• J – 110 : Rendez-vous avec Julien à la médiathèque de Suresnes pour faire les mises au point concernant le matériel (pour Apnées , le 7 février à 20 heures, médiathèque de Suresnes, spectacle gratuit). Je dois commencer à prendre un peu de bouteille dans ce domaine parce que je suis désormais capable d’anticiper quelques difficultés scénographiques et d’éclairage, tout en y trouvant des solutions, grandement aidé en cela par le fait que Dominique et Michele sont parfaitement à l’aise dans le noir, une petite lampe de chevet pour l’un et des clips de lutrin pour l’autre et le tour est joué, enfin, je crois. À moi (mes images) toute la lumière (du vidéoprojecteur), je serai calé dans un coin, côté cour, avec Michele.

    Rendez-vous à la mosquée avec Sarah et, plus tard, qui nous rejoint, Arnaud. Plaisir d’esquisser avec Sarah les plans de son futur site, tout en buvant des hectolitres de thé à la menthe, plaisir de retrouver Arnaud, pas vu depuis tellement longtemps, depuis Contre à la médiathèque de Suresnes, finirai-je par mentalement retrouver. Discussion à bâtons rompus à propos de tout, de nos tentatives passées et communes d’écriture en ligne, de ce qu’il en reste, en fait un champ de ruines amères, et de ce qui nous nourrit désormais, l’envie inaliénable de continuer, façon, on ne peut pas continuer, il faut continuer, on continue.

    Je souris à l’idée que depuis quelques temps je mélange allégrement les petits croquis que je fais pour expliquer, ici à Sarah, les maquettes que je voudrais mettre en place et des petits schémas un peu plus rébarbatifs de cheminement réseau et de répartition et d’organisation des données dans le cadre de mon travail d’ingénieur de maîtrise d’ouvrage. Finalement une seule constante entre ces deux types de croquis, ils sont parfois traversés par des ailerons de requin.

    #qui_ca

  • J – 111 : C’est comme si j’avais grandi avec ce cinéma. Celui de Jim Jarmusch. Je me souviens être allé voir Stranger than paradise sur la seule foi de son affiche (et un peu du titre), j’aimais cette image en noir et blanc de ces trois jeunes gens avec leurs airs cool dans une voiture américaine, j’étais dans ma première terminale, rien ne me prédisposait à aimer ce film dans lequel j’avais entraîné deux amis qui, comme moi, n’étaient pas du tout épatés en sortant du film, mais alors je n’aurais pas voulu l’avouer, je ne pense pas que j’avais capté grand-chose de ce film dans lequel il ne se passe pas grand-chose (la grande constante du cinéma de Jim Jarmusch), à une vitesse fort lente (puisqu’il ne se passe pas grand-chose, rien ne presse, l’autre grande constante de ses films), mais il était hors de question que je sois pris en flagrant délit de ne pas comprendre un truc obscur, et je me souviens avoir argumenté dur comme fer à la sortie à propos de la lenteur du film, de son atmosphère, de sa photographie (à l’époque, je me piquais de photographie, je tirais moi-même mes photographies dans ma salle de bain, mais j’étais encore loin de détenir le moindre savoir technique sur le sujet, tout était terriblement empirique, mais ayant accidentellement découvert les vertus de la solarisation et bien que ne sachant pas que c’était de la sorte que l’on appelait ce procédé, j’en faisais grand usage et expliquais que c’était un trucage que j’avais mis au point, quand j’y pense alors j’aurais pu écrire des romans avec de pareilles fictions, et que j’y pense encore, ma vie d’adulte aura surtout consisté à donner un corps à de telles fictions seulement adolescentes, finalement il n’y a guère que dans la musique que je ne suis pas parvenu à faire quelque chose dont je me serais prévalu adolescent, je n’entends rien à la musique et en dépit d’une véritable obstination pour apprendre à jouer de la guitare sèche avec une méthode de piano à queue, en dépit de l’obstination, le manque de méthode n’a rien donné), bref j’avais été de la plus mauvaise foi pour dire que j’avais adoré ce film dont en fait je ne pensais pas grand-chose, alors, parce que, maintenant, je suis en larmes d’émotion à chacun de ses plans ou presque, surtout celui de la visite des bords du lac Erie.

    Down By Law est sorti en septembre 1986 en pleine vague d’attentats à Paris et à la rentrée en première année aux Arts déco, d’ailleurs j’étais fort jaloux qu’une partie des premières années, dans une autre classe, étudiaient le script de ce film dans les moindres détails, dessinant des story boards , reproduisant des scènes en les photographiant etc… et d’ailleurs je suis allé le voir plusieurs fois en bandes organisées au point de très rapidement en connaître des pans par cœur. Et cela aura été pour moi le vrai passeport de mon inclusion aux Etats-Unis, quand je tombais sous la coupe des deux Greg au département photo de SAIC qui s’amusaient énormément avec ma maîtrise très défaillante de leur langue, m’apprenant dans un premier temps du vocabulaire technique photographique de travers, du genre objectif pour margeur et inversement ( easel pour objectif et lens pour margeur), puis ayant passé cette étape des expressions idiomatiques fausses, certaines d’ailleurs dont je ne parviens pas toujours à me défaire, comme de dire que the grass is always greener on the other side of the river et non fence (l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, en anglais de l’autre côté du grillage, dans l’anglais fautif des deux Greg, de l’autre côté de la rivière), et je pense que je les avais finalement mis de mon côté, lorsqu’un jour je finis par leur dire, en forçant mon accent français, it is a sad and beautiful world buzz off to you too . Des années plus tard j’aurais eu beaucoup de plaisir à rassurer mon ami L.L. de Mars qui avait les miquettes sur une route à la foi enneigée et verglacée vers le festival d’Angoulême en lui faisant réciter, et en lui donnant la réplique, les dialogues de Roberto avec Jack & Zack, its’ Jack, not Zack, get it straight man.

    J’ai vu Mystery train à Chicago avec Cynthia et cela m’avait même armé pour certaines de nos disputes, quand je finissais par lui dire avec mon accent européen I am sorry I am a bit discumbobulated , et quand cela la faisait rire, elle finissait par me répondre en imitant la grosse voix de Screamin’ Jay Hawkings, yes I know the feeling . J’aime ce film, moins connu, à la folie. J’aime son ambiance de small time America , la petite ville américaine (ce qui n’est pour rien dans mon adoration, désormais, de Paterson ), encore que Memphis tout de même.

    J’ai vu Dead Man à Portsmouth, hypnotisé par les effets de delay de la guitare électrique de Neil Young qui signe là sans doute sa meilleure musique, effondré de rire lorsque le personnage interprété par Mitch Mitchum, son dernier film je crois, monologue avec le grizzly empaillé de son bureau, et ensuite littéralement pris par la main par le personnage de l’Indien quand les hautes portes barricadées du village s’ouvrent et que la vision du personnage interprété par Johny Depp ne cesse de perdre de la netteté. C’est un film qu’ensuite j’ai vu de nombreuses fois par petits bouts, or il me semble que c’est exactement cela un film fort que l’on avale à petites lampées comme un simple malt, des lampées qui brûlent mais qui sont tellement belles ? ou comme on ne relit jamais la Recherche en entier, seulement par extraits presque pris au hasard.

    Night on Earth est sans doute celui qui me fait le plus rire et je ne pense pas que je pourrais le voir dans un cinéma sans m’en faire jeter tellement cela me fait rire fort et avec un petit temps d’avance parce que j’en connais tous les lacets par cœur, la non-rencontre entre Gena Rowlands et Winona Ryder, la folle confession du chauffeur de taxi italien interprété par Roberto Begnini, quand ce dernier explosait encore de talent, et le feu d’artifice d’humour noir kaurisimakien en Finlande

    Ghost dog m’a moins plu, j’en goûte beaucoup l’excellente musique de RZA , le jeu admirable de Forest Whitaker, la narration aussi et la construction du personnage, mais beaucoup moins une certaine forme d’esthétisation des assassinats.

    Coffee & cigarettes est peut-être mon préféré, c’est l’association merveilleuse des deux grandes forces de Jim Jarmusch, une ambiance très calme, enveloppante, et des retours arrières dans le scénario sur le thème du déjà vu, en anglais dans le texte. Quant à la scénette entre Tom Waits et Iggy Pop, qui ont tous les deux arrêté de fumer, je crois que je pourrais la regarder plusieurs fois de suite.

    Broken flowers m’a fait pleurer tellement je trouvais cela beau ce personnage d’homme hanté par son passé amoureux et sa résolution en queue de poisson, et aussi pour le coup un sens admirable du détail qui place toute la confiance dans le spectateur de relever de tels détails pour comprendre la progression du scénario, quels sont les cinéastes qui nous font suffisamment confiance ? Et quel cadeau ils nous font, quand ils le sont !

    Je suis passé entièrement à côté de the Limits of control , mais d’un autre côté je l’ai vu d’après un fichier téléchargé, dans une définition très moyenne, que j’ai regardé dans le train un dimanche soir en revenant de Clermont-Ferrand, sans doute pas la meilleure des justices que l’on puisse rendre à une œuvre cinématographique, qui plus est de la part d’un cinéaste comme Jim Jarmusch.

    En sortant de Only lovers Left alive , j’étais très mitigé, pour une fois la lenteur du film m’a pris à rebrousse-poil, j’avais le sentiment qu’il se regardait en train de filmer, qu’il y avait des problèmes de faux rythme dans cette lenteur et ce n’est qu’après-coup que j’ai compris les nombreuses métaphores du film, celle des vampires qui, immortels, finissaient par périr de notre crise de l’environnement, celle de la solitude des artistes, celle de la fin du monde en situant l’action du film dans les quartiers défoncés de Detroit (et il fallait le faire !), et du coup je me dis souvent qu’il faudrait que je le revoie.

    Bref, vous l’aurez compris Jim Jarmush pour moi cela a toujours été une sorte de grand frère qui aurait fait les Arts Déco dix ans avant moi, qui m’aurait prêté ses disques, notamment ceux de Tom Waits et celui de RZA , un grand frère que j’aurais admiré dont j’aurais parfois voulu copier, toutes proportions mal gardées, une certaine forme de lenteur dans la narration, mais aussi une sorte de copain du bar de mon quartier du temps où j’habitais à Chicago, Jim Jarmusch c’est comme si j’avais déjà joué au billard avec lui au Gold Star . Et ce n’est pas la moindre des qualités que je trouve à son dernier film, Paterson , donc, que de me replonger dans cette atmosphère américaine, celle d’une époque que je tiens pour bénie de mon existence, et dont je sais intuitivement, et c’est sans doute cela qui me retient de traverser l’Atlantique, que je n’en retrouverais aucune trace sur place, si ce n’est donc, de façon fugace dans quelques plans et dans l’ambiance même des films de Jim Jarmusch, singulièrement le dernier, Paterson .

    Et justement j’aime dans Paterson , dès la première scène de réveil, la lumière, certes de studio, certes truquée, dans le sens qu’en fin d’été, début d’automne, il ne fait pas à ce point jour à six heures du matin (je soupçonne Jim Jarmusch de ne pas se lever souvent à six heures du matin), mais cette lumière du matin américain, de ses odeurs de café insipide, de bol de céréales avec un lait insipide aussi, même celui donné pour entier, ses bagels, cette lumière rasante qui rentre dans les chambres et qui éclairent les meubles faussement vieux et les petits cadres posés sur des napperons, oui cette lumière-là contient tout ce que je regrette des matins américains. J’aime les collègues qui, à défaut d’aller comme un lundi, ont des soucis infinis avec l’existence et la difficulté de la financer à crédit, j’aime la petite ville américaine qui fait son possible pour ressembler aux grandes, sa main street et les passagers du bus, élèves, étudiants, ouvriers et retraités (tout le reste de la population est en voiture), et j’aime par-dessus tout l’atmosphère sombre et chaleureuse du bar le soir, le même bar où l’on va sans se poser de questions, où l’on appelle le barman par son prénom, où l’on appelle tout un chacun par son prénom, et où ce sont les mêmes clients qui sont là, tous les soirs, autour de la table de billard où on joue à la boule huit, no last pocket , plus rarement à la boule neuf, qui est plus un truc de pool hall dans lesquels gravitent les fameux pool huslers (comme celui de Robert Rossen, dont d’ailleurs toutes les scènes de billard sont tournées à Chicago dans un pool hall fameux où Greg m’emmena un jour, seul endroit de la ville avec un billard français ce qu’il voulait essayer).

    Et dans ce merveilleux écrin, cette atmosphère chaleureuse, ce conte remarquable, parfaitement narré, fondu dans l’enchainement des jours, le quotidien immuable et répétitif, belle gageure de narration répétitive sans générer le moindre ennui, tout au contraire, de la fascination, de celle qui fait que l’on remarque petit à petit certains détails, et, donc, très très bien joué, notamment par Adam Driver au début de la scène finale, des larmes sans larme, un homme vaincu, complètement écrasé, sur le point d’exploser. C’est l’une des plus belles scènes du cinéma de Jim Jarmusch, elle en contient tous les ingrédients habituels, elle prend son temps et c’est un élément étranger qui arrive dans le cadre côté cour, telle la dealeuse à la fin de Stranger than paradise , l’aubergiste italienne de la fin de Down By Law , la veuve italienne à la fin de Mystery Train , celle qui se sent un peu discumbobulated , dans Paterson , le poète japonais égaré, grand lecteur de William Carlos Williams, qui finit par apporter ici le salut, là la solution, dans le cas de Paterson, les deux, et donne au récit, qui avait pris tout son temps, toute son épaisseur, de celles qui vous poursuivent longtemps après avoir vu le film, telle la portée poétique d’un vers. Un poète vaincu, écrasé par le quotidien dont il était parvenu à s’extraire grâce à sa poésie justement, tel l’apôtre Pierre sur le Mont des Oliviers, se renie et répond que non il n’est pas poète, qu’il est juste un chauffeur de bus comme un autre — autant vous dire qu’un certain informaticien de ma connaissance, qui écrit des fictions à ses heures, n’en menait pas très large devant cette scène —, et c’est un autre poète qui le sauve en donnant de nouveau un sens à son existence, une injonction, la seule qui vaille, écris ! Et le poète vaincu qui n’est plus au bord des larmes redevient un poète, il ne pleure plus le recueil perdu, il écrit ce qui le détermine, sa poésie qui est plus grande que lui, plus grande que les poèmes détruits.

    Le poète est à l’image des autres personnages de ce film, un artiste à la recherche de son véritable moi, un moi libre et émancipé, un moi serein, qui vit sereinement dans l’enveloppe charnelle d’un conducteur de bus d’une petite ville des Etats-Unis qui porte le même nom que lui — volonté chez le cinéaste de nous dire que son film est à la fois à propos d’un personnage, Paterson, et à la fois à propos d’une petite ville, Paterson, admirable fusion.

    Mon grand frère Jim a vieilli un peu, il n’écoute plus de rock, il est un peu plus raffiné dans ses prédilections, ses narrations sont encore plus lentes qu’auparavant, il est surtout en train d’entrer dans la catégorie des cinéastes poids lourds et chenus à la fois, les Manoel de Oliveira, les Bergman même, Tarkovski, il touche au sublime. Quel dommage en revanche qu’il n’ait pas pensé à engager un graphiste digne de ce nom pour ce qui est de l’écriture des poèmes à même les images de la ville notamment. Un poète qui écrit sans rature est-il un vrai poète ? Mais en regard de l’immense film qu’est Paterson c’est un infime reproche.

    #qui_ca

    • Ben je ne trouve pas cela très opérant comme critique. C’est un peu, comment dire, primaire.

      Je ne pense pas que le récit de film fasse de hiérarchie entre les différents « artistes » de ce film, et même plutôt le contraire. Tous les personnages ou presque qui ont effectivement un rôle dans ce film sont à la recherche d’une forme d’émancipation, le barman s’entraîne pour son tournoi d’échec de samedi, l’acteur expérimente in situ ses rôles (exprérience un peu limite c’est vrai), le personnage de Laura entreprend de développer sa ligne de cupcakes ET de devenir une chanteuse de folk (avec, en plus, davantage de réussite que son compagnon), et donc Parterson lui-même qui écrit des poèmes. Finalement le seul personnage qui n’est pas dans une telle recherche est celui qui est englué dans ses problèmes domestiques, le contrôleur. Quant à la scène finale, elle voit Parterson réaliser que ce n’est pas tant la sauvegarde de ses poèmes qui est importante mais leur écriture au moment de l’écriture, que c’est surtout pour lui-même qu’il écrit ses poèmes.

      Et en tant qu’auteure de Chez soi , tu ne vas pas me contredire que l’artiste la plus importante parmi tous ces personnages c’est Laura quand on voit cette manière extraordinaire qui est la sienne de transformer quotidien (qui déborde largement, les petites photos tous les jours différentes dans la lunchbox sont une oeuvre en soi) et habitation !

      Vraiment au contraire tous les personnages du film (à l’exception notable du contrôleur dont le problème majeur dans l’existence finalement c’est qu’il est endetté, qu’il vit à crédit) sont des artistes de leur propre existence, des artistes d’eux-mêmes en somme.

    • Ouais, les amies, vous avez sans doute raison. Je pensais que c’était moins flagrant que vous ne le dites, mais à la réflexion, je pense que vous avez sans doute raison. Cela doit tenir de l’impensé chez lui.

      Il faudrait par ailleurs je repense à cela en regard du reste de sa filmographie dans laquelle il me semblait pourtant que les personnages féminins étaient nettement moins caricaturaux que dans les films de ses collègues, que souvent même, c’étaient elles qui sauvaient des situations dans lesquelles les hommes s’étaient embourbés. Enfin cela paraissait plutôt équilibré. Je vais y repenser.

    • http://www.dictionary.com/browse/discombobulated
      http://www.wordreference.com/enfr/discombobulated

      @aude_v Je crois que le seul qui est vraiment peut-être aps raté, mais disons moins réussi que les autres, c’est The limits of control il me semble que tu devrais apprécier Only lovers left alive pour la métaphore à propos de l’environnement. Et Broken Flowers est très beau aussi. Je te parle des récents, les autres tu les connais.

  • J – 112 : Pour @reka

    Cela faisait quelques jours que je sentais bien que ma petite Adèle n’était pas au meilleur de sa forme et il était difficile de faire la part des choses entre la fatigue de fin d’année, celle du creux de l’hiver, celle relative à sa forte croissance, 1 mètre 73 à douze ans, c’est un peu hors norme je crois, celle relative au début de l’adolescence, finalement Adèle est la dernière enfant de cette maison et elle est sur le point justement de quitter cette enfance. Mais tout de même, je me demandais s’il n’y avait pas quelque chose de spécifiquement ennuyeux pour elle en ce moment.

    Du coup hier soir je suis passé la prendre à la sortie du collège et je l’ai emmenée dans un café, un café qu’elle aime bien, on s’est assis de part et d’autre d’une petit table, la serveuse a été aux petits soins m’apportant un thé et à Adèle une limonade, elle paraissait un peu grande pour boire une limonade ma grande petite fille, surtout elle avait faim aussi lui ai-je commandé une pâtisserie ans le menu des desserts de ce café qui fait aussi restaurant, un Apfelstrudel qu’elle a trouvé fort à son goût.

    Et c’est étonnant parce qu’Adèle que je suis parfois contraint de cuisiner un peu, gentiment s’entend, quand je veux savoir quelles sont ces pensées nuageuses qui étendent leurs ombres sur son caractère par ailleurs fort épanoui habituellement, cette fois, est-ce le contexte de cette discussion de café, de discussion de grands, Adèle donc, ne s’est pas trop faite prier pour m’expliquer ce qui en ce moment l’assombrit pareillement. Et bien que j’étais très attentif à ses explications, j’étais également fasciné par la métamorphose lente de son visage qui ne parvenait pas à se décider à être celui d’une enfant ou celui d’une jeune adulte, visage sur lequel passaient des expressions contradictoires de douleur et de tendresse, ma petite fille était sur le point de devenir une jeune femme, et la fragilité de l’enfant, ce que cela commande d’attention et de précaution était en train de laisser le pas à la fragilité d’une toute jeune femme et ce que cela commande d’attention et de précaution. Je lui ai tendu la main sur la table, elle l’a prise dans sa main chaude, sale et pleine d’encre comme à la fin d’une journée d’école, mais le poids, la taille et la forme de cette main n’étaient pas ceux d’une main d’enfant, d’élève.

    Cela lui a fait du bien à ma grande Adèle de vider son sac, sa main dans la mienne d’ailleurs m’a paru plus légère, comme si elle reprenait sa masse propre à celle de l’enfance, et c’est comme si j’avais compris, il serait temps, que les enfants ne passent pas d’un état à un autre en une seule fois, mais font des aller-retours, tentent une sortie du côté de l’adolescence, reviennent à l’enfance puis tentent une nouvelle sortie puis reviennent et cela de nombreuses fois sans doute. C’est bien, me suis-je dit, quand le dernier de mes enfants sera devenu une adulte, je serais fin prêt pour ce qui est de les élever, j’aurais enfin un peu de compétence à revendre.

    #qui_ca

  • J – 113 : Un dimanche ordinaire qui n’avait rien d’ordinaire.

    Au marché je suis plus ou moins le premier sur place. Les maraîchers sont fort embêtés, la prise de courant fournie par la ville pour alimenter leurs balances ne donnent pas de courant. Pas de pesée, pas de vente possible. On a bien appelé un employé de la municipalité mais rien ne bouge vraiment. Je propose d’aller chercher ma petite balance de cuisine, elle fonctionne avec une pile, en revanche elle n’opérera pas les calculs qui veulent que 345 grammes d’une denrée à 2,80 euros le kilo devraient coûter 96 cents. Comme je leur dis, va falloir réviser sa règle de trois. Lorsque je reviens avec ma petite balance, une autre opération est en cours qui consiste à tirer une rallonge électrique depuis le garage d’une voisin jusqu’au centre de la petite place, je suis bon pour retourner chez moi chercher une rallonge électrique, des clients comme moi, vraiment.

    Pendant ce temps-là la queue commence à s’allonger d’autant que peser certes, faire un calcul approximatif soit, mais en plus il faut ensuite additionner, tout cela avec une seule balance toute petite pour plusieurs vendeurs, même en la tarant avec un plateau assez large c’est vraiment mal commode. La rallonge pose ensuite un problème, elle est équipée d’un dispositif de sécurité. Un peu de ténacité avec un trombone et on parvient avec un des maraîchers à enfoncer la prise mâle dans la prise femelle. On me rend ma balance en me remerciant, tout en se disant qu’on n’aurait pas pu faire tout le marché de la sorte. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est pourtant de la sorte que faisaient les maraîchers dans mon enfance, je ne sais pas quelle était alors la part d’approximation, mais maraîchers et clients avaient l’air de s’y retrouver.

    Une qui a sans doute mieux connu ces temps reculés que moi encore, s’adapte admirablement à l’époque et profite que je suis en train de donner ces différents coups de main, des clients comme moi, vraiment, pour sauter mon tour et lorsque je demande l’unique œuf de dinde qui trône au milieu des autres œufs tente de faire valoir qu’elle était là avant moi et que cet œuf devrait lui revenir. J’en suis encore médusé, un quart d’heure plus tard ayant remonté mon cabas de courses et rangeant les légumes dans le bac du réfrigérateur.

    Je cuisine un déjeuner comme rarement — bien que je parvienne toujours pas à retrouver ce goût de tomates frites à l’ail tel que dans mon souvenir de très lointaines vacances cévenoles des années septante, défi que je me suis lancé récemment, j’y suis presque mais ce n’est pas encore cela, peut-être que les tomates d’alors étaient plus fortes en calculs mental que celles que l’on sert aujourd’hui — et les enfants se régalent du tiramisu que j’ai préparé la veille avec l’aide précieuse de Nathan.

    L’après-midi je pars me promener avec Nathan au parc des Baumonts. Je pense que je ne suis pas près d’oublier cette conversation que j’ai eue avec Nathan, assis côte à côte sur un banc, c’est sans doute la première fois que le contenu même de la discussion était à la mesure de sa largeur d’épaule. Je le trouvais drôlement beau et drôlement courageux mon garçon à pareillement s’ouvrir de quelques-unes de ses tracasseries et quel plaisir c’était de pouvoir lui dire que pour certaines d’entre elles, cela me rappelait quand j’avais le même âge que lui et que je me faisais un sang d’encre à propos de ce que l’avenir me réserverait. Toi aussi ? a dit Nathan et c’était comme s’il m’avait tendu la main et que j’étais comme lui, adolescent.

    Le soir, dîner de travail chez @archiloque et @sabineblanc avec Sarah. Où je suis obligé de reconnaître que non, décidément non, on ne peut pas, on ne peut plus, a-t-on seulement pu un jour, construire des sites internet comme je fais et attendre que les lecteurs ne rebondissent pas et aillent voir ailleurs si je n’y suis pas.

    On va donc faire plus simple.

    Le soir, après avoir déposé Sarah, je fais un crochet par le garage avant d’aller me coucher pour vérifier que la transmission de mes mises à jour d’ Arthrose a bien fonctionné, cela a l’air d’être le cas, en revanche je suis obligé de me poser la question, est-ce que je ne suis pas en train d’aller trop loin, par exemple, quand je fais ne sorte qu’un lien s’ouvre dans une sous fenêtre qui n’est pas nécessairement visible du visiteur sans actionner les ascenseurs verticaux et horizontaux, oui, est-ce que je ne vais pas un peu trop loin ?

    #qui_ca

  • J – 114 : Projection au Kosmos d’Entre les frontières d’Avi Mograbi et Chen Alon, avec rencontre de ces deux derniers à l’issue de la projection. Sans doute l’un des plus intenses moments dans l’histoire de ces rencontres au Kosmos .

    L’actualité d’Israël et de la Palestine est telle que l’on pourrait en oublier qu’Israël n’est pas garanti d’être aux prises avec une autre actualité internationale, celle des réfugiés, singulièrement ceux arrivant du continent africain, principalement d’Erythrée, de Somalie ou du Soudan, après avoir traversé donc une bonne part de l’Afrique, l’Egypte et la frontière donc entre l’Egypte et Israël. Et comme partout, une fois arrivés en Israël, les réfugiés ne sont pas au bout de leur peine, loin s’en faut puisque le traitement de leur situation par le gouvernement est sans doute encore plus indigne que par chez nous, ces réfugiés, pourtant protégés par les traités internationaux relatifs aux droits des réfugiés, dont Israël est par ailleurs parmi les premiers signataires, même si cette signature date d’une autre époque, sont en fait parqués dans une ancienne base militaire à Holot, ils ont un visa qui indique qu’il ne sont pas autorisés à travailler — lequel visa spécifiant bien qu’ils n’en ont pas le droit, sera exigé par leurs employeurs de petits boulots au noir — mais surtout ils devront être présents aux trois appels quotidiens dans le camp d’Holot et tout manquement à l’un de ces appels est habituellement durement réprimé par un emprisonnement dont la durée est à la discrétion du fonctionnaire punissant cette infraction qui n’en est pas une. Certes ces réfugiés ne vivent plus dans la terreur de la dictature érythréenne, ce dont ils ne cessent de se féliciter, et d’en être ouvertement reconnaissants à un état pourtant pas très accueillant, il n’en est pas moins qu’ils vivent dans ce qui tient lieu d’une prison ouverte, cumulant les désagréments de la privation de liberté avec la nécessité de travailler de façon illégale pour assurer leur pitance.

    Comme l’expliquera Avi Mograbi lors du débat après le film, apprenant l’existence de ce camp, des réfugiés y étant retenus, et se souvenant d’un lointain cours d’histoire au lycée lors duquel le professeur abordait la question de refus des autorités suisses d’accorder l’asile aux Juifs de France, d’Allemagne ou encore d’Italie, fuyant la persécution nazie, le professeur avait alors décrété qu’une telle situation ne devrait plus jamais se reproduire, jamais, ni nulle part, Avi Mograbi décide donc de partir à la rencontre de ses réfugiés, et, cinéaste, de faire un documentaire à propos de leur condition. Ayant entretemps appris l’existence des travaux du Théâtre de l’Opprimé , il prend contact avec Chen Alon, les deux hommes ont un nombre remarquable de raisons de bien s’entendre, Chen Alon en revanche fait dévier le projet initial d’Avi Mograbi en s’en tenant au dogme fondateur du Théâtre de l’Opprimé , ce sont les membres de cette troupe qui écrivent eux-mêmes leur pièce en fonction des situations qu’ils veulent aborder, on ne leur fait pas jouer une autre pièce.

    On découvre alors le travail passionnant de Chen Alon et comment il dirige ses acteurs qui ne l’ont jamais été et comment il leur fait jouer tour à tour le rôle de l’opprimé et celui de l’oppresseur. La situation prend un tour extrêmement fort lorsque quelques amateurs israéliens viennent se mêler à cette petite troupe et deux scènes impressionnantes sont jouées par les réfugiés du centre-Est africain et les amateurs israéliens. La première, des réfugiés qui viennent juste de franchir une frontière sont appréhendés par des militaires garde-frontières, la deuxième des parents israéliens tentent de dissuader leurs enfants de jouer avec des enfants africains dans le même bac à sable, les deux scènes étant jouées des deux points de vue. Il est frappant de constater sur les visages de ces personnes que c’est lorsqu’ils jouent les oppresseurs qu’ils sont traversés par des émotions étrangères et que leur corps tentent par tous les moyens de refuser, et cela qu’ils soient africains ou israéliens, en fait, et c’est là l’une des grandes beautés à la fois du film et de la méthode, qu’ils soient humains.

    Il y a dans cette recherche de l’empathie un ressort d’une efficacité prodigieuse, et qui foudroie les Israéliens, ils sont tous descendants de réfugiés et se montrent particulièrement peu empathiques. S’il devait y avoir un défaut dans ce film — le film pas la méthode — c’est de ne pas extrapoler à propos de cette empathie si mal partagée. Se pourrait-il qu’elle soit mal partagée donc parce que les réfugiés sont noirs ? Se pourrait-il que les réfugiés africains soient des victimes collatérales de la construction politique et psychologique de l’ennemi palestinien (voir Construire l’ennemi de @mona http://www.peripheries.net/article321.html ). Et finalement quels sont les grands perdants, les réfugiés certes, mais aussi les Israéliens qui ne se rendent pas compte de l’immense valeur des personnes qu’ils refoulent, il n’y a que constater la façon tellement fluide qui est la leur de parler l’hébreu. C’est un point aveugle, quelle sont les autres personnes dans le monde qui parlent hébreu ? À la question de savoir si ce qui nous apparaît à nous à l’écran comme une grande maîtrise de la langue, Avi Mograbi et Chen Alon préciseront lors du débat que non seulement ces réfugiés parlent très bien leur langue mais qu’en plus personne ne le leur a apprise, c’est un apprentissage de la langue qu’ils ont fait dans des conditions de travail rebutante et tous lorsqu’on leur en fait la remarque répondent qu’il s’agit pour eux d’une question de survie.

    Et on voudrait se passer de l’immense valeur humaine de telles personnes ?

    L’après débat n’a pas manqué de chaleur non plus et j’ai pu approfondir cette question qui m’était importante avec Avi Mograbi et Chen Alon à savoir si de faire rejouer aux réfugiés certaines des scènes les plus traumatiques de leur existence ne risquait pas de leur apporter un surcroît de violence, de douleur. Comme l’un et l’autre m’ont répondu, c’est là une grande de leurs hésitations. Ou encore comme me l’a confié Avi Mograbi, chaque fois qu’il y a une interaction entre deux êtres humains on court le risque de faire mal à l’autre.

    Je n’ai pas rencontré beaucoup d’hommes comme Avi Mograbi, son jean, ses chaussures dont le cuir épais porte encore les marques d’une terre aride, une voix rauque qui ne raconte pas d’histoires et qui répond honnêtement aux questions qu’on lui pose. Jusqu’à dire son hésitation et la nécessité de faire quelque chose, en souhaitant le bien tout en sachant que c’est parfois le mal qui se profile. Un homme politique. Vraiment politique. Un homme politique qui porte sur ses chaussures la poussière des chemins qu’il arpente.

    Entre les frontières d’Avi Mograbi sort à Paris, ce mercredi. Courrez.

    #qui_ca

  • J – 115 : Nick Park est vraiment allé sur la Lune.

    J’ai découvert les films d’animation de Nick Park il y a une quinzaine d’années, un peu plus, avec les enfants, quand ils étaient petits et qu’ils étaient le public prédestiné pour de tels films. Et cela fait partie de ces découvertes extraordinaires, celle du plaisir de regarder de tels films en compagnie des enfants sans avoir à me mettre à leur niveau pour en apprécier la très grande beauté. Pour les enfants petits, c’étaient des crises de rire inextinguible aux gags, tellement nombreux de Wallace & Gromit , quant à moi, non seulement les gags me faisaient rire mais je trouvais un plaisir esthétique immense à deviner le travail des animateurs, à la beauté des décors, des personnages mais aussi aux cadrages aux éclairages, tout ce vocabulaire cinématographique admirable.

    Mais si je peux avoir vu Wallace & Gromit une bonne douzaine de fois, je ne pense pas que je l’avais déjà vu au cinéma sur un très grand écran, au premier rang, le nez sur l’écran. Au point de remarquer sans difficulté toutes les empreintes digitales des animateurs sur les personnages, les minuscules scories sur les blocs de pâtes à modeler ou encore certaines ficelles qui ont permis certains mouvements, ainsi quand Gromit bat les cartes à jouer, on voit, très furtivement, qu’elles sont toutes percées en leur centre et reliées à cet axe par un fil, qui est à l’image même du récit en question, le voyage sur la Lune pour aller y chercher du fromage (puisque toute la Lune est un immense fromage, tout le monde le sait), moyennant la construction d’une fusée aux décorations d’intérieur tellement britanniques.

    Depuis le projet de production des quatorze petits films d’animation pour le deuxième disque d’Élémarsons (http://www.le-terrier.net/musique/elemarsons), j’ai effleuré du bout du doigt tout ce qui était en jeu pour de telles réalisations, et ce n’est pas tant la somme invraisemblable de travail que représentent quelques secondes de ce genre de films qui fait mon admiration que les tellement remarquables astuces pour donner corps aux idées fantasques du réalisateur, astuces qui sont coulées dans la même matière poétique que les premiers trucages de Georges Méliès, je pense qu’il n’y a pas de plus intenses forges de l’imagination au pouvoir qu’un studio dans lequel Nick Park est en train de tourner un film.

    Et c’est un de ses tours de force que l’on puisse, à chaque fois, à la fois oublier ce qui est en jeu pour ce qui est de la fabrication des images que l’on regarde avec un esprit d’enfant retrouvé, et à la fois, en pleine conscience, que ce que l’on regarde c’est juste de la pâte à modeler et des trucages qui sont transparents d’ingéniosité, quand bien même Nick Park ne boude jamais le plaisir de la récursivité, c’est-à-dire faire un film d’animation qui parle aussi à son spectateur du travail même de l’animation, et tout cela encore une fois, avec des bouts de ficelle, de la bête pâte à modeler, au point que le projet de construction de la fusée digne du Voyage sur la Lune de Jules Verne dans son dessin, est à l’égale même en douce folie et en opiniâtreté que d’entreprendre de construire une fusée dans son garage.

    Il m’aura fallu cette projection d’un samedi après-midi glacial de janvier au Kosmos avec Nathan et Adèle pour le comprendre, l’entrevoir. Dès les premiers temps, Adèle et moi, qui passons de temps en temps du temps dans notre garage à nous à faire des trucs avec de la pâte à modeler et un appareil-photo juché sur son trépied, nous nous sommes regardés pour faire la même remarque en chuchotant, tu as vu, on voit les traces de doigt. Et c’est à force de laisser des traces de doigt sur ses personnages que Nick Park a réussi à vraiment les emmener sur la Lune.

    #qui_ca

  • J – 116 : Ces choses-là n’arrivent pas par hasard, on ne me le fera pas croire. Mercredi, j’invitais à déjeuner mon ami Nicolas, descendu de son Kosmos pour venir partager nos nouilles sautées avec les filles. Nous parlons du dernier film pour lequel Nicolas s’est étonné de ne pas me voir à la séance de rencontre débat, les Dernières nouvelles du cosmos de Julie Bertuccelli. Alors je suis contraint d’expliquer à Nicolas que c’était un choix conscient tant je n’étais pas certain d’être maître de mes émotions à la fois pendant le film, cela va encore, garanti que je l’aurais été par l’obscurité de la salle, mais plus difficile pendant le débat. Du coup Nicolas nous parle de cette amie commune, M., militante de la cause, et comment !, et de sa participation au débat, je dis à Nicolas toute mon admiration pour M., pour sa force, pour son courage, que je n’ai pas moi-même.

    Et ce soir tandis que je reviens de déposer Adèle au théâtre, depuis Nogent c’est presque un tiers du parcours en roue libre, je tombe sur M. qui elle se véhicule en roue carrément libre, grande sportive, c’est naturellement du timbre de sa bicyclette qu’elle me hèle, et donc je l’invite immédiatement à venir prendre un thé, je parlais justement de toi avec Nicolas il y a deux jours.

    M. et moi avons des désaccords très profonds sur des sujets essentiels, celui de la prise en charge des enfants autistes, sur le nœud, le cœur de ce que nous vivons, M. et sa famille, ma famille et moi. Et c’est souvent une merveille de discussion entre elle et moi, pour moi surtout, parce que justement je goûte pleinement notre désaccord, je goûte la saveur de ses arguments, pour ce qu’ils me font sans cesse repenser ma position, d’autant que M. travaille sur le sujet, elle fédère énormément d’énergies, elle est donc au courant de toutes sortes d’initiatives, à vrai dire elle est une encyclopédie vivante de ce qu’il se passe sur les questions du handicap et singulièrement de l’autisme, donc j’ai beau ne pas être d’accord sur certains sujets de fond, étant donné l’étendue de ses connaissances j’ai surtout tendance à écouter son point de vue, et il n’est pas rare qu’il fasse vaciller le mien. D’ailleurs c’est un peu ce dont nous discutons ce soir, en buvant notre thé, de la façon dont nos points de vue évoluent, s’infléchissent, ou encore de la façon dont nous changeons parfois d’avis, et le plaisir que nous avons à cela elle et moi. Et même cela nous émerveille.

    Je dis même à M. qu’au sein de la communauté des parents d’enfants autistes, je me surprendrais sans doute à pouvoir pactiser avec des personnes qui auraient des idées politiques radicalement différentes des miennes, que je pense que je pourrais très bien m’entendre avec des électeurs du Front National pourvu que nous ayons cela en partage. Et cela nous fait beaucoup rire, d’autant que M. renchérit et m’explique qu’elle-même est aux avant-postes de cette ouverture d’esprit, parce que justement dans son travail, elle a à croiser de nombreuses familles avec lesquelles elle échange et elle sourit, oui, nous avons, eux et nous, le même cœur. Et il arrive tant de fois, dans une même journée, à M., dans le cadre de son travail, d’entendre des personnes de toutes sortes d’horizons l’aborder à propos de questions de handicap et ces personnes, pas toutes amies, lui voleraient presque les paroles de la bouche.

    Nous avons le même cœur.

    #qui_ca

  • J – 117 : Je n’arrive pas entièrement à me couper de l’actualité, c’en est même étonnant. Il y a quelques bribes qui finissent par passer quand même, à mon insu. En soit les bribes en question ne seraient pas graves, en fait si c’est grave, tant elles ne me donnent pas d’indication directe à propos de ce que je veux ignorer de toutes mes forces, l’identité du prochain locataire-propriétaire de l’Elysée, oui, c’est cela la clef de lecture de Qui ça ? , je peux bien vous le dire maintenant, mais je remarque ces quelques bribes quand je les mets bout à bout finissent par me renseigner sur ce que j’étais parvenu à ignorer jusque-là.

    Donc, Marine Le Pen a pris le pouvoir et personne ne m’en a rien dit. Sans doute que tout un chacun a peur et plus personne n’ose parler, tout le monde fait mine de continuer à poursuivre son petit bonhomme de chemin, comme si de rien n’était, mais c’est surtout dans un souci de ne pas se faire remarquer. Parce qu’en fait, tout le monde a peur. Et cela je l’ai toujours soupçonné. J’ai toujours su que l’arrivée au pouvoir du Front National se passerait de cette façon, que cela passerait inaperçu, qu’en fait c’est déjà arrivé et que l’on ferait tous semblant de rien.

    Déjà en 2002, le 21 avril, c’était comme ça. Le Pen n’a pas été élu mais son programme si. Et cela a trompé tout le monde. On s’est réjoui trop vite et à mauvais escient. Ce qu’il faut retenir c’est qu’en 2002, 100% des Français ont voté pour l’extrême droite et que ce n’est pas une exagération de ma part, que j’ai l’air comme ça de confondre le R.P.R. et le Front National, non, je ne les confonds pas, ils sont strictement identiques. Relisez deux choses, le programme électoral du Front National pour les élections présidentielles de 2002, la section sur la sécurité intérieure, et les lois Sarkozy-Perben, vous verrez que 12 des 24 mesures préconisées par le Front National figurent en bonne place dans ces lois de sécurité, et maintenant imaginez qu’au lieu du candidat d’extrême droite Chirac (le bruit et les odeurs), c’eut été l’autre candidat d’extrême droite, Le Pen (la France aux Français et le steak au poivre) qui ait été choisi, franchement vous pensez qu’il aurait eu la moindre chance de réaliser la moitié de son programme. L’extrême droite de Le Pen en a rêvé, l’extrême droite de Chirac l’a fait.

    Ce n’est pas la tête du candidat qui est importante (et quel concours de beauté vraiment !), ce sont les programmes et les actes qu’il faut lire.

    En 2007, Le Pen a légué son héritage, non pas à sa fille, comme on le dit souvent, mais à son fils spirituel, Sarkozy.

    Pendant cinq ans, Sarkozy a été un président d’extrême droite, plus sans doute que n’aurait pû l’être Le Pen s’il avait été élu ce qu’il n’a pas été parce que justement son fils spirituel lui a volé ses voix. Pour ma part des signes de cet héritage, et de sa mise en action j’en ai relevé tellement, et cela dès le début, dès le printemps 2007 que j’avais entrepris, sans doute échauffé par certaines de mes lectures, notamment celle de Lingua Tertii Imperii (La langue du troisième Reich) de Viktor Klimperer et cette attention de linguiste au moindre glissement du discours, que j’avais entrepris donc d’en noter le moindre fait et geste, pour garder la trace de cette grande glissade : c’était le texte régulièrement mis à jour d’extreme_droite.txt. Mais je dois le reconnaître, j’ai été terrassé par le rythme de mon adversaire, comme on peut l’être par la vitesse d’exécution ou la puissance en mêlée d’un adversaire qui nous domine, contre lequel on ne peut rien, il faut dire, j’avais le sentiment, voilier, de partir à l’abordage d’un cuirassier, je me demande même si ce n’est pas à ce moment-là, qu’ivre de lectures (non pas de chevalerie mais de linguistique de combat), je n’ai pas commencé ma carrière de Don Quichotte du Val de Marne et ses assauts contre des moulins à vent, oui, qui, simple citoyen pouvait lutter contre ce rouleau compresseur, son rythme infernal et sa terrible masse ? C’est en lisant aujourd’hui le Journal de la crise, de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après de mon cher, tellement cher, ami Laurent Grisel que je me console, ma tentative n’était pas entièrement vaine et en deux petits endroits de son livre je lui suis venu en aide à ma tentative avortée, extreme_droite.txt.

    De 2007 à 2012, je n’en démords pas, la politique appliquée par les différents gouvernements Fillon a été une politique d’extrême droite, une guerre déclarée contre les faibles, les démunis au profit des nantis, et il m’est indifférent que les démunis aient pu provenir d’autres pays que le nôtre, surtout quand j’ai désormais acquis l’inébranlable conviction que les nantis n’avaient pas et n’ont toujours pas de frontière pour ce qui est de nous détrousser. De 2012 à 2017, c’est la même politique qui a été appliquée, en laissant croire dans un premier temps que non, pas du tout, on allait voir ce que l’on allait voir, mais en fait si, et même plus que si, il n’est pas exclu, par exemple, que Fillon Sarkozy seraient parvenus à imposer le contenu de la loi Travaille ! Encore une fois ce n’est pas la tête des hommes, et des rares femmes, politiques qui nous gouvernent qui me sert de boussole, mais bien leur programme, dans un premier temps, et leur politique, dans un second temps, et donc ne voyant pas la différence entre le Front National et le RPR et étant désormais convaincu que le PPS (Parti Pseudo Socialiste) avait dépassé les objectifs du RPR, je suis contraint de constater que l’extrême droite est au pouvoir, depuis en fait 15 ans. Que ce soit une photographie de l’oncle Raymond de la qualité française qui soit affichée dans toutes les mairies de France n’est pas un repère pour moi, que l’on plonge de tels portraits dans un bain d’acide et je sais très bien quel est le visage que l’on trouvera en dessous, celui de la présidente du front national un bandeau sur l’œil. Mais encore une fois, leur visage : quelle affaire ! On s’en moque éperdument.

    De même qu’entre 2007 et 2012, dans mon petit fichier extreme_droite.txt ( http://www.desordre.net/bloc/extreme_droite/index.htm ), j’avais relevé les faits suivants :

    20/07/2007 : Quatre syndicats de l’inspection du travail ont annoncé, vendredi 20 juillet, qu’ils déposaient un recours devant le Conseil d’Etat contre les attributions du ministre de l’Immigration Brice Hortefeux, qui permettent à ce dernier d’utiliser les inspecteurs du travail dans la recherche des travailleurs étrangers illégaux.

    5/09/2007 : La Ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, proteste contre cette citation dans une définition du Petit Robert : " Rebeu ou Reubeu, n. et adj. -1988 verlan de beur. FAM. péj. Arabe, beur. « T’es un pauvre petit rebeu qu’un connard de flic fait chier. C’est ça ? » Izzo. Des rebeux." et apporte son soutien à l’Unsa-police, premier syndicat de police dans sa volonté de faire pression pour censurer cette citation.

    13/09/2007 : Thierry Mariani, député UMP du Vaucluse a proposé un amendement à l’assemblée visant à recourir à des test d’ADN à la charge des personnes déposant un dossier de regroupement familial.

    20/09/2007 : Le délai de recours contre les décisions de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), qui accorde ou refuse l’asile politique en France, a été réduit d’un mois à quinze jours.

    10/10/2007 : Des policiers en civil se font passer pour des conseillers d’éducation d’un collège pour arrêter des parents d’élèves sans papier dans le XVIIIème arrondissement de Paris.

    17/10/2007 : Les syndicats de l’ANPE et de l’Assedic dénoncent une « nouvelle mission d’auxiliaire de police », une « chasse à l’étranger », de « la délation »... En cause, un décret publié le 11 mai 2007, pris en application de la loi Sarkozy sur l’immigration et l’intégration du 24 juillet 2006, qui oblige, depuis le premier octobre, les agents de l’ANPE et des Assedic à transmettre « systématiquement » aux préfectures copie des titres de séjour et de travail des demandeurs d’emploi étrangers pour vérification.

    4/12/2007 : la police nationale propose des récompenses de plusieurs milliers d’euros pour encourager les habitants de Villiers le Bel à la délation, après les émeutes de fin novembre, dans le but de traquer les émeutiers les plus violents.

    Avez-vous le sentiment que ce soit là de petits faits, des faits anodins, comme l’étymologie du mot le signifie, a nodos, hors douleur en grec, des faits qui soient tellement différents de ceux d’aujourd’hui finalement ?

