Au rassemblement interdit pour Adama Traoré : « On voudrait nous empêcher de marcher ? C’est non ». Malgré la décision de la préfecture de Paris, la marche contre les violences policières a bien eu lieu place de la République. Les manifestants, venus de banlieue comme de la capitale, dénoncent une « censure injustifiée ».
« Ils ne veulent pas entendre nos morts. Mais on va avoir le dernier mot », clame Assa Traoré, place de la République, aux alentours de 15 heures ce samedi. Une marche en l’honneur d’Adama, son frère, décédé à la gendarmerie de Persan après une interpellation en 2016, était initialement prévue dans le Val-d’Oise, avant d’être interdite par la préfecture du département, une interdiction confirmée par la justice administrative vendredi, dans le sillage des émeutes liées à la mort de Nahel M., tué par un policier à Nanterre le 27 juin. En guise de contre-attaque, la militante a publié, vendredi soir, des vidéos sur les réseaux sociaux appelant à un rassemblement sur la place parisienne, elle aussi interdite par les autorités ce samedi matin. Mais cela n’a pas empêché l’événement de se dérouler, et la foule - 2 000 personnes selon l’AFP - de dénoncer les violences policières (les « Acab ! Acab ! » et « Tout le monde déteste la police ! » fusant allégrement). Des « marches citoyennes » contre les violences policières se tenaient en même temps dans plusieurs autres villes de France.
« Ils verbalisent ceux qui portent des t-shirts Adama. S’attaquer au symbole de notre lutte est une honte », dénonce Assa Traoré. Depuis le début de l’après-midi, gendarmes et policiers traquent les profils susceptibles de participer au rassemblement illégal. C’est le cas d’Issa, vêtu d’un haut « Justice pour Adama ». A peine arrivé, il se voit infliger une amende de 135 euros. Mais cet habitué des marches en mémoire d’Adama ne se laisse pas démonter, il traîne encore un peu. Puis, nouveau contrôle : « Soit vous restez sur place et vous êtes à nouveau verbalisés, soit vous quittez les lieux. » « Mes nerfs sont tendus, peste l’intéressé, retranché dans les sous-sols du métro. Je reviendrai quand il y aura plus de monde. » Philomène, Lisa et Noah, venus au nom de Révolution permanente, ont quant à eux rodé leur stratagème. On leur intime de partir ? « Nous sommes aussi là pour soutenir la Palestine et l’Ukraine », rétorquent-ils, en référence aux deux autres rassemblements prévus, et autorisés, place de la République. Elles ont l’autorisation de rester.
Pour « la liberté de la démocratie »
Lorsque les contestataires affluent en masse, les forces de l’ordre réduisent les contrôles. Assa Traoré, postée sur la fontaine, déplore une « liberté de la démocratie » absente et s’oppose à « la police raciste ». A ses côtés, des élus insoumis, parmi lesquels les députés Eric Coquerel, Mathilde Panot ou Louis Boyard. A 15 h 20, la militante du Comité Adama embarque tout le monde le long du boulevard Magenta.
Certains chantent, d’autres tapent des mains. Sadia, animateur socioculturel venu de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), est ici pour ses enfants : « J’ai vécu des violences policières, mon aîné de 22 ans aussi, mes gosses de 5 et 7 ans vont en vivre… Et on voudrait nous empêcher de marcher ? C’est non. Je serais venu dans le Val-d’Oise si j’avais pu, et je suis là aujourd’hui. » Un peu plus loin, Juliette et Denis, deux voisins du quartier de Belleville, n’avaient pas envisagé de se rendre à Persan. « Là, on était obligés de venir. C’était important pour nous, deux « mines pâles », de montrer qu’on dénonce toute cette censure injustifiée », sourit Juliette.
En haut du boulevard Magenta, le cortège s’arrête, bloqué par une lignée de CRS. Assa Traoré grimpe sur un abribus et, armée d’un haut-parleur, annonce la fin de la marche : « Vous avez eu le dernier mot, on a marché pour la liberté. » Applaudissements dans tous les sens. Escortée par une dizaine de personnes, elle file ensuite en vitesse. Des CRS la suivent. « Des élus autour d’elle, vite », demande Eric Coquerel, son écharpe tricolore en évidence. Elle est alors récupérée par un scooter. Ouf de soulagement dans son staff. Une procédure judiciaire a été engagée à son encontre pour organisation d’« une manifestation non déclarée ». Son frère, Youssouf Traoré, a quant à lui été interpellé pour « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ».