region:levant

  • Turkey entered Syria to end al-Assad’s rule: President Erdoğan - MIDEAST
    http://www.hurriyetdailynews.com/turkey-entered-syria-to-end-al-assads-rule-president-erdogan.aspx

    The Turkish military launched its operations in Syria to end the rule of Syrian President Bashar al-Assad, President Recep Tayyip Erdoğan said Nov. 29.

    “In my estimation, nearly 1 million people have died in Syria. These deaths are still continuing without exception for children, women and men. Where is the United Nations? What is it doing? Is it in Iraq? No. We preached patience but could not endure in the end and had to enter Syria together with the Free Syrian Army [FSA],” Erdoğan said at the first Inter-Parliamentary Jerusalem Platform Symposium in Istanbul.

    “Why did we enter? We do not have an eye on Syrian soil. The issue is to provide lands to their real owners. That is to say we are there for the establishment of justice. We entered there to end the rule of the tyrant al-Assad who terrorizes with state terror. [We didn’t enter] for any other reason,” the president said.

    On Aug. 24, the Turkish Armed Forces launched an operation in Syria, the Euphrates Shield operation, with FSA fighters to ostensibly clear the country’s southern border of both the Islamic State of Iraq and the Levant (ISIL) and the Syrian Kurdish Democratic Union Party (PYD) forces, which Ankara considers as a terrorist group linked to the outlawed Kurdistan Workers’ Party (PKK).

    Last week, a total of six Turkish troops, of them four in a suspected Syrian government attack, and two in ISIL attacks, were killed in three separate attacks from Nov. 24 to 26.

  • « Ce qu’annonce l’éclatement irakien » par Peter Harling 07/2014
    https://www.monde-diplomatique.fr/2014/07/HARLING/50615

    L’offensive de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n’a surpris que ceux qui se désintéressaient de l’évolution du pays depuis le retrait des troupes américaines. L’incompétence du pouvoir central et sa politique favorable aux chiites ont créé les conditions d’une insurrection sunnite.

    La récente montée en puissance d’une force djihadiste sunnite dans le nord-ouest de l’Irak est spectaculaire, au sens propre du terme. Elle relève du mauvais vaudeville : il y a dans le pays, pour ainsi dire, un terroriste dans le placard. Lorsqu’il fait irruption sur la scène, le premier ministre chiite Nouri Al-Maliki joue la surprise, crie à l’assassin et appelle ses amis à la rescousse pour le chasser de la maison. Pourtant, ce djihadiste, c’est lui-même qui lui a ouvert la porte et qui l’a nourri. Ses amis, notamment iraniens, le savent, mais trouvent un intérêt à se prêter au jeu. Car le terroriste est l’excuse toute trouvée pour éclipser les errements de celui qui, après tout, reste leur homme.

    En juin 2014, donc, des djihadistes sunnites opérant sous le nom d’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, également connu sous son acronyme arabe, Daash) s’emparent presque sans combattre de Mossoul, deuxième ou troisième ville du pays selon les chiffres auxquels on se réfère. D’autres localités, dans cette zone à dominante arabe sunnite, tombent rapidement, à mesure que l’appareil de sécurité se désintègre. L’Etat irakien abandonne ses équipements militaires, dont des véhicules fournis par les Etats-Unis, laisse derrière lui ses nombreux prisonniers — généralement détenus de façon arbitraire — et livre à l’adversaire des prises de choix : près d’un demi-milliard de dollars entreposés dans une succursale de la banque centrale, notamment. Des groupes armés moins radicaux se joignent au mouvement, s’attribuant une part vraisemblablement exagérée de ces victoires. Parmi les habitants qui ne fuient pas, certains célèbrent ce qu’ils appellent une « libération », un « soulèvement », ou même une « révolution »...

    Pour compléter les archives sur #Peter_Harling un excellent article du #Monde_Diplomatique.

  • Le jour où le monde a basculé… - RipouxBlique des CumulardsVentrusGrosQ
    http://slisel.over-blog.com/2016/11/le-jour-ou-le-monde-a-bascule.html

    Dans le mythe Babylonien de Gilgamech, le littoral méditérranéen du Levant y est décrit comme le théâtre d’une guerre continuelle, interminable, longue et complexe. Un mythe est presque toujours fondée sur un semblant de vérité ancienne, déformée par le temps et l’imagination des hommes.

    Sans remonter aussi loin dans l’histoire, du moins celle que l’on croit connaître, il n’y a qu’a constater la persistence des conflits dans cette région strategique du monde : le conflit israélo-palestinien entame sa septième décennie ; un peu plus au nord, la guerre civile libanaise a duré de 1975 jusqu’en 1989. Enfin, la guerre en Syrie est en passe de dépasser, de par sa durée, la seconde guerre mondiale (1939-1945)…

    Ce n’est pas un hasard si, à Damas, cette guerre a toujours été présentée comme un conflit mondial. Mais toute proportion gardée, cette guerre déclenchée dans le cadre d’une grande opération hybride mêlant l’ingénierie sociale par le chaos à l’action de forces spéciales formant et appuyant une insurrection armée, n’a pas abouti au résultat escompté, lequel aurait plus contribué à un chaos encore plus grand qu’à un semblant de stabilité. C’est par le chemin de Damas que la Russie est revenue en force sur l’arène des grandes puissances, à coup de missiles de croisière Kaliber et Onyx.

    C’est sur les décombres des villes syriennes, sous les yeux de soldats terrorisés par la catastrophe irakienne qu’a sombré toute la politique américaine au Proche et Moyen-Orient.

    C’est en Syrie que le destin du monde, tel qu’il a été conçu à Yalta en 1945 et non pas après la chute de l’Union Soviétique, a définitivement basculé.

    https://strategika51.com

  • Combats entre rebelles syriens près de la frontière turque
    http://www.boursorama.com/actualites/combats-entre-rebelles-syriens-pres-de-la-frontiere-turque-3602a6992e6df

    BEYROUTH, 14 novembre (Reuters) - Des combats entre groupes
    rebelles rivaux ont éclaté lundi dans la ville d’#Azaz, près de
    la frontière syro-turque, accentuant les divisions entre
    insurgés alors que les forces de Bachar al Assad assiègent les
    quartiers d’Alep-Est.

    Les affrontements ont opposé le Front du Levant, un groupe
    de l’Armée syrienne libre (ASL) soutenue par la #Turquie, a
    d’autres factions de l’ASL ralliées aux islamistes d’Ahrar al
    Cham, ont dit des sources dans les deux camps.

    Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), le
    Front du Levant a perdu dans la bataille son quartier général et
    plusieurs postes de contrôle. Un responsable du groupe a indiqué
    que des combattants participant à l’offensive contre le groupe
    Etat islamique (EI) à Al Bab avaient dû être rappelés en renfort
    à Azaz.

    Les affrontements ont incité Ankara à fermer le poste
    frontière d’Oncupinar, un axe d’approvisionnement majeur entre
    la Turquie et les territoires contrôlés par les insurgés dans le
    nord de la #Syrie.

    Ces combats pourraient avoir des répercussions jusqu’à #Alep,
    à 60 km plus au sud, où les groupes impliqués dans les combats
    sont aussi représentés et se sont récemment affrontés pour le
    contrôle de positions et de stocks d’armes.

