Vu hier soir.
Ambiance assez particulière dans la salle : salle pratiquement pleine, moyenne d’âge largement supérieure à 60 ans, les quelques moins de 25 ans que j’ai vus parlaient des langues étrangères (j’ai entendu de l’italien, de l’allemand,…)
L’un des seniors, en arrivant dans la salle, s’esclaffe : mais, il y a toute la tibetologie française ! Je n’ai pas assisté au débat mené par une tibétologue.
Très beau film, aucun commentaire, presque tout en plan fixe avec des cadrages travaillés au petit poil. Comme dans la bande annonce, quoi.
On peut voir quelques extraits (5) sur la page Vimeo du distributeur, par ex. celui-ci
▻https://vimeo.com/115995763
Extraits de l’entretien avec Carlo Chatrian dans le programme du cinéma Espace Saint-Michel (Paris V)
La folie, la démesure semble faire partie de vos obsessions. En est-il ainsi ?
Pour ce qui est de ce film, s’il y a folie, elle est politique. Ce grand projet m’intéresse par sa démesure. Mais c’est plus un sentiment d’absurdité, de non-sens dans la manière d’envisager l’avenir. Politiquement, il y a des conséquences à élaborer de tels projets qui remodèlent les paysages, qui déplacent les habitants et ont une rentabilité improbable. Le film questionne la manière dont un pouvoir l’impose, en l’enrobant de slogans grandiloquents.
Sud Eau Nord Déplacer joue beaucoup sur les contrastes, entre le caractère minuscule de l’homme et d’imposantes machineries, entre le désert et l’eau. Etait-ce l’un des points de départs du projet ?
Le rapport d’échelle décrit bien la place de l’individu dans le système chinois : on ne s’oppose pas au pouvoir d’État. Dompter les fleuves, organiser la nature, c’est tenir le pays. Le contraste est partout, c’est fascinant et éprouvant. L’eau et les arbres pour contrer le désert, la campagne sacrifiée pour la ville, etc. Le film fait l’état des lieux d’un pays qui se transforme en laissant volontairement une empreinte indélébile. Il se situe au moment-clé des chantiers qui entérinent une décision politique. On ne peut plus reculer et c’est un saut dans l’inconnu. La population doit suivre. Mais ce rapport d’échelle vient aussi de mon propre isolement lors des repérages et du long travail de terrain pour définir ce que deviendrait le film.
Sud Eau Nord Déplacer, c’est le film politique du XXIe siècle. C’est la démonstration que lepolitique aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la « polis », au sens où ce n’est plus dans la cité que le débat social a lieu. D’un côté, il y a des projets de grande envergure. De l’autre, des prises de parole qui s’y opposent. Entre les deux : aucune agora, aucun territoire de rencontre…
C’est bien le lien qui manque et qui autorise tous les excès. Mais j’ai découvert à quel point l’agora se met en place entre les citoyens, par le biais de veilles environnementales, de discussions et de débats sur le net. On sent une opposition constructive dans le film, même s’il ne s’agit que de quelques individus. J’ai découvert au fur et à mesure des acteurs de cette société civile qui agit comme un contre-pouvoir et cela a orienté le film vers des rencontres. Cela crée un équilibre. Et j’aimerais que le film lui-même puisse servir à son tour cette agora.