    Doutez-vous encore de la vraie couleur de ce régime politique ? Et du coup, vous m’expliquerez comment il est possible sinon, que nous ne soyons pas encore sous le régime politique du Front National et qu’un enseignant et un agriculteur soient poursuivis en justice pour avoir apporté secours à des personnes entièrement égarées à la frontière entre la France et l’Italie, frontière dont j’entends qu’elle a été rétablie, alors que ces deux pays font partie du même espace européen, on ne me dit pas tout mais je comprends certaines choses tout de même, qu’un automobiliste a sciemment écrasé trois femmes voilées dans les rues d’Armentières, Nord, qu’il a été relâché peu de temps après les faits et que le commissariat de police d’Armentières, Nord a d’abord refusé de recevoir la plainte contre X d’une de ces femmes, la première qui soit parvenue à se relever de son lit d’hôpital, et qu’un maire a envoyé la police municipale dans une école au motif qu’un professeur entendait y faire étudier à ses élèves la langue arabe, je rappelle qu’en république, l’école est un sanctuaire que la police n’a rien à y faire, donc toutes ces petites choses que j’apprends malgré tout, en faisant tant d’efforts pour les ignorer, pour n’en rien savoir, surtout ne rien savoir des grandes agitations, de ceux qui se disputent aujourd’hui le déshonneur d’être dictateur à la place du dictateur, vous voudriez me faire croire que le Front National n’est pas au pouvoir.

    Encore une fois j’en ai rien à foutre de la tête du ou de la locataire-propriétaire de l’Elysée, je ne vote pas pour des personnes, je vote pour un programme, enfin cela c’était du temps où je votais, il m’en aura fallu du temps pour comprendre que le vote, son droit et son exercice, étaient des leurres.

    Il vous faut encore quelques preuves supplémentaires pour comprendre que la peste brune est déjà au pouvoir ? Ou est-ce que vous voulez attendre qu’on n’ait vraiment même plus le droit de le dire pour être sûr qu’effectivement, l’extrême droite, le front national, le fascisme, le racisme sont au pouvoir ? Soyez alors tranquille, je crois qu’il n’y a désormais plus très longtemps à attendre.

    #qui_ca

  • J – 118 : Ben les gars, faut pas arrêter de pousser avant que le ballon soit sorti !

    Mais en fait je comprends aussi. Mieux que tu ne crois en fait. De mon côté, alors que j’ai le sentiment d’avoir à peine effleuré les possibilités du truc, j’ai le sentiment que l’intérêt pour de telles constructions est entièrement épuisé. Je m’obstine et je ne pose pas les armes, mais des fois, certains soirs le cœur n’y est plus dans le garage, et je monte me coucher de bonne heure pour bouquiner, je me fais honte parfois. Je n’aime pas beaucoup me lamenter, mais parfois je regarde quelques années en arrière pour tenter de comprendre à quel moment cela n’a plus été possible d’attendre du visiteur de promener son mulot sur une image pour en déceler les parties cliquables par voie d’image map . Je tente de ne pas me fier à mes vieux réflexes réactionnaires s’agissant des plateformes d’entassement de billets courts et des réseaux sociaux, j’ai cependant le sentiment qu’une accélération s’est produite avec la généralisation des contenus vidéographiques centralisés sur des plateformes et je ne peux m’empêcher de le regretter amèrement, il me semble qu’il y a quinze ans tout un chacun en se fadant un langage pas super évident mais néanmoins ouvert et modulable, l’html, tout un chacun avait une chance de créer des formes propres et qu’il y a eu une manière de canalisation de ces énergies vers quelque chose de terriblement normé, la vidéographie, où tout un chacun désormais a pour modèle, finalement, la télévision, c’est-à-dire, le pire modèle de tous, et je pense même que cela va plus loin que le modèle ultime c’est le talk show à l’américaine. Cela me désole, en fait cela me désespère.

    Alors évidemment de la belle révolution culturelle telle qu’elle figurait en titre d’un très beau numéro de Manière de voir , il reste une multitude de choses, l’accès pléthorique à presque tout en matière de données, ces derniers temps, je m’amuse pas mal à tenter d’extraire un passage de chaque film que je mentionne, tout du moins ceux du patrimoine, et je finis toujours mal an bon an par retrouver la trace de ce que je cherche et chaque fois je m’étonne que ce soit désormais possible, comment aurais-je accompli un tel miracle il y a vingt ans ? Il y a la possibilité de se renseigner sur le plus aigu des sujets, ou encore de croiser les données de façon remarquable, il te reste dans le bac à légume du réfrigérateur une grosse patate douce, trois panets, quatre carottes, trois pommes de terre, tu rentres cela dans le moteur de recherche et tu sais ce que tu vas manger le soir et les enfants s’étonnent qu’un jeudi soir veille des courses tu saches leur faire un plat qu’ils n’ont jamais mangé auparavant, oui, tout cela existe bien. Et c’est génial, et sans doute sommes-nous trop gâtés pour en vouloir davantage. Mais ce tout est en vrac, et seulement en vrac.

    Cela me fait penser au marché de Gournay-en-Bray que je regrette tant, j’ai mis presque deux heures à faire mon marché la première fois parce que tous les commerçants étaient en fait des petites agriculteurs du coin qui vendaient leur production et rien de plus, du coup tu pouvais acheter des oignons à l’un mais pour l’ail il fallait voir un autre gars à l’autre bout du marché, tu avais une petite dame qui vendait des œufs de dinde dont je raffole en omelette, mais c’était quelques étals plus loin que tu trouvais l’oseille d’une voisine à elle. Mais une fois que tu avais pigé le truc c’était épatant, il y avait une sorte d’organisation poétique à tout ça et tu ne finissais par ne plus manger que du local de très bonne qualité et de saison. Il n’y a guère plus que sur seenthis que je retrouve cette logique de prédétermination souterraine.

    Il arrive de temps en temps que je sois invité pour animer des ateliers dans des écoles d’art à quelques exceptions près, l’école d’art de Pau est une exception remarquable, c’est de loin la plus belle semaine de ma vie que j’ai passée chez eux en décembre 2012, je suis effaré de constater de voir comment on exhorte les étudiants à essayer de nouvelles voies dans de nombreuses matières mais qu’au contraire pour ce qui est de l’enseignement de ce qui peut se faire en ligne, des directives et parfois même des interdits emmènent tout ce petit monde hirsute vers des standards, entre autres choses l’encouragement systématique à raisonner en terme de réseaux sociaux, c’est tellement dommage de voir ces jeunes gens dont je parierais que beaucoup ont en eux la capacité de créer des formes nouvelles qui nous permettraient à nous de sortir de l’ornière déjà énoncée, de les voir rentrer dans le rang de ce qui vire à l’obligatoire. C’est comme si je constatais chaque fois que l’avenir est, de fait, barré.

    Je n’arrive pas à comprendre comment il est tellement fréquent que je m’émerveille en découvrant des œuvres épatantes et neuves sur internet dans des sites internet tellement normés du point de vue de la présentation de la forme quant à la navigation n’en parlons même pas, c’est comme si internet n’avait jamais dépassé le livre, pire les rouleaux.

    Je donnerais tellement cher pour que l’on puisse revenir à cette forme d’enthousiasme commun qui a pu être le nôtre de 1995 à 2005, celui de la découverte de nouvelles landes chaque fois que nous ouvrions une porte et on avait presque l’embarras du choix pour ce qui était des portes. Et je me désespère, comme je te le disais au début de ce mèl d’un autre temps, du temps où on s’envoyait des bafouilles longues comme le bras au milieu de la nuit, que lorsque je démarre mon programme d’édition de pages html, tout est là devant moi, à la fois les outils et les possibles, mais alors le sentiment que cela n’intéressera plus personne de toute manière. C’est très étrange dans mon esprit cette cohabitation entre un enthousiasme à peine entamé depuis vingt ans et une certaine forme de désespoir, vois comme je reste positif, je parviens même à ne pas enfourcher mon habituelle Rosinante de Don Quichotte du Val de Marne à propos de la confiscation des contenus par les réseaux sociaux. Et pourtant, et pourtant.

    Mais alors quand je sens que ce découragement, dont j’essaye pour ma part qu’il ne soit que passager, est en fait commun aussi à des compagnons de route aussi anciens et fougueux que Julien et toi, je crois que je pourrais tout arrêter. Avec la certitude que plus personne ne s’en rendait compte.

    Donc, non les gars, on n’arrête pas de pousser, surtout pas des types brillants de votre calibre.

    Amicalement

    Phil

    J’ai fini mon cahier d’exercices de Henry Carrol

    #qui_ca

  • J – 119 : Voilà bien le jeune auteur impatient que je suis, je viens de recevoir le fichier pdf de la couverture du livre et je l’imprime en toute hâte, le découpe en suivant les hirondelles et le plie en suivant avec soin les indications de pliage, le livre sort dans un peu de deux mois, dans un petit mois sans doute, mon éditeur, j’aime bien dire mon éditeur, en recevra quelques centaines pour les envoyer à la presse et aux éventuelles librairies qui en font la demande et je crois que l’usage veuille que je sois convié à cette distribution mettre un peu de ma salive sur l’envers des timbres, un petit mois de rien du tout, mais je suis comme un enfant, bricolant avec une paire de ciseau ce faux livre pour me rendre compte qu’il est tout petit et tout fin, je serais presque vexé.

    Je monte dare-dare dans ma chambre et cherche dans la bibliothèque un livre qui ferait à peu près deux cents pages aussi, pour le comparer. Et je suis à la fois rassuré que les collègues ne font pas mieux, qu’ils ne font pas des livres plus grands ou plus épais quand ces derniers font 200 pages, et déçus, finalement, que les collègues comme je les appelle immodestement ne fassent pas mieux, eux.

    Il est décidément temps que le livre sorte et que je passe à autre chose, parce que là, à force de retenir pareillement de respirer, je vais finir par ne pas la voir cette fameuse sortie du livre.

    On ne se refait pas. Je crois que je serai toujours ce gamin dans l’attente de quelque chose.

    Exercice #70 de Henry Carroll : Montrez que la photoigraphie est une forme de magie.

    #qui_ca

  • J – 120 : J’ai beau savoir que l’avenir environnemental et énergétique de notre monde ne dépend pas de ma bonne volonté quand bien même elle serait de facto couplée avec celle de mes contemporains, je suis obligé de constater que je suis encore trop dépendant de mon véhicule individuel pour de trop nombreuses occasions.

    L’année passée, je me suis fait un devoir d’emprunter les transports en commun chaque fois que c’était possible, notamment pour aller au travail quand les enfants n’étaient pas à la maison, en vacances. Quand ils sont à la maison et donc l’une au lycée cubiste, l’un dans son Unité Locale d’Exclusion Scolaire et la troisième au collège zoologique, je peux difficilement ne pas aller au bureau en voiture tant il est impératif que je sois rapidement rendu sur les lieux en cas de difficultés et elles auront été nombreuses avec l’Unité Locale d’Exclusion Scolaire.

    Cette année les choses se présentent sans doute sous un jour plus favorable, Nathan a quitté l’Unité Locale d’Exclusion Scolaire, il est désormais intégré dans un établissement dans lequel il paraît se sentir en confiance et dont le personnel fait preuve de bienveillance attentive à son égard. Vont rester en revanche tous les aller-retours vers les différents rendez-vous qui ponctuent la semaine des enfants, psychologues pour Nathan et Adèle, orthophoniste pour Nathan et Adèle, centre équestre pour Madeleine, club du rugby pour Nathan, surtout pour le retour de nuit avec traversée du bois de Vincennes, atelier de céramique et atelier de théâtre pour Adèle, et puis tous les autres petits trajets : la part de l’irréductible.

    Du coup je suis en train de changer un peu ma manière de conduire. Je faisais déjà attention à faire en sorte que cette dernière ne soit pas trop consommatrice de carburant et génératrice de pollution, je me demande si je ne suis pas en train de découvrir quelque chose. Ainsi depuis une semaine je m’efforce de n’accélérer que lorsque c’est indispensable à l’avancée du véhicule, mieux je tente de maximiser l’apport de l’élan de la voiture en repassant au point mort le plus souvent possible pour être en roue libre. Cela demande d’abord un peu de concentration et d’ajustement, mais avec une semaine d’entraînement, je suis surpris de constater à quel point il semble y avoir des bénéfices à faire de la sorte, je gagne en consommation de carburant, je pollue sans doute un peu moins, mais aussi je fais moins de bruit et je dois même pouvoir économiser sur l’usure des freins et pour ce qui est des embrayages et des débrayages, cela ne doit pas faire une très grosse différence, j’ai été formé à une école de conduite qui mettait en avant l’utilisation du frein moteur, donc en sollicitant pas mal la pédale d’embrayage.

    Et, plaisir que je n’avais pas anticipé, c’est très ludique. De façon amusante mes éventuels passagers, pas juste les enfants, les amis, ne semblent pas remarquer mon petit manège, une amie m’a même dit que ma voiture était silencieuse, ce qu’elle trouvait agréable. La rue dans laquelle nous habitons est en pente ascendante, je parviens parfois à faire mon créneau pour me garer ne roue libre.

    Mon raisonnement va même plus loin, je me dis que si je perdais du poids ce serait cela de moins aussi en consommation. Or, Adèle étant devenue végétarienne il y a deux semaines, je suis en train de m’y mettre également, et de remarquer deux choses assez curieuses, je digère mieux et je perds un peu de poids. Sans compter que je fais de petites économies en achetant nettement moins de viande, je continue d’en acheter et d’en cuisiner pour Madeleine, et Nathan que nous ne sommes pas encore parvenus à convaincre. Or, ces modestes économies, si je les mets bout à bout, est-ce que je ne vais pas parvenir à investir dans des plaques solaires quand il sera temps de refaire le toit de la maison — une première alerte a eu lieu cet été, une fuite, il faudra un jour y penser — bref un vent écologiste fort souffle sur notre éolienne familiale.

    Tout serait donc pour le mieux. Si cette façon de conduite ne me remplissait pas d’angoisse, tant j’ai le sentiment, en conduisant de la sorte, que je suis en train d’anticiper la manière dont nous serons bientôt tous contraints de conduire et qu’un jour lorsque je ré embrayerais pour redonner un peu d’élan à ma voiture, le moteur aura calé et la voiture fera ses derniers mètres avant de ne plus pouvoir avancer.

    Et là autant vous dire que j’espère que j’aurais vraiment eu le temps de beaucoup perdre du poids parce qu’en l’état actuel, je ne sais pas s’il existe des vélos capables de supporter ma masse. Bref l’écologie familiale, il était temps de s’y mettre pour de vrai.

    Exercice #68 de Henry Carroll : Asseyez-vous face à quelqu’un pendant deux heures. Bavardez autour d’un thé, mais ne prenez des photos, qu’en présence de quelque chose de révélateur.

    C’est souvent que je fais cette chose un peu secrète quand je discute avec une personne que je regarde assez fixement dans une direction et que je pense à la manière dont je prendrais ce que je vois en photo, souvent au travers d’une fenêtre, et que je joue mentalement avec les alignements des éléments qui sont au devant de moi et souvent au delà des épaules de la personne avec laquelle je discute. De cette manière j’ai réussi à ne pas prêter trop attention à ce qui était dit à mon sujet, et qui n’était pas très laudateur, dans le bureau d’une Juge aux Affaires Familiales du Tribunal d’Instance de Bobigny, me concentrant sur le paysage que l’on pouvait voir derrière la Juge au travers des grandes fenêtres de son bureau et ce faisant, je faisais de l’excellente photographie mentale pendant que l’avocate de la partie adverse faisait un très mauvais tableau de ma personne. Je me souviens avoir fait plus ou moins de même lors d’une discussion difficile dans les Cévennes et à la fin de la discussion d’avoir pris en photo la petite branche de pin avec laquelle je m’étais distrait visuellement pendant, oui, facilement deux heures.

    #qui_ca

    • Bienvenu au club. Pour ma part, depuis un an, je ne mange de la viande, ou plutôt du poisson, que lorsque je partage un repas avec les amis carnivores. Et je m’aperçois que c’est de plus en plus le cas de mon entourage. Tu peux aussi essayer de manger des fruits frais à jeun (avant les repas) parce qu’ils sont directement assimilés par les intestins (et non par l’estomac) et qu’ainsi les vitamines profitent davantage à l’organisme. Je m’y suis mise il y a deux mois, je trouve ça pas mal du tout. Hier je lisais un truc sur le jeun, je vais peut-être essayer sur trois quatre jours (pas plus, je ne veux pas perdre de poids), il parait que c’est bon pour le ventre et les boyaux de la tête. Je ne suis pas prête encore, j’aime bien manger, il va me falloir une préparation :)
      Pour mes déplacements, c’est déjà vélo, pieds (j’aime beaucoup marcher) et transports en commun. Mais ne plus avoir de voiture est handicapant pour une femme. Je ne vais plus au cinéma le soir, j’ai peur de rentrer seule chez moi la nuit tombée. Pareil pour les spectacles. J’y vais parfois en me disant que je croiserais peut-être une connaissance qui pourra me raccompagner ou je prendrais un taxi mais vu l’état de mes finances, j’évite.

  • J – 121 : Réveillon paisible avec mon ami Julien et Adèle — Madeleine et Nathan ont des plans plus festifs pour ce réveillon. Rôti de dinde acheté le matin même au marché et deux gratins végétariens — Adèle est en train de révolutionner la maisonnée De Jonckheere pour laquelle les lardons étaient, pour ainsi dire, des légumes — l’un de patates douces avec des châtaignes et l’autre de blettes à la fourme d’Ambert. Du vin pas mal. Des discussions à bâtons rompus qui parfois larguent un peu Adèle contrainte de temps en temps de nous recadrer, on s’embrasse vers minuit, comme convenu Julien prend congé de bonne heure et vers une heure et demie, je propose à Adèle que nous regardions un film, son sourire en dit long sur ce qu’elle pense de cette idée de commencer à regarder un film au milieu de la nuit.

    Au milieu de la nuit, Adèle a choisi de regarder la Rué vers l’or de Charlie Chaplin, on rit à gorge déployée aux invraisemblables mimiques de Charlie Chaplin, sa démarche dans la neige et tous ces gags qui misent sur le quatrième mur, notamment dans la cabane des chercheurs d’or. Je me dis qu’elle commence bien cette année.

    Il devrait y avoir des lois pour poursuivre sans répit les personnes dont les décorations de Noël sont encore allumées le premier janvier. Tel est mon esprit de Noël. il ne dure pas très longtemps. Il n’est pas très vif non plus.

    Exercice #67 de Henry Carroll : Mettez votre film préféré sur pause au bout de 57 minutes et 32 secondes exactement et inspirez-vous de ce que voyez pour prendre une photographie.

    Dans La Grande Illusion , c’est le début de la scène de la grande camaraderie (une des scènes de grande camaraderie), les prisonniers s’occupent à toutes sortes de projets culturels. Lorsque nous travaillions sur Formes d’une guerre , surtout à Montbéliard, j’avais le sentiment de vivre dans un cube, pas vraiment une prison, mais un cube et de vivre dans une camaraderie intense. Ici Dominique et Michele règlent le dialogue entre leurs deux interfaces de traitement numérique du son. Derrière eux l’écran morcelé de mes projections.

    #qui_ca

  • J – 122 : Je reçois dans l’après-midi les épreuves d’Une Fuite en Égypte . En premier lieu c’est un soulagement la maquettiste a trouvé le bon équilibre, dont je me demandais même s’il existait, de lisibilité de ce texte qui n’est constitué que d’un seul paragraphe, en fait, d’une seule phrase si l’on y pense bien, ou d’une multitude de segment de phrases inabouties et mises bout à bout.

    Et puis c’est une surprise, celle de découvrir ce que mon amie Alice appelait le travail de dentelière dans les corrections. Cette attention au détail, au moindre détail. Et les questions que pose justement à la fois une telle attention et ce que cela révèle de mes approximations ou de mes erreurs.

    Les doubles négatives par exemple. Mon écueil par excellence. À tel point qu’il arrive fréquemment que lorsqu’on lit une de mes doubles négatives, on peut raisonnablement se demander si c’est bien ce qui est écrit que j’ai voulu dire. Ce qui m’afflige c’est de constater à quel point j’y ai recours quand je n’ose pas tout à fait dire ce que je pense finalement. Et qu’à force de ne pas vouloir dire exactement ce que je pense, je finis par dire le contraire de ce que je pense. En fait je suis saisi par cette idée que ce qui est un défaut incurable chez moi dans la vie de tous les jours, à savoir une forme paralysante d’indécision, se retrouve, à ma plus grande surprise, dans la façon dont j’écris une fiction dans laquelle j’aurais pourtant cru que tout était possible, puisque n’est-ce pas là la grande force de la fiction ? Et dire que je pensais que la fiction était la voie de l’émancipation, il semble qu’il y ait encore du travail.

    En tout cas, ce que je perçois de prime abord c’est que le travail réalisé par la correctrice est un travail fondamental sur la langue, d’une part, mais aussi sur la logique. Ainsi dans le récit, j’imagine le futur des deux enfants et comment ils repenseront à leur enfance, plus tard, et je ne me rends pas compte que la manière dont je continue de les décrire dans ce futur, si proche soit-il, est identique à celle qui est la mienne depuis le début du récit, or ils ont grandi et un simple emploi du présent au lieu du futur fait que les personnages des enfants se cognent la tête contre une toise invisible. Une fois que la chose est signalée, elle apparaît lumineuse, éclairée, soulignée mais je me demande bien quelle peut être l’immense force de la correctrice pour repérer un tel détail dans la masse de graviers des deux cents pages de monobloc ? Bref je suis impressionné, d’autant que désormais, nous avons été quelques-uns à avoir relu ce texte, lui avoir découvert ici une coquille insignifiante, là un espace manquant avant un point-virgule, ici encore une imprécision dans l’emploi des temps et là encore une hypallage discrète. Les antennes de la correctrices sont d’une sensibilité de puce chauve.

    Pour bien me donner toutes les chances de recul nécessaire dans ma propre relecture de ces propositions de corrections, je fais le travail en deux temps, deux couches successives que j’espace d’une séance de cinéma avec les enfants.

    Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine. On rit beaucoup avec les enfants, d’autant que ce n’est pas difficile de rire de surcroît au familier des scènes de ce père élevant seul ses enfants, s’y prenant pas toujours au mieux, souvent dépassé, mais toujours bienveillant et fatigué du matin jusqu’au soir, et nous devons être très indisciplinés envers les autres spectateurs de ce film à force de se chuchoter quelques références personnelles qui nous viennent à l’esprit, ainsi le goûter dans le supermarché pour ne pas avoir à payer les croissants nous fait un peu penser aux DVD qui parfois se coincent contre les packs de lait au moment du passage en caisse — mon combat contre les majors et autres lobbyistes de la loi HADOPI est un combat minuscule, mais je suis tenace — ou encore la critique fort sévère par le père d’un spectacle improvisée par ses deux filles nous fait immanquablement penser à un inextinguible fou rire qui avait gâché un spectacle préparé avec beaucoup de cœur par Madeleine et que ce fou rire avait entièrement gâché, on en rit aujourd’hui, mais cela ne faisait pas du tout rire Madeleine ce jour-là.