    A Azaz, Ahrar al Cham et le groupe Nour al Dine al Zinki,
    affilié à l’origine à l’ASL mais qui combat de plus en plus aux
    côtés des islamistes voire des djihadistes comme ceux du Front
    Fateh al Cham (ex-#Front_al_Nosra) à Alep, ont dit avoir lancé
    une campagne visant à « nettoyer » le nord de la Syrie des groupes
    agissant de manière mafieuse.

  • Cette révolution syrienne qui n’existe pas. Par Stephen Gowans Mondialisation.ca, 25 octobre 2016 - RipouxBlique des CumulardsVentrusGrosQ
    http://slisel.over-blog.com/2016/10/cette-revolution-syrienne-qui-n-existe-pas.html

    Note de la rédaction : l’article traduit ci-dessous est une dénonciation, en bonne et due forme, des mensonges de propagande qui empoisonnent « la gauche » aux USA concernant le conflit syrien, en l’occurrence sous le clavier d’Eric Draitser qui écrivait sur le site web Counterpunch. Il s’agissait pour l’auteur de démontrer que certains discours se disant « de gauche » cachent en réalité des projets inavouables et manipulateurs au service d’agendas impérialistes occidentaux, et sionistes. Dans le même temps, il offre au lecteur une chronologie très instructive sur le conflit syrien et ses origines cachées dans les ambitions post-coloniales des nations occidentales. De plus, c’est un excellent travail journalistique a posteriori de « débunkage » des manipulations oligarchiques (relayées par leurs médias aux ordres) par l’usage de leur propre travail « à contre-emploi ». Enfin, les reproches émis envers la distorsion du discours « de gauche » aux USA sont parfaitement transposables à la France (ainsi qu’à la plupart des pays francophones) et à ses partis « de gauche », qui diabolisent tous – et à tort – le régime syrien. – Will Summer

    Dans certains milieux circule une rengaine dans le vent qui veut que le soulèvement syrien, comme Eric Draitser l’écrivait dans un récent article de Counterpunch, « a commencé en réaction aux politiques néolibérales du gouvernement syrien et à sa brutalité », et que « le contenu révolutionnaire de la faction rebelle en Syrie a été mis sur la touche par un ramassis de djihadistes, financés par les Qataris et par les Saoudiens. » Cette théorie semble, à mon esprit défendant, reposer sur une logique de présomptions mais non de preuves.

    Une revue des dépêches médiatiques pendant les semaines précédant et suivant immédiatement l’éruption d’émeutes à Deraa, au milieu du mois de mars 2011 – généralement reconnues pour avoir marqué le début des troubles – ne fournit aucune indication que la Syrie ait été aux prises avec un empressement révolutionnaire, anti-néolibéral ou autre. Au contraire, des journalistes travaillant pour Time Magazine et pour le New York Times ont évoqué le large soutien dont bénéficiait le gouvernement, que les opposants d’Assad lui concédaient sa popularité et que les Syriens ne témoignaient guère d’intérêt à manifester. Dans le même temps, ils ont décrit les troubles comme une série d’émeutes concernant des centaines – et non pas des milliers ou des dizaines de milliers – de personnes, mues par un agenda principalement islamiste et exhibant un comportement violent.

    Time Magazine rapporta que deux groupes djihadistes, qui allaient plus tard jouer des rôles de premier plan dans l’insurrection, Jabhat al-Nusra et Ahrar al-Sham, étaient déjà en activité à la veille des émeutes alors que seulement trois mois auparavant des dirigeants des Frères Musulmans avaient exprimé « leur espoir d’une révolte civile en Syrie ». Les Frères Musulmans, qui avaient plusieurs décennies plus tôt déclaré la guerre au Parti Ba’as au pouvoir en Syrie par rejet du laïcisme du parti, étaient enferrés dans une lutte à mort avec les nationalistes arabes depuis les années 1960, et s’étaient engagés dans des bagarres de rue avec des partisans du Parti Ba’as depuis les années 1940. (dans l’une de ces bagarres Hafez al-Assad, père du Président actuel qui allait lui-même servir comme Président de 1970 à 2000, fut poignardé par un adversaire Frère Musulman.) Les dirigeants des Frères Musulmans ont fréquemment rencontré, à partir de 2007, des représentants du State Department US et du Conseil National de Sécurité US, ainsi que de la Middle East Partnership Initiative financée par le gouvernement US, qui endossait ouvertement le rôle de financement d’organisations putschistes à l’étranger – une tâche que la CIA avait jusqu’alors rempli clandestinement.

    Washington avait conspiré pour purger la Syrie de l’influence nationaliste arabe dès le milieu des années 1950 quand Kermit Roosevelt Jr., qui avait été le maître d’œuvre de l’éviction du Premier Ministre Mohammad Mossadegh en Iran, renversé pour avoir nationalisé l’industrie pétrolière de son pays, ourdit avec les renseignements britanniques d’exciter les Frères Musulmans pour renverser un triumvirat de dirigeants nationalistes arabes et communistes à Damas, considérés par Washington et Damas comme nuisibles aux intérêts économiques occidentaux dans le Moyen-Orient.

    Washington alimenta les combattants des Frères Musulmans en armes pendant les années 1980 pour mener une guérilla urbaine contre Hafez al-Assad, que les bellicistes à Washington traitaient de « Communiste arabe ». Son fils Bachar poursuivit l’attachement des nationalistes arabes à l’unité (de la nation arabe), à l’indépendance et au socialisme (arabe). Ces objectifs guidaient l’état syrien – comme ils avaient guidé les états nationalistes arabes de Libye sous Mouammar Qaddafi, et d’Irak sous Saddam Hussein. Ces trois états étaient les cibles de Washington pour la même raison : leurs principes nationalistes arabes s’opposaient fondamentalement à l’agenda impérialiste US d’hégémonie planétaire des États-Unis.

    Le refus par Bachar al-Assad de renoncer à l’idéologie nationaliste arabe consterna Washington qui se plaignit de son socialisme, la tierce partie de la sainte trinité des valeurs ba’athistes. Des plans pour évincer Assad – partiellement inspirés par son refus d’embrasser le néolibéralisme de Washington – étaient déjà en préparation à Washington en 2003, sinon plus tôt. Si Assad était un champion du néolibéralisme comme le prétendent Draitser et d’autres, cela a étrangement échappé à l’attention de Washington et de Wall Street, qui se plaignaient de la Syrie « socialiste » et de ses politiques économiques résolument anti-néolibérales.

    Un bain de sang déclenché avec l’aide des USA

    Fin janvier 2011, une page Facebook a été créée avec le titre « The Syrian Revolution 2011 ». Elle annonçait qu’un « Jour de Colère » serait tenu le 4, et le 5 février [1]. Les manifestations « s’évanouirent d’elles-mêmes », selon Time. Le Jour de Colère se solda par un Jour d’Indifférence. En plus, les liens avec la Syrie étaient ténus. La plupart des slogans scandés par les quelques manifestants présents concernaient la Libye, exigeant que Mouammar Qaddafi – dont le gouvernement était assiégé par des insurgés islamistes – quitte le pouvoir. Des projets pour de nouvelles manifestations furent faits pour le 4 et le 5 mars, mais elles n’attirèrent pas davantage de soutien [2].

