Ils arrivent d’#Albanie et veulent passer en #Bosnie-Herzégovine, étape suivante sur la longue route menant vers l’Europe occidentale, mais des milliers de réfugiés sont ballotés, rejetés d’une frontière à l’autre. Parmi eux, de nombreuses familles, des femmes et des enfants. Au Monténégro, la solidarité des citoyens supplée les carences de l’État. Reportage.
Au mois de février, Sabina Talović a vu un groupe de jeunes hommes arriver à la gare routière de Pljevlja, dans le nord du Monténégro. En s’approchant, elle a vite compris qu’il s’agissait de réfugiés syriens qui, après avoir traversé la Turquie, la Grèce et l’Albanie, se dirigeaient vers la Bosnie-Herzégovine en espérant rejoindre l’Europe occidentale. Elle les a conduits au local de son organisation féministe, Bona Fide, pour leur donner à manger, des vêtements, des chaussures, un endroit pour se reposer, des soins médicaux. Depuis la fin du mois d’avril, 389 personnes ont trouvé un refuge temporaire auprès de Bona Fide. L’organisation travaille d’une manière indépendante, mais qu’après quatre mois de bénévolat, Sabina veut faire appel aux dons pour pouvoir nourrir ces migrants. Elle ajoute que le nombre de migrants au Monténégro est en augmentation constante et qu’il faut s’attendre à un été difficile.
Au cours des trois premiers mois de l’année 2018, 458 demandes d’asiles ont été enregistrées au Monténégro, plus que la totalité des demandes pour l’année 2016 et plus de la moitié des 849 demandes enregistrées pour toute l’année 2017. Il est peu vraisemblable que ceux qui demandent l’asile au Monténégro veuillent y rester, parce le pays offre rarement une telle protection. En 2017, sur 800 demandes, seules sept personnes ont reçu un statut de protection et une seule a obtenu le statut de réfugié. Cette année, personne n’a encore reçu de réponse positive. Il suffit néanmoins de déposer une demande pour avoir le droit de séjourner à titre provisoire dans le pays. C’est un rude défi pour le Monténégro de loger tous ces gens arrivés depuis le mois d’août 2017, explique Milanka Baković, cadre du ministère de l’Intérieur. Les capacités d’accueil du pays sont largement dépassées. Selon les sources du ministère, un camp d’accueil devrait bientôt ouvrir à la frontière avec l’Albanie.
“Nous prenons un taxi pour passer les frontières. Ensuite, nous marchons. Quand nous arrivons dans un nouveau pays, nous demandons de l’aide à la Croix Rouge.”
Ali a quitté la Syrie il y a trois mois avec sa femme et ses enfants mineurs. Ils vivent maintenant à Spuž, dans un centre pour demandeurs d’asile établi en 2015. Avant d’arriver au Monténégro, la famille a traversé quatre pays et elle est bien décidée à poursuivre sa route jusqu’en Allemagne, pour rejoindre d’autres membres de leur famille. « Nous prenons un taxi pour passer les frontières. Ensuite, nous marchons. Quand nous arrivons dans un nouveau pays, nous demandons de l’aide à la Croix Rouge ou à qui peut pour trouver un endroit où nous pouvons rester quelques jours… Nous avons peur de ce qui peut nous arriver sur la route mais nous sommes optimistes et, si Dieu le veut, nous atteindrons notre but. »
Comme tant d’autres avant eux, Ali et sa famille ont traversé la Grèce. Certains ont franchi la frontière entre l’Albanie et le Monténégro en camionnette en payant 250 euros des passeurs. Les autres ont emprunté une route de montagnes sinueuse et des chemins de traverse difficiles avant de traverser la frontière et de redescendre jusqu’à la route de Tuzi, sur les bords du lac de Skadar. Là, il y a une mosquée où les voyageurs peuvent passer la nuit. Certains poursuivent leur route et tentent de traverser les frontières de la Bosnie-Herzégovine, en évitant de se faire enregistrer.
S’ils sont appréhendés par la police, les migrants et réfugiés peuvent demander l’asile et le Monténégro, comme n’importe quel autre pays, est obligé d’accueillir dans des conditions correctes et en sécurité tous les demandeurs jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise sur leur requête. Dejan Andrić, chef du service des migrations illégales auprès de la police des frontières, pense que la police monténégrine a réussi à enregistrer toutes les personnes entrées sur le territoire. « Ils restent ici quelques jours, font une demande d’asile et peuvent circuler librement dans le pays », précise-t-il. Toutefois des experts contestent que tous les migrants traversant le pays puissent être enregistrés, ce qui veut dire qu’il est difficile d’établir le nombre exact de personnes traversant le Monténégro. La mission locale du Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés (UNHCR) se méfie également des chiffres officiels, et souligne « qu’on peut s’attendre à ce qu’un certain nombre de personnes traversent le Monténégro sans aucun enregistrement ».
Repoussés d’un pays à l’autre
Z. vient du Moyen-Orient, et il a entamé son voyage voici cinq ans. Il a passé beaucoup de temps en Grèce, mais il a décidé de poursuivre sa route vers l’Europe du nord. Pour le moment, il vit au centre d’hébergement de Spuž, qui peut recevoir 80 personnes, ce qui est bien insuffisant pour accueillir tous les demandeurs d’asile. Z. a essayé de passer du Monténégro en Bosnie-Herzégovine et en Croatie mais, comme beaucoup, il a été repoussé par la police. Selon la Déclaration universelle des droits humains, chaque individu a pourtant le droit de demander l’asile dans un autre pays. Chaque pays doit mettre en place des instruments pour garantir ce droit d’asile, les procédures étant laissées à la discrétion de chaque Etat. Cependant, les accords de réadmission signés entre Etats voisins donnent la possibilité de renvoyer les gens d’un pays à l’autre.
