• J – 49 : L’expérience a déjà été tentée et elle semble sans cesse rapporter les mêmes résultats. Demandez à un ou une soliste mondialement reconnus pour la finesse de leurs interprétations de grands classiques d’aller les jouer habillé comme une jeune personne qui ferait la manche dans les couloirs du métropolitain et ce seront des centaines et des milliers de passagers qui passeront devant qui, en maintenant les écouteurs de son baladeur musical plus fermement enfoncés, qui en ne les remarquant même pas, qui en les bousculant tout à la consultation frénétique de sa messagerie, et qui en laissant tomber quelques pièces de monnaie dans l’escarcelle d’une personne pas exactement dans le besoin puisque, le soir même, elle joue devant le public de telle ou telle grande salle philharmonique. Tout serait donc une histoire de contexte.

    Les deux cinéastes argentins, Mariano Cohn et Gastón Duprat, semblent en faire le motif même de leur cinéma. Ainsi L’Artiste mettait en scène un auxiliaire de vie d’une personne mutique si ce n’est autiste qui par ailleurs avait une production de dessins très intense, lesquels finissaient par trouver le chemin des cimaises avec un retentissant succès parce que l’auxiliaire de vie s’appropriait les œuvres en question et dans l’Homme d’à côté , un designer prétentieux, n’ayant, finalement, produit qu’un seul objet, un fauteuil, mais vendu à des millions d’exemplaires dans le monde, vivait désormais de la rente de ca fauteuil auréolé dans l’unique construction du Corbusier dans toute l’Amérique latine, le roi n’était pas son cousin et il toisait le monde avec toute la morgue d’un parvenu qui se croyait à la fois fort et cultivé, jusqu’au jour où un voisin sans éducation décide de percer une ouverture dans le mur de vis-à-vis de cette fameuse demeure d’architecte : s’engage un bras de fer remarquable entre les deux hommes, l’un sûr du pouvoir que lui confère son statut social, l’autre, sourd aux arguments culturels et bon vivant, viveur, ne pouvant absolument pas comprendre où est le mal de cette ouverture.

    Avec Citoyen d’honneur c’est de nouveau la même confrontation d’échelles de valeurs qui ne sont pas compatibles. Un prix Nobel de littérature, rien que cela, argentin, la soixantaine sémillante, qui écrit depuis quarante ans des romans qui ont pour toile de fond son petit village natal de Salas en Argentine, dans les très lointains faubourgs de Buenos Aires, dans lequel il n’est plus jamais retourné depuis quarante ans, il vit désormais en Europe, à Barcelone, et finit par accepter, après avoir refusé, l’invitation de la municipalité de sa ville natale de faire de lui un citoyen d’honneur, et on voit bien qu’il y a une certaine forme de perversion à cette décision.

    Le choc des cultures est en marche, d’abord producteur de monstres fort désopilants, ainsi le petit diaporama en guise de bienvenue dans la salle des fêtes de la mairie, puis des retrouvailles avec l’ancienne petite amie désormais mariée avec l’ancien camarade de classe mais avec une maestria impressionnante ce qui tient d’abord du burlesque (le diaporama) pour ce qui est de ces moments de gêne, graduellement se colore de teintes nettement plus sombres, le refoulé refait surface, il est monstrueux, c’est l’escalade, on voit bien comment la chose va mal finir. Elle finit mal. A-t-elle, en fait, commencé ? Est-elle fiction ou le récit est-il réel ? Quelle importance ? semble dire le personnage principal devenu odieux, le prix Nobel, en conférence de presse : la leçon de morale est en fait ouverte, chacun fait son miel avec ce qu’il trouve dans cette fin ouverte, est-on du côté de la fiction et on est en droit de se questionner de ce que se permet l’auteur avec les habitants de Salas, croit-on que le récit soit véritable et alors on doit s’interroger sur sa propre crédulité.

    Et la force de ce film étant que quelle que soit la façon dont on déconstruit le récit ses ingrédients sont également répartis dans les deux colonnes, la cause de la fiction et celle du réel. Finalement ce qui fait, ou non, pencher la balance d’un côté ou de l’autre c’est une manière de dimension supérieure des scènes en question, l’éclairage peut-être et la façon dont on y est sensible, ou encore le cadrage, ce qui est dedans et ce qui reste à ses bords. Bref du cinéma. Du très bon. De ce cinéma qui raconte un récit en se servant de la perception de son spectateur.

    #qui_ca

  • J – 50 : Est entrée Shirley. Elle ne s’appelle pas Shirley. Shirley était une amie à Chicago. Elle faisait partie de la petite bande de personnes qui avaient de façon plus ou moins directe partie liée avec Leo’s le petit diner dans lequel étaient servis les meilleurs petits déjeuners de tout Chicago et sans doute de tout le Mid-West, à n’en pas douter de toute l’Amérique, bref de l’univers tout entier. Shirley qui était peintre est devenue informaticienne et c’est à ce titre qu’elle travaille désormais à IBM et qu’elle vient d’être dépêchée en France pour une mission d’une journée, venir nous offrir à nous pauvres informaticiens français la voix de la raison, la voix de Maman , comme on dit à IBM et comme on se demande depuis quelques années ce que cela veut dire, parle-t-on toujours de la maison mère pour quelques-uns d’entre nous chez le client, ou parle-t-on désormais de la Présidente Directrice Générale de la Très Grande Entreprise ? Shirley n’était pas une très grande peintre, elle était en revanche une amie adorable, elle et son mari étaient souvent prompts d’une part à nous inviter Cynthia et moi à passer prendre une bière ou à dîner, et de même Kevin, le mari de Shirley, nous faisait rire quand il rappelait utilement à Cynthia que quand je comprenais quelque chose avec retard — et Cynthia n’était jamais patiente, en rien d’ailleurs — il pouvait s’agir d’un temps de traitement de l’information pour passer cette dernière de l’anglais au français. Tu te rappelles quand même que notre Phil est français ? Cela avait le don remarquable d’amadouer Cynthia, ce qui n’était jamais un maigre bénéfice, Shirley est donc devenue informaticienne. Elle travaille chez Maman. Spécialiste d’une plateforme sur laquelle on peut construire des applications de stockage et de recherches d’informations et de documents de production. Elle est dans cette salle de réunion la seule interlocutrice qui ne parle pas français, du coup la dizaine de personnes dans cette salle de réunion que nous sommes, sommes tenus de parler en anglais, même entre nous. Shirley a apporté avec elle ses façons de faire du Mid-West, un nom de famille typiquement irlandais, un accent américain sans douceur, un franc-parler qui est à la fois poli mais aussi terriblement autoritaire, une manière d’être habillée comme un sac, des blagues toutes faites, et finalement, même dans les petites choses une manière de comprendre le monde seulement au travers d’un prisme terriblement autocentré. Côté Français, lors du nécessaire tour de table se produit un très remarquable ré-échantillonnage hiérarchique, non plus en fonction des postes que les unes et les autres occupent, mais désormais en fonction de la fluidité de l’anglais des unes et des autres, ce qui me fait instantanément monter en grade. Et du coup c’est une très curieuse réunion, en anglais devant un public qui ne comprend pas tout, avec une hiérarchie des intervenants entièrement remaniée, c’est par ailleurs une femme qui est à la tête de cette réunion, Shirley, en fait pas Shirley, mais, Toni, une femme qui lui ressemble beaucoup, qui ressemble même à la Shirley d’aujourd’hui, telle que je l’imagine sans l’avoir revue depuis plus de vingt-cinq ans, et finalement je suis plus ou moins à la tête de cette réunion pour la partie française, et cela ne tombe pas très bien parce qu’en ce moment je ne suis pas du tout au meilleur de mes capacités, lesquelles sont entièrement captives de pensées que je nourris pour une femme merveilleuse au point d’en perdre toutes mes capacités au point d’avoir de véritables hallucinations au point de projeter sur le cadre pas franchement égrillard d’une salle de réunion des images de nudité certes fort plaisantes mais néanmoins pas du tout à propos.

    Et j’en viens même, je perds les pédales, là c’est évident, à singer les manières de certains dirigeants lors de réunion de ce type, par briser là, prétexter d’avoir une autre réunion concurrente, continuez sans moi les gars et n’oubliez pas de m’envoyer le compte-rendu, je vous répondrais avec mes remarques, pour me jeter sur mon téléphone de poche et envoyer quelques messages à la femme merveilleuse de toutes mes pensées en ce moment, avec une orthographe aussi rigoureuse que celle de jeunes gens qui s’entretiennent subrepticement de la progression de leurs sentiments en plein cours.

    Le soir quand je parcours les messages en question, en écoutant un vieux disque de jazz, in a sentimental mood de Duke Ellington avec John Coltrane, et que je constate l’heure d’envoi et de réception de ces messages que je qualifierais pudiquement d’adolescent, lesquels horaires coïncident parfaitement avec les trois heures de cette réunion fleuve, en anglais, avec Shirley qui nous vient tout droit des Etats-Unis d’Amérique, envoyée par Maman, je m’interroge salement sur d’une part mon irresponsabilité, la toxicité de mes sentiments pour le moins volatiles et, finalement, les véritables enjeux de mon travail alimentaire, mon day job comme disent Shirley et ses semblables.

    Et j’éclate de rire tout seul dans mon canapé en me demandant quelle impression je ferai au jeune homme que j’ai été, à Cynthia, Shirley et Kevin et eux-mêmes aujourd’hui qu’ont-ils fait de leurs talents ? À quelle réunion de travail ont-ils participé aujourd’hui et se souviennent-ils de nos dîners entre amis, de nos bières au Czar bar ou au Gold Star , de nos parties de billard, des chantiers sur lesquels je donnais la main à Kevin ou encore à Glenn, sur lesquels j’aurais pu mourir cent fois en tombant d’échafaudages à la fois branlants et étroits, des soirées dans le sous-sol de la maison construite par Glenn, de nos interprétations très avinées de standards de rocks ou encore de nos parties de softball sur la grande étendue de pelouse de Wicker Park. C’était au millénaire précédent. Vraiment.

    #qui_ca

  • J – 55: Une amie m’offre un recueil de poèmes de Charles Reznikoff, poète américain dont j’ignorais tout et qui, pour ce qui se trouve dans ce recueil, a collecté de nombreuses minutes de toutes sortes de petits procès, et opérant de très savants collages a écrit des poèmes remarquables à la fois de musicalité mais aussi de peinture d’un réel à la fois sombre et de petites choses.

    Désolé de ne pas être traducteur, un métier, un métier que je ne pourrais jamais exercer, pas plus, finalement que celui de berger de chèvres en Ardèche, même limites évidentes de manque de compétence, aussi le poème qui suit est dans sa langue maternelle. Et un livre de poèmes que je puisse poser en cavalier sur ma table de chevet, finalement c’est un peu ce qui manquait à mon bonheur ces derniers temps. Une lecture du soir et des violettes.

    II
    DOMESTIC SCENES
    Adams and his wife, Hester, and their three small children
    were living on a farm about a mile from the James River.
    Abingdon was the renter of the farm;
    but he was a trapper—
    had a number of traps along both sides of the river—
    and had hired Adams and Casper Dill
    to do the farm work for a share of the crops.
    Abingdon was unmarried and lived in a room of the house
    where Adams and his wife lived;
    Dill lived with his old crippled mother—
    who could not get about—
    in a small house nearby.
    One evening, Abingdon said he was planning a trip across the river
    to “take” a bee tree.
    They were in the house of Mrs. Dill,
    the four of them, Abingdon, Adams, and the Dills;
    Adams was unwilling to go with Abingdon
    unless young Dill went along.
    Both Adams and Dill said they could not swim—
    everybody in the neighborhood knew that—
    and Dill said he did not like water more than knee-deep,
    and Adams nodded agreement.
    Dill added he would rather plow than go,
    but his mother said that since Mr. Abingdon was anxious for him to
    come he had better do so.
    The three men started in the morning
    with everything needed: two large buckets for the honey,
    two axes and a hatchet,
    and a piece of netting to protect them from the bees.
    The boat did not belong to Abingdon
    but he had a key to unlock the boat from its fastening
    to the bank. It was a small boat,
    about ten feet long and two and a half feet wide;
    Abingdon sat in the rear
    with his face to the front; and Adams and Dill sat in front of him,
    their faces also to the front and their backs to Abingdon.
    They landed on the other side of the river
    and went to the bee tree;
    but when they reached it, Abingdon, so he said,
    decided not to cut it down
    because it was a large tree
    and the hole small,
    and the tree might not have any honey in it, after all.
    On the way back, about fifty yards from the shore,
    the boat suddenly filled with water,
    and both Adams and young Dill were drowned.
    When the boat was gotten out of the water,
    three holes, freshly bored, each about an inch and a half in width, were found under the seat where Abingdon had been sitting; and fresh shavings, suiting the size of the holes and of the same
    wood the boat was made of, had been thrown into the water where the boat had been fastened but the shavings had drifted ashore.
    Here, too, were found corncobs cut to fit the holes in the boat. The morning after the drownings, when they came to arrest
    Abingdon, he was found in Hester Adams’ room—and bed.

