A scuola di antirazzismo
Questo libro propone di partire dai bambini e dalle bambine per prendere consapevolezza di come i processi di razzializzazione siano pervasivi nella società italiana e si possa imparare molto presto a riflettere criticamente sulle diseguaglianze confrontandosi tra pari. Nasce da una ricerca-azione antirazzista che si è svolta nelle scuole primarie ed è rivolto in primis agli/alle insegnanti, per creare dei percorsi didattici che possano contrastare le diverse forme del razzismo (razzismo anti-nero, antisemitismo, antiziganismo, islamofobia, xenorazzismo e sinofobia).
E’ un libro che offre ricchi e originali materiali di lavoro (tavole di fumetti e video-interviste a testimoni privilegiate/i) per promuovere dialoghi nei contesti educativi.
volume 1 (pensé pour l’#école_primaire) :
volume 2 (pensé pour l’#école_secondaire) :
#anti-racisme #racisme #manuel #ressources_pédagogiques #livre #racialisation #pédagogie #didactique #parcours_didactique #racisme_anti-Noirs #antisémitisme #anti-tsiganisme #islamophobie #xénophobie #sinophobie #racisme_anti-Chinois #discriminations
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Note : la couverture du volume 2 avec mise en avant des #noms_de_rue (#toponymie)
#Racisme_anti-noirs dans le monde arabe : le difficile dévoilement d’un #tabou
Le 1er juillet, #Fati_Dasso et sa fille Marie, respectivement âgées de 30 ans et de 6 ans, sont retrouvées mortes, la tête enfouie dans le sable à la frontière entre la Tunisie et la Libye. Comme des milliers de migrants venus de l’Afrique subsaharienne, elles ont été raflées, puis abandonnées dans le désert. Ce drame est survenu dans le cadre d’une campagne massive d’arrestation et d’expulsion de migrants menée par la Tunisie de Kaïs Saïed depuis le début de l’été. Interpellés et battus par les forces de police à Sfax, les migrants subsahariens sont relâchés dans le désert situé entre la Tunisie et la Libye où une morte lente et douloureuse les attend.
L’épisode n’est malheureusement pas un fait divers isolé ni tout à fait nouveau dans la région. Le drame de cet été a focalisé l’attention sur la #Tunisie mais la question semble concerner tout le #Maghreb et même une bonne partie du monde arabe. Ainsi, en mars dernier, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) dénonçait l’abandon de milliers de migrants subsahariens par l’Algérie à la frontière nigéro-algérienne dans des conditions « sans précédents ». En 2017 déjà, la chaîne américaine CNN révélait dans un documentaire l’existence de trafics de migrants subsahariens en Libye, non loin de la capitale Tripoli.
Ces #violences envers les migrants s’accompagnent du déferlement d’une #parole_raciste à leur encontre, prononcée parfois jusqu’au sommet de l’Etat. Dans un discours récent, donné en février 2023, le président tunisien #Kaïs_Saïed a assimilé la présence migratoire à « une volonté de faire de la Tunisie seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique ». Mais ce #racisme ne concerne pas que les personnes exilées. Maha Abdelhamid, chercheuse associée au Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep) et cofondatrice du collectif Voix des femmes tunisiennes noires (VFTN), explique que « les #noirs sont une minorité dans les pays arabes et subissent chaque jour le racisme verbal, institutionnel, social et économique. Ils subissent un #rejet fort de leur part ». La faute, selon elle, à une #mémoire_historique encore trop peu documentée et à des #constructions_identitaires figées par le #nationalisme.
« L’organisation économique est en partie héritière de la structure esclavagiste »
Le maintien d’un système de #discrimination envers les personnes noires semble aller de pair avec une forme de gêne autour de la question de la #traite transsaharienne – qui concerne principalement, mais pas exclusivement des personnes d’origine subsaharienne – pratiquée du VIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle au Maghreb et au Moyen-Orient : « Parler de l’esclavage consiste à reconnaître que l’organisation économique actuelle est en partie héritière de la #structure_esclavagiste », argumente Shreya Parikh, doctorante en sociologie à Sciences-Po Paris qui travaille sur les processus de #racialisation en #Afrique_du_Nord. Elle prend ces femmes et ces hommes principalement noirs exploités dans le milieu travail agricole à #Sfax ou aux environs de #Tataouine.
Sur le plan universitaire, des productions scientifiques autour de la #traite_arabe ont émergé ces dix dernières années, non sans difficultés. Salah Trabelsi, professeur des universités en histoire et civilisation du monde arabe et musulman à l’université de Lyon-2 évoque un colloque qu’il a coorganisé en 2009 à Tozeur et notamment consacré à l’esclavage dans le monde arabo-musulman : « Nous avons dû changer le titre en les “Interactions culturelles entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne” pour le faire financer », dit-il en souriant.
A la fin de ce même colloque, aucun des intervenants – hormis l’auteur Edouard Glissant, l’historien Abdelhamid Larguèche et le professeur Trabelsi – n’ont accepté de signer une charte signalant une volonté de faire figurer l’#histoire de l’esclavage dans les #manuels_scolaires tunisiens. « L’histoire de l’esclavage n’apparaît pas dans les manuels scolaires. Dans le secondaire, il n’est pas encore possible d’aborder des faits historiques avec un positionnement critique. Ce déficit intellectuel est, en tous les cas, aggravé par un aveuglement politique et moral, reléguant les noirs au rang de citoyens de seconde zone », poursuit Salah Trabelsi.
Les productions scientifiques ou littéraires – encore timides sur le sujet – doivent aussi faire face à des problèmes de diffusion : « Il existe un grand nombre de productions contemporaines, de romans notamment comme “l’Océan des Britanniques” [non traduit en français] de Fareed Ramadanparu à Beyrouth en 2018, qui parlent de ces questions. Bien sûr, cela touche un public restreint car tout le monde ne lit pas des romans ou des essais tirés de thèses universitaires », note M’hamed Oualdi, professeur des universités à Sciences-Po Paris et spécialiste de l’histoire du Maghreb.
Cette éclosion difficile de la #mémoire de l’esclavage s’explique également par une vision apologétique de la traite arabe dont la #violence est minorée : « Pour se donner bonne conscience, certains vont parler “d’esclavage familial et intégrateur”, qui serait différent de la #traite_transatlantique. C’est un #déni d’histoire. Les sources nous apprennent que l’une des plus grandes révoltes de l’histoire de l’esclavage a eu lieu dans le sud de l’Irak au IXe siècle. Elle a duré un an et s’est soldée par la mort de 50 000 de personnes à deux millions de personnes. Elles travaillaient dans les marécages du sud de Bassora pour dégager le sel et revivifier les terres pour qu’elles deviennent des domaines pour l’aristocratie musulmane. On ne peut pas dire que ce n’est pas un esclavage de travail », rapporte Salah Trabelsi.
Années 2010 : un tournant dans l’appréhension des inégalités sociales et raciales
Par ailleurs, le tabou se maintient également par une pression religieuse : « Parlez de l’esclavage dans le monde arabe, on vous opposera l’islam, comme si l’esclavage était un fait religieux et non un phénomène social qui a perduré dans le monde arabe durant plus de quatorze siècles », explique Salah Trabelsi, avant de rappeler que la traite arabo-musulmane s’est principalement déroulée dans les régions du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Est. Evoquer l’esclavage qui s’est déroulé sur ces terres peut être perçu comme une remise en question du rôle de l’#islam en tant que rempart contre l’esclavage.
Cette mémoire apparaît comme secondaire d’autant plus que les discours portant sur la nécessité de construire une #unité_arabe sont depuis les années 60 considérés comme indispensables afin de lutter contre la présence coloniale et forger une #identité politique et sociale fortes : « Les régimes nationalistes dans le monde arabe n’ont pas accepté et n’acceptent pas les divergences autour des questions identitaires car ces mêmes dissensions ont été utilisées par le régime colonial pour créer des oppositions par exemple entre arabophones et berbérophones. Depuis, toute division paraît dangereuse », explique M’hamed Ouldi. La #pensée_panarabe vient alors imposer l’idée d’une #identité_arabe forcément musulmane, invisible et imperméable à toutes reconnaissances d’une #altérité et de revendication identitaires.
Bien qu’en marge du débat, le racisme anti-noirs n’est pourtant pas totalement ignoré. Les années 2010, grâce aux printemps arabes, ont constitué un tournant dans l’appréhension des inégalités sociales et raciales : « En Tunisie, certains ont vécu la révolution comme une opportunité pour rompre avec la #tunisianité – une identité homogène imposée par l’Etat qui n’avait laissé aucune place à ceux qui étaient minorisés », rapporte Shreya Parikh. En 2018, la Tunisie adoptait une loi inédite, la première dans le monde arabe, pénalisant la #discrimination_raciale. L’#Algérie adoptera en 2020 un dispositif législatif similaire.
Depuis, les débats et les contestations sont principalement concentrés sur les réseaux sociaux et portés par une jeune génération : la #chasse_aux_migrants en Algérie où le meurtre en 2013 d’un Sénégalais au Maroc ont donné lieu à de vives indignations. En juin 2020, la vidéo de l’actrice et réalisatrice palestinienne noire Maryam Abou Khaled dénonçant les #discriminations_raciales dans la région, avait dépassé le million de vues.
Au Maghreb, l’augmentation du nombre de #migrants_subsahariens ces dernières années semble avoir provoqué un effet ambivalent entre déferlement de la parole raciste – accusant les exilés d’accroître les difficultés économiques du pays – tout en permettant de lancer une discussion autour du racisme latent dans cette région du monde. Mehdi Alioua, professeur de sociologie à Sciences-Po Rabat, assume lui « une révolution épistémique » sur ces questions : « En Tunisie ou au Maroc, des débats télévisés portent sur le racisme. Dans le même temps, on constate également un backlash avec des discours réactionnaires, racistes et figés sur l’identité. C’est deux pas en avant et deux pas en arrière. »
▻https://www.liberation.fr/idees-et-debats/racisme-anti-noirs-dans-le-monde-arabe-le-difficile-devoilement-dun-tabou
ping @_kg_
Abirsabir. La sfida al regime delle frontiere
Nagi Cheikh Ahmed, giornalista mauritano emigrato in Italia dal 2016, e Gustavo Alfredo García Figueroa, sociologo venezuelano emigrato in Italia dal 2018, in quanto soggetti migranti e razzializzati, hanno viaggiato lungo la frontiera alpina tra l’Italia e la Francia per condurre una ricerca collaborativa tra l’Università degli Studi di Padova e Radio Melting Pot chiamata “nuovi immaginari politici e solidarietà antirazzista” (1).
La ricerca evidenzia sia i processi di razzializzazione delle persone in transito su questo confine, e sia le esperienze di solidarietà che nascono tra i soggetti razzializzati e con le altre persone con background migratorio che operano sulla frontiera. Lo scopo è quello di rendere visibile il loro protagonismo che contrasta la violenza strutturale delle frontiere e delle politiche migratorie dell’UE con pratiche di solidarietà, resistenza e sfida in questo spazio complesso, poroso, senz’altro ostile con le persone del sud globale.
Un podcast in cui gli autori parlano della politica migratoria dell’Unione europea basata sul razzismo strutturale, l’esternalizzazione dei confini e il loro controllo, ma allo stesso tempo andando oltre a tutto ciò; in cui si raccontano le esperienze di solidarietà e resistenza di giovani nordafricani che provano, anche al prezzo di mettere a rischio la vita, a sfidare l’esistenza dei confini.
(1) La collaborazione di ricerca nasce all’interno del progetto di interesse nazionale PRIN-MOBS che indaga la produzione di nuovi immaginari politici attraverso le pratiche della solidarietà antirazzista con i migranti. La Responsabile Scientifica dell’unità locale è la prof.ssa Annalisa Frisina, Associata di Sociologia presso il Dip. FISPPA dell’Università di Padova
▻https://www.meltingpot.org/2023/06/abirsabir-la-sfida-al-regime-delle-frontiere/#
#Abirsabir (à partir de la min 2’38) :
«Parola in arabo che esprime l’idea di una persona che viaggia con l’intenzione di non residere in un luogo fisso ma di attraversare un altro paese transitando in un paese o diversi paesi in cui non ha nessun legame concreto. E per fare questo viaggio praticamente non ha nulla addosso, niente da portare, niente da usare per il suo percorso. Abisabir, il #passante, si caratterizza per essere una persona leggera, con poco carico, veloce, silenzioso, che cammina molto e dorme poco.»
–-> ajouté à la métaliste sur les #mots de la migration :
►https://seenthis.net/messages/414225
#vocabulaire #terminologie #passant
#podcast #audio #frontières #migrations #réfugiés #asile #frontière_sud-alpine #France #Italie #racialisation #solidarité #violence_structurelle #résistance #Hautes-Alpes #Val_de_Suse #obstacles #rêve #parcours_migratoire #itinéraire_migratoire #danger #route_des_Balkans #Balkans #espoir #maraudeurs #maraudes
]]>Ethnic Profiling
Whistleblower reveals Netherlands’ use of secret and potentially illegal algorithm to score visa applicants
In 2022, a report (▻https://www.rijksoverheid.nl/actueel/nieuws/2022/12/12/confronterend-rapport-racisme-bij-buitenlandse-zaken) commissioned by the Dutch Ministry of Foreign Affairs concluded that the agency’s internal culture was riddled with structural racism. Some employees recounted being described as “monkeys” while others were continually asked to disavow terrorist attacks. In response, the foreign minister Wopke Hoekstra promised reform. “This is not who we want to be,” he said.
The Ministry of Foreign Affairs is not alone one among Dutch institutions that have been in the spotlight for structural racism. The Netherlands prides itself on automated decision making to reduce bias. But in the last two years of reporting from Lighthouse Reports have revealed wide-scale use of algorithmic risk profiling systems across the Netherlands (▻https://www.lighthousereports.com/investigation/suspicion-machines).
New, leaked documents obtained by Lighthouse Reports and NRC reveal that at the same time Hoekstra was promising change, officials were sounding the alarm over a secretive algorithm that ethnically profiles visa applicants. They show the agency’s own data protection officer — the person tasked with ensuring its use of data is legal — warning of potential ethnic discrimination. Despite these warnings, the ministry has continued to use the system.
Unknown to the public, the Ministry of Foreign Affairs has been using a profiling system to calculate the risk score of short-stay visa applicants applying to enter the Netherlands and Schengen area since 2015.
An investigation by Lighthouse and NRC reveals that the ministry’s algorithm, referred to internally as Informatie Ondersteund Beslissen (IOB), has profiled millions of visa applicants using variables like nationality, gender and age. Applicants scored as ‘high risk’ are automatically moved to an “intensive track” that can involve extensive investigation and delay.
“Family members of Dutch citizens with a migration background are prevented in all kinds of ways by the Ministry of Foreign Affairs from getting a visa for short stays.” said Kati Piri, a Dutch MP. Regardless of the ministry claiming efficiency over the use of the IOB system, “from countries like Morocco and Suriname, it is incredibly difficult to get a visa,” Piri added.
METHODS
In February 2023 Lighthouse obtained previously unpublished, crucial documents pointing to heated internal discussion around the Ministry of Foreign Affairs’ use of nationality and gender in its algorithmic risk profiling.
According to documents, the internal Data Protection Officer advised the ministry to “immediately stop profiling visa applicants to distinguish them partly on the basis of nationality and then treating them unequally on the basis of that distinction.”
Examples of so-called “risk profiles” used by the algorithm include Surinamese men aged between 26-40 who applied from Paramaribo and unmarried Nepalese men aged around 35-40 who applied for a tourist visa. Officials claim that the risk profiles are also based on data from third parties to see if a group of individuals from the same nationalities attempted to apply for asylum.
Despite the Data Protection Officer’s serious and continuous warnings from at least 2021, the documents suggest that Hoekstra delayed making a decision about the system. With reporting partner NRC, we spoke with internal sources who confirmed it is still active and uses nationality as a variable.
STORYLINES
An internal watchdog at the Ministry of Foreign Affairs has pressed them since midway through 2022 to immediately halt algorithmic profiling of visa applicants based on their nationality. Despite pushback from officials, the DPO continued to insist that the algorithmic assessment system is potentially discriminatory.
With the national newspaper NRC, we chronicled how the ministry turned to algorithmic profiling in the midst of a larger drive to cut costs. Ministry officials maintain that the algorithm helps to centralise workloads and remove bias of caseworkers. They also claim that three consulted experts have concluded that the use of nationality in the algorithmic profiling system was proportional and not discriminatory.
Statistics from the ministry suggest that being flagged as a high risk can carry serious consequences. As of March 2023, 33 percent of applications in the intensive, ‘high risk’ track were rejected, whereas only 3.5 percent of applications in the normal, ‘low risk’ track were rejected.
Being flagged for the intensive track can come with months of delays and consequences in an already difficult bureaucratic process. With NRC we spoke to Saadia Ourhris, a Moroccan-Dutch mother who recounted a relative of hers receiving constant automated rejections when attempting to visit her in the Netherlands.
Reacting to our findings, Dutch MP Kati Piri described the use of algorithmic visa profiling as “downright shocking.”
▻https://www.lighthousereports.com/investigation/ethnic-profiling
#profilage_racial #racial_profiling #profilage_ethnique #visa #migrations #Pays-Bas #racisme #racisme_structurel #algorythmes
ping @cede
#Racial_Profiling. Erfahrungen - Wirkungen - Widerstand
Racial Profiling findet sich in alltäglichen Überprüfungsroutinen von Polizei und Grenzschutz. Der Verdacht des Illegalen steht im Raum – sei es von unterstellten kriminellen Aktivitäten, von unrechtmäßiger Teilhabe am öffentlichen Raum oder auch einfach nur, weil die Alltagswahrnehmung rassistisch unterlegt ist und sortiert, wer* als fremd – als der eigenen Gesellschaft (nicht) zugehörig – wahrgenommen wird.
Die empirische Basis der vorliegenden Untersuchung bilden Interviews mit Menschen in der Schweiz, die von diskriminierenden Polizeikontrollen betroffenen sind. Gleichwohl analysieren sie Erfahrungen, die viele Menschen auch in Deutschland und anderen Ländern in ähnlicher Weise machen müssen. Die Autor*innen zeigen mit ihrer partizipativen Forschung auf, wie wissenschaftliche Analyse und politischer Aktivismus zusammenzuführen sind, und wie dies zu verändernden Praxen und zu Selbstermächtigung führen kann.
▻https://www.rosalux.de/publikation/id/40493/racial-profiling
#profilage_racial #rapport #racisme #discriminations #Suisse #contrôles_policiers
Témoignage d’une professeure d’histoire-géo qui s’interroge sur l’historicisation de l’#universalisme « républicain à la française » et sa transmission aux élèves. A travers plusieurs siècle de domination, l’hypocrisie de la classe bourgeoise est passée au crible des faits historiques. C’est sans appel : au vu de ses atermoiements, la « République » ne pourra jamais aimer « les étrangers ».
L’empire universel (des Blancs)
▻https://lundi.am/L-empire-universel-des-Blancs
Madame, ça veut dire quoi lieu universel ?
L’universel, c’est d’abord le puissant catholicos, centre rêvé de tous les empires. C’est un centre de référence décrété par des clercs, des califes, des papes. Reconnu par toutes celles et ceux qui ne veulent pas en être tenus à la marge, le centre du monde est fixe et unilatéral. Puis, la recherche de l’absolu et du centre de l’univers est tombée en désuétude. Afin de pouvoir étendre et étaler les puissances plus loin encore, il fallait prétendre le contraire, décentrer les regards. Ce nouvel universel hégémonique offre à tous les individus la possibilité de faire partie d’un tout universel, mais à condition qu’ils se dépouillent de toutes leurs particularités. L’universel, c’est l’hégémonie du Blanc, qui depuis l’époque moderne domine le monde. Le temps, le poids, les distances, tout est mesuré à partir d’un étalon européen et chrétien que les Blancs conçoivent comme une neutralité objective. L’idéologie de l’empire colonial accouche de paradigmes de pensée que l’on reconnaîtra aujourd’hui à la source de l’ensemble des discours légitimés. A l’obscurantisme des prêtres et à l’hystérie des femmes répond le rationalisme éclairé de la patrie républicaine, aux croyances puériles des minorités religieuses répond la critique de l’exégète athée, aux femmes voilées répond le féminisme raisonné et moral des femmes blanches, au particularisme des individus opprimés répond l’universel humaniste bien portant.
#racialisme #antisémitisme #esclavage #code_de_l'indigénat #colonialisme #soft_power
]]>La naissance du racisme
Pour LSD, Stéphane Bonnefoi questionne les #origines du racisme et la notion de #race, depuis l’antiquité jusqu’au XIXe siècle, au gré de quatre épisodes historiques.
▻https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-la-naissance-du-racisme
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Les 4 épisodes :
Épisode 1/4 : L’héritage grec en question
#Aristote et l’esclave « par nature », #Hippocrate et sa #théorie_climatique… Les penseurs grecs ont souvent été convoqués pour justifier l’esclavage et l’infériorité de certains peuples, à l’époque moderne mais aussi plus tôt, au cours de la #traite_arabo-musulmane…
▻https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/l-heritage-grec-en-question-5278625
Épisode 2/4 : L’#exclusion par la pureté de #sang
Après avoir converti juifs et musulmans, les rois catholiques de la péninsule ibérique vont imposer aux « conversos » de nouveaux statuts, discriminatoires : La #pureté_de_sang (Limpieza de sangre).
▻https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/l-exclusion-par-la-purete-de-sang-8270617
Épisode 3/4 : Dans l’ombre des Lumières, la construction de la race
En pleine expansion de la #traite transatlantique au XVIIIe siècle, la #racialisation de l’esclavage se met en place dans les colonies européennes aux Amériques. Une frontière se forme entre le « nègre » et le blanc...
▻https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/dans-l-ombre-des-lumieres-la-construction-de-la-race-3173051
Épisode 4/4 : La république des #zoos_humains
Au XIXe et jusqu’au milieu du XXe siècle, les zoos humains vont mettre en scène l’infériorité des peuples colonisés, tant en Europe qu’au Japon ou aux Etats-Unis. Et permettre ainsi une large diffusion de ce que nous nommons, depuis le début du XXe siècle, le racisme.
▻https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/la-republique-des-zoos-humains-2354253
#podcast #racisme #esclavage #Antiquité #histoire #Lumières #colonisation #colonialisme #domination #taxonomie #préjugés #système_de_domination #égalité #esclavage_colonial #couleur_de_peau #statut_social #esclavage_moderne #héritage #mythe
PODCAST : Racial Justice. Indigenous Abolitionists Are Organizing for Healing and Survival
▻https://truthout.org/audio/indigenous-abolitionists-are-organizing-for-healing-and-survival
#decolonisation #indigenous #healing #abolition #survival #racial_justice
]]>New Plantations : Migrant Mobility, ‘Illegality’ and Racialisation in European Agricultural Labour
What are the mechanisms of differential inclusion and segregation of migrant workers in the agro-industrial labour markets?
This project engages in a comparative enquiry into the triple dynamics of race, space and “illegality” in the reproduction of migrant precarious labour conditions in European agro-industrial labour markets. The complex question how and why “illegality” and “race” may become productive in the segmentation of precarious migrant workers across Europe is currently widely discussed. The project will address this question in a systematic way through five original case studies that are currently almost uncovered by research on migrant labour in Italian, Swiss and Belgian horticulture (specifically the research focuses on Emilia-Romagna, Basilicata; Swiss Midlands and Lake Geneva Region; and Limburg).
This comparative ethnographic analysis of migrant employment regimes is meant to contribute to a better understanding of mechanisms of differential inclusion and segregation of migrant workers in competitive agri-food chains. The projects aims at developing a framework for more socially sustainable production regimes in the studied contexts and at exploring approaches that might improve difficult working conditions of migrants in agriculture.
▻https://snis.ch/projects/new-plantations-migrant-mobility-illegality-and-racialisation-in-european-agric
#racialisation #agriculture #travail_agricole #migrations #Europe #illégalisation #inclusion_différentielle #ségrégation #horticulture #Suisse #Belgique #Italie
via @cede
Derrière le débat sur le « wokisme », les trois mutations du racisme : biologique, culturel, systémique
Après avoir postulé, depuis l’esclavage, l’inégalité des races, le racisme insiste, après 1945, sur l’impossible coexistence culturelle. Plus controversée est la notion, apparue dans les années 2000, de racisme « structurel ».
C’est un mystérieux néologisme qui désigne un ennemi aussi terrifiant qu’insaisissable : le « wokisme », ce mouvement venu des Etats-Unis, suscite depuis des mois des croisades enflammées. Pour le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ce mot renvoie à une idéologie obscurantiste qui, en imposant une police de la pensée digne de George Orwell, ouvre la voie au totalitarisme. Le réquisitoire est sans doute un peu exagéré : le wokisme n’est ni un corpus idéologique structuré ni un courant de pensée homogène, mais, plus modestement, une attitude consistant à être attentif (« awake ») aux injustices subies par les minorités.
Si l’expression apparaît dans l’argot afro-américain dans les années 1960, si elle est présente, en 1965, dans un discours prononcé par Martin Luther King (1929-1968), si elle est aujourd’hui revendiquée par le mouvement américain Black Lives Matter, elle reste très largement méconnue des Français : selon un sondage IFOP réalisé en février 2021, 86 % d’entre eux n’ont jamais entendu parler de la « pensée woke » et 94 % ignorent ce qu’elle signifie. En France, le wokisme est « un épouvantail plus qu’une réalité sociale ou idéologique » , résume l’historien Pap Ndiaye, directeur général du Palais de la Porte Dorée (l’établissement public qui comprend le Musée national de l’histoirede l’immigration et l’Aquarium tropical de Paris).
Les controverses françaises sur le « wokisme » ont beau reposer sur des à-peu-près et des chimères, elles ont cependant un mérite : démontrer que le mot « racisme » ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. Pour les militants « woke », la statue d’un ardent défenseur de l’esclavage ou le « blackface » festif d’un homme blanc signent la survivance subtile mais réelle d’une hiérarchie raciale héritée de la traite négrière et de la colonisation. Pour leurs adversaires, cet exercice scrupuleux de vigilance antiraciste mène tout droit à la tyrannie des minorités, voire à un « racisme inversé .
XVIe siècle : la racialisation du monde
Si le racisme des uns ressemble si peu au racisme des autres, c’est parce que ce mot affiche une simplicité trompeuse et ce depuis sa naissance, à la fin du XIXe siècle. Popularisé en 1892 sous la plume du pamphlétaire antisémite Gaston Méry, le terme « racisme » désigne, dans le roman Jean Révolte, non pas une condamnable hiérarchie entre les hommes, mais une enviable « patrie naturelle fondée sur la communauté d’origine », souligne l’historien Grégoire Kauffmann. Pour le héros, qui « refuse d’admettre qu’un Juif ou qu’un nègre puisse devenir son concitoyen », le racisme est une forme élevée et respectable de patriotisme. Si l’origine du mot « racisme » est ambiguë, son sens l’est tout autant. « Ce terme est polysémique » , prévient Abdellali Hajjat, auteur des Frontières de l’ « identité nationale » (La Découverte, 2012). « Il est hautement problématique », renchérit l’historien des idées Pierre-André Taguieff dans son Dictionnaire historique et critique du racisme (PUF, 2013) . Parce que le racisme se nourrit des préjugés de son époque, parce qu’il épouse la circulation des hommes et des idées, parce qu’il s’adapte à l’état de la science, il se conjugue toujours au pluriel.
Depuis le XVIIIe siècle, le racisme français a ainsi, selon Pierre-André Taguieff, affiché deux visages : le racisme « biologique et inégalitaire » de l’esclavage et de la colonisation, qui postulait l’existence d’une hiérarchie irréductible entre les races, et le « néoracisme différentialiste et culturel » de l’après-guerre, qui fait de certaines communautés, non pas des races inférieures, mais des groupes inassimilables. Depuis les années 2000, beaucoup y ajoutent un troisième : le racisme « systémique » engendré, jour après jour, par le fonctionnement routinier et discriminatoire des institutions.
En déportant 12,5 millions d’Africains vers les Amériques, l’esclavage atlantique inaugure, au XVIe siècle, l’ère de la racialisation du monde, et façonne du même coup la matrice du racisme biologique et inégalitaire qui survivra, en France, jusqu’à la seconde guerre mondiale. Avec la traite négrière, la « race » devient le pilier d’un ordre social fondé sur des traits phénotypiques comme la couleur de la peau. « Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Européens théorisent l’infériorité supposée de certains peuples, souligne Pap Ndiaye. L’esclavage n’invente pas les préjugés sur les Noirs mais il les structure dans une pensée systémique de la hiérarchie raciale qui légitime la chosification des êtres humains. »
Pendant que les naturalistes du XVIIIe siècle répertorient méthodiquement les plantes et les animaux, les savants classent les races humaines en leur attribuant des carac téristiques physiques, intellectuelles et morales immuables. Dans la hiérarchie culturelle de la perception du beau et du sublime élaborée par Kant (1724-1804), les Germains, les Anglais et les Français figurent au sommet : relégués en bas de l’échelle, les Noirs doivent se contenter du « goût des sornettes . « L’humanité atteint la plus grande perfection dans la race des Blancs, écrit Kant. Les Indiens jaunes ont déjà moins de talent. Les Nègres sont situés bien plus bas. »
A la fin du XVIIIe siècle, l’obsession de la hiérarchie raciale est telle que le colon créole Moreau de Saint-Méry, député de la Martinique à l’Assemblée constituante et grand défenseur de l’esclavage, élabore une classification méticuleuse des hommes en fonction de leur couleur de peau. S’il estime que les Blancs incarnent l’ « aristocratie de l’épiderme » , il recense 128 combinaisons de métissage noir-blanc qu’il regroupe dans neuf catégories soigneusement hiérarchisées : le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mamelouk, le quarteronné et le sang-mêlé... Cette racialisation du monde aurait pu s’effacer après l’abolition de l’esclavage, en 1848, mais la colonisation, qui voit la France conquérir l’Algérie, en 1830, puis l’Indochine et une partie de l’Afrique, perpétue les hiérarchies raciales construites pendant la traite négrière. Sous la IIIe République, les préjugés sur la supériorité biologique des Blancs sont encore très vivants : c’est en vain, affirme Pierre Larousse dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1872), que « quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche .
La Caution scientifique
Parce que la colonisation est justifiée, au XIXe siècle, par la « mission civilisatrice » de la France, la pensée raciale, cependant, se transforme. « A la hiérarchie biologique de la traite négrière s’ajoute, au XIXe siècle, une hiérarchie culturelle des civilisations, explique le sociologue Abdellali Hajjat, chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles . Parmi les " indigènes " , la IIIe République distingue l’Arabe musulman, fourbe mais civilisé, du bon sauvage noir, proche de l’animal. Aux yeux des colonisateurs, le monde musulman, qui a une histoire commune avec l’Europe, est une civilisation, même si elle est menaçante, alors que le monde subsaharien est situé, lui, hors de la civilisation. »
Dans un siècle marqué par les fulgurants progrès de la science, cette « raciologie républicaine », selon le mot de l’historienne Carole Reynaud-Paligot, se nourrit de discours savants. Les anthropologues comparent les anatomies, jaugent les boîtes crâniennes, mesurent les angles faciaux. « Au XIXe siècle, la pensée raciale se pare d’une caution scientifique, poursuit Abdellali Hajjat. Les nouvelles disciplines comme l’anthropologie, l’ethnologie ou la philologie élaborent des discours qui justifient l’inégalité des races. Les savoirs, dans toute leur diversité, consolident et légitiment la pensée raciale de la IIIe République. »
A la fin du XIXe siècle, l’anthropologie physique devient ainsi l’un des viviers du racisme « scientifique . Dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Paul Broca, fondateur, en 1859, de la Société d’anthropologie de Paris, distingue ainsi les races « éminemment perfectibles, qui ont eu le privilège d’enfanter de grandes civilisations », de celles qui ont « résisté à toutes les tentatives qu’on a pu faire pour les arracher à la vie sauvage » . « Jamais un peuple à la peau noire, aux cheveux laineux et au visage prognathe, n’a pu s’élever spontanément jusqu’à la civilisation » , écrit-il.
Pendant la IIIe République, cette hiérarchie des races et des civilisations est profondément ancrée dans les esprits, y compris dans ceux des Républicains. « Il faut dire ouvertement, affirme Jules Ferry en 1885, que les races supérieures ont un droit sur les races inférieures » , celui de les « civiliser » . Pendant que les écoliers apprennent dans Le Tour de la France par deux enfants (1877) que la « race » blanche est la « plus parfaite » de toutes, leurs parents découvrent, dans les « villages nègres » des expositions universelles, des Africains parqués comme des animaux qui tressent des nattes et cisèlent des bracelets.
Il faut attendre le début du XXe siècle pour que ce racisme biologique et inégalitaire commence à vaciller. Le déclin s’amorce avec l’affaire Dreyfus (entre 1894 et 1906), qui voit naître les premiers mouvements de défense de l’universalité du genre humain. Mais le coup de grâce intervient au lendemain de la seconde guerre mondiale. « La Shoah disqualifie définitivement le racisme, analyse l’historien Emmanuel Debono. A la Libération, le premier geste de l’Organisation des Nations unies et de l’Unesco [sa branche consacrée à l’éducation], tout juste créées, est de condamner le racisme chimiquement pur qu’est le nazisme. L’antiracisme s’impose, pour la première fois de l’histoire, comme une norme internationale. » En récusant catégoriquement la validité scientifique du concept de « race », en proclamant solennellement l’égale dignité de tous les hommes, les institutions internationales nées à la Libération installent, selon le philosophe Etienne Balibar, un nouveau « paradigme intellectuel » : « l’humanité est une », proclament les documents de l’Unesco des années 1950.Ce discours est si neuf que le pasteur noir américain Jesse Jackson sillonne le sud des Etats-Unis pour le promouvoir. « Une organisation internationale avait fait des recherches et conclu que les Noirs n’étaient pas inférieurs, racontait-il en 2002, dans une interview à un journal aux Etats-Unis. C’était énorme ! »
Le racisme biologique et inégalitaire de l’avant-guerre ne survit pas à ce nouveau paradigme. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les racistes « à l’ancienne » se font de plus en plus rares : les Français qui croient à la supériorité biologique de certaines races représentent aujourd’hui moins de 10 % de la population. « L’Unesco a indéniablement réussi à délégitimer le concept de race » , constate Abdellali Hajjat. L’ « inertie » des catégories raciales bâties pendant l’esclavage et la colonisation est cependant très forte : « Le racisme est un train à grande vitesse, poursuit-il. Même quand on appuie fermement sur le frein, il met du temps à ralentir. »
La hantise du métissage
Malgré les déclarations de principe des instances internationales des années 1950, le racisme continue en effet à prospérer, mais le climat de l’après-guerre l’oblige à changer de visage. Au lieu de distinguer et de hiérarchiser les races humaines, comme il le faisait pendant l’esclavage et la colonisation, le racisme , selon Pierre-André Taguieff, adopte dans la seconde moitié du XXe siècle une tonalité « culturelle et différentialiste » : il célèbre désormais le culte des identités parti culières. « Le néoracisme met en avant des différences irréductibles fondées, non plus sur la biologie, mais sur les moeurs » , constate Emmanuel Debono.
Résolument hostile à l’ouverture des frontières, ce « new racism », selon le mot de l’historien britannique Paul Gilroy, clame haut et fort sa hantise du métissage : ce qui est reproché aux étrangers, résume Pierre-André Taguieff, ce n’est plus leur infériorité biologique, mais le fait « d’être culturellement inassimilables et d’incarner, en tant que corps étranger, une menace de désordre pour le groupe national menace polymorphe de défiguration, de dénaturation, de désinté gration, voire de souillure . « C’est le racisme de l’inégalité des cultures et du chacun chez soi, explique Pap Ndiaye, auteur de La Condition noire. Essai sur une minorité française (Gallimard, 2009). Chacun dans sa culture, chacun sur son territoire. »
Dans les années 1970, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) du philosophe Alain de Benoist est le laboratoire théorique de cette doctrine qui finit par irriguer l’extrême droite, puis une grande partie de la droite. Les « grécistes » , observe le politiste Sylvain Crépon, en 2010, dans la revue Raison présente , tournent peu à peu le dos aux théories biologiques racialistes pour défendre la notion « anthropologique » de culture, et prôner, au nom de la pureté, une « étanchéité entre les peuples . Dans une France de plus en plus métissée, le Front national, qui émerge sur la scène politique en 1983, se fait le porte-parole de cette pensée identitaire.
Face à ce « néoracisme » qui manie avec habileté le vocabulaire des modes de vie, les asso ciations antiracistes « classiques » et « généralistes » comme la Ligue des droits de l’homme, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ou le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples sont vite dépassées. « Leur discours de principe sur l’universalité du genre humain a du mal à penser les différences culturelles, d’autant que ces militants traditionnels sont rarement issus de l’immigration », observe l’historienPap Ndiaye.Il faut attendre les années 1980 pour voir émerger une nouvelle génération d’activistes : l’organisation, en 1983, de la Marche pour l’égalité, puis la création, en 1984, de SOS-Racisme rajeunissent et élargissent le cercle de la mobilisation.
Dans les années 1980 et 1990, ces nouveaux acteurs de la scène politique analysent le « néoracisme » non comme un système de valeurs collectif hérité de l’esclavage et la colonisation, mais comme l’expression d’une dérive « morale et individuelle », écrivent les chercheurs Fabrice Dhume, Xavier Dunezat, Camille Gourdeau et Aude Rabaud dans Du racisme d’Etat en France ? (Le Bord de l’eau, 2020). Pour SOS-Racisme, les Français hostiles aux immigrés sont des « acteurs déviants, isolés, adhérant à la doctrine raciste et/ou portés par une idéologie violente » , ajoutent les chercheurs. Face à ces errances individuelles, les militants de SOS-Racisme défendent avec conviction les vertus du métissage, de la fraternité et de la tolérance. « Ils estiment que le racisme est le fruit de l’ignorance et de la peur . La loi et l’éducation constituent donc les deux piliers de leur engagement. La loi parce qu’elle permet, depuis la législation Pleven de 1972, de sanctionner les propos racistes, l’éducation parce qu’en luttant contre les préjugés, elle ouvre la voie à un changement des mentalités. », analyse la philosophe Magali Bessone, professeure de philosophie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et autrice de Faire justice de l’irréparable. Esclavage colonial et responsabilités contemporaines (Vrin, 2019).
« Une matrice idéologique »
Cette conception du racisme est questionnée à partir des années 2000. Dans un monde qui se mobilise contre les discriminations la directive européenne sur l’égalité de traitement date de 2000, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, de 2005 (supprimée en 2011) , l’idée d’un racisme « systémique » émerge peu à peu dans les milieux militants et universitaires. Ses défenseurs ne nient pas que le racisme est souvent adossé à un discours explicite de haine, mais ils estiment qu’il est souvent, voire surtout, un système de pouvoir qui imprègne discrètement, et en silence, le fonctionnement des institutions républicaines.
Alors que le néoracisme « culturel et différentialiste » émanait d’individus affichant ouvertement une idéologie nativiste, le racisme dit « systémique » se passe de discours d’exclusion : il est, plus banalement et plus massivement, le fruit des pratiques répétitives, souterraines et discrètes de la police, de la justice, de l’entreprise ou de l’école. Comme le savent les jeunes issus de l’immigration, comme le démontrent les enquêtes de sciences sociales, ce racisme « ordinaire », qui n’est ni intentionnel ni systématique, distribue inégalement les places et les richesses.
Le sociologue Fabien Jobard établit ainsi, dans une étude réalisée en 2007-2008 à Paris, qu’un Maghrébin a 9,9 fois plus de risques de se faire contrôler par la police qu’un Blanc, un Noir 5,2 fois plus. Cinq ans plus tard, les économistes Nicolas Jacquemet et Anthony Edo constatent lors d’un « testing » que malgré un faux CV parfaitement identique, « Pascal Leclerc » obtient deux fois plus d’entretiens d’embauche que « Rachid Benbalit . « En mettant en lumière l’ampleur des discriminations, ces travaux démontrent qu’elles ne peuvent être le fait de quelques brebis galeuses animées de croyances ouvertement racistes », observe Magali Bessone.
Pour nombre de militants et d’universitaires, ces pratiques insidieuses et silencieuses relèvent d’un racisme « institutionnel », « structurel », voire « d’Etat . Ces mots ne signifient nullement qu’en France, un principe de hiérarchie raciale est inscrit dans le droit, comme il l’était lors de l’apartheid en Afrique du Sud ou du nazisme en Allemagne : ils renvoient plutôt, selon la politiste Nonna Mayer, à un racisme « déguisé ou subtil », qui se manifeste par des contrôles au faciès, des discriminations à l’embauche, voire des « micro-agressions quotidiennes comme des plaisanteries ou des regards, à première vue plus bénignes, mais qui maintiennent les populations racisées à distance, en position d’infériorité » .
Le « catéchisme » antiraciste
Les premiers jalons de cette réflexion sur le racisme « systémique » remontent, en France, à l’après-guerre. « Dès 1956, [le psychiatre et essayiste] Frantz Fanon affirme ainsi qu’une société coloniale est une société structurel lement raciste, souligne Magali Bessone. Le racisme n’y est pas, selon lui, le fruit d’une subjectivité déviante mais une norme collective et partagée. En 1972, la sociologue Colette Guillaumin défend, elle aussi, l’idée que le racisme ne renvoie pas au comportement intentionnel de quelques personnes ignorantes ou malveillantes, mais à une matrice idéo logique faite de normes, de pratiques, de catégories et de procédures. »
Il faut cependant attendre les années 2000 pour que cette analyse, longtemps cantonnée dans un cercle étroit d’intellectuels et de militants, s’impose dans le débat public. « La question des discriminations est propulsée au premier plan en 2004, lors de l’interdiction des signes religieux à l’école, puis en 2005, lors des émeutes urbaines et des polémiques autour de la loi sur les " aspects positifs de la colonisation " , poursuit la philosophe. Les deuxièmes, voire les troisièmes générations de l’immigration postcoloniale, constatent avec amertume que l’injonction à l’intégration est toujours à recommencer : elle est aussi forte pour eux que pour leurs parents, voire leurs grands-parents. »
C’est dans ce climat que naissent, dans les quartiers populaires, les collectifs de l’anti racisme que l’on qualifie parfois de « politique » - le Parti des indigènes de la République, le Conseil représentatif des associations noires, La Vérité pour Adama. A l’éloge du métissage célébré par SOS-Racisme dans les années 1980 se substitue, dans les années 2000-2020, une dénonciation du racisme systémique fondée sur un nouveau lexique « racisé », « décolonial », « privilège blanc . « Ces militants qui s’intéressent à l’histoire et à la sociologie s’efforcent de conceptualiser la trame du racisme ordinaire , souligne Abdellali Hajjat. Ils estiment que certains gestes apparemment anodins du quotidien constituent des rappels à l’ordre racial. »
Dans un pays intensément attaché aux principes universalistes, cette conception « structurelle » du racisme est aujourd’hui âprement critiquée. Dans L’Antiracisme devenu fou, le « racisme systémique » et autres fables (Hermann, 2021), Pierre-André Taguieff vilipende l’idée d’un « racisme sans racistes » : parce qu’il est devenu « victimaire » , le « catéchisme » antiraciste d’aujourd’hui a rompu, selon lui, avec la « tradition du combat contre les préjugés raciaux fondée sur l’universalisme des Lumières » . Une conviction partagée par la philosophe Elisabeth Badinter, qui estime que ces combats « identitaires » remettent en cause l’universalisme républicain .
Cette idée est réfutée par Pap Ndiaye. « L’antiracisme contemporain, dans l’ensemble, ne tourne pas le dos à l’universalisme : il cherche au contraire à l’approfondir en évitant qu’il reste incantatoire, abstrait ou " décharné " , selon le mot d’Aimé Césaire. Les militants d’aujourd’hui sont finalement plus pragmatiques que leurs aînés : alors que les antiracistes de l’après-guerre espéraient, par le redressement moral, extirper le mal de la tête des racistes, les militants d’aujourd’hui veulent, plus simplement, faire reculer une à une les discriminations. » Cette ambition égalitaire n’est pas contraire à l’universalisme, estime l’historien : elle est même au coeur de la promesse républicaine.
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« Le racisme a des effets corporels multiples », Magali Bessone
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ENTRETIEN « Les nouveaux destins du corps » (2/5). Spécialiste des théories critiques des races et du racisme, Magali Bessone revient, dans un entretien au « Monde », sur la place fluctuante du corps et de la couleur de peau chez les penseurs de la question raciale.
« Voilà ce que je voudrais que tu saches : en Amérique, c’est une tradition de détruire le corps noir – c’est un héritage. » Une colère noire (Autrement, 2016), de l’essayiste Ta-Nehisi Coates, accompagne le renouveau du mouvement antiraciste américain. Vendu à 4 millions d’exemplaires, il est centré sur l’expérience subjective du « corps noir » – l’expression est employée 82 fois dans ce court texte adressé à son fils – dans cette Amérique que l’on espérait encore « postraciale » quelques années auparavant. Le vaste mouvement de protestation qui a suivi la mort de George Floyd a vu se diffuser cette rhétorique du « black body » pris dans des statistiques attestant qu’un siècle et demi après la fin de l’esclavage, habiter un corps noir façonne encore les vies, signe un destin, pire, expose à la fatalité.
Mais au contraire de l’antiracisme des droits civiques, tel qu’exprimé par Martin Luther King – qui aspirait à ce qu’un homme noir soit jugé comme les autres –, l’achèvement de l’égalité nécessite ici, au contraire, de regarder la race, de prendre conscience du « privilège blanc ». Cette lutte antiraciste, en invitant à considérer les races, fussent-elles sociales, recrédite-t-elle cette notion de race ?
Professeure de philosophie politique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Magali Bessone travaille sur les théories critiques de la race et du racisme, ainsi que sur les théories contemporaines de la justice et de la démocratie. Elle a écrit Faire justice de l’irréparable. Esclavage colonial et responsabilités contemporaines (Vrin, 2019). Elle revient sur la place fluctuante du corps et de la couleur de peau chez les penseurs de la question raciale en invitant à sortir de la distinction catégorique entre social et biologique.
Le renouveau du discours antiraciste s’appuie beaucoup sur la rhétorique du « corps noir ». De quelle manière W. E. B. Du Bois, penseur majeur de l’inégalité raciale, qui publie « Les Ames du peuple noir » en 1903, s’est-il emparé de cette question du corps ?
Du Bois insiste sur l’idée que la question noire s’est construite politiquement et administrativement, d’abord par l’esclavage, puis par la mise en place de la ségrégation officielle et ce qu’on appelle la règle de la « one-drop rule », qui veut que l’on soit assigné à la catégorie administrative « Noir », indépendamment de son apparence, si l’on compte une goutte de sang « noir » parmi ses ancêtres. Ainsi, pour Du Bois, il faut bien distinguer cette catégorie administrative et la couleur de la peau. Dans Les Ames du peuple noir, il décrit les personnes qu’il rencontre avec des adjectifs très variés – or, cuivre, fauve, beige, marron foncé… On trouve tout une palette de couleurs, qui correspondent à l’étiquette administrative « Noir ». Mais ça ne veut pas dire pour autant que « Noir » désigne quelque chose de totalement artificiel ou théorique, car l’assignation à cette catégorie a des effets très concrets, matériels et physiques, y compris de vie et de mort – je pense notamment au chapitre dans lequel il décrit comment meurt son fils de 18 mois, parce qu’il n’a pas réussi à trouver un médecin noir pour le sauver. Plus tard, dans son autobiographie, Du Bois en vient à penser que la race ne peut être un concept, mais plutôt un groupe de forces, de faits et de tendances, parmi lesquelles quelque chose de l’ordre du ressenti, de physique. Il établit un lien avec l’Afrique et avec la traite et l’esclavage.
Comment le mouvement de la négritude propose-t-il de penser les corps noirs ?
La négritude est un mouvement francophone anticolonial rassemblant des intellectuels et des écrivains noirs des colonies françaises, créé avant la seconde guerre mondiale et qui prend de l’ampleur dans l’immédiat après-guerre : le contexte est ici très différent du contexte américain. Il y a une forte dimension culturelle – la négritude est une valorisation des valeurs noires contre leur minorisation ou leur effacement par les colons – et une forte dimension politique, liée à la culture : une demande d’émancipation et de « reconnaissance du fait d’être noir », selon les mots d’Aimé Césaire. C’est une manière de penser « l’être dans le monde » des Noirs, comme le dit Sartre dans Orphée noir (1948), le fait d’exister et d’entrer en relation avec le monde, d’agir dans le monde, en tant que Noir – vu comme tel et assigné à son corps.
Opposé à la négritude, Frantz Fanon dit que « la peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques ». Il achève « Peaux noires, masques blancs » sur cette phrase : « Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ! » Que veut-il dire ?
Fanon a suivi les cours du philosophe Maurice Merleau-Ponty à Lyon : il entre dans cet univers philosophique qu’est la phénoménologie, c’est-à-dire l’idée que nous sommes, nous les êtres humains, situés par nos corps dans notre monde. Et comme Beauvoir se demande ce qu’un corps « féminin » fait à ce rapport au monde, Fanon se demande si la racialisation du corps produit des effets spécifiques. Sa réponse est radicale : on n’est pas construit comme sujet dans le monde de la même manière selon que l’on est blanc ou noir. Le regard blanc chosifie l’individu noir, réduit le Noir à son corps, et même juste à sa surface : sa peau. C’est ce qu’il appelle le « schéma épidermique racial ». Pour parvenir à devenir un sujet, « un homme parmi d’autres hommes », il faut donc en passer par la colère, la révolte, puis la fierté, qui est le moment de la négritude, pour, peut-être, penser en d’autres termes. « Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge » signifie que nous partons des corps mais qu’on ne saurait s’y arrêter : interroger, ne jamais tenir pour acquis ce donné auquel l’homme noir est assigné, déconstruire les évidences. Tout ce que nous voyons est déjà tissé de valeurs, d’interprétations. Le regard n’est pas une pure passivité devant le monde qui s’offre à nous, c’est quelque chose d’actif de et de théorisé.