    La correspondante de Time Rania Abouzeid attribua l’échec des organisateurs de ces manifestations pour attirer un soutien significatif au fait que la plupart des Syriens n’étaient pas opposés à leur gouvernement. Assad avait une réputation favorable, en particulier parmi les deux-tiers de la population âgée de moins de 30 ans, et les politiques de son gouvernement jouissaient d’un large soutien. « Même des opposants concèdent qu’Assad est populaire et jugé proche de l’énorme cohorte de jeunes du pays, à la fois émotionnellement, psychologiquement et, bien entendu, chronologiquement », rapportait Abouzeid en ajoutant qu’au contraire « des dirigeants pro-US renversés de Tunisie et d’Égypte, la politique étrangère d’Assad hostile envers Israël, son soutien acharné en faveur des Palestiniens et de groupes militants comme le Hamas et le Hezbollah sont en accord avec les sentiments du peuple syrien. » Assad, en d’autres termes, avait une légitimité. La correspondante de Time poursuivait pour écrire qu’Assad « conduisant lui-même jusqu’à la Mosquée des Omeyyades en février pour prendre part aux prières marquant l’anniversaire du Prophète Mohammed, et flânant parmi la foule du Souq Al-Hamidiyah entouré d’une garde restreinte » s’était « attiré, à titre personnel, l’affection du public » [3].

    Cette description du Président syrien – un dirigeant aimé de son peuple, idéologiquement en phase avec les sentiments syriens – s’érige en contraire du discours qui allait émerger peu de temps après l’éruption de manifestations violentes dans la ville syrienne de Deraa moins de deux semaines plus tard, et qui allait s’implanter dans celui des gauchistes US dont Draitser. Mais à la veille des événements déclencheurs de Deraa, la Syrie se faisait remarquer par sa quiétude. Personne ne « s’attend à un soulèvement de masse en Syrie », rapportait Abouzeid « et, malgré l’expression d’une dissidence une fois de temps en temps, il y en a très peu qui souhaitent y prendre part » [4]. Un jeune Syrien dit à Time : « Il y a beaucoup d’aides du gouvernement pour la jeunesse. Ils nous donnent des livres gratuits, des écoles gratuites, des universités gratuites. » (Pas trop l’image d’un état néolibéral comme dépeint par Draitser…) Elle continue : « Pourquoi y aurait-il une révolution ? La probabilité en est peut-être d’un pour cent. » [5] Le New York Times partageait cette opinion. La Syrie, rapportait le journal, « semblait immunisée contre la vague de révoltes frappant le monde arabe. » [6] La Syrie était libre de troubles.

    Mais le 17 mars, il y eut un violent soulèvement à Deraa. Il y a des récits contradictoires quant à qui, ou ce qui l’a déclenché. Time rapporta que la « révolte à Deraa a été provoquée par l’arrestation d’une poignée de jeunes pour avoir peint un mur avec des graffitis anti-régime. » [7] Robert Fisk de The Independent offrait une version légèrement différente. Il rapportait que « des agents des services de renseignement avaient tabassé et tué plusieurs garçons qui avaient tagué des graffitis sur les murs de la ville. » [8] Un autre récit soutient que le facteur ayant mis le feu aux poudres à Deraa ce jour-là, avait été l’usage extrême et disproportionné de la force par les services de sécurité syriens en réponse à des manifestations s’opposant à l’arrestation des garçons. Il y a eu « quelques jeunes dessinant des graffitis sur les murs, ils ont été mis en détention, et comme leurs parents voulaient les récupérer, les services de sécurité ont réagi de façon vraiment très, très brutale. » [9] Un autre récit, provenant du gouvernement syrien, affirme que rien de tout cela ne s’est produit. Cinq ans après les événements, Assad déclara lors d’une interview que cela « n’est pas arrivé. Ce n’était que de la propagande. En fait, nous en avons entendu parler, et nous n’avons jamais vu ces enfants ayant été emmenés en prison à l’époque. Donc, c’était une histoire fausse. » [10]

    Mais s’il y a eu des désaccords sur ce qui avait déclenché le soulèvement, il y en a eu peu pour dire qu’il était violent. Le New York Times rapporta que « les manifestants ont mis le feu au quartier-général du Parti Ba’as au pouvoir ainsi qu’à d’autres bâtiments gouvernementaux… et ont affronté la police… En plus du quartier-général du parti, les manifestants ont incendié le palais de justice de la ville et les bureaux locaux de la compagnie de téléphone SyriaTel. » [11] Time ajoutait que les manifestants avaient mis le feu au bureau du gouverneur, ainsi qu’à ceux de la succursale locale d’une deuxième compagnie de téléphonie mobile. [12] L’agence de presse du gouvernement syrien, SANA (Syrian Arab News Agency), publia des photographies de véhicules en flammes sur son site web. [13] Clairement il ne s’agissait pas là d’une manifestation pacifique, ainsi qu’elle serait décrite plus tard. Ce n’était pas non plus un soulèvement populaire. Time rapporta que les manifestants se dénombraient par centaines, et pas en milliers ou en dizaines de milliers. [14]

    Assad a immédiatement réagi aux troubles de Deraa, annonçant « une série de réformes, y compris une augmentation du salaire des fonctionnaires, une plus grande liberté pour les médias d’information et les partis politiques, et un réexamen de la loi sur l’état d’urgence, » [15] une restriction des libertés politiques et civiques de temps de guerre en vigueur parce que la Syrie était officiellement en guerre contre Israël. Avant la fin du mois d’avril, le gouvernement allait abroger « la loi sur l’état d’urgence du pays vieille de 48 ans » et abolir « la Cour Suprême de l’État sur la Sécurité. » [16]

    Pourquoi le gouvernement a-t-il fait ces concessions ? Parce que c’est ce qu’avaient demandé les manifestants de Deraa. Les manifestants se sont « rassemblés dans et autour de la Mosquée d’Omari à Deraa, scandant leurs exigences : la libération de tous les prisonniers politiques… l’abolition de la loi sur l’état d’urgence vieille de 48 ans ; davantage de libertés ; et la fin de la corruption endémique. » [17] Ces exigences étaient cohérentes avec l’appel, articulé début février sur la page Facebook « The Syrian Revolution 2011 », pour « mettre fin à l’état d’urgence et à la corruption en Syrie. » [18] Un appel exigeant la libération de tous les prisonniers politiques fut également rédigé dans une lettre signée par des religieux et posté sur Facebook. Les exigences des religieux incluaient l’abrogation de la « loi sur l’état d’urgence, la libération de tous les détenus pour des raisons politiques, la cessation du harcèlement par les services de sécurité du régime et un combat contre la corruption. » [19] Relâcher les détenus pour des raisons politiques équivalait à libérer des djihadistes ou, pour employer le terme communément usité en Occident, des « terroristes ». Le State Department US avait reconnu que l’Islam politique était la principale force d’opposition en Syrie [20] ; les djihadistes constituaient la majeure partie du corps des opposants à même d’être incarcérés. Que des religieux réclament que Damas libère tous ses prisonniers politiques est comparable à ce que l’État Islamique exige de Washington, Paris et Londres la libération tous les Islamistes détenus dans les prisons US, françaises et britanniques pour des affaires liées au terrorisme. Il ne s’agissait pas d’exigences pour des emplois ou davantage de démocratie, mais de l’issue de détention d’activistes inspirés par l’objectif d’instaurer un état islamique en Syrie. L’appel à lever l’état d’urgence, pareillement, semblait avoir peu de rapport avec la promotion de la démocratie et davantage avec l’amélioration de la mobilité des djihadistes et de leurs acolytes, pour organiser l’opposition à l’état laïc.

    Une semaine après l’explosion des violences à Deraa, Rania Abouzeid de Time rapportait qu’il « ne semble pas y avoir d’appels répandus pour la chute du régime ou pour l’éviction du Président, relativement populaire. » [21] Effectivement, les exigences émises par les manifestants et par les religieux ne comprenaient pas d’appel à la démission d’Assad. Et les Syriens se ralliaient à leur Président. « Il y a eu des contre-manifestations dans la capitale en soutien au Président, » [22] réunissant d’après les rapports beaucoup plus de monde que les quelques centaines de manifestants qui avaient pris les rues de Deraa pour incendier des bâtiments et des voitures, et affronter la police. [23]

    Le 9 avril – moins d’un mois après les événements de Deraa – Time rapportait qu’une série de manifestations avait été organisées et que l’Islam y jouait un rôle prééminent. Pour quiconque un tant soit peu familier avec l’enchaînement sur plusieurs décennies de grèves, de manifestations, d’émeutes et d’insurrections qu’avaient initié les Frères Musulmans contre ce qu’ils estimaient être le gouvernement « infidèle » ba’athiste, tout cela ressemblait à l’histoire qui se répétait. Les manifestations n’atteignaient pas la masse critique. Au contraire, le gouvernement continuait à bénéficier de « la loyauté » d’une « large partie de la population », selon Time. [24]

    Les Islamistes ont joué un rôle éminent dans la rédaction des Déclarations de Damas au milieu des années 2000, qui réclamaient le changement de régime. [25] En 2007 les Frères Musulmans, archétypes du mouvement politique islamiste sunnite, ayant inspiré al-Qaeda et sa progéniture de Jabhat al-Nusra à l’État Islamique, se sont mis en cheville avec un ancien vice-président syrien pour fonder le Front du Salut National. Cet organe a fait de fréquentes rencontres avec le State Department US et le Conseil National de Sécurité US, ainsi qu’avec la Middle East Partnership Initiative [Inititative de Partenariat au Moyen-Orient, NdT] financée par le gouvernement US, [26] qui accomplissait ouvertement ce que la CIA faisait naguère en secret, c’est-à-dire acheminer des fonds et de l’expertise aux cinquièmes colonnes des pays où Washington n’aimait pas le gouvernement.

    En 2009, juste deux ans avant l’éruption des troubles à travers le monde arabe, les Frères Musulmans de Syrie ont dénoncé le gouvernement nationaliste arabe de Bachar al-Assad comme élément exogène et hostile à la société syrienne, qui devait être éliminé. Selon la réflexion du groupe la communauté des Alaouïtes, à laquelle appartient Assad et que les Frères considéraient comme hérétiques, se servait du nationalisme arabe laïc comme couverture pour la progression d’un agenda sectaire, dont l’objectif était la destruction de la Syrie de l’intérieur par l’oppression des « vrais » Musulmans (c’est-à-dire des Sunnites). Au nom de l’Islam, il était nécessaire de renverser ce régime hérétique. [27]

    Seulement trois mois avant le début des violences de Syrie en 2011, l’érudit Liat Porat écrivit un billet pour le Crown Center for Middle East Studies, basé à l’Université de Brandeis. « Les dirigeants du mouvement, » concluait Porat, « continuent d’exprimer leur espoir d’une révolte civile en Syrie, dans laquelle ‘le peuple syrien remplira son devoir et libérera la Syrie du régime tyrannique et corrompu’. » Les Frères Musulmans stressaient le fait qu’ils étaient engagés dans une lutte à mort contre le gouvernement nationaliste arabe laïc de Bachar al-Assad. Il était impossible de trouver un arrangement politique avec ce gouvernement car ses dirigeants n’appartenaient pas à la nation syrienne, musulmane et sunnite. L’appartenance à la nation syrienne était réservée aux vrais Musulmans affirmaient les Frères, et pas aux hérétiques alaouïs qui embrassaient des croyances étrangères aussi anti-islamiques que le nationalisme arabe. [28]

    Que les Frères Musulmans syriens aient joué un rôle clé dans le soulèvement s’est vu confirmé en 2012 par la Defense Intelligence Agency US [renseignements militaires, NdT]. Un document ayant fuité de l’agence déclarait que l’insurrection était sectaire et emmenée par les Frères Musulmans et al-Qaeda en Irak, précurseur de l’État Islamique. Le document poursuivait pour dire que ces insurgés étaient soutenus par l’Occident, les pétromonarchies arabes du Golfe Persique et la Turquie. L’analyse prédisait correctement l’établissement d’une « principauté salafiste » – un état islamique – en Syrie orientale, soulignant que c’était là le souhait des appuis étrangers de l’insurrection, qui voulaient voir les nationalistes arabes isolés et coupés de l’Iran. [29]

    Des documents mis au point par des chercheurs du Congrès US en 2005 ont révélé que le gouvernement US envisageait activement le changement de régime en Syrie longtemps avant les soulèvements du Printemps Arabe de 2011, ce qui défie l’opinion que le soutien US en faveur des rebelles syriens reposait sur leur allégeance à un « soulèvement démocratique », et démontrent qu’il s’agissait de l’extension d’une politique de longue date visant à renverser le gouvernement de Damas. En effet, les chercheurs reconnaissaient que la motivation du gouvernement US pour renverser le gouvernement nationaliste arabe laïc à Damas n’avait rien à voir avec la promotion de la démocratie au Moyen-Orient. Pour être précis, ils relevaient que la préférence de Washington allait vers les dictatures laïques (Égypte) et les monarchies (Jordanie et Arabie Saoudite). Le moteur des efforts visant le changement de régime, selon les chercheurs, était le désir de balayer un obstacle à l’accomplissement des objectifs US au Moyen-Orient en lien avec : le renforcement d’Israël, la consolidation de la domination US en Irak et l’instauration d’économies de marché sur le mode néolibéral. La démocratie n’a jamais fait partie du décor. [30] Si Assad faisait la promotion de politiques néolibérales en Syrie comme le prétend Draitser, il est difficile de comprendre pourquoi Washington a pu citer le refus syrien d’épouser l’agenda US d’ouverture des marchés et de liberté des entreprises comme prétexte pour procéder au changement du gouvernement syrien.

    Afin de mettre un accent sur le fait que les manifestations manquaient de soutien populaire massif le 22 avril, plus d’un mois après le début des émeutes à Deraa, Anthony Shadid du New York Times rapportait que « les manifestations, jusqu’ici, ont semblé ne pas atteindre le niveau des soulèvements populaires des révolutions d’Égypte et de Tunisie. » En d’autres termes, plus d’un mois après que des centaines – et pas des milliers, ni des dizaines de milliers – de manifestants aient provoqué des émeutes à Deraa, il n’y avait pas de signes d’un soulèvement populaire de type Printemps Arabe en Syrie. La rébellion restait une affaire essentiellement circonscrite aux Islamistes. Par contraste, il y avait eu à Damas d’énormes manifestations en soutien – et non pas hostile – au gouvernement, Assad était toujours populaire et, selon Shadid, le gouvernement profitait de la loyauté des « sectes hétérodoxes chrétiennes et musulmanes. » [31] Shadid n’a pas été le seul journaliste occidental à rapporter que les Alaouïtes, les Ismaïliens, les Druzes et le Chrétiens soutenaient fortement le gouvernement. Rania Abouzeid de Timeobserva que les Ba’athistes « pouvaient compter sur le soutien des groupes minoritaires conséquents de Syrie. » [32]

