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  • La musique, nouvelle responsable du Covid-19 - Le Point
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    VIDÉO. Le 1er mai, le confinement est monté d’un cran dans le 18e arrondissement de Paris, où les forces de l’ordre ont fait taire la musique dans un appartement. Par Christophe Ono-dit-Biot
    Modifié le 02/05/2020 à 18:04 - Publié le 02/05/2020 à 13:30 | Le Point.fr

    On connaît désormais une nouvelle cause de propagation du Covid-19 : écouter de la musique. Et on est donc priés de la faire taire. Tenez-vous-le pour dit. Enfin, si vous habitez dans le 18e arrondissement. Pour commencer ? C’est la désagréable expérience faite, vendredi soir, le 1er mai, par les habitants d’un square. Gentiment confinés depuis le 16 mars, étouffant comme la plupart des citadins entre les quatre murs de leur appartement forcément sans jardin – c’est plutôt rare, en ville, d’avoir son jardin –, ils attendaient sur leur balcon, comme chaque vendredi soir, après avoir applaudi les soignants, que la voisine se mette au sien, décoré de guirlandes électriques, pour passer de la musique sur sa platine. Elle en fait profiter tout le monde, car tout le monde adore, les gosses, les parents, les anciens. Personne ne songerait à s’en plaindre, mais plutôt à la remercier d’avoir eu cette jolie initiative.

    À 20 h 5, à peu près, et jusqu’à 22 heures, chaque semaine, c’est devenu le rituel. La promenade (immobile) de santé. Chacun chez soi, dans son appartement, mais fenêtre ouverte, un peu avec les autres, un verre à la main. Le square est rond, les arbres seuls, bouclés, mais d’un immeuble à l’autre, on se salue, on se regarde, on se sourit. Mieux que l’apéro virtuel sur Google Meet ou Zoom, un peu plus humain, surtout que la musique est bonne, comme dirait l’autre. Gloria Gaynor, Depeche Mode, de l’électro brésilienne, des standards italiens, ou « La Bohème » d’Aznavour… C’est éclectique, ouvert sur le monde et le patrimoine, la culture musicale, des enfants en profitent, ça ne fait de mal à personne, ça fait même plutôt du bien. Les enfants dansent au balcon, les adultes aussi. Parfois, ils pleurent un peu. Le lendemain de la mort de Christophe, par exemple, quand la voisine a passé « Les Mots bleus ». L’émotion a tendance à sacrément se concentrer, dans un salon, alors quand elle peut s’exprimer…

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    Et puis soudain, la musique se tait

    Sauf ce vendredi. Quand une voiture de police, tous gyrophares dehors, s’arrête devant la porte de l’immeuble d’où provient la musique. Quatre officiers en sortent. Les habitants sont éberlués. « Qu’est-ce qui se passe ? » dit un retraité. « Il y a la police », lui répond son voisin en passant sa tête entre les bacs à fleurs. « Quoi ? C’est dingue ! » Oui, c’est dingue. Ils se font ouvrir la porte, disparaissent dans le hall. Tout le monde s’inquiète. « Ils montent chez elle. » « Mais qu’est-ce qu’elle fait de mal ? » Tout le monde a compris. La déception est palpable, la tristesse monte dans le square, la colère, aussi. On entend des huées, et puis des cris fuser : « Laissez-nous au moins la musique ! » « On étouffe, on n’a plus que ça ! » « On n’est pas dehors, elle ne fait rien de mal ! » Les minutes passent. Le temps sans doute pour les forces de l’ordre de monter. L’immeuble fait sept étages.

    Et puis soudain, la musique se tait. Ne restent que les guirlandes qui clignotent. Plus personne au balcon. Du moins, à ce balcon-là. En effet, aux autres, les gens se sont massés. Et quelqu’un se met à chanter, et puis les autres reprennent. La Marseillaise. Face à l’excès de zèle, à ce « fantasme de l’ordre retrouvé », aurait dit le philosophe Sloterdijk, dans les colonnes du Point, dès le 18 mars, ils chantent. Des drapeaux se montrent aux fenêtres, brandis par des mains d’enfants, d’adultes, de personnes âgées. Des drapeaux français, américains, italiens… Et les gens chantent la Marseillaise.

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    Les forces de l’ordre redescendent enfin et se dirigent vers leur véhicule. Depuis les balcons, les gens les interpellent, certains les supplient : « Pourquoi vous coupez la musique ? C’est tous les vendredis, c’est notre bouffée d’oxygène ! » On interroge les policiers. Ils sont quatre. Quatre, pour un peu de musique. « Il y avait un attroupement dans la rue », justifie l’un d’eux. Quelques personnes passaient, oui, pas plus que dans la journée, et certains prenaient des photos, à plus d’un mètre l’un de l’autre, on les a vus, et absolument rien à voir avec l’irresponsable « bal » de rue improvisé dans un autre quartier la semaine précédente, au mépris de tous les gestes barrières, et justement condamnable. Là, il n’y a plus personne, et les policiers sont quand même entrés dans un immeuble. Parce qu’il y avait de la musique… On le fait remarquer. « Vous ne dispersez pas un attroupement, là, vous êtes montés dans un appartement… » « S’il y a de la musique, ça va faire des attroupements », répond-il. « Oui, mais les gens respectent la loi, ils ne sont pas dehors, ils sont chez eux, confinés, à leur balcon, pour écouter. Ce n’est pas verbalisable, d’écouter de la musique ? » « Si, c’est verbalisable. » On s’étonne. « Ah bon ? Mais quelqu’un s’est plaint ? » Un autre policier s’approche, échauffé : « Vous avez eu le Covid ? » On ouvre de grands yeux : « Quel rapport ? » « Vous avez eu le Covid ? reprend-il. C’est à cause de choses comme ça qu’il se répand. » « À cause de la musique ? » « À cause de la musique qui crée des attroupements… »
    Tout ça, à cause de Gloria Gaynor et d’Aznavour…

    On est abasourdi. Les forces de l’ordre s’engouffrent dans leur véhicule et repartent sous les bruits de casserole. Un long moment, les gens restent à la fenêtre, espérant encore que la musique reprenne. En vain. Alors, les fenêtres se ferment, enfants, parents retournent à leur enfermement, consternés par ce beau moment gâché. Respecter les consignes, bien sûr, prendre soin des autres, bien entendu, mais ne pas pouvoir écouter de la musique à son balcon, bon sang ? On pense, et on sait qu’on a tort, que c’est trop, qu’on exagère, mais on y pense, c’est comme ça, à ces pays sans libertés, aux lois contre la musique qu’on n’avait pas le droit d’écouter, avec, toujours, toujours, la justification que c’est pour votre bien. Pour ne pas aller en enfer… ou à l’hôpital. On pense à la parole de l’abbé dans Le Nom de la rose, d’Umberto Eco : « Le rire déforme les traits du visage. » Ça commence comment ? Surveiller et punir, disait Foucauld. Je sais mieux que vous ce qui est bon pour vous. Infantilisation et menace de répression. « Vous avez eu le Covid ? » Tout ça, à cause de Gloria Gaynor et d’Aznavour.

    La musique n’a pas repris. La voisine a dû avoir peur, et on peut la comprendre. Circulez, ou plutôt ne circulez pas, il n’y a rien à voir. Rien à entendre, non plus, faut croire. Éclairé par quelques réverbères et les lumières des appartements, guère désertés, dans ce quartier, le square est resté silencieux. Tout juste si on a pu percevoir, venu d’un autre balcon au son, hélas, moins prodigue, le début de « Résiste », de France Gall, paroles et musiques de Michel Berger : « Si on t’organise une vie bien dirigée/Où tu t’oublieras vite… » C’est quoi la suite ?

    #Musique #Cinfinement #Répression_policière #After