On parle aujourd’hui de « biais implicites » : l’idée que le racisme peut être inconscient, que l’on peut être raciste « malgré soi ». C’est ce qui fait que l’on appelle à regarder à nouveau la couleur ?
Oui, sous l’effet de Black Lives Matter, ce qui est venu à la conscience publique de manière beaucoup plus globale, c’est justement le fait qu’il demeure dans nos sociétés une pertinence de la catégorisation raciale en raison de notre histoire, et que la color blindness est, au mieux, une illusion sur nous-mêmes : nous vivons dans un monde social où les corps traduisent (imparfaitement) les appartenances raciales et où ces appartenances nous positionnent socialement, économiquement… Pour autant, une fois qu’on a pris conscience de la présence de ces catégorisations, c’est à nous de travailler pour qu’elles deviennent non signifiantes sur le plan politique et économique. Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de corrélation entre les caractéristiques phénotypiques et des données socio-économiques.
Le racisme « déloge les cerveaux, bloque les voies respiratoires, déchire les muscles, extrait les organes, fend les os, brise les dents », écrit Ta-Nehisi Coates, l’intellectuel afro-américain le plus influent de sa génération. Peut-on considérer que l’insistance sur le corps sert aussi à rappeler la nature viscérale du racisme, et qu’alors que plus grand monde ne se revendique raciste, les corps témoignent de ses effets de façon tangible ?
C’est très juste. Il a pu exister, en effet, une tendance à estimer que le racisme, ça n’était « que » du discours, des paroles ou une opinion fausse sur des groupes humains absurdement distingués et hiérarchisés. A l’inverse, on peut aussi penser le racisme avec des déterminations structurelles globales trop abstraites. Mais le racisme « bloque les voies respiratoires ». Pour prendre un exemple récent, indépendamment des violences policières et du slogan « I can’t breathe » (« je ne peux pas respirer ») repris par le mouvement BLM, on a bien vu les effets physiques du racisme structurel avec la crise due au Covid-19, qui n’a pas créé, mais révélé, des inégalités préexistantes, parmi lesquelles des inégalités de santé.
Aux Etats-Unis, où le recensement pose la question de l’appartenance raciale des habitants, on a constaté que les Noirs étaient statistiquement plus touchés par le Covid-19, qu’ils contractaient des formes plus graves, et qu’il y avait proportionnellement plus de décès dans la population noire que dans la population blanche. C’est le résultat de nombreux facteurs sociopolitiques, dont on peut faire l’histoire, parmi lesquels la surreprésentation des Noirs chez les travailleurs de « première ligne » ou dans les populations avec comorbidités, notamment surpoids et obésité. Le racisme a des effets corporels multiples, pas seulement les dents brisées ou les os fendus à la suite d’une ratonnade ou à des coups de matraque, mais des effets de long terme dans les corps fragilisés.
Plusieurs histoires de femmes blanches se faisant passer pour noires, dont la plus célèbre est Rachel Dolezal, ont suscité une indignation à peu près unanime aux Etats-Unis. Si l’on admet que la race est une construction sociale, pourquoi le transracialisme est-il tellement tabou ?
Il est intéressant de voir que lorsque les parents de Rachel Dolezal [alors présidente d’un chapitre de la National Association for the Advancement of Colored People, ses parents ont révélé en 2015 à un média local que leur fille mentait sur son identité ethnique] ont publiquement fait connaître son appartenance raciale « blanche », parce qu’elle était leur fille et qu’eux-mêmes étaient blancs, la preuve par la filiation a immédiatement été admise comme définitive. Et même des chercheurs qui se situent du côté des « constructivistes » (qui estiment que la race est une construction sociale et non pas un donné biologique) ont estimé qu’elle s’était fait passer pour noire de manière frauduleuse et inadmissible.
Cette indignation peut s’expliquer par le fait qu’elle n’a jamais justifié son geste par contrainte économique ou oppression politique, mais toujours par choix de cohérence avec une identité personnelle ressentie. « Je me suis toujours sentie noire », dit-elle. Elle s’est fait passer pour noire parce que c’était son « identité subjective » et qu’elle voulait mettre le regard des autres en conformité avec son propre regard sur elle-même. Il y a, dans ce transracialisme, une manière de dire que je suis ce que je choisis d’être, en toute liberté et autonomie. Alors que toute l’histoire de la construction raciale implique des groupes en relation avec d’autres groupes, qui sont pris dans des rapports de pouvoir et de domination, qui imposent, négocient ou résistent aux appartenances collectives. C’est ce qu’elle nie en disant : « Je me sens noire. » La race n’est pas une question de sensation, mais d’assignation, de stigmatisation – et, parfois, de retournement du stigmate.
]]>« Pour un retour de l’#honneur de nos gouvernants » : 20 #généraux appellent Macron à défendre le #patriotisme
(attention : toxique)
À l’initiative de #Jean-Pierre_Fabre-Bernadac, officier de carrière et responsable du site Place Armes, une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires ont signé un appel pour un retour de l’honneur et du #devoir au sein de la classe politique. Valeurs actuelles diffuse avec leur autorisation la lettre empreinte de conviction et d’engagement de ces hommes attachés à leur pays.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs du gouvernement,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
L’heure est grave, la #France est en #péril, plusieurs #dangers_mortels la menacent. Nous qui, même à la retraite, restons des soldats de France, ne pouvons, dans les circonstances actuelles, demeurer indifférents au sort de notre beau pays.
Nos #drapeaux tricolores ne sont pas simplement un morceau d’étoffe, ils symbolisent la #tradition, à travers les âges, de ceux qui, quelles que soient leurs couleurs de peau ou leurs confessions, ont servi la France et ont donné leur vie pour elle. Sur ces drapeaux, nous trouvons en lettres d’or les mots « #Honneur_et_Patrie ». Or, notre honneur aujourd’hui tient dans la dénonciation du #délitement qui frappe notre #patrie.
– Délitement qui, à travers un certain #antiracisme, s’affiche dans un seul but : créer sur notre sol un mal-être, voire une #haine entre les communautés. Aujourd’hui, certains parlent de #racialisme, d’#indigénisme et de #théories_décoloniales, mais à travers ces termes c’est la #guerre_raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques. Ils méprisent notre pays, ses traditions, sa #culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. Ainsi s’en prennent-ils, par le biais de statues, à d’anciennes gloires militaires et civiles en analysant des propos vieux de plusieurs siècles.
– Délitement qui, avec l’#islamisme et les #hordes_de_banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des #dogmes contraires à notre #constitution. Or, chaque Français, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance, est partout chez lui dans l’Hexagone ; il ne peut et ne doit exister aucune ville, aucun quartier où les lois de la #République ne s’appliquent pas.
– Délitement, car la haine prend le pas sur la #fraternité lors de manifestations où le pouvoir utilise les #forces_de_l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en #gilets_jaunes exprimant leurs désespoirs. Ceci alors que des individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre. Pourtant, ces dernières ne font qu’appliquer les directives, parfois contradictoires, données par vous, gouvernants.
Les #périls montent, la #violence s’accroît de jour en jour. Qui aurait prédit il y a dix ans qu’un professeur serait un jour décapité à la sortie de son collège ? Or, nous, serviteurs de la #Nation, qui avons toujours été prêts à mettre notre peau au bout de notre engagement – comme l’exigeait notre état militaire, ne pouvons être devant de tels agissements des spectateurs passifs.
Aussi, ceux qui dirigent notre pays doivent impérativement trouver le courage nécessaire à l’#éradication de ces dangers. Pour cela, il suffit souvent d’appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà. N’oubliez pas que, comme nous, une grande majorité de nos concitoyens est excédée par vos louvoiements et vos #silences coupables.
Comme le disait le #cardinal_Mercier, primat de Belgique : « Quand la #prudence est partout, le #courage n’est nulle part. » Alors, Mesdames, Messieurs, assez d’atermoiements, l’heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la #sauvegarde_de_la_nation.
Par contre, si rien n’est entrepris, le #laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une #explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de #protection de nos #valeurs_civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national.
On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce #chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la #responsabilité, se compteront par milliers.
Les généraux signataires :
Général de Corps d’Armée (ER) Christian PIQUEMAL (Légion Étrangère), général de Corps d’Armée (2S) Gilles BARRIE (Infanterie), général de Division (2S) François GAUBERT ancien Gouverneur militaire de Lille, général de Division (2S) Emmanuel de RICHOUFFTZ (Infanterie), général de Division (2S) Michel JOSLIN DE NORAY (Troupes de Marine), général de Brigade (2S) André COUSTOU (Infanterie), général de Brigade (2S) Philippe DESROUSSEAUX de MEDRANO (Train), général de Brigade Aérienne (2S) Antoine MARTINEZ (Armée de l’air), général de Brigade Aérienne (2S) Daniel GROSMAIRE (Armée de l’air), général de Brigade (2S) Robert JEANNEROD (Cavalerie), général de Brigade (2S) Pierre Dominique AIGUEPERSE (Infanterie), général de Brigade (2S) Roland DUBOIS (Transmissions), général de Brigade (2S) Dominique DELAWARDE (Infanterie), général de Brigade (2S) Jean Claude GROLIER (Artillerie), général de Brigade (2S) Norbert de CACQUERAY (Direction Générale de l’Armement), général de Brigade (2S) Roger PRIGENT (ALAT), général de Brigade (2S) Alfred LEBRETON (CAT), médecin Général (2S) Guy DURAND (Service de Santé des Armées), contre-amiral (2S) Gérard BALASTRE (Marine Nationale).
▻https://www.valeursactuelles.com/politique/pour-un-retour-de-lhonneur-de-nos-gouvernants-20-generaux-appellen
La une :
#appel #généraux #valeurs_actuelles #lettre #lettre_ouverte #armée #soldats
#Mathieu_Bock-Côté : « Le #racialisme est un #totalitarisme »
–-> attention : toxique !
ENTRETIEN. #Privilège_blanc, #blanchité, #racisme_systémique… L’auteur de « La Révolution racialiste » (Les Presses de la Cité) décape les théories de la gauche identitaire.
▻https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/mathieu-bock-cote-le-racialisme-est-un-totalitarisme-14-04-2021-2422277_1913
#division #Blancs #racisés #couleur_de_peau #obsession_raciale #sciences_sociales #race #rapports_de_pouvoir #rapports_de_pouvoir #colonialisme_idéologique #révolution_racialiste #civilisation_occidentale #liberté_d'expression #démocratie #régression #imperméabilité_ethnique #enferment #groupe_racial #assignation #indigénisme #décolonial #mouvance_racialiste #américanisation #université #sciences_sociales #théorie_du_genre #genre #colonisation_idéologique #conscience_raciale #identification_raciale #Noirs_américains #clivages #intégration #assimilation #trahison_raciale #USA #Etats-Unis #Canada #multiculturalisme #niqab #Justin_Trudeau #noyau_identitaire #diversité #identité #utopie_diversitaire #France #résistance #Québec #idéologie #culture_française #universalisme #universel #moeurs #culture #imperméabilité #culture_nationale #nationalisme #déterminismes_biologiques #civilisation_occidentale #hygiène_intellectuelle #vérité #rigueur_intellectuelle #société_libérale
La fabrique européenne de la race (17e-20e siècles)
Dans quelle galère sommes-nous allé•es pointer notre nez en nous lançant dans ces réflexions sur la race ? Complaisance à l’air du temps saturé de références au racisme, à la #racialisation des lectures du social, diront certain•es. Nécessaire effort épistémologique pour contribuer à donner du champ pour penser et déconstruire les représentations qui sous-tendent les violences racistes, pensons-nous.
Moment saturé, on ne peut guère penser mieux… ou pire. Évidemment, nous n’avions pas anticipé l’ampleur des mobilisations contre les #violences_racistes de cet été aux États-Unis, mais nous connaissons leur enracinement dans la longue durée, l’acuité récente des mobilisations, que ce soit « #black_lives_matter » aux États-Unis ou les #mobilisations contre les #violences_policières qui accablent les plus vulnérables en France. L’enracinement aussi des #représentations_racialisées, structurant les fonctionnements sociaux à l’échelle du globe aujourd’hui, d’une façon qui apparaît de plus en plus insupportable en regard des proclamations solennelles d’#égalité_universelle du genre humain. Nous connaissons aussi l’extrême #violence qui cherche à discréditer les #protestations et la #révolte de celles et ceux qui s’expriment comme #minorité victime en tant que telle de #discriminations de races, accusé•es ici de « #terrorisme », là de « #communautarisme », de « #séparatisme », de vouloir dans tous les cas de figure mettre à mal « la » république1. Nous connaissons, associé à cet #antiracisme, l’accusation de #complot dit « #décolonial » ou « postcolonial », qui tente de faire des spécialistes des #colonisations, des #décolonisations et des #rapports_sociaux_racisés des vecteurs de menaces pour l’#unité_nationale, armant le mécontentement des militant•es2. Les propos haineux de celles et ceux qui dénoncent la #haine ne sont plus à lister : chaque jour apporte son lot de jugements aussi méprisants que menaçants. Nous ne donnerons pas de noms. Ils ont suffisamment de porte-voix. Jusqu’à la présidence de la République.
3L’histoire vise à prendre du champ. Elle n’est pas hors sol, ni hors temps, nous savons cela aussi et tout dossier que nous construisons nous rappelle que nous faisons l’histoire d’une histoire.
Chaque dossier d’une revue a aussi son histoire, plus ou moins longue, plus ou moins collective. Dans ce Mot de la rédaction, en septembre 2020, introduction d’un numéro polarisé sur « l’invention de la race », nous nous autorisons un peu d’auto-histoire. Les Cahiers cheminent depuis des années avec le souci de croiser l’analyse des différentes formes de domination et des outils théoriques comme politiques qui permettent leur mise en œuvre. Avant que le terme d’« #intersectionnalité » ne fasse vraiment sa place dans les études historiennes en France, l’#histoire_critique a signifié pour le collectif de rédaction des Cahiers la nécessité d’aborder les questions de l’#exploitation, de la #domination dans toutes leurs dimensions socio-économiques, symboliques, dont celles enracinées dans les appartenances de sexe, de genre, dans les #appartenances_de_race. Une recherche dans les numéros mis en ligne montre que le mot « race » apparaît dans plus d’une centaine de publications des Cahiers depuis 2000, exprimant le travail de #visibilisation de cet invisible de la #pensée_universaliste. Les dossiers ont traité d’esclavage, d’histoire coloniale, d’histoire de l’Afrique, d’histoire des États-Unis, de l’importance aussi des corps comme marqueurs d’identité : de multiples façons, nous avons fait lire une histoire dans laquelle le racisme, plus ou moins construit politiquement, légitimé idéologiquement, est un des moteurs des fonctionnements sociaux3. Pourtant, le terme d’ « intersectionnalité » apparaît peu et tard dans les Cahiers. Pour un concept proposé par Kimberlé Crenshaw dans les années 1990, nous mesurons aujourd’hui les distances réelles entre des cultures historiennes, et plus globalement sociopolitiques, entre monde anglophone et francophone, pour dire vite4. Effet d’écarts réels des fonctionnements sociaux, effets de la rareté des échanges, des voyages, des traductions comme le rappelait Catherine Coquery-Vidrovitch dans un entretien récent à propos des travaux des africanistes5, effet aussi des constructions idéologiques marquées profondément par un contexte de guerre froide, qui mettent à distance la société des États-Unis comme un autre irréductible. Nous mesurons le décalage entre nos usages des concepts et leur élaboration, souvent dans les luttes de 1968 et des années qui ont suivi. Aux États-Unis, mais aussi en France6. Ce n’est pas le lieu d’évoquer la formidable énergie de la pensée des années 1970, mais la créativité conceptuelle de ces années, notamment à travers l’anthropologie et la sociologie, est progressivement réinvestie dans les travaux historiens au fur et à mesure que les origines socioculturelles des historiens et historiennes se diversifient. L’internationalisation de nos références aux Cahiers s’est développée aussi, pas seulement du côté de l’Afrique, mais du chaudron étatsunien aussi. En 2005, nous avons pris l’initiative d’un dossier sur « L’Histoire de #France vue des États-Unis », dans lequel nous avons traduit et publié un auteur, trop rare en français, Tyler Stovall, alors professeur à l’université de Berkeley : bon connaisseur de l’histoire de France, il développait une analyse de l’historiographie française et de son difficile rapport à la race7. Ce regard extérieur, venant des États-Unis et critique de la tradition universaliste française, avait fait discuter. Le présent dossier s’inscrit donc dans un cheminement, qui est aussi celui de la société française, et dans une cohérence. Ce n’était pas un hasard si en 2017, nous avions répondu à l’interpellation des organisateurs des Rendez-vous de l’histoire de Blois, « Eurêka, inventer, découvrir, innover » en proposant une table ronde intitulée « Inventer la race ». Coordonnée par les deux responsables du présent dossier, David Hamelin et Sébastien Jahan, déjà auteurs de dossiers sur la question coloniale, cette table ronde avait fait salle comble, ce qui nous avait d’emblée convaincus de l’utilité de répondre une attente en préparant un dossier spécifique8. Le présent dossier est le fruit d’un travail qui, au cours de trois années, s’est avéré plus complexe que nous ne l’avions envisagé. Le propos a été précisé, se polarisant sur ce que nous avions voulu montrer dès la table-ronde de 2017 : le racisme tel que nous l’entendons aujourd’hui, basé sur des caractéristiques physiologiques, notamment la couleur de l’épiderme, n’a pas toujours existé. Il s’agit bien d’une « #invention », associée à l’expansion des Européens à travers le monde à l’époque moderne, par laquelle ils justifient leur #domination, mais associée aussi à une conception en termes de #développement, de #progrès de l’histoire humaine. Les historien•nes rassemblée•es ici montrent bien comment le racisme est enkysté dans la #modernité, notamment dans le développement des sciences du 19e siècle, et sa passion pour les #classifications. Histoire relativement courte donc, que celle de ce processus de #racialisation qui advient avec la grande idée neuve de l’égalité naturelle des humains. Pensées entées l’une dans l’autre et en même temps immédiatement en conflit, comme en témoignent des écrits dès le 17e siècle et, parmi d’autres actes, les créations des « #sociétés_des_amis_des_noirs » au 18e siècle. Conflit en cours encore aujourd’hui, avec une acuité renouvelée qui doit moins surprendre que la persistance des réalités de l’#inégalité.
5Ce numéro 146 tisse de bien d’autres manières ce socle de notre présent. En proposant une synthèse documentée et ambitieuse des travaux en cours sur les renouvellements du projet social portés pour son temps et pour le nôtre par la révolution de 1848, conçue par Jérôme Lamy. En publiant une défense de l’#écriture_inclusive par Éliane Viennot et la présentation de son inscription dans le long combat des femmes par Héloïse Morel9. En suivant les analyses de la nouveauté des aspirations politiques qui s’expriment dans les « #têtes_de_cortège » étudiées par Hugo Melchior. En rappelant à travers expositions, films, romans de l’actualité, les violences de l’exploitation capitaliste du travail, les répressions féroces des forces socialistes, socialisantes, taxées de communistes en contexte de guerre froide, dans « les Cahiers recommandent ». En retrouvant Jack London et ses si suggestives évocations des appartenances de classes à travers le film « Martin Eden » de Pietro Marcello, et bien d’autres évocations, à travers livres, films, expositions, de ce social agi, modelé, remodelé par les luttes, les contradictions, plus ou moins explicites ou sourdes, plus ou moins violentes, qui font pour nous l’histoire vivante. Nouvelle étape de l’exploration du neuf inépuisable des configurations sociales (de) chaque numéro. Le prochain sera consacré à la fois à la puissance de l’Église catholique et aux normes sexuelles. Le suivant à un retour sur l’histoire du Parti communiste dans les moments où il fut neuf, il y a cent ans. À la suite, dans les méandres de ce social toujours en tension, inépuisable source de distance et de volonté de savoir. Pour tenter ensemble de maîtriser les fantômes du passé.
▻https://journals.openedition.org/chrhc/14393
#Intersectionnalité : une #introduction (par #Eric_Fassin)
Aujourd’hui, dans l’espace médiatico-politique, on attaque beaucoup l’intersectionnalité. Une fiche de poste a même été dépubliée sur le site du Ministère pour purger toute référence intersectionnelle. Dans le Manuel Indocile de Sciences Sociales (Copernic / La Découverte, 2019), avec Mara Viveros, nous avons publié une introduction à ce champ d’études. Pour ne pas laisser raconter n’importe quoi.
« Les féministes intersectionnelles, en rupture avec l’universalisme, revendiquent de ne pas se limiter à la lutte contre le sexisme. »
Marianne, « L’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », 12 au 18 avril 2019
Une médiatisation ambiguë
En France, l’intersectionnalité vient d’entrer dans les magazines. Dans Le Point, L’Obs ou Marianne, on rencontre non seulement l’idée, mais aussi le mot, et même des références savantes. Les lesbiennes noires auraient-elles pris le pouvoir, jusque dans les rédactions ? En réalité si les médias en parlent, c’est surtout pour dénoncer la montée en puissance, dans l’université et plus largement dans la société, d’un féminisme dit « intersectionnel », accusé d’importer le « communautarisme à l’américaine ». On assiste en effet au recyclage des articles du début des années 1990 contre le « politiquement correct » : « On ne peut plus rien dire ! » C’est le monde à l’envers, paraît-il : l’homme blanc hétérosexuel subirait désormais la « tyrannie des minorités ».
Faut-il le préciser ? Ce fantasme victimaire est démenti par l’expérience quotidienne. Pour se « rassurer », il n’y a qu’à regarder qui détient le pouvoir dans les médias et l’université, mais aussi dans l’économie ou la politique : les dominants d’hier ne sont pas les dominés d’aujourd’hui, et l’ordre ancien a encore de beaux jours devant lui. On fera plutôt l’hypothèse que cette réaction parfois virulente est le symptôme d’une inquiétude après la prise de conscience féministe de #MeToo, et les révélations sur le harcèlement sexiste, homophobe et raciste de la « Ligue du Lol » dans le petit monde des médias, et alors que les minorités raciales commencent (enfin) à se faire entendre dans l’espace public.
Il en va des attaques actuelles contre l’intersectionnalité comme des campagnes contre la (supposée) « théorie du genre » au début des années 2010. La médiatisation assure une forme de publicité à un lexique qui, dès lors, n’est plus confiné à l’univers de la recherche. La polémique a ainsi fait entrevoir les analyses intersectionnelles à un public plus large, qu’articles et émissions se bousculent désormais pour informer… ou le plus souvent mettre en garde. Il n’empêche : même les tribunes indignées qui livrent des noms ou les dossiers scandalisés qui dressent des listes contribuent, à rebours de leurs intentions, à établir des bibliographies et à populariser des programmes universitaires. En retour, le milieu des sciences sociales lui-même, en France après beaucoup d’autres pays, a fini par s’intéresser à l’intersectionnalité – et pas seulement pour s’en inquiéter : ce concept voyageur est une invitation à reconnaître, avec la pluralité des logiques de domination, la complexité du monde social.
Circulations internationales
On parle d’intersectionnalité un peu partout dans le monde – non seulement en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Amérique latine, en Afrique du Sud ou en Inde. Il est vrai que le mot vient des États-Unis : c’est #Kimberlé_Crenshaw qui l’utilise d’abord dans deux articles publiés dans des revues de droit au tournant des années 1990. Toutefois, la chose, c’est-à-dire la prise en compte des dominations multiples, n’a pas attendu le mot. Et il est vrai aussi que cette juriste afro-américaine s’inscrit dans la lignée d’un « #féminisme_noir » états-unien, qui dans les années 1980 met l’accent sur les aveuglements croisés du mouvement des droits civiques (au #genre) et du mouvement des femmes (à la #race).
Cependant, ces questions sont parallèlement soulevées, à la frontière entre l’anglais et l’espagnol, par des féministes « #chicanas » (comme #Cherríe_Moraga et #Gloria_Anzaldúa), dans une subculture que nourrit l’immigration mexicaine aux États-Unis ou même, dès les années 1960, au Brésil, au sein du Parti communiste ; des féministes brésiliennes (telles #Thereza_Santos, #Lélia_Gonzalez et #Sueli_Carneiro) développent aussi leurs analyses sur la triade « race-classe-genre ». Bref, la démarche intersectionnelle n’a pas attendu le mot intersectionnalité ; elle n’a pas une origine exclusivement états-unienne ; et nulle n’en a le monopole : ce n’est pas une « marque déposée ». Il faut donc toujours comprendre l’intersectionnalité en fonction des lieux et des moments où elle résonne.
En #France, c’est au milieu des années 2000 qu’on commence à parler d’intersectionnalité ; et c’est d’abord au sein des #études_de_genre. Pourquoi ? Un premier contexte, c’est la visibilité nouvelle de la « #question_raciale » au sein même de la « #question_sociale », avec les émeutes ou révoltes urbaines de 2005 : l’analyse en termes de classe n’était manifestement plus suffisante ; on commence alors à le comprendre, pour les sciences sociales, se vouloir aveugle à la couleur dans une société qu’elle obsède revient à s’aveugler au #racisme. Un second contexte a joué un rôle plus immédiat encore : 2004, c’est la loi sur les signes religieux à l’école. La question du « #voile_islamique » divise les féministes : la frontière entre « eux » et « nous » passe désormais, en priorité, par « elles ». Autrement dit, la différence de culture (en l’occurrence religieuse) devient une question de genre. L’intersectionnalité permet de parler de ces logiques multiples. Importer le concept revient à le traduire dans un contexte différent : en France, ce n’est plus, comme aux États-Unis, l’invisibilité des #femmes_noires à l’intersection entre féminisme et droits civiques ; c’est plutôt l’hypervisibilité des #femmes_voilées, au croisement entre #antisexisme et #antiracisme.
