• Smaïn Laacher : « En Iran, la critique radicale de l’ordre religieux tente de redéfinir la question de l’égalité entre les deux sexes dans tous les espaces de la société »

    L’histoire ne se répète pas. L’Iran de 2022 n’est plus celui de 1979. Depuis l’arrivée au pouvoir temporel et spirituel de l’ayatollah Khomeyni, les contestations populaires ont été nombreuses et les femmes toujours massivement présentes lors des protestions. La situation économique et sociale n’a cessé de se dégrader, en ville et à la campagne ; et pas seulement à cause de l’embargo américain. La liberté de penser, de s’exprimer, d’écrire et de diffuser a été violemment contrôlée et réprimée. Des homosexuels ont été pendus en place publique et nombreux sont les journalistes a avoir été jetés en prison. Les mouvements de grève se sont multipliés.

    Aujourd’hui, dans tout le pays, des manifestantes par milliers ne supportent plus l’insupportable. Celles-ci, pour une grande part, viennent des nombreuses universités et grandes écoles iraniennes dont elles constituent la moitié des étudiants. Souvenons-nous : en août 2014, une mathématicienne iranienne, Maryam Mirzakhani, avait été la première femme au monde à recevoir la prestigieuse médaille Fields. Elle n’avait pas été formée dans une grande université américaine, mais à l’université technologique Sharif, à Téhéran.
    C’est parmi cette fraction de la population iranienne que l’on compte aujourd’hui, selon certaines ONG, plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessées et des milliers d’arrestations. Il importe pourtant de ne pas commettre d’erreur de perception sur ce qu’il se passe dans le pays. Ce n’est pas tant le « voile » que les femmes veulent éradiquer et faire disparaître à jamais de la société iranienne, mais l’imposition de la norme cléricale dans l’espace privé et public. Au-delà du hijab et du degré de visibilité des cheveux féminins, ces manifestantes et manifestants ne supportent plus le désir pathologique du pouvoir clérical et de sa police des mœurs de contrôler la vie quotidienne des citoyens en s’ingérant constamment dans leur vie et en punissant les écarts aux conventions religieuses.

    Les hommes rejoignent le combat

    La conception de l’islam portée publiquement par le pouvoir religieux iranien repose en effet sur l’invisibilisation de la femme en tant que telle, des formes de son corps et de son visage, quel que soit son âge. Dans cette optique, il faut masquer les femmes pour exhiber la religion comme ordre « naturel » du monde s’imposant à tous. Aussi, en Iran – et plus généralement dans les sociétés gouvernées par la loi islamique –, le hijab ne constitue pas et ne doit pas constituer une sorte de concept fondamental, seul susceptible de produire une intelligibilité quasi instantanée des rapports de dominations symboliques et matériels. Le hijab n’est qu’un élément de subordination parmi d’autres ; l’interdire ou le faire disparaître ne fera pas disparaître spontanément et inéluctablement la puissance de l’ordre religieux et de sa conception des relations entre gouvernés et gouvernants.

    L’enjeu va bien au-delà du hijab et de quelques cheveux de femmes par trop visibles : la preuve en est apportée par la présence des hommes aux côtés des manifestantes iraniennes. Cette configuration est unique dans le monde musulman, et particulièrement dans le monde arabo-musulman dont nous sommes, en France, plus familiers. Dans ce combat, les femmes ne sont pas le « complément » des hommes, qui se chargeraient de l’intendance et du soin ; en Iran, ce sont bien les hommes qui « rejoignent » le combat des femmes. Cette configuration singulière signifie que la critique radicale de l’ordre religieux, par définition inégalitaire et oppressif (et ne pouvant être affronté qu’au péril de sa vie, faut-il le rappeler) est une critique politique qui tente de redéfinir la question de l’égalité entre les deux sexes dans tous les espaces de la société. Mais cette critique est aussi un mouvement de dénaturalisation des rapports de violence des uns sur les autres.

    Le défi que tentent de relever les Iraniennes et les Iraniens n’est rien moins qu’un travail colossal de construction d’une pluralité démocratique dans un monde commun. C’est bien là que se situe l’universalité du combat de ces femmes, et au-delà, de toutes les femmes vivant dans des univers musulmans ; leurs luttes – qui se déploient dans les espaces privés et publics et s’inventent à chaque fois différemment – sont une contribution aux débats que nous ne cessons d’avoir, en France et ailleurs, sur la modernité et sa rationalité, sur l’universalité et le relativisme, etc.

