, puis 32 en 2003, puis 45 jours en 2011, et enfin, 90 jours en 2018 , sans que le Conseil constitutionnel y trouve à redire.

    Il a affirmé que la lutte contre l’immigration irrégulière participait de la sauvegarde de l’ordre public, dont il a fait un objectif à valeur constitutionnelle. On voit mal, dans ces conditions, comment des mesures qui ont pour objectif proclamé de lutter contre l’immigration irrégulière pourraient être arrêtées par le contrôle de constitutionnalité…

    Autre exemple : en 1993, lors de l’examen de la loi Pasqua, le Conseil constitutionnel a affirmé que les étrangers en situation régulière bénéficient du droit de mener une vie familiale normale. Mais une fois ce principe posé, il n’a censuré aucune mesure restreignant le droit au regroupement familial. Ainsi, même lorsqu’il a rappelé des principes et reconnu que les étrangers devaient bénéficier des garanties constitutionnelles, il a toujours trouvé des aménagements qui ont permis de valider les dispositions législatives restrictives.

    Le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a tancé le gouvernement, et rappelé que l’institution n’était pas « une chambre d’appel des choix du Parlement ». Le Conseil ne va-t-il pas se montrer plus sévère qu’à l’accoutumée ?

    D. L. : En effet, le deuxième élément qui change la donne est le contexte politique, avec un gouvernement qui annonce d’emblée que certaines dispositions sont contraires à la #Constitution et charge le Conseil constitutionnel de « nettoyer » la loi. C’est bien entendu grotesque : en élaborant la loi, les responsables politiques sont censés respecter la Constitution.

    Surtout, le Rassemblement national (#RN) s’est targué d’une « victoire idéologique ». C’est très habile de sa part. En réalité, voilà quarante ans que l’ombre portée du Front national (RN maintenant) pèse sur la politique d’immigration française. Depuis 1983 et l’élection partielle de Dreux où le #FN, allié à la droite, l’a emporté sur la liste de gauche menée par Françoise Gaspard, la droite court après l’extrême droite, et la gauche, de crainte de paraître laxiste, court après la droite sur les questions d’immigration.

    Hormis quelques lois, dont la loi de 1981 adoptée après l’arrivée de la gauche au pouvoir et celle de 1984 sur la carte de résident, ou encore la loi Joxe de 1989, la politique de la gauche n’a été qu’une suite de renoncements, maintenant l’objectif de « maîtrise des flux migratoires » et de lutte contre l’immigration irrégulière. Il n’y a que sur la nationalité qu’elle n’a jamais cédé.

    Cela étant, la revendication de victoire de la part du RN va probablement inciter le Conseil constitutionnel à invalider un plus grand nombre de dispositions de la loi que d’habitude, même si on ignore lesquelles.

    Dans la saisine du Conseil constitutionnel sont invoqués beaucoup de « cavaliers législatifs », des dispositions qui n’ont pas de rapport avec l’objet du texte. Le garant de la constitutionnalité de la loi va-t-il trouver là des arguments faciles pour censurer certaines dispositions ?

    D. L. : Oui, et c’est le troisième élément à prendre en considération dans les pronostics que l’on peut faire. La présence de nombreux cavaliers législatifs va faciliter la tâche du Conseil constitutionnel, car invalider une disposition pour des raisons procédurales est évidemment plus confortable que de se prononcer sur le fond. Le projet initial portait sur l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Or le texte final, « enrichi » d’une multitude d’amendements, est loin de se limiter à ces questions.

    Le Conseil constitutionnel peut très bien estimer que les dispositions sur la #nationalité, pour ne prendre que cet exemple, qui relèvent du Code civil, sont sans rapport avec l’objet du texte, et les invalider. Alors même qu’en 1993, il avait validé le retour à la manifestation de volonté pour acquérir la nationalité française à partir de 16 ans pour les enfants d’étrangers nés en France, mesure phare de la loi Pasqua1.

    Il peut aussi invoquer « l’incompétence négative », qui désigne le fait pour le Parlement de n’avoir pas précisé suffisamment les termes de certaines dispositions et laissé trop de latitude au gouvernement pour les mettre en œuvre, sans compter les dispositions qui sont manifestement inapplicables tellement elles sont mal conçues.

    Mais si les dispositions sont invalidées sur ce fondement, rien n’empêchera leur retour dans un prochain texte puisque le Conseil constitutionnel aura fait une critique sur la forme et ne se sera pas prononcé sur le fond. Et puis il faut être conscient que, même s’il invalide un plus grand nombre de dispositions que d’habitude, il restera encore suffisamment de mesures iniques qui rendront la vie impossible aux étrangers résidant en France, fût-ce en situation régulière et depuis de très longues années.

    Le Conseil constitutionnel a tout de même consacré le principe de fraternité en 2018, et mis fin – au moins partiellement – au #délit_de_solidarité_ qui punit le fait d’aider les exilés dans un but humanitaire.

    D. L. : Oui, c’est un exemple qu’on met souvent en avant. Le « délit de solidarité » – ce sont les militants qui l’ont nommé ainsi, bien sûr – punit l’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. A l’époque, les avocats du militant Cédric Herrou avaient posé une question prioritaire de constitutionnalité (#QPC) au Conseil constitutionnel en invoquant le principe de fraternité, qui figure dans la devise républicaine.

    Le Conseil constitutionnel a en effet consacré la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, et son corollaire, la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour. Mais il a restreint la portée de cette liberté en n’y incluant pas l’aide à l’entrée sur le territoire, alors qu’à la frontière franco-italienne, par exemple, l’aide humanitaire est indispensable.

    Vous dressez un constat pessimiste. Cela vaut-il la peine que les associations continuent à contester les politiques migratoires devant les juges ?

    D. L. : Il faut distinguer les modes d’action. La saisine du Conseil constitutionnel après le vote de la loi est le fait de parlementaires et/ou du gouvernement, ou du président de la République.

    Les membres de la « société civile » (associations, avocats, professeurs de droit…) peuvent déposer des contributions extérieures, qu’on appelle aussi « portes étroites » . Celles-ci n’ont aucune valeur officielle, et le Conseil constitutionnel, même s’il les publie désormais sur son site, n’est obligé ni de les lire, ni de répondre aux arguments qui y sont développés.

    Les saisines officielles ont été accompagnées, cette fois, de très nombreuses portes étroites. Le #Gisti, une association de défense des droits des étrangers créée en 1972 et dont j’ai été la présidente entre 1985 et 2000, a décidé de ne pas s’y associer cette fois-ci, alors qu’il lui était arrivé par le passé d’en rédiger.

    Outre que le Gisti ne fait guère confiance au Conseil constitutionnel pour protéger les droits des étrangers, pour les raisons que j’ai rappelées, l’association a estimé que la seule position politiquement défendable était le rejet de la loi dans sa globalité sans se limiter aux dispositions potentiellement inconstitutionnelles. Elle ne souhaitait pas non plus prêter main-forte à la manœuvre du gouvernement visant à instrumentaliser le contrôle de constitutionnalité à des fins de tactique politicienne.

    Cela ne nous empêchera pas, ultérieurement, d’engager des contentieux contre les #décrets_d’application ou de soutenir les étrangers victimes des mesures prises sur le fondement de cette loi.

    Les associations obtiennent-elles plus de résultats devant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation ?

    D. L. : Les recours devant le Conseil d’Etat ont été historiquement la marque du Gisti. Il a obtenu quelques beaux succès qui lui ont valu de laisser son nom à des « grands arrêts de la jurisprudence administrative ». Mais ces succès ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt car, dans l’ensemble, ni le #juge_administratif – le plus sollicité – ni le #juge_judiciaire n’ont empêché la dérive constante du droit des étrangers depuis une quarantaine d’années.

    Ils n’ont du reste pas vraiment cherché à le faire. Les juges sont très sensibles aux idées dominantes et, depuis cinquante ans, la nécessité de maîtriser les flux migratoires en fait partie. Dans l’ensemble, le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation (mais le rôle de celle-ci est moindre dans des affaires qui mettent essentiellement en jeu l’administration) ont quand même laissé passer moins de dispositions attentatoires aux droits des étrangers que le Conseil constitutionnel et ont parfois refréné les ardeurs du pouvoir.

    Il est vrai qu’il est plus facile pour le juge administratif d’annuler une décision du gouvernement (un décret d’application, une #circulaire), ou une mesure administrative individuelle que pour le juge constitutionnel d’invalider une loi votée par le parlement.