Circulations interdisciplinaires
La traduction d’une langue à une autre, et d’un contexte états-unien au français, fait apparaître une deuxième différence. Kimberlé Crenshaw est juriste ; sa réflexion porte sur les outils du #droit qu’elle utilise pour lutter contre la #discrimination. Or aux États-Unis, le droit identifie des catégories « suspectes » : le sexe et la race. Dans les pratiques sociales, leur utilisation, implicite ou explicite, est soumise à un examen « strict » pour lutter contre la discrimination. Cependant, on passe inévitablement de la catégorie conceptuelle au groupe social. En effet, l’intersectionnalité s’emploie à montrer que, non seulement une femme peut être discriminée en tant que femme, et un Noir en tant que Noir, mais aussi une femme noire en tant que telle. C’est donc seulement pour autant qu’elle est supposée relever d’un groupe sexuel ou racial que le droit peut reconnaître une personne victime d’un traitement discriminatoire en raison de son sexe ou de sa race. Toutefois, dans son principe, cette démarche juridique n’a rien d’identitaire : comme toujours pour les discriminations, le point de départ, c’est le traitement subi. Il serait donc absurde de reprendre ici les clichés français sur le « communautarisme américain » : l’intersectionnalité vise au contraire à lutter contre l’#assignation discriminatoire à un groupe (femmes, Noirs, ou autre).
En France, la logique est toute différente, dès lors que l’intersectionnalité est d’abord arrivée, via les études de genre, dans le champ des sciences sociales. La conséquence de cette translation disciplinaire, c’est qu’on n’a généralement pas affaire à des groupes. La sociologie s’intéresse davantage à des propriétés, qui peuvent fonctionner comme des variables. Bien sûr, on n’oublie pas la logique antidiscriminatoire pour autant : toutes choses égales par ailleurs (en l’occurrence dans une même classe sociale), on n’a pas le même salaire selon qu’on est blanc ou pas, ou la même retraite si l’on est homme ou femme. Il n’est donc pas ou plus possible de renvoyer toutes les explications à une détermination en dernière instance : toutes les #inégalités ne sont pas solubles dans la classe. C’est évident pour les femmes, qui appartiennent à toutes les classes ; mais on l’oublie parfois pour les personnes dites « non blanches », tant elles sont surreprésentées dans les classes populaires – mais n’est-ce pas justement, pour une part, l’effet de leur origine supposée ? Bien entendu, cela ne veut pas dire, à l’inverse, que la classe serait soluble dans une autre forme de #domination. En réalité, cela signifie simplement que les logiques peuvent se combiner.
L’intérêt scientifique (et politique) pour l’intersectionnalité est donc le signe d’une exigence de #complexité : il ne suffit pas d’analyser la classe pour en avoir fini avec les logiques de domination. C’est bien pourquoi les féministes n’ont pas attendu le concept d’intersectionnalité, ni sa traduction française, pour critiquer les explications monocausales. En France, par exemple, face au #marxisme, le #féminisme_matérialiste rejette de longue date cette logique, plus politique que scientifique, de l’« ennemi principal » (de classe), qui amène à occulter les autres formes de domination. En 1978, #Danièle_Kergoat interrogeait ainsi la neutralisation qui, effaçant l’inégalité entre les sexes, pose implicitement un signe d’égalité entre « ouvrières » et « ouvriers » : « La #sociologie_du_travail parle toujours des “#ouvriers” ou de la “#classe_ouvrière” sans faire aucune référence au #sexe des acteurs sociaux. Tout se passe comme si la place dans la production était un élément unificateur tel que faire partie de la classe ouvrière renvoyait à une série de comportements et d’attitudes relativement univoques (et cela, il faut le noter, est tout aussi vrai pour les sociologues se réclamant du #marxisme que pour les autres. »
Or, ce n’est évidemment pas le cas. Contre cette simplification, qui a pour effet d’invisibiliser les ouvrières, la sociologue féministe ne se contente pas d’ajouter une propriété sociale, le sexe, à la classe ; elle montre plus profondément ce qu’elle appelle leur #consubstantialité. On n’est pas d’un côté « ouvrier » et de l’autre « femme » ; être une #ouvrière, ce n’est pas la même chose qu’ouvrier – et c’est aussi différent d’être une bourgeoise. On pourrait dire de même : être une femme blanche ou noire, un garçon arabe ou pas, mais encore un gay de banlieue ou de centre-ville, ce n’est vraiment pas pareil !
Classe et race
Dans un essai sur le poids de l’#assignation_raciale dans l’expérience sociale, le philosophe #Cornel_West a raconté combien les taxis à New York refusaient de s’arrêter pour lui : il est noir. Son costume trois-pièces n’y fait rien (ni la couleur du chauffeur, d’ailleurs) : la classe n’efface pas la race – ou pour le dire plus précisément, le #privilège_de_classe ne suffit pas à abolir le stigmate de race. Au Brésil, comme l’a montré #Lélia_Gonzalez, pour une femme noire de classe moyenne, il ne suffit pas d’être « bien habillée » et « bien élevée » : les concierges continuent de leur imposer l’entrée de service, conformément aux consignes de patrons blancs, qui n’ont d’yeux que pour elles lors du carnaval… En France, un documentaire intitulé #Trop_noire_pour_être_française part d’une même prise de conscience : la réalisatrice #Isabelle_Boni-Claverie appartient à la grande bourgeoisie ; pourtant, exposée aux discriminations, elle aussi a fini par être rattrapée par sa couleur.
C’est tout l’intérêt d’étudier les classes moyennes (ou supérieures) de couleur. Premièrement, on voit mieux la logique propre de #racialisation, sans la rabattre aussitôt sur la classe. C’est justement parce que l’expérience de la bourgeoisie ne renvoie pas aux clichés habituels qui dissolvent les minorités dans les classes populaires. Deuxièmement, on est ainsi amené à repenser la classe : trop souvent, on réduit en effet ce concept à la réalité empirique des classes populaires – alors qu’il s’agit d’une logique théorique de #classement qui opère à tous les niveaux de la société. Troisièmement, ce sont souvent ces couches éduquées qui jouent un rôle important dans la constitution d’identités politiques minoritaires : les porte-parole ne proviennent que rarement des classes populaires, ou du moins sont plus favorisés culturellement.
L’articulation entre classe et race se joue par exemple autour du concept de #blanchité. Le terme est récent en français : c’est la traduction de l’anglais #whiteness, soit un champ d’études constitué non pas tant autour d’un groupe social empirique (les Blancs) que d’un questionnement théorique sur une #identification (la blanchité). Il ne s’agit donc pas de réifier les catégories majoritaires (non plus, évidemment, que minoritaires) ; au contraire, les études sur la blanchité montrent bien, pour reprendre un titre célèbre, « comment les Irlandais sont devenus blancs » : c’est le rappel que la « race » ne doit rien à la #biologie, mais tout aux #rapports_de_pouvoir qu’elle cristallise dans des contextes historiques. À nouveau se pose toutefois la question : la blanchité est-elle réservée aux Blancs pauvres, condamnés à s’identifier en tant que tels faute d’autres ressources ? On parle ainsi de « #salaire_de_la_blanchité » : le #privilège de ceux qui n’en ont pas… Ou bien ne convient-il pas de l’appréhender, non seulement comme une compensation, mais aussi et surtout comme un langage de pouvoir – y compris, bien sûr, chez les dominants ?
En particulier, si le regard « orientaliste » exotise l’autre et l’érotise en même temps, la #sexualisation n’est pas réservée aux populations noires ou arabes (en France), ou afro-américaines et hispaniques (comme aux États-Unis), bref racisées. En miroir, la #blanchité_sexuelle est une manière, pour les classes moyennes ou supérieures blanches, de s’affirmer « normales », donc de fixer la #norme, en particulier dans les projets d’#identité_nationale. Certes, depuis le monde colonial au moins, les minorités raciales sont toujours (indifféremment ou alternativement) hypo- – ou hyper- –sexualisées : pas assez ou bien trop, mais jamais comme il faut. Mais qu’en est-il des majoritaires ? Ils se contentent d’incarner la norme – soit d’ériger leurs pratiques et leurs représentations en normes ou pratiques légitimes. C’est bien pourquoi la blanchité peut être mobilisée dans des discours politiques, par exemple des chefs d’État (de la Colombie d’Álvaro Uribe aux États-Unis de Donald Trump), le plus souvent pour rappeler à l’ordre les minorités indociles. La « question sociale » n’a donc pas cédé la place à la « question raciale » ; mais la première ne peut plus servir à masquer la seconde. Au contraire, une « question » aide à repenser l’autre.
Les #contrôles_au_faciès
Regardons maintenant les contrôles policiers « au faciès », c’est-à-dire fondés sur l’#apparence. Une enquête quantitative du défenseur des droits, institution républicaine qui est chargée de défendre les citoyens face aux abus de l’État, a récemment démontré qu’il touche inégalement, non seulement selon les quartiers (les classes populaires), mais aussi en fonction de l’âge (les jeunes) et de l’apparence (les Arabes et les Noirs), et enfin du sexe (les garçons plus que les filles). Le résultat, c’est bien ce qu’on peut appeler « intersectionnalité ». Cependant, on voit ici que le croisement des logiques discriminatoires ne se résume pas à un cumul des handicaps : le sexe masculin fonctionne ici comme un #stigmate plutôt qu’un privilège. L’intersectionnalité est bien synonyme de complexité.
« Les jeunes de dix-huit-vingt-cinq ans déclarent ainsi sept fois plus de contrôles que l’ensemble de la population, et les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents (c’est-à-dire plus de cinq fois dans les cinq dernières années). Si l’on combine ces deux critères, 80 % des personnes correspondant au profil de “jeune homme perçu comme noir ou arabe” déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16 % pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité vingt fois plus élevée que les autres d’être contrôlés. »
Répétons-le : il n’y a rien d’identitaire dans cette démarche. D’ailleurs, la formulation du défenseur des droits dissipe toute ambiguïté : « perçus comme noirs ou arabes ». Autrement dit, c’est l’origine réelle ou supposée qui est en jeu. On peut être victime d’antisémitisme sans être juif – en raison d’un trait physique, d’un patronyme, ou même d’opinions politiques. Pour peu qu’on porte un prénom lié à l’islam, ou même qu’on ait l’air « d’origine maghrébine », musulman ou pas, on risque de subir l’#islamophobie. L’#homophobie frappe surtout les homosexuels, et plus largement les minorités sexuelles ; toutefois, un garçon réputé efféminé pourra y être confronté, quelle que soit sa sexualité.
Et c’est d’ailleurs selon la même logique qu’en France l’État a pu justifier les contrôles au faciès. Condamné en 2015 pour « faute lourde », il a fait appel ; sans remettre en cause les faits établis, l’État explique que la législation sur les étrangers suppose de contrôler « les personnes d’#apparence_étrangère », voire « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère ». Traiter des individus en raison de leur apparence, supposée renvoyer à une origine, à une nationalité, voire à l’irrégularité du séjour, c’est alimenter la confusion en racialisant la nationalité. On le comprend ainsi : être, c’est être perçu ; l’#identité n’existe pas indépendamment du regard des autres.
L’exemple des contrôles au faciès est important, non seulement pour celles et ceux qui les subissent, bien sûr, mais aussi pour la société tout entière : ils contribuent à la constitution d’identités fondées sur l’expérience commune de la discrimination. Les personnes racisées sont celles dont la #subjectivité se constitue dans ces incidents à répétition, qui finissent par tracer des frontières entre les #expériences minoritaires et majoritaires. Mais l’enjeu est aussi théorique : on voit ici que l’identité n’est pas première ; elle est la conséquence de #pratiques_sociales de #racialisation – y compris de pratiques d’État. Le racisme ne se réduit pas à l’#intention : le racisme en effet est défini par ses résultats – et d’abord sur les personnes concernées, assignées à la différence par la discrimination.
Le mot race
Les logiques de domination sont plurielles : il y a non seulement la classe, mais aussi le sexe et la race, ainsi que l’#âge ou le #handicap. Dans leur enchevêtrement, il est à chaque fois question, non pas seulement d’#inégalités, mais aussi de la #naturalisation de ces hiérarchies marquées dans les corps. Reste que c’est surtout l’articulation du sexe ou de la classe avec la race qui est au cœur des débats actuels sur l’intersectionnalité. Et l’on retrouve ici une singularité nationale : d’après l’ONU, les deux tiers des pays incluent dans leur recensement des questions sur la race, l’#ethnicité ou l’#origine_nationale. En France, il n’en est pas question – ce qui complique l’établissement de #statistiques « ethno-raciales » utilisées dans d’autre pays pour analyser les discriminations.
Mais il y a plus : c’est seulement en France que, pour lutter contre le racisme, on se mobilise régulièrement en vue de supprimer le mot race de la Constitution ; il n’y apparaît pourtant, depuis son préambule de 1946 rédigé en réaction au nazisme, que pour énoncer un principe antiraciste : « sans distinction de race ». C’est aujourd’hui une bataille qui divise selon qu’on se réclame d’un antiracisme dit « universaliste » ou « politique » : alors que le premier rejette le mot race, jugé indissociable du racisme, le second s’en empare comme d’une arme contre la #racialisation de la société. Ce qui se joue là, c’est la définition du racisme, selon qu’on met l’accent sur sa version idéologique (qui suppose l’intention, et passe par le mot), ou au contraire structurelle (que l’on mesure à ses effets, et qui impose de nommer la chose).
La bataille n’est pas cantonnée au champ politique ; elle s’étend au champ scientifique. Le racisme savant parlait naguère des races (au pluriel), soit une manière de mettre la science au service d’un #ordre_racial, comme dans le monde colonial. Dans la recherche antiraciste, il est aujourd’hui question de la race (au singulier) : non pas l’inventaire des populations, sur un critère biologique ou même culturel, mais l’analyse critique d’un mécanisme social qui assigne des individus à des groupes, et ces groupes à des positions hiérarchisées en raison de leur origine, de leur apparence, de leur religion, etc. Il n’est donc pas question de revenir aux élucubrations racistes sur les Aryens ou les Sémites ; en revanche, parler de la race, c’est se donner un vocabulaire pour voir ce qu’on ne veut pas voir : la #discrimination_raciste est aussi une #assignation_raciale. S’aveugler à la race ne revient-il pas à s’aveugler au racisme ?
Il ne faut donc pas s’y tromper : pour les sciences sociales actuelles, la race n’est pas un fait empirique ; c’est un concept qui permet de nommer le traitement inégal réservé à des individus et des groupes ainsi constitués comme différents. La réalité de la race n’est donc ni biologique ni culturelle ; elle est sociale, en ce qu’elle est définie par les effets de ces traitements, soit la racialisation de la société tout entière traversée par la logique raciale. On revient ici aux analyses classiques d’une féministe matérialiste, #Colette_Guillaumin : « C’est très exactement la réalité de la “race”. Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts. [...] Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non, certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. »
Morale de l’histoire
A-t-on raison de s’inquiéter d’un recul de l’#universalisme en France ? Les logiques identitaires sont-elles en train de gagner du terrain ? Sans nul doute : c’est bien ce qu’entraîne la racialisation de notre société. Encore ne faut-il pas confondre les causes et les effets, ni d’ailleurs le poison et l’antidote. En premier lieu, c’est l’#extrême_droite qui revendique explicitement le label identitaire : des États-Unis de Donald Trump au Brésil de Jair Bolsonaro, on assiste à la revanche de la #masculinité_blanche contre les #minorités_raciales et sexuelles. Ne nous y trompons pas : celles-ci sont donc les victimes, et non pas les coupables, de ce retour de bâton (ou backlash) qui vise à les remettre à leur place (dominée).
Deuxièmement, la #ségrégation_raciale que l’on peut aisément constater dans l’espace en prenant les transports en commun entre Paris et ses banlieues n’est pas le résultat d’un #communautarisme minoritaire. Pour le comprendre, il convient au contraire de prendre en compte un double phénomène : d’une part, la logique sociale que décrit l’expression #White_flight (les Blancs qui désertent les quartiers où sont reléguées les minorités raciales, anticipant sur la ségrégation que leurs choix individuels accélèrent…) ; d’autre part, les #politiques_publiques de la ville dont le terme #apartheid résume le résultat. Le #multiculturalisme_d’Etat, en Colombie, dessinerait une tout autre logique : les politiques publiques visent explicitement des identités culturelles au nom de la « #diversité », dont les mouvements sociaux peuvent s’emparer.
Troisièmement, se battre pour l’#égalité, et donc contre les discriminations, ce n’est pas renoncer à l’universalisme ; bien au contraire, c’est rejeter le #communautarisme_majoritaire. L’intersectionnalité n’est donc pas responsable au premier chef d’une #fragmentation_identitaire – pas davantage qu’une sociologie qui analyse les inégalités socio-économiques n’est la cause première de la lutte des classes. Pour les #sciences_sociales, c’est simplement se donner les outils nécessaires pour comprendre un monde traversé d’#inégalités multiples.
Quatrièmement, ce sont les #discours_publics qui opposent d’ordinaire la classe à la race (ou les ouvriers, présumés blancs, aux minorités raciales, comme si celles-ci n’appartenaient pas le plus souvent aux classes populaires), ou encore, comme l’avait bien montré #Christine_Delphy, l’#antisexisme à l’antiracisme (comme si les femmes de couleur n’étaient pas concernées par les deux). L’expérience de l’intersectionnalité, c’est au contraire, pour chaque personne, quels que soient son sexe, sa classe et sa couleur de peau, l’imbrication de propriétés qui finissent par définir, en effet, des #identités_complexes (plutôt que fragmentées) ; et c’est cela que les sciences sociales s’emploient aujourd’hui à appréhender.
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Ce texte écrit avec #Mara_Viveros_Vigoya, et publié en 2019 dans le Manuel indocile de sciences sociales (Fondation Copernic / La Découverte), peut être téléchargé ici : ▻https://static.mediapart.fr/files/2021/03/07/manuel-indocile-intersectionnalite.pdf
À lire :
Kimberlé Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur » Cahiers du Genre, n° 39, février 2005, p. 51-82
Défenseur des droits, Enquête sur l’accès aux droits, Relations police – population : le cas des contrôles d’identité, vol. 1, janvier 2017
Christine Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles Questions Féministes, vol. 25, janvier 2006, p. 59-83
Elsa Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, Paris, 2006
Elsa Dorlin, Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Presses universitaires de France, Paris, 2009
Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, La Découverte, Paris, 2009 [première édition : 2006]
Éric Fassin (dir.), « Les langages de l’intersectionnalité », Raisons politiques, n° 58, mai 2015
Éric Fassin, « Le mot race – 1. Cela existe. 2. Le mot et la chose », AOC, 10 au 11 avril 2019
Nacira Guénif-Souilamas et Éric Macé, Les féministes et le garçon arabe, L’Aube, Paris, 2004
Colette Guillaumin, « “Je sais bien mais quand même” ou les avatars de la notion de race », Le Genre humain, 1981, n° 1, p. 55-64
Danièle Kergoat, « Ouvriers = ouvrières ? », Se battre, disent-elles…, La Dispute, Paris, 2012, p. 9-62
Abdellali Hajjat et Silyane Larcher (dir.), « Intersectionnalité », Mouvements, 12 février 2019
Mara Viveros Vigoya, Les Couleurs de la masculinité. Expériences intersectionnelles et pratiques de pouvoir en Amérique latine, La Découverte, Paris, 2018
▻https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/050321/intersectionnalite-une-introduction#at_medium=custom7&at_campaign=10
#définition #invisibilisation #antiracisme_universaliste #antiracisme_politique #racisme_structurel
voir aussi ce fil de discussion sur l’intersectionnalité, avec pas mal de #ressources_pédagogiques :
▻https://seenthis.net/messages/796554
#Frédérique_Vidal annonce vouloir demander une #enquête au #CNRS sur l’#islamogauchisme à l’#université
Sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach dimanche 14 février, la ministre de la recherche et de l’#enseignement_supérieur, Frédérique Vidal, a fustigé, dans un flou le plus total et pendant 4 minutes 30 secondes, des chercheurs et chercheuses soupçonné·e·s d’islamogauchisme et a annoncé la commande au CNRS d’une enquête « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion. »
L’entame du sujet annonçait déjà la couleur : « Moi, je pense que l’#islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » affirme Frédérique Vidal.
Puis la ministre de la recherche continue tout de go, sans s’appuyer sur aucune étude scientifique ni même quoi que ce soit qui pourrait prouver ce qu’elle dit :
« Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des #idées_radicales ou des #idées_militantes de l’islamogauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de #diviser, de #fracturer, de #désigner_l’ennemi, etc… »
Mélange entre #biologie et #sociologie
Pour se prévaloir implicitement de son titre d’enseignante-chercheuse, la ministre effectue un mélange erroné entre biologie et sociologie en affirmant :
« En biologie, on sait depuis bien longtemps qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de #race et vous voyez à quel point je suis tranquille sur ce sujet là. »
Cette phrase est censée répondre à des chercheur·euse·s en #SHS qui ont fait le constat, non de l’existence de races humaines biologiques, mais de l’existence de #discriminations liées à des races perçues par la société.
#Confusionnisme sur les #libertés_académiques
La ministre continue ensuite un discours confusionniste en faisant croire que les chercheur·euse·s revendiquent le droit de chercher contre leurs collègues :
« Dans les universités, il y a une réaction de tout le milieu académique qui revendique le #droit_de_chercher, d’approfondir les connaissances librement et c’est nécessaire »
La plupart des chercheur·euse·s qui revendiquent ce droit, le font surtout en s’opposant à la droite sénatoriale qui voulait profiter de la Loi Recherche pour restreindre les libertés académiques (▻https://www.soundofscience.fr/2517) et à l’alliance LR/LREM lors de la commission paritaire de cette même loi qui a voulu pénaliser les mouvements étudiants (▻https://www.soundofscience.fr/2529), empêchée, au dernier moment, par le Conseil constitutionnel.
La ministre Frédérique Vidal semble faire un virage à 180° par rapport à sa position définie dans sa tribune publiée en octobre dernier par l’Opinion et titrée « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du #fanatisme » (►https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). Cette #contradiction entre deux positions de la ministre à trois mois et demi d’intervalle explique peut-être le confusionnisme qu’elle instaure dans son discours.
Alliance entre #Mao_Zedong et l’#Ayatollah_Khomeini
Mais ce n’est pas fini. #Jean-Pierre_Elkabbach, avec l’aplomb que chacun lui connaît depuis des décennies, affirme tranquillement, toujours sans aucune démarche scientifique :
« Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre #Mao Zedong et l’Ayatollah #Khomeini »
Loin d’être choquée par une telle comparaison, Frédérique Vidal acquiesce avec un sourire :
« Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela. »
C’est dans ce contexte là, que la ministre déclare :
« On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des #courants_de_recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion. »
La suite du passage n’est qu’accusations d’utilisations de titres universitaires non adéquates, ce que la ministre ne s’est pourtant pas privée de faire quelques minutes plus tôt et accusations de tentatives de #censure.
La ministre finit sa diatribe en appelant à défendre un « #principe_de_la_République » jamais clairement défini et proclame un curieux triptyque « #Danger, #vigilance et #action » qui ne ressemble pas vraiment au Républicain « Liberté, égalité, fraternité ».
►https://www.soundofscience.fr/2648
#Vidal #ESR #facs #France #séparatisme
–---
Fil de discussion sur ce fameux « séparatisme » :
►https://seenthis.net/messages/884291
Et l’origine dans la bouche de #Emmanuel_Macron (juin 2020) et #Marion_Maréchal-Le_Pen (janvier 2020) :
►https://seenthis.net/messages/884291
#Macron #Marion_Maréchal
En #France, les recherches sur la #question_raciale restent marginales
Avec des relents de maccarthysme, une violente campagne politico-médiatique s’est abattue sur les chercheurs travaillant sur les questions raciales ou l’#intersectionnalité en France, les accusant de nourrir le « #séparatisme ». Dans les faits, ces recherches sont pourtant dramatiquement marginalisées.
« L’université est une matrice intellectuelle, aujourd’hui traversée par des mouvements puissants et destructeurs qui s’appellent le #décolonialisme, le #racialisme, l’#indigénisme, l’intersectionnalité. » Lors de l’examen du projet de loi dit « séparatisme », à l’instar de la députée Les Républicains (LR) #Annie_Genevard, beaucoup d’élus se sont émus de cette nouvelle #menace pesant sur le monde académique.
Que se passe-t-il donc à l’université ? Alors que des étudiants font aujourd’hui la queue pour obtenir des denrées alimentaires et que certains se défenestrent de désespoir, la classe politique a longuement débattu la semaine dernière de « l’#entrisme » de ces courants intellectuels aux contours pour le moins flous.
Après les déclarations du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel #Blanquer en novembre dernier – au lendemain de l’assassinat de #Samuel_Paty, il avait dénoncé pêle-mêle les « #thèses_intersectionnelles » et « l’#islamo-gauchisme » qui auraient fourni, selon lui, « le terreau d’une fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes » –, Emmanuel #Macron a lui-même tancé, dans son discours des Mureaux (Yvelines), le discours « postcolonial », coupable, selon lui, de nourrir la haine de la République et le « séparatisme ».
À l’Assemblée, Annie Genevard a invité à se référer aux « travaux » du tout récent #Observatoire_du_décolonialisme qui a publié son manifeste dans un dossier spécial du Point, le 14 janvier. Appelant à la « riposte », les signataires – des universitaires pour l’essentiel très éloignés du champ qu’ils évoquent et pour une grande partie à la retraite – décrivent ainsi le péril qui pèserait sur le monde académique français. « Un #mouvement_militant entend y imposer une critique radicale des sociétés démocratiques, au nom d’un prétendu “#décolonialisme” et d’une “intersectionnalité” qui croit combattre les #inégalités en assignant chaque personne à des identités de “#race” et de #religion, de #sexe et de “#genre”. » « Nous appelons à mettre un terme à l’#embrigadement de la recherche et de la #transmission_des_savoirs », affirment-ils.
À Mediapart, une des figures de cette riposte, la sociologue de l’art #Nathalie_Heinich, explique ainsi que « nous assistons à la collusion des militants et des chercheurs autour d’une #conception_communautariste de la société ». Ces derniers mois, différents appels ont été publiés en ce sens, auxquels ont répondu d’autres appels. S’armant de son courage, Le Point a même, pour son dossier intitulé « Classe, race et genre à l’université », « infiltré une formation en sciences sociales à la Sorbonne, pour tenter de comprendre cette mutation ».
Derrière le bruit et la fureur de ces débats, de quoi parle-t-on ? Quelle est la place réelle des recherches sur les questions raciales ou mobilisant les concepts d’intersectionnalité à l’université française ? La première difficulté réside dans un certain flou de l’objet incriminé – les critiques mélangent ainsi dans un grand maelström #études_de_genre, #postcolonialisme, etc.
Pour ce qui est des recherches portant principalement sur les questions raciales, elles sont quantitativement très limitées. Lors d’un colloque qui s’est tenu à Sciences-Po le 6 mai 2020, Patrick Simon et Juliette Galonnier ont présenté les premiers résultats d’une étude ciblant une quinzaine de revues de sciences sociales. Les articles portant sur la « #race » – celle-ci étant entendue évidemment comme une construction sociale et non comme une donnée biologique, et comportant les termes habituellement utilisés par la théorie critique de la race, tels que « racisé », « #racisation », etc. – représentent de 1960 à 2020 seulement 2 % de la production.
La tendance est certes à une nette augmentation, mais dans des proportions très limitées, montrent-ils, puisque, entre 2015 et 2020, ils comptabilisent 68 articles, soit environ 3 % de l’ensemble de la production publiée dans ces revues.
Pour répondre à la critique souvent invoquée ces derniers temps, notamment dans le dernier livre de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, Race et sciences sociales (Agone), selon laquelle « race » et « genre » auraient pris le pas sur la « classe » dans les grilles d’analyses sociologiques, le sociologue #Abdellali_Hajjat a, de son côté, mené une recension des travaux de sciences sociales pour voir si la #classe était réellement détrônée au profit de la race ou du genre.
Ce qu’il observe concernant ces deux dernières variables, c’est qu’il y a eu en France un lent rééquilibrage théorique sur ces notions, soit un timide rattrapage. « Les concepts de genre et de race n’ont pas occulté le concept de classe mais ce qui était auparavant marginalisé ou invisibilisé est en train de devenir (plus ou moins) légitime dans les revues de sciences sociales », relève-t-il.
Plus difficile à cerner, et pourtant essentielle au débat : quelle est la place réelle des chercheurs travaillant sur la race dans le champ académique ? Dans un article publié en 2018 dans Mouvements, intitulé « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales française », la chercheuse #Inès_Bouzelmat montre, avec une importante base de données statistiques, que leur position reste très marginale et souligne qu’ils travaillent dans des laboratoires considérés comme périphériques ou moins prestigieux.
« Les travaux sur la question minoritaire, la racialisation ou le #postcolonial demeurent des domaines de “niche”, largement circonscrits à des revues et des espaces académiques propres, considérés comme des objets scientifiques à la légitimité discutable et bénéficiant d’une faible audience dans le champ académique comme dans l’espace public – à l’exception de quelques productions vulgarisées », note-t-elle soulignant toutefois qu’ils commencent, encore très prudemment, à se frayer un chemin. « Si la question raciale ne semble pas près de devenir un champ d’étude légitime, son institutionnalisation a bel et bien commencé. »
Un chemin vers la reconnaissance institutionnelle qu’ont déjà emprunté les études de genre dont la place – hormis par quelques groupuscules extrémistes – n’est plus vraiment contestée aujourd’hui dans le champ académique.
Deux ans plus tard, Inès Bouzelmat observe que « les études raciales sortent de leur niche et [que] c’est une bonne chose ». « Le sommaire de certaines revues en témoigne. Aujourd’hui, de plus en plus, la variable de race est mobilisée de manière naturelle, ce qui n’était vraiment pas le cas il y a encore dix ans », dit-elle.
Pour #Eric_Fassin, qui a beaucoup œuvré à la diffusion de ces travaux en France, « il y a une génération de chercheurs, ceux qui ont plus ou moins une quarantaine d’années, qui ne sursaute pas quand on utilise ces concepts ». « Il n’y a plus besoin, avec eux, de s’excuser pendant une demi-heure en expliquant qu’on ne parle pas de race au sens biologique. »
#Fabrice_Dhume, un sociologue qui a longtemps été très seul sur le terrain des #discriminations_systémiques, confirme : « Il y a eu toute une époque où ces travaux-là ne trouvaient pas leur place, où il était impossible de faire carrière en travaillant sur ce sujet. » Ceux qui travaillent sur la question raciale et ceux qui ont été pionniers sur ces sujets, dans un pays si réticent à interroger la part d’ombre de son « #universalisme_républicain », l’ont souvent payé très cher.
Les travaux de la sociologue #Colette_Guillaumin, autrice en 1972 de L’Idéologie raciste, genèse et langage actuel, et qui la première en France a étudié le #racisme_structurel et les #rapports_sociaux_de_race, ont longtemps été superbement ignorés par ses pairs.
« Travailler sur la race n’est certainement pas la meilleure façon de faire carrière », euphémise Éric Fassin, professeur à Paris VIII. Lui n’a guère envie de s’attarder sur son propre cas, mais au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, il a reçu des menaces de mort par un néonazi, condamné à quatre mois de prison avec sursis en décembre dernier. Il en avait déjà reçu à son domicile. Voilà pour le climat.
Lorsqu’on regarde les trajectoires de ceux qui se sont confrontés à ces sujets, difficile de ne pas voir les mille et un obstacles qu’ils ou elles ont souvent dû surmonter. Si la raréfaction des postes, et l’intense compétition qui en découle, invite à la prudence, comment ne pas s’étonner du fait que pratiquement toutes les carrières des chercheurs travaillant sur la race, l’intersectionnalité, soient aussi chaotiques ?
« La panique morale de tenants de la fausse opposition entre, d’un côté, les pseudo-“décoloniaux/postcoloniaux/racialistes” et, de l’autre, les pseudo-“universalistes” renvoie à une vision conspirationniste du monde de la recherche : les premiers seraient tout-puissants alors que la recherche qui semble être ciblée par ces vagues catégories est, globalement, tenue dans les marges », affirme le sociologue #Abdellali_Hajjat.
Le parcours de ce pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’#islamophobie comme nouvelle forme de #racisme, ne peut là aussi qu’interroger. Recruté en 2010 à l’université Paris-Nanterre, avant d’avoir commencé à travailler la question de l’islamophobie, il a fini par quitter l’université française en 2019 après avoir fait l’expérience d’un climat de plus en plus hostile à ses travaux.
« On ne mesure pas encore les effets des attentats terroristes de 2015 sur le champ intellectuel. Depuis 2015, on n’est plus dans la #disputatio académique. On est même passés au-delà du stade des obstacles à la recherche ou des critiques classiques de tout travail de recherche. On est plutôt passés au stade de la #censure et de l’établissement de “listes” d’universitaires à bannir », explique-t-il, égrenant la #liste des colloques sur l’islamophobie, l’intersectionnalité ou le racisme annulés ou menacés d’annulation, les demandes de financements refusées, etc.
En 2016, il fait l’objet d’une accusation d’antisémitisme sur la liste de diffusion de l’#ANCMSP (#Association_nationale_des_candidats_aux_métiers_de_la_science_politique) en étant comparé à Dieudonné et à Houria Bouteldja. Certains universitaires l’accusent, par exemple, d’avoir participé en 2015 à un colloque sur les luttes de l’immigration à l’université Paris-Diderot, où étaient aussi invités des représentants du Parti des indigènes de la République. Qu’importe que ce chercheur n’ait aucun rapport avec ce mouvement et que ce dernier l’attaque publiquement depuis 2008… « Je suis devenu un indigéniste, dit-il en souriant. Pour moi, c’est une forme de racisme puisque, sans aucun lien avec la réalité de mes travaux, cela revient à m’assigner à une identité du musulman antisémite. »
Abdellali Hajjat travaille aujourd’hui à l’Université libre de Bruxelles. « Lorsque l’on va à l’étranger, on se rend compte que, contrairement au monde académique français, l’on n’a pas constamment à se battre sur la #légitimité du champ des études sur les questions raciales ou l’islamophobie. Sachant bien que ce n’est pas satisfaisant d’un point de vue collectif, la solution que j’ai trouvée pour poursuivre mes recherches est l’exil », raconte-t-il.
« Moi, j’ai choisi de m’autocensurer »
#Fabrice_Dhume, qui mène depuis plus de 15 ans des recherches aussi originales que précieuses sur les #discriminations_raciales, notamment dans le milieu scolaire, a lui aussi un parcours assez révélateur. Après des années de statut précaire, jonglant avec des financements divers, celui qui a été un temps maître de conférences associé à Paris-Diderot, c’est-à-dire pas titulaire, est aujourd’hui redevenu « free lance ».
Malgré la grande qualité de ses travaux, la sociologue #Sarah_Mazouz, autrice de Race (Anamosa, 2020) a, elle, enchaîné les post-doctorats, avant d’être finalement recrutée comme chargée de recherche au CNRS.
Autrice d’une thèse remarquée en 2015, intitulée Lesbiennes de l’immigration. Construction de soi et relations familiales, publiée aux éditions du Croquant en 2018, #Salima_Amari n’a toujours pas trouvé de poste en France et est aujourd’hui chargée de cours à Lausanne (Suisse). Beaucoup de chercheurs nous ont cité le cas d’étudiants prometteurs préférant quitter l’Hexagone, à l’image de #Joao_Gabriel, qui travaille sur les questions raciales et le colonialisme, et qui poursuit aujourd’hui ses études à Baltimore (États-Unis).
Derrière ces parcours semés d’obstacles, combien surtout se sont découragés ? Inès Bouzelmat a choisi de se réorienter, raconte-t-elle, lucide sur le peu de perspectives que lui ouvraient l’université et la recherche françaises.
Certains adoptent une autre stratégie, elle aussi coûteuse. « Moi, j’ai choisi de m’autocensurer », nous raconte une chercheuse qui ne veut pas être citée car elle est encore en recherche de poste. « Dans ma thèse, je n’utilise jamais le mot “race”, je parle “d’origines”, de personnes “issues de l’immigration”… Alors que cela m’aurait été très utile de parler des rapports sociaux de race. Même le terme “intersectionnalité” – qui consiste simplement à réfléchir ensemble classe-race et genre –, je me le suis interdit. Je préfère parler “d’imbrication des rapports sociaux”. Cela revient au même, mais c’est moins immédiatement clivant », nous confie cette sociologue. « Le pire, c’est parler de “#Blancs”… Là, c’est carrément impossible ! Alors je dis “les Franco-Français”, ce qui n’est pas satisfaisant », s’amuse-t-elle.
« Oui, il y a eu des générations d’étudiants découragés de travailler sur ces thématiques. On leur a dit : “Tu vas te griller !”… Déjà qu’il est très dur de trouver un poste mais alors si c’est pour, en plus, être face à une institution qui ne cesse de disqualifier votre objet, cela devient compliqué ! », raconte le socio-démographe Patrick Simon, qui dirige le projet Global Race de l’Agence nationale pour la recherche (ANR).
La #double_peine des #chercheurs_racisés
L’accès au financement lorsqu’on traite de la « race » est particulièrement ardu, l’important projet de Patrick Simon représentant, à cet égard, une récente exception. « On m’a accusé d’être financé par la French American Fondation : c’est faux. Mes recherches ont bénéficié exclusivement de financements publics – et ils sont plutôt rares dans nos domaines », indique Éric Fassin.
« Il est difficile d’obtenir des financements pour des travaux portant explicitement sur les rapports sociaux de race. Concernant le genre, c’est désormais beaucoup plus admis. Travailler sur les rapports sociaux de race reste clivant, et souvent moins pris au sérieux. On va soupçonner systématiquement les chercheurs de parti-pris militant », affirme la sociologue Amélie Le Renard, qui se définit comme défendant une approche féministe et postcoloniale dans sa recherche. « Nous avons aussi du mal à accéder aux grandes maisons d’édition, ce qui contribue à renforcer la hiérarchisation sociale des chercheurs », ajoute-t-elle.
▻https://www.youtube.com/watch?v=spfIKVjGkEo&feature=emb_logo
Certains se tournent donc vers des #maisons_d’édition « militantes », ce qui, dans un milieu universitaire très concurrentiel, n’a pas du tout le même prestige… Et alimente le cercle vicieux de la #marginalisation de ces travaux comme leur procès en « #militantisme ».
Pourquoi les signataires des différentes tribunes s’inquiétant d’un raz-de-marée d’universitaires travaillant sur la race, l’intersectionnalité, se sentent-ils donc assaillis, alors que factuellement ces chercheurs sont peu nombreux et pour la plupart largement marginalisés ?
« J’ai tendance à analyser ces débats en termes de rapports sociaux. Quel est le groupe qui n’a pas intérêt à ce qu’émergent ces questions ? Ce sont ceux qui ne sont pas exposés au racisme, me semble-t-il », avance le sociologue Fabrice Dhume, pour qui les cris d’orfraie de ceux qui s’insurgent de l’émergence – timide – de ces sujets visent à faire taire des acteurs qui risqueraient d’interroger trop frontalement le fonctionnement de l’institution elle-même et son propre rapport à la racisation. « Dans ce débat, il s’agit soit de réduire ceux qui parlent au silence, soit de noyer leur parole par le bruit », affirme-t-il.
« Il y a aussi une hiérarchie implicite : tant que ces recherches étaient cantonnées à Paris VIII, “chez les indigènes”, cela ne faisait peur à personne, mais qu’elles commencent à en sortir… », s’agace-t-il, en référence à une université historiquement marquée à gauche et fréquentée par beaucoup d’étudiants issus de l’immigration ou étrangers.
Dans ce paysage, les chercheurs eux-mêmes racisés et travaillant sur les discriminations raciales subissent souvent une forme de double peine. « Ils sont soupçonnés d’être trop proches de leur objet. Comme si Bourdieu n’avait pas construit tout son parcours intellectuel autour de questions qui le concernent directement, lui, le fils de paysans », souligne Patrick Simon.
La sociologue #Rachida_Brahim, autrice de La Race tue deux fois (Syllepse, 2021), raconte comment, lors de sa soutenance de doctorat, son directeur de thèse, Laurent Mucchielli, et le président du jury, Stéphane Beaud, lui ont expliqué qu’en allant sur le terrain racial, elle était « hors sujet ». « Le fait que je sois moi-même d’origine algérienne m’aurait empêchée de prendre de la distance avec mon sujet », écrit-elle.
Au cours de notre enquête, nous avons recueilli plusieurs témoignages en ce sens de la part de chercheurs et singulièrement de chercheuses qui, pour être restés dans l’institution, ne souhaitent pas citer nommément leur cas (voir notre Boîte noire). « Ce sont des petites remarques, une façon insistante de vous demander de vous situer par rapport à votre sujet de recherche », raconte une chercheuse.
De la même manière que les féministes ont longtemps dû répondre à l’accusation de confondre militantisme et sciences au sein des études de genres, les chercheurs racisés osant s’aventurer sur un terrain aussi miné que le « racisme systémique » doivent constamment montrer des gages de leur #objectivité et de leur #rigueur_scientifique.
« Le procès en militantisme est un lieu commun de la manière dont ces travaux ont été disqualifiés. C’est la façon de traiter l’objet qui définit le clivage entre ce qui est militant et ce qui est académique. Sont en réalité qualifiés de “militants” les travaux qui entrent par effraction dans un champ qui ne reconnaît pas la légitimité de l’objet », analyse Patrick Simon.
Comme les études de genre ont massivement été portées par des femmes, les questions raciales intéressent particulièrement ceux qui ont eu à connaître de près le racisme. Ce qui n’est pas, manifestement, sans inquiéter un monde universitaire encore ultra-majoritairement blanc. « Les chercheurs assignés à des identités minoritaires sont souvent discrédités au prétexte qu’ils seraient trop proches de leur sujet d’étude ; en miroir, la figure du chercheur homme blanc est, de manière implicite, considérée comme neutre et les effets sur l’enquête et l’analyse d’une position dominante dans plusieurs rapports sociaux sont rarement interrogés », souligne de son côté Amélie Le Renard.
« Il y a eu des générations de chercheurs qui n’ont pas réussi à trouver leur place dans l’institution. Ce qui est intéressant, c’est que certains commencent à émerger et qu’ils appartiennent à des minorités. Et c’est à ce moment-là que des universitaires s’élèvent pour dire “ça suffit, c’est déjà trop”, alors qu’ils devraient dire “enfin !” », insiste Éric Fassin.
Depuis quelques mois, et le tragique assassinat de Samuel Paty par un islamiste, les attaques à l’encontre de ces chercheurs ont pris un tour plus violent. Ceux qui travaillent sur l’islamophobie s’y sont presque habitués, mais c’est désormais tous ceux qui travaillent sur les discriminations ethno-raciales, la #colonisation, qui sont accusés d’entretenir un #esprit_victimaire et une rancœur à l’égard de l’État français qui armerait le terrorisme.
« Quand le ministre de l’éducation nationale vous associe à des idéologues qui outillent intellectuellement les terroristes, c’est très violent », affirme une chercheuse qui a particulièrement travaillé sur la question de l’islamophobie et a, dans certains articles, été qualifiée de « décoloniale ».
« Les termes employés sont intéressants. Qu’est-ce qu’on sous-entend quand on dit que les “décoloniaux infiltrent l’université” ou qu’on reprend le terme d’“entrisme” ? Cela dit que je n’y ai pas ma place. Alors que je suis pourtant un pur produit de l’université », analyse cette maîtresse de conférences d’origine maghrébine, qui ne souhaite plus intervenir dans les médias pour ne pas subir une campagne de dénigrement comme elle en a déjà connu. « C’est terrible parce qu’au fond, ils arrivent à nous réduire au #silence », ajoute-t-elle en référence à ceux qui demandent que le monde académique construise des digues pour les protéger.
Le grand paradoxe est aussi l’immense intérêt des étudiants pour ces thématiques encore peu représentées dans l’institution. En attendant, l’université semble organiser – avec le soutien explicite du sommet de l’État – sa propre cécité sur les questions raciales. Comme si la France pouvait vraiment se payer encore longtemps le luxe d’un tel #aveuglement.
▻https://www.mediapart.fr/journal/france/080221/en-france-les-recherches-sur-la-question-raciale-restent-marginales?onglet
#recherche #université #auto-censure #autocensure #assignation_à_identité #neutralité #décolonial
BALLAST | Rachida Brahim : « Mettre en lumière les crimes racistes, c’est nettoyer nos maisons »
▻https://www.revue-ballast.fr/rachida-brahim-mettre-en-lumiere-les-crimes-racistes-cest-nettoyer-nos
Durant sept ans, #Rachida_Brahim, docteure en sociologie, a examiné 731 #crimes_racistes — des attaques ou des meurtres commis de 1970 à 1997, en France continentale. Ce minutieux travail d’enquête est devenu un livre, La Race tue deux fois : il vient de paraître aux éditions Syllepse. La notion de « #classe » révèle l’ordre hiérarchique socio-économique qui architecture l’ensemble de la société ; celle de « genre » met au jour les rapports sociaux à l’œuvre entre les sexes ; celle de « race » explique, en tant que construction historique, les #inégalités, #discriminations et procédés déshumanisants qui frappent les groupes minoritaires. Penser la façon dont les trois s’entrelacent porte un nom bien connu dans les mondes militants et académiques : l’#intersectionnalité — un nom que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a, tout à son intelligence, récemment assimilé aux « intérêts des islamistes ». Pour comprendre l’histoire des crimes racistes et l’impunité dont leurs auteurs continuent de bénéficier, Rachida Brahim est formelle : il faut questionner les logiques raciales propres à notre ordre social. Nous l’avons rencontrée.
]]>Le #Racialisme, stade suprême de la décomposition néolibérale – par #Eric_Juillot
▻https://www.les-crises.fr/le-racialisme-stade-supreme-de-la-decomposition-neoliberale-par-eric-juil
Emmanuel Macron a récemment apporté sa contribution à la racialisation des rapports sociaux. Dans un entretien accordé en décembre dernier à l’Express[1], interrogé sur la notion de « privilège blanc », il a en effet déclaré : « C’est un fait. On ne le choisit pas, je ne l’ai pas choisi. Mais je constate que, dans notre société, […]
#Politique #Emmanuel_Macron #Politique,_Emmanuel_Macron,_Eric_Juillot,_Racialisme
Que répondre à celles et ceux que gêne le mot race ?
Les races n’existent pas : bien-sûr ! Faut-il donc renoncer au mot ? Sarah Mazouz répond pas la négative, car si les races n’existent pas, les manifestations du #racisme sont toujours là, et partout : #inégalités et #préjugés, commentateurs d’extrême-droite invités sur les grandes chaînes télé, petites blagues du quotidien, #violences physiques et symboliques, et plus largement encore une #discrimination massive au travail, au logement, et dans toutes les sphères de la vie sociale. Avec pédagogie, l’auteure explique l’importance du mot « Race », et pourquoi il peut et doit être utilisé dans un tout autre sens que son acception raciste. Surtout, elle dévoile ce qui se niche derrière le refus obstiné – et prétendument antiraciste – d’utiliser le mot : un déni persistant de parler d’un #rapport_de_pouvoir, doublé d’une ignorance regrettable de la multitude des travaux existants. Parce qu’il est clair, limpide, aussi utile que percutant, nous recommandons vivement la lecture de ce livre, dont voici un extrait.
Une scène se répète souvent. Lors de journées d’études ou de séminaires portant sur la #question_raciale ou sur les auteurs·trices spécialistes de ces questions dans le monde anglophone ou en France, il se trouve quasiment toujours une personne dans le public pour faire la remarque suivante : en France, on n’utilise pas le terme de race. Il ne peut pas être utilisé comme notion servant l’analyse scientifique parce qu’elle appartient au lexique raciste. L’utiliser, c’est croire que les races existent, donc se laisser confondre avec les tenant·e·s d’une idéologie qui prône une hiérarchie naturelle entre les groupes humains.
Passé la lassitude de devoir répondre régulièrement à cette question, on finit par le faire. Parce que la pédagogie est faite de répétition. Parce qu’il est toujours bon de lever le malentendu. Aussi, parce que la résistance à l’usage de cette notion dit quelque chose de son histoire, de la nécessité d’explicitation qui doit, par conséquent, en régler l’emploi et tout simplement de la manière dont, précisément, les processus de #racialisation jouent dans ce que l’on admet ou non, dans ce que l’on sait ou ignore.
On souligne alors l’idéalisme qu’il y a à croire que le problème peut être réglé par la seule suppression du mot et le #déni qui consiste à considérer l’#évitement comme la solution. On s’attache à rappeler que pour les personnes soumises aux catégorisations racialisantes, l’expérience de l’assignation ou des discriminations raciales qui peuvent en découler est quotidienne (que le mot « race » soit utilisé ou non). On peut ajouter que les #discours_racistes n’ont pas besoin du mot de race pour inférioriser les membres des groupes qu’ils visent.
C’est le cas par exemple de l’adjectif « #ethnique », qui est souvent conçu comme une manière acceptable de qualifier les processus qui relèvent, en fait, des logiques de racialisation sans avoir à utiliser les termes de race, de racialisation ou de #racisation, comme si le terme en lui-même permettait de prémunir du geste d’#essentialisation et d’#assignation_racialisante. On peut dire « #ethnie » et penser « race » dans l’acception raciste du terme. C’est le cas, par exemple de certains textes de #Maurice_Barrès où l’écrivain antisémite parle du « nez ethnique » du capitaine Dreyfus.
À l’instar de ce que l’universitaire britannique Satnam Vidree a fait lors d’une conférence consacrée aux rapports entre « Gauche et Race », organisé le 15 octobre 2019 au CERI (Science Po), on peut également inviter notre interlocutrice ou interlocuteur à considérer les logiques de racialisation comme un #fait_social avec lequel il faut travailler, qu’elles s’incarnent dans le #racisme_explicite ou qu’elles se manifestent insidieusement et de manière sédimentée dans nos catégories de #perception même les plus anodines.
On peut parfois ajouter que l’#inconfort suscité par la notion de race recèle quelque chose de salutaire en ce qu’il nous empêche de croire que la question est classée et qu’il nous rappelle dans quelle(s) filiation(s) historique(s) des discours, des gestes mais aussi des choix politiques, des pratiques administratives ou des décisions juridiques peuvent continuer de s’inscrire.
On peut également inviter à rompre avec cette #fétichisation du terme « race » en rappelant que la notion de classe a acquis sa dimension critique grâce aux travaux des penseurs socialistes et en particulier grâce à Marx. Mais avant de devenir l’instrument théorique et politique mettant en lumière l’appropriation et l’exploitation dont les membres de la classe ouvrière faisaient l’objet et servant, par le concept de lutte des classes, à analyser la structuration conflictuelle du capitalisme tout en réfléchissant à la possibilité de son dépassement, la #classe a servi une lecture naturalisée des rapports sociaux au service de l’aristocratie et de la bourgeoisie. On peut d’ailleurs à ce titre ajouter qu’une des leçons du marxisme est de rappeler le sens historique et social des concepts et que les sens et les usages qu’on en fait évoluent et sont à historiciser.
Certain·es pourront expliquer la persistance du #malentendu en reprochant aux tenant·es d’une démarche critique de la race d’utiliser le même terme que celles et ceux qu’ils souhaitent combattre. L’idée est dans ce cas que les choses seraient plus claires si un mot différent que celui de race permettait de désigner le rapport de pouvoir que les travaux critiques désignent par la notion de race. À cette objection, on peut déjà répondre que « racialisation » et « racisation » ne font pas partie du lexique utilisé par les textes et les auteurs racistes et qu’ils ont bel et bien été inventés pour désigner les processus sociaux de production des hiérarchies raciales.
Par ailleurs, faire cette critique, c’est une fois de plus se placer sur le seul plan lexical et faire comme si le problème tenait au mot (y avoir recours produirait le racisme, l’ôter réglerait le problème, en utiliser un autre éviterait le malentendu) et non au rejet de l’exigence de reconnaissance d’un phénomène social auquel le concept invite.
Le débat tel qu’il se configure actuellement en France et les crispations qu’il donne à voir porte en fait précisément sur le fait de dire et d’accepter que la société française racialise. On pourrait utiliser un terme qui n’a rien à voir avec celui de race mais auquel on donnerait le contenu conceptuel de la notion critique de race, on assisterait malgré tout aux mêmes levées de boucliers. En ce sens, le problème n’est pas tant celui de l’équivoque lexicale du terme « race », que celui de la résistance politique au concept de racialisation ou de racisation.
De même, je ne pense pas que transposer au contexte français la proposition faite par le philosophe africain-américain Michael O. Hardimon dans Rethinking Race. The Case of Deflationary Realism (2017) d’utiliser le concept de « #socialrace » mettrait fin à ce type de malentendu ou aux attaques plus violentes auxquelles on peut faire face quand on utilise la notion de race de manière critique. D’abord, sans doute que certain·e·s profiteraient de la façon dont ce mot-valise a été construit pour objecter que le fait de préciser « social » laisse entendre qu’on accepte d’autres conceptions de la notion de race. Ensuite, il me semble que les analyses proposées par le philosophe pour éviter les écueils posés par la #polysémie de la notion de race, pour métaphysiques qu’elles soient, tiennent en fait beaucoup à la façon dont le concept de race est utilisé dans le contexte états-unien. Son point de départ pour examiner les formalisations possibles du concept de race est un contexte où l’usage du terme est admis, courant et peut, de ce fait, être plus vague. D’où l’objectif de Hardimon de préciser différents sens du concept de race tout en s’attachant à limiter et à cerner le sens de l’énoncé « la race existe » – ce qu’il signifie en parlant de #réalisme_déflationniste, c’est-à-dire admettre que le concept critique de race désigne des phénomènes réels tout en limitant les cas auxquels il s’applique.
Le cas français obéit à une chronologie différente. Pendant longtemps, le terme ne pouvait s’utiliser comme un concept décrivant un rapport de pouvoir socialement produit. Puis, il a été progressivement introduit en ce sens et c’est sur cet usage-là que les polémiques et les critiques se concentrent aujourd’hui. Transposé au contexte français, le choix de forger le mot-valise « socialrace » n’offrirait pas en fait une solution préférable à celle qui consiste à expliquer en quel sens on fait usage de la notion de race ou à utiliser les notions de racialisation ou de racisation.
Parce que, pour le moment, il n’y a pas d’autres usages explicites de la notion de race disponibles dans les discours publics. Ensuite, parce que, au risque de me répéter, c’est bien la mise en évidence des processus de racialisation qui pose problème à celles et ceux qui s’en prennent aux travaux critiques de la race.
Les attaques qui portent sur le choix du mot « race » ne doivent pas nous tromper. Si elles jouent de l’aubaine que constitue l’histoire de ce mot, elles se concentrent en fait précisément sur le concept critique de race, entendu donc comme processus social de racialisation ou de racisation.
Enfin si la question n’était qu’un problème de mécompréhension de ce que l’on entend par race, la vindicte aurait cessé à partir du moment où les explications ont été données, sans que nous ayons à revenir constamment sur ce que la notion critique de race signifie ou sur ce que « racialiser » veut dire.
►https://lmsi.net/Que-repondre-a-celles-et-ceux-que-gene-le-mot-race
#race #racisme #mots #vocabulaire #terminologie...
Et évidemment, là, aujourd’hui en France, #séparatisme
#Sarah_Mazouz
#historicisation #ressources_pédagogiques
aussi signalé ici :
▻https://seenthis.net/messages/897162
What is racial capitalism? | Arun Kundnani
▻https://www.kundnani.org/what-is-racial-capitalism
What is racial capitalism?
Arun Kundnani / October 23, 2020
Text of a talk by Arun Kundnani at the Havens Wright Center for Social Justice, University of Wisconsin-Madison, October 15, 2020
Blessing Ngobeni, A Note From ErrorBlessing Ngobeni, “A Note From Error”
In recent years, the term “racial capitalism” has proliferated among scholars and activists. Articles in places such as New Yorker and Vox have introduced the term to a wide readership. The term is beginning to carry institutional weight in the academy, with a plethora of research initiatives emerging in recent years, and funding from the Mellon Foundation. But we are still in the process of clarifying what we might mean by “racial capitalism.” Go, for example, to the website of the Research Initiative on Racial Capitalism at UC Davis and click on the link for “What is racial capitalism?” and you arrive at a blank page.
]]>Communiqué de presse :
Avec @damienabad, nous demandons au président de l’Assemblée nationale de créer une mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires.
▻https://twitter.com/JulienAubert84/status/1331588699264479233
#cancel_culture #dérives_intellectuelles_idéologiques #mission_d'information #culture_de_l'annulation #ostracisation
–-> on y parle aussi #toponymie_politique...
–—
Ajouté à ce fil de discussion dédié :
►https://seenthis.net/messages/884291
Qui est complice de qui ? Les #libertés_académiques en péril
Professeur, me voici aujourd’hui menacé de décapitation. L’offensive contre les musulmans se prolonge par des attaques contre la #pensée_critique, taxée d’islamo-gauchisme. Celles-ci se répandent, des réseaux sociaux au ministre de l’Éducation, des magazines au Président de la République, pour déboucher aujourd’hui sur une remise en cause des libertés académiques… au nom de la #liberté_d’expression !
Je suis professeur. Le 16 octobre, un professeur est décapité. Le lendemain, je reçois cette menace sur Twitter : « Je vous ai mis sur ma liste des connards à décapiter pour le jour où ça pétera. Cette liste est longue mais patience : vous y passerez. »
C’est en réponse à mon tweet (▻https://twitter.com/EricFassin/status/1317246862093680640) reprenant un billet de blog publié après les attentats de novembre 2015 (▻https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/161115/nous-ne-saurions-vouloir-ce-que-veulent-nos-ennemis) : « Pour combattre le #terrorisme, il ne suffit pas (même s’il est nécessaire) de lutter contre les terroristes. Il faut surtout démontrer que leurs actes sont inefficaces, et donc qu’ils ne parviennent pas à nous imposer une politique en réaction. » Bref, « nous ne saurions vouloir ce que veulent nos ennemis » : si les terroristes cherchent à provoquer un « conflit des civilisations », nous devons à tout prix éviter de tomber dans leur piège.
Ce n’est pas la première fois que je reçois des #menaces_de_mort. Sur les réseaux sociaux, depuis des années, des trolls me harcèlent : les #insultes sont quotidiennes ; les menaces, occasionnelles. En 2013, pour Noël, j’ai reçu chez moi une #lettre_anonyme. Elle recopiait des articles islamophobes accusant la gauche de « trahison » et reproduisaient un tract de la Résistance ; sous une potence, ces mots : « où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, les traîtres seront châtiés. » Je l’analysais dans Libération (▻https://www.liberation.fr/societe/2014/01/17/le-nom-et-l-adresse_973667) : « Voilà ce que me signifie le courrier reçu à la maison : on sait où tu habites et, le moment venu, on saura te trouver. » J’ajoutais toutefois : « l’#extrême_droite continue d’avancer masquée, elle n’ose pas encore dire son nom. » Or ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les menaces sont signées d’une figure connue de la mouvance néonazie. J’ai donc porté #plainte. C’est en tant qu’#universitaire que je suis visé ; mon #université m’accorde d’ailleurs la #protection_fonctionnelle.
Ainsi, les extrêmes droites s’enhardissent. Le 29 octobre, l’#Action_française déploie impunément une banderole place de la Concorde : « Décapitons la République ! »
C’est quelques heures après un nouvel attentat islamiste à Nice, mais aussi après une tentative néofasciste avortée en Avignon. Avant d’être abattu, l’homme a menacé d’une arme de poing un commerçant maghrébin. Il se réclamait de #Génération_identitaire, dont il portait la veste avec le logo « #Defend_Europe », justifiant les actions du groupe en Méditerranée ou à la frontière franco-italienne ; un témoin a même parlé de #salut_nazi (▻https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/vaucluse/avignon/avignon-homme-arme-couteau-abattu-policiers-1889172.htm). Le procureur de la République se veut pourtant rassurant : « c’est un Français, né en France, qui n’a rien à voir avec la religion musulmane ». Et de conclure : « nous avons plus affaire à un #déséquilibré, qui semble proche de l’extrême droite et a fait des séjours en psychiatrie. Il n’y a pas de revendication ». « Comme dans le cas de l’attentat de la mosquée de Bayonne perpétré par un ancien candidat FN en octobre 2019 » (▻https://www.mediapart.fr/journal/france/281019/attentat-bayonne-l-ex-candidat-fn-en-garde-vue?onglet=full), note Mediapart, « le parquet national antiterroriste n’a pas voulu se saisir de l’affaire ». Ce fasciste était un fou, nous dit-on, pas un terroriste islamiste : l’attaque d’Avignon est donc passée presque inaperçue.
Si les #Identitaires se pensent aux portes du pouvoir, c’est aussi que certains médias ont préparé le terrain. En une, l’#islamophobie y alterne avec la dénonciation des universitaires antiracistes (j’y suis régulièrement pointé du doigt) (▻https://www.lepoint.fr/politique/ces-ideologues-qui-poussent-a-la-guerre-civile-29-11-2018-2275275_20.php). Plus grave encore, l’extrême droite se sent encouragée par nos gouvernants. Le président de la République lui-même, qui a choisi il y a un an de parler #communautarisme, #islam et #immigration dans #Valeurs_actuelles, s’inspire des réseaux sociaux et des magazines. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. » Selon Le Monde du 10 juin 2020, Emmanuel Macron vise ici les « discours racisés (sic) ou sur l’intersectionnalité. » Dans Les Inrocks (►https://www.lesinrocks.com/2020/06/12/idees/idees/eric-fassin-le-president-de-la-republique-attise-lanti-intellectualisme), je m’inquiétais alors de cet #anti-intellectualisme : « Des sophistes qui corrompent la jeunesse : à quand la ciguë ? » Nous y sommes peut-être.
Car du #séparatisme, on passe aujourd’hui au #terrorisme. En effet, c’est au tour du ministre de l’Éducation nationale de s’attaquer le 22 octobre, sur Europe 1, à « l’islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’Université » : il dénonce « les #complices_intellectuels du terrorisme. » « Qui visez-vous ? », l’interroge Le JDD (►https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesu). Pour le ministre, « il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des #thèses_intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre #modèle_républicain ». Cette idéologie aurait « gangrené une partie non négligeable des #sciences_sociales françaises » : « certains font ça consciemment, d’autres sont les idiots utiles de cette cause. » En réalité, l’intersectionnalité permet d’analyser, dans leur pluralité, des logiques discriminatoires qui contredisent la rhétorique universaliste. La critique de cette assignation à des places racialisées est donc fondée sur un principe d’#égalité. Or, à en croire le ministre, il s’agirait « d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. » Ce qui produit le séparatisme, ce serait donc, non la #ségrégation, mais sa dénonciation…
Si #Jean-Michel_Blanquer juge « complices » celles et ceux qui, avec le concept d’intersectionnalité, analysent la #racialisation de notre société pour mieux la combattre, les néofascistes parlent plutôt de « #collabos » ; mais les trolls qui me harcèlent commencent à emprunter son mot. En France, si le ministre de l’Intérieur prend systématiquement le parti des policiers, celui de l’Éducation nationale fait de la politique aux dépens des universitaires. #Marion_Maréchal peut s’en féliciter : ce dernier « reprend notre analyse sur le danger des idéologies “intersectionnelles” de gauche à l’Université. »
▻https://twitter.com/MarionMarechal/status/1321008502291255300
D’ailleurs, « l’islamo-gauchisme » n’est autre que la version actuelle du « #judéo-bolchévisme » agité par l’extrême droite entre les deux guerres. On ne connaît pourtant aucun lien entre #Abdelhakim_Sefrioui, mis en examen pour « complicité d’assassinat » dans l’enquête sur l’attentat de #Conflans, et la gauche. En revanche, le ministre ne dit pas un mot sur l’extrême droite, malgré les révélations de La Horde (►https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine) et de Mediapart (▻https://www.mediapart.fr/journal/france/221020/attentat-de-conflans-revelations-sur-l-imam-sefrioui?onglet=full) sur les liens de l’imam avec des proches de #Marine_Le_Pen. Dans le débat public, jamais il n’est question d’#islamo-lepénisme, alors même que l’extrême droite et les islamistes ont en commun une politique du « #conflit_des_civilisations ».Sans doute, pour nos gouvernants, attaquer des universitaires est-il le moyen de détourner l’attention de leurs propres manquements : un professeur est mort, et on en fait porter la #responsabilité à d’autres professeurs… De plus, c’est l’occasion d’affaiblir les résistances contre une Loi de programmation de la recherche qui précarise davantage l’Université. D’ailleurs, le 28 octobre, le Sénat vient d’adopter un amendement à son article premier (►https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/52/Amdt_234.html) : « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des #valeurs_de_la_République », « au premier rang desquelles la #laïcité ». Autrement dit, ce n’est plus seulement le code pénal qui définirait les limites de la liberté d’expression des universitaires. Des collègues, désireux de régler ainsi des différends scientifiques et politiques, appuient cette offensive en réclamant dans Le Monde la création d’une « instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux #principes _épublicains et à la liberté académique »… et c’est au nom de « la #liberté_de_parole » (►https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) ! Bref, comme l’annonce sombrement le blog Academia (►https://academia.hypotheses.org/27401), c’est « le début de la fin. » #Frédérique_Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le confirme sans ambages : « Les #valeurs de la laïcité, de la République, ça ne se discute pas. »
▻https://twitter.com/publicsenat/status/1322076232918487040
Pourtant, en démocratie, débattre du sens qu’on veut donner à ces mots, n’est-ce pas l’enjeu politique par excellence ? Qui en imposera la définition ? Aura-t-on encore le droit de critiquer « les faux dévots de la laïcité » (▻https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/101217/les-faux-devots-de-la-laicite-islamophobie-et-racisme-anti-musulmans) ?Mais ce n’est pas tout. Pourquoi s’en prendre aux alliés blancs des minorités discriminées, sinon pour empêcher une solidarité qui dément les accusations de séparatisme ? C’est exactement ce que les terroristes recherchent : un monde binaire, en noir et blanc, sans « zone grise » (▻https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/260716/terrorisme-la-zone-grise-de-la-sexualite), où les musulmans feraient front avec les islamistes contre un bloc majoritaire islamophobe. Je l’écrivais dans ce texte qui m’a valu des menaces de décapitation : nos dirigeants « s’emploient à donner aux terroristes toutes les raisons de recommencer. » Le but de ces derniers, c’est en effet la #guerre_civile. Qui sont donc les « #complices_intellectuels » du terrorisme islamiste ? Et qui sont les « idiots utiles » du #néofascisme ?
En France, aujourd’hui, les #droits_des_minorités, religieuses ou pas, des réfugiés et des manifestants sont régulièrement bafoués ; et quand des ministres s’attaquent, en même temps qu’à une association de lutte contre l’islamophobie, à des universitaires, mais aussi à l’Unef (après SUD Éducation), à La France Insoumise et à son leader, ou bien à Mediapart et à son directeur, tous coupables de s’engager « pour les musulmans », il faut bien se rendre à l’évidence : la #démocratie est amputée de ses #libertés_fondamentales. Paradoxalement, la France républicaine d’Emmanuel #Macron ressemble de plus en plus, en dépit des gesticulations, à la Turquie islamiste de Recep Tayyip Erdogan, qui persécute, en même temps que la minorité kurde, des universitaires, des syndicalistes, des médias libres et des partis d’opposition.
Pour revendiquer la liberté d’expression, il ne suffit pas d’afficher des caricatures ; l’esprit critique doit pouvoir se faire entendre dans les médias et dans la rue, et partout dans la société. Sinon, l’hommage à #Samuel_Paty serait pure #hypocrisie. Il faut se battre pour la #liberté_de_la_pensée, de l’engagement et de la recherche. Il importe donc de défendre les libertés académiques, à la fois contre les menaces des réseaux sociaux et contre l’#intimidation_gouvernementale. À l’heure où nos dirigeants répondent à la terreur par une #politique_de_la_peur, il y a de quoi trembler pour la démocratie.
►https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
#Eric_Fassin #intersectionnalité #SHS #universalisme #Blanquer #complicité
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Pour compléter le fil de discussion commencé par @gonzo autour de :
Jean-François Bayart : « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France »
►https://seenthis.net/messages/883974
Léonora Miano, au nom de l’Afropea - YouTube
▻https://www.youtube.com/watch?v=nhL1fLe09dw
Comment construire son identité entre deux espaces, entre deux filiations et faire un pas de côté face à l’héritage douloureux, subi de l’esclavagisme et du colonialisme ? C’est à cet horizon que se frotte la romancière et essayiste Léonora Miano dans son essai « Afropea : utopie post-occidentale et post-raciste » (Grasset, septembre 2020).
L’#Afropea de #Léonora_Miano propose à ceux qui s’ancrent dans deux géographies, l’Afrique subsaharienne et l’Europe, de se réinventer, de forger une identité sociale et culturelle choisie et non subie. Ni manifeste ni utopie, son projet est une invitation à prendre la parole pour inventer une représentation de soi.
]]>Une histoire des HLM en banlieue populaire - Métropolitiques
▻https://www.metropolitiques.eu/Une-histoire-des-HLM-en-banlieue-populaire.html
Historien de l’immigration, Cédric David est l’auteur d’une thèse sur les politiques du logement social à Saint-Denis (1950-1990). Il analyse dans cet entretien l’émergence des catégorisations et des discriminations ethno-raciales dans les HLM, en lien avec les contraintes politiques et économiques qui pèsent sur les bailleurs sociaux.
Propos recueillis par Mariana Tournon et Janoé Vulbeau.
Les Francs-Moisins, Saint-Denis (Olivier2000/Wikipedia, CC BY-SA 1.0)Pour commencer, pouvez-vous rappeler les contours de votre recherche qui propose une histoire du logement social en banlieue ouvrière des années 1940 aux années 1990 ?
Au début des années 2000, j’ai entamé un premier travail sur la question des bidonvilles, majoritairement peuplés d’immigrants [1] coloniaux et étrangers, et sur leur résorption à Saint-Denis, au nord de Paris, durant les années 1960-1970 (David 2002). Durant cette période, seuls 5 à 10 % des étrangers de région parisienne y vivaient (Blanc-Chaléard 2016, p. 228-231). Pourtant la résorption des bidonvilles est devenue un prisme déformant de l’histoire urbaine de la seconde moitié du XXe siècle, s’insérant dans une série de lieux communs simplistes ou erronés : « les immigrés sont passés du bidonville au HLM », « des grands ensembles ont été construits pour loger les immigrés », ou encore « le regroupement familial instauré à partir de 1974 a précipité la crise des grands ensembles » en faisant « fuir les classes moyennes blanches ». Les recherches récentes montrent que ces récits stigmatisants masquent des discriminations instituées, notamment en direction des familles algériennes (Cohen 2020). Elles montrent aussi que, pour comprendre l’histoire des relations entre logement social et immigration, on ne peut se contenter d’une chronologie binaire opposant les Trente Glorieuses à la crise sociale et urbaine qui a suivi.
Pour réexaminer cette histoire, j’ai étudié dans ma thèse les pratiques
#HLM #discrimination #immigration #racialisation #Saint-Denis #quartiers populaires #bidonvilles
]]> À quelques heures de l’allocution d’Emmanuel Macron – très attendue notamment sur le thème des violences policières et du racisme –, nous publions ici la lettre ouverte au président de la République du sociologue Éric Fassin.
TRIBUNE. Le régime de la peur - regards.fr
▻http://www.regards.fr/idees-culture/article/tribune-le-regime-de-la-peur
Alors que, partout dans le monde, les mobilisations se multiplient contre le racisme et les violences policières, vous tenez à dire qu’en France « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. » Vous désignez des coupables, mais vous n’avez pas l’honnêteté de les nommer, ni le courage d’assumer vos propos, tenus « en privé »… pour être publiés dans Le Monde.
Je fais partie de ce petit nombre d’universitaires qui étudient « l’intersectionnalité », concept que vous dénoncez sans rien y comprendre. Mais qu’importe votre ignorance ? Votre mépris du travail universitaire, il nous est familier – à l’heure où vous jugez urgent de relancer la LPPR qui s’emploie à démanteler la recherche par une politique du court terme.
LIRE AUSSI SUR REGARDS.FR
>> LPPR : le monde universitaire se mobilise contre la « privatisation progressive de la recherche »
Ce qui est inquiétant, c’est que vous reprenez la rhétorique d’extrême droite, relayée par des médias comme Le Point qui a cru bon, par exemple, d’accoler mon nom à ceux d’Éric Zemmour et Alain Soral en tête de « ces idéologues qui poussent à la guerre civile » (sic). L’anti-intellectualisme n’est-il pas au cœur du projet néofasciste aujourd’hui incarné par Jair Bolsonaro au Brésil et Donald Trump aux États-Unis ?
]]>Espace urbain et distanciation sociale
▻https://acta.zone/espace-urbain-et-distanciation-sociale
Cet entretien avec Stefan Kipfer a été réalisé au beau milieu du confinement. Un an après la publication de son livre « Le temps et l’espace de la décolonisation. Dialogue entre Frantz Fanon et Henri Lefebvre », édité par Eterotopia France, on a voulu revenir sur certaines de ses idées et hypothèses pour interroger le présent et développer des pistes d’analyse concernant la manière dont la crise actuelle investit la production de l’espace urbain. Source : ACTA
]]>Entretien avec Françoise Vergès | Radio Informal
http://www.rybn.org/radioinformal/antivirus
À propos d’inégalités invisibilisées, de normalité du confinement, de vulnérabilités et de racisme, de solidarité et d’auto-organisation comme contre-pouvoir, d’intersectionalité des luttes, de la métaphore du bateau négrier. Durée : 57 min. Source : Pi-node
www.rybn.org/radioinformal/antivirus/audio/ANTIVIRUS18-FrancoiseVerges.mp3
]]>Race and the Anthropocene
In his essay ’The Souls of White Folk’, written generations before the International Stratigraphy Committee would begin debating the Anthropocene concept, W.E.B. Du Bois (1920: 29) made an observation which remains pertinent today as it was when he wrote it 1920. ’I am given to understand’, he wrote, ’that whiteness is the ownership of the Earth forever and ever, Amen’. Although Du Bois’ famous line is in reference to the imperial origins ofthe First World War, it nevertheless anticipates one of the core themes of this special issue on ’race’ and the Anthropocene, that lurking just beneath the surface of the Anthropocene concept is a racialised narrative about white Earthly possession.
