• #LRPR. Le retour du #délit_d’entrave dans les #universités et autres immondices législatives

    UPDATE 1/2/2021 : L’#amendement#1255 (délit d’entrave) a été déclaré recevable par les services de l’Assemblée. Il sera donc bien discuté, quelque part entre demain soir et jeudi-vendredi selon la vitesse d’avancement des débats. Compte tenu du nombre d’amendements, leur discussion va aller très vite : il y a un réel danger qu’il soit adopté.

    Et c’est reparti pour un tour. Ce lundi 1er février à partir de 16h, l’Assemblée nationale commence la discussion en hémicycle du projet de loi confortant le respect des principes républicains (LRPR), tel qu’il a été amendé après plusieurs semaines de débats en commission.

    Academia a déjà lancé l’alerte sur le fait qu’il existe un vrai risque pour que l’enseignement supérieur et la recherche soient directement intégrés dans ce texte, qui est un grand fourre-tout liberticide, articulé autour de l’idée d’une lutte finale, qui serait actuellement en cours, entre la République, d’un côté, et « l’idéologie séparatiste », de l’autre côté.

    Rappelons que quelques universitaires poussent fort en ce sens, en particulier du côté de Vigilance Universités et de l’ « Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » tout récemment créé en partenariat avec Le Point. Pour la droite et l’extrême droite parlementaires, ces collectifs possédant leur rond de serviette au Point sont du pain-béni : ils seraient la preuve d’un appel à l’aide, qui proviendrait des tréfonds d’une communauté universitaire terrorisée par les ayatollahs américanisés du genre, de la race, de l’islamisme, du décolonialisme, de l’intersectionnalité (nous ne caricaturons pas : nous en sommes à ce niveau de discours, désormais…), pour que le législateur intervienne dans ces territoires perdus de la République que seraient devenues les universités.

    C’est pourquoi de nombreux amendements concernant l’ESR avaient été déposés il y a trois semaines par les Républicains. Jusqu’ici, toutes ces tentatives ont lamentablement échoué : clairement, la majorité gouvernementale ne souhaite pas rouvrir un front du côté des universités, même si, dans le même temps, certains députés de premier plan de la République en marche donnent crédit au discours – forgé, rappelons-le, dans les rangs de l’extrême droite – selon lequel il existerait dans les universités une

    « montée inquiétante de l’idéologie portant le racialisme, portant le séparatisme racial, portant l’indigénisme, le décolonialisme » (Eric Poulliat, rapporteur de la loi).

    Il était évidemment naïf de croire qu’on s’en tiendrait là, tout comme il est naïf de penser qu’on viendra à bout de ces idées en les ignorant, comme semblent le croire un certain nombre de chefs d’établissements d’enseignement supérieur. De façon peu surprenante, une nouvelle vague d’amendements concernant l’ESR a été déposée ces tout derniers jours. Très rapide tour d’horizon à chaud, avant examen, nous l’espérons, plus approfondi.

    Le nouveau délit d’entrave

    On remarquera d’abord que le « délit d’entrave » de la loi de programmation de la recherche tente de faire son grand retour, après sa censure par le Conseil constitutionnel le 21 décembre dernier1, ce qui était à craindre, puisque le Conseil constitutionnel avait fait le choix de ne pas le censurer sur le fond, mais pour de simples raisons de procédure parlementaire. C’est le sens de l’amendement n° 1255 des députés Benassaya et Therry, qui proposent d’ajouter l’alinéa suivant à l’article 431-1 du code pénal :

    « Le fait d’entraver ou de tenter d’entraver, par des pressions ou des insultes sur les enseignants universitaires, l’exercice des missions de service public de l’enseignement supérieur est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