    La réalité que le gouvernement syrien commandait la loyauté des sectes hétérodoxes chrétiennes et musulmanes, telle que rapportée par Anthony Shadid du New York Times, suggère que les minorités religieuses de Syrie décelaient dans ce soulèvement quelque chose qui n’a pas assez été rapporté par la presse occidentale (et que les socialistes révolutionnaires aux États-Unis ont manqué), c’est-à-dire qu’il était alimenté par un agenda sectaire sunnite islamiste qui, s’il devait porter ses fruits, aurait des conséquences désagréables pour tous ceux n’étant pas considérés comme de « vrais » Musulmans. Pour cette raison les Alaouïtes, les Ismaïliens, les Druzes et les Chrétiens s’alignaient avec les Ba’athistes qui cherchaient à réduire les clivages sectaires dans leur engagement programmatique de génération d’unité de la nation arabe. Le slogan « les Alaouïtes dans la tombe et les Chrétiens à Beyrouth ! » entonné pendant les manifestations des premiers jours [33] ne faisait que confirmer le fait que le soulèvement s’inscrivait dans la continuité de la lutte à mort proclamée par l’Islam politique sunnite contre le gouvernement nationaliste arabe laïc, et n’était nullement une révolte populaire en faveur de la démocratie ou contre le néolibéralisme. S’il s’était agi de l’une ou l’autre de ces choses, alors comment expliquer que la soif de démocratie et l’opposition au néolibéralisme n’aient été présentes qu’au sein de la communauté sunnite, et absentes dans les communautés des minorités religieuses ? Assurément, un déficit de démocratie et une tyrannie néolibérale auraient dépassé les frontières religieuses, si jamais ils avaient figuré parmi les facteurs déclencheurs d’un soulèvement révolutionnaire. Que les Alaouïtes, les Ismaïliens, les Druzes et les Chrétiens n’aient pas manifesté, et que les émeutes aient reposé sur les Sunnites avec un contenu islamiste suggère fortement que l’insurrection, dès le départ, constituait la recrudescence de la campagne djihadiste sunnite engagée de longue date contre la laïcité ba’athiste.

    « Dès le tout début le gouvernement Assad a déclaré qu’il était engagé dans un combat contre des militants islamistes. » [34] La longue histoire des soulèvements islamistes contre le Ba’athisme antérieurs à 2011 suggère certainement que c’était très probablement le cas, et la façon dont le soulèvement évolua par la suite, en tant que guerre emmenée par des Islamistes contre l’état laïc, ne fait que renforcer ce point de vue. D’autres preuves à la fois positives et négatives corroboraient l’affirmation d’Assad que l’état syrien subissait l’attaque de djihadistes (tout comme il l’avait déjà été maintes fois dans le passé). Les preuves négatives, que le soulèvement n’était pas une révolte populaire dirigée contre un gouvernement impopulaire, transpiraient des rapports médiatiques occidentaux qui démontraient que le gouvernement nationaliste arabe de Syrie était populaire et commandait la loyauté de la population.

    Les manifestations et les émeutes anti-gouvernementales à petite échelle ont attiré beaucoup moins de monde, par contraste, qu’une énorme manifestation à Damas en soutien au gouvernement et assurément, également beaucoup moins que les soulèvements populaires d’Égypte et de Tunisie. De plus, les exigences des manifestants étaient centrées sur la libération de prisonniers politiques (principalement des djihadistes) et sur la levée des restrictions de temps de guerre sur la dissidence politique, pas sur des appels à la démission d’Assad ou au changement des politiques économiques du gouvernement. Les preuves positives proviennent des rapports médiatiques occidentaux démontrant que l’Islam politique a joué un rôle prééminent dans les émeutes. En outre, alors qu’il était crédité que les groupes islamistes armés n’étaient entrés dans l’arène que dans le sillage des émeutes initiales du printemps 2011 – « piratant » ainsi un « soulèvement populaire » – en réalité, deux groupes ayant joué un grand rôle dans la révolte armée post-2011 contre le nationalisme arabe laïc, Ahrar al-Sham et Jabhat al-Nusra étaient tous les deux actifs, au début de cette année-là. Ahrar al-Sham « avait commencé à former des brigades […] bien avant la mi-mars 2011, » quand l’émeute de Deraa a eu lieu, selon Time. [35] Jabhat al-Nusra, franchise d’al-Qaeda en Syrie, « était inconnu jusqu’à fin janvier 2012 où le groupe a annoncé sa formation [… mais] il était déjà actif depuis des mois. » [36]

    Un autre élément de preuve corroborant l’idée que l’Islam militant a joué très tôt un rôle dans les soulèvements – ou du moins, que les manifestations ont tout de suite été violentes – est qu’il y « avait dès le départ des signes que des groupes armés étaient impliqués. » Le journaliste et écrivain Robert Fisk se souvient avoir vu un enregistrement des « tous premiers jours du ‘soulèvement’ montrant des hommes équipés d’armes de poing et de Kalashnikovs, pendant une manifestation à Deraa. » Il se souvient d’un autre événement survenu en mai 2011, où « une équipe d’Al Jazeera a filmé des hommes armés tirant sur des troupes syriennes à quelques centaines de mètres de la frontière du nord du Liban, mais la chaîne a décidé de ne pas diffuser l’enregistrement. » [37] Même des officiels US, qui étaient hostiles au gouvernement syrien et dont on aurait pu attendre qu’ils contestent la version de Damas selon laquelle la Syrie était engagée dans une lutte contre des rebelles armés, ont « concédé que les manifestations n’étaient pas pacifiques et que certains participants étaient armés. » [38] En septembre, les autorités syriennes faisaient savoir qu’elles déploraient la perte de plus de 500 policiers et soldats, tués par les insurgés. [39] À la fin du mois d’octobre ces chiffres avaient plus que doublé. [40] En moins d’un an, le soulèvement était parti de l’incendie de bâtiments du Parti Ba’as et de bureaux gouvernementaux avec des affrontements contre la police, à la guérilla comprenant des méthodes qui seraient plus tard définies de « terroristes », quand elles sont menées contre des cibles occidentales.

    Assad allait se plaindre plus tard que :

    Tout ce que nous avons dit depuis le début de la crise en Syrie, ils le disent plus tard. Ils ont dit que c’était pacifique, nous avons que ça ne l’était pas, ils tuent – ces manifestants, qu’ils ont appelé des manifestants pacifiques – ils ont tué des policiers. Et ce sont devenus des militants. Ils ont dit oui, ce sont des militants. Nous avons dit ce sont des militants, et c’est du terrorisme. Ils ont dit que non, ce n’est pas du terrorisme. Et ensuite, quand ils admettent que c’est du terrorisme nous disons que c’est al-Qaeda et ils disent non, ce n’est pas al-Qaeda. Alors quoique nous disions, ils le disent plus tard. [41]

    Le « soulèvement syrien », écrivait le spécialiste du Moyen-Orient Patrick Seale, « ne devrait être considéré que comme le dernier épisode, sans nul doute le plus violent, de la longue guerre entre Islamistes et Ba’athistes qui remonte à la fondation du Parti Ba’as laïc dans les années 1940. Le combat qui les oppose a désormais atteint le niveau de lutte à la mort. » [42] « Il est frappant, » poursuivait Seale en citant Aron Lund qui avait rédigé un rapport pour l’Institut Suédois des Affaires Internationales sur le djihadisme syrien, « que quasiment tous les membres des divers groupes armés sont des Arabes sunnites ; que les combats ont surtout été circonscrits uniquement dans les zones de peuplement arabes sunnites, tandis que les régions habitées par les Alaouïtes, les Druzes ou les Chrétiens sont demeurées passives ou ont soutenu le régime ; que les défections du régime sont sunnites presque à 100% ; que l’argent, les armes et les volontaires proviennent d’états islamistes ou d’organisations et d’individus pro-islamistes ; et que la religion soit le dénominateur commun le plus important du mouvement des insurgés. » [43]

    La brutalité qui met le feu aux poudres ?