Dejan Andrić affirme néanmoins que beaucoup de migrants arrivent au Monténégro sans document prouvant qu’ils proviennent d’Albanie. « Dans quelques cas, nous avons des preuves mais la plupart du temps, nous ne pouvons pas les renvoyer en Albanie, et même quand nous avons des preuves de leur passage en Albanie, les autorités de ce pays ne répondent pas de manière positive à nos demandes. » Ceux qui sont repoussés en tentant de traverser la frontière de Bosnie-Herzégovine finissent par échouer à Spuž, mais plus souvent dans la prison de la ville qu’au centre d’accueil. « Si les réfugiés sont pris à traverser la frontière, ils sont ramenés au Monténégro selon l’accord de réadmission. Nous notifions alors au Bureau pour l’asile que cette personne a illégalement essayé de quitter le territoire du Monténégro », explique Dejan Andrić.
Selon la loi, en tel cas, les autorités monténégrines sont dans l’obligation de verbaliser les personnes pour franchissement illégal de la frontière. Cela se termine devant le Tribunal, qui inflige une amende d’au moins 200 euros. Comme les gens n’ont pas d’argent pour payer l’amende, ils sont expédiés pour trois ou quatre jours dans la prison de Spuž, où les conditions sont très mauvaises. Des Algériens qui se sont retrouvés en prison affirment qu’on ne leur a donné ni lit, ni draps. En dépit de ces accusations portées par plusieurs demandeurs d’asile, le bureau monténégrin du HCR réfute toutes les accusations de mauvais traitements. « Le HCR rend visite à ces gens et les invite à déposer une demande d’asile pour obtenir de l’aide, jamais nous n’avons eu de plainte concernant la façon dont ils étaient traités. »
Néanmoins, un grand nombre de personnes qui veulent poursuivre leur route parviennent à gagner la Bosnie-Herzégovine. La route la plus fréquentée passe entre les villes de Nikšić et Trebinje. Du 1er janvier au 31 mars, la police a intercepté 92 personnes qui avaient pénétré dans la zone frontalière orientale en provenant du Monténégro, alors que 595 personnes ont été empêchées d’entrer en Bosnie par la frontière sud du pays. Des Monténégrins affirment avoir vu des gens qui marchaient vers la frontière durant les mois d’hiver, cherchant à se protéger du froid dans des maisons abandonnées. La police des frontières de Bosnie-Herzégovine explique que depuis le début de l’année 2018, les familles, les femmes et les enfants sont de plus en plus nombreux à pénétrer dans le pays, alors qu’auparavant, il s’agissait principalement de jeunes hommes célibataires.
Violences sur les frontières croates
Farbut Farmani vient d’Iran, il que son ami a tenté à cinq ou six reprises de franchir la frontière de la Bosnie-Herzégovine, et lui-même deux fois. « Une fois en Bosnie, j’ai contacté le bureau du HCR. Ils m’ont dit qu’ils allaient m’aider. J’étais épuisé parce que j’avais marché 55 kms dans les bois et la neige, c’était très dur. Le HCR de Sarajevo a promis qu’il allait s’occuper de nous et nous emmener à Sarajevo. Au lieu de cela, la police est venue et nous a renvoyé au Monténégro ». Parmi les personnes interpelées, beaucoup viennent du Moyen Orient et de zones touchées par la guerre, mais aussi d’Albanie, du Kosovo ou encore de Turquie.
La police des frontières de Croatie affirme qu’elle fait son devoir conformément à l’accord avec l’accord passé entre les gouvernements de Croatie et du Monténégro. Pourtant, depuis l’été dernier, les frontières monténégrino-croates ont été le théâtre de scènes de violences. Des volontaires ont rapporté, documents à l’appui, des scènes similaires à celles que l’on observe aux frontières serbo-croates ou serbo-hongroises, alors que personne n’a encore fait état de violences à la frontière serbo-monténégrine.
La frontière croate n’est d’ailleurs pas la seule à se fermer. En février, l’Albanie a signé un accord avec Frontex, l’agence européenne pour la protection des frontières, qui doit entrer en vigueur au mois de juin. L’accord prévoit l’arrivée de policiers européens, des formation et de l’équipement supplémentaire pour la police locale, afin de mieux protéger les frontières. Pour sa part, le gouvernement hongrois a annoncé qu’il allait offrir au Monténégro des fils de fer barbelés afin de protéger 25 kilomètres de frontière – on ne sait pas encore quel segment de la frontière sera ainsi renforcé. Selon le contrat, le fil de fer sera considéré comme un don, exempté de frais de douanes et de taxes, et la Hongrie enverra des experts pour l’installer.
Pratiquement aucun migrant n’imagine son avenir dans les Balkans, mais si les frontières se ferment, ils risquent d’être bloqués, et pourraient connaître le même sort que les réfugiés du Kosovo qui sont venus au Monténégro pendant les bombardements de l’OTAN en 1999. D’ailleurs, beaucoup de Roms, d’Egyptiens ou d’Ashkali du Kosovo vivent toujours à Podgorica, souvent dans des conditions abominables comme à Vrela Ribnička, près de la décharge de la ville. L’été risque de voir beaucoup de réfugiés affluer dans les Balkans. Il est donc urgent de créer des moyens d’accueil dignes de ce nom.