▻https://www.societyandspace.org/journal-issues/volume-38-issue-1
#race #anthropocène #ressources_pédagogiques #colonialisme #Blancs #Noirs #blanchité #capitalisme #capitalisme_racial #plantations #racialisation #colonialité #discours_colonial #capitalocène #ressources_pédagogiques #imaginaire #catastrophes #catastrophes_naturelles #crises #environnementalisme #climat #changement_climatique #Oakland #gentrification #Lefebvre #phénoménologie
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sur Du Bois, cité en intro du numéro spécial, voir le billet sur @visionscarto :
W. E. B. Du Bois’s Color Line
►https://visionscarto.net/web-du-bois-color-line
Afroféminisme (France)
– Ait Ben Lmadani, Fatima et Moujoud, Nasima, « Peut-on faire de l’#intersectionnalité sans les ex-colonisé-e-s ? » ▻https://www.cairn.info/revue-mouvements-2012-4-page-11.htm#re22no22
– Dooh Bunyah, Lydie (entretien avec), « La condition des #femmes_noires en #France » ▻http://www.hommes-et-migrations.fr/docannexe/file/1213/dossier_1257_dossier_1257_81_89.pdf
– Gay, Amandine, préface à Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks
– Maiga, Aïssa (dir.), Noire n’est pas mon métier
– MWASI (collectif) - Afrofem
– Thiam, Awa - La Parole aux négresses
Race et société (France)
– Bouteldja, Houria et Khiari, Sadri, Nous sommes les indigènes de la République
– Cukierman, Leïla, Dambury, Gerty et Vergès, Françoise (dir.), Décolonisons les arts
– Diallo, Rokhaya et Sombié, Brigitte, Afro !
– Fanon, Frantz, Peau noire, masque blanc
– Fanon, Frantz, Les damnés de la terre
– Keaton, T. D., Sharpley-Whiting, T. D., Stovall, T., Black France / France noire : The History and Politics of Blackness
– Ndiaye, Pap, La #Condition_noire. Essai sur une minorité française
– Vergès, Françoise, « ’Le Nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc’. Frantz Fanon, esclavage, race et racisme. » ▻https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2005-2-page-45.htm
– Vergès, Françoise, « Les troubles de la mémoire. #Traite_négrière, #esclavage et écriture de l’#histoire » ▻https://journals.openedition.org/etudesafricaines/15110#quotation
Wieviorka, Michel, « #Racisme, #racialisation et #ethnicisation en France » ▻https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1996_num_1195_1_2609
Black Feminism (États-Unis)
– Davis, Angela, Femmes, #race et #classe
– hooks, bell, Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme
– Lorde, Audre, Sister Outsider
Podcasts
– « Des Black Studies en Europe ? », La Fabrique de l’Histoire, France Culture
– Kiffe ta Race, Rokhaya Diallo et Grace Ly
– Épisode 6 : Amandine Gay, La Poudre, Lauren Bastide
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Et elle ajoute :
– Le Triangle et l’Hexagone de Maboula Soumahoro paru le 6 février
– NoirEs sous surveillance. Esclavage, répression, violence d’État au Canada de Robyn Maynard
– Afro-communautaire. Appartenir à nous-mêmes de Fania Noël-Thomassaint
–-> compilation de Zoé Jourdain, reçue via mail
#liste #compilation #ressources_pédagogiques #afro-féminisme #black_feminism #féminisme #féminismes
Le travail invisible derrière le confinement. Capitalisme, genre, racialisation et Covid-19 | Françoise Vergès
▻https://www.contretemps.eu/travail-invisible-confinement-capitalisme-genre-racialisation-covid-19
En France, nous sommes entrés le mardi 24 mars 2020 dans la deuxième semaine de « confinement » décidé par le gouvernement Macron pour faire face à l’épidémie du COVID-19, et déjà cela craque de partout. Je ne reviendrai pas ici sur les demi-vérités, demi-aveux, mensonges par omission, et preuves d’incompétence, d’indifférence, de mépris par le gouvernement amplement dénoncées et analysées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ce travail d’étude et d’analyse n’est pas terminé ; il doit se poursuivre et s’avère bien plus important – car il nourrit les luttes à venir – que toutes les déclarations sous forme d’oracles (« rien ne sera plus comme avant », « il faudra que… ») ou que toutes les remarques et réflexions sur le confinement comme moment de retour sur soi ou de redécouverte de joies simples. Source : (...)
]]> Des #villes coupées, couturées, rafistolées, des vies assignées, mais aussi émancipées : de l’analyse des #politiques_ségrégationnistes aux réflexions sur le caractère inclusif des #espaces_publics en passant par la #négociation des expériences minoritaires individuelles et collectives, les villes constituent des lieux privilégiés de l’analyse des relations entre #groupes_minoritaires et #groupes_majoritaires. La vive actualité scientifique sur le sujet en France comme ailleurs en témoigne. On peut notamment penser au colloque Question raciale / questions urbaines (▻https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/question-raciale-questions-urbaines-frontieres-territoriales-et-racia) : frontières territoriales et #racialisation organisé en février 2019 à Grenoble, au dernier numéro de l’Information géographique (2019) consacré aux géographies de la #différence en ville, ou encore aux nombreuses sessions de la conférence annuelle de l’American Association of Geographers 2020 (▻https://aag.secure-abstracts.com/AAG%20Annual%20Meeting%202020/sessions-gallery) abordant des questions urbaines sous l’angle des #rapports_sociaux (perspectives féministes, marxistes, empruntant à la Critical Race Theory ou aux approches du Settler Colonialism). C’est dans la continuité de cette actualité que s’inscrit le #13 de la revue Urbanités. En refusant de donner a priori la primauté thématique d’un rapport social sur un autre tout en mettant l’accent sur les mécanismes de production du minoritaire et du majoritaire, ce numéro propose une pluralité de lectures des manières dont les contextes urbains participent à la (re)production des positionnements sociaux, et par conséquent, à la redéfinition du rapport entre minorités et majorités en ville.
▻http://www.revue-urbanites.fr/13-edito
Sommaire :
Edito
#Minorités_sexuelles en #exil : l’expérience minoritaire en ville à l’aune de #marginalisations multiples
Les riverains contre le nourrissage des #pigeons à #Paris
Construire sa place en #montagne quand on vient des #quartiers_populaires : un enjeu pour l’#éducation_populaire
Mouvements de #résistance autochtones et #street-art décolonial aux #États-Unis. De la réserve de #Standing_Rock aux murs d’#Indian_Alley
Hiérarchie sociale et politique pour la visibilité sur le territoire dans un espace ségrégé. Le cas des républicains nord-irlandais
« L’infusion » d’approches genrées dans l’urbanisme parisien : métaphore d’une propagation aux échelles organisationnelles et individuelles
Point(s) de rencontres dans les villes émiriennes : le partage d’espaces publics où les minorités sont majoritaires
#revue #urban_matter #géographie_urbaine #ségrégation #genre #peuples_autochtones #Irlande_du_Nord #Emirats_Arabes_unis #USA
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Avec cette note :
La revue Urbanités a la joie de vous annoncer la parution en ligne de son treizième numéro thématique, consacré à la question des rapports entre minorités et majorités en ville. Nous tenons également à souligner que ce numéro ne pourrait pas exister sans les apports précieux de chercheur·e·s aux statuts largement précaires. Sans elleux, ce numéro ne compterait qu’un article et sa direction serait amputée. Ces contributeur·trice·s essentiel·le·s au fonctionnement des revues méritent une plus grande visibilité et une plus grande stabilité professionnelle, garantes d’une recherche de qualité.
]]>Christophe Castaner saisit la justice au sujet d’un nouveau clip polémique du rappeur Nick Conrad, déjà auteur de « Pendez les Blancs »
France Info, le 20 mai 2019
▻https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rap/christophe-castaner-saisit-la-justice-au-sujet-d-un-nouveau-clip-polemi
Dans Doux pays, Nick Conrad lance notamment « J’ai baisé la France jusqu’à l’agonie », « Cet Hexagone, j’encule sa grand-mère » et « Marianne a falsifié ma story, j’ai posé une bombe sous son Panthéon ».
Suite de ça :
▻https://seenthis.net/messages/769909
Eric Fassin - Le mot race – Cela existe (1/2) | AOC media - Analyse Opinion Critique
▻https://aoc.media/analyse/2019/04/10/race-existe-1-2
Pourquoi, malgré les malentendus possibles, s’exposer encore à utiliser le mot race aujourd’hui ? C’est que l’antiracisme ne peut plus se définir seulement dans les termes des années 1980 : à l’époque de la montée du Front national, on appréhendait le racisme comme une idéologie revendiquée, autrement dit, à partir des racistes. Or, dès les années 1990, il a bien fallu prendre conscience d’une autre forme de racisme, non moins grave dans ses conséquences : les discriminations raciales. Celles-ci procèdent de logiques systémiques ; il s’agit d’un racisme structurel, qui dépasse le racisme intentionnel. Cet élargissement de la définition, du racisme idéologique au racisme sociologique, implique un changement de perspective : partir des effets, plutôt que des intentions (bonnes ou mauvaises), c’est adopter le point de vue des personnes qui subissent la domination raciale, et non de celles qui en sont, fût-ce à leur corps défendant, les bénéficiaires. C’est la même démarche qui amène les études féministes à rompre avec une vision masculine pour appréhender les violences de genre dont les femmes sont victimes du point de vue des femmes.
On peut donc être confronté, non seulement à un « racisme sans race » (comme on l’a déjà vu), mais aussi à un « racisme sans racistes » : au-delà des intentions individuelles ou des idéologies politiques, c’est un mécanisme social qui est à l’œuvre. Or c’est justement cette reformulation, où le sujet raciste n’est plus central, qui nous invite à penser en termes de race, autant voire plus que de racisme. Il s’agit moins de pointer des coupables que d’analyser, avec le concept de race, un fonctionnement. Et le déplacement de perspective, vers les victimes du racisme, permet également de penser la racialisation, en termes foucaldiens, à la fois comme assujettissement et comme subjectivation : c’est en ce double sens d’assignation et d’identification qu’on utilise le mot « racisé ».
La « matrice de la race », pour reprendre le titre d’Elsa Dorlin, s’entend aussi de deux manières complémentaires, conjuguant les génitifs objectifs et subjectifs : la race a une matrice, et en même temps elle en est une. C’est ainsi qu’on peut comprendre la Critique de la raison nègre d’Achille Mbembe. Dans cet essai théorique, l’historien et politiste ne traite pas tant des Noirs ou des Blancs que, plus largement, d’un « devenir-nègre du monde ». En effet, « la critique de la modernité demeurera inachevée tant que nous n’aurons pas compris que son avènement coïncide avec l’apparition du principe de race et la lente transformation de ce principe en matrice privilégiée des techniques de domination, hier comme aujourd’hui. » Certes, les races n’ont pas d’existence scientifique, mais « le principe de race », c’est-à-dire la race, « cela existe », comme disait la sociologue féministe Colette Guillaumin.
]]>L’intersectionnalité : une idée à la mode ?
▻https://nantes.indymedia.org/articles/44975
#Racisme #/ #-ismes #en #tout #genres #_anarch-fémin… #genre #racialisme #sexualités #Racisme,/,-ismes,en,tout,genres,_anarch-fémin…,genre,racialisme,sexualités
]]>Rôle des intellectuel·les, universitaires ‘minoritaires’, et des #porte-parole des #minorités
La publication du billet de Gérard Noiriel sur son blog personnel[1] est révélatrice de la difficulté de mener, au sein du champ académique, une réflexion sur la #production_de_savoirs relatifs à la « #question_raciale[2] » et sur leurs usages sociaux dans l’#espace_public. Il est clair que le champ académique n’a pas le monopole de cette réflexion, mais l’intérêt de s’y consacrer est qu’elle peut se mener, a priori, selon les règles et procédures dudit champ. En effet, il semble que les débats liés aux concepts de « #racialisation », « #intersectionnalité », « #postcolonial », « #nouvel_antisémitisme » ou encore « #islamophobie » aient tendance à se dérouler par tribunes de presse interposées, et non par un dialogue via des articles scientifiques[3]. Si ces questions trouvent un espace dans la sociologie ou la science politique, elles peinent encore à émerger dans des disciplines comme le #droit ou l’#économie.
Durant la période charnière 2001-2006, où la question coloniale et raciale est devenue centrale dans l’espace public – notamment du fait du vote, en 2001, de la « #loi_Taubira » reconnaissant la #traite et l’#esclavage en tant que #crime_contre_l’humanité, de l’impact des rébellions urbaines de 2005, de la référence par le législateur au rôle « positif » de la #colonisation [4] et de la création de nouvelles organisations de minoritaires telles que le #Conseil_représentatif_des_associations noires (#CRAN) –, la #disputatio_académique semblait encore possible. On pense notamment, en #sciences_sociales, aux programmes ANR Frontières, dirigé par Didier Fassin, et #Genrebellion, dirigé par Michelle Zancarini-Fournel et Sophie Béroud, où les concepts de racialisation ou d’intersectionnalité pouvaient être utilisés sans susciter une levée de boucliers.
La publication des ouvrages collectifs De la question sociale à la question raciale ? et Les nouvelles frontières de la société française (La Découverte, 2006 et 2010), dirigés par Didier et Éric Fassin pour le premier, et par D. Fassin pour le second, constituent de ce point de vue des moments importants du débat scientifique français, qui ont permis de confronter des points de vue parfois divergents, mais esquissant une forme de dialogue. On y retrouve les contributions d’universitaires tels que Pap Ndiaye, Éric Fassin, Stéphane Beaud ou Gérard Noiriel qui, par la suite, via des tribunes dans Mediapart ou Libération, ont tous poursuivi la discussion dans le champ médiatique, notamment lors de l’« affaire des quotas » révélée par Mediapart en 2011[5]. Alors que P. Ndiaye et E. Fassin dénonçaient la catégorisation raciale des joueurs au sein de la Fédération française de football, et notamment la caractérisation de « prototypes » des « Blacks » par le sélectionneur Laurent Blanc[6], S. Beaud et G. Noiriel, tout en reconnaissant le caractère discriminatoire des quotas fondés sur la race, refusent « d’instruire des procès en hurlant avec la meute ». Ils considèrent qu’il faut prendre en compte le langage ordinaire du monde du football et, de manière tout à fait discutable, que le mot « Black » « renvoie moins à une catégorie raciale qu’à une catégorie sociale[7] ». Les récents commentaires de G. Noiriel sur le débat Mark Lilla / Eric Fassin (Le Monde, 1er octobre 2018) correspondent au dernier épisode d’une polémique qui court depuis une dizaine d’années.
Ce mouvement allant d’une disputatio académique à une controverse médiatique est, nous semble-t-il, problématique pour la sérénité de la réflexion collective sur la question raciale. L’objectif de cette contribution est de soulever plusieurs questions à partir de l’article de G. Noiriel, sans entrer dans une logique polémique. Tout d’abord, on focalisera notre attention sur le rôle des intellectuel.le.s et leurs relations avec les porte-parole des minorités, et sur les différentes conceptions de l’intellectuel.le (« critique », « engagé.e » ou « spécifique »). Ensuite, on analysera le sort réservé aux universitaires appartenant à des groupes minorisés (ou « universitaires minoritaires ») travaillant sur la question raciale. En accusant ceux-ci de se focaliser sur la question raciale au détriment d’autres questions – la question économique par exemple (et non « sociale »), G. Noiriel porte le soupçon de « militantisme » et les perçoit comme des porte-parole de minorités. Or il est nécessaire de contester cette assignation au statut de porte-parole et la tendance générale à relativiser la scientificité des universitaires minoritaires qui, on le verra, subissent un certain nombre de censures voire de discriminations dans le champ académique. Il s’agit enfin de réfléchir au futur en posant la question suivante : comment mener des recherches sur la question raciale et les racismes, et construire un dialogue entre universitaires et organisations antiracistes sans favoriser les logiques d’essentialisation et tout en respectant l’autonomie des un.e.s et des autres ?
Engagements intellectuels
Tout en se réclamant tous deux de l’héritage de Michel Foucault, E. Fassin et G. Noiriel s’opposent sur la définition du rôle de l’intellectuel.le dans l’espace public contemporain. Ce débat, qui n’est pas propre aux sciences sociales[8], semble s’être forgé à la fin des années 1990, notamment lors de la controverse publique sur le Pacte civil de solidarité (Pacs). Tout en s’appuyant sur les mêmes textes de Foucault rassemblés dans Dits et écrits, E. Fassin et G. Noiriel divergent sur la posture d’intellectuel.le à adopter, l’un privilégiant celle de l’intellectuel.le « spécifique », selon l’expression de Foucault, l’autre celle de l’intellectuel.le « engagé.e ».
E. Fassin publie en 2000 un article pour défendre la posture de l’intellectuel.le « spécifique »[9]. Celui-ci se distingue de l’intellectuel.le « universel.le », incarné notamment par la figure de Sartre, qui intervient dans l’espace public au nom de la raison et de principes universels, et souvent au nom des groupes opprimés. L’intellectuel.le spécifique appuie surtout son intervention sur la production d’un savoir spécifique, dont la connaissance permet de dénaturaliser les rapports de domination et de politiser une situation sociale pouvant être considérée comme évidente et naturelle. En ce sens, l’intellectuel.le spécifique se rapproche du « savant-expert » dans la mesure où c’est une compétence particulière qui justifie son engagement politique, mais il ou elle s’en détache pour autant qu’il ou elle « se définit (…) comme celui qui use politiquement de son savoir pour porter un regard critique sur les usages politiques du savoir[10] ». Critique, l’intellectuel.le spécifique « rappelle la logique politique propre à la science[11] ». L’expert.e prétend parler de manière apolitique au nom de la science pour maintenir l’ordre social dominant, tandis que l’intellectuel.le spécifique s’appuie sur un savoir critique de l’ordre social, tout en reconnaissant sa dimension politique. C’est dans cette perspective foucaldienne qu’E. Fassin critique la posture du « savant pur », qui revendique une « science affranchie du politique » : « Désireux avant tout de préserver l’autonomie de la science, [les savants purs] se défient pareillement de l’expert, réputé inféodé au pouvoir, et de l’intellectuel spécifique, soupçonné de militantisme scientifique[12] ». Le savant pur renvoie dos-à-dos les usages normatif et critique de la science comme si la science avait une relation d’extériorité avec le monde social. Or, selon E. Fassin, « pour des raisons tant politiques que scientifiques, (…) le partage entre le savant et le politique s’avère illusoire : de part en part, le savoir est politique. C’est pourquoi celui qui se veut un savant « pur » ressemble d’une certaine manière à l’expert qui s’aveugle sur la politique inscrite dans son savoir. En revanche, d’une autre manière, il rappelle aussi l’intellectuel spécifique, désireux de préserver l’autonomie de la science ; mais il ne le pourra qu’à condition d’en expliciter les enjeux politiques. (…) l’autonomie de la science passe non par le refus du politique, mais par la mise au jour des enjeux de pouvoir du savoir[13] ». Autrement dit, on distingue deux conceptions relativement divergentes de l’autonomie de la science : le.la savant.e pur.e veut la « protéger » en s’affranchissant du politique et en traçant une frontière claire entre le champ académique et le champ politique, tandis que l’intellectuel.le spécifique considère qu’elle n’est possible qu’à la condition de mettre en lumière les conditions politiques de production du savoir.
G. Noiriel répond à E. Fassin dans son livre Penser avec, penser contre publié en 2003[14], où il soutient la nécessité d’adopter la posture du « chercheur engagé » : « Après avoir longtemps privilégié la posture de l’« intellectuel spécifique », je pense aujourd’hui qu’il est préférable de défendre la cause du « chercheur engagé », car c’est en s’appuyant sur elle que nous pourrons espérer faire émerger cet « intellectuel collectif » que nous appelons de nos vœux depuis trente ans, sans beaucoup de résultats. Les « intellectuels spécifiques », notamment Foucault et Bourdieu, ont constamment annoncé l’avènement de cette pensée collective, mais celle-ci n’a jamais vu le jour, ou alors de façon très éphémère[15] ». Selon lui, cet échec s’explique par le fait que « cette génération n’a pas vraiment cru que la communication entre intellectuels soit possible et utile », d’où la nécessité de prêter une attention particulière aux deux conditions de la communication entre intellectuel.le.s : « clarifier les langages qui cohabitent aujourd’hui sur la scène intellectuelle » et « la manière d’écrire », c’est-à-dire « montrer sa générosité en restituant la cohérence du point de vue qu’il discute, au lieu d’isoler l’argument qu’il propose de détruire » et « désigner par leur nom les collègues de la microsociété qu’il met en scène dans son récit ».
Or, ces conditions ne seraient pas remplies par la posture de l’intellectuel.le « spécifique » dans la mesure où il tendrait à « privilégier les normes du champ politique » et ne parviendrait pas à « introduire dans le champ intellectuel les principes de communication qui sous-tendent le monde savant ». Les intellectuel.le.s spécifiques critiquent l’usage de la science par les experts visant à maintenir l’ordre social alors qu’« il n’est pas possible [selon G. Noiriel] de concevoir l’engagement uniquement comme une critique des experts. Paradoxalement, c’est une manière de cautionner leur vision du monde, en donnant du crédit à leur façon d’envisager les « problèmes ». Pour les intellectuels « spécifiques », il n’existe pas de différence de nature entre les questions politiques et scientifiques. Pour eux, le journaliste, l’élu, le savant parlent, au fond, le même langage[16] ». Autrement dit, l’engagement des intellectuel.le.s spécifiques tendrait à relativiser les spécificités des formes du discours savant, censé être soumis à des contraintes propres au champ académique et peu comparable aux formes de discours politiques ou militants soumis aux règles du champ politique ou de l’espace des mobilisations.
Pourquoi le fait d’insister, comme le fait E. Fassin après Foucault, sur la dimension politique de la production de savoir, reviendrait-il à mettre sur le même plan discours scientifiques et autres formes de discours ? Ne pourrait-on pas envisager la posture de l’intellectuel.le spécifique sans « confusion des genres » ? Comment maintenir une exigence en termes scientifiques dans un espace médiatique structuré par la quête de l’audimat et qui fait la part belle au sensationnel ? C’est une vraie question qui traverse l’ensemble du champ académique. Si G. Noiriel ne fournit dans ce texte de 2003 aucun exemple qui permettrait d’évaluer la véracité de cette confusion, son engagement dans le Comité de vigilance des usages de l’histoire (CVUH, créé en 2005) et dans le collectif DAJA (Des acteurs culturels jusqu’aux chercheurs et aux artistes, créé en 2007) est justement présenté comme un mode d’intervention dans l’espace public respectant l’exigence scientifique. Mais il fournit un exemple plus précis en commentant la controverse M. Lilla / E. Fassin autour de la catégorie de « gauche identitaire ». M. Lilla utilise cette dernière catégorie pour désigner (et disqualifier) les leaders politiques démocrates, les universitaires de gauche et les porte-parole des minorités qui auraient abandonné le « peuple » et le bien commun au profit de préoccupations identitaires et individualistes. La « gauche identitaire » est donc une catégorie politique visant à dénoncer la « logique identitaire » de la gauche étasunienne qui s’est progressivement éloignée de la politique institutionnelle pour privilégier les mouvements sociaux n’intéressant que les seul.e.s minoritaires préoccupé.e.s par leur seule identité, et non ce qu’ils et elles ont de « commun » avec le reste de la communauté politique : la citoyenneté[17].
E. Fassin critique cette catégorie qui vise explicitement à établir une distinction entre le « social » et le « sociétal », et une hiérarchie des luttes légitimes, la lutte des classes étant plus importante que les luttes pour l’égalité raciale. La notion de « gauche identitaire » serait donc, si l’on en croit E. Fassin, un nouvel outil symbolique analogue à celle de « politiquement correct », utilisé pour délégitimer toute critique des discours racistes et sexistes. Ainsi, E. Fassin se réfère-t-il à la posture de l’intellectuel.le « spécifique » afin de critiquer l’argument développé par M. Lilla. G. Noiriel renvoie dos à dos E. Fassin et M. Lilla en affirmant qu’ils partagent le « même langage » et au motif que « ce genre de polémiques marginalise, et rend même inaudibles, celles et ceux qui souhaitent aborder les questions d’actualité tout en restant sur le terrain de la recherche scientifique ».
En effet, même si l’on ne peut en faire le reproche à E. Fassin qui est un acteur de la recherche sur la question raciale[18], cette polémique qui a lieu dans le champ médiatique participe de l’invisibilisation des chercheur.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s qui, justement, travaillent depuis des années sur la question raciale, les minorités raciales et leurs rapports avec la gauche française, et les mouvements antiracistes[19]. Tous ces travaux veillent à définir de façon précise et sur la base d’enquêtes sociologiques les processus de racialisation à l’œuvre dans la France contemporaine. Ils le font en outre en opérant l’interrogation et la déconstruction de ces « entités réifiées » que G. Noiriel évoque dans son texte. On mesure, ce faisant, tout l’intérêt de réinscrire les questions sur la race, qu’elles soient d’ordre méthodologique ou empirique, dans le champ académique.