    Est-il raisonnable de croire que l’usage de la force par l’état syrien ait enflammé la guérilla qui a commencé peu de temps après ?

    Cela défie le raisonnement, qu’une réaction excessive de la part des services de sécurité face au déni de l’autorité du gouvernement dans la ville syrienne de Deraa (s’il y a vraiment eu sur-réaction), puisse déclencher une guerre majeure impliquant une foule d’autres pays et mobilisant des djihadistes venant de dizaines de pays différents. Il aura fallu ignorer un éventail de faits discordants dès le départ, pour pouvoir donner à cette histoire le moindre soupçon de crédibilité.

    D’abord, il aura fallu passer outre la réalité que le gouvernement Assad était populaire et considéré comme légitime. Il est possible de plaider qu’une réaction trop excessive, issue d’un gouvernement hautement impopulaire en face d’un défi trivial à son autorité ait pu fournir la mèche indispensable à l’embrasement d’une insurrection populaire, mais malgré les insistances du Président Barack Obama selon lequel Assad manquait de légitimité, il n’existe aucune preuve que la Syrie, en mars 2011, ait été un baril de poudre de ressentiment anti-gouvernemental sur le point d’exploser. Comme Rania Abouzeid de Time le rapportait la veille des émeutes à Deraa, « même ses opposants concèdent qu’Assad est populaire » [44] et « personne ne s’attend à des soulèvements de masse en Syrie et, malgré l’expression d’une dissidence de temps en temps, il y en a très peu souhaitent y prendre part. » [45]

    Ensuite, il nous aura fallu délaisser le fait que les émeutes de Deraa impliquaient des centaines de participants, un piètre soulèvement de masse, et les manifestations qui ont suivi ont également échoué à atteindre une masse critique comme l’avait rapporté Nicholas Blanford, de Time. [46] De même, Anthony Shadid du New York Times n’a relevé aucune preuve révélant un soulèvement de masse en Syrie, plus d’un mois après les émeutes de Deraa. [47] Ce qui se passait vraiment, à l’inverse de la rhétorique propagée par Washington évoquant le Printemps Arabe qui aurait atteint la Syrie, c’était que des djihadistes étaient engagés dans une campagne de guérilla contre les forces de sécurité syriennes qui avait, déjà en octobre, pris les vies de plus d’un millier de policiers et de soldats.

    Enfin, il nous aura fallu fermer les yeux sur le fait que le gouvernement US, avec son allié britannique, avait concocté des plans en 1956 pour la création d’une guerre en Syrie par l’embrigadement des Frères Musulmans, devant provoquer des soulèvements intérieurs. [48] Les émeutes de Deraa et les affrontements qui ont suivi contre la police et les soldats ressemblent au plan qu’avait ourdi le spécialiste en changements de régimes, Kermit Roosevelt Jr. . Il ne s’agit pas d’affirmer que la CIA ait épousseté le projet de Roosevelt et l’ait recyclé pour être déployé en 2011 ; seulement que le complot démontre que Washington et Londres étaient capables de projeter une opération de déstabilisation impliquant une insurrection emmenée par les Frères Musulmans, afin d’obtenir le changement de régime en Syrie.

    Il nous aurait fallu également avoir ignoré les événements de février 1982 quand les Frères Musulmans ont pris le contrôle de Hama, la quatrième plus grande ville du pays. Hama était l’épicentre du fondamentalisme sunnite en Syrie, et une base importante pour les opérations des combattants djihadistes. Aiguillonnés par la fausse nouvelle du renversement d’Assad, les Frères Musulmans se livrèrent à un joyeux et sanglant saccage de la ville, prenant d’assaut les commissariats et assassinant les dirigeants du Parti Ba’as ainsi que leurs familles, et des fonctionnaires du gouvernement ainsi que des soldats. Dans certains cas les victimes étaient décapitées, [49] une pratique qui serait revigorée des décennies plus tard par les combattants de l’État Islamique. Chaque responsable du Parti Ba’as de la ville de Hama fut assassiné. [50]

    L’Occident se souvient davantage des événements de Hama en 1982 (s’il s’en souvient du tout) non pour les atrocités commises par les Islamistes, mais pour la réaction de l’armée syrienne qui, comme il faut s’y attendre de la part de n’importe quelle armée, a impliqué l’usage de la force pour restaurer la souveraineté de contrôle du territoire saisi par les insurgés. Des milliers de troupes furent déployées pour reprendre Hama aux Frères Musulmans. L’ancien responsable du State Department US William R. Polk a décrit les suites de l’assaut de l’armée syrienne sur Hama comme similaires à celles de l’assaut US contre la ville irakienne de Falloujah en 2004, [51] (à la différence évidemment que l’armée syrienne agissait de manière légitime à l’intérieur de son propre territoire, tandis que les militaires US agissaient de façon illégitime en tant que force d’occupation pour écraser l’opposition à leurs activités.) Le nombre de morts au cours de l’assaut contre Hama demeure encore disputé. Les chiffres varient. « Un rapport précoce paru dans Time affirmait que 1000 personnes y avaient trouvé la mort. La plupart des observateurs estimaient que 5000 personnes avaient été tuées. Des sources israéliennes et les Frères Musulmans – des ennemis jurés des nationalistes arabes laïcs qui avaient donc intérêt à exagérer le bilan des morts – « ont déclaré que le nombre de morts avait dépassé les 20 000 victimes. » [52] Robert Dreyfus, qui a écrit sur la collaboration de l’Occident avec l’Islam politique, plaide que les sources occidentales ont délibérément gonflé les chiffres du bilan des morts afin de diaboliser les Ba’athistes et les dépeindre en tueurs sans pitié, et que les Ba’athistes ont laissé courir ces histoires pour intimider les Frères Musulmans. [53]

    Alors que l’armée syrienne déblayait les décombres de Hama dans les suites de l’assaut, des preuves furent découvertes attestant que des gouvernements étrangers avaient fourni de l’argent, des armes et du matériel de communication aux insurgés dans Hama. Polk écrit que :

    Assad voyait bien les fauteurs de troubles à l’œuvre parmi son peuple. C’était, après tout, l’héritage émotionnel et politique du règne colonial – un héritage douloureusement évident pour la majeure partie du monde post-colonial, mais qui est passé presque inaperçu en Occident. Et cet héritage n’est pas un mythe. C’est une réalité que, souvent des années après les événements, nous pouvons vérifier d’après des documents officiels. Hafez al-Assad n’a pas eu besoin d’attendre des fuites de documents classés : ses services de renseignements et des journalistes internationaux ont dévoilé des douzaines de tentatives de subversion de son gouvernement par des pays arabes conservateurs et riches en pétrole, par les États-Unis et par Israël. La plupart s’étaient engagés dans des « sales tours », de la propagande ou des injections d’argent, mais il importe de relever que lors du soulèvement de Hama en 1982, plus de 15 000 fusils automatiques d’origine étrangère ont été capturés, ainsi que des prisonniers comprenant des éléments des forces paramilitaires jordaniennes, entraînés par la CIA (à peu près comme les djihadistes qui apparaissent si souvent dans les rapports médiatiques sur la Syrie en 2013). Et ce qu’il a vu en Syrie a été confirmé par ce qu’il a pu apprendre des changements de régime à l’occidentale en d’autres lieux. Il était informé de la tentative d’assassinat du Président Nasser d’Égypte par la CIA, ainsi que du renversement anglo-US du gouvernement du Premier Ministre d’Iran, Mohammad Mossadegh. [54]