    #qui_ca

  • J – 56

    J. Episode N°16

    Non, personne n’avait le droit de toucher au corps de Grand-Mère, c’était d’ailleurs suffisamment connu dans le milieu des techniciens des salles de spectacle, accueillant ce qu’il y avait de plus radical dans le répertoire contemporain, pour qu’aucun n’ait jamais le culot de déplacer, même un peu, Grand-Mère, ne serait-ce que pour faire passer un câble sous la moquette rase déjà mentionnée, pour brancher qui, un bain de pied, qui, un microphone ou qui encore, quelques instruments électriques, des ondes Martenot, ou électroniques, une console MIDI hirsute de sa vingtaines de jacks, dont l’usage était requis sur certaines pièces plus contemporaines que d’autres, et je n’ose imaginer ce que Jessica avait dû produire de réaction violente et à peine contrôlée si un technicien, nouveau dans le métier, avait commis, même avec soin, le sacrilège, à savoir déplacer, même, un peu, un instrument garé au mauvais endroit, pour que tous dans le métier le sachent aussi tacitement, on ne touchait pas à la Grand-Mère de Jessica. D’ailleurs c’était un tabou absolu, quelque chose qui était su sans en connaître les raisons, dont je me demande cependant si je n’avais pas fini par en découvrir l’épisode originaire, par le plus grand des hasards, des années plus tard, tandis que j’avais eu l’occasion à ne pas rater d’assister à une répétition générale du Château de Barbe bleue de Béla Bartók interprété par l’Orchestre de Paris sous l’absence de baguette de Pierre Boulez, immense cadeau s’il en est que m’avait fait une amie violoniste que de pouvoir assister à cette répétition générale, ce filage impeccable, seul dans l’immense théâtre musical de la ville de Paris — à cette occasion je pouvais même dire que Jessye Norman avait chanté, en hongrois, qu’est-ce qu’on croit, pour moi seul —, sans compter ce coup de génie de Boulez qui avait perché tous les cuivres au quatrième balcon du théâtre musical de la Ville de Paris, théâtre à l’italienne, cuivres qui n’avaient qu’une toute petite partie à jouer, mais quelle ! celle de la scène finale quand Judith, interprétée donc par Jessye Norman, découvre les caves de Barbe bleue et les cellules contenant les restes de ses anciennes épouses, Barbe bleue n’aimant qu’une seule et dévorante fois, et de comprendre que son tour arrivait, c’est alors tout un enfer, un tonnerre de cuivres, qui tombe sur Judith, et j’avais été tétanisé, seul dans le grand théâtre à l’italienne, de sentir cette apocalypse me tomber dessus, par derrière, en quelque sorte, et de fort haut, à la pause duquel filage, me remettant avec peine de cette surprise fort théâtrale, j’avais rejoint mon amie pour l’inviter dans une cantine japonaise voisine, la retrouvant derrière les cintres où les musiciens rangeaient leurs instruments, le temps de la pause, dans des coffres, sous clefs et sous bonne garde, prévus à cet effet, coffres qui étaient par ailleurs ceux-là même qui servaient à l’orchestre lorsque ce dernier partait en tournée, et c’était alors sur les tarmacs des aéroports du monde entier d’étranges cortèges de grandes boîtes noires aux coins argentés et rembourrés, et qui contenaient le poids en fait ridicule — pour des coffres d’une telle dimension — de quelques violons, altos, violoncelles, bassons à palettes, trombones à coulisses, flutes à bec, clarinettes basses, triangles, célesta, sous bascophones et donc contrebasses, cortège qui croisait parfois celui, non moins curieux, du transport de chevaux pur sangs aux noms auréolés de gloire — de telles choses se produisent vraiment en bout de piste, vie grouillante, dont on ignore tout, aux pieds des grands avions, j’en savais quelque chose pour avoir été bagagiste, un petit boulot d’été, ses horaires de nuit, j’avais même appris la signalétique des raquettes au parking, drôle d’impression d’ailleurs que celle de l’obéissance d’un gigantesque Boeing 747, manière de brontosaure des airs, et qui venait se figer pile poil aux pieds du minuscule racketman, dresseur de diplodocus volant —, mais aussi d’animaux sauvages fraîchement capturés et emprisonnés, et dont le reste de l’existence allait connaître des limites immédiates des cages dans des zoos occidentaux, le pur-sang qui venait de gagner je ne sais quelle course qui croisait le dernier tigre de Tasmanie, tandis que le coffre contenant tous les accessoires de percussions, triangles compris, de l’orchestre de Paris, versait lamentablement sur le tarmac — les conducteurs des petits trains de bagages aimaient intéresser leurs courses par de menus paris, il y avait une telle disproportion entre la taille des coffres et le poids plume de la plupart des instruments, que cela trompait souvent les conducteurs de trains de bagages qui viraient trop sec, versant la marchandise, pas la moins précieuse qu’ils transportaient pourtant, des Stradivarius peut-être pas, mais des Vuillaume, au moins un —, le pur-sang apeuré par une telle cacophonie, déjà pas fondamentalement tranquille d’avoir fait la connaissance, il y avait peu, on restait, de part et d’autre, sur son quant à soi, du dernier tigre de Tasmanie, finissait par échapper aux bagagistes, lesquels ne savaient plus trop où donner de la tête entre pourchasser une bestiole mondialement connue pour sa rapidité et qui prenait la direction de la piste en sens inverse d’un long-courrier arrivant de l’autre bout du monde, son commandant de bord ayant cependant, après douze heures de vol, la présence d’esprit et le sang-froid de remettre les gaz, ce qui ne se faisait pas sans bruit, imaginez un peu, quatre réacteurs Pratt and Whitney à pleine puissance, tous les volets ouverts, le dernier tigre de Tasmanie, bien que légèrement sous sédatif, une dose de cheval tout de même, feulant à tout va tandis que c’était désormais le coffre contenant le célesta qui chutât, et tenter de remettre de l’ordre dans toute cette précieuse argenterie, les cuivres n’étaient pas en reste dans ce concert bruitiste improvisé, régnait sur le tarmac un désordre indescriptible, qui pourtant serait consigné dans le cahier de consignes de la tour de contrôle dans le moindre détail parfaitement horodaté, me plaisant à imaginer un pareil capharnaüm en bout de piste, oui je m’égare un peu, des fois je vais trop loin, mais comme j’aurais aimé être le bruiteur d’une telle scène en utilisant le cahier des consignes de la tour de contrôle comme conducteur, n’avait-on pas là une partition parfaite et l’orchestre pour la jouer ? le tout sur fond du tableau final de Barbe bleue de Béla Bartók —, je dois reconnaître que j’ai une certaine prédilection pour le désordre et les scènes de banquet où le pâtissier, apportant la pièce montée, se prend invariablement les pieds dans le tapis — d’ailleurs je crois que dans toute l’histoire du cinéma je ne connais qu’une seule scène de ce genre où la pièce montée arrive sans encombre à la table des convives, Dans la nuit de Charles Vanel, mais alors ne me lancez pas sur ce film génial — d’humeur décidément facétieuse, j’avais fait mine de proposer à mon amie violoniste que nous intervertissions les instruments des coffres encore ouverts et dont les musiciens retenaient que c’était là qu’ils avaient garé leurs montures, pour certains violons de vrais pur-sang, j’avais aperçu un Vuillaume de splendide facture, mais au vernis un peu brillant, dans le logement 4 du coffre C, mon amie violoniste avait souri m’expliquant que j’étais mûr pour travailler dans un orchestre et que longtemps cela avait été une blague pendable, bien qu’un peu éculée et éventée, dans les orchestres, mais que c’était là une tradition, un aimable bizutage, qui était désormais interdit, suite à l’épisode orageux qui avait eu lieu, il y avait une trentaine d’années, lorsqu’une contrebassiste remplaçante était rentrée dans une telle furie, une vraie crise de nerfs ayant nécessité une hospitalisation d’urgence, en ne retrouvant pas sa Grand-Mère sur un quai de gare en province lors d’une tournée, c’était d’ailleurs le soir-même de ce filage de Barbe bleue , reconnaissant sans mal Jessica sous les traits de cette contrebassiste pigiste en crise, de retour dans mon garage-atelier, que j’avais eu cette idée de tenter de retrouver des traces de Jessica sur internet et combien cette recherche avait été aussi peu fructueuse et satisfaisante que le souvenir laissé par notre relation d’une amitié qui s’était délitée. N’obtenant aucun résultat de prime abord, j’avais éteint rapidement, d’autant que le lendemain matin de très bonne heure je devais prendre le train pour un déplacement professionnel à Laon.

    #qui_ca

  • J – 57

    J. Episode N°15

    Comme on le comprend, sans le savoir, mais tout en le comprenant, j’ai connu Jessica avant qu’internet n’existe, ce serait beaucoup dire, mais avant qu’il ne se généralise, avant même qu’il soit snob de dire un peu fort dans la rue, je t’envoie un émail, mais déjà alors elle s’en moquait bien, je voyais bien qu’elle m’écoutait moins quand je mentionnais des articles du Monde Diplomatique évoquant les fameuses autoroutes de l’information, sujet que je jugeais passionnant, pensant, en 1993, que ces articles décrivaient un monde que nous rejoindrions dans une vingtaine d’années, plutôt que quand je lui parlais de Maurice Blanchot, je me faisais la réflexion que Jessica goûtait peu la science-fiction au contraire des grands auteurs à l’abstraction poétique qui vous égarent dès la première page, mais où exactement dans la première page, vous ne sauriez dire, en fait ce que je ne comprenais pas c’est que dans ce désintérêt, ne serait-ce que pour la politique, il fallait surtout comprendre un intérêt dévorant et monomaniaque pour la contrebasse. Si quoi que ce soit pouvait être rapporté, d’une façon ou d’une autre à ce sujet centripète, alors ce quoi que ce soit était digne d’intérêt, cela passait donc par la poésie, la littérature, l’abstraction, le yoga même, la diététique, autant de domaines dans lesquels elle pouvait se lancer à corps perdu parce qu’elle était capable de les traduire en contrebasse, en quelque chose qui aurait quelque chose à voir avec la contrebasse, la poésie, la littérature, l’abstraction, oui, on voyait bien, le yoga, on pouvait toujours imaginer que ce fût une pratique qui ne serait pas complètement inutile à la joueuse de contrebasse, mais la diététique ? eh bien la diététique avait à voir avec la contrebasse parce que Jessica puisait dans de telles connaissances, notamment dans ce qu’elles étaient relatives à la digestion, des connexions avec, par exemple, les vibrations qu’elle recevait de son instrument, dans le ventre justement, quand elle en jouait, en revanche j’aurais eu toutes les peines du monde à lui faire admettre que la politique avait quelque chose éventuellement à voir avec le fait d’être musicienne, artiste, pensez les autoroutes de l’information, internet, tout ça, monde technique, monde informatique, binaire, un peu trop binaire pour une contrebassiste et pas n’importe quelle contrebassiste, Jessica Marchant, qui si elle n’était pas encore tout à fait la Jessica Marchant dont le nom est sur toutes les lèvres des architectes quinquagénaires de Vancouver à Montreuil, en passant par Hobart, n’en était pas moins déjà une fichue instrumentiste, avec un goût et un courage hors du commun pour tout ce qui relevait de l’expérimental, elle irait loin, un lointain qui n’inclurait pas nécessairement les grandes salles de concert, théâtres des pince-fesses de par le monde, mais un lointain adventice, c’était l’évidence.

    Mais c’était quand même dommage que cela reste cantonné aux architectes quinquagénaires déjà mentionnés, bientôt grands-pères de leur propre enfant.

    En fait Jessica n’avait qu’une seule passion, une seule idée en tête, un seul amour, la contrebasse. La chose, dite comme ça, paraît un peu galvaudée, mais c’était rigoureusement vrai. Il n’y avait qu’à voir le fétichisme que Jessica nourrissait, ou au contraire sa grande négligence, pour Grand-Mère, l’entourant de soins maniaques et d’une sensualité troublante, comme de passer une sorte de soie d’une grand finesse sur le corps gigantesque de Grand-Mère, un chamois aurait été jugé trop rude, et au contraire, dans le jeu — mais parfois aussi dans des moments de frustration, notamment de la pratique, des gammes, des exercices, bref le quotidien d’une relation d’une musicienne avec son instrument — Grand-Mère était alors violentée de toutes sortes de façons, notamment pour ce répertoire restreint mais dont Jessica s’était fait une spécialité, et à mon avis pas par hasard, celui de la contrebasse préparée et alors c’était toutes sortes d’objets, certains fort contondants, qui affublaient Grand-Mère bien incapable de se défendre de pratiques qui n’étaient certainement pas de son âge, quant à la violence parfois de certains gestes de Jessica, on se demandait ce que Jessica pourrait ensuite raconter comme bobards à celui qu’elle appelait le vétérinaire, son luthier, pour excuser de tels accrocs, de tels dérèglements et de positions coupables du chevalet sur l’âme, la grande âme de cette grande dame, un ou deux degrés d’écart, d’accord, on pouvait le concevoir, mais une fois un angle de trente degrés tout de même, ça dépassait très largement ce que l’on appelle les bonnes pratiques, mais le luthier, un Iranien neurasthénique, était débonnaire, ne faisait aucun reproche à Jessica qui, elle, le tenait en respect par d’habituels reproches sur la mauvaise santé de ses plantes vertes, à la fois nombreuses, grasses et presque toutes mourantes, reproches d’autant plus pervers de la part de Jessica, qu’elle n’ignorait pas, elle me l’avait dit, mezza voce — je ne résiste pas, désolé, je ne le referai plus —, lors d’une des visites chez le luthier, visite pour lesquelles j’étais souvent réquisitionné pour ce qui était d’installer Grand-Mère sur le siège arrière de ma voiture et l’emmener se faire soigner par le luthier perse dépressif, que toutes ses plantes vertes étaient ce qui lui restait d’une femme qui l’avait quitté, et dont, finalement, la faible santé des plantes en question, était le baromètre parfait de cette dépression carabinée du luthier dont il aurait fallu prendre les plantes vertes en charge tout aussi urgemment qu’il aurait fallu le prendre lui en charge, et il n’était même pas impossible que les soins à l’un auraient pu sauver les autres et inversement. Le vétérinaire perse était bien le seul qui avait le droit de toucher Grand-Mère, je jouissais du privilège remarquable d’avoir le droit de la porter dans son étui, mais les soins que ce dernier lui prodiguait relevaient surtout de la médecine, voire de la chirurgie, et combien de violoncelles ai-je vus dans cet atelier, le ventre ouvert et que, sans le savoir, quelques semaines plus tard, je revoyais et écoutais Salle Pleyel, où j’avais mes entrées par le truchement de relations d’amitié que Jessica entretenait avec une amie violoniste, à peine moins dépressive que le vétérinaire, mais qui, elle, s’adressait à un luthier tout à fait bonhomme et jovial, et dont je ne serais pas étonné d’apprendre, même vingt ans plus tard, que Jessica attisait l’espoir que cette violoniste dépressive, et déprimante, et moi puissions nous unir, et débarrasser par-là Jessica de ce qu’elle devait quand même bien sentir de ma part comme une attirance physique, sexuelle, peut-être même libidineuse et dont elle ne savait que faire, quelques semaines plus tard donc, parfaitement remis et sur pied les violoncelles, et dont je me serais volontiers plu à croire que certains de ces instruments portaient en eux un peu de la mélancolie du luthier ormuzien, tout particulièrement bienvenue dans les mouvements lents, surtout les russes. Jessica ne faisant cependant pas trop la maline quand elle allait chez le luthier et quand ce dernier relevait Grand-Mère pour la tendre à Jessica, cette dernière n’aurait pas essayé sa contrebasse en faisant résonner les premières mesures d’une pièce de Georges Asperghis qu’elle travaillait justement en ce moment, mais bien plutôt elle entonnait le fameux solo de l’Hymne à la joie de Beethoven, une vraie première de la classe dont je ne dirais pas qu’elle trompait son monde, mais entretenait avec ce luthier une relation dont le mensonge, l’absence de franchise et une certaine forme de perversion n’étaient pas tous étrangers, dans des dosages et des concentrations très différents de ceux qui étaient imprimés dans nos rapports de cette amitié qui m’aura laissé frustré, puis interdit et ensuite révolté, et de nouveau, en face de mon écran d’ordinateur relié au réseau, dans un état d’interdiction qui me dégoûtait, tant ce dernier me reliait à un moi, dont je ne pouvais ignorer qu’il ne fut pas très différent de mon moi d’aujourd’hui, donc vraiment moi.