    A la moitié du film je réalise avec retard que le thème même du film est très proche de celui d’Une fuite en Égypte dont j’ai laissé les épreuves en plan dans le garage, celui d’un veuf dépassé par les événements et qui doit élever deux enfants et j’ai la gorge serrée de panique. On va s’en rendre compte. La critique va m’éreinter, J’entends déjà les phrases perfides d’Éric Chevillard dans le Monde suggérant, plein de fiel, qu’Une fuite en Égypte est le plagiat éhonté d’un film populaire, et pendant que toute la salle rit de bon cœur, mes enfants n’étant pas les derniers, je pense au sourire goguenard et mauvais d’Éric Chevillard qui me démollit . Je tente de recoller, mais en vain, au film, Adèle à mes côtés vibre de plaisir, le rire sonore de Nathan emplit la salle, mais mon rire à moi est désormais étouffé par l’angoisse et le sentiment d’imposture réglé à son niveau maximum. Je pense à mon éditeur — j’aimais bien dire mon éditeur —, désœuvré pendant la trêve qui se laisse convaincre par sa compagne ou quelques amis de cette sortie au cinéma, voir ce qu’il est convenu d’appeler un feel good movie , lui-même est en train de voir ce film en ce moment même, non, il l’a vu lors de la séance précédente et nul doute, quand je vais descendre dans le garage, tout à l’heure, en sortant du cinéma, je trouverai un mail de lui m’indiquant qu’il vient de voir Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine et qu’il réalise que je lui ai refourgué un épouvantable plagiat, la contrat est annulé, c’est fini.

    En sortant du cinéma, les enfants me trouvent un peu chose et s’étonnent de me voir descendre dans le garage à toutes jambes pour constater que non mon éditeur n’est pas encore allé voir Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine, et contrairement à ce que je pensais, m’envoie au contraire un mail plein de conseils prévenants (et fort utiles) sur la manière de s’y prendre avec les épreuves et des encouragements (fort inutiles tant je prends un pied pas possible à y travailler) pour ce dernier coup de collier. Je lui réponds en lui donnant quelques recommandations cinéphiles pour les prochains jours, tu devrais aller voir Premier contact de Denis Villeneuve, un peu plus et j’irai même jusqu’à la pousser à aller voir aussi Passengers pour faire contrepoids à Premier contact , et que s’il veut je dois avoir le DVD d’ Enemy , de Denis Villeneuve aussi, que je veux bien lui prêter, bref, tout faire pour qu’il n’aille pas voir les prochains jours Cigarettes et chocolat chaud .

    Je me remets au travail. Vers minuit, Adèle descend dans le garage pour me souhaiter une bonne nuit et selon son expression me demande ce que je bricole, je lui explique le principe des épreuves, le travail de l’excellente correctrice et la belle façon dont elle a composé le texte. Adèle à qui j’ai déjà expliqué le principe de ce texte dont le point-virgule est le seul signe de ponctuation du livre, me demande combien j’ai fait de fautes, je les compte avec elle, vingt-quatre.

    Adèle : tu imagines ce que tu dirais si j’avais fait vingt-quatre fautes dans une seule phrase ?

    Exercice #66 de Henry Carroll : Prenez la photographie d’une publicité où l’image dit tout, sans besoin d’une légende.

    #qui_ca
    #une_fuite_en_egypte

    • C’est que une de mes filles s’appelle aussi Adèle et bien qu’elle n’ai que 7 ans, elle est déjà capable de voir où sont mes fautes d’orthographe (en norvégien s’entend). Tu me diras, avec moi c’est pas très difficile tant elle sont nombreuses :)

    • @aude_v Mon Adèle à moi (c’est à peine possessif) a également douze ans. Un volcan de créativité à l’état pur, c’en est même fatigant parfois (souvent).

      Ça doit faire drôle, d’avoir un enfant qui ne parle pas sa langue maternelle à soi.

      Tu as aussi ça doit faire drôle d’avoir un enfant qui ne comprend pas toujours très bien ce que tu lui dis. Et oui, c’est drôle. Fatigant mais généralement assez drôle. Des fois c’est comme s’il te répondait en norvégien mais ni lui ni toi ne le parlez.

    • En fait chez nous, c’est babel... Et c’est plutôt très gai au contraire. Nos enfants ont aussi très dynamiques et extrêmement créatifs (les trois) ce qui explique largement qu’on s’écroule raide carbonisé sur le sofa dès 20:30 après le coucher.

      Sinon pour la langue, on pratique un joyeux mélange de Norvégien (langue de base primaire), de français et de letton (langues rapportées secondaires) auxquelles s’ajoute l’anglais (langue tertiaire utilisées pour les message secrets puisque les enfants ne la comprenne théoriquement pas — je dis théoriquement parce qu’en réalité je suis convaincu qu’ils comprenne), et enfin au gré des visites, toute une série de langue quaternaires qui passent par l’arabe, le russe, le tchoukche, le same, l’italien et l’allemand.

      Nous nous rendons compte que cette ouverture sur les langues, c’est une vraie ouverture sur le monde. Ils mélangent encore un peu tout, mais je reste convaincu qu la maitrise de plusieurs langues et la connaissance de plusieurs cultures est une grande richesse, un atout génial pour leur futur.

      Mais oui, c’est (très) fatigant :)

  • J – 123 : Je ne sais pas comment vous faites, vous, mais moi, quand un programme, un logiciel, une fonctionnalité, ou quoi que ce soit de ce genre me résiste, je finis par aller regarder dans le menu d’aide, mais je ne pourrais jamais dire que j’y trouve toujours ce que je venu chercher. Depuis qu’internet existe aussi massivement qu’aujourd’hui (c’est-à-dire qu’on y trouve à peu près tout ce que l’on cherche et souvent au-delà), quand le menu d’aide n’est pas suffisamment aidant, je me rencarde sur internet et je finis toujours par trouver plus ou moins ce que je cherche en termes d’explications avec parfois des copies d’écran qui me permettent de mieux comprendre comment on atteint telle ou telle figure. Depuis quelques années de tels vecteurs d’aide prennent désormais la forme de vidéos et pour certaines choses c’est même la seule voie possible. En général cela ne fait pas mon affaire, la parole étant pour moi le pire des véhicules, je ne comprends pas toujours bien ce qu’on me dit, je préfère le lire à mon rythme. Sans compter que dans ces vidéographies, le plus souvent réalisées par des amateurs qui touchent leur bille, certes, il y a une façon d’expliquer qui ne va pas toujours dans le sens de la clarté, je ne jette la pierre à personne, quand j’explique quoi que ce soit, singulièrement à mes enfants, personne ne comprend jamais rien, et surtout pas mes enfants pourtant habitués à mes nébuleuses. Les choses s’enveniment d’autant à mes yeux que c’est désormais une tendance lourde, les apprentis sorciers aiment beaucoup s’écouter pisser sur les feuilles, en fait je crois même qu’ils s’aiment tout court énormément. Et donc je pense que pour moi il n’y a pas pire torture que de devoir regarder une telle vidéographie parce que je ne parviens pas du tout à obtenir tel effet dans le logiciel de retouche d’images numériques, ou plus souvent encore, exporter telle ou telle séquence vidéographique dans un format qui est ensuite pleinement reconnu par mon programme de projection, couche alpha comprise. Certaines soirées sont exécrables dans le garage, vous n’avez pas idée, surtout quand ces dernières sont entièrement mangées par une quête pas toujours atteinte, loin s’en faut, d’un résultat dont j’aurais pourtant jugé de prime abord que ce n’était pas la mer à boire, il m’arrive parfois même de jurer ou d’avoir des paroles déconcertantes de bêtise ou même d’impolitesse envers Guy, mon ordinateur s’appelle Guy. Et ces derniers temps j’étais à la recherche d’un effet dans le logiciel d’animation qui pourrait donner le sentiment qu’un texte qui s’affiche progressivement à l’écran est tapé à la machine à écrire — pour donner le sentiment au spectateur d’ Apnées que c’est ce que je suis en train de faire pendant que les deux autres, qui au violon, qui aux percussions, se débattent, eux aussi, avec leurs machines à calculer. Oh, j’en ai bien trouvé de ces tutoriaux vidéographiques, mais aucun au début duquel ne figure pas tout un laïus de bonimenteur dans lequel l’amateur nous explique comment les choses sont paramétrées dans son logiciel et pourquoi il a fait en sorte qu’elles s’affichent de cette manière et pourquoi il nous recommanderait peut-être d’en faire autant, bien que le seul argument qu’il déploie effectivement pour nous convaincre c’est que cela fait plus joli, ce dont on pourrait discuter. Bref quand l’amateur décorateur d’interface de programme, en vient au nœud du problème, les explications sont alors d’une rapidité déconcertantes un peu comme si un prestidigitateur faisant semblant de vous expliquer comment il produit son tour, en n’ayant absolument pas l’intention de vous révéler quoi que ce soit, après tout c’est son fonds de commerce. Dix minutes d’explications à propos de telle ou telle façon d’agencer les icônes des outils dans le logiciel de retouche d’images numérique et une fraction de seconde que vous pouvez difficilement passer au ralenti sur le site de partage de documents vidéographiques : après quoi l’humeur dans le garage est morose, vous n’avez pas idée.

    J’étais donc bernique dans l’eau, comme on ne dit pas, après avoir, dans un premier temps, tenté de trouver, seul, dans le logiciel d’animation une manière de m’y prendre, puis avoir remué ciel et terre dans le logiciel avoir compulsé le menu d’aide pour comprendre que je ne comprenais pas, avoir tenté de chercher des explications écrites sur internet, regardé deux de ces vidéographiques à la gloire de leurs auteurs amateurs, fini par me souvenir que mon voisin d’en face était animateur de métier et comme justement il passait dans la rue, dis Nicolas, toi qui es de la partie j’essaye d’utiliser un effet de machine à écrire en animation, je ne m’en sors pas tout seul est-ce que tu pourrais passer un petit moment dans le garage avec moi pour me montrer comment on fait ?

    -- Pas de problème.

    C’est tout moi chercher au mauvais endroit (internet) ce que je pourrais facilement trouver en face, chez Nicolas-de-chez-Smith-en-face.

    Donc effectivement Nicolas a vite réglé mon problème qui n’en était pas un et je suis désormais en possession de l’extrait vidéographique dont j’ai besoin pour Apnées (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/043.htm ).

    Mais ce que j’ai vu par ailleurs, c’est la façon dont mon voisin Nicolas a pris possession de l’outil d’animation dont je croyais jusqu’à présent qu’il servait essentiellement à être chargé de collections d’images séquencées et de produire, moyennant un peu de paramétrage, des fichiers vidéographiques résultant de cette animation, bref une sorte d’objet bidimensionnel. Mais en quelques clics, Nicolas a déplié l’outil qui s’est littéralement creusé sous mes yeux pour devenir une véritable machine temporelle truffée de petits chronomètres, de déclencheurs s’appliquant à des calques, bref une véritable féérie d’images, un processus capable de produire des étincelles en vrai. Et je disposais d’une telle magie dans le garage en en ignorant tout.

    Et lorsque Nicolas et moi remontons du garage, une petite demi-heure plus tard, Nicolas m’assure que surtout si je rencontre de nouvelles difficultés, il se fera un plaisir de m’aider. On ne pourrait rêver mieux non ?

    Je n’en suis pas si sûr. En fait la boîte de Pandore telle qu’elle a été entre ouverte par mon voisin Nicolas est une boîte à double fond. Je ne peux m’empêcher de regretter de n’avoir pas connu l’existence de telles choses bien avant, disons, il y a une quinzaine d’années, si tant est que de tels outils existaient alors sous cette forme incroyablement performante. Et, taraudé par un tel regret, je suis également assailli par cette pensée triste que je ne sois pas certain que je puisse aujourd’hui démarrer une nouvelle carrière, une carrière de vidéaste en somme. Que n’ai-je suivi Daphna quand elle optait pour la section vidéo en seconde année aux Arts Déco, plutôt que d’aller m’enterrer dans la section photo ! Et c’est curieux, comme je remarque que de plus en plus souvent de telles pensées semblent m’entourer et me cerner de plus en plus près. Je ferai bien de surveiller de tels effets de fossilisation chez moi.

    Mais quand j’y pense ce n’est peut-être pas entièrement un problème de vieillissement ou d’âge, en y pensant bien, j’ai toujours eu un tel sentiment, celui que je n’aurais jamais l’occasion de faire tout ce que j’aimerais faire de ma vie. Et pourtant j’essaye.

    Allez du nerf mon gars !

    Exercice #65 de Henry Carroll : Associez deux images pour créer quelque chose de surréaliste

    #qui_ca

  • J – 124 : C’est le jour de la commémoration du massacre des innocents, et du coup mon amie Catherine m’envoie un petit poème de sa composition

    à ton âge
    on compte ses pas ou on ne les compte pas
    on compte ses abattis quand on est abattu
    on compte les moutons, mais pourquoi pas les chèvres

    sans compter qu’à ton âge
    l’âge de fer l’âge osseux l’âge de ses artères
    on compte encore sur toi
    les jeunes les vieux les moyenâgeux

    si tu crois qu’à ton âge
    le temps est compté
    sache que l’âge ne compte pas :
    il n’a pas de doigts

    Ma mère, Madeleine, Nathan et moi faisons une petite promenade digestive dans le Bois de Saint-Cucufa, la lumière d’après-midi hivernal est magnifique, j’en profite pour faire des photographies, pendant que ma mère marche au-devant avec ses deux petits-enfants qui doivent tous les deux avoir une tête de plus qu’elle, la silhouette tri forme qu’ils dessinent au bout des allées boisées est assez amusante à regarder.

    Je me demande à quoi bon, en ce jour anniversaire, continuer de prendre de telles photographies, telles que j’en ai déjà pris des centaines, peut-être même des milliers et quelles seraient celles parmi ces photographies de bois et de forêt que je pourrais sortir du lot, moi-même j’aurais bien du mal à le faire mentalement, peut-être même aucune, alors que pour les photographies du même sujet par Barbara Crane, ce sont des dizaines, vraiment des dizaines, auxquelles je pense spontanément. Je pourrais aussi bien ne pas prendre les photographies que je suis en train de prendre, certes en m’appliquant un peu quand même, mais à qui manqueraient-elles ?, même pas à moi. Je pourrais trouver de la cruauté à cela. Jusqu’alors, conscient malgré tout qu’aucune de ces photographies de forêts prises depuis des années et des années n’a la chance d’être un peu exceptionnelle je me suis consolé en me disant qu’elles pouvaient dessiner une manière de flux d’images que je pourrais adjoindre à d’autres images du même sujet ou d’autres sujets, c’est finalement ce que j’ai fait avec la chronique de la Vie, en donnant toute sa place au hasard pour donner un peu de relief à tout ça. Mais je ne travaille plus à cette logique de flux, d’une part parce que je l’ai sans doute suffisamment nourrie comme cela et d’autre part, en ce moment, il ne me vient pas de nouvelles idées pour ce qui est d’orienter de tels flux.

    Alors quoi ?

    On ne sait pas toujours quoi m’offrir pour mon anniversaire. Ce que je voudrais on ne peut pas me l’offrir, c’est un nouveau regard. Et c’est un cadeau que l’on ne peut se faire qu’à soi-même et je le trouve bien onéreux. Et je ne suis aps certain d’en avoir les moyens.

    Essaye quand même.

    Exercice #64 de Henry Carroll : Photographiez un légume pour qu’il ressemble à une partie du corps.

    #qui_ca

  • J – 126 : Je suis allé voir, coup sur coup, deux films de science-fiction de la grande production hollywoodienne, Premier contact de Denis Villeneuve et Passengers de Morten Tyldum, les deux films s’attaquant chacun à un des grands thèmes de la science-fiction, Premier contact , la rencontre avec une espèce venue d’ailleurs, Passengers , les voyages au long cours avec hibernation et autres complexes temporels dus aux voyages à une vitesse proche de celle de la lumière. C’est la période de la trêve, de la commémoration du massacre des innocents, les enfants et moi n’aimons rien tant que d’enchaîner les visites de musée et les séances de cinéma. À vrai dire je ne pense pas que j’aurais normalement tenu la moindre chronique du film Passengers , grosse production hollywoodienne, moyens de décor et de trucages pléthoriques et spectaculaires, et psychologie de bulots pour les trois personnages de ce film. Et je ne m’attendais pas non plus à trouver des qualités inespérées à Premier contact , le seul film que j’ai vu du même Denis Villeneuve étant Enemy que j’avais trouvé fort poussif.

    Dans Passengers un vaisseau intersidéral, intersidérant dans ses dimensions et son fonctionnement, emmène à son bord 5000 passagers tous en hibernation pour un voyage d’un siècle en direction d’une planète à coloniser, tout fonctionne automatiquement dans ce vaisseau qui traverse un champ de météorites dont l’une, plus grosse que les autres, endommage, superficiellement, croit-on d’abord, le vaisseau, causant une avarie inopinée, un des sarcophages d’hibernation réveille le passager qu’il contient, alors que le vaisseau est encore à 90 années de voyage de sa destination finale. Le type se retrouve tout seul dans un vaisseau qui doit avoir la superficie d’une ville comme Fontenay-sous-Bois dans le Val de Marne et personne avec qui partager ses états d’âme hormis un droïde qui fait office de barman et qui est le sosie de Tony Blair, Michael Sheen, et naturellement aucun moyen de joindre la Terre ou de réactiver l’hibernation. Après un an d’une errance fortement alcoolisée, ce Robinson Crusoé du voyage à la quasi-vitesse de la lumière manque cruellement de compagnie, un droïde barman c’est pas non plus un copain de rugby, fût-il un sosie de Tony Blair, on peut pas toujours compter sur lui pour vous donner le petit coup d’épaule quand ça va pas bien, et donc, il commence à caresser l’idée que peut-être, il pourrait réveiller un autre passager, histoire d’avoir un peu de compagnie, préférablement une passagère, blonde de préférence, et si possible avec une jolie poitrine, on en déduit habilement, c’est finement suggéré, que le type est hétérosexuel, lui-même n’est évidemment pas mal de sa personne, carrure de troisième ligne, mâchoire carrée, apparemment de nationalité américaine, seulement voilà, ce serait quand même lui faire un sale tour à cette jolie blonde, elle aussi se retrouverait prisonnière d’une ville de la taille de Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne avec, pour seule compagnie, un Américain à la mâchoire carrée et au physique d’universitaire jouant dans l’équipe de football américain — je passe un peu sur le conflit intérieur de notre homme qui échange pas mal sur le sujet avec Tony Blair —, ça tombe bien, elle est elle-même américaine et, insupportable suspens, elle est également hétérosexuelle, ils se plaisent beaucoup, il faut dire mâchoire carrée avait lu toutes les archives du blog de jolie blonde, lui ne pouvait pas douter qu’ils étaient faits l’un pour l’autre, elle, de toute façon, une blonde à belle poitrine, pensez si on a beaucoup développé sa psychologie de personnage d’écrivaine — lui est une sorte de réparateur agréé de tout ce qui se connecte, un type bien je vous dis, elle, un métier féminin, journaliste, écrivaine, intelligente donc, ne vous fiez pas aux apparences, parce que oui, blonde et belle mais intelligente, et drôle, vous n’avez pas idée — quant au consentement c’est redevenu un truc sacrément has been au XXIVème siècle. Tout ne se passe donc pas si mal sur l’ USS-Fontenay .

    Ça se corse un peu quand même, le droide barman ne sait pas tenir sa langue et finit par lâcher à jolie blonde écrivaine que mâchoire carrée l’a réveillée pour avoir un peu de compagnie. Crise du couple alors que, jusqu’à maintenant, c’était fusionnel avec accouplement dans la grande salle du réfectoire, déserte, forcément. C’est pas hyper bien développé parce que voilà on n’a pas trop le temps, il y a d’autres priorités, le réacteur principal bat de l’aile, menacerait même de tout faire exploser et de rayer de la carte Fontenay-sous-Bois, donc à défaut de se rabibocher sur l’oreiller, on fait équipe dans la salle des machines, bien obligés, et naturellement en se sauvant mutuellement la vie, on se rapproche, on se pardonne et on repart comme en 14, 2314. L’US S-Fontenay est remis sur pied, il fonctionne à nouveau au quart de tour et maintenant que le couple est également réparé, mâchoire carrée sait tout réparer, et donc, on risquerait de s’emmerder un peu, ellipse de 90 années, l’ USS-Fontenay arrive à bon port, on réveille l’équipage qui découvre qu’il s’en est passé de belles pendant leur sommeil.

    C’est con parce que dans cette ellipse, il y avait un film. Un vrai. Avec deux personnages. Une femme. Un homme. Une femme et un homme. Un début d’humanité. Un début de civilisation peut-être même. Et puis la lente évolution des personnages, de leur relation, avec le vieillissement de l’un et de l’autre, le trépas de l’un, le deuil de l’autre, une vie, deux vies, toutes les vies. Mais pensez si avec une distribution pareille on a beaucoup songé à étoffer un peu les personnages. Bref.

    Premier contact de Denis Villeneuve, alors là c’est pas du tout la même farine. Que c’en est même déconcertant. Au point que si Denis Villeneuve avait dû faire Passengers , il te vous aurait, vite fait mal fait, expédié les problèmes du réacteur principal, en revanche la crise du couple aurait été un moment bergmanien du futur, parfaitement développé.

    Premier contact , une douzaine d’ovules de la taille de Saint-Mandé, toujours dans le Val-de-Marne, arrivent sur Terre pour nous payer une petite visite de courtoisie, ce qui crée un peu d’agitation tout de même. Gouvernements, services secrets et armées armées jusqu’aux dents sont sur les dents et aimeraient bien savoir ce que ces douze ovules réparties aléatoirement sur la planète bleue sont venues faire. Et, c’est très embêtant, les premiers signes d’échange entre les ovules et les militaires sont des sons dont on se demande bien dans quelle langue ils sont produits. Si Morten Tyldum avait fait Premier contact, inutile de vous dire qu’on ne se serait pas beaucoup posé la question de savoir dans quelle langue les ovules et leurs occupants s’expriment, on leur aurait envoyé un ultimatum en anglais pas très shakespearien et direct, ensuite, atome et napalm sont les deux mamelles de l’armée américaine du monde. Forcément les ovules auraient un peu résisté, surtout qu’eux auraient disposé de technologies nettement plus avancées que l’armée américaine du monde mais pensez si la bravitude de ces gars-là auraient été prise en défaut, quelques soldats noirs auraient été sacrifiés pour que la race blanche mondiale survive, on aurait vite été tirés d’affaire et infiniment redevables de l’armée américaine mondiale, sans laquelle en cas d’invasion ovulaire du troisième type on serait cuits et puis ce serait tout, plus d’humanité sans l’armée américaine.

    Denis Villeneuve ne vit pas dans le monde réel, il n’est pas nécessairement convaincu que l’armée américaine internationale peut tout, du coup il se demande si des fois on ne pourrait pas essayer de discuter avec les types des ovules et que pour ça, vu qu’ils sont partis de chez eux en oubliant leur méthode assimil, va falloir trouver des moyens d’échanger, il y a un colonel noir, Forest Whitaker — l’un des acteurs américains les plus sous employés, je n’insinue rien — qui se demande s’il ne devrait pas prendre dans son équipe de fiers à bras tout de même, un ou deux cerveaux, et pourquoi pas, une linguiste.

    Madame la linguiste, votre mission c’est de faire en sorte que les ovules nous révèlent ce qu’elles viennent faire ici. En gros, vous devez leur poser la question What do you want ?

    Et c’est la très heureuse surprise de ce film, la linguiste en question, on a beau l’habiller en treillis et l’accompagner de types aux mâchoires carrées, la linguiste elle fout son souk sur la base, elle fait sa révolution et elle trouve le moyen, très lent certes, mais néanmoins prometteur, de discuter aimablement avec les habitants des ovules qui sont en fait de très très très grands heptapodes, des pieuvres surdimensionnées de la taille de l’étang de Saint-Mandé, du coup ils ne doivent pas avoir beaucoup de place dans leur ovule, et qui parlent en écrivant des signes de prime abord indéchiffrables, mais avec une linguiste pareille, on va finir par se comprendre, restera la question des accents régionaux, mais nous n’en sommes pas encore là, lesquels signes sont produits à l’aide d’une encre dont on fera les livres électroniques du XXIIIème siècle. Quand elle ne planche pas sur les derniers caractères des heptapodes notre linguiste tout terrain donne des cours de sémantique au colonel en lui expliquant, par exemple, que what do you want c’est pas hyperfacile à dire en heptapode et que cela engage tout un tas de considérations linguistiques, que l’on risque, à tout moment, de faire des contresens, qu’en hectopode il y a une gutturalité qui est compliquée à produire avec un larynx humain, et qu’il va falloir être patient mon colonel.