    Les considérations politiques jouent assurément dans le contentieux administratif – on l’a vu avec l’attitude subtilement équilibrée du Conseil d’Etat face aux dissolutions d’associations ou aux interdictions de manifestations : il a validé la #dissolution du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et de la (Coordination contre le racisme et l’islamophobie), mais il a annulé celle des Soulèvements de la Terre.

    Ces considérations jouent de façon plus frontale dans le contentieux constitutionnel, devant une instance qui au demeurant, par sa composition, n’a de juridiction que la fonction et craint d’être accusée de chercher à imposer « un gouvernement des juges » qui fait fi de la souveraineté du peuple incarnée par le Parlement.

    En s’en remettant au Conseil constitutionnel et en lui laissant le soin de corriger les dispositions qu’il n’aurait jamais dû laisser adopter, le gouvernement a fait assurément le jeu de la droite et de l’extrême droite qui vont évidemment crier au gouvernement des juges.

    Quelles seront les solutions pour continuer à mener la bataille une fois la loi adoptée ?

    D. L. : Les mêmes que d’habitude ! Le Conseil constitutionnel n’examine pas la conformité des lois au regard des conventions internationales, estimant que ce contrôle appartient à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat. On pourra alors déférer à ce dernier les décrets d’application de la loi.

    Même si ces textes sont conformes aux dispositions législatives qu’ils mettent en œuvre, on pourra tenter de démontrer qu’ils sont en contradiction avec la législation de l’Union européenne, avec des dispositions de la Convention européenne telles qu’elles sont interprétées par la Cour de Strasbourg ou encore de la convention sur les droits de l’enfant.

    Ultérieurement, on pourrait envisager de demander à la Cour européenne des droits de l’homme la condamnation de la France. Mais on ne peut le faire qu’à l’occasion d’une affaire individuelle, après « épuisement » de tous les recours internes. Donc dans très longtemps.

    https://www.alternatives-economiques.fr/daniele-lochak-conseil-constitutionnel-na-jamais-defendu-droi/00109322

    (sauf pour les questions et la mention D.L., le graissage m’est dû)

    #loi_Immigration #xénophobie_d'État #étrangers #droit_du_séjour #lutte_contre_l’immigration_irrégulière #regroupement_familial #carte_de_résident #droit_du_sol #acquisition_de_la_nationalité #rétention #droit_des_étrangers #contentieux_administratif #Conseil_constitutionnel #Conseil_d'État #jurisprudence #jurisprudence_administrative #Cour_de_cassation #CEDH #conventions_internationales #Convention_européenne #convention_sur_les_droits_de_l’enfant

  • Why Biden Ordered the Attack on the Houthis
    https://weapons.substack.com/p/why-biden-ordered-the-attack-on-the

    (...)

    It is likely the appearance of rocket powered ballistic anti-ship missiles forced the US and UK to make the decision to finally strike the Houthis and not just stay on the defensive. The only other choice would be to stop protecting shipping in the Red Sea, but that would negatively impact Europe, including the UK, and it would deprive Egypt of its top asset, the Suez Canal, with monthly revenues of around $750 million.

    C’est bien la #quincaillerie qui dirige le monde. Si tu as la quincaillerie qui va bien, tu fais ce que tu veux, sans nécessité de respecter les autres règles.

  • QSPTAG #302 — 12 janvier 2024
    https://www.laquadrature.net/2024/01/12/qsptag-302-12-janvier-2024

    Société de contrôle (1) : les outils illégaux de la surveillance municipale Notre campagne Technopolice a déjà quatre ans, et les acteurs de l’industrie française de la surveillance sont bien identifiés. Lobby industriel, député porte-cause, discours sécuritaire…

    #Que_se_passe-t-il_au_Garage_ ?

  • Enquête québécoise sur la violence commise par des partenaires intimes : un regards critique sur les résultats

    Montréal, le 14 décembre 2023 – Aujourd’hui, plusieurs associations provinciales et chercheures universitaires oeuvrant en matière de violences envers les femmes, émettent des réserves quant aux résultats de la première édition de l’Enquête québécoise sur la violence commise par des partenaires intimes menée en 2021-2022. Alors que l’importance de dresser un portrait en vue de mieux comprendre la violence conjugale [1] est indéniable, nous remettons en question la capacité de cette enquête à saisir pleinement sa complexité.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/01/07/enquete-quebecoise-sur-la-violence-commise-par

    #feminisme #violence #québec