    #qui_ca

  • J – 58

    J. Episode N°14

    J’y vois presque un désintérêt de l’Autre. Avec un grand A. Je m’explique. Soit on sait qui est Jessica Marchant, on l’a déjà écoutée en concert ou même sur un disque du répertoire contemporain, en formation suffisamment réduite pour remarquer quand même qu’en arrière-plan ce n’est pas exactement une manchote qui pelote la grand-mère, et alors on peut faire des kilomètres pour aller voir et écouter cette femme de taille moyenne, aux cheveux mi-longs, aux yeux noisettes, jouer comme personne, cum arco ou pizzicato — notez comme je vous gâte avec ces doublements de z italiques en Garamond ! — de cet instrument gigantesque, soit on ne sait rien de tout cela, on peut tout ignorer de la contrebasse ou même du répertoire contemporain, de ses plus grands compositeurs, et alors on ne risque pas de tomber sur je ne sais quel lien vers je ne sais quelle page de site internet avec quelques ressources à propos de Jessica, de son jeu, de sa discographie et des salles de concert qu’elle fréquente assidument, lieux improbables pour les profanes, mais dans lesquelles on croise toujours les mêmes quinquagénaires un peu bedonnants, trop jeunes pour avoir eu l’occasion d’écouter Cecil Taylor avec l’Art Ensemble of Chicago, mais déjà trop vieux pour subir sans protester les murailles de son d’un Stephen O’Malley, beaucoup d’hommes, quinquagénaires donc, nettement moins de femmes, mais alors avec des allures un peu caricaturales de Carla Bley, l’organiste — Carla is composing and she thinks she is Beethoven — bref de psychanalystes en goguette, allez n’importe quel soir aux Instants Chavirés à Montreuil, en sortant des bureaux de plus en plus nombreux autour du désordre sympathique de cette salle alternative, mais serait-ce à Vancouver, en Colombie britannique, ou même Hobart en Tasmanie, que Jessica aurait choisi d’aller promener sa Grand-Mère, ce serait dans les mêmes salles exiguës à la sonorisation parfois aléatoire, et devant le même parterre de quinquagénaires mâles avec des allures d’architectes déjà empâtés par l’âge, au bras desquels on trouverait invariablement des jeunes femmes, plus jeunes d’au moins quinze ans, parfois même enceintes, et du coup Stephen O’Malley ou Otomo Yoshihide et leur infernal volume sont-ce de si bonnes idées que cela ? ces hommes feignent-ils d’ignorer que leurs corps n’ont plus vingt-cinq ans, que les hommes c’est comme les poires ça commence à pourrir par la queue, et qu’ils auront 65 ans quand cette nouvelle progéniture — nul doute qu’une autre jeune femme, plus très jeune, s’occupe des premiers chapitres de la progéniture de ce sémillant architecte quinquagénaire — entrera dans les belles turbulences de l’adolescence, je ne vous fais pas un dessin, vous voyez très bien la salle de concert, les quinquagénaires aux allures d’intellectuels en question, lunette en écaille pour signifier qu’on a beaucoup lu, et tout cela, quelque chose me dit que Jessica s’en moque éperdument, elle se moque comme d’une guigne de la moquette usée jusqu’à la corde dans laquelle elle plante Mère-Grand par la pointe et lui inflige toutes sortes de traitements, pas tous très corrects, pourtant tous prescrits par des partitions dont le déchiffrement n’est pas donné à l’homme de la rue, même quinquagénaire, même architecte, même intellectuel, faisant appel à de lointaines leçons de musique du temps où les enseignants de musique ne bradaient pas nécessairement Pierre Boulez pour je ne sais quel chanteur de variétés françaises, elle se moque comme de son premier sous-tif, son expression, pas la mienne, j’adorais cette expression de Jessica, que le public soit là, qu’il soit composé de quinquagénaires architectes ou pas, avec à leur bras leur dernière jeunette, ou pas, elle se moque même bien de savoir combien ce soir-là sera payé, et même s’il sera payé, ce n’est certainement pas à ses coupons d’intermittence qu’elle pense quand elle monte sur scène, relève Grand-Mère de sa position couchée sur le côté, plante la pointe dans le bout de moquette rase qu’elle a demandé, accorde en un clin d’œil les quatre cordes épaisses et légèrement tendues, Jessica elle serait du genre à jouer légèrement détendu, hypotendu, non que son style de jeu manque de nerf, mais parce que détendues, légèrement, d’un huitième de ton, de toute façon à la contrebasse personne ne fait la différence et elle corrige au manche par des doigtés autrement fautifs, elle peut aller chercher des effets sourds, plus longs, qui ne manquent pas de tenailler l’auditoire assez directement au ventre, pose son ventre, petit, mais ventre, contre les flancs de Grand-Mère et commence rapidement à lui faire subir les derniers outrages, Jessica est alors possédée, ses cuisses enserrant Grand-Mère, peloter Grand-Mère, oui, peut-être, Jessica pratique plutôt le corps-à-corps, la position de Jessica autour de sa contrebasse est aussi peu orthodoxe que la position de départ au service de John Mac Enroe, c’est comme si la contrebasse tenait en équilibre serrée entre ses deux cuisses, on a dû lui dire que ce n’était pas comme ça qu’on fait, pensez si elle a écouté, pensez si Mac Enroe a écouté son professeur de tennis, et vous imaginez bien que l’écoutant en concert, la photographiant dans de tels états, j’avais parfois le sentiment de la violer, violant Grand-Mère. Et donc vous pensez que dans de pareilles conditions s’emmerder, Jessica parle et jure comme un charretier, un charretier polonais précise-t-elle eu égard à ses origines de l’Est, à tenir à jour je ne sais quelle présence sur internet, oui pensez comme elle s’en moque. Comme du public, de son premier sous tif, de la moquette rase, des architectes quinquagénaires dans le public. De tout. Autrui.

    Elle joue. Point.

    #qui_ca

  • J – 59 :

    J. Épisode N°13

    Non, c’est bien ce que je pensais, Jessica s’en était toujours tout à fait moqué de moi. Comme du reste du monde d’ailleurs. Elle aurait pu se dire, tiens qu’est-ce que Phil devient, se serait connectée sur internet, De Jonckheere comment ça s’écrit déjà ? et ni une ni deux serait tombée sur mon site internet, Désordre , desordre.net, elle aurait pu prendre la mesure d’une grande partie de mon existence depuis que nous nous étions vus pour la dernière fois, occasion dont d’ailleurs je ne parviens pas du tout à me souvenir, et après quelques furetages dans cet univers qui ne ment pas, un vrai foutoir, elle aurait fini par tomber sur mon adresse de mèl, pdjarotrucdesordre.net et elle m’aurait envoyé un mèl, nous aurions repris contact, nous aurions un peu échangé, d’abord par mèl, puis par téléphone, pour comprendre qu’en fait elle vivait désormais en Belgique, mais qu’elle venait souvent à Paris et est-ce qu’on ne devrait pas essayer de se voir, ah toi aussi de temps en temps tu viens à Brussels, nous nous serions vus, un soir, dans un restaurant dans lequel j’aurais commandé un waterzooï — Ah le z italique en Garamond, quelle merveille de lettre ! que n’étions-nous en Italie pour commander des pizza — qui n’avait pas la saveur de celui que j’avais dégusté il y a quelques années à Gent, elle aurait à peine mangé, mais pas mal bu, nous nous serions ennuyé ferme l’un et l’autre, non pas d’ailleurs que nous n’ayons plus rien en partage, c’était tout le contraire, elle m’aurait même apporté son dernier disque, sur lequel elle jouait, avec une belge formation de musique contemporaine, notamment des œuvres de Christian Wolff, ces derniers temps elle avait relu tout Barthes auquel elle prêtait une dimension littéraire bien plus que philosophique, bref, encore une fois je pense que nous aurions pu très bien nous entendre dans cette sorte d’après que j’ai déjà décrit, piochant sur nos tables de nuit respectives, l’un son Beckett, et les soirs de moindre forme son Chevillard, quand elle, toujours aucune concession, la poésie de Celan ou rien, mais voilà il n’aurait fait aucune doute que nous aurions été tout aussi mal assortis que précédemment pour cet avant-poésie tant convoité par moi et dont il aurait été manifeste que Jessica l’aurait encore moins envisagé qu’avant, il n’y avait eu qu’à constater l’expression de son visage considérant qu’en vingt ans je n’avais pas maigri. Elle si, un peu, du visage surtout, peut-être même, du souvenir que j’en avais, du reste de son corps, souvenir très indirect et très imprécis, si je l’avais également vue dans un maillot de bain une pièce se baigner dans un affluent direct du Rhône, je l’avais également vue nue, mais par le truchement ô combien indirect de deux vues contiguës sur une planche-contact d’un de ses anciens amants, photographe, deux minuscules vues très sombres, à peine nettes, à contre-jour, un contre-jour maladroit, pas débouché, je ne dis pas cela pour le collègue, et qui n’aurait évidemment pas repu ma soif d’une telle image, ne serait-ce qu’une image. D’ailleurs j’avais également remué de fond en comble le site internet de ce photographe, non que j’espérais y trouver les fameuses deux photographies de Jessica nue, mais d’autres images de Jessica, et que n’avais-je dû traverser de galeries de photographies ennuyeuses et prétentieuses, accompagnées de textes ringards à propos de la photographie, notamment l’un intitulé À l’ombre des photons qui valait son poids d’hyposulfite, sur le site internet de cet ancien amant photographe, et quel ! Mais Jessica n’aurait pas fait cette démarche.

    Et elle n’aurait pas fait cette démarche inverse non plus, celle qui aurait consisté à bâtir une manière de site internet, et si une telle construction aurait été trop à attendre d’elle, ne serait-ce qu’un petit empilement de billets courts à vocation informative, je crois que l’on appelle cela un blog, ou je ne sais quelle autre présence, même infime, la participation à un réseau social, pas nécessairement une de ces grandes plateformes, sur lesquelles chacun s’évertue à gratter le dos de son prochain en espérant en retour que ce dernier rendra la pareille, non, un groupe de discussion, un forum de musiciens contemporains que sais-je ? un flyer électronique envoyé à une liste de contact pour signaler ses concerts ou ses disques, et dont on retrouverait la trace dans cette arrière chambre de la mémoire des moteurs de recherche, mais non, rien de rien, vous pouvez vérifier par vous-même. « Jessica Marchant » + entrée rapporte très peu d’occurrences exactes et aucune derrière laquelle le visiteur pourrait sentir comme l’expression de sa volonté d’y être, des mentions sur les versos de pochettes de disque, rien de plus. A ce niveau, c’est presque de l’art. Un art de la fugue.

    #qui_ca

  • J-54 : Des fois il y a des soirs de moindre forme, je descends dans le garage mais je suis vite découragé par la moindre tâche à entreprendre. Je tente de raccommoder un ou deux petits accrocs que j’ai découverts dans les enchâssements récents du Désordre , rien de bien grand, je tente de m’astreindre à une petite heure de travail, au moins une petite heure, pour pouvoir me dire plus tard, je ne sais pas pourquoi j’ai besoin d’une telle réassurance, que pas un jour où je n’aurais passé ne serait-ce qu’une petite heure à travailler au Désordre , mais des fois c’est au-dessus de mes forces vraiment et alors je monte de bonne heure, soit j’écoute un disque et ces derniers temps j’en ai de nombreux à découvrir glanés à la sortie des nombreux concerts de février, Février 17 restera longtemps dans ma mémoire, un mois musical, ou encore un livre, en ce moment donc le recueil de Charles Reznikoff, resté posé en cavalier à côté de mon lit depuis hier soir, ou encore, cela arrive aussi je reste dans le garage et je me passe un film, plus ou moins crayon en main, appareil-photo pas loin, des fois que je tombe sur une scène d’un film en version originale sous-titrée et dans lequel un personnage demande à un autre, à quoi tu penses ? — et cela fait quelques temps que je me dis que je ne devrais sans doute pas m’encombrer de ne relever que de tels passages et au contraire en amasser de nombreux autres et d’inscrire moi-même cette drôle de phrase, celle déclencheuse de mes pensées quand je passais devant la centrale nucléaire de Neuvy-sur-Loire en train, ou encore qui figure au début de Rien d’Emmanuel Venet, ce soir je me laisse tenter par My Sweet Pepper land de Hiner Saleem manqué au cinéma quand il est sorti et je suis bien content de mon choix ce soir. Quel dommage de l’avoir manqué au cinéma. Et combien je goûte, seul, dans mon garage, de regarder cette admirable satyre de la bêtise des hommes machistes et qui se font sans cesse raffutés soit par la remarquable ténacité de cet ancien résistant kurde, soit littéralement décimés par une faction de résistantes kurdes venues venger l’assassinat de l’une d’elles ce qui a pour conséquence heureuse de libérer une autre femme qui peut enfin à la fois enseigner dans l’école et aimer cet homme qui jamais ne l’a harcelée. Et comme il est remarquable dans ce film que la solution à une intrigue, qui portait peu d’espoir dans ses mécanismes, vienne effectivement d’un soulèvement collectif et d’un soulèvement de femmes contre la lâcheté de ces hommes, groupe de femmes dont l’intrigue ne faisait rien pour attirer l’attention sur elles, nous fourvoyant dans cette inattention qui nous met finalement à la place des très sales types pour lesquels ces femmes comptaient pour du beurre. Et rien n’est aussi efficace, si on y est attentif, qu’un effet de personnalisation, d’identification.