    Les scènes de dialogues, d’apprentissage de la langue et de considérations linguistiques doivent occuper une bonne moitié du film, elles sont très bien filmées dans un éclairage magnifique, le récit est admirablement monté avec une révélation étonnante à la fin, les flashbacks n’étaient pas des flashbacks mais des flashforwards , on n’a pas échangé un seul coup de feu ou de bombe atomique avec les ovules — une petite explosion malgré tout mais c’est le fait isolé de quelques personnages qui se sont trompés de film, bref avec des méthodes pareilles Denis Villeneuve n’est pas prêt de faire carrière à Hollywood, on ne peut pas mobiliser, comme cela, pour de bêtes problèmes de linguistique, l’armée américaine du monde et ne pas exiger d’elle un minimum de coups de feu, il y a des choses qui ne se font pas. Et sans doute la pépite de ce film est à trouver dans cette scène remarquable de la potentielle erreur de traduction entre arme et outil entre les heptapodes, pour les heptapodes le langage est une arme. Du coup l’armée américaine du monde est désarmée. Par la langage. En tant qu’arme.

    Exercice #62 de Henry Carroll : Composez une photographie dans l’intention de l’afficher à l’envers

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/status_quo_is_there_a_better_way.mp3

    J – 127 : La fin des étoiles de pierre (et autres mouvements de balanciers).

    Je me souviens, oui, c’est comme cela que cela devrait commencer, d’avoir reçu en cadeau de Noël la disque Blue for you du groupe de rock britannique, Status Quo , d’ailleurs en allant vérifier la chose, j’ai trouvé cette indication parfaitement calligraphiée d’une écriture dont j’ai le vague souvenir, chaque fois reprécisé quand j’en retrouve des traces dans mes petites affaires, que cette écriture était bien la mienne au millénaire précédent, celui de l’écriture calligraphiée pour ne pas dire analogique, les restes d’une telle écriture chez moi étant devenus parfaitement illisibles, parfois de moi-même une heure après avoir pris des notes, mais en mil neuf cent septante six, à Noël, j’écrivais d’une façon tout à fait lisible et convenable, avec même quelques traces voulues décoratives, bien de mon âge, bien de mon sexe, mais qui ne laissaient cependant pas deviner dans leur volonté d’afféterie que ce serait là ma voie, dix ans plus tard je rentrais aux Arts Déco, et donc c’est bien la mention Philippe Noël 1976 qui est donc inscrite et parfaitement lisible sur l’enveloppe de papier qui contenait la galette même à l’intérieur de la pochette du disque.

    Is there a better way ?

    Y a-t-il une meilleur façon de commencer ce récit ?

    Et c’est à cela que j’ai pensé, le matin de Noël. J’étais chez mes parents, nous avions réveillonné la veille, mon père avait sorti la grosse artillerie pour ce qui est des vins, ce qui commandait de facto que l’on vide, le lendemain midi même, les carafons, aussi étais-je retenu à déjeuner par mes parents, ce qui allait me donner l’occasion de réparer Oscar, l’ordinateur de mon père s’appelle Oscar, encore que réparer avec la dixième version de l’interface Fenêtres , il s’agisse bien davantage de tatônements, de quelques jurons bien sentis à propos de la conception de certaines des voies de ce progiciel, quand bien même, on est, je le suis, à mon corps défendant, et en dépit d’études dans le domaine des Arts Déco, informaticien, et puis, depuis quelques temps, auteur même, ceci n’est pas mon coup d’essai, avec l’expérience maintenant, je peux faire semblant d’hésiter, je sais un peu où je vais malgré tout, et là où je serai, vous avec moi, dans quelques centaines de pages, bref cela n’allait pas tout seul, depuis quelques temps, depuis son passage à la dixième version de Fenêtres , Oscar peinait sans cesse à se raccrocher au réseau orange de mes parents. Vers onze heures, j’ai pu pousser un cri victorieux, alors que cinq minutes auparavant j’avais déjà laissé entendre à mon père que je n’étais pas certain de pouvoir réactiver la carte réseau de son ordinateur portable, ma quoi ? avait demandé mon père, l’équipement dans Oscar qui permet de choper les paquets de données qui émanent de ta boîte. Et pour donner foi à mon cri de guerre victorieux, putain ça marche enfin , j’avais démarré une fenêtre de navigateur de marque panda roux et dans la barre d’adresse je pianotais l’adresse du site du Monde . Et de fait, cela fonctionnait. Les nouvelles s’affichaient, un avion de transport de troupes russes s’était abimé ne laissant aucun survivant. Mon père, ancien ingénieur en aéronautique faisait grise mine, il n’aime pas, plus que personne je crois, les accidents d’avion, quand bien même, rationnellement il lui arrive de parler d’impondérables, Rick Parfitt, guitariste, à l’époque on disait guitariste rythmique, du groupe britannique Status Quo est mort, Ah merde Rick Parfitt, mon père, qui ça ? Un musicien de rock. Ah.

    Apparemment Rick Parfitt est mort d’une infection contractée lors d’une opération chirurgicale la semaine précédente, à l’âge de 68 ans. Un peu jeune pour le commun des mortels, un peu vieux pour un musicien de rock. Et plutôt une mort de type de la rue qu’une de ces morts spectaculaires au volant d’un bolide de la route, d’une overdose carabinée, ou encore d’un coma éthylique, de ceux dont justement on ne sort pas, ou alors pas la porte de derrière, d’un suicide ou que sais-je qui fait les légendes de ces étoiles de pierre. Et qui disparaissent.

    A vrai dire Rick Parfitt, cela faisait longtemps que je n’en avais plus du tout entendu parler, cela aurait même pu dater de la toute fin des années septante, je ne peux pas dire que je suis resté scotché très longtemps sur le Quo , comme on disait, alors, pour se donner un peu, à l’âge de douze treize ans, des airs de type qui s’y connaissait, si ce n’est qu’ayant habité pendant trois ans en Angleterre, j’ai appris, à ma plus grande stupéfaction, que ces types-là, pas juste Rick Parfitt mais aussi Francis Rossi, l’autre guitariste, le soliste comme on disait du même temps où on disait un guitariste rythmique, et d’ailleurs quand on le disait, je ne suis pas certain que l’on savait très exactement ce que cela voulait dire, mais on n’aurait pas voulu dire autre chose, moins, bref le Quo, et bien, à l’époque, s’entend, ils n’étaient pas morts, et même qu’ils étaient en tournée plus souvent qu’à leur tour et que même, certains de leurs morceaux passaient à la radio, il faut dire à la radio anglaise, ils ne sont pas tenus par des histoires de quotas pour ce qui est de passer de la chanson française. Et même tout quinquagénaires qu’ils étaient, dans les années nonante, il leur arrivaient de faire les gros titres de la presse populaire pour tel, petit qu’on se rassure, méfait, ou, même, déjà, de survivre à une crise cardiaque, Francis Rossi, le soliste, pas le rythmique, mais si pendant ces trois années d’anglaise vie, je n’avais pas, de temps en temps, jeter un coup d’oeil dans les pages de cette presse populaire, généralement laissée derrière soi par l’équipe de nuit, j’aurais peut-être oublié jusqu’au nom de ces types et de leur groupe, le fameux Status Quo , et peut-être que j’aurais à peine relevé le titre de la manchette du Monde ce matin de Noël, quarante ans, jour pour jour, après le jour de Noël de septante-six, quand j’avais reçu en cadeau de Noël le fameux Blue for you de Status Quo .

    Et du coup, je me sens tout chose, comme on dit. Ému, ce serait beaucoup dire. Juste un peu triste parce que je n’ai aucun mal à me faire l’application du raisonnement qui veuille que si ces types dont les posters ornaient les murs de ma chambre adolescent sont en train de tomber comme des mouches, et depuis quelques années, ce ne sont plus des overdoses, des morts par balle ou que sais-je d’un peu rock’n’roll comme on dit, mais bien plutôt des insuffisances rénales, des crises cardiaques ou encore des cancers, bref des maladies de vieux, encore que le cancer, et donc que si ces idoles de jeunesse qui avaient l’âge d’être des grands frères un peu remuants commencent à périr du grand âge, il n’est pas difficile d’en déduire que notre tour se profile aussi.

    Et est-ce qu’avant que ce soit notre tour, ce qui va surtout advenir, c’est que plus personne ne sera bientôt capable de partager avec soi l’éventuelle émotion, le petit pincement de cœur, que provoquent ces disparitions d’étoiles de pierre, lesquelles vont finir par se produire dans le silence et même l’indifférence, et on sera passé de l’émotion planétaire provoquée par la mort de John Lennon, de celle qui permet d’échanger, entre personnes émues, des années plus tard de ce que l’on faisait de jour-là, comme dans la chanson de Lou Reed (insuffisance rénale, 2013), the day John Kennedy died , on passera donc de cette forme d’universalité à la plus grande des indifférences, en sera-t-on même informé quand Jimmy Page se brisera le col du fémur en tombant de l’échelle de sa bibliothèque de parchemins de je ne sais quel obscur penseur dont il est le seul lecteur et que conformément aux statistiques en matière de col du fémur, son trépas interviendra dans l’année suivant cette mauvaise chute, comme c’est le cas pour la moitié des patients ayant à souffrir d’une fracture du col du fémur, pauvre Jimmy Page (col du fémur, 2018) quand on y pense, c’est pas beau de vieillir. De même la grande faucheuse sera cruelle qui viendra prendre Neil Young dans son sommeil, à son enterrement les membres claudicants du Crosby, Stills and Nash et donc plus Young, viendront chanter sur sa tombe, Hey Hey my my, rock’n’roll will never die , incantation de vieux perclus de rhumatismes, Neil Young (rupture d’anévrisme dans son sommeil, 2019) n’en saura rien, mais le rock’n’roll est mort.

    Et avec cette mort, les générations futures ne relèveront plus certaines références, ils ne comprendront plus certains effets de décor comme dans, je ne sais pas pourquoi je pense à ce film maintenant, Tonnerre de Gruillaume Brac, avec Benard Menez, dans le rôle du père de province dont la garçonnière dans la maison est décorée de pochettes de disques reprises par quatre punaises en leurs coins comme nous faisions tous dans les années septante, et dans Tonnerre donc, le souvenir de la pochette d’une compilation de Jimi Hendrix (overdose, 1970), le représentant dans une peinture très bariolée, celle de Sounds of silence de Simon (cancer, 2013) & Garfunkel (cancer aussi, 2021) et je ne sais plus quoi de Cat Stevens (infection urinaire, 2025), (je viens de télécharger le film, le troisième disque l’on voit c’est Everbody knows this is nowhere de Neil Young (rupture d’anévrisme, 2019) pareillement épinglées sur un fond de papier peint à l’avenant. Avouez que, vous même, en regardant ce film sorti il y a deux ans, Lou Reed venait de casser sa pipe, insuffisance rénale, je n’y reviens pas, vous ne l’avez peut-être pas remarqué et vous ne vous ne souvenez peut-être même pas de cet élément de décor. Donc pas grave.

    Et en fait je me demande si ce n’est pas ce qui qualifie le mieux ces disparitions d’étoiles de pierre : ce n’est pas grave. C’est même étonnant à quel point ce n’est pas grave. Anodin même. Oh bien sûr je ne doute pas que cela attriste les proches de ces morts autrefois fameux, mais pour nous qui ne sommes pas proches, ces disparitions finissent par rejoindre en émotion modérée, celle des quelques cent militaires russes morts dans le crash de leur avion de transport de troupes, j’y verrai presque de l’émancipation, une sorte de crépuscule des idoles, à la manière de cette installation de Gilles Barbier qui a imaginé la maison de retrait des superhéros, Hulk est en chaise roulante, Superman en déambulateur tandis que Wonderwonan est un peu avachie et veille tendrement sur Captain America gisant sur une civière et sous perfusion, et si l’émancipation est à ce prix, j’y verrai presque un encouragement à hâter la manœuvre.

    Voici donc le récit de la disparition des étoiles de pierre.

    (en cours d’écriture)

    Il me semble avoir mentionné le décès de Jimmy Page en 2018, à l’âge de 74 ans, Jimmy Page qui ne s’est jamais remis tout à fait de sa fracture du col du fémur en dégringolant de son escalier de bibliothèque, chute survenue alors qu’il voulait épater une petite jeunette de quarante ans sa cadette, avec la lecture de tel manuscrit d’Aleister Crowley, dont vous même pouvez continuer de tout ignorer tant il semble que Jimmy Page a été, de tout temps, l’unique lecteur, et, pour le bienfait de nombreux bouquinistes dans le monde, un collectionneur vorace de ses grimoires, les bouquinistes se refilant mondialement le tuyau de cette érudition qui n’en était pas une. Las, le petit père Jimmy, 73 ans, un peu moins vert que ce qu’il aurait aimé faire accroire à cette jeune femme de 34 à laquelle il aimait jouer quelques sérénades de guitare, peinant désormais sur certains doigtés, depuis peu obtenus non sans un peu de tension arthritique dans les phalanges (c’est amusant tout de même de s’imaginer Jimmy Page à l’âge de 74 ans jouer l’intro de Stairway to Heaven à une jeunette), lui, Jimmy Page pensant benoîtement que cela pouvait impressionner encore quiconque (croyez-moi cela n’impressionnait déjà plus grand monde dans les années 80, j’ai gaspillé quelques heures de ma vie, pis de ma jeunesse, à tenter d’apprendre cette maudite ballade et ses arpèges prétentieux, pour un retour sur investissement auprès du sexe opposé voisin de zéro), elle, cette jeune femme, dont on a pu se demander si elle n’aurait pas donné dans cet escalier de bibliothèque cette secousse fatale, pas grand chose juste assez pour déséquilibrer le petit vieillard sémillant, la chute, fracture du col du fémur, manque d’entrain ensuite pour ce qui est de la rééducation, comme souvent à cet âge-là, et naturellement le déclin rapide inexorable, le patient ne sort plus vraiment de chez lui, il redoute le moindre choc, et la jeune femme qui hérite assez massivement de livres par millions, mais qui en revanche ne trouvera pas d’acquéreur pour les vieux manuscrits d’Aleister Crowley, son unique lecteur venait de prendre l’escalier de la sortie mais vers la descente, cette jeune femme était en fait, la fille illégitime de Jimmy Page, du temps des tournées aux Etats-Unis, des groupies par demi-douzaine et autres sévices lamentables notamment avec un requin, la jeune femme avait ce très bel aileron de requin tatoué sur le bas du ventre, l’ombre de ce dernier, schématiquement brouillé par les flots venant se mélanger avec ses poils pubiens, Jimmy Page pensez s’il se souvient du requin dont cette jeune femme était la fille, pensez s’il se souvient de cette femme dont il lui a donné à enfanter cette jeune femme, qui à l’âge de sa mère dans les années septante, a trouvé le chemin d’une vengeance servie froide. (à développer)

    Mick Jaegger (priapisme sénile, excès de masturbation, tachycardie, 2021)
    Keith Richards (sénilité, grand âge fatigue, 2035)
    Bob Dylan (Alzeimer, 2014)
    Neil Young (rupture d’anévrisme, 2019)
    David Bowie (maladie rare des os, 2022)
    Robert Fripp (crises d’épilepsie à répétition, 2030)
    Steve Howe (arthrose dégénérative, 2021)
    David Gilmour (cirrhose du foie, 2032)
    Steve Hackett (cancer inconnu, mort en 2017, mais mort connue seulement en 2025)
    Denis Laine (cancer du colon, 2025)
    Peter Hamill (crise cardiaque, 2025)
    Frank Zappa (épuisement, dans son sommeil, 2044, le jour de ses cent ans)

    etc ad lib

    Exercice #61 de Henry Carroll : Restez assis au même endroit pendant cinq heures. Ne prenez des photos que la lorsque la lumière est la plus belle

    Cinq heures c’est un peu excessif non, en revanche longtemps, oui, cela a du déjà m’arriver dans les Cévennes. Tout en haut des marches, le café en main, et le regard du côté du hameau de Brin sur l’ubac.

    #qui_ca

  • J – 128 : Je dois terriblement vieillir au point sans doute de me fossiliser de mon propre vivant. Par exemple c’est de plus en plus souvent que je constate mon désintérêt dans une exposition d’art contemporain, désintérêt qui parfois s’orne également d’un peu de mépris ou tout simplement de soupirs lassés. Je me demande cependant si je ne suis pas parvenu à mettre le doigt dessus à l’exposition annuelle du Prix Marcel Duchamp à Beaubourg sans compter que la semaine dernière une rapide promenade dans les collections contemporaines du musée, le fameux nouvel accrochage dont on fait grand cas dans le milieu de l’art contemporain, cette rapide déambulation m’avait déjà ennuyé jusqu’à l’agacement. En soi ce n’est pas grave, je peux difficilement être retenu comme un étalon du bon goût en matière d’art contemporain, un repère de bon jugement, il y aurait des limites immédiates à ce que mon jugement, lapidaire et amateur par excellence, puisse servir de boussole, en revanche je me désole, qu’en étant, a priori, une personne, qui a un vrai goût pour l’art contemporain, s’emmerde, il n’y a pas d’autres verbes, dans les expositions des derniers développements de l’art contemporain, pas toutes, mais cela arrive quand même souvent.

    Ainsi cette fameuse exposition de ce qui devrait être le sang neuf de la création contemporaine, le prix Marcel Duchamp, et donc, les quatre finalistes de 2016, Kader Attia, Yto Barrada, Ulla von Brandenburg et Barthélémy Toguo.

    Je ne peux m’empêcher de me navrer qu’il est devenu impossible de rentrer dans la perception de telles œuvres sans lire des textes de présentation qui sont longs comme le bras et qui décrivent par le menu toutes les symboliques qu’il convient que le visiteur décèle dans les signes d’œuvres amorphes et, sans une telle lecture, impossible, même pour un visiteur un peu aguerri tout de même, en l’occurrence, moi, qui visite des expositions d’art contemporain depuis une trentaine d’années, d’établir de liens entre l’œuvre, à première vue, et les intentions capillotractées des artistes. Ainsi quand on pénètre dans cette exposition collective, on tombe sur d’immenses jarres de Barthélémy Toguo, en porcelaine, à la façon de celles que l’on trouve à l’entrée de la plupart des restaurants chinois et dont les motifs sont le répertoire habituel de dragons et de fleurs d’orchidées, à la différence près que les jarres de Barthélémy Toguo sont immenses, plus grandes que les visiteurs qui donc ne peuvent regarder dans la jarre, et qui sont ornées de motifs, certes asiatisants, si vous me passez l’expression, mais néanmoins certains motifs sortent du lot, notamment un visage dont on comprend qu’il s’agit de celui de l’artiste et de représentations qui sont telles des constellations. Dans cette forêt de jarres hypertrophiées, en son centre, se trouve une manière de clairière, qui accueille une paillasse de carreaux blancs sur lesquels sont posées des petites formes abstraites manifestement obtenues par la pulvérisation de ces substances de rebouchage bien commode que l’on trouve dans les magasins de bricolage, et qui évoquent, lointainement des corps cellulaires, des amibes, et encore je mentionne la chose uniquement parce que j’ai déjà commencé à loucher du côté des explications sérigraphiées sur les murs de l’exposition (et je précise que c’est sérigraphié, ce que j’ai appris il y a quelques années d’un ami sérigraphe dont c’est devenu la spécialité, la sérigraphie verticale, uniquement pour sous entendre que si à moi on offrait la possibilité de sérigraphier quoi que ce soit sur un mur dans un musée, je crois que j’aurais à cœur de choisir des images qui en valent la peine, et, si je suis contraint d’en rester au texte, le texte que j’écrirais pour la circonstance aurait, je l’espère, une autre portée que celle d’explications de ce qu’il convient de voir et déceler dans les œuvres contenues dans cette grande pièce d’exposition).

    Je ne doute pas que l’on puisse travailler, dans le cas présent, celui de Barthélémy Toguo, sur une thématique un peu pointue tout de même, ici une ode à la recherche scientifique en matière de SIDA, à sa grande créativité qui n’est pas rappeler celle des artistes, encore que là..., chacun voit la beauté où il veut, no problem , mais enfin il me semble que le propos peut être un peu plus critique de l’enjeu que de vaguement suggérer par des moyens tellement tellement indirects que la recherche est vertueuse et pleine d’imagination que c’en est presque de l’art. Franchement. Je n’ose imaginer la facture de réalisation d’une telle exposition pour accoucher d’un propos tellement maigre en somme.

    Ce qui est embêtant dans cette première œuvre de l’exposition c’est la façon dont elle conditionne le regard du spectateur, c’est une exposition collective et donc on va retrouver des préoccupations comparables chez les trois autres artistes, et de fait l’exposition de Kader Attia est une longue explication avec une vidéo surplombante dans laquelle se succèdent des personnalités philosophantes pour donner leur point de vue sur des sujets costauds, la mort, la religion, les morts, les fantômes, le deuil, au milieu desquelles personnalités on trouve Boris Cyrulnik qui, comme à son habitude, parle d’autorité, de sa haute autorité d’imposteur, et on comprend in fine que ce parcours chargé doit servir de justification intellectuelle à une œuvre qui est assez belle en soi et qui en fait se passerait très bien du verbiage précité, mais étant fabriqué dans des matériaux peu nobles, ce sont des sortes de totems constitués de compartiments d’emballage, on sent une incapacité de l’artiste de les imposer en tant que telles sans les habiller d’un discours qui fait autorité justement, quelle curieuse conception de l’art, c’est un peu comme si Mario Merz, Yannis Kounellis ou encore Gilberto Zorio, ou même encore Josef Beuys, affichaient à l’entrée de leurs expositions un petit texte plaintif à l’adresse des visiteurs pour indiquer qu’il s’excusaient d’avoir travaillé avec du feutre, de la récupération de palissade, du bois de coffrage, du rebut, de la paille, de la graisse, etc...

    Je passe sur l’œuvre assez ratée d’Ulla von Brandenburg, autrement plus inspirée en d’autres occasions, et pareillement le travail très riche d’Yto Barrada aurait pu être représenté très différemment, là aussi on louche du côté de l’explicatif et du discours de justification, dont l’œuvre se passe très bien, merci pour elles (l’œuvre et l’artiste).

    Et tout ceci est en contraste assez frappant de l’exposition monographique voisine, celle de Jean-Luc Moulène, qui, elle, n’a nul besoin de se parer de quelque discours que ce soit. Les œuvres sont autonomes, nullement accompagnées d’explications et elles détiennent en elles assez de force pour requérir du spectateur une implication personnelle, un regard. Du coup, c’est une vraie respiration.

    Une trentaine de sculptures sont présentées sur des socles neutres, elles se présentent dans des matériaux à la fois très différents et très contemporains, certaines œuvres semblent avoir été conçues et fabriquées brutes de fonderies c’est mal dit à l’aide d’imprimantes en trois dimensions, elles portent les stigmates du genre, présentées sur des socles, elles ont un caractère irréel, elles pourraient peser quelques grammes comme quelques quintaux. Dans un mélange qui se moque pas mal des conventions les formes, ces sculptures sont tantôt abstraites, tantôt figuratives, souvent le mélange étonnant des deux, quand elles ne sont pas la reproduction, à l’échelle un, de modules existant dans la paysage, ainsi l’assemblage d’un bas côté routier en ciment (mais est-ce du ciment ?), un de ces volumes dont on garnit les jetées pour les protéger de la violence des tempêtes ou encore un de ces modules de construction de murs de séparation, notamment de ceux qui abritent les colonies israéliennes. Ou encore une sculpture, à la forme abstraite a priori, est la rencontre, pas très subtile, mais néanmoins opérante, d’un corps féminin et d’une voiture de sport.

