L’asile climatique proposé par l’Australie aux habitants des Tuvalu suscite la controverse
▻https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/24/l-asile-climatique-propose-par-l-australie-aux-habitants-des-tuvalu-suscite-
L’asile climatique proposé par l’Australie aux habitants des Tuvalu suscite la controverse
Par Isabelle Dellerba(Sydney, correspondance)
Publié hier à 08h00, modifié hier à 17h06
Ce pacte aurait pu représenter un modèle de bon voisinage. Vendredi 10 novembre, l’Australie et l’Etat du Tuvalu, dans le Pacifique Sud, ont dévoilé les termes d’un accord historique qui prévoit que Canberra s’engage à offrir l’asile climatique aux 11 000 citoyens du petit archipel à fleur d’eau, menacé d’être englouti par les flots avant la fin du siècle. Mais le texte, qui doit encore être ratifié par les deux parties pour entrer en vigueur, suscite des controverses dans cette région du monde où la crise climatique représente une menace existentielle pour tous les Etats insulaires de faible altitude.
Son volet migratoire ne pose pas particulièrement question. L’accord prévoit que, chaque année, 280 citoyens tuvaluans se verront offrir un visa spécial qui leur permettra de « vivre, étudier et travailler » en Australie, mais aussi d’« accéder aux systèmes éducatifs, de santé et aux principaux dispositifs de soutien aux revenus et à la famille dès leur arrivée ». Le gouvernement travailliste dirigé par Anthony Albanese a ainsi répondu à la demande de l’Etat polynésien. « Nous voulons négocier des accords d’amitié avec des pays partageant nos valeurs, tels que les Fidji, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, pour que nos citoyens puissent y vivre sans renoncer à leur nationalité et y bénéficier des mêmes avantages socio-économiques que le reste de la population », expliquait récemment au Monde le ministre des finances et du changement climatique des Tuvalu, Seve Paeniu.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Kioa, une île refuge pour les habitants des Tuvalu menacés par la montée des eaux
Il s’agit du premier accord bilatéral conclu spécifiquement axé sur la mobilité climatique. Il a été salué par le chef du gouvernement de l’archipel, Kausea Natano, comme « une véritable lueur d’espoir » pour son pays, composé de récifs coralliens et d’atolls d’une hauteur moyenne de deux mètres au-dessus de la mer et déjà fréquemment inondés par des vagues-submersion. « Pour les Tuvaluans, ce pacte, c’est un peu comme un masque à oxygène dans un avion. Vous espérez qu’il ne tombe jamais, mais si vous en avez besoin, vous êtes très content qu’il soit là », abonde Jane McAdam, directrice du Centre Kaldor pour le droit international des réfugiés, qui évoque un texte « fondateur ».
Le problème réside dans l’autre volet de l’accord. Après l’article 3, consacré à « la mobilité humaine dans la dignité », l’article 4 porte sur les questions de sécurité. Si l’Australie s’y engage à venir en aide aux îles Tuvalu en cas d’agression militaire, de catastrophe naturelle ou encore de pandémie, elle obtient aussi son mot à dire sur « tout partenariat, accord ou engagement » que l’archipel voudrait conclure avec d’autres Etats ou entités sur les sujets de sécurité et de défense. « Ces questions comprennent, mais ne se limitent pas à, la défense, la police, la protection des frontières, la cybersécurité et les infrastructures critiques, y compris les ports, les télécommunications et les infrastructures énergétiques », énonce le texte.« En échange de ces 280 places par an, l’Australie a obtenu un pouvoir de veto sur nos priorités de sécurité. Elle a abusé de sa position de force, c’est injuste. Et notre population n’a même pas été consultée », déplore notamment Maina Talia, un militant pour le climat tuvaluan reconnu sur la scène régionale. Les pays occidentaux « traitent les nations insulaires comme des pions pour contrer l’influence de la Chine », a dénoncé le Global Times, un quotidien proche du pouvoir chinois, le 14 novembre.
Dans ce Pacifique Sud, où Pékin et Washington se livrent une lutte d’influence sans merci, Canberra a donné l’impression d’être davantage motivé par ses intérêts stratégiques que par une volonté sincère de soutenir son minuscule voisin rongé par l’océan. Cet accord est d’autant plus critiqué que l’Australie, troisième plus grand exportateur de combustibles fossiles au monde, n’a rien du bon élève en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. « Le nouveau pacte signé par l’Australie avec Tuvalu n’est qu’une solution de fortune qui n’aborde en rien la crise climatique alimentée par les combustibles fossiles », a dénoncé Lagi Seru, membre du bureau régional de Greenpeace, dans un communiqué publié le 11 novembre. Les Etats insulaires demandent à l’Australie, qui souhaite organiser la COP31, de renoncer à accorder de nouvelles licences pour l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz.
Si ce pacte n’est pas perçu comme un modèle, il n’en demeure pas moins précieux pour le gouvernement des Tuvalu qui, face au risque de disparition, explore toutes les pistes possibles pour assurer l’avenir de sa population. Afin qu’elle puisse rester chez elle, il a élaboré un plan d’adaptation à long terme destiné à créer une terre, élevée et sûre, de 3,6 kilomètres carrés – l’Australie s’est engagée à l’aider sur ce projet. Le gouvernement des Tuvalu a également entrepris des démarches pour que l’ensemble de l’archipel soit reconnu comme un site du patrimoine mondial de l’Unesco et mieux protégé.
Etant parfaitement conscient que ces efforts pourraient s’avérer insuffisants, il prépare aussi un futur sans terres émergées. Offrir un refuge à ses habitants était l’une de ses priorités. D’autre part, il a engagé des actions, au niveau juridique, pour que son Etat conserve, quoi qu’il arrive, une existence légale et sa souveraineté sur l’ensemble du territoire, y compris maritime. Enfin, il planche sur la création d’un Etat déterritorialisé, dans le monde virtuel, pour sauvegarder ses archives comme son patrimoine culturel, mais aussi pour que ses ressortissants, même s’ils sont dispersés dans des pays tiers, puissent continuer à bénéficier de services étatiques et restent des citoyens tuvaluans à part entière.
#Covid-19#migrant#migration#australie#ilestuvalu#refugieclimatique#asileclimatique#etat#droit#souverainete