    Quelles sont toutes les circonstances dans lesquelles on a pareillement et gentiment rangé les femmes dans le camp des victimes sans défense ? Examen de conscience extrêmement urgent, il me semble. En soi ce film qui s’emploie à reprendre à son compte les codes mêmes du western, aussi bien dans la narration que dans ses objectifs de moralité, et ne fait pas que les déplacer en les implantant dans les contrées kurdes, c’est un western qui nous livre une morale admirablement féministe, la translation du genre western est donc complète.

    Quant aux sourires de Golshifteh Farahani et cette façon dont tous les traits de son si beau visage sont irradiés par ce sourire qui en devient extatique.

    #qui_ca

  • J – 60 : Le désordre dans le garage s’augmente parfois paradoxalement du désordre dans mon ordinateur. Je tente d’y remettre un peu de raison. Et je tombe par exemple sur le scan de ce dessin que j’avais fait pour le camarade @archiloque pour une page un peu curieuse du Désordre , l’Algorithme de la faim (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/bouquets/011.htm), un récit de science-fiction, pourtant pas mon genre, encore que je songe, de plus en plus, à écrire la Passagère , d’après Passengers — vous devinez sans mal que l’idée serait de reprendre ce film qui n’est fait ni à faire et prendre comme point de départ que ce soit une femme et non un homme qui soit accidentellement réveillée — et en même temps, dans une répertoire voisin je tombe sur des schémas que j’avais brouillonnés pour une demande de Barbara Crane (http://barbaracrane.desordre.net) qui souhaitait que je fasse une sorte de mini site à l’intérieur de son site et qui mette en avant un certaine nombre de ses si nombreux travaux. Les deux pensées se télescopent et je souris à l’idée de faire plus ou moins la même chose avec le Désordre , non pas nécessairement une compilation de ses réalisations les plus saillantes, non, plutôt le contraire, une ballade au travers de quelques pages oubliées, même par moi, et pour cela il me suffit de reprendre les pages d’archives de la nouveauté (sic). Et au passage, dans cet inventaire, si je vois des éléments qui pourraient être améliorés, je ne me gêne pas.

    Misfortune de mon ami Greg Ligman.
    Solo et 100 raisons de l’Ami des blés.
    Les Vœux de Georges Perec. Passez vite votre chemin si vous êtes allergique aux calembours.
    Mail Pornography (et je donnerai cher pour savoir où j’ai bien pu ranger les originaux — quelque part dans le garage n’en doutons pas).
    20030422.txt (sur le mode de l’Adam Project de Timothy Rolin
    Les jeux de Memory (première collaboration avec Julien — @archiloque)
    Les deux chroniques de deux concerts de l’ensemble du Ryôan-Ji
    Libre comme le plomb de Jacky Chriqui
    Finalement une nouvelle écrite sous vos yeux. Ce qui quelques années plus tard devient simplement une nouvelle, pas sûr d’ailleurs que quiconque l’ai vue écrite sous ses yeux. C’est l’intention qui compte.
    Le Wiki du Désordre et je devrais sans doute essayer de reprendre ce truc, c’était assez marrant à faire, en plus c’était un truc que je pouvais faire depuis n’importe où, par exemple depuis le travail.
    Ma modeste contribution de graphiste au projet des professeurs Harmuth et Sanders de l’Université de Carlisle dans l’Etat de New York
    La page de liens du Désordre. Sur une idée de Julien.
    L’Autoportrait en carrés (et le temps que j’ai pu y passer)
    Le plan du Désordre qui a longtemps servi de page d’accueil, je devrais peut-être l’inclure dans les possibilités de tirage au sort de la page actuelle.
    Je me souviens de Robert Heinecken , un hommage à mon maître. Un de mes maîtres. Comme j’étais triste d’apprendre sa mort.
    Trois girafes et deux limaces de Thomas Deschamps l’une des plus belles pages du Désordre n’est pas de moi.
    Quoi maintenant ?
    Surexposé.
    Le petit journal
    Formes d’une guerre , la partition visuelle.
    Pechakucha à la bibliothèque de Bagnolet
    Les Apnées
    La dernière debout , sur une idée jetée en l’air et reprise de volée par Julien
    L’Image enregitrée
    Les Fruits mûrs
    Considère la fin avec une musique de L.L. de Mars et C. de Trogoff
    Demain sera aujourd’hui même si tout s’arrête .
    Contre
    L’immuable en question
    Bataille avec Pierre Massaud
    Fracture d’âme avec Dominique Pifarély
    Le Quotidien (neuf années de photographies quotidiennes, cela fait 9X365 images que j’ai combinées de 365x364x363x362x361x360x359x358x357 manières différentes).
    Grille de lecture avec Daniel Van De Velde
    Carroussel
    Les Sillons , peut-être ce que je préfère dans tout le Désordre
    Les Images de l’accumulateur (avec L.L. de Mars)

    Tenez, je crois que je vais appeler cela le Tour du Désordre en 36 jours .

    http://www.desordre.net/labyrinthe/tour/index.htm

    #qui_ca

    • Cher Philippe de Jonckheere,

      Je me permets de vous contacter car dans le cadre de ma thèse (en littérature contemporaine - elle porte sur l’anarchie dans la création contemporaine ; vous pouvez voir différentes réflexions que j’ai menées sur ce site : https://uclouvain.academia.edu/CorentinLahouste) je travaille sur votre oeuvre (Désordre). Cela fait quelques mois que j’ai entamé une réflexion sur votre pratique artistique et, comme j’ai eu l’occasion de le faire avec les deux autres auteurs sur l’oeuvre desquels je travaille (Marcel Moreau et Yannick Haenel), je voulais savoir s’il était envisageable que l’on se rencontre afin que je puisse vous poser l’une ou l’autre question relative à Désordre et à votre travail artistique/littéraire.
      Rien ne presse quant à cette éventuelle rencontre (je suis de toute façon à Montréal jusque début juin), mais ça pourrait être vraiment super intéressant pour l’avancée de mes recherches que de pouvoir vous rencontrer et discuter avec vous.
      D’avance merci pour votre réponse,
      À bien vite j’espère !

      Corentin

  • J – 61 : Donc Une fuite en Egypte est chez les libraires. C’est mercredi matin dans le monde, et comme tous les mercredis matins après avoir pris mon petit déjeuner avec Nathan, qui n’était pas de très bon poil d’ailleurs, je me refais un café et je descends dans le garage, en me posant salement la question et maintenant qu’est-ce que je fais ?

    Et posant ma tasse de café, allumant Guy, mon ordinateur s’appelle Guy, je pense justement à mon père, mon père s’appelle Guy, aussi. Enfant j’ai été un très bon joueur de tennis, je n’ai jamais été classé comme on dit, mais nombreux les jeunes joueurs classés auxquels j’ai fait mordre la poussière. Mon style c’était je monte au filet quoi qu’il arrive. J’avais des réflexes de tigre et je jouais aussi beaucoup pour la beauté du geste. Naturellement comme pour tous les jeunes gens de ma génération, mes idoles s’appelaient Bjorn Borg et John McEnroe. Mon tempérament sur un court était plus que passable ce qui faisait dire à mon père qu’à défaut de pouvoir jouer comme McEnroe, je produisais des imitations très convaincantes de ses crises sur le court, mais ce n’était pas la seule des remarques que mon père me faisait à propos de tennis. Par ailleurs je ne brillais pas au lycée, j’étais un cancre fini. Néanmoins il arrivait sporadiquement qu’un cours m’intéresse, éveille en moi un peu d’intérêt et de courage pour l’étudier, c’était souvent accidentel, je me souviens par exemple que lors de ma première terminale j’avais eu 3 de moyenne toute l’année en sciences physiques et chimie, en dépit de deux très bonnes notes, un 17 pour un devoir de physique sur la trajectoire de boulets de canon que l’on tirait à des angles différents — je me demande à quel point je ne serais pas encore capable de faire ce devoir aujourd’hui, je me souviens par exemple de la démonstration qui veuille que pour atteindre la plus grande distance possible, à puissance de feu et masse du boulet égales, il faille tirer à un angle de 45 degrés d’avec l’horizontale, ce qui est ce que tout un chacun produit naturellement, non pas en tirant au canon, mais pour envoyer un projectile le plus loin possible —, et un autre à propos du complexe d’oxydo-réduction en chimie et de calculs de temps de réaction, mais ça c’est plus parce que j’en voyais des applications directes dans mon petit labo photo — en revanche mes souvenirs quant aux complexes d’oxydo-réduction sont restés trop longtemps dans l’hyposulfite de soude, je ne me souviens plus de rien, je suis littéralement passé au numérique. Et naturellement, cossard comme pas permis, je tentais de faire valoir que de telles notes, tellement exceptionnelles, dont je me vantais fort, devraient me valoir quelques possibilités de sorties, mon père était assez prompt à me demander ce que, d’après moi, Borg avait fait le lendemain de sa dernière victoire à Roland Garros, non ? tu ne vois pas, et bien il est retourné à l’entraînement. C’était imparable.

    Et du coup ce matin, date de sortie d’Une Fuite en Egypte en librairie, je vois bien que j’ai deux possibilités en descendant dans le garage armé de ma tasse de café, soit j’attends patiemment le coup de téléphone de mon éditeur pour m’annoncer que j’ai reçu le prix Nobel de littérature (que je vais m’empresser de refuser, l’année dernière on l’a donné à une chèvre, je ne mange pas de ce pain-là), soit je me remets au travail.

    J’ai décidé, une fois n’est pas coutume, de m’inspirer de Borg, je retourne à l’entrainement. Je me remets au travail. Dans le garage. J’y suis tellement bien finalement.

    Et qu’irai-je faire à Stockholm ? Fut-ce le pays de Borg, mon idole d’enfance.

    #qui_ca

  • http://www.inculte.fr/catalogue/une-fuite-en-egypte

    J – 62 : J’y suis. Une fuite en Egypte sort aujourd’hui en librairie. Chez Inculte . La classe. Je marche cinq centimètres au-dessus du sol. Le roi n’est pas mon cousin. Je suis sur le nuage numéro neuf.

    Du coup je tente de mettre les petits plats dans les grands. Les petites iframes dans les grands frames .

    Vous ne pensiez tout de même pas que je ne faisais plus rien dans le garage ces derniers temps ? quand même ? si ?

    Dans la page de garde d’ Une fuite en Egypte , il y a la mention d’une URL (http://www.desordre.net/egypte/index.htm ) qui donne accès à toutes sortes de ressources relatives au récit, des extraits, des échanges de mail avec mon éditeur pour, notamment, la construction de la quatrième de couverture, sans parler de la couverture en elle-même, tous les morceaux de musique mentionnés dans le récit et Dieu sait si je ne peux jamais me retenir de dire quel est le disque que le narrateur écoute au moment où se déroule le récit, pareil avec toutes sortes d’œuvres, Cy Twombly, Lucian Freud, Weegee, etc… bref, les coulisses. Ne pas le faire cela aurait été se désavouer. Plus tard, dans un an ou deux, peut-être que je penserai à une version hypertexte de ce récit.

    Mais ce n’est pas tout ce que j’ai fait dans le site pendant tout ce temps.

    Il y a trois ans j’ai tenté de donner une nouvelle forme au Désordre , ce n’est pas un succès, mais ce n’est pas entièrement raté non plus. C’est la forme Ursula (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/index.htm). En 2014 j’ai accumulé tout ce que je pouvais accumuler de textes, de sons d’images fixes et d’images en mouvement, et tout un tas d’autres petites constructions, notamment en html, que j’ai réunies dans une manière de bouquet, plus exactement de collection de coquillages d’Ursula (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/bouquets/index.htm). Parmi ces coquillages, il y avait le Jour des innocents ( file :///L :/phil/sites/desordre/bloc/ursula/2014/cinquantaine/index.htm ) , le récit de cinquante souvenirs de faits historiques, pas tous importants d’ailleurs, s’étant produit pendant les cinquante dernières années, et cela vu à ma hauteur au moment des faits, autant dire à hauteur d’enfant pendant les années 60, à hauteur d’adolescent pour ce qui est des années septante, de jeune homme pour ce qui est des années 80, de jeune adulte pour les années nonante, d’adulte pour les années 2000 et d’homme vieillissant pour les années 10 de notre ère. En 2015, j’ai tenté de tenir le journal de l’année en utilisant toujours cette séparation des contenus selon leur nature, chaque jour donnait lieu à une page qui contenait un triptyque photographique, un texte, un extrait sonore, un extrait vidéo, quelques images, un lien vers une page antérieure du site, tout cela sous la forme de blocs déplaçables à l’intérieur de la page pour faciliter, ou pas, la lecture et renforcer, ou pas, le plaisir du lecteur : Février (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2015/index.htm). Début 2016, j’ai bricolé un récit en hommage à Pierre Boulez dont la disparition m’a beaucoup ému, de façon plus ou moins compréhensible, il s’agissait d’un récit à la manière de ceux produits par les invités de Marie Richeux pour la séquence Au Singulier de son émission les Nouvelles vagues sur France Culture, émission à laquelle j’avais été moi-même invité à participer ( http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/accessoires/artistes/nouvelles_vagues/index.htm ), Pierre Boulez et le bricolage ( http://www.desordre.net/bloc/ursula/2016/boulez.htm ) . Surtout pendant toute l’année 2016 j’ai construit, pour mieux le déconstruire sans doute, mon propre récit de la nuit du 13 novembre 2015, au cours de laquelle mon amie Laurence et moi sommes passés tout près de la catastrophe, il s’agit d’ Arthrose (spaghetti) (http://www.desordre.net/bloc/ursula/arthrose/index.htm), un récit très hypertextuel pour tenter de retrouver toutes les radicelles qui conduisent à ce qui aurait pu être la fin de nos existences. Et puis, dernière tentative reprenant cette forme inventée en collaboration avec Pierre Hanau dans le cadre éducatif des stages de formation à l’école du doc de Lussas, la forme Ursula (http://www.desordre.net/invites/lussas/2010/journal/index.htm) , une manière de journal que je tiens en ligne depuis la fin du mois d’août l’été dernier, depuis que j’ai pris la décision ferme et définitive de vouloir tout ignorer de la catastrophe électorale en cours, Qui ça ? (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/index.htm)

    Remarquant que tous ces projets contenaient en eux une sorte de dimension supérieure au Désordre , que le site tel qu’il avait existé jusqu’à maintenant était une sorte de toile de fond, j’ai fini par admettre que c’était désormais la nouvelle direction du Désordre , vos ascenseurs ont intérêt à ne pas tomber en panne. La page d’accueil du Désordre est désormais un tirage au sort entre ces différents projets que l’on peut par ailleurs visiter à l’intérieur même de chaque projet, on peut, par exemple, lire Arthrose à l’intérieur de Qui ça ? et inversement, tout en continuant de visiter le Désordre , mais je ne sais pas si je dois recommander une telle lecture. Vous verrez.

    Si, après de tels efforts je ne parviens pas à semer les derniers visiteurs du Désordre c’est à désespérer de tout.

    Et sinon, vous avez Une Fuite en Egypte qui reprend un mode de navigation et de lecture qui a fait ses preuves, je crois que l’on appelle cela un livre.

    #qui_ca #shameless_autopromo
    #une_fuite_en_egypte

  • J – 63

    Quand le responsable devient rouge de colère parce qu’il ne parvient pas à faire fonctionner la nouvelle machine à café.

    Quand tu viens à son secours.

    Quand tu réalises que la nouvelle machine à café ne peut pas fonctionner parce qu’elle est débranchée.

    Quand tu lui fais remarquer sans ironie excessive.

    Quand tu sens que cela ne le fait pas du tout sourire.

    Quand tu comprends que tu ne peux pas la rebrancher tout de suite parce que c’est l’homme de ménage qui l’a débranchée pour brancher son aspirateur.

    Quand tu expliques cette contingence à ton responsable

    Quand il se met en colère contre l’homme de ménage

    Quand tu fais remarquer à ton responsable que l’homme de ménage ne peut pas faire autrement parce que c’est la seule prise électrique qui lui permette de passer l’aspirateur dans la salle de réunion sans débrancher un seul équipement de la selle de réunion. Et qu’on lui a sans doute demandé de procéder de la sorte.

    Quand ton responsable insiste.

    Quand tu lui expliques que l’homme de ménage a presque fini.

    Quand ton responsable manque de prendre une châtaigne en voulant débrancher l’aspirateur depuis une prise sécurisée.

    Quand il repart. Sans son café.

    Et quand l’aspirateur s’arrêtant tu proposes ostensiblement un café à l’homme de ménage.

    #qui_ca

  • J – 64 : Nous n’avons pas vu le retable du jugement dernier de Rogier Van der Weyden — puisque nous avons trouvé portes closes à Beaune —, mais nous avons fait le tour d’un petit lac dont les romains se servaient pour alimenter en eau la ville d’Autun.

    Nous n’avons pas mangé de cette côte de bœuf — puisque je ne mange plus de viande ? dont j’aimais régaler mes amis quand je viens à Autun, mais Martin a cuit excellemment nos maquereaux sur la braise.

    Nous n’avons pas fait de photographies des dernières réalisations d’Isa, mais j’ai pris presque 600 photographies pendant le week-end à Autun — alors que je ne prends presque plus de photographie.

    Nous n’avons pas regardé Toni Erdman sur l’écran géant du hangar, là-même où j’avais projeté les images d’ Apnées et celles du spectacle avec Brâhma , mais nous avons discuté de Carl André.

    Nous n’avons pas mangé de la sole, mais du cabillaud.

    Nous ne nous sommes pas quittés comme souvent peu de temps après le déjeuner du dimanche midi parce que chaque fois je dois prendre toutes les précautions nécessaires pour être rentré et accueillir les enfants, et de ce fait nous avons pu aller nous promener en forêt, une merveilleuse forêt aux immenses mélèzes et aux jeunes chênes.

    Nous n’avons pas bu de bourgogne blanc mais du Gamay et cela allait très bien avec les bulots et le cabillaud.

    Je n’ai pas pu écouter le disque offert par Sophie Agnel en trio, parce qu’il était en quatuor avec un drone, le moteur vrombissant de mon automobile, du coup j’ai écouté des variétés internationales, Frank Zappa.

    Je n’ai pas vu les éoliennes nuitamment sur le chemin du retour, mais j’ai deviné leurs grandes ombres à bâbord, dans la nuit.

    #qui_ca

  • J – 65 : Mon esprit d’escalier est parfois sans remède.

    Samedi soir Martin et Isa avaient invité leur ami Denis, désormais à la retraite après une longue carrière comme agriculteur, Denis notamment produisait un fromage de chèvre qui rivalisait avec les pélardons de la Cézarenque que j’avais eu une fois l’occasion de lui faire goûter de retour des Cévennes en faisant un crochet par Autun pour couper la route, et ce soir-là Denis était là. Denis raconte un peu les mésaventures des repreneurs de sa ferme il y a quelques années auxquels il avait pourtant prêté main forte dans un très louable effort de transition. Malheureusement ces derniers n’ont pas eu la présence d’esprit d’écouter les conseils d’ancien de Denis qui avait pourtant fait de son exploitation une référence locale en matière de fromage de chèvres et ont fait graduellement capoter l’affaire. Ces repreneurs n’étaient pas agriculteurs de métier, ils tentaient de réinventer leur vie et avaient suivi une formation théorique pour ce qui relevait de la reconversion professionnelle, ils appliquaient trop strictement les savoirs reçus en formation et ne voulaient pas entendre que ces derniers devaient impérativement être pondérés par une connaissance locale acquise de longue date par un agriculteur qui, lui, avait réussi à produire du très bon fromage à cet endroit justement. Par exemple ils insistaient pour que les chèvres soient menées aux champs par un chien berger, ce qui dans la configuration des lieux n’avait aucune raison d’être et présentait par ailleurs l’inconvénient de stresser le troupeau. Denis se désole de cet entêtement. Et il me prend à témoin, me demandant, toi qui es informaticien, si tu voulais produire du fromage de chèvre au Rebout, tu t’y prendrais comment ? Et j’éclate de rire parce que je ne peux pas encore révéler à Denis que je suis justement en train de donner la dernière main à un roman dont le titre Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) indique que son intrigue se trouve un peu à la croisée des chemins de ce dont il nous parle ce soir.

    Et j’en oublie même de demander à Denis quel est le nombre de litres de lait qu’il faut pour faire un fromage ce qui est précisément le détail, le renseignement, après lequel le narrateur informaticien ne cesse de courir sans jamais parvenir à élucider ce point ce qui l’empêche beaucoup de mener à bien ses calculs de probabilité quant à ses chances de reconversion professionnelle dans l’élevage des chèvres en Ardèche.

    Je ne saurais donc jamais combien il faut de litres de lait de chèvre pour produire un pélardon. Je sais combien de litres une chèvre produit par jour, je sais le prix d’une chèvre, je sais le nombre de chèvres qu’il me faudrait pour une exploitation de fromage de chèvres dans les Cévennes, je sais le prix de certaines installations d’occasion sur internet, on trouve beaucoup de choses sur internet, quand même bien pratique internet, mais on ne trouve pas sur internet le renseignement quant au nombre de litres qu’il faut pour produire un pélardon. Telle est, pour moi, la limite d’internet. Et c’est à cette limite que des amis comme Denis prennent le relai. Encore faut-il penser à le leur demander quand on les voit.

    Et écouter sa réponse.

    #qui_ca

  • J – 66 : Dans la vie il y a des journées d’ennui perdu au milieu d’un open space et dont l’enjeu finalement est de tout faire pour qu’en en sortant il me reste quelques forces vives pour travailler à ce qui me tient véritablement à cœur ET il y a aussi le spectacle d’un champ d’éoliennes en Bourgogne, éclairé par un le couchant sur fond de ciel d’orage tout juste passé.

    En route pour Autun.

    ( Et , une série entamée il y a quatre ans qu’il faudrait que je revisite. http://www.desordre.net/bloc/ursula/2015/images/vacances/index_ursula.htm)

    #qui_ca

  • J – 71 : Je pense que je ne peux pas cacher un certain goût pour les œuvres programmatiques, j’aime leur tour de force. J’aime qu’Emmanuel Addely décide une mauvaise fois pour toutes de tenir le compte serré de ses dépenses et de les mettre en relation avec des coupures de presse et qu’il s’y tienne pendant dix ans exactement — dans Je paye . J’aime que mon ami Laurent Grisel s’obstine à mettre en forme ses notes et ses recherches à propos de la crise économique que l’on dit de 2008 et que justement lui et d’autres voyaient venir, bien avant 2006, et ce faisant il met à jour l’irrémédiable de tels rouages et comment il laisse entendre que ce sont ces rouages-là, incroyablement toxiques et délétères, qui sont encore à l’ouvrage aujourd’hui et qui, nul doute, produiront des effets toujours plus dévastateurs et meurtriers avec notre concours qui regardons ailleurs. J’aime les démonstrations terrifiantes de Michael Hanecke, notamment celle de Funny Games ou encore du Ruban Blanc ou de 71 fragments d’une chronologie sociale du hasard , et pareillement j’aime le cinéma implacable d’Ulrich Seidl.

    Aussi on imagine sans mal à quel point Chemin de croix de Dietrich Brüggemann me laisse pantois, sans force, anéanti et admiratif à la fois. Tant je trouve à ce film une beauté à la fois formelle, un film dont on comprend dès le second plan qu’il ne sera que quatorze plans fixes (à l’exception de deux plans affectés d’un très léger travelling et du dernier plan qui lui connait un mouvement de grue assez remarquable, celui, finalement d’une libération), longs plans-séquences qui sont sous-titrées selon les noms des quatorze stations de la passion du Christ — le Christ tombe une deuxième fois sous le poids de la croix, Véronique essuie le visage du Christ avec un linge etc… — et qu’il n’y aura pas d’autres plans et que la succession ne pourra nous amener qu’au martyr de Maria, une jeune fille allemande d’aujourd’hui sous l’emprise terrifiante de son prêtre à la catéchèse intégriste au dernier degré — en résistant au plaisir d’une pâtisserie, on commet un acte de grâce et le jazz, la soul et le gospel sont des formes sataniques de musique (encore un qui est passé entièrement à côté des Stooges).

    C’est une démonstration, en plus d’être un tour de force, à la fois de scénario et de réalisation, en soi cela pourrait être pénible, il n’en est rien pour une raison lumineuse, chaque cadre tellement fixe, tellement rigide, tellement composé est littéralement la métaphore de l’enfermement avec des possibilités extrêmement réduites pour ce qui est d’en sortir. Ainsi le premier plan, celui de la catéchèse, présente en haut à droite une sorte de veduta contemporaine composée par douze briques de verre, les sept protagonistes de cette scène sont enfermés dans une pièce dont on ne sort qu’à la fin, en haut à gauche de l’écran et seul le personnage de Maria n’en sort pas. Le deuxième plan est une féérie de mouvements en plan fixe, les personnages entrent et sortent du plan, seul le personnage de Maria une fois de plus en semble pas vouloir, pas pouvoir sortir de cette forme ouverte de l’enfermement, comme le sont les univers seulement ouverts en apparences.

    Lors de la cérémonie de confirmation, la caméra décrit un très léger travelling vers la droite, au moment même où les fidèles se lèvent pour approcher l’autel, ce qui donne une très curieuse impression de fausse élévation, en soi un petit prodige de perception, premier mouvement de caméra du film qui décrit justement cette entrée supposée dans l’âge adulte, il est remarquable que le personnage de Maria parvient à sortir, seule fois du film, de ce cadre, par le bas en s’évanouissant. Le deuxième mouvement de caméra se produit dans la salle de réanimation à l’hôpital et décrit la mort de Maria, la caméra abandonne Maria et va chercher Johannes son petit frère autiste et non verbal qui justement se met à parler, ce qui est immédiatement interprétable par les croyants comme un miracle, pour les athées, sans doute plus adeptes de psychanalyse, comme l’expression d’une émotion intense à la mort de sa grande sœur. Le dernier mouvement de caméra décrit ce qui pourrait passer pour l’élévation de l’âme de Maria ou tout simplement la délivrance par la mort d’un univers forclos.

    Le miracle tient ici de ce que la caméra est capable d’exprimer métaphoriquement de ces trois petits mouvements après avoir emprisonné le personnage de Maria, deux travellings et un mouvement de grue. Quatorze plans-séquences. En presque deux heures de films.