    Il y a un vrai plaisir à cette exposition des œuvres sculptés de Jean-Luc Moulène, chaque volume interroge à propos de ses conditions d’obtention, de ses potentielles significations, nécessairement polysémiques, de ses masses propres et de leur densité, et des matériaux même ou encore de leur assemblage, ce plaisir naît, c’est une évidence, de la grande liberté de l’artiste qui ne semble ne rien s’interdire et n’obéir qu’à sa seule curiosité et ce faisant il interroge à la fois les lois du genre, sa propre motivation et donne dans la foulée des pistes inspirantes pour d’autres œuvres. Ce n’est pas rien.

    Mais alors quel dommage de trouver sans cette rétrospective exposition, dans les quatre tomes d’un travail photographique du recensement, dans lequel figure les objets de grève , les objets fabriqués en Palestine , un quatrième tome de recensement de plantes sauvages poussant en milieu urbain, pas nécessairement le plus intéressant de cette série et, donc, la série des douze prostituées d’Amsterdam, douze femmes, prostituées donc, qui posent, nues, forcément nues (elles ne sont que cela aux yeux de l’artiste, une nudité mercantile, les jambes écartées, des fois que l’on n’aurait pas compris que ce sont ces sexes par lesquels vivent ces femmes, sur fond rouge, si des fois on n’aurait toujours pas compris que ces femmes sont des prostituées, que l’on identifie donc dans cette série par leurs sexes, nécessairement épilés, pour ne nous épargner aucune obscénité.

    Et là on peut vraiment se demander quel était le besoin de cet artiste tellement doué finalement de produire une telle série, tellement médiocre et qui à la différence du reste de son travail ne dit rien, ne fait nullement réfléchir, et qui montre au contraire à quel point cet artiste ne recule pas devant un surcroît d’exploitation de ces femmes, pour lesquelles il ne lui suffit donc pas qu’elles soient contraintes à la prostitution ( au même titre, c’est un rappel important, et toujours nécessaire, que 96% des prostituées ), il souhaite donc les exposer davantage, et les exposer en tant que prostituées, ce dont on peut se douter qu’elles ne sont pas nécessairement fières (ce dont elles ne devraient pas rougir, les pauvres), et tout cela selon ce qui est vraisemblablement acquis au travers d’une transaction financière qui relève, quels qu’en soient les termes exacts, de la prostitution pure et simple, une forme même de méta prostitution. En cela la démarche rejoint celle d’un Andres Serrano lançant son armée d’assistants dans les rues de New York acheter les panonceaux par lesquels les mendiants et les homeless demandent la charité, pour les besoins d’une vidéo dans laquelle la pauvreté des uns devient la décoration des autres ( http://www.desordre.net/blog/?debut=2014-01-12#3065 ).

    Jean-Luc Moulène, en quoi cette œuvre est-elle indispensable dans un corpus par ailleurs magistral ? Quel est votre droit supérieur de la produire ? Bref, qu’est-ce que vous branlez ?

    Exercice #60 de Henry Carroll : Photographiez un mot de manière à en changer le sens.

    Ce matin regardant en l’air je remarque, pour le photographier, le mot Pain, en lettres immenses, de l’enseigne de la boulangerie industrielle, qui se détache sur un ciel gris. Et reculant pour le cadrer moins serré, je me cogne violemment la tête à l’angle d’un auvent. C’était donc à comprendre en anglais. Douleur. Bel exemple de faux-ami. (Extrait du Bloc-notes du Désordre )

    #qui_ca

  • J – 129 : Ce matin en entrant dans l’ascenseur qui me conduit tous les matins au travail, je me suis fait la réflexion que c’était pour moi le dernier jour de l’année que je venais au travail, la semaine prochaine, la dernière de l’année, je suis en congé.

    Je suis généralement le premier arrivé à mon étage, aussi quand je sors de l’ascenseur je débouche sur un open space à la fois désert et plongé dans l’obscurité seulement trouée, par intermittence, par les écrans de veille des collègues analystes qui ont lancé avant de partir, la veille au soir, de ces requêtes de bases de données qui ont besoin d’une bonne partie de la nuit pour rendre à leur sondeur le fruit de telles recherches. Profitant d’un long apprentissage du temps de la photographie argentique, j’aime mettre au défi mon regard nyctalope et je m’installe à mon poste dans le noir.

    D’abord aveuglé par mon écran d’ordinateur, puis peu à peu, je plonge dans les premières tâches, je ne sais pas pourquoi mais cette obscurité alentour, sans parler du désert, sont pour moi extrêmement propices et c’est souvent que je parviens en une petite heure de travail, parfois un peu plus, mais souvent un peu moins aussi, à déblayer le terrain pour la journée. Ce matin rien de tel, je n’ai rien à faire qui soit urgent et la plupart de mes interlocuteurs habituels en plus de ne pas être encore arrivés, n’arriveront de toute manière pas, ils anticipent, apparemment c’est tout un travail, le réveillon du lendemain. Du coup je me fais un café, noir, dans le noir, que je bois en regardant le jour se lever sur le parc des Guilands sur les hauteurs de Montreuil et de Bagnolet partagées, en fait je regarde en direction du point où ont été tournés les premiers plans de l’Effet aquatique de Solveig Ansprach et dans cette abondance d’habituations, je peux plus ou moins deviner trois maisons amies. J’y vois comme un signe.

    En fait ce signe je me demande si je ne suis pas en train de le distinguer depuis le premier avril, depuis que je suis arrivé dans ce nouvel open space de la Très Grande Entreprise, à quelques encablures seulement de la Croix de Chavaux. Depuis le premier avril en effet, il n’est pas rare que je croise dans la rue, en chemin pour le café ou la pause méridienne, tel ou telle amis, telle connaissance lointaine, et cela fait plaisir de se voir, ou pas, et du coup de prendre un café, ou pas, depuis septembre j’ai eu l’occasion de déjeuner quelques fois avec Guillaume, discuter de la Petite fille qui sautait sur les Genoux de Céline ou encore de faire l’école buissonnière un vendredi midi pour regarder son film, dans une de ses ultimes versions de montage. Depuis l’automne c’est régulièrement que je donne des rendez-vous à quelques amis soit pour la pause méridienne soit à la sortie du travail et alors j’ai le sentiment de sortir de mon bureau pour me mettre vraiment au travail avec ces amis qui comme moi sont impliqués dans toutes sortes de projets. Alors comment ne serait-il pas tentant d’y voir comme un signe, que je suis comme ces prisonniers du film de Guillaume dans une prison devenue toute relative. Encore que.

    Au printemps j’ai même reçu des signes, que j’ai d’abord jugés inquiétants, de la part de la Très Grande entreprise, il était question de se débarrasser d’une partie du personnel et il était question que je fasse partie de cette partie du personnel, c’est étonnant le coup de fouet que cela m’a donné. D’ailleurs en plus de me faire entrevoir la possibilité d’une libération anticipée, cela m’a inspiré un récit, Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) , dans lequel, par l’extrapolation de la fiction, j’ai tenté d’approcher cette idée d’une libération. Je ne sais pas d’ailleurs si j’y suis bien parvenu, je veux dire à me donner des pistes de réflexion, non, la fiction est sans doute venue brouiller davantage les pistes qui n’étaient déjà pas très clairement dessinées.

    Je ne suis pas doué pour les réveillons, d’ailleurs c’est tellement connu auprès de mes amis et de mes proches que nul ne songerait à m’inviter à une telle fête assuré que je viendrais tout gâcher, alors pensez, avec un tel manque d’entraînement, si j’ai la moindre chance de m’améliorer. Longtemps je travaillais en de telles occasions qui par ailleurs jour férié oblige étaient payées triple, surtout si c’était de nuit. Et j’étais souvent volontaire, d’autant plus que cela rendait parfois d’insignes services à des collègues qui auraient été de la baise, comme on dit à l’armée pour les tours de garde et pendant longtemps j’ai trouvé que mon travail de surveillance de forêts de serveurs et de processeurs était comme l’extension logique du service militaire. En général, mon réveillon à moi, tout du moins celui de la Saint-Sylvestre, commence vers 16 heures 30 et est tout à fait fini vers 17 heures, c’est dans cet intervalle de temps que je sors pour aller regarder les dernières lumières de l’année. Une fois la nuit tombée, je me moque pas mal du reste de la soirée. Il est même fréquent que je sois en fait couché avant minuit ce soir-là. Quand je me lève, j’ai un certain plaisir à parcourir les rues désertes du quartier, c’est un peu le même plaisir que de me déplacer dans un open space enténébré en étant le premier arrivé le matin, ou le travailleur de nuit - il n’en faut sans doute pas plus comme explication à mon goût ultime pour les images de Homo Sapiens de Nikolaus Geyrhalter.

    Et je ne dévoile rien de très étonnant si je dis que par ailleurs à la fois ma conception du réveillon, les dernières lumières du jour, cette première marche de l’année, sont en général pour moi l’occasion de réflexions amusées et pleines d’anticipation de ce que sera faite cette année qui commence tout juste, et de tenter des effets de miroir avec l’année qui vient tout juste de se clore. Par exemple la fin de l’année 2015 aura été l’occasion d’un curieux équilibre entre ce qui avait été plaisant dans cet année, pas grand-chose, si ce n’est le plaisir pendant une bonne partie de l’année de travailler à Février , l’émotion due à la naissance de la petite Sara, fille de Clémence et de Marco, mais aussi, comme pour beaucoup, celle, terrible, conséquemment aux attentats du 13 novembre 2015, et dans mon cas cette pensées préoccupante de devoir ma survie, et celle de mon amie Laurence, à un très fameux coup de chance, aidé en cela par une maladie de vieux, l’arthrose, d’où le récit éponyme. D’autres tracasseries, comme de devoir rencontrer et bavarder avec un cinquième Juge aux Affaires Familiales, l’agression dont j’avais été victime au travail (et qui me vaut ce changement d’ open space depuis le premier avril, pour être séparé de mes agresseurs - que je te les aurais foutus à la porte moi, mais, c’est heureux, personne ne m’écoute jamais moi - finalement cet incident, si minime soit-il, avait bien davantage de répercussions que je ne les aurais anticipées), la fin de ma relation amoureuse avec B., tout cela cumulé, c’est le mot, faisait que j’étais tout de même chargé d’espoir pour ce qui était de l’année, à venir, celle finissante désormais, 2016.

    Et je comprends bien comme je suis expéditif en souhaitant déclarer le plus tôt possible la fin de cette dernière année, c’est qu’il s’y est passé quelque chose de très heureux, mon roman Une fuite en Egypte a trouvé un éditeur, et tel un enfant qui piaffe en attendant qui, la fin de la semaine, qui, l’arrivé éminente des grandes vacances, je voudrais déjà être au premier mars, date de la sortie du livre.

    Il n’empêche seul dans l’ open space qu’un jour gris et timide commence à éclairer sans violence, ni couleurs excessives, réalisant que c’est le dernier jour de l’année que je passe dans ce dernier, j’anticipe un peu cette fin d’année et me pose la question de savoir si à cette époque-là de l’année 2017 je serais encore assis sur ce siège à cinq roulettes - ce dernier doit souhaiter que non, il a la vie nettement plus dure que son collègue qui ne supporte que ma nouvelle collègue, d’ailleurs est-ce que je ne devrais pas profiter de l’ open space désert pour permuter nos deux sièges, voilà qui est fait, le tour est joué - y serai-je donc encore assis ?

    I would prefer not to.

    Exercice #59 de Henry Carroll : Prenez une photographie qui ne peut être prise qu’aujourd’hui, pas hier ni demain.

    Réponse : il n’y a pas d’autres photographies que celles qui ne peuvent être prises qu’ajourd’hui, pas hier ni demain, sinon quel intérêt de prendre une photographie ? On dira que ce théorème, un peu personnel j’en conviens, et pas nécessairement destiné à la postérité, est ma théorie à moi de l’instant décisif, à ne pas confondre avec celle, dite de l’instant décisif également, d’un obscur photographe français tout gris.

    #qui_ca

    • @aude_v Comme toujours je lis ton article avec attention, cela me demande parfois une attention accrue, parce que ne sachant pas grand chose précisément des contextes que tu évoques, je suis tenu à une certaine forme d’extrapolation, tout en restant prudent pour me tenir éloigné des éventuels contresens. Chaque fois, il y a une partie de ce que tu écris qui emporte mon adhésion sans grand effort de ma part pour faire chemin vers ce que tu penses et écris. Et puis il y a toujours, une partie pour laquelle je suis parfois contraint de lutter contre des habitudes de penser qui sont les miennes, à ce titre je dois même te remercier tant il est souvent arrivé que je finisse par comprendre à la faveur de la lecture de tels passages des choses qui vraiment, je peux même en concevoir de la honte rétrospective, résistaient beaucoup à ma compréhension, voire mon acceptation.

      Mais ce denier article, ouille-ouille, j’ai beau le relire, je ne trouve pas son point d’entrée dans ce qui pourrait devenir une compréhension commune entre nous.

      Ce que tu décris des bienfaits du travail, et s’ils sont avérés te concernant, je m’en réjouis sans réserve, ces bienfaits me sont entièrement étrangers. Pour ma part si je parvenais à vivre avec beaucoup moins sans travailler, mon sang ne ferait qu’un tour, je ne travaillerais pas. Mais ici il faut que je précise, que le travail dont je parle pour le moment est celui rémunéré par un tiers, parce que cette possibilité de m’absenter d’un tel travail, ce serait, on le comprend j’espère entre les lignes, ce serait pour mieux me consacrer à un travail qui, lui, à défaut de me nourrir, me nourrit, comprendre, de faire en sorte que la pitance, la mienne et celle de mes enfants, soit assurée, versus me nourrir intellectuellement, tout du moins de me donner des gratifications, parce qu’il arrive, en de rares occasions que ces gratifications personnelles viennent en récompense d’un travail non intellectuel, manuel disons pour simplifier.

      Or, sur ce point, je vois bien comment toi et moi différons sur un point fondamental, au delà du fait que chômeuse, quand tu l’étais, tu ne désirais rien tant que ce dont j’aimerais m’extraire à tout prix, l’ open space et le bruit de Windows qui démarre dans les odeurs du café en gobelet désormais en carton, open space, Windows et gobelet, que je ne peux plus du tout supporter, même si j’ai bien compris que tu forçais le trait pour bien faire comprendre à quel point l’absence de travail c’est la mort au point que l’on puisse désirer le bruit du démarrage de Windows . Pour toi, est solidement chevillée au travail rémunéré la possibilité d’accomplissements collectifs, quand ils ne sont pas communs, et alors là je suis subjugué que ce soit dans le travail rémunéré que tu espères de tels accomplissements et il me faudrait alors des dizaines et des dizaines de pages d’exemples pour te montrer à quel point le travail pour moi c’est ce que tu décris très bien en une seule ligne :

      Il semble normal de se faire relancer pendant trois mois ou plus pour une tâche qui prendra deux heures et qui en attendant bloque tout un chantier.

      Et c’est d’autant moins compréhensible, cette attente de ta part, pour moi, que je suis l’employé d’une société qui compte presque un demi million d’employés de par le monde et qui vend mes services à une entreprise du CAC40, autant dire qu’étant payé un SMIC et demi, je suis rarement ému quand mon employeur se vante de ses accomplissements ou encore quand son client pareillement manifeste son contentement dominateur en parts de marché. Dans de telles conditions, ce que je remarque aussi pour ce qui est du fonctionnement collectif c’est que la nocivité managériale s’appuie beaucoup sur la propension collective des uns et des autres à ne pas raisonner de façon très collective, au point qu’après des années et des années pendant lesquelles le management s’est réjoui d’un comportement aussi peu louable, il est désormais ennuyé que cela grippe un peu ses mécanismes de la productivité et c’est limite si on ne ferait pas entrer des entraîneurs de rugby pour réapprendre les règles les plus élémentaires de la poussée collective dans la même direction, et le même sens. Et je dois avoir l’esprit bien retors pour me réjouir que cela ne fonctionne pas bien quand même, en dépit de l’entraîneur de rugby.

      Forcément en respirant tous les jours un air aussi vicié, tu penses si je suis heureux tous les soirs de retrouver la paix relative de mon home, tout du moins son aimable désordre, sa chaleur humaine, la turbulence enfantine et le soir, plus tard, la solitude de mon garage pour tenter d’œuvrer à de moins sinistres besognes. Et à vrai dire, puisque @reka se posait la question de savoir quel genre de produits je prenais pour avoir une telle production écrite, je dois faire l’aveu qu’il m’arrive quand même de temps en temps de profiter que les rouages de la Très Grande Entreprise soient grippés (tu n’imagines pas à quel point cette notion de chantier bloqué pendant trois mois par une tâche dont l’exécution ne demanderait pas plus de deux heures à la personne à laquelle elle est demandée, à quel point cette description m’est familière) pour jeter quelques notes écrites dans un fichier texte, et si je ne faisais pas cela, ce qui est désormais possible dans l’ open space dans lequel je respire les miasmes collectifs de l’air conditionné, ce qui ne l’était pas les trois dernières années, et alors je peux témoigner que le bore-out ce b’était pas une vue de l’esprit : il est incroyablement fatigant de s’ennuyer.

      Bref tout ce que tu décrtis d’un certain bonheur à retrouver le bruit de Windows à l’heure du café du matin en open space, je suis capable de m’en réjouir pour toi que j’apprécie, mais j’ai du mal à le comprendre au point de me demander, de te demander, tu es sûre ?

      Et puis arrive un léger vacillement de ma part dans mes certitudes anti travail rémunéré, et au contraire ma véritable appétence pour un travail fort solitaire, je remarque quand même que mes moments de plus grande réalisation ont eu lieu dans des projets collectifs, travailler avec Alice, @fil et @mona, et un peu @reka aussi, sur le fameux numéro 109 de Manière de voir , ou encore le spectacle Formes d’une Guerre et désormais sur son petit frère, Apnées en trio avec Dominique Pifarély et Michele Rabbia, ou encore ce que je perçois en ce moment de travail collectif en amont de la sortie d’ Une Fuite en Egypte me laisse penser que oui, il peut y avoir des bonheurs supérieurs, je me désole cependant qu’ils soient si rares, l’exception en somme, et dans ton cas, accompagnés du bruit de Windows .

      Alors, bon courage l’amie ! Vivement.

    • En général, mon réveillon à moi, tout du moins celui de la Saint-Sylvestre, commence vers 16 heures 30 et est tout à fait fini vers 17 heures, c’est dans cet intervalle de temps que je sors pour aller regarder les dernières lumières de l’année. Une fois la nuit tombée, je me moque pas mal du reste de la soirée.

      C’est marrant ça me fait penser à la façon dont je vis cette période. Mon réveillon à moi c’est le matin du solstice d’hiver, si possible dans un lieu dégagé et silencieux, et puis une fois baigné un moment dans ces premières lumières nouvelles, les jours suivants m’importent assez peu en tant que tels.

    • @koldobika Et dans un genre assez voisin, quand on passe d’une période à une autre, d’une saison à une autre, je me demande souvent, de façon un peu inquiète, si, en été si j’ai suffisamment profité des fruits rouges, en automne si j’ai suffisamment pris de photographies des canopées, en hiver si j’ai suffisamment hiberné et au printemps, si j’ai suffisamment aéré ma chambre de cet air tellement libre d’avril. Et ces questions sont bien plus mes rythmes que quoi que ce soit d’autres finalement, tout du moins mes repères. Quand les enfants seront plus grands, voleront de leurs propres ailes, je pense que je serai assez heureux de pouvoir abandonner tous les autres repères que je trouve factices finalement.

    • @aude_v et @koldobika Je reprends de nombreux des textes de la rubrique #qui_ca dans un projet de texte plus vaste (dont je ne connais pas encore la ou les destinées finales), je me demandais, en dehors des considérations de copyleft , si l’une et l’autre vous accepteriez que je reprenne vos contributions dans ce signalement de seenthis (en précisant clairement que vous en êtes les auteurs ? Dites-moi. Et c’est possible d’en discuter par mail (pdj arotruc desordre.net)

    • En apprenant les sciences cognitives, je trouvais l’éloignement aux psychologies thérapeutiques très réconfortante. Pouvoir expliquer des comportements non pas à partir des inférences et des ressentis, mais à partir de l’anatomie fonctionnelle.
      En tout cas, concernant le #boreout et le #burnout, voici une approche neurologique légère mais convaincante :
      https://youtu.be/TQ0sL1ZGnQ4


      C’est marrant, mais les sciences cognitives avancent à grand pas et trouvent souvent ce qui était pressenti mais pas démontré il y a 15 ans. Grâce à l’évolution des techniques.