    Dans son livre « De Beyrouth à Jérusalem », le chroniqueur du New York Times Thomas Friedman a écrit que « le massacre de Hama peut être considéré comme la réaction naturelle d’un politicien progressiste dans un état-nation relativement jeune, s’efforçant de réprimer des éléments rétrogrades – ici des fondamentalistes islamiques – cherchant à miner tout ce qu’il avait pu accomplir pour construire la Syrie en république laïque du vingtième siècle. C’est également pourquoi, » continuait Friedman, « s’il y avait eu quelqu’un pour faire un sondage d’opinion objectif en Syrie dans le sillage du massacre de Hama, le traitement par Assad de la rébellion y aurait reflété un assentiment significatif, même au sein des Musulmans sunnites. » [55]

    L’émergence d’un Djihad islamiste sunnite contre le gouvernement syrien pendant les années 1980 défie l’interprétation selon laquelle le militantisme islamiste sunnite au Levant est une conséquence de l’invasion par les USA de l’Irak en 2003, et des politiques sectaires pro-Chiites des autorités d’occupation US. Cette perspective est historiquement myope, et aveugle à l’existence d’un militantisme islamiste sunnite depuis plusieurs dizaines d’années comme force politique signifiante au Levant. Dès l’instant où la Syrie obtint formellement son indépendance de la France après la Seconde Guerre Mondiale, dans les décennies qui suivirent au cours du vingtième siècle et jusqu’au siècle suivant, les forces antagonistes présentes en Syrie ont été le nationalisme arabe laïc et l’Islam politique. Comme l’écrivait le journaliste Patrick Cockburn en 2016, « l’opposition armée syrienne est dominée par Da’esh, al-Nusra et Ahrar al-Sham. » La « seule alternative à ce règne (du nationalisme arabe laïc) est celui des Islamistes. » [56] C’est depuis longtemps le cas.

    Finalement, il nous aura fallu en plus ignorer le fait que les stratèges US avaient projeté depuis 2003 – et peut-être aussi tôt qu’en 2001 – de contraindre Assad et son idéologie nationaliste arabe laïque à quitter le pouvoir, et financé depuis 2005 l’opposition syrienne – y compris des groupes affiliés aux Frères Musulmans. Donc, Washington avait œuvré au renversement du gouvernement Assad dans le but de dé-ba’athifier la Syrie. Une lutte de guérilla dirigée contre les nationalistes arabes laïcs de Syrie se serait déployée, que la réaction du gouvernement syrien à Deraa ait été excessive ou pas. La partie était déjà lancée, et il ne fallait plus qu’un prétexte. Deraa l’a fourni. Ainsi, l’idée selon laquelle l’arrestation de deux garçons à Deraa, pour avoir peint des graffitis anti-gouvernementaux sur un mur, ait pu enflammer un conflit de cette ampleur est aussi crédible que la notion accréditant l’embrasement de la Première Guerre Mondiale, en tout et pour tout à l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand.

    La Syrie socialiste

    Le socialisme peut être défini de plusieurs façons, mais s’il peut l’être par l’exercice de la propriété publique sur les mécanismes de l’économie de pair avec une planification économique étatique, alors la Syrie selon ses Constitutions de 1973 et 2012 en remplit clairement les critères. Toutefois, la République Arabe Syrienne n’a jamais été un état socialiste prolétarien selon les catégories reconnues par les Marxistes. C’était plutôt un état arabe socialiste, inspiré par l’objectif de réaliser l’indépendance politique arabe et de surmonter l’héritage de sous-développement de la nation arabe. Les concepteurs de la Constitution voyaient le socialisme comme un moyen d’accomplir la libération nationale et le développement économique. « La marche vers l’établissement d’un ordre socialiste, » ont écrit les rédacteurs de la Constitution de 1973, est une « nécessité fondamentale pour mobiliser les potentialités des masses arabes dans leur lutte contre le Sionisme et contre l’impérialisme. » Le socialisme marxiste se préoccupait de la lutte entre une classe nantie exploitante et une classe laborieuse exploitée, tandis que le socialisme arabe situait le combat entre nations exploitantes et nations exploitées. Bien que ces deux socialismes différents opéraient en fonction de niveaux d’exploitation différents, ces distinctions n’avaient aucune importance pour les banques, les multinationales et les gros investisseurs occidentaux tandis qu’ils scrutaient le monde à la recherche de bénéfices à leur portée. Le socialisme travaillait contre les intérêts commerciaux du capital industriel et financier US, qu’il soit orienté vers la fin de l’exploitation de la classe laborieuse ou le dépassement de l’oppression impérialiste de groupes nationaux.

    Le socialisme ba’athiste irritait Washington depuis longtemps. L’état ba’athiste avait exercé une influence considérable sur l’économie syrienne par le biais d’entreprises nationalisées, de subventions données à des entreprises nationales privées, de limites imposées à l’investissement extérieur et de restrictions appliquées aux importations. Les Ba’athistes considéraient ces mesures comme les outils économiques indispensables d’un état post-colonial, s’appliquant à arracher sa vie économique aux griffes d’anciennes puissances coloniales et à cartographier une voie de développement libre de la domination d’intérêts étrangers.

    Les objectifs de Washington, cependant, étaient évidemment antinomiques. Washington ne voulait pas que la Syrie nourrisse son industrie et conserve énergiquement son indépendance, mais qu’elle serve les intérêts des banquiers et des gros investisseurs qui comptaient vraiment aux États-Unis en ouvrant les forces vives de la Syrie à l’exploitation, ainsi que son territoire et ses ressources naturelles à la propriété étrangère. Notre agenda, déclarait l’Administration Obama en 2015, « se concentre sur l’abaissement des tarifs [douaniers] pour les produits américains, l’effacement des barrières à nos biens et services, et à l’application de normes plus draconiennes pour niveler le terrain à l’avantage des entreprises américaines. » [57] Ce n’était guère un nouvel agenda, c’était celui de la politique étrangère US depuis des décennies. Damas ne rentrait pas dans le rang dicté par Washington, qui insistait pouvoir et vouloir « diriger l’économie mondiale. » [58]