    C’est exactement ce contre quoi la communauté universitaire s’était élevée pendant les débats sur la LPR : une grande pénalisation de l’enseignement supérieur à partir d’une infraction largement indéfinie et permettant l’intervention des forces de police à l’intérieur des campus sans autorisation des présidences d’université, et ce, au nom, nous dit l’exposé sommaire de l’amendement, de « la libre expression et l’indépendance des enseignants-chercheurs ». « Entrave », par la voie de « pressions », à « l’exercice des missions de service public de l’enseignement supérieur » : les blocages sont évidemment concernés, mais plus généralement toute forme de chahut dans les établissements, qu’il s’agisse d’un débat un peu animé ou d’un conseil d’administration interrompu2
    L’interdiction du voile à l’université

    Cinq amendements des Républicains (les n° 20, 203, 878, 1152 et 1613) et un du Rassemblement national (le n° 1645) concernent le port du voile à l’université, en dépit du net rejet des précédentes tentatives de la mi-janvier. On ne reviendra pas à nouveau sur ce point : donner suite à une telle proposition, alors que nous sommes en présence d’étudiant·es majeur·es et responsables, c’est, d’abord, ouvrir grand la porte à la restriction générale des convictions dans l’espace public ; c’est, ensuite, restreindre de manière considérable le droit d’accès à l’enseignement supérieur ; c’est, enfin, porter une atteinte forte aux libertés académiques, dont, rappelons-le, les étudiant·es sont aussi titulaires au titre des « franchises universitaires » qui leur accordent une liberté d’expression particulièrement protégée dans les campus.

    Hors ces deux séries d’amendements, on retrouve par ailleurs toutes les mesures dont l’introduction avait déjà été tentée en commission par les Républicains. Citons pêle-mêle :

    L’obligation de remise dans les six mois d’un rapport sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » (amendements n° 138, 756 et 1831), dans la lignée de la demande, en novembre dernier, d’une mission d’information sur le sujet par les députés Aubert et Abad.
    Une succession de mesures néo-vichystes, telles que l’obligation pour chaque établissement d’enseignement supérieur de « propose[r] à l’ensemble des étudiants de participer aux commémorations nationales et veille[r] à ce qu’il soit organisé, sur le temps universitaire, la lecture du message du chef de l’État et du ministre chargé des anciens combattants » (amendement n° 2085) ou l’organisation dans ces mêmes établissements, « à chaque rentrée scolaire », d’« un serment à la Constitution et au drapeau pour l’ensemble de la communauté éducative, des élèves et des étudiants » (amendement n° 2078).
    La mise en place, à la demande de la quasi-intégralité des députés Les Républicains, d’ « enquêtes administratives » avant tout recrutement dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur, afin d’identifier celle ou celui qui « adhérerait manifestement à des thèses antirépublicaines » (amendements n° 793 et 1454).
    La subordination des subventions aux projets étudiants « à la participation des représentants des associations sollicitant ces aides aux formations sur la prévention et la lutte contre le séparatisme que leur établissement d’enseignement supérieur organise annuellement » (amendement n° 1174).
    La possibilité de mettre en place, autour d’un « référent laïcité », « un comité de sûreté en relation permanente avec le responsable de l’administration, de la collectivité ou de l’établissement public dont il dépend afin de l’assister dans ses missions » (amendement n° 1169), parce que, nous explique l’exposé sommaire, les universités sont « particulièrement prises au dépourvu face au séparatisme qui s’attaque à elle ».

    On signalera en outre l’amendement n° 2300, qui vient, cette fois, des rangs centristes et qui témoigne d’une volonté d’une véritable reprise en main des universités par l’État : il est proposé d’étendre le pouvoir dont disposent aujourd’hui les recteurs de suspendre les décisions des universités à toutes les décisions qui leur paraissent contraires « au principe de neutralité du service public ».

    Il y aurait tellement à dire encore : nous nous en tiendrons là en ce dernier dimanche de janvier 2021.

