Benoît Hamon fait une intéressante campagne. En particulier en se présentant comme un partisan du revenu universel ou revenu de base (RB par la suite). Je ne doute pas de la sincérité de ses convictions, mais l’hypothèse centrale qui fonde son projet, celle de la « fin du travail » (au sens de sa raréfaction) est très contestable s’agissant des prochaines décennies, et de surcroît peu compatible avec les exigences d’une transition écologique et sociale ambitieuse, qui est absolument vitale.
Voici un extrait d’un entretien de Benoît Hamon dans Le Monde du 4 janvier dernier (les majuscules sont de moi) :
« Je ne remets pas en cause l’importance du travail, mais je relativise sa place, CAR IL VA SE RAREFIER. Le numérique va bouleverser nos vies… SELON TOUTES LES ETUDES SERIEUSES, CE SONT DES CENTAINES DE MILLIERS D’EMPLOIS PEU OU PAS QUALIFIES QUI ONT COMMENCE A ETRE DETRUITS DANS LES ECONOMIES OCCIDENTALES. »
Ce diagnostic est fréquent, surtout parmi les partisans du RB. Les grands médias ont adoré relayer certaines estimations catastrophistes (pour l’emploi), mais tout cela est-il bien sérieux ? Je m’en suis déjà expliqué dans une série de billets sur « Le mythe de la robotisation détruisant des emplois par millions ».
Je résume. D’abord, des projections techno-pessimistes pour l’emploi, on a déjà connu cela et avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui : le rapport Nora/Minc de 1978, Rifkin et sa « fin du travail » en 1995, et le mythe de la « nouvelle économie » vers 2000. Dans tous les cas, ces prévisions ont été démenties par les faits. Je ne vois pas de raison de changer mes analyses passées (vous pouvez vous reporter au billet cité pour en savoir plus) avec tout ce ramdam récent sur les robots et le numérique dont on nous annonce qu’ils vont détruire 3 millions d’emplois en France dans les 10 ans qui viennent (La tribune du 27/10/14), voire… 18 millions en Allemagne « dans les prochaines décennies » soit pas moins de « 59% de la force de travail » !
POURQUOI CES ERREURS DE PREVISION ?
En quoi le raisonnement des Nora, Minc et Godet de l’époque est-il fautif, tout comme ceux de Rifkin et de nos prospectivistes d’aujourd’hui ? Voici trois biais d’analyse.
Premier biais : ils généralisent abusivement à des secteurs entiers des cas constatables sur des segments d’activités où, en effet, la « machine » remplace le travail humain.
Deuxième biais : ils raisonnent « toutes choses égales par ailleurs » sur le plan de la nature qualitative de la production de biens ou de services, en n’envisageant pas que, dans chaque secteur et dans l’économie, mais aussi pour nombre de métiers, le contenu de l’activité et de la production change fortement, se diversifie ou « s’enrichisse » en services nouveaux. Lorsqu’on en tient compte, le travail supprimé par la machine sur un segment peut (dans de nombreux cas que je cite dans mes billets) être plus que compensé par des activités nouvelles, ou bien tel métier dont on supposait qu’il allait disparaître peut voir son contenu transformé et les emplois correspondants maintenus. C’est pour cette raison que les prévisions périodiques de la DARES sur les métiers, autrement plus sérieuses, ne confirment pas du tout les tendances des prospectivistes médiatiques.
Troisième et dernier biais, le plus important. Ces prospectivistes font comme si le potentiel « révolutionnaire » qu’ils attribuent aux nouvelles technologies n’allait pas se heurter à des freins de toute sorte : freins humains du côté des travailleurs, des consommateurs ou des citoyens, freins économiques (le coût et la rentabilité des investissements dans les machines nouvelles), freins ou contraintes écologiques.