    Impressionante révolution féministe

    La pluralisation des sphères (politique, économique, juridique, etc.) est un processus qui ne peut que s’accélérer sous les coups de boutoirs de la mondialisation capitaliste. Les manifestantes et manifestants iraniens, grâce (entre autres) aux progrès des technologies de l’information et de la communication et à l’accès relativement abordable aux moyens de transport, savent comment se mettre en relation avec d’autres sociétés, et donc avec d’autres modes de vie ; en un mot avec d’autres manières d’être soi avec les autres. Plus rien ne leur échappe, ni l’injustice, ni la corruption de leur société, ni les actes de solidarité politique jaillissant, ici et là, dans le monde.

    Comme en France, les religions et la « laïcité » sont au cœur du débat iranien, dont les Iraniennes sont un acteur fondamental. La grande majorité de la société iranienne, en particulier sa composante civile, est prête aujourd’hui à une disjonction entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Le découplement entre la loi de Dieu et celles des hommes sera une fabrication proprement iranienne. Personne ne doit en douter.

    En ce sens, il faut prendre garde à ne pas commettre une seconde erreur de perception : ce qui se passe aujourd’hui en Iran est bien éloigné de la question française du « voile » et des discriminations que subissent celles qui le portent. C’est bien en Iran que se déroule depuis quelques semaines, j’ose le dire, la plus importante et la plus impressionnante révolution féministe en cours sur la planète : plus de deux cents morts, parce que des femmes veulent être libres.

    Smaïn Laacher, professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg, est notamment l’auteur de L’Affaire Mila. Victime, agresseurs, haine en ligne (éditions l’Aube, 2022).

    laacher-en-iran-la-critique-radicale-de-l-ordre-religieux-tente-de-redefinir-la-question-de-l-egalite-entre-les-deux-sexes-dans-tous-les-espaces-de-la-societe_6148148_3232.html

    #Iran #mollarchie #femmes #féminisme #révolution_féministe #universalité #égalité

  • Révolte en Iran : la résurrection féministe et le début de la fin du Régime
    https://crimethinc.com/2022/09/28/revolte-en-iran-la-resurrection-feministe-et-le-debut-de-la-fin-du-regim

    En collaboration avec le Collectif 98, un groupe anticapitaliste et antiautoritaire couvrant les luttes en Iran, nous avons pu interviewer des féministes iraniennes et kurdes sur la situation. Le collectif 98 tire son nom de « Aban » 98, le soulèvement qui s’est propagé à travers l’Iran en novembre 2019, l’année 1398 selon le calendrier iranien. Dans le texte suivant, ils explorent la signification historique de cette vague de révolte et les forces qui l’ont déclenchée. Source : CrimethInc

    • Le soulèvement de décembre 2017-janvier 2018 a représenté un moment décisif dans l’histoire de la République islamique, lorsque des millions de prolétaires à travers le pays dans plus de 100 villes se sont rebellé.e.s contre l’oligarchie au pouvoir, disant « assez ! » à une vie gouvernée par la misère, la précarité, la dictature, l’autocratie islamiste et une répression autoritaire. C’était la première fois que la société, en particulier les étudiant.e.s gauchistes de Téhéran, exprimaient le rejet du système dans son ensemble : « Réformistes, radicaux (du régime), la partie est terminée. »

      Depuis cinq ans le pays est en feu. On pourrait dire qu’il brûle des deux côtés : entre émeutes nationales chroniques et luttes organisées impliquant enseignant.e.s, étudiant.e.s, infirmières, retraité.e.s, travailleur.se.s et autres secteurs de la société.

      Les enseignant.e.s, pour ne donner qu’un seul exemple, ont mobilisé six manifestations et grèves massives au cours des six derniers mois, chacune se déroulant dans plus de 100 villes. Les leaders et militant.e.s bien connu.e.s de ce mouvement ont été arrêtés et sont aujourd’hui en prison, mais le mouvement des enseignant.e.s continue de se mobiliser.

      Ces deux niveaux de lutte – le soulèvement de masse spontané et les formes plus organisées de résistance – sont interdépendants. Chaque cycle de lutte devient plus intense et « militant » que le précédent, et le laps de temps entre ces cycles sont de plus en plus courts.