    Ajoutons pourtant, au titre de ce premier panorama, que certains députés proposent d’étendre aux syndicats le pouvoir de dissolution des associations, en visant directement le syndicat Sud Education 93 (amendement n° 1923). Et on aura compris que nous nous trouvons à un vrai tournant : toutes les barrières sont en train de tomber. Elles sont en train de tomber non pas du côté de groupuscules extrémistes, mais au sein de partis dits « de gouvernement », appelés à exercer le pouvoir d’État à plus ou moins brève échéance et qui sont intimement persuadés, désormais, que les universités sont devenues anti-républicaines.

    Cela ne sort pas de nulle part. Une poignée de collègues irresponsables — moins d’une centaine sur une population d’enseignant∙es-chercheurs et chercheuses de plus de 100 000 personnes — attise le feu, en coulisses et publiquement, et ce depuis le 30 mars 2018 au moins, à force de manifestes de 100, d’appel des 76 et autres observatoires tout aussi ridicules les uns que les autres, et autres procédés diffamatoires, qui servent parfaitement leur objet : mettre en danger les jeunes collègues entrant à l’université.

    Terminons donc par ces mots du professeur Bernard Rougier (Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle), dialoguant avec une subtilité toute scientifique avec le ministre de l’intérieur dans le Figaro du vendredi 29 janvier 2021 :

    « Il existe, dans le monde académique en particulier, une mise en circulation des thématiques racialistes et indigénistes à travers des programmes de recherches, des colloques, des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR) etc. Si les financements publics privilégient, par effet de mode et de mimétisme anglo-saxon, des thématiques autour d’un « racisme d’État » de nature systémique et organique, on offre une légitimation au discours islamiste qui s’est spécialisé, lui, dans la lutte contre la prétendue « islamophobie d’État ». Ce que l’action publique condamne d’un côté, elle le légitime en laissant faire de l’autre, ce qui pointe le risque d’une certaine schizophrénie ».

    https://academia.hypotheses.org/30564

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    Ajouté à ce fil de discussion :
    https://seenthis.net/messages/884291

  • Éducation. #Samuel_Paty : le #rapport qui accuse la victime

    L’#enquête demandée par Jean-Michel Blanquer à l’inspection de l’Éducation nationale ne répond pas aux questions posées. Elle apporte un récit minutieux, mais biaisé, des faits. Le seul à avoir commis des #erreurs serait… Samuel Paty.

    « La #reconstitution du déroulement des #faits tend à montrer que, tant au niveau de l’établissement qu’aux niveaux départemental et académique, les dispositions ont été prises avec réactivité pour gérer le trouble initialement suscité par le cours sur la #liberté_d’expression de Samuel Paty. »

    La phrase figure en toutes lettres dans le rapport de l’#IGESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) sur les événements ayant abouti à l’#assassinat, le 16 novembre, du professeur d’histoire-géographie, rendu public le 3 décembre. Comme on ne peut pas soupçonner a priori les inspecteurs du ministère de l’Éducation nationale d’un défaut de maîtrise de la langue, il faut prendre soin d’en bien saisir le sens.

    Dédouaner l’institution

    Ce rapport affirme donc qu’il s’agissait, non de protéger un enseignant contre une cabale venue de l’extérieur et qui a abouti à son meurtre, mais de « gérer un #trouble ». Et qu’est-ce qui a « suscité » ce trouble, selon les auteurs ? Non pas les agissements d’un père d’élève qui a publié des vidéos dénonçant le comportement du professeur et appelant à se rassembler devant l’établissement, ni ce que cet appel a entraîné, mais bien… « le #cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty. »

    Le texte a beau nier, par ailleurs, que le professeur ait été à aucun moment mis en cause, notamment par l’inspecteur « référent laïcité » qui l’a rencontré le 9 octobre : la formulation choisie trahit l’intention véritable de ce travail. Il s’agit non de faire la lumière sur les #responsabilités et les éventuelles #erreurs des uns et des autres dans cette affaire, mais avant tout de dédouaner l’institution de toute responsabilité éventuelle. Comme l’affirmait Jean-Michel Blanquer, le 21 octobre devant le Sénat : « La logique du “#pas_de_vague” n’est plus la logique de l’#Éducation_nationale. » Vraiment ?