    S’agissant du cadrage Jean-Luc Godard avait un jour dit qu’on parlait beaucoup de la violence des crues et jamais de celle des berges qui maintiennent les fleuves dans leur lit.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/stooges.mp3

    J – 72 : Si je devais faire un film à propos d’une de mes idoles de jeunesse, qui choisirais-je ? Les Beatles ? est-ce que le film Let it be n’est pas déjà le film que j’aurais aimé faire, toutes proportions mal gardées. Frank Zappa ? mais alors je ne pense pas que j’aurais pu me mesurer au déluge visuel de certaines réalisations cinématographiques de Frank Zappa lui-même, du temps des Mothers Of Invention et de 200 Motels . Patti Smith ? là je crois que je n’aurais pas fait mieux que les films de dévotion déjà existants — à croire que je ne sois jamais entièrement revenu de l’érotisme d’ Easter finalement, à la fois la pochette et à la fois Redondo Beach et Kimberly , passons. Lou Reed ? ouh la et me mesurer au génie cinématographique de Warhol, même si les films de ce dernier en collaboration avec le Velvet Underground ne sont pas ses meilleurs, loin s’en faut. Et puis surtout, je crois que si je faisais un film à propos d’une de ces idoles, j’aurais aimé le faire sur le motif comme Robert Frank avec les Rolling Stones dans Cocksucker Blues , et ne pas faire de cadeau à ces idoles, il y serait peut-être même question d’une certaine forme de revanche si ce n’est de vengeance.

    Jim Jarmusch, oui, ce sont les Stooges. Ce qui est sans doute pour lui un choix tout à fait cohérent. Oui, mais les Stooges, comment dire, musicalement c’est quand même pas extraordinaire, à part, peut-être, comme j’en discutais avec Julien qui s’y connait nettement plus que moi en musique battue, l’album Fun House et encore c’est vraiment gratter la viande sur un os blanchi par la pluie dans l’écuelle de Médor. Donc je n’ai jamais été très fan des Stooges ou encore d’Iggy Pop dont j’aime malgré tout la chanson Passenger , mais comme on aime bien un tube d’été justement pour ce qu’il nous rappelle l’été en question, je viens d’aller vérifier la date de sortie de Passenger , septante sept, du coup cela ne doit pas nécessairement être un tube d’été. Je m’en doutais un peu. Mais pour Jim Jarmusch, les Stooges, cela paraît assez cohérent : dans Coffee & Cigarettes il y a le très beau duo entre Iggy Pop et Tom Waits qui installe bien l’ambiance de ce film très réussi.

    Et cela aurait pu être un film presque parfait, c’est même comme ça que cela part, à la fois pour une manière d’auto-inventaire qu’Iggy Pop réalise filmé assis dans la buanderie de chez lui, Regular Jim, guy next door, Joe Blow comme dit en américain pour désigner Monsieur-tout-le-monde, mais un monsieur-tout-le-monde qui aurait eu une destinée pas tout à fait comme celle de tous les messieurs-tout-le-monde-du-monde, mais dont on sentirait bien aujourd’hui qu’il aimerait bien revenir à cette vie de Monsieur-tout-le-monde qui vit toujours dans sa grande caravane, mais à la fois aussi par le très habile subterfuge de la part de Jim Jarmusch de compenser le manque d’images d’archives strictement relatives aux Stooges en employant force images du vernaculaire américain avec quelques effets de montage très réussis, en incrustation, en incise rapide ou encore en superposition, un véritable plaisir formel de montage qui aboutit à quelques images tierces très éloquentes. Par exemple, des images de l’Amérique de la fin des années 60 dans laquelle la consommation et la puissance économique sont nettement plus prégnantes que celles d’un début de contestation dont on comprend très bien comment elle sera vite assimilée par la culture dominante, Iggy Pop singeant Crosby, Stills & Nash fredonnant Marrakech Express dit, en une poignée de secondes, toute l’inanité de cette fausse révolte, oui, Iggy Pop comme il le revendique lui-même aura beaucoup contribué à balayer vers le seuil de la porte les dernières poussières des années 60 et ce n’était sans doute pas un mal.

    Et même il y a rapidement, trop rapidement, une photographie de James Williamson, le guitariste des Stooges, dans son costume de grand cadre chez Sony qui dit bien l’improbabilité complète de tout ce cirque.

    Mais il semble que là même où Jim Jarmusch aurait pu porter l’estocade finale à ce grand barouf, là où il aurait pu démontrer que les Stooges étaient surtout des suiveurs du MC5, qu’ils n’ont pas inventer grand-chose, ou encore que le seul hymne finalement c’est I Wanna Be Your Dog et qu’ils doivent leur destinée remarquable à la conjonction d’une chance insigne et d’hommes d’affaires à l’époque qui n’écoutaient même pas les disques qu’ils produisaient et donc pouvaient paraître jouer tout cet argent à une forme halluciné de poker, là où il aurait effectivement fallu envoyer valdinguer tout cela, Jim Jarmusch n’a pas su se départir de son idolâtrie adolescente, ce que je trouve toujours un peu suspect de la part des hommes de son (grand) âge. C’est d’autant plus dommage d’être passé à côté de cette opportunité qu’Iggy Pop semblait partant pour cet inventaire lucide, notamment quand il évoque l’enfer de la toxicomanie, se gardant bien d’y faire référence à la façon de ces habituels anciens combattants du truc. Et ce film Gimme Danger de Jim Jarmusch aurait pu être le véritable équivalent cinématographique du travail photographique de Jean-Marie Delbes et Hatim El Hihi qui, depuis une vingtaine d’années réactualisent avec force coups de tampons de clonage dans le logiciel de retouches d’images numériques les pochettes célèbres de l’histoire du rock, en supprimant les étoiles éteintes. Plutôt que cela Gimme Danger est un film de fan, certes un fan très adroit, notamment au montage, mais un fan. Un fan qui passe à côté d’un véritable documentaire.

    Et comme je le disais au début de cette chronique, je n’aurais pas fait mieux avec Patti Smith. Ou les autres précités.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/dans_les_arbres.mp3

    Dans les arbres, le seul gropupe de musique improvisée avec trois Norvégiens et un Français

    Et pour clore cette semaine fort musicale, quand on y pense trois concerts dans la même semaine, il doit être possible pour un mélomane de passer des semaines plus arides, je suis invité par Sophie Agnel (qui a bien aimé ma chornique de son concert avec Phil Minton, du coup on s’écrit un peu) au concert de la formation Dans les arbres à l’Atelier du tampon .

    Dans les arbres , d’habitude ils sont quatre, un Dromois égaré à la clarinette pas prête parmi trois musiciens norvégiens, au piano préparé, guitare préparée et aux percussions en cours de préparation. Et d’habitude Christian Wallumrød joue du piano préparé et non du synthétiseur hérissé de fiches, et donc il sont quatre, il y a Ivar Grydeland à la guitare préparée qui ce soir s’est fait porter pâle comme on dit au rugby, mais sans doute pas dans le milieu de la musique contemporaine improvisée qui n’a sans doute pas les mêmes codes.

    Le concert était en deux parties à la fois semblables et très différentes, dans la première partie j’ai aimé la seconde partie et dans la seconde partie j’ai aimé la seconde partie, moins la première partie de la seconde partie et moins encore la première partie de la première partie. Dit comme ça cela ne vous dit pas grand chose mais j’ai été très surpris qu’échangeant avec Sophie Agnel , elle pensait pareil à propos des parties et des sous parties qu’elle appelait aussi des parties et des premières et secondes parties des parties, un peu comme on fait au rugby finalement en parlant de la première et de la deuxième partie de la première mi-temps et de la première et de la deuxième partie de la seconde mi-temps, la seconde partie de la seconde mi-temps, on appelle cela aussi money time , qui est généralement suivi de la troisième mi-temps, c’est là qu’on prend l’avantage sur les musiciens de musique contemporaine improvisée. Encore que. Pas sûr.

    La première partie de la première partie m’a fait redouter que Dans les arbres soit une formation de musique qui mise beaucoup sur la répétition, parce qu’ils ont été un peu longs à installer ce qu’ils voulaient mettre en place et là je ne suis pas nécessairement un très bon juge de savoir si c’était suffisamment bien installé ou pas assez quand ils se sont vraiment mis à jouer ce qu’ils jouent et que je trouve vraiment très beau.

    Dans Dans les arbres , il y a d’abord ce très beau set de percussions, un immense tome sur la membrane duquel Ingar Zach s’évertue à produire de toutes petites sonorités, minuscules pour un tel instrument, puis petit à petit ajoute des éléments à même cette membrane, tandis que Christian Wallumrød installe lui aussi des touches très ténues de synthétiseur, mais un peu a contrario de ce que l’on demande habituellement à cet instrument maléable de produire, des nappes et des grooves que sais-je encore, non, Christian Wallumrød produit plutôt de petites allusions, percussives presque, tandis que ces deux Norvégiens-là laissent la ponctuation au clarinettiste qui serait bien du genre à tout faire pour s’étrangler avec sa clarinette sans que cette dernière ne rende la moindre note, une manière de clarinette paradoxale.

    L’ensemble joué par ces trois admirables musiciens paraît admirablement fragile et pourtant brique à brique il semble bien que ce soit non pas un simple mur que l’on monte mais bien une de ces merveilleuses petites chapelles gothiques au milieu d’une lande battue par les vents. C’est une musique à la fois enveloppante et envoûtante qui ne semble exister qu’en songe, qu’elle cesse à la fin de la première partie ou à la fin de la seconde partie, et elle disparaît entièrement et nous rend à nos rumeurs et au bruit de la ville, mais alors rumeurs et bruit deviennent étrangement supportables, Dans les arbres c’est une sorte de yoga sonore, on ne pourrait pas mettre le doigt dessus mais après on se sent mieux, terriblement mieux, entièrement délassé et maître de soi.

    Et j’ai été bien heureux de pouvoir échanger avec Sophie Agnel à propos de son très beau concert avec Phil Minton et Audrey Chen. Je peine à croire que ce dernier concert, de Dans les arbres , était une manière de bonus sur la longue liste de dates que j’avais repérées en janvier dernier, Fred Van Rohe avec Roger Turner, être mon préféré, Jonas Kocher avec Joke Lanz et le magnifique travail spectacle de Johanny Melloul avec Ogrob et Annie Lam, Phil Minton avec Sophie Agnel, Jean-Luc Guionnet avec Seijiro Murayama et Olivier Benoit, Fred Frith et Dans les arbres . Et encore j’ai manqué deux dates, Phil Minton avec Isabelle Duthoit et Mark Charig, Michel Pilz, Quentin Rollet, Marcio Mattos et Jean-Noël Cognard, mais je n’avais plus de crédits pour ma téléporteuse.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/fred_frith_yard_with_lunatics.mp3

    Un concert de Fred Frith c’est toujours une fête, mais une fête simple, comme la réunion de quelques villageois pour une récente réalisation commune, c’est en bord de scène, c’est sans décoration avec l’éclairage disponible, et aux Instants chavirés cet éclairage c’est parfois juste une lampe de bureau pour éclairer toute la scène, et ça joue, point. Et une fois que ce sera terminé, cela ne saluera pas nécessairement, Fred Frith, et ses musiciens s’il n’est pas seul, descendront de scène et viendront accueillir les embrassades de leurs amis villageois. Et cela fait un bien fou. Mais cette absence de décoration en somme n’est pas une indication très fiable sur la valeur de ce qui sera joué, de ce qui est joué, de ce qui a été joué. Ainsi le concert de Fred Frith le 12 juin 2016 aux Instants restera sans doute l’un des plus beaux concerts auquel il m’a été donné d’assister.

    Mais de même que cela touche parfois au sublime dans l’absence de quoi que ce soit qui pourrait le signaler un peu, des fois c’est moins réussi — dans la même série de soirs en juin dernier le concert avec Lê Quan Ninh et Bérangère Maximin, le 10 juin 2016, était correct mais pas exhaltant, parfois cela peut même être médiocre — le concert du 11 avec Joëlle Léandre, et cela doit être une indication des dangers que ces musiiens bravent pour parvenir à ce qu’ils parviennent parfois à produire, tout Joëlle Léandre et Fred Frith qu’ils sont, des fois cela ne prend pas, et du coup quand cela prend, cela a un petit côté miraculeux, précieux même, de l’or fin vraiment — ce soir Fred Frith joue avec Jason Hoopes acrobate de la basse électrique, le genre à s’être mis à la basse électrique parce que la guitare c’était trop simple, et Jordan Glenn batteur qui en met partout avec science et délicatesse, et ça joue cela oui, mais ce n’est pas non plus le nirvana, mais ça joue.

    Et pendant tout le concert, tandis que cela joue, que cela joue, sans jouer de façon sublime, mais ça joue quand même, je ne peux m’empêcher, le concert durant donc, de faire l’application de cette équation de la réussite qui n’est pas systématiquement au rendez-vous, à l’écriture au jour le jour, puisque finalement c’est le principe de Qui ça ? Je repense à quelques unes des belles réussites que j’ai eues dans cette série de textes, mais pas si nombreuses finalement au regard de toutes les chroniques que j’ai pu écrire, une bonne centaine désormais, et je remarque mentalement pendant que ça joue, mais pas non plus le grand soir — il faut dire aussi si je me concentrais un peu sur la musique est-ce que je ne parviendrais pas à participer à une écoute plus soutenue, qui serait peut-être contagieuse et qui étendrait cette contagion heureuse, par exemple, au quatuor de jeunes femmes qui se sont intallées en retard sur les sièges voisins du mien et qui grignotent, causent, envoient des messages de téléphone de poche, en reçoivent, se les montrent, se les échagent, les commentent, enlèvent leur gilet puis le remettent, se grattent les chevilles, se retournent pour voir si des fois Machin ou Untel sont là, ils avaient dit qu’ils n’étaient pas sûrs de venir — pendant que tout ceci se produit sous mes yeux et, hélas, mes oreilles, à la fois la musique et le cirque de mes voisines d’un soir, je pense à toutes ces chroniques dans lesquelles je me suis lancé et dont je ne pense pas nécessairement le plus grand bien, après-coup, et d’ailleurs il n’y a pas de table de correspondance qui veuille que les chroniques à propos d’événements qi m’ont enthousiasmé soient des chroniques enthousiasmantes et même je crois que, parmi les plus réussies, il doit y en avoir qui ont attrait à des évenements minuscules.

    Par moments les musiciens jouent des passages plus heureux que d’autres, le batteur en met un peu moins partout et joue désormais sur les timbres, le bassiste brode de façon plus claire, moins brouillone et Fred Frith tire de sa guitare quelques sonorités d’un monde dans lequel il se rend parfois, mais dont il oublie parfois aussi comment on fait pour y retourner et là je suis entièrement avec eux, je me dis ça y est ils décollent, et je décolle avec eux, je ferme les yeux pour être sûr de ne pas être sollicité par le dernier message de téléphone de poche de ma voisine, décidément cela n’a pas l’air d’aller hyper fort avec son nouveau petit copain, mais voilà la musique, finalement, ne va pas si loin que cela, alors je me dis que c’est comme quand dans le garage j’essaye des trucs qui ne fonctionnent finalement pas mais pour lesquels j’avais nourri des espoirs, presque fous, déraisonnables souvent, et puis, au contraire, une idée que je trouverais presque décorative que je mets en branle quasiment par ennui, ou juste pour voir, par curiosité, et cela devient, a contrario, une nouvelle piste à suivre, et finalement est-ce que ce n’est pas cela justement que Fred Frith fait chaque fois qu’il monte sur scène : des tentatives pas toutes vouées au succès. Je me demande si ce n’est pas cela que j’aime par dessus tout dans sa musique, au delà même des réussites exemplaires telles que l’album Clearing .

    Et sinon même si le concert de ce soir n’était pas la plus lumineuse des réussites, je crois qu’on l’aura compris, et que ma jeune voisine est un peu au bord des larmes, je me demande si ce n’est pas fini avec le nouveau Jules, du coup, je me dis qu’il n’est pas urgent de tenter de lui expliquer que son comportement pendant un concert n’est pas optimal, le disque qui marque la collaboration entre ces trois musiciens est lui au contraire très écoutable. Another day in fucking paradise . Oui, c’est ça, juste un autre jour au putain de paradis. Avec Fred Frith.

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  • J – 76 : Un musicien, quel qu’il soit, peut-il trouver une place, fut-elle petite et étroite, entre Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama ?

    Je me demande si ce n’est pas sur cette réflexion qu’a planché pendant tout le concert Olivier Benoît, guitare, assis entre ces deux-là, et je me demande s’il n’a pas conclu à une absence de possibilité. Tel était effectivement le concert de ce soir aux Instants chavirés , un trio entre Jean-Luc Guionnet à cour, Olivier Benoît au centre et Seijiro Murayama à jardin. Olivier Benoît a déjà joué en duo avec Jean-Luc Guionnet et même si je n’ai jamais entendu ce duo, je sais qu’il existe et je sais qu’il a fonctionné. En duo je crois que Jean-Luc est un tel musicien qu’il peut s’adapter à n’impote quel autre musicien et Olivier Benoît n’est pas le premier venu, donc ça ça peut marcher.

    Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama forment un duo quasi mythique dans le milieu de la musique improvisée. Il s’agit d’une association parfois vertigineuse et Jean-Luc m’a déjà dit que c’était pour lui la pire des mises en danger que de jouer avec Seijiro Murayama, mais qu’au prix de ce danger lui étaient sans doute venues ses idées les plus porteuses et de fait, les deux fois où je les ai écoutés en concert, j’ai été estomaqué par l’intensité de leur musique, à la fois la déconstruction de la musique, notamment par Seijiro Murayama qui est le lus paradoxal des percussionnistes tant il ne semble rien faire que de s’éloigner le plus possible de toute notion de construction, notamment rythmique, et quand par accident ce qu’il joue pourrait ressembler, même d’assez loin à un tempo, il s’emploiera alors à des gestes défintifs dans la direction opposée. Le jeu de Jean-Luc Guionnet n’est pas moins cérébral, lui davantage fondé sur des facultés d’adaptation hors du commun et c’est d’ailleurs ce qui est principalement recherché dans ses très nombreuses associations avec d’autres musiciens, ce qui fait que l’on peut aller à une douzaine de concerts de Jean-Luc Guionnet sur une année, voire un peu plus, et de ne pas écouter deux fois le même saxophoniste, certainement pas la même musique. Certes des passages pourront se retrouver cités en bien des endroits mais l’impression générale sera toujours très différente d’un concert à l’autre, au point, finalement, de ne jamais tout à fait pouvoir anticiper quoi que ce soit, Jean-Luc Guionnet sait-il seulement ce que Jean-Luc Guionnet jouera le soir-même.

    Lorsque Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama jouent ensemble, chaque fois se crée une voix tierce, ce qui est le propre du duo, mais c’est, dans le cas de leur association, une voix sans cesse en danger, ce qui crée une tension phénoménale, celle-là même qui est recherchée par les deux musiciens. Et le danger sur cette voix tierce vient qu’à nul moment ni l’un ni l’aute de ses deux musiciens attend de l’autre que ce dernier se sente responsable de l’entretenir, de la nourrir. Il arrive donc qu’à certains moments d’égarements plus féconds ou au contraire plus laborieux des deux musiciens que cette voix tierce s’étouffe et dépérisse et c’est généralement à ce moment précis que l’un des deux, ou les deux à la fois, se précipitent pour remettre une bûche dans l’âtre et cela repart de plus belle, le feu n’est pas mort, il repart et ses nouvelles flammes n’en sont que plus belles. Mais encore une fois il s’en est chaque fois fallu de peu que le feu ne meurre et que le foyer reste noir carbon.

    Placez près du foyer une manière de gardien des flammes, une personne qui veillera sans cesse à remettre une bûche quand c’est nécessaire et la tension entre les deux musiciens s’envolent, c’est à peine s’ils s’entendent jouer l’un l’autre et il faudrait alors que cette tierce personne à défaut d’être la voix tierce puisse être un lien sûr entre deux personnes qui ne se regardent pas, qui ont l’habitude de s’ignorer, seulement en apparences.

    Or j’ai déjà entendu sur cette même scène des Instants chavirés Olivier Benoît jouer un tel rôle. Et de s’en être admirablement acquitté, c’était, dans l’urgence, entre Fred Frith et Joëlle Léande qui ce soir-là ne semblaient pas du tout en capacité de jouer ensemble. Ils avaient d’abord échoué en duo, l’un et l’autre incapables de trouver un terrain d’entente entre eux, finalement chacun en rabattant beaucoup, trouvant refuge dans des airs traditionnels et joués sans mystère, et c’est seulement quand ils furent rejoints par Olivier Benoît qu’ils sont parvenus à atteindre des rivages plus surprenants, mais à trois.

    La différence d’avec le duo que forment Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama c’est que quand ces denriers sont sur le point de périr de naufrage, eux seuls savent trouver le moyen de leur sauvetage et leur venir en aide, leur proposer du ciment, de liant, une aide, une main tendue, c’est finalement les embarasser et les pousser à une noyade dont ils n’avaient pas vraiment peur avant qu’on ne leur vienne en aide.

    Je ne dirais pas que le concert de ce soit a été un naufrage, il y a eu de très beaux moments, Jean-Luc Guionnet semble avoir trouvé de nouveaux moyens encore pour produire les plus improbables sonorités de son saxophone il n’y a pas eu cette tension qui caractérise habituellement les rencontres entre Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama. Mais peut-être n’était-ce pas là ce qu’il fallait venir chercher ce soir-là. Oui, c’est possible aussi.

    #qui_ca

  • J – 77 : Et si c’était cela le moment que j’attendais depuis plus de cinquante deux ans, oui, bien sûr c’est exagéré, mais tout de même. Le moment où mon éditeur et j’aime bien dire mon éditeur, je le dis une dernière fois, me tend un petit paquet de vingt exemplaires de mon livre, un petit paquet de vingt parmi une petite palette de petits paquets de vingt — vinte comme je dis avec cette très légère trace d’accent du Nord. Et ce n’est pas facile devant les regards de tous dans le bureau de ne pas donner libre cours à l’incroyable émotion que me procure une telle vision, la vision de ce livre, de celui-là justement, sa belle couverture de Remi Pépin d’après une de mes photograpies, son choix judicieux de couleur et de densité qui tient admirablement compte de la petite couche de vernis sur la couverture qui densifie l’ensemble, et dedans je sais le travail de tous, Sarah, Hélène, Mathieu et Mathilde et désormais le travail de Tiffanie et Jérôme.

    Tiffanie m’installe à un petit bureau, on s’organise — on s’entend tout de suite très bien —, je dédicace, je mets sous pli, colle les étiquettes des adresses et elle referme les plis avec le prière d’insérer. Avant cela elle me coche les noms des personnes pour lesquelles il faut absolument personnaliser l’envoi, eux suivent le travail des éditions Inculte. Il y a le petit tas des libraires aussi parmi lesquels je reconnais quelques noms familiers et là je m’empresse d’y aller en matière de personnalisation dédicace à la page 189 pour Alain de la Page 189 .

    En fait je n’arrive pas du tout à y croire. C’en est même presque vertigineux. Je fais un peu le pitre pour faire sourire Tiffanie mais je suis salement ému.

    Et après cela, chouette déjeuner, nous sommes rejoints par ma marraine, Hélène Gaudy, à qui je dois tant.

    Cela valait la peine d’attendre. Même longtemps.

    En partant je dépose sur le coin de bureau de Mathieu le premier imprimé de Raffut . Et je tremble comme une communiante à l’idée que sans doute cela ne va pas lui plaire.

    Le sentiment d’imposture ce n’est décidément pas une blague, ni quelque chose que l’on peut prendre à la légère, nest-ce pas @mona ?

    Le soir je vais voir Yourself and yours de Hong Sang-soo au Mélies . Combien de films Hong Sang-soo peut réaliser et quels ! avec une trame aussi peu changeante et les mêmes plans fixes de personnes qui boivent comme des trous en ne sachant plus très bien ce qu’ils disent ? Et il y a toujours ce moment imprévisible dans le film qui me fait éclater de rire, dans Yourself and yours : « Buvons aux hommes péthétiques ! » Dans Yourself and yours , le sentiment par ailleurs que Hong Sang-soo retrouve ces raccourcis saisissants dans le scénario qui font douter de soi, tels qu’ils sont admirables dans In my country au point que les trois récits inventés paraissent à la fois plausibles et mêmes simultanément possibles, ce qui est matériellement possible, mais rendu possible par notre capacité à porter en nous bien des récits, pas tous avérés, comme de perdre son téléphone de poche en Corée et le retrouver grâce au concours de son amant coréen et d’un maître nageur sauveteur que l’on prendrait bien pour amant et que justement on finit par prendre pour amant dans un des trois récits et c’est dans la tente de ce dernier, dans laquelle on n’a pourtant pas couché que l’on retrouve ce téléphone de poche, tente dans laquelle on finit par coucher et en étant plus du tout porusuivi par l’idée que votre mari pourrait deviner tout ce qui se trame en Corée depuis l’Australie. Dans Yourself and yours , cela n’aide pas les personnages en proie à de comparables sentiments confus de boire comme des trous, mais cela rend possible qu’une bonne part du désordre de ces sentiments soit transmise, intacte presque, en pleine confusion, aux spectateurs.

    Quelle journée mais quelle journée. En remontant la rue du Faubourg Saint-Antone, le sentiment de marcher quelques centimètres au dessus du sol. En sortant du Mélies le sentiment d’être un peu ivre tout de même, et, parfaitement à jeun par ailleurs, se demander si c’est bien raisonnable de conduire dans de telles conditions.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/invites/daniel_van_de_velde/mots-sculptures/sculptures/images/avalanche.htm

    http://www.desordre.net/invites/daniel_van_de_velde/panoptique.htm

    J – 78 : Après une belle journée au cours de laquelle nous sommes allés visiter l’exposition de Cy Twombly, non sans un crochet par l’exposition des sculptures de Jean-Luc Moulène et quel plaisir d’échanger avec Daniel à propos de l’extraordinaire complexité de cette oeuvre et de ses questionnements, et aussi une visite de l’atelier de Constantin Brancusi, le plaisir tremblant de Daniel à cette visite, nous sommes revenus à la maison et lestés par tout ceci, toute cette richesse, lestés aussi, pense sans doute Daniel, par une soupe chinoise abondante, nous sommes decendus dans le garage pour tenter de donner quelques formes numériques aux poèmes visuels de Daniel. Plaisir de dédramatiser l’absence de complexité de telles pratiques pour lui, plaisir de le voir comprendre quelques-unes des logiques de canalisation du hasard et plaisir à son étonnement au lancement de certains scripts, ou encore à sa compréhension intuitive du plaisir que je peux trouver à produire une manière de receuil des recueils.

    Comme je lui dis dans le garage, tu ne seras pas venu pour rien.

    De fait, Daniel repart lesté de quelques livres, le catalogue de l’exposition de Carl André que j’ai tant de plaisir à lui offrir, mais aussi le petit livre de Roland Barthes à propos de Cy Twombly qu’il a découvert sur ma table de chevet et puis aussi, le lendemain après-midi, remis à la gare avant qu’il ne reparte, un roman de gare comme je le lui dis, un des premiers exemplaires d’Une Fuite en Egypte (et que de fait il va dévorer dans le train, le connaissant il n’en fera qu’une bouchée, ce qui m’est confirmé par un mèl envoyé à 4H06, lecture faite donc).

    Ces prochains temps, je pense que je vais essayer d’explorer quelques nouvelles formes numériques de poésie visuelle, quel grand plaisir que de se mettre pareillement au service d’un si grand poète et d’un si grand ami. D’ailleurs le lendemain soir même, je vois bien comment cette session de travail dans le garage un dimanche soir a de nombreuses répercussions dans mon esprit au point que cela me permet de sortir des ornières qui étaient les miennes ces denriers temps dans mon travail de construction du site de Sarah. Et ne serait-ce que pour bâtir une sorte d’arrière plan mouvant pour une de ses pages, je compose ce début de poème visuel avec l’aide toujours précieuse du Catalogue de la Manufacture d’armes et de Cylces de Saint-Etienne (catalogue de vente par correspondance sans lequel en matière de graphisme je ne saurais pas faire grande chose sans doute).

    http://www.desordre.net/invites/sarah_cillaire/accessoires/manuf/avalanche.htm

    #qui_ca

  • J – 79 : Toutes les oeuvres ne nous sont pas nécessairement accesssibles, certains peuvent nous rester hermétiques longtemps, voire toujours. Et puis, parfois, quelque miracle de compréhension nous éclate au visage, en général aidés que nous sommes par la parole bienveillante d’un ami et qui, pas toujours volointairement, nous fournit la clef de compréhension de cette oeuvre.