      Néanmoins, la mort de Mahsa/Jina a déclenché quelque chose de qualitativement différent, qui doit être considéré comme une rupture avec la période historique qui a commencé avec le soulèvement de décembre 2017-janvier 2018.

      (...) Bien qu’il ait été vaincu après presque une décennie de lutte armée et de nombreuses autres formes d’organisation politique, le Kurdistan n’a jamais plié le genou devant la République islamique.

      Ainsi, l’un des slogans qui ont émergé après le meurtre de Jina était « Kurdistan, Kurdistan, le cimetière des fascistes ». Immédiatement après l’assassinat de Jina, ce sont des femmes kurdes qui ont commencé à scander “Jin, Jian, Azadi” (Femmes, Vie, Liberté), le célèbre slogan scandé à l’origine par les femmes kurdes en Turquie et plus récemment au Rojava (régions du Nord et du Nord). -parties orientales de la Syrie). En Iran, ce slogan s’est maintenant propagé au-delà du Kurdistan à travers le pays au point que le mouvement actuel, qui est bien une #révolution_féministe, est connu sous ce nom, « Jin, Jian, Azadi ».

      #Iran #femmes #féminisme

    • incidemment, à propos de la clairvoyance anti-impérialiste, de l’idéologie « indigéniste »

      « “Il n’y a pas d’homosexuels en Iran.” C’est Ahmadinejad qui parle. Cette réplique m’a percé le cerveau. Je l’encadre et je l’admire. (…) Ahmadinejad, mon héros. (…) La Civilisation est indignée. (…) Et moi j’exulte. » (Bouteldja).

      Lettre ouverte à l’ACTA concernant sa position sur Qassem Soleimani Collectif 98 https://collective98.blogspot.com/p/english.html

      https://collective98.blogspot.com/2020/03/lettre-ouverte-lacta-concernant-sa.html

      Nous nous permettons de vous contacter, après la publication de deux articles de votre part, l’un pour faire l’éloge d’un général de guerre Iranien qui a été impliqué dans le massacre et la torture de milliers de personnes et même de millions en Syrie : Qassem Soleimani et l’autre en faveur du Hezbollah, l’un des partis les plus conservateurs du Liban. Nous voulions exprimer notre mécontentement, mais aussi notre colère, face à la position de l’ACTA sur la politique étrangère de l’Iran et de ses alliés, y compris le Hezbollah. Nous protestons explicitement contre une pratique dans laquelle un média progressiste comme ACTA devient la plateforme de propagande des réactionnaires de la région, y compris d’un régime dictatorial néolibéral. À notre avis, cette position est dangereuse et destructrice et va à l’encontre des aspirations des peuples progressistes du Moyen-Orient.

  • Meghan Murphy : Il est grand temps d’envisager un couvre-feu pour les hommes

    https://tradfem.wordpress.com/2016/01/21/meghan-murphy-il-est-grand-temps-denvisager-un-couvre-feu-pour-le

    Même s’il est vrai que les hommes sont aussi violents durant le jour, et même si, bien sûr, un couvre-feu ne réglerait pas le problème du patriarcat et de la violence masculine envers les femmes, cette suggestion interpelle, en un sens, le problème des droits et privilèges masculins. Même si j’ai plutôt lancé cette suggestion en blague, plus je songe à l’idée d’un couvre-feu pour les hommes, plus elle me semble raisonnable. Pourquoi permettrait-on aux hommes de circuler librement dans ce monde, alors qu’ils ont démontré encore et encore qu’ils ne peuvent pas – ne veulent pas – laisser les femmes tranquilles, cesser de les harceler, les violer, les droguer, les traquer, les siffler comme si elles étaient des chiens, les tripoter et s’exhiber devant elles ? Ce sont nous, les femmes, qui souffrons et vivons dans la crainte.

    Traduction française : Tradfem
    Article original : http://www.feministcurrent.com/2016/01/07/its-time-to-consider-a-curfew-for-men

    #Meghan_Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Vous pouvez la suivre sur Twitter : https://twitter.com/MeghanEMurphy

    #couvre-feu #agressions_sexuelles #Cologne #révolution_féministe #Feminist_Current #tradfem