    Fragiliser, plutôt que soutenir

    Le rapport reconstitue de manière assez complète et jour par jour le déroulé des faits, depuis le 5 octobre et ce fameux cours d’#EMC (#éducation_morale_et_civique), jusqu’au terrible soir du 16 octobre. Il en ressort que dès le départ, l’affaire a été prise au sérieux par la hiérarchie directe de l’enseignant (et par la plupart de ses collègues) comme par les autorités académiques, ainsi que par les services du ministère de l’Intérieur – #Renseignement_territoriaux et commissariat de Conflans-Sainte-Honorine. Ainsi lundi 12 octobre – donc dès le lendemain de la publication de la vidéo du père d’élève incriminant Samuel Paty – la conseillère sécurité du #rectorat de Versailles signale les faits au Renseignement territorial, qui alerte le #commissariat de #Conflans, lequel met en place rapidement des patrouilles de police devant le collège…

    Un point particulier sur lequel le rapport ne convainc pas, c’est quand il évoque les « #malentendus » auxquels a pu donner lieu l’action « d’accompagnement du professeur et de l’équipe pédagogique » par le #référent_laïcité. Dans une formulation alambiquée, il explique que ce n’est pas son action, mais son statut d’#IA-PR (Inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional) qui « a pu le cas échéant donner lieu à des malentendus sur le sens et la portée de sa démarche ». En clair : Samuel Paty a cru qu’on venait évaluer et juger son action, et non l’aider à faire face aux attaques dont il était l’objet. Rappelons à ce sujet que l’hebdomadaire Le Point a publié le 20 novembre un courriel envoyé par cet inspecteur, où il indiquait que Samuel Paty ne maîtrisait pas « les règles de la #laïcité ». Le rapport lui-même ne cache d’ailleurs pas que l’intervention de cet inspecteur a eu surtout pour effet de conduire Samuel Paty à reconnaître « la #maladresse qu’il avait pu commettre », en invitant les élèves qui ne souhaitaient pas voir les caricatures à sortir de son cours. Le genre de formulation qui, en effet, est largement de nature à créer un « malentendu »… et à fragiliser, plutôt que soutenir, Samuel Paty.

    Un aveu d’#impuissance

    Résultat de tous ces biais, le rapport aboutit à des #préconisations bien faibles – voire carrément à côté de la plaque – et qui, clairement, ne paraissent pas à la hauteur de l’enjeu : rassurer les enseignants en garantissant que de tels faits ne pourraient se reproduire. Améliorer la #communication – qui en l’occurrence à plutôt bien fonctionné ! – entre services de l’Éducation nationale et services de #police, mettre en place une « #cellule_opérationnelle_de_veille_et_de_suivi » quand une #menace est identifiée, « renforcer la #sécurisation_matérielle des établissements » (rappel : Samuel Paty a été assassiné à l’extérieur…) ou encore mettre en place des « cellules de veille des #réseaux_sociaux au sein des services académiques »… Tout cela sonne plutôt comme un aveu d’impuissance, si ce n’est d’#indifférence. Et montre surtout que seule une véritable #enquête_judiciaire pourra faire la lumière sur ce qui s’est passé à #Conflans-Sainte-Honorine entre le 5 et le 16 octobre. En attendant cet hypothétique débouché, on ne pourra que reprendre et partager la conclusion pleine d’amertume de François Jarraud, fin connaisseur de l’Éducation nationale, sur son site du Café pédagogique : « Tout a été parfait. Tellement parfait que le 16 octobre Samuel Paty était seul face à son assassin. »

    https://www.humanite.fr/education-samuel-paty-le-rapport-qui-accuse-la-victime-697181