    C’est ce qu’il s’est produit pour moi ce week end en visisant l’exposition de Carl André au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, accompagné que j’étais par mon ami Daniel qui lui faisait tout le chemin, et quel ! justement pour venir visiter cette exposition rétrospective de ce grand sculpteur et poète visuel américain. Carl André bien sûr que j’en avais entendu parler, bien sûr que j’avais vu un grand nombre de ses oeuvres notamment aux Etats-Unis, mais je ne peux pas dire que je nourrissais pour ce travail un intérêt particulier. Je voyais dans ce travail une force formelle indéniable, mais rien de très palpitant pensais-je, d’autant que cette oeuvre était victime, dans mon esprit, d’un certain souci de classement, dont je peine tant à me défaire parfois, Carl André on me l’avait rangé parmi les artistes minimalistes et conceptuels, ce n’était manifestement pas ma tasse de thé — je préfère les grands turbulents que sont, par exemple, les expressionnistes abstraits, surtout Franz Kline et Cy Twombly. Et j’aurais pu comme cela rester assez longtemps à la fois idiot et sourd à cette oeuvre et demeurer sur son bord, si justement je n’étais pas allé visiter la rétrospective de cet immense artiste, d’une part en compagnie de Daniel, mais le lendemain d’une longue conversation avec ce dernier à propos du travail de Carl André.

    Et c’est dans cette conversation, une de celles copieusement arrosée de café, que Daniel sans doute involontairement m’a révélé cette clef essentielle dont j’ignorais tout : toutes les oeuvres de Carl André, quelle que soient leurs dimensions, sont assemblées de modules, cela je le savais, tous ces modules étant transportables et donc assemblabes par un seul homme — et dire que je voyais parfois dans le travail de Carl André une manière de cousinage éloigné d’avec le travail de Richard Serra, après coup, quand on a réalise certaines erreurs de jugement on se sent assez sot, il faut dire ce qui est.

    Or ceci n’est pas, pas pour exactement parler, un détail mais une affirmation essentielle de l’oeuvre, à la fois une contrainte et à la fois un mode opératoire qui conditionne l’entièreté de l’oeuvre. Et là où j’aurais pu déceler des traces d’une certaine suffisance dans cette oeuvre dont je pensais, à tort, tellement à tort, qu’elle fut une manière de provocation, elle est en fait d’une modestie confondante et pourtant elle atteint à bien des égards des sommets brillants et précisément dépouillés de toute prétention, sans parler de la remarquable inversion de valeurs quant à la taille des modules, les plus impressionnants par leur taille, les grands blocs de bois, du red cedar m’assure Daniel, sont en fait les moins denses et c’est avec les moins denses de ces modules que Carl André construit les oeuvres les plus grandes et les plus étendues. Et au contraire les plus petites sont parfois obtenues avec de petits lingots et de petites plaques de métaux fort lourds.

    Vers la fin de l’exposition il y a une vidéo dans laquelle on voit Carl André assembler, bloc de granit à bloc de granit, une oeuvre de quadrillage des blocs en question, relevés, debouts, on y voit Carl André, stature moyenne et salopette de maçon, déplacer chacun de ces blocs, d’un coin à l’autre d’une grande galerie, à l’aide d’un petit chariot sur roulettes, en fait deux planches de bois montées sur une manière de planches à roulettes, et dans le coin dans lequel il installe sa formidable sculpture, il se repère pour le placement très exact de chaque bloc avec de grandes mesures de bois, rien de plus modeste, rien de plus minimal dans la véritable acceptation non réductrice et noble du terme d’un tel travail.

    Sortant de cette exposition deux pensées m’assaillent, quelles sont les oeuvres majueres au bord desquelles je reste faute de savoir entrer de plain pied dans de telles oeuvres ? Et pendant que mes contemporains se focalisent sur le grand concours du khalife à la place du khalife, se rendent-ils compte qu’ils passent littéralement à côté des événements majeurs de leur temps, ainsi une rétrospective de Carl André dont je n’avais pas du tout entendu parler et que je visite lors de son dernier jour d’ouverture, en compagnie de l’ami qui seul pouvait me faire toucher du doigt le mystère de cette oeuvre, sans parler de la partie de l’oeuvre relative à la poésie.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/invites/daniel_van_de_velde/index.htm

    J – 80 : Quel plaisir d’aller chercher mon ami Daniel à la gare et comme souvent avec lui, nous ne sommes pas arrivés depuis deux minutes à la maison, j’ai à peine eu le temps de remettre au four, couvertes d’aluminium, les tomates farcies, qu’il me remet déjà un exemplaire de son dernier recueil de poèmes visuels de même qu’un exemplaire du dernier numéro de la revue Nuire dont il est le secrétaire particulièrement actif et enthousiaste.

    Et je découvre donc, pendant que Daniel se régale de mes tomates farcies, dont il m’apprend que c’est son plat préféré, son dernier recueil, Numérique a minima . Et c’est tout un monde qui me saute au visage presque, celui de la poésie visuelle qui, si Daniel ne m’en avait pas parlé plus ou moins la dernière fois que nous nous sommes vus chez lui aux Vayacs, océan visuel donc dans lequel j’avais plongé la tête la première en donnant à Daniel les moyens de mettre en ligne un premier recueil numérique dans le Désordre , pour son plus grand contentement, sans tout cela donc, je n’aurais jamais eu la moindre idée que ce fût là une manière de 17ème art. J’avais bien entendu parler des travaux de Julien Blaine, je ne suis plus très bien par quel biais nécessairement poétique, ou encore, cela tombait bien il était prévu que nous allions à son exposition, des poèmes de Carl André, et sans doute aussi de quelques poèmes visuels vus/lus ici ou là, mais dont j’aurais été bien en peine d’en nommer les maternités.

    Et j’imagine que c’est un peu, toutes proportions mal gardées comme si je découvrais un champ artistique de la taille d’un continent, à l’âge de 52 ans, soit quatre adolescences de 13 ans, juste après en avoir vécu trois de 17ans.

    Dans le travail de Daniel, aussi bien celui de sculpture que celui donc de la poésie, pas nécessairement visuelle, donc, je suis toujours frappé par la très grande pertinence de son travail, ses choix, les grandes directions du travail parfaitement sous tendues par le travail en lui-même ou comment un travail et une patience de fourmi, du lettre à lettre sur de grands panneaux, finit par dessiner de grands poèmes, visuels, assurément visuels, comme si l’énergie propre à un mot, à une expression, un nom de lieu, était soudainement libéré de la bouteille trop étroite qui le contenait et que tous ses sens finissaient par résonner. Et je vois bien ce qu’il y a de précisément poétique à cette libération et la démultiplication qu’elle engendre, le poème n’est-ce pas cette phrase que l’on a dépouillée de tout et qui, décharnée à l’extrême, permet à chacun de ses mots de chanter, de recouvrir tous les sens que ce mot contient, et de pouvoir, enfin, peindre des impressions, par exemple, mais seulement des impressions, sans lester ces dernières au point de les anéantir.

    Et il faut pour produire de tels poèmes justement un esprit comme celui de Daniel, un esprit à la fois aux aguets, jamais tout à fait tranquille, capable de percevoir chaque infime nuance, et d’avoir le courage de certaines répétitions pour justement produire de tels poèmes, certains qui ne contiennent qu’un seul mot, deux, quelques-uns et ce sont des univers ouverts dans lesquels le lecteur est happé. Irrémédiablement. Des énigmes et des miracles. Rien moins. Et ce n’est pas grand chose. Tout en étant tout à la fois.

    #qui_ca

  • J – 81 : La plupart du temps j’arrive le premier à mon étage, parfois même le premier pour tout l’immeuble la sécurité et la dame de l’accueil mis à part. Et lorsque j’arrive à mon étage, je choisis, même aux jours voisins du solstice d’hiver de ne surtout pas allumer et de progresser seul dans un open space à la fois désert et enténébré. Je m’installe devant mon poste dans le noir, je l’allume, pendant ce temps-là je vais me faire un café dans le noir, je suis bien, je me sens bien dans l’open space seul. Et bien souvent j’en abats du travail pareillement seul et donc garanti de nombres de sollicitations pas toutes bienvenues, comme celle, notamment, du grelot du téléphone. Je relève mon courrier, j’y réponds, parfois je profite de l’heure matinale pour mettre en ligne sur seenthis mes dernières chroniques de Qui ça ? Et du coup je jette un œil aux signalements des unes et des autres et c’est seulement une bonne heure plus tard qu’arrivent les premiers collègues, les premières lumières les premiers coups de téléphone. Je regrette presque cette arrivée. Même s’il serait parfaitement déraisonnable de rêver avoir l’open space pour soi seul.

    Ce matin un peu avant que n’arrive mon premier collègue, j’ai commencé à sentir une forme de douleur très inhabituelle sur le côté gauche à la hauteur du cœur. Et cela a commencé à me faire de plus en plus mal en fait, au point que j’ai accueilli avec soulagement l’arrivée de ce premier collègue auquel j’ai tout de suite, le pauvre, déclaré que je ne me sentais pas bien du tout. Ni une ni deux je l’ai entendu se ruer sur mon poste téléphonique pour composer le numéro de la sécurité, le 2222. Le type de la sécurité est monté tout de suite et très rapidement il a appelé les pompiers, rien moins, tout en me recommandant de ne plus bouger. Et d’ailleurs les pompiers je les ai entendus et vus arriver depuis les fenêtres de mon bureau de même que j’avais assisté au printemps dernier à cette scène de petit accident de la circulation et sa résolution inédite, ce dont j’avais fait un passage d’Élever des chèvres en Ardèche ( http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/textes/extraits/chevres002.htm ) . Les choses auxquelles on pense en ne sentant pas très bien au travail et en attendant l’arrivée des secours. Et les secours sont arrivés.

    Au nombre de trois pompiers amplement harnachés avec un matériel pas possible qu’ils ont autoritairement installé sur mon bureau et auquel ils m’ont branché de partout, et tout d’un coup là où d’habitude j’analyse des données réparties dans des feuilles de calcul, ce sont des données très personnelles qui se sont affichées presque toutes relatives à mon système sanguin. De même les pompiers ont commencé à me poser des questions drôlement personnelles de savoir si par exemple je consommais du tabac, de l’alcool, des drogues, là j’ai eu une pensée pour mon ami @reka qui se demande toujours comment je fais pour autant écrire et auquel je réponds en plaisantant que je prends des produits, les choses auxquelles on pense pendant que des pompiers vous prennent la tension en plein open space et même vous pivotent sur votre siège à cinq roulettes pour vous soustraire à la vue de vos collègues qui arrivent, de plus en plus nombreux, c’est leur heure d’arrivée à eux, et vous brancher désormais à un appareil d’électro cardiogramme, les pompiers ne vous écoutant pas quand vous leur dites que vous savez de façon certaine que vous n’êtes pas cardiaque, d’ailleurs vous ironisez parce que le chef de ce trio de pompiers transpire abondamment et vous lui faites remarquer que si cela se trouve son rythme cardiaque à lui est plus rapide que le vôtre en ce moment même, mais vous, c’est la procédure. Et une procédure cela ne se discute pas. C’est une procédure.

    Finalement tout cet appareillage finit par vous donner raison, le cœur, j’ai bon cœur, n’est apparemment pas le coupable dans cette affaire, vous ironiseriez presque sur cette erreur de distribution, je crois que l’on parle d’erreur de casting , il n’empêche les pompiers sont fermes, vous avez la mine d’aller passer la journée à l’hôpital.

    Si l’accueil à l’hôpital aura été d’une célérité stupéfiante, en moins d’un quart d’heure j’ai été dispatché, ausculté, perfusé et radiographié, un quart d’heure plus tard surtout j’étais parqué là où on a pu, c’est-à-dire, gisant sur un lit à roulettes en face d’une batterie d’ascenseurs parce qu’en ce moment il y a des travaux à l’hôpital et qu’on ne sait plus où ranger les patients qui devront donc être compréhensifs autant que patients. Et qui dit travaux aussi, dit outils mécaniques en action, à tous les coups à défaut d’une pathologie cardiaque j’allais hériter d’une bonne céphalée. Et pareillement parqué je le suis resté pendant huit heures. Sans lecture et 41% restants de charge sur mon téléphone de poche, ce qui est très peu, qui m’a permis de prendre une dizaine de photographies de ma condition d’alité en face des ascenseurs et de prévenir Madeleine de ma condition qui, ne t’inquiète pas ma grande fille, ils sur réagissent beaucoup, je ne suis pas cardiaque, ne me permettrait pas nécessairement de prendre en charge la confection du repas du soir, j’avais prévu de faire des tomates farcies au fromage de chèvre mais cela risquait de finir en pâtes à rien, les choses auxquelles on pense en étant alité pendant huit heures devant une volée d’ascenseurs, c’est bon aussi les pâtes à rien Papa a répondu Madeleine.

    Comment décrire l’ennui compact de ces huit heures, si ce n’est en exhortant mon lecteur à regarder la photographie en haut de cette page pendant huit heures et n’est-ce pas un peu excessif et trop attendre d’un lecteur même très attentif, le numérique cela ne fait pas tout comme expérience de lecture, quand bien même j’ajouterai un enregistrement sonore de marteau piqueur à cette page.

    Et n’en ai-je déjà pas suffisamment demandé comme cela à mon lecteur ?

    Tandis que je sortais, vers 18H, littéralement affamé, de l’hôpital, chopant le bus qui à ma plus grande surprise, je ne connais pas du tout cet itinéraire, l’hôpital de Montreuil, étant un lieu où je ne me rends jamais, me déposa tout près de chez moi par un froid de canard et une lumière radieuse, j’ai repensé à la remarque d’un des jeunes pompiers accourus à mon secours et avisant mon cahier de notes d’ingénieur, vos dessins reflètent votre état d’esprit du moment ?

    #qui_ca