  • J – 131 : Vu hier soir Cinq femmes autour d’Utamaro de Kenji Mizoguchi. A vrai dire je ne me souviens pas la dernière fois que j’ai vu un film de Mizoguchi, j’ai un vague souvenir d’un cours d’histoire de l’art à propos du cinéma japonais aux Arts Déco et dans lequel Ozu et Mizoguchi tenaient les deux premiers rangs, de même j’ai un vague souvenir d’avoir vu à Chicago en VHS les Femmes de la nuit, mais je crois que c’est bien tout. J’avais gardé le souvenir donc que Mizoguchi était un cinéaste majeur, je n’avais aucune idée, je viens de le découvrir, que sa filmographie est aussi longue et aussi poétique qu’un recueil de haikus , c’est même assez impressionnant :

    1923 : Yorû yami no sasayakî
    1923 : Yorû utsukushikî akumâ
    1923 : Kantô
    1923 : Le Jour où l’amour revit (Ai ni yomigaeru hi)
    1923 : Le Pays natal (Kokyo)
    1923 : Rêves de jeunesse (Seishun no yumeji)
    1923 : La Rue du feu de l’amour (Joen no chimata)
    1923 : Triste est la chanson des vaincus (Haizan no uta wa kanashi)
    1923 : 813, une aventure d’Arsène Lupin (813) - j’ai vérifié, il n’y a pas que sur la page de l’encyclopédie collective en ligne que l’on trouve ce titre surprenant dans l’œuvre de Mizoguchi
    1923 : Le Port de la brume (Kiri no minato)
    1923 : Dans les ruines (Haikyo no naka)
    1923 : La Nuit (Yoru)
    1923 : Le Sang et l’âme (Chi to rei)
    1923 : La Chanson du col (Toge no uta) ? ce qui ne veut pas dire, comme on aurait pu le croire, les faux amis en japonais sont infiniment fourbes, que la compagnie UTA ne desservait pas le Togo, d’autant que vérifiant la chose auprès d’un ingénieur en aéronautique ayant travaillé pour l’UTA, la compagnie UTA desservait bien le Togo, les choses que l’on est obligé de vérifier quand on se sert d’une encyclopédie collective en ligne
    1924 : L’Idiot triste (Kanashiki hakuchi)
    1924 : La Mort à l’aube (Akatsuki no shi)
    1924 : La Reine des temps modernes (Gendai no jo-o)
    1924 : Les femmes sont fortes (Josei wa tsuyoshi)
    1924 : Le Monde ici-bas - Rien que poussière (Jin kyo)
    1924 : À la recherche d’une dinde (Shichimencho no yukue) ? là aussi vérification faite auprès d’une amie de Madeleine, japonaise, c’est effectivement, à peu près, ce que Shichimencho no yukue veut dire, décidément le recours à une encyclopédie collective en ligne donne beaucoup de travail de vérification, en grande partie à cause des esprits pervers de mon genre qui ne perdraient jamais une occasion, surtout depuis l’intérieur, de pervertir les sources de renseignement par toutes sortes de fictions.
    1924 : La Mort du Policier Ito (Acab Itou)
    1924 : Le Livre de la pluie de mai ou Conte de la pluie fine (Samidare zoshi)
    1924 : La Hache qui coupe l’amour (Koi o tatsu ono)
    1924 : La Femme de joie (Kanraku no onna)
    1924 : La Reine du cirque (Kyokubadan no jo-o)
    1925 : A, a tokumukan kanto
    1925 : Pas d’argent, pas de combat (Uchen-Puchan)
    1925 : Après les années d’étude (Gakuso o idete)
    1925 : Le lys blanc gémit (Shirayuri wa nageku)
    1925 : Au rayon rouge du soleil couchant (Akai yuhi ni terasarete)
    1925 : Croquis de rue (Gaijo no suketchi)
    1925 : L’Être humain (Ningen)
    1925 : La Chanson du pays natal (Furusato no uta)
    1925 : Le Général Nogi et monsieur l’Ours (Nogi taisho to Kumasan)
    1926 : Le Roi de la monnaie (Doka o)
    1926 : Les Murmures d’une poupée en papier Haru (Kaminingyo haru no sasayaki)
    1926 : Ma faute (Shin onoga tsumi)
    1926 : L’Amour fou d’une maîtresse de chant (Kyôren no onna shishô)
    1926 : Les Enfants du pays maritime (Kaikoku danji)
    1926 : L’Argent (Kane)
    1927 : La Gratitude envers l’empereur ou La faveur impériale (Ko-on)
    1927 : Cœur aimable (Jihi shincho)
    1928 : La Vie d’un homme (Hito no issho)
    1928 : Quelle charmante fille ! (Musume kawaiya)
    1929 : Le Pont Nihon (Nihon bashi)
    1929 : Le journal Asahi brille (Asahi wa kagayaku)
    1929 : La Marche de Tokyo (Tokyo koshin-kyoku)
    1929 : La Symphonie de la grande ville (Tokai kokyogaku)
    1930 : Furusato (Fujiwara Yoshie no furusato)
    1930 : L’Étrangère Okichi (Tojin okichi)
    1930 : Le Pays natal (Furusato)
    1931 : Et pourtant ils avancent (Shikamo karera wa yuku)
    1932 : Le Dieu gardien du temps (Toki no ujigami)
    1932 : L’Aube de la fondation d’un état : La Mandchourie-Mongolie (Manmo kenkoku no reimei)
    1933 : Le Fil blanc de la cascade (Taki no shiraito)
    1933 : La Fête à Gion (Gion matsuri)
    1934 : Le Groupe Jinpu ou groupe kamikaze (Jinpu-ren)
    1934 : Le Col de l’amour et de la haine (???,Aizo toge)
    1935 : La Cigogne de papier (Orizuru Osen)
    1935 : Oyuki la vierge (Maria no Oyuki)
    1935 : Les Coquelicots (Gubijinsô) ?
    1936 : L’Élégie d’Osaka (Naniwa erejî)
    1936 : Les Sœurs de Gion (Gion no shimai)
    1937 : L’Impasse de l’amour et de la haine (Aien kyo)
    1938 : Le Chant de la caserne (???? Roei no Uta)
    1938 : Ah ! Le Pays natal (Aa kokyo)
    1939 : Conte des chrysanthèmes tardifs (Zangiku monogatari)
    1940 : La Femme de Naniwa (Naniwa onna)
    1941 : La Vie d’un acteur (Geido ichidai otoko)
    1941 : La Vengeance des 47 rônins (Genroku chushingura)
    1944 : Trois générations de Danjurô (Danjuro sandai)
    1944 : L’Histoire de Musashi Miyamoto (Miyamoto Musashi)
    1945 : L’Épée Bijomaru ( Meito bijomaru)
    1945 : Le Chant de la victoire (Hissho ka)
    1946 : La Victoire des femmes (Josei no shôri)
    1946 : Cinq femmes autour d’Utamaro ( Utamaro o meguru gonin no onna)
    1947 : L’Amour de l’actrice Sumako ( Joyû Sumako no koi)
    1948 : Femmes de la nuit ( Yoru no onnatachi)
    1949 : Flamme de mon amour (Waga koi wa moenu)
    1950 : Le Destin de madame Yuki (,Yuki fujin ezu)
    1951 : Miss Oyu (,Oyû-sama)
    1951 : La Dame de Musashino (Musashino fujin)
    1952 : La Vie d’O’Haru femme galante (Saikaku ichidai onna)
    1953 : Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari)
    1953 : Les Musiciens de Gion (ou La Fête à Gion, Gion bayashi), remake de son film de 1933.
    1954 : L’Intendant Sansho (Sanshô dayû)
    1954 : Une femme dont on parle (,Uwasa no onna)
    1954 : Les Amants crucifiés (Chikamatsu monogatari)
    1955 : L’Impératrice Yang Kwei-Fei (Yôkihi)
    1955 : Le Héros sacrilège (Shin heike monogatari)
    1956 : La Rue de la honte (Akasen chitai)

    J’ai un petit faible pour À la recherche d’une dinde

    On note, par ailleurs qu’en 1922 et 1923, Keiji Mizoguchi n’a pas, pas exactement, chômé.

    Ce que je comprends aussi de ce cinéma, c’est justement ce que je n’en comprends pas. Dans les Cinq femmes autour d’Utamaro , je confonds sans cesse les cinq femmes en question dont les noms apparaissent trop vite en japonais dans les sous titres (par ailleurs en anglais, ce qui me ralentit tout de même un petit poil, juste le petit poil qui rend le déchiffrement d’un nom japonais trop lent ou imprécis) et que je comprends trop tard en regardant le film que c’est plus ou moins au motif des kimonos qu’on a une chance de les reconnaître, parce que leur maquillage de geishas et de courtisanes les unifient beaucoup, et ma méprise est évidemment totale, je m’en rends compte, quand je pensais que la femme assassine était la femme porteuse de l’invraisemblable tatouage d’Utamaro dans le dos, et je découvre médusé que le tatouage en question est en fait sur le cadavre des deux amants, si vous pensez que ce que je viens d’écrire est difficile à suivre, téléchargez d’urgence ce film, vous verrez à quel point c’est pas facile de retrouver ses petits dans un tel désordre.

    Et cette méprise est telle qu’on peut même raisonnablement se demander quel est le plaisir que je trouve à cette cinématographie, par ailleurs assez fixe dans ses plans aux compositions pas particulièrement audacieuses, c’est l’empire du plan large, et bien peut-être de telles scènes que celle de l’apprenti peintre d’Utamaro qui se désespère de ne pouvoir atteindre à l’art de son maître, à cette vie insufflée dans ses personnages féminins dans ses dessins et qui commande à son serviteur de fermer les volets en plein jour et de lui apporter une bougie et comment la perception de la pièce, du décor bascule élégamment. Pour le même résultat décevant aux yeux du peintre apprenti.

    Et je peux tenter de suivre quantité de dialogue presque incompréhensibles, - toutes ces scènes d’hystérie des personnages pour des insultes faites à telle ou telle école d’art, autant vous dire que je n’aurais pas fait long feu dans le Japon du XVIIIème siècle avec certaines de mes chroniques et que je serais rapidement passé au fil du sabre du grand samouraï Piê Shou-lag pour l’avoir si copieusement insulté - ces explications interminables à propos de telle ou telle partie d’un protocole que n’aurait pas été suivi à la règle - et là autant vous dire que ma conduite dans un restaurant de fondue chinoise aurait également été jugée très insuffisamment protocolaire - je peux même lutter efficacement contre la fatigue du soir et m’abimer les yeux avec ces maudits sous titres éclairs en anglais, tant qu’il y aura des scènes comme celle de l’atelier ou encore comme celle de la baignade des promises à la pêche de ne je sais quel poisson symbole de fertilité, j’en redemanderai.

    Donc une grande partie du cinéma de Mizoguchi m’échappe mais je suis très perméable à sa poésie.

    Prochain sur ma liste, À la recherche d’une dinde . Cela ne va pas être facile à trouver mais il faut ce qu’il faut.

    Exercice #59 de Henry Carroll : Perdez-vous. Prenez une photo du moment où vous vous rendez compte que vous vous êtes perdu.

    Je crois que ne me suis jamais autant perdu qu’en République Tchèque, c’était même à croire que c’était un peu ce que je cherchais.

    #qui_ca

  • J – 132 : J’avais rendez-vous avec Sarah ( http://www.retors.net ) à l ’Industrie , c’est-à-dire là même où nous avions travaillé pendant le premier semestre, un mercredi sur deux, à remettre d’aplomb Une Fuite en Egypte , c’est sans doute le moment où jamais de dire, et de redire, publiquement, ma dette envers Sarah, pour avoir su débarrasser ce texte d’une part qui était trop sauvage, au point d’agresser son lecteur, qui était déjà suffisamment malmené comme cela merci, par cette ponctuation aberrante, mais aussi, et ce n’était sans doute pas facile, d’avoir réussi, en dépit, toujours de cette ponctuation aberrante, à re-cheviller tous mes hypallages coutumiers et autres propositions relatives ou subordonnées, relatives à pas grand-chose et subordonnées à presque rien, et, mieux encore, pour aiguiller ce texte vers la bonne personne, Hélène Gaudy ( http://www.inculte.fr/catalogue/une-ile-une-forteresse ), dont je suis terriblement redevable aussi, c’est une chose de noter tout cela dans la section du livre réservée aux remerciements, c’en est une autre, et j’y tiens, de dire à quel point certaines contributions sont essentielles. Voilà c’est fait.

    Sauf qu’entretemps l’Industrie n’avait pas du tout l’ambiance feutrée et calme d’un mercredi matin, c’était bien pis que cela, la première table où j’étais assis en attendant Sarah était voisine de deux Américains, fort contents d’eux-mêmes, apparemment tous les deux travaillant dans un domaine informatique assez voisin de ceux que je peux fréquenter moi-même, décidément ce n’était pas une très bonne récréation, jusqu’à ce que se fasse jour, dans cette conversation d’informaticiens, que le type même de programmes sur lesquels ces deux Américains forts contents d’eux-mêmes et parlant de tout, avec des accents de domination à peine voilés, par une éducation malgré tout universitaire, il y avait un type de mon âge et un autre plus jeune, les deux également imbuvables, jusqu’à, donc, ce que je comprenne dans cette conversation typique d’Américains en phase de conquête, on parle fort de toute manière toutes les grenouilles autour de nous ne peuvent pas nous comprendre, que je comprenne donc que ces deux Américains informaticiens aux habits de type détendus des pattes arrière, mais néanmoins salaires annuels à six figures, étaient en fait des informaticiens travaillent non pas dans le domaine bancaire comment d’aucuns, mais dans celui de la conception et l’ingénierie des armes, et la société du plus jeune de ces deux Américains en jean à salaire annuel en centaine de milliers de dollars venait de mettre au point une sorte de révolver à balles téléguidées, qui permettaient, en dépit d’être tirées dans des directions différentes, de, toutes, atteindre leur cible, en même temps - at the exact same fuckin’ time . Cela me laissait songeur et Sarah m’a sauvé de cette conversation que je faisais mine de ne pas écouter, ni comprendre, mais dont je perdais pas une virgule, imaginez un peu, et nous sommes allés prendre un thé et discuter un peu plus loin à une table entourée de gens plus normaux, français à tribord, comme à bâbord, de notre table, et dont on pouvait tout ignorer de leur vie professionnelle, en revanche être nettement plus renseignés sur leur vie sentimentale, et c’était bien cela le souci de l’Industrie ce soir-là c’est que tout un chacun parlait fort, les uns de leurs armes du XXIIIème siècle naissant, les autres de leur difficulté à retenir Untel dans l’emprise de leur charme pourtant tellement opérant le mois dernier encore.

    On a donc fini par s’exiler avec Sarah, d’autant qu’avec Sarah, et ce n’est pas la moindre des beautés de notre relation, nos sujets de conversation sont rarement le genre de choses que l’on aimerait brailler à tout bout de champ comme d’aucun des secrets de fabrication d’armes létales et qui littéralement tirent dans les coins, et d’aucunes que les hommes vraiment.

    Et cherchant un restaurant pour dîner tranquillement, intrigués que nous étions, nous sommes passés devant un restaurant chinois dont toute une aile semblait déserte et je me faisais fort d’expliquer au serveur qui nous accueillerait qu’après le vacarme de l’Industrie c’est dans cette aile orientale - je n’invente rien, c’était effectivement la partie la plus à l’Est de ce restaurant - que nous aimerions dîner et discuter tranquillement. Par ailleurs le restaurant en question était équipé de tables étonnantes qui était percées au centre par un cercle contenant une manière de plancha et de plaques en céramique permettant la cuisson d’un bouillon depuis lequel nous pourrions faire une tambouille chinoise de notre cru, allant nous servir, dans un très ample buffet, de toutes sortes d’aliments pas tous connus de nos estomacs ponantais. En revanche les explications de notre serveur étaient sommaires, nous étions les seuls Européens parmi les convives, ce qui dans un restaurant chinois est habituellement un excellent signe d’authenticité, en revanche nous étions complétement largués à propos du protocole, au point qu’ayant moi-même commandé un bouillon de fondue au crabe épicé, est arrivé à ma table un récipient contenant, de fait, de nombreuses gousses de piment éventrées et un demi-crabe qui avait dû être fracassé avec une masse avant d’être jeté dans un court-bouillon, de même quelques légumes croustillants parmi lesquels j’ai tout de même reconnu quelques segments de branches de céleri, et m’enquérant, aimablement auprès du serveur, pas très pédagogue, que je pouvais difficilement cuire les tranches de viande qu’ils m’apportait sans bouillon, il m’indiqua, sans politesse excessive, comme il aurait fait, finalement, envers un convive ayant bu dans un rince-doigts qu’il fallait d’abord que je mange le crabe et qu’il arroserait ensuite, avec un bouillon idoine, les restes de cette libation, qui promettait d’être périlleuse, seulement aidé de baguettes chinoises, je voudrais vous y voir à ma place, et qui promettait aussi d’être d’une vision pénible, dans ce tête à tête avec Sarah, qui pour me mettre à l’aise, me fit remarquer que pour un prochain, et premier, rendez-vous galant, je devrais sans doute éviter un tel restaurant.

    Les marchands d’armes étaient loin, mais les périls n’en restaient pas moins nombreux.

    Sans doute mentionné dans la carte de ce restaurant, mais en chinois que ni Sarah ni moi ne maîtrisons - pourtant si Sarah et mois unissions nos compétences linguistiques, nous pourrions aller dans de nombreux pays en parfaite autonomie, mais pas la Chine - la commande de cette fondue comprenait, d’office, une vingtaine de tranches de viande - Sarah est végétarienne - et une plâtrée abondante de crevettes, seiches et morceaux de poissons. Et naturellement si d’aventure nous manquions de quoi que ce soit, un buffet étonnant d’entrées diverses, parmi lesquelles une salade d’algues délicieuse, des crevettes au sésame, une salade de tripes épicées et tout plein d’autres choses dont nous n’aurions pas nécessairement su dire ce que ces choses étaient.

    Un trio d’hommes chinois s’est installé sans grâce excessive, des joueurs de rugby en tournée arrivant au buffet du petit déjeuner de leur hôtel auraient produit plus ou moins le même effet pas très distingué, et en quelques paroles, qui ne souffraient pas beaucoup la contradiction, ont commandé des montagnes de nourritures, ce qui nous a permis, espionnage industriel aidant, de mieux comprendre comment nous y prendre, Sarah et moi avec toute cette nourriture.

    Grimpant cet Everest de nourritures trop abondantes à pas comptés, Sarah et moi avons eu le temps de cet échange long et approfondi au point qu’à peine redistribués dans la métropole par le métropolitain nous nous envoyons un message textuel à la fois inquiets de la façon dont nos estomacs allaient digérer tout ça, la fondue helvétique à côté c’est de la petite bière, mais ravis, nous l’étions l’un et l’autre, d’avoir pu se parler de la sorte. Et le soir-même, Sarah m’envoie cet extrait de Mon année de la baie de personne de Peter Handke sur lequel elle est retombée récemment :

    « Pour ce qui était du titre, l’éditeur me fit remarquer que le mot "personne", de même que "seuil" ou "fuite" avaient sur la couverture d’un livre un effet négatif, effrayant, et qu’il n’était guère de saison de situer l’action principale - il m’avait deviné - dans une banlieue éloignée, qu’une histoire d’aujourd’hui devait se dérouler au centre-ville, mais que le livre pourrait quand même trouver des lecteurs - parce que c’était moi. »

    ( Mon année de la baie de personne , p.662), je pense que vais garder cet extrait tu de mon éditeur jusqu’à la sortie du livre.

    Mais quand même. Mon année de la baie de personne . Peter Handke. Toutes proportions mal gardées.

    Et je garde quelques regrets, pas trop aiguillonnant, ça va, de n’avoir pas connu ce restaurant, et Sarah, du temps de l’écriture de Chinois (ma vie) , cette scène dans le restaurant de fondue y aurait été parfaite.

    Exercice #59 de Henry Carroll : Prenez un portrait de quelqu’un sans qu’il ne soit sur la photo

    #qui_ca

  • J – 134 : J’ai déjà le titre de cette chronique en tête, et cela depuis le début de la lecture de ce deuxième tome du Journal de la crise de Laurent Grisel. Le titre ce serait Un poète chez les phynanciers .

    De même, depuis ma lecture du premier tome, et en entamant la lecture de ce deuxième tome, je me rends compte que je ne peux pas faire vraiment une chronique d’un tel livre, Laurent est un ami cher, les enjeux de son livre me sont incroyablement familiers, Laurent a en quelque sorte réussi là où j’avais échoué par manque de force et d’opiniâtreté, mais surtout il est allé infiniment plus loin que je n’aurais jamais été capable d’aller. Son courage, sa détermination et son intelligence brillante du sujet rendent d’emblée la chronique impossible. Alors disons que je vais, non pas écrire une lettre ouverte à Laurent, ce serait détestable et aux antipodes de notre dialogue habituel, mais disons partager un certain nombre de choses que je voudrais discuter avec Laurent la prochaine fois que nous nous verrons, en Bourgogne ou à Paris, qu’importe.

    Déjà, je trouve qu’il faut un courage hors du commun pour vouloir en découdre avec la machine à coudre, se fader de telles lectures, tenter de comprendre, et les comprendre, tous ces mécanismes phynanciers qui sont systématiquement présentés comme tellement complexes qu’ils sont en dehors de la portée du commun des mortels, nous avons tous l’intuition qu’il y a là un énorme bobard, mais encore faut-il le démontrer, et donc, pour cela puiser dans la masse indifférenciée de toute cette exégèse obscène de la pensée économique, de la pensée unique. Pour comprendre et décortiquer comment fonctionne le marché des produits dérivés, et là vous comprenez, en un éclair, mais un peu tard, que ces saloperies de calculs de dérivées sur lesquels on vous faisait suer en terminale, ces calculs ont une application en dépit de leur apparente abstraction - et cette application est nocive -, pour comprendre et décortiquer comment la vente et la revente de dettes, que ce soit celle de particuliers qui tentent d’acquérir un bien foncier ou celles d’états, souverains seulement en apparence, n’a qu’une seule vertu, celle de maintenir la tête de l’endetté sous l’eau, de lui donner, de temps à autre, l’illusion d’une possible respiration, de plus en plus espacée dans le temps, jusqu’à la faillite, la mort par noyade phynancière de l’endetté, toutes ces familles américaines qui, en dépit d’avoir payé au moins la part nette de leur emprunt, se voient en fait jetées hors de leur maison et ces états en faillite auxquels, tels la Grèce, on impose de s’endetter davantage, notamment pour pouvoir faire face à leurs dépenses militaires, dont en fait elles n’ont pas du tout besoin - contre qui la Grèce est-elle en guerre, à part l’Allemagne, qui justement vend des armes à la Grèce ?

    Les explications de Laurent Grisel sont parfois difficiles à suivre et il faut parfois faire le chemin que lui a fait, de reconstituer certains fonctionnement sur du papier libre, jusqu’aux deux tiers du livre où le lecteur accepte désormais que ce poète aventureux dans cette vallée de vautours et de fonds éponymes ne nous raconte pas d’histoires, au contraire de ceux dont la voix est omniprésente - pour nous expliquer que ouh là là ma bonne dame c’est pas du tout aussi simple que cela, laissez-moi vous expliquer les tenants et les aboutissants du marché obligataire - en faveur de la pensée et de la parole uniques. Et puis, de temps en temps, quelques passages, qui étaient nettement plus nombreux dans le premier tome, et qui avaient ma faveur - au point que je dédicace Qui ça ? à Laurent : « Pour mon ami Laurent Grisel, ce journal, comme un anti-journal, inspiré en négatif de son Journal de la crise. Laurent, ce qui compte dans ton Journal de la crise, c’est beaucoup plus la narration de tes faits propres, tellement plus immenses que ceux que nous peinons à retenir en dépit qu’ils nous soient rabâchés et qu’on ferait aussi bien, au contraire, d’oublier. » - dans lesquels on suit, donc, le travail de tous les jours de Laurent quand il est qui il est, un poète, et pas des moindres, et qui consent ce sacrifice insigne de plonger au cœur même de la broyeuse pour nous avertir de ses dangers.

    En cela la stratégie de Laurent Grisel ressemble fort à celle d’un Paul Jorion, souvent cité dans le livre au même titre que Pizzigati, ainsi, quand Laurent Grisel lit ceci ans le journal du MAUSS ( http://www.journaldumauss.net ) :

    « Il faut appeler un chat un chat, le libéralisme est la philosophie spontanée du milieu des affaires : laissez-moi poursuivre mon intérêt particulier et l’intérêt général en bénéficiera. De fait, paradoxalement, cela marche toujours, jusqu’à un certain degré, parce que même l’exercice d’une avidité égoïste oblige celui qu’elle motive à consacrer une partie de ses efforts à maintenir en état de marche le contexte général au sein duquel elle s’exerce. C’est ce qu’évoque Adam Smith avec la "main invisible". Si l’on veut jouer au football avec l’intention ferme de gagner, il convient quand même de se mettre d’accord avec les autres joueurs pour savoir qui louera le terrain, qui s’occupera d’entretenir le gazon. L’être humain est social, quoi qu’il en pense, et même son intérêt égoïste exige la collaboration, la coopération »,

    il en conclut sans mal cette transcendance remarquable : ce qui marche dans le capitalisme, c’est le communisme.

    Un des autres grands mérites de ce livre est aussi de nous donner une vision rétrospective d’une valeur assez égale à celle, elle panoptique, qu’Emmanuel Addely nous donne, dans Je Paie , des dix dernières années, et qui montre que, non seulement les choses ne s’améliorent pas, Laurent Grisel lui, montre qu’au contraire elles se tendent et que le choc à la rupture n’en sera que plus violent : y aura-t-il de la guerre avant Noël ? C’est un rappel utile, en effet, de constater que, contrairement à ce qui est rabâché sans cesse à propos de la crise financière actuelle, les choses ne datent pas de 2008, en ayant pris tout un chacun par surprise, non, elles sont largement antérieures, elles sont visibles, dans leur caractère systémique, dès 2006, et en 2007, elles ne sont plus remises en question, par personne du milieu, la seule question étant de savoir, apparemment c’est un jeu fréquent de la profession, jusqu’où il peut être trop tard pour sauter de ce train lancé pleine vapeur contre une montagne sachant que le train est de toute manière sorti des rails depuis fort longtemps. Nul doute qu’à ce jeu, façon Rebel without a cause de Nicholas Ray, les plus malins ont sauté depuis longtemps, sont déjà la recherche d’un autre train à dévaliser, et que par ailleurs le train condamné transporte de très nombreux passagers, en fait, l’humanité entière.

    Cela fait vraiment un bien fou de lire tout cela en pleine clarté, et je me dis que j’ai enfin trouvé quelqu’un pour répondre à cette question qui me taraude depuis 2008 : lorsque le gouvernement étatsunien a levé 2000 milliards de dollars pour renflouer ces banques hors-la-loi, sans aucune contrepartie, sans aucun exigence, et pareillement dans le reste du Monde, pourquoi est-ce qu’il n’a pas fait transiter ces milliards par les créanciers de ces banques voleuses, le coup était double, les particuliers restaient en possession de biens qu’ils avaient malgré tout, peu ou prou remboursés, et les banques scélérates étaient renflouées.

    La réponse à cette question, seul un poète pouvait me la donner. La réponse c’est : « parce que. »

    Et quelle tendresse j’ai pour mon ami en lisant ce passage qui conclut un très âpre paragraphe à propos des produits dérivés et leur enfer :

    « Samedi 10 février 2007. Grand anniversaire de l’ami M., notre voisin. Beaucoup de monde, de musique, la grande est pleine et joyeuse. Pas un seul à qui parler de l’enquête en cours, pas un qui ait l’air de se douter du grand effondrement… »

    Exercice #57 de Henry Carroll : Photographiez un son

    Ce qui est peu ou propu le principe de l’Image enregistrée . ( http://www.desordre.net/bloc/image_enregistree/index_arthrose.htm )

    #qui_ca

  • J – 135 : Suis allé voir Une vie de Stéphane Brizet au Kosmos . En suis sorti enchanté.

    Suis allé voir Une vie de Stéphane Brizet au Kosmos , j’étais sous le charme à la fois des images toutes filmées avec de longues focales, et pour les plans rapprochés avec des angles de vues très surprenants, avec un fort goût pour le pan trois quart arrière qui n’est pas le plus expressif s’agissant des visages des acteurs, et pourtant, une certain nonchalance, une certaine lenteur, quelques très beaux effets de coupe au montage et ces plans qui seraient ingrats dans n’importe quel film finissent par être tout aussi évocateurs que d’autres plus face.

    Suis allé voir Une vie de Stéphane Brizet au Kosmos , j’ai été en de nombreuses occasions subjugué par la force de son montage, aussi bien pour les séquences entières que pour les séquences mises bout à bout, sans parler des effets de flashback et de flash forward si vifs et tellement surprenants, surtout le plan de fastforward du personnage de Jeanne, magnifiquement interprété par Judith Chemla, dont on se demande bien, au début du récit ce qu’il vient faire là, vers quelle attente est tenue cette Jeanne apparemment plus âgée. J’ai aimé particulièrement le silence de la bande-son des flashbacks qui indiquaient sans pouvoir s’y méprendre qu’ils étaient des flashbacks , j’ai aimé ces souvenirs silencieux, et, au contraire, la violence du vent dans les plans de flash forward et qui disent que le futur est un aspirateur implacable.

    Suis allé voir Une vie de Stéphane Brizet au Kosmos , où j’ai aimé l’admirable surprise de la dernière ligne qui m’a fait un peu le même effet que la dernière ligne d’Extinction de Thomas Bernhard, après six cents pages atrabilaires et pesantes comme seul Thomas Bernhard savait les écrire, c’était une manière de rayon vert, de dernier rai de lumière dans une existence que l’on aurait pensé fermée sur elle-même, non sans quelques inspirations du côté du Ruban blanc de Michael Hanecke, ce côté d’observation clinique d’un monde reclus et dans lequel la règle sert de garde-fou, et quand elle cède, ce sont des grands naufrages qui ont lieu, il y a décidément quelque chose d’autrichien dans le cinéma de Stéphane Brizet auquel je trouvais déjà des airs de Michael Hanecke dans la longueur insupportable de ses plans séquences dans la Loi du marché.

    Suis allé voir Une vie de Stéphane Brizet au Kosmos , je me suis interrogé sur la permanence du luxe des étoffes des habits de Jeanne qui ne me semblait pas raccord d’avec le reste du récit et notamment sa déchéance économique, je me suis dit que réalisateur, Stéphane Brizet aurait dû gendarmer sa ou son costumière, fut-ce au prix de l’empêcher de jouir de cet étalage de grands châles aux motifs cachemire - même si j’ai moi-même en matière d’étoffes la même prédilection - et je me suis étonné de constater à quel point un tel détail pouvait avoir une incidence aussi désastreuse presque sur un film dont le reste de bout en bout est parfaitement maîtrisé.

    Suis allé voir Une Vie de Stéphane Brizet au Kosmos , en en sortant j’avais envie de relire Une vie de Maupassant, non pas par souci de vérification ou que sais-je d’un peu comptable de la sorte vis-à-vis d’un film dont je pensais de toute manière le plus grand bien, mais de Maupassant, dans ma bibliothèque tellement désordonnée, je ne suis parvenu qu’à remettre la main sur le Horla que j’ai relu le soir et qui m’a occasionné une très belle insomnie de peur, et puis finalement, un peu de sommeil quand même mais habité de rêves très angoissants dans un univers très dix-neuvième, et je ne me félicite pas d’une telle porosité de mon inconscient.

    Exercice #56 de Henry Carroll : Prenez un portrait de groupe qui saisit l’individualité de chacun.

    #qui_ca

  • J–137 : La plupart du temps quand vous entrez dans une exposition monographique à Beaubourg, vous pouvez sauter les deux ou trois premières salles qui sont habituellement consacrées aux œuvres de jeunesse de l’artiste dont c’est la rétrospective - vous ferez une exception pour Jeff Koons, pour qui c’est exactement l’inverse, la première salle de son exposition qui contenait plusieurs versions de son œuvre d’une inclusion d’un ballon de basket-ball étant la seule œuvre visible de toute l’exposition de cet artiste absolument merdique et sans intérêt. Il y a une autre exception, Cy Twombly, exposition qui dès la première salle, celle d’œuvres de jeunesse mais qui ne manquant pas de maturité, n’a pas fini de vous en remontrer. En fait, même quand il est encore jeune, étudiant au Black Mountain College , avec de chouettes camarades de promotion, Willem De Kooning, Robert Motherwell, John Cage et Merce Cunningham - qu’on y pense, y a-t-il déjà eu dans l’histoire de l’art une telle réunion de génies en herbe dans les mêmes murs, même l’atelier de Frédéric Bazille ne peut pas rivaliser, Charbier au piano, près du poelle, n’étant pas, loin s’en faut, le génie, immense, qu’était John Cage -, Cy Twombly semble déjà touché par une manière de grâce et surtout de liberté étonnante, de celle qui est normalement acquise au terme d’un parcours d’une longue émancipation, des normes en vigueur, de son enseignement, de soi-même, bref.

    Une des grandes qualités de l’exposition de Beaubourg est de donner à voir des séries quasi complètes pour beaucoup d’entre elles, certes rangées dans une manière d’ordre chronologique qui laisse entrevoir une manière d’évolution, ce qui n’est pas le plus intéressant dans l’œuvre de Twombly, mais surtout ces séries permettent de voir le peintre au travail - aux dépens sans doute de l’œuvres sculptée et de l’œuvre photographique qui sont à la fois mal et sous représentées, on peut se demander cependant s’il est possible de faire coexister ces trois pans du travail de Cy Twombly dans une même exposition. Ainsi quel luxe inouï que de pouvoir admirer les neuf toiles de la série des Neuf discours à propos de Commode . De voir comment ces neuf toiles ont sans doute été peintes de front, certains passages des unes répondant aux questions restées en suspens dans les autres et inversement, de retrouver dans une lente observation toutes les trajectoires certaines contradictoires dans le cheminement du peintre au travers de cette série, ses renoncement, ses hésitations, ses remords et ses fulgurances, avec toujours, cette habileté surnaturelle à tendre pendant longtemps vers une forme de déséquilibre de la composition avant de se rattraper aux dernières branches de l’arbre par quelques gestes nerveux, une simple tâche du peinture, un signe de pas grand-chose, un geste, un grattage, un coup de chiffon même.

    Or il est particulièrement intéressant de voir Cy Twombly au travail, comme cela l’est en général des peintres expressionnistes abstraits américains, Jackson Pollock en tête avec son geste ultime des drippings, mais aussi l’énergie fauve d’un Franz Kline, celle électrique, à peine plus contrôlée, d’un Willem De Kooning, et au contraire la gestuelle tout en retenue de Cy Twombly . Là où, comme l’a amplement démontré Clement Greenberg, les expressionnistes abstraits ont fait de leurs grands gestes empressés, enfiévrés même, le lieu même de leur peinture, et même d’un certain discours à propos de l’acte de peindre, la peinture de Cy Twombly, qui ne manque pas de nervosité gestuelle non plus, est plus celle des doutes et de la retenue, en dépit de cette science admirable de toujours retrouver un point d’équilibre dans la composition, science qui permet, sans doute en amont, toutes les audaces.

    La manière même de Cy Twombly d’intervenir, la plupart du temps, par touches successives, à l’intérieur de grandes toiles, dit assez bien les allers-retours qui ont sans doute été nécessaires, entre la toile elle-même et le siège depuis lequel le peintre devait prendre du recul, et dans ces allers-retours la contemplation, l’état intérieur supérieur, concentration c’est mal dire, et qui peut si magiquement se transmettre aux spectateurs de telles toiles, comme une paix, celle de l’atelier même, celle de la peinture même, quand cette dernière est enfin maîtrisée.

    De même sans cet atelier, dans cette peinture, souffle un vent puissant de liberté, celle de s’autoriser de minimes interventions sur de grands formats, celle de s’autoriser des écritures a priori sans grâce, et toujours cette capacité à rééquilibrer cette audace par quelque sorcellerie de peinture, liberté de coller à la va-vite de grandes feuilles de papier entre elles avec du ruban adhésif, de placarder quelques reproductions ici d’un livre de botanique, là d’une bacchanale (de Poussin ?) de même tout un vocabulaire librement choisi, là une feuille de calque, là du papier millimétré, et tout cela assemblé par des gestes seulement négligents en apparence, la tâche, le frottement d’un chiffon ou d’un outil contondant font intrinsèquement partie du répertoire de Twombly, qui, finalement, avec joie, semble partageur de son plaisir de peindre avec son spectateur et c’est possiblement là son immense gloire de peintre, celle du partage de ce plaisir de peindre.

    Je voudrais que l’on m’enferme pendant les cinq mois de cette exposition - je suis prêt à y mettre le prix, vaut mieux avec le peigne-culs de droite de Beaubourg qui vous font payer l’entrée à toutes les expositions quand bien une seule vous intéresse, en l’occurrence celle de Twombly , et ce n’est pas le nouvel accrochage des collections contemporains qui risque de rivaliser, je vous le dis, c’est quand même étonnant de mette pareillement en avant cette nullité de Jeff Koons et d’avoir apparemment rangé dans les réserves, Richard Serra et Eva Hesse - que je puisse, des heures entières, me tenir dans une sorte de transe observatrice benoîte de cette peinture, j’en perdrais jusqu’au manger, je crois. Après cinq moins d’un tel séjour, j’aurais entièrement brûlé de l’intérieur, je serais heureux, tellement heureux.

    Exercice #54 de Henry Carroll : Photographiez un animal comme s’il était un humain

    #qui_ca

  • J – 138 : Aujourd’hui j’ai décidé que j’allais faire une petite séance de défonce de portes ouvertes. Clint Eastwood. Cinéaste de droite, et révisionniste. Son dernier film. Sully . Film de droite jusque dans son esthétique. Vous voyez la démonstration ne devrait pas poser trop de difficulté.

    Et du coup on peut même se poser la question de savoir ce que je pouvais bien faire dans une salle de cinéma pour voir le dernier film de Clint Eastwood, qui plus est avec ma fille cadette, la merveilleuse Adèle, qui mérite sans doute mieux, dans son parcours de formation, notamment au cinéma. De même que j’avoue une prédilection tout à fait coupable pour les films de James Bond, je dois reconnaître que j’aime par-dessus tout le film de catastrophe aérienne, même quand ils sont assez mauvais et j’en rate peu et du coup je peux dire qu’ils sont généralement unanimement mauvais, les pires étant souvent ceux de détournements d’avions avec sauvetage héroïque par des troupes d’élite, autant vous dire que ceux-là ne sont pas mes préférés. Expliquer pourquoi mon goût cinéphile est aussi déplorable, s’agissant des films de James Bond, est assez embarrassant, cela a beaucoup à voir je crois avec une certaine scène du premier James Bond dans laquelle on voir Ursula Andres sortir de l’eau dans un bikini blanc fort chaste à l’époque, complètement ravageur du point de vue de ma libido naissante, pré-adolescent, en colonie de vacances à Villars de Lans, le film projeté avec un vrai projecteur, sur un drap tendu dans la salle de ping-pong, la plupart d’entre nous assis parterre. Pour ce qui est des films de catastrophe aérienne, c’est un peu moins honteux, cela a à voir aussi avec un souvenir d’enfance, mais d’un tout autre ordre. Mon père était ingénieur en aéronautique, et il est arrivé, plus d’une fois, quand nous étions enfants, mon frère Alain et moi, qu’il soit appelé, c’était souvent le soir, au téléphone à la maison, pour conseiller à distance des équipes techniques ou carrément remettre son pardessus et sa cravate et repartir au travail faire face à des situations, dont il lui arrive aujourd’hui de parler plus librement et qui n’avaient rien de simple apparemment, certaines sont assez cocasses comme l’histoire de cette vieille dame qui avait été mal aiguillée, en partance dans un vol pour la Côte d’Ivoire et qui au bout d’une douzaine d’heures de vol s’étonnait auprès d’une hôtesse de n’être toujours pas arrivée, indocte qu’elle fut qu’elle était en fait sur le point de se poser à Singapore. D’autres anecdotes sont sans doute moins plaisantes. Un soir, nous regardions en famille un film dont je viens de retrouver le titre en faisant la rechercher suivante, « film de catastrophe aérienne » + « Burt Lancaster », il s’agit donc d’ Airport , film de 1970, dont de nombreuses scènes se passent dans la tour de contrôle d’un aéroport aux prises avec une situation de crise et dans lequel film un personnage se tourne vers le personnage interprété par Burt Lancaster, « et maintenant qu’est-ce qu’on fait Chef ? » Et mon frère Alain, rarement en manque de répartie, avait répondu : « On appelle De Jonckheere ». Les films de catastrophe aérienne vus à la télévision en famille avaient pour moi cet éclairage particulier que de temps en temps, ils faisaient sourire mon père qui commentait gentiment que certains situations étaient hautement improbables. Bref, je garde pour le souvenir d’Airport de George Seaton, 1970, comme pour celui de ces soirées de télévision familiales lointaines, une prédilection étonnante, eut égard à mon rapport assez critique en général à propos des films de fiction, donc, pour les films de catastrophe aérienne.

    Les films de catastrophe aérienne sont unanimement mauvais, j’aurais bien du mal à en sauver un dans le genre, peut-être le Vol du Phenix de Robert Aldrich avec James Stewart, mais ce n’est pas non plus un chef d’œuvre, mais le récit est assez étonnant.

    Et donc Sully de Clint Eastwood. Avec Adèle en plus. La honte.

    Depuis une dizaine d’années Clint Eastwood réécrit la grande narration performative et nationale des Etats-Unis, ne se contenant d’ailleurs pas toujours de réécrire avantageusement l’histoire de son pays, puisque son récit d’Invictus fait l’éloge inconditionnel de Nelson Mandela et voudrait nous faire croire que la nation multicolore sud africaine s’est bâtie sur la victoire des Bocks sur les All Blacks , comme c’est mignon, comme c’est loin de la réalité et comme surtout ce passe sous silence la pieuse tricherie du bon Mandela ( http://www.desordre.net/blog/?debut=2010-05-02#2487 ), pareillement le récit d’American Sniper est à gerber, qui, même s’il frôle par endroits à quel point quelques soldats américains auront laissé des plumes dans cette guerre d’Irak du fils, continue de remarquablement regarder ailleurs quand il s’agirait de considérer le martyr de la population irakienne, mais que voulez vous Clint Eastwood il est américain, à ce titre, il pense que les éléments de sa nation ont des droits supérieurs et valent mieux que les habitants d’autres pays, pensez s’il va se pencher sur la souffrance d’un pays du tiers Monde même si ce dernier est pétrolifère, il est au contraire plus urgent de construire une statue de commandeur à un gars de chez lui, probablement con et inculte comme une valise sans poignée, mais très doué pour ce qui est de dégommer des Irakiens à distance, aussi con que soit ce type il est aux yeux de Clint Eastwood et d’une nation de lavés du bulbe l’homme providentiel, concert de klaxons à ses funérailles, pauvre type providentiel, pauvres types qui klaxonnent.

    Sully donc, surnom de Chesley Sullenberger admirable commandant de bord qui en janvier 2009, avec une maestria et un sang-froid, un peu hors du commun tout de même, a réussi à amérir sur l’Hudson alors qu’il venait de décoller de La Guardia et quelques minutes plus tard, de perdre les deux moteurs de son airbus A320, d’où la nécessité de se poser, mais, las, aucune possibilité d’aller se poser sur une piste voisine. Cette catastrophe aérienne évitée, les 155 passagers de ce vol, de même que le personnel de bord tous sauvés, par ce geste extraordinaire de Chesley Sullenberger, quelques jours plus tard, le maire de New York lui remet les clefs de la ville et quelques jours encore plus tard il est invité à la première cérémonie d’investiture de Barak Obama, c’est vrai qu’après les huit années catastrophiques de Bush fils, on pouvait y voir un signe prometteur, on remarque d’ailleurs que Clint Eastwood en bon républicain crasse de sa mère coupe bien avant.

    Bon c’est sûr avec un miracle pareil, vous avez un film. Encore que. L’incident en lui-même et le sauvetage, c’est suffisamment répété dans le film, ne durent que 208 secondes, le sauvetage des passagers ayant ensuite trouvé refuge sur les ailes de l’avion, une vingtaine de minutes, du coup évidemment, il faudra recourir à quelques artifices du récit, surtout en amont, le coup des trois passagers qui attrapent leur vol in extremis, le gentil commandant de bord qui connait tout le monde à La Guardia, même la vendeuse de sandwichs pakistanaise, et ensuite en aval, la célébration du héros, foin du miracle trop rapide pour le cinéma, en brodant un peu, vous l’avez votre film.

    C’est sans compter sur la volonté dextrogène du Clint Eastwood républicain de sa mère, il ne suffit pas que l’avion se soit posé, que les passagers soient sauvés, Sully est un homme providentiel et si vous n’aviez pas compris que d’aller poser son coucou sur les eaux glacées de L’Hudson en janvier était miraculeux, on va vous le montrer et vous le remontrer, un certain nombre de fois, quatre ou cinq fois si ma mémoire est bonne, et comme on peut douter que vous ayez vraiment compris que Sully il a vraiment été très fort, on vous montre aussi, cela aussi répété trois fois, ce qu’il aurait pu se passer s’il n’avait pas été assez fort, c’est-à-dire, l’avion aller se cracher sur les banlieues denses du New Jersey, sauf que ces dernières étant peu photogéniques, on dira que c’était l’Hudson River ou le sud de Manhattan et là autant vous dire que cela claque visuellement, et des fois que vous n’ayez toujours pas compris que cette scène est un remake d’un truc qui s’est déjà produit au même endroit un certain 11 septembre, dont la moitié des Américains seulement sont capables de savoir que c’était celui de l’année 2001 — ils savent juste que c’est nine-eleven comme ils disent —, on n’est pas aidé avec un public pareil, pas étonnant que le vieux Clint Eastwood républicain de sa maman il soit un peu obligé de souligner certains passages trois fois en rouge, bref si vous n’aviez pas suivi que c’était à cela que cela faisait référence, vous aurez une scène qui vous dira que oui, un tel miracle à New York cela fait du bien, qui plus est un miracle aéronautique. Bref du lourd, du charpenté, des câbles d’amarrage pour ficeller le récit. Vous avez compris que Sully c’était un héros ? Un type providentiel ? C’est bon je n’insiste pas ?

    Ben Clint Eastwood, républicain, je crois que je vous l’ai déjà dit, qui aime croire à la providence des grands hommes du cru, il ne voudrait pas non plus que vous ignopriez qu’en plus le héros, on l’a emmerdé vous n’avez pas idée, parce que voilà quand même on se demandait si à la base il n’aurait pas commis un erreur de jugement et que si cela se trouve, en fait, il aurait très pu aller poser son coucou sur la piste de Newark dans le New Jersey tout juste voisin et que là quand même, en choisissant un terrain aussi défavorable et risqué il a quand même pris un sacré pari, un pari à 155 âmes. Alors à la commission d’enquête, ils ont peut-être été un peu tatillons, blessants, peut-être, envers le héros national en tentant de lui opposer que certes l’histoire se finit bien encore que le zingue qui a dû coûter un bras, ben il est au fond de l’eau, sans doute pas réparable. A vrai dire, c’est possible, je n’en sais rien, je m’en fous un peu même. Je note aussi au passage que Clint Eastwood de la providence républicaine dans cet endroit du film commet surtout le plagiat assez éhonté d’un très mauvais film, Flight de Robert Zemeckis, et que si cela se trouve c’est avec cette enquête prétendument interminable qu’il comble et qu’il meuble, là où le récit dans sa durée originale n’est peut-être pas suffisant pour tenir le film entier, même répété à l’envi. A vrai dire je ne connais pas bien l’histoire et ma curiosité n’est pas si grande, moi ce que j’aime dans les films de catastrophe aérienne, ce sont les scènes d’avion — et là j’ai bien aimé, faut avouer, la scène avec les deux F4 au dessus du Nevada, mais je m’égare —, il y a sans doute eu une enquête, elle a peut-être été un peu pénible, ce n’est même pas sûr, elle est présentée dans le film comme un péché de l’adminsitration, pensez, Clint Eastwood de sa maman, il a appelé à voter Trump, alors pensez si effectivement il va faire les louanges de quelque administration que ce soit, ce que je sais, et que le film ne dit pas c’est que la semaine suivante, le Chesley Sullenberger il était l’invité de Barack Obama pour sa première investiture à la Maison Blanche, de là à penser qu’il n’avait pas beaucoup de raisons de s’inquiéter sur la suite de la fin de sa carrière...

    Et, finalement, ce n’est pas tout, il y a une chose qui est entièrement passée sous silence dans ce film, dans l’après accident, plutôt que de passer des témoignages, genre télé-réalité de passagers miraculés pour entrelarder le générique, Clint Eastwood s’est bien gardé de nous dire que Chesley Sullenberger, son Sully donc, avait, en fait, intelligemment profité de son quart d’heure warholien pour attirer l’attention du Sénat américain sur les dangers de la dérégulation aérienne aux Etats-Unis, les mauvaises pratiques de la formation des jeunes pilotes et la dépréciation alarmante de la profession (c’était une chose que j’avais lue je ne sais plus où, et dont il me semblait aussi l’avoir vue dans un film, Capitalism, a love story , de Michael Moore, cinéaste dont je ne pense pourtant pas le plus grand bien, mais, vous l’aurez compris, pas autant de mal que Clint Eastwood).

    En fait ce que cela m’apprend, c’est que cette érection de l’homme providentiel m’est insupportable, on l’a bien compris, surtout envers et contre toutes les logiques collectives pourtant possibles, c’est le principe de tout programme de droite, se goberger pendant que cela dure et quand cela ne dure pas, ne plus avoir d’autres alternatives que d’attendre que l’homme providentiel — comme Roosevelt a su le faire en insufflant un peu de communisme dans le moteur capitaliste, ce qu’Obama n’a pas su faire, non qu’il n’ait pas nécessairement essayé d’ailleurs, pourtant, comme le montre Laurent Grisel, dans son Journal de la crise , ce qui marche dans le capitalisme c’est le communisme —, ne sauve la situation pour pouvoir de nouveau se goinfrer, sans comprendre que l’on ne peut pas toujours compter sur les hommes providentiels, parce qu’ils n’existent pas davantage que le père Noël et pas davantage que James Bond.

    Alors si je peux promettre raisonnablement que je n’irai plus jamais voir un film de catastrophe aérienne, cela va me coûter davantage avec les films de James Bond, la faute à Ursula.

    Exercice #53 de Henry Carroll : Utilisez le flash pour capturer l’énergie d’une fête

    #qui_ca