Un autre exemple donné par G. Noiriel concerne le début des années 1980 où, affirme-t-il, les « polémiques identitaires » ont pris le pas sur la « question sociale » dans l’espace public :
« Ce virage a pris une forme spectaculaire quand le Premier Ministre, Pierre Mauroy, a dénoncé la grève des travailleurs immigrés de l’automobile en affirmant qu’elle était téléguidée par l’ayatollah Khomeiny. C’est à ce moment-là que l’expression « travailleur immigré » qui avait été forgée par le parti communiste dès les années 1920 a été abandonnée au profit d’un vocabulaire ethnique, en rupture avec la tradition républicaine (cf. l’exemple du mot « beur » pour désigner les jeunes Français issus de l’immigration algérienne ou marocaine). On est passé alors de la première à la deuxième génération, de l’usine à la cité et les revendications socio-économiques ont été marginalisées au profit de polémiques identitaires qui ont fini par creuser la tombe du parti socialiste ».
La période 1981-1984 est en effet cruciale dans le processus de racialisation des travailleur.se.s immigré.e.s postcoloniaux.ales et la transformation, par le Parti socialiste, des conflits ouvriers en conflits religieux[20]. Or ce discours de racialisation, qui assigne les travailleur.se.s immigré.e.s maghrébin.e.s à leur identité religieuse putative, provient des élites politiques, patronales et médiatiques, et non des travailleur.se.s immigré.e.s et de leurs descendant.e.s. Il est vrai que certains mouvements de « jeunes immigrés » s’auto-désignaient comme « beurs » mais cela relevait du processus bien connu de retournement du stigmate. D’un côté, les élites assignent une identité permanente religieuse, perçue comme négative, pour disqualifier un mouvement social tandis que, de l’autre, des enfants d’immigré.e.s maghrébin.e.s affirment une identité stigmatisée positive. Peut-on mettre sur le même plan le travail de catégorisation et d’assignation raciale mené par « le haut » (l’État, les institutions, les élites politiques et médiatiques) et le retournement du stigmate – c’est-à-dire la transformation et le ré-investisssement de la catégorie d’oppression pour affirmer son humanité et sa fierté d’être au monde[21] – d’en bas ? Le faire nous semble particulièrement problématique d’un point de vue scientifique. La distinction entre racialisation stigmatisante et construction d’une identité minoritaire stigmatisée doit être prise en compte dans l’analyse sociologique des relations entre majoritaires et minoritaires.
En revanche, il est avéré que SOS Racisme, succursale du Parti socialiste, a participé à l’occultation de la question économique pour penser l’immigration[22]. Mais SOS Racisme ne représente pas l’ensemble des organisations minoritaires de l’époque. Au contraire, la nouvelle génération de militant.e.s « beurs » s’est majoritairement opposée à ce qu’elle a perçu comme une « récupération » du « mouvement beur »[23]. Par ailleurs, l’on sait que, parmi les revendications initiales de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, les revendications portaient à la fois sur la question raciale et sur les conditions matérielles de vie, de travail et de logement : droit à la vie (ne pas se faire tuer dans l’impunité), droit au travail, droit au logement, etc.[24] Et il ne faut pas oublier que, parmi les rares militant.e.s ayant soutenu les travailleurs immigrés en grève, on retrouve les fondatrices/fondateurs du « Collectif Jeunes » ayant accueilli la Marche à Paris, c’est-à-dire les leaders du « mouvement beur ». Aussi, l’opposition entre vocabulaire ethnique et revendications socio-économiques est-elle loin d’être suffisante pour comprendre la période 1981-1984.
http://mouvements.info/wp-content/uploads/2019/02/Illustration-texte-intellectuels-1.png http://mouvements.info/wp-content/uploads/2019/02/Illustration-texte-intellectuels-2.png Une « histoire des vaincus accaparée » ?
L’article de G. Noiriel pose une seconde question, légitime mais néanmoins complexe, relative au lien entre champ académique et champ politique / espace des mobilisations. Il débute par l’affirmation suivante :
« Dans l’introduction de mon livre sur l’Histoire populaire de la France, j’ai affirmé que ‘le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par des porte-parole des minorités [(religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales,] qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires’. Il suffit de consulter la bibliographie des articles et ouvrages publiés en histoire ces dernières années ou de regarder les recrutements sur des postes universitaires pour être convaincu de cette remarque[25] ».
Malheureusement, il ne fournit pas d’exemples de bibliographies, d’ouvrages et de profils de postes universitaires permettant de vérifier la véracité du propos[26]. Concernant les recrutements en histoire (section 22), il est clair que, depuis une trentaine d’années, l’histoire culturelle et l’histoire politique ont été privilégiées au détriment de l’histoire sociale[27]. Cependant, y a-t-il en France pléthore de profils de poste « histoire des minorités raciales » ? Rien n’est moins sûr[28].
De plus, le constat de G. Noiriel sous-entend – on n’en est pas sûrs à cause de l’ambiguïté du propos – un lien entre l’« accaparement » de l’histoire populaire par les « porte-parole des minorités » et l’évolution des thèmes de recherche en sciences sociales. Ainsi, la position de G. Noiriel est paradoxale. D’une part, il avait à plusieurs reprises reconnu l’importance du rôle d’acteurs associatifs pour faire avancer la recherche scientifique, notamment concernant l’histoire de la Shoah ou de la guerre d’Algérie. Histoire et mémoire ne s’opposent pas forcément. N’est-ce pas parce que la question des discriminations raciales est devenue un enjeu politique dans l’espace public que G. Noiriel s’est lancé dans l’écriture de l’histoire du clown Chocolat[29] ? D’autre part, il critique les « porte-parole des minorités » non identifiés qui se seraient appropriés l’histoire des vaincus à leur propre profit et auraient considérablement influencé les orientations de la recherche scientifique. À défaut d’exemple précis, il est difficile de discuter cette affirmation mais, dans un entretien daté de 2007[30], G. Noiriel est plus explicite et critique les entrepreneurs de mémoire tels que les leaders du CRAN : « Les intellectuels qui sont issus de ces groupes ont toujours tendance à occulter les critères sociaux qui les séparent du monde au nom duquel ils parlent, pour magnifier une origine commune qui légitime leur statut de porte-parole auto-désignés ». En fait, il « critique les usages de l’histoire que font les entrepreneurs de mémoire qui se posent en porte-parole autoproclamés de tel ou tel groupe de victimes, mais [il] relativise par ailleurs l’importance de ces querelles ». Il semble que G. Noiriel ait changé d’avis sur l’influence réelle de ces porte-parole puisqu’ils auraient désormais un impact sur le monde de la recherche.
Dans le cas de l’affaire Pétré-Grenouilleau, qui a vu l’historien en poste à l’université de Bretagne attaqué en justice par le Collectif DOM en 2005 pour avoir affirmé dans une interview que les traites négrières ne constituaient pas un génocide, force est de constater que l’affaire a nourri la recherche en tant que controverse et événement important dans l’analyse des enjeux mémoriels en France[31]. L’impact sur la recherche scientifique n’est pas allé dans le sens d’une auto-censure, mais a constitué un épisode analysé pour son inscription dans l’espace des mobilisations antiracistes, dans les reconfigurations des relations entre l’État et les associations de Français d’outre-mer ou dans la sociologie politique de la mémoire. La recherche sur l’esclavage et les traites est depuis une dizaine d’années particulièrement dynamique. L’affaire n’a ainsi nourri ni « repentance » ni appel au « devoir de mémoire », mais a servi à éclairer un phénomène majeur : l’articulation entre mémoire et politique dans les sociétés contemporaines.
Le fantôme minoritaire dans l’académie
Une troisième question que soulève le billet publié par G. Noiriel porte sur l’assignation des universitaires minoritaires au statut de porte-parole des minorités. En 2004, G. Noiriel affirme que l’engagement des minoritaires dans la recherche est une manière de « canaliser » leur « disposition à la rébellion » : « On oublie généralement que les dispositions pour la rébellion que l’on rencontre fréquemment dans les milieux issus de l’immigration s’expliquent par le fait qu’ils cumulent les formes les plus graves de souffrance sociale. Bien souvent ces personnes ne peuvent construire leur identité qu’en cultivant le potentiel de révolte qu’ils ont en eux. L’investissement dans l’écriture, dans la recherche, dans les activités culturelles en rapport avec l’expérience vécue peut être une façon de canaliser ce potentiel dans des formes qui soient compatibles avec le principe de la démocratie, avec le respect des biens et des personnes[32] ». La réduction de la professionnalisation des minoritaires dans le monde académique à une révolte non-violente pose question. Assigner leur travail scientifique à une émotion, la révolte, n’est-ce pas nier le fait que les minoritaires peuvent tout à fait être chercheur.e sans qu’ils.elles soient déterminé.e.s par une improbable disposition à la rébellion ?[33]
Cette manière d’interpréter l’entrée d’outsiders dans le monde académique participe à faire des universitaires minoritaires des porte-parole « hétéro-proclamés » des groupes minoritaires et, de manière plus générale, renvoie à leur disqualification en « chercheur.e.s militant.e.s »[34]. Plusieurs travaux britanniques et étasuniens ont documenté l’expérience vécue par les universitaires minoritaires, marquée par les procès d’intention, les micro-agressions et les censures publiques qu’ils subissent au quotidien, leur rappelant qu’ils ne sont pas totalement à leur place ou qu’ils.elles ne sont pas des universitaires à part entière[35]. Au regard de certains faits avérés, il serait intéressant de mener le même type d’investigation dans le monde académique français[36]. Par exemple, une controverse a traversé le comité de rédaction de la revue Le Mouvement social autour de la parution d’un article théorique de Pap Ndiaye sur la notion de « populations noires »[37], à tel point que le rédacteur en chef a décidé de démissionner et qu’un des membres du comité a publié, plusieurs mois après, chose rare, une « réponse » à l’article de Ndiaye. En 2016, sur la mailing-list de l’ANCMSP (Association nationale des candidats aux métiers de la science politique), A. Hajjat a fait l’objet d’une campagne de dénigrement en raison de ses travaux sur l’islamophobie. En 2017, la journée d’études « Penser l’intersectionnalité dans les recherches en éducation » (Université Paris-Est Créteil) a été l’objet d’une campagne de disqualification par l’extrême-droite et certains universitaires parce que le programme traitait des usages politiques du principe de laïcité dans une logique d’exclusion. Certains organisateurs ont été menacés de sanction disciplinaire et d’exclusion de leur laboratoire pour avoir signé une tribune sur les libertés académiques, et l’un d’entre eux n’a pas obtenu un poste qu’il aurait dû avoir. En 2018, le colloque « Racisme et discrimination raciale de l’école à l’université » a également fait l’objet d’une campagne visant son annulation au motif qu’il relèverait du « racialisme indigéniste ». À l’heure où nous écrivons cet article, l’hebdomadaire français Le Point publie une tribune et un article contre les supposés « décolonialisme » et « racialisme » des chercheur.e.s travaillant sur la question raciale, et mène une véritable chasse aux sorcières contre elles.eux en demandant leur exclusion du monde académique[38].
Bref, l’autonomie de la recherche est remise en cause quand il s’agit de parler de la question raciale dans le monde académique, et les universitaires minoritaires sont directement ciblé.e.s et individuellement discrédité.e.s par certains médias. C’est bien le signe là encore, qu’il faudrait réintégrer la question raciale dans le champ académique et, lorsqu’elle fait l’objet de points de vue, prendre soin d’en mentionner a minima les principaux travaux. L’usage social ou militant d’une recherche ne peut, de ce point de vue, être mis sur le même plan que la recherche proprement dite.
Aussi, le débat sur les figures de l’intellectuel.le tend-il à occulter tout un pan de la réflexion théorique menée par les études féministes et culturelles sur le « savoir situé »[39]. Il est nécessaire de préserver l’autonomie de la recherche en jouant totalement le jeu de la réflexivité, entendu comme la mise au jour de la relation avec un objet de recherche au prisme de la trajectoire et de la position dans l’espace social. Les études féministes et les cultural studies ont depuis longtemps abordé cet enjeu majeur de la production du savoir. Tou.te.s les universitaires minoritaires ne se pensent pas comme tel.le.s. Ils.elles ne souhaitent pas nécessairement manifester leur engagement politique en prenant appui sur l’autorité de leur savoir et de leurs fonctions. Leurs formes d’engagement, lorsque celui-ci existe, sont, il faut bien l’admettre, multiples et ne passent pas forcément par la mobilisation d’un savoir spécifique avec le souhait de transformation sociale. Il faut donc se garder d’avoir une vision totalisante des « universitaires minoritaires » et de les assigner « naturellement » à la thématique de la question raciale, comme si l’universitaire minoritaire devait se faire le porte-parole de sa « communauté », voire d’un concept-maître (classe sociale, genre, nation).
Revenir au terrain
Pour conclure, il nous semble que la recherche sur les processus de racialisation, de stigmatisation, les racismes et les discriminations mérite mieux que les querelles médiatiques – il y a tant à faire ! – alors qu’on observe un manque criant de financements pour mener des enquêtes de terrain. Par exemple, le basculement politique de la région Ile-de-France a débouché sur la disparition de ses financements de contrats doctoraux, postdoctoraux et de projets de recherche sur la question des discriminations. Dans un contexte de montée en puissance des forces politiques conservatrices, s’il y a un chantier commun à mener, c’est bien celui de la pérennisation du financement de la recherche sur la question raciale.
De plus, il est tout à fait envisageable de penser des relations entre universitaires et organisations minoritaires qui respectent l’autonomie des un.e.s et des autres (on pourrait élargir le propos aux institutions étatiques chargées de combattre les discriminations quelles qu’elles soient). Que l’on se définisse comme intellectuel.le spécifique, engagé.e ou organique, ou que l’on se définisse comme militant.e minoritaire ou non, l’enjeu est de nourrir la réflexion globale pour élaborer une politique de l’égalité inclusive, allant au-delà de la fausse opposition entre revendications « identitaires » et revendications « sociales », et qui prenne en compte toutes les formes de domination sans établir de hiérarchie entre elles.
En effet, si l’on fait des sciences sociales, on ne peut pas cantonner l’identitaire ou le racial en dehors du social. La question raciale tout comme la question économique sont des questions sociales. Nous ne sommes pas passés de la « question sociale » à la « question raciale » pour la simple et bonne raison que le racial est social. Faire comme si l’on pouvait trancher la réalité à coup de gros concepts (« sociétal », « identitaire », « continuum colonial », etc.), c’est déroger aux règles de la méthode scientifique lorsqu’on est universitaire, et à celles de la réalité du terrain lorsqu’on est acteur.trice politique. Stuart Hall posait à ce titre une question toujours d’actualité : « comment vivre en essayant de valoriser la diversité des sujets noirs, de lutter contre leur marginalisation et de vraiment commencer à exhumer les histoires perdues des expériences noires, tout en reconnaissant en même temps la fin de tout sujet noir essentiel ?[40] ». Autrement dit, que l’on soit chercheur.e ou militant.e, il est nécessaire de refuser toute logique d’essentialisation exclusive. Si universitaires et organisations minoritaires peuvent travailler ensemble, c’est à la condition de faire l’éloge du terrain, c’est-à-dire d’œuvrer à la compréhension de la complexité des rapports sociaux, et de faire avancer la politique de l’égalité de manière collective.
▻http://mouvements.info/role-des-intellectuel%C2%B7les-minoritaires
#université #intellectuels #science #savoir #savoirs
Intersectionnalité
▻http://mouvements.info/intersectionnalite
À l’automne 2018, l’historien Gérard Noiriel a publié sur son blog personnel1 un long texte particulièrement relayé et discuté parmi les chercheur.e.s en #sciences_sociales sur les réseaux sociaux. Il y commente la controverse entre Mark Lilla et Eric Fassin au sujet du concept de « #gauche_identitaire » et élargit son propos à l’écriture de l’histoire des #classes_populaires. Il reprend notamment une idée développée dans l’introduction de son nouveau livre, Une histoire populaire de la France : « la crise du mouvement ouvrier a considérablement affaibli les #luttes_sociales au profit des conflits identitaires. Le projet d’écrire une #histoire_populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par les porte-parole des #minorités (religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales, qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires. Il suffit de consulter la bibliographie des articles et ouvrages publiés en histoire ces dernières années ou de regarder les recrutements sur des postes universitaires pour être convaincu de cette remarque »2. L’accueil enthousiaste de ce texte auprès de certain.e.s chercheur.e.s en sciences sociales nous a étonné.e.s et interpellé.e.s. En tant que chercheur.e.s travaillant sur ces questions, il nous était difficile de rester silencieux/euses, pour au moins deux raisons.
Dossier #intersectionnalité (lu que l’intro) #genre #minorités
]]>Le racisme anti-Blancs n’existe pas (Alain Policar, Libération)
▻https://www.liberation.fr/debats/2018/10/22/le-racisme-anti-blancs-n-existe-pas_1687081
Il va, certes, de soi que n’importe quel groupe humain est susceptible d’être #racialisé (perçu comme une race) et #racisé (soumis à des stigmatisations). Et il est indéniable que des insultes à caractère #raciste (parfois d’une insupportable violence) sont proférées à l’égard d’individus identifiés comme #Blancs. Ces événements sont pour l’essentiel limités à l’espace public. […] Une étude de l’Ined de janvier 2016 confirme que la population majoritaire ne déclare pas de #discriminations associées aux expériences de #racisme, que les réactions racistes sont peu nombreuses et ne se traduisent pas par des #préjudices matériels. Ainsi, le racisme explicite, qui vise les enfants d’#immigrés, est un racisme qui les discrimine en réduisant leur #accès_à_l’emploi et en dégradant leurs #conditions_de_travail, alors que le racisme visant la population majoritaire prend essentiellement (pas exclusivement) la forme d’insultes dans la rue ou les cours d’école.
[…]
Bien qu’il existe des raisons pouvant conduire à nuancer la célèbre définition d’Albert Memmi, telle qu’elle est proposée dans la Nef en 1964, je pense souhaitable de partir de celle-ci : « Le racisme est la #valorisation, généralisée et définitive, de #différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier ses #privilèges ou son #agression. » Nous avons là une remarquable synthèse des éléments constitutifs du racisme : l’insistance sur des différences, réelles ou imaginaires, leur valorisation au profit du raciste, leur #absolutisation par la #généralisation et leur caractère définitif et, enfin, leur utilisation contre autrui en vue d’en tirer profit. #Catégorisation, #hiérarchisation et #discrimination.
[…]
Le #rejet et l’#exclusion que peuvent subir les Blancs relèvent, pour l’essentiel, des #émotions, de la #colère, du #ressentiment. Les insultes, voire les violences, dont ils peuvent être #victimes sont-elles équivalentes aux discriminations à l’embauche ou au logement, lesquelles sont le reflet de pratiques structurelles concrètes ? Les insultes et les préjugés que des non-Blancs peuvent avoir envers des Blancs sont, certes, dommageables et peuvent considérablement blesser, mais ils ne sont pas #historiquement chargés et, surtout, ne viennent pas en complément d’un #traitement_social défavorable envers les Blancs parce qu’ils sont blancs. Les actes « anti-Blancs » ne correspondent pas à une #idéologie essentialisante qui pourrait la relier à un véritable racisme. Reni Eddo-Lodge a donc parfaitement raison d’insister sur la notion de racisme structurel, racisme dont la population majoritaire ne peut être victime. Le concept de racisme anti-Blancs n’a donc guère de sens dans une société où les Blancs ne subissent pas un racisme institutionnalisé et une discrimination sociale à dimension historique.
]]>Fascist white feminism is exploiting fears about sexual violence to push racist agendas
Sexual violence and child sexual abuse is a growing focus in racist and anti-immigrant rhetoric across Europe. Following the arrest of ex-#English_Defence_League (#EDL) leader #Tommy_Robinson after he broadcast live outside a child grooming trial in Leeds, in June 2018 another “#Free_Tommy” march took place, supported by a far-right campaign group called #120_decibels (#120dB). The group are named after the volume of a rape alarm, use sexual violence against women as a political tool to assert their nationalist, racist agenda across Europe and the UK.
Heavily promoted by the now-crumbling #Generation_Identity, an alt-right group whose “core belief is that ‘white identity’ is under attack”, #120dB claim that sexual violence is “imported violence” perpetrated by “criminal migrants”. This racialisation of sexual violence is dangerous. Instead of tackling all gender-based violence, regardless of the perpetrator’s nationality, immigration status or race, narratives such as those reproduced by #120dB co-opt violence against women for a racist agenda. The impact of this is that already marginalised communities are criminalised, victims and survivors are unsupported, and abuse goes unchallenged, as it is obfuscated by racism.
In their YouTube videos, #120dB labels migrants as “criminal migrants…from archaic societies” who are responsible for “migrant sex crimes”. This #racialisation feeds into racist tropes – that migrant men are from “backward” cultures and are inherently “sexually dangerous”. This language obscures the prevalence of sexual violence across society, which occurs as a cause and consequence of gender inequality. The blanket stereotyping of all non-white men is dangerous and has contributed to racist attacks perpetrated in order to “avenge” white women.
For example, in February 2018, the murder of 18-year-old Italian #Pamela_Mastropietro by a Nigerian man became a focal point for anti-immigration hatred, and was used to promote #120dB’s messages. A few days after Mastropietro’s death, a gunman went on a shooting rampage in #Marcerata, Italy, injuring six African migrants – five men and one woman. Far-right extremist #Luca_Traini was arrested in connection with the attack. The timing of these incidents show how anti-immigration rhetoric gives the green light to racist violence. Speaking at the time of the shooting, Macerata’s mayor said that the shooting rampage “could be ascribable to the campaign of racial hatred that began after Mastropietro’s death.
The Italian far-right Lega Nord (Northern League) party also used Mastropietro’s killing to push their anti-immigration agenda. The continued ramifications of their anti-migrant rhetoric were evident in the killing of #Soumaila_Sacko in June 2018. #Sacko, a 29-year-old Malian man and Unione Sindacale di Base (USB) trade union activist was shot dead in Calabria, Italy by a white man. The USB trade union attributed Sacko’s death to interior minister Matteo Salvini’s vow to “send home” thousands of migrants. As Hsiao-Hung Pai wrote for OpenDemocracy: “No one could ignore the fact that Sacko was murdered just hours after Salvini was sworn in as the country’s deputy prime minister and interior minister, the man who had built a political career on inciting racial hatred”.
This narrative of #victimisation is not new. At a Generation Identity rally in Telford, UK, where it was revealed in March 2018 that up to 1,000 children may have suffered abuse and exploitation, a male speaker called the Midlands town “the epicentre for one of the worst crimes committed against the English nation”. He told the crowd:
“We fight for the dignity, self-respect and honour of the women of the West.
We are talking about our sisters, our mothers, our girlfriends and our wives.”
Here, women have no agency and are depicted only in their relation to men, as sisters, mothers and wives. This type of rhetoric reinforced by #120dB in their video, where they state: “we are the daughters of Europa…mothers, women, sisters”. Their campaign is not about the experience of victims but instead centres on competing masculinities, whereby the bodies of women become a battleground of “honour”. By arguing that violence against women is caused by immigration, and that therefore “closing our borders is the first solution”, women are used to serve this nationalistic ideology, whereby the body, and in turn the nation, is under siege.
It is notable that the women presented as in need of protection are uniformly white. Calling itself “the true #MeToo Movement”, 120 db co-opts a campaign that strives to include all women’s experiences into one that focuses on white women alone.
Despite the fact that a third of victims in the Telford child abuse cases were of black, Asian and minority ethnic background, Generation Identity framed the exploitation as an attack on “the English working classes”, where “the vast majority of [victims] were of English descent.” Using false statistics erases women and girls of colour and leaves them unsupported, suggesting that only violence against white women should be challenged. This is particularly dangerous considering that Europe has seen a sharp increase in Islamophobic attacks: last month a 19-year-old Muslim woman was brutally assaulted by two men in Belgium, who took off her headscarf, tore apart her shirt and used a sharp object to cut a cross into her body.
This skewing of statistics to suit racist agendas is not new: the same tactic was used after the exposure of the Rotherham child exploitation scandal. The fact that Asian girls were among those who had been abused was lost in reporting, the pinnacle of which was an article written by Sarah Champion in The Sun headlined: “British Pakistani men ARE raping and exploiting white girls…and it’s time we faced up to it.” As Just Yorkshire, a project promoting racial justice and human rights documented in their impact report of Champion’s comments: “The issue was no longer one of vulnerable young girls, white and Asian, being horrendously exploited by men who set out to groom and abuse them, but one of the entire nation being under threat by an alien force.” In these cases, sexual violence is portrayed as a civilisational threat of the violent immigrant man, rather than as gender-based violence which is caused by patriarchy and male dominance worldwide.
We urgently need an anti-racist, anti-fascist feminism that strikes back at both sexual abuse and racism, in order to resist this toxic nationalistic “feminism”.
As #MeToo gains prominence, we must be aware of the potential dangers of hashtag activism, which is easily co-opted by the far-right to normalise hatred. By building a feminist movement that is proactively anti-racist, and which centres the voices of women and girls of colour, we can build a feminist movement that is for all.
▻http://nu.gal-dem.com/fascist-feminism-exploiting-fears-sexual-violence-racist-agenda
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cc @marty @daphne @mathieup
Retour sur une période oubliée où des #femmes_enceintes françaises étaient l’objet d’un #traitement_médical différencié en fonction de la couleur de leur peau.
►https://sms.hypotheses.org/11904
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