    Les partisans de la ligne dure à Washington avaient vu Hafez al-Assad comme un Communiste arabe, [59] et les responsables US considéraient son fils Bachar comme un idéologue incapable de se résoudre à délaisser le troisième pilier du programme du Parti Socialiste Arabe Ba’as : le socialisme. Le State Department US se plaignait que la Syrie avait « échoué à rejoindre une économie mondiale de plus en plus interconnectée, » ce qui revenait à dire qu’elle avait échoué à abandonner ses entreprises nationalisées entre les mains d’investisseurs privés comprenant des intérêts financiers de Wall Street. Le State Department US exprimait également sa déception que « des raisons idéologiques » avaient empêché Assad de libéraliser l’économie syrienne, que « la privatisation des entreprises n’est toujours pas très répandue, » et que l’économie « demeure hautement contrôlée par le gouvernement. » [60] Clairement, Assad n’avait pas appris ce que Washington avait appelé « les leçons de l’histoire, » c’est-à-dire, que « les économies de marché, pas les économies entièrement planifiées par la lourde main du gouvernement, sont les meilleures. » [61] En rédigeant une Constitution qui mandatait que le gouvernement maintienne un rôle dans l’orientation de l’économie pour le bien des intérêts syriens, et que le gouvernement ne ferait pas travailler les Syriens pour les intérêts des banques, des multinationales et des investisseurs occidentaux, Assad affermissait l’indépendance de la Syrie contre l’agenda de Washington visant à « ouvrir les marchés et niveler le terrain à l’avantage des entreprises américaines… à l’étranger. » [62]

    En sus de tout cela, Assad a souligné son allégeance aux valeurs socialistes contre ce que Washington avait naguère défini comme « l’impératif moral » de la « liberté économique » [63] en inscrivant les droits sociaux dans la Constitution : sécurité contre la maladie, le handicap et la vieillesse ; accès aux soins médicaux ; éducation gratuite à tous les niveaux. Ces droits vont continuer à être gardés hors d’atteinte des législateurs et des politiciens, qui auraient pu les sacrifier sur l’autel de la création d’un climat de basse fiscalité, attractif pour les affaires des investisseurs étrangers. Affront supplémentaire à l’encontre de l’orthodoxie pro-business de Washington, la Constitution contraignait l’état à pratiquer une fiscalité progressive.

    Enfin, le dirigeant ba’athiste a inclus dans sa Constitution mise à jour une provision qui avait été introduite par son père en 1973, un pas vers une démocratie réelle et authentique – une provision que les preneurs de décisions à Washington, avec leurs légions de connexions aux monde de la banque et de l’industrie, ne pouvaient pas supporter. La Constitution exigeait qu’au moins la moitié des membres de l’Assemblée Populaire soit tirée des rangs de la paysannerie et du prolétariat.

    Si Assad est un néolibéral c’est certainement au monde, l’un des adeptes les plus singuliers de cette idéologie.

    Sécheresse ?

    Un dernier point sur les origines du soulèvement violent de 2011 : quelques sociologues et analystes ont puisé dans une étude publiée dans les minutes [Proceedings] de la National Academy of Sciences pour suggérer que « la sécheresse a joué un rôle dans les troubles syriens. » Selon ce point de vue, la sécheresse a « provoqué la perte de récoltes qui ont mené à la migration d’au moins un million et demi de personnes, des zones rurales aux zones urbaines. » Ceci, en conjonction avec l’afflux de réfugiés venant d’Irak, a intensifié la compétition dans un bassin d’emplois limité dans ces zones urbaines, faisant de la Syrie un chaudron de tension économique et sociale sur le point d’entrer en ébullition. [64] L’argument semble raisonnable, même « scientifique », mais le phénomène qu’il cherche à expliquer – un soulèvement de masse en Syrie – n’a jamais eu lieu. Comme nous l’avons vu, une revue de la couverture médiatique occidentale n’a révélé aucune référence à un soulèvement de masse. Au contraire, les journalistes qui s’attendaient à trouver un soulèvement de masse ont été surpris de n’en déceler aucun. À la place, les journalistes occidentaux ont trouvé que la Syrie était étonnamment calme. Les manifestations organisées par les administrateurs de la page Facebook « The Syrian Revolution 2011 » ont été des pétards mouillés. Des opposants concédaient qu’Assad était populaire. Les journalistes n’ont pu trouver personne croyant qu’une révolte était imminente. Même un mois après les incidents de Deraa – qui ont impliqué des centaines de manifestants, éclipsés par les dizaines de milliers de Syriens qui ont défilé à Damas pour soutenir le gouvernement – le correspondant du New York Times sur place, Anthony Shadid, ne parvenait à trouver en Syrie aucun des signes des soulèvements de masse qu’avaient vécu la Tunisie ou l’Égypte. Au début du mois de février 2011, « Omar Nashabe, un observateur et correspondant de longue date du quotidien arabe Al-Akhbar, basé à Beyrouth » disait à Time que « les Syriens souffrent sans doute de la pauvreté qui afflige 14% de la population combinée à un taux de chômage estimé à 20%, mais Assad conserve sa crédibilité. » [65]

    Que le gouvernement commandait le soutien populaire a été confirmé quand l’entreprise britannique YouGov publia un sondage fin 2011, qui montrait que 55% des Syriens désiraient qu’Assad reste au pouvoir. Le sondage ne récolta presque aucune mention dans les médias occidentaux, poussant le journaliste britannique Jonathan Steele à poser la question : « Imaginez qu’un sondage d’opinion respectable découvre que la majorité des Syriens préfère que Bachar al-Assad demeure au pouvoir, est-ce que cela ne serait pas une nouvelle importante ? » Steele décrivit les résultats du sondage comme « des faits incommodes » qui ont « été étouffés » parce que la couverture médiatique des événements en Syrie avait « cessé d’être juste » et s’était transformée en « arme de propagande ». [66]

    De beaux slogans en lieu et place de politique et d’analyse

    Draitser peut être déclaré fautif non seulement pour avoir propagé un argument établi par présomption ne reposant sur aucune preuve, mais aussi pour avoir remplacé la politique et l’analyse par l’émission de slogans. Dans son article du 20 octobre sur Counterpunch, « Syria and the Left : Time to Break the Silence » [La Syrie et la Gauche : Il est Temps de Rompre le Silence, NdT], il affirme que les objectifs devant définir la Gauche sont la quête de paix et de justice comme si c’étaient des qualités inséparables, ne se trouvant jamais en opposition. Que la paix et la justice puissent parfois être antithétiques est illustré dans la conversation qui suit, entre le journaliste australien Richard Carleton et Ghassan Kanafani, un écrivain, romancier et révolutionnaire palestinien. [67]

    C : Pourquoi ton organisation n’entame-t-elle pas des pourparlers de paix avec les Israéliens ?

    K : Tu n’entends pas vraiment « pourparlers de paix ». Tu veux dire capituler. Abandonner.

    C : Pourquoi ne pas simplement parler ?

    K : Parler à qui ?

    C : Parler aux dirigeants israéliens.

    K : C’est comme une espèce de conversation entre l’épée et le cou, c’est ça ?

    C : Hé bien, s’il n’y a aucune épée ni aucun fusil dans la pièce, tu pourrais toujours parler.

    K : Non. Je n’ai jamais vu de conversation entre un colonialiste et un mouvement de libération nationale.

    C : Mais malgré tout ça, pourquoi ne pas parler ?

    K : Parler de quoi ?

    C : Parler de la possibilité de ne pas se battre.

    K : Ne pas se battre pour quoi ?

    C : Ne pas se battre du tout. Pour quoi que ce soit.

    K : D’habitude, les gens se battent pour quelque chose. Et ils arrêtent de le faire pour quelque chose. Alors tu ne peux même pas me dire pourquoi, et de quoi nous devrions parler. Pourquoi devrions-nous parler d’arrêter de nous battre ?

    C : Parler d’arrêter de se battre pour faire cesser la mort et la misère, la destruction et la douleur.

    K : La misère et la destruction, la douleur et la mort de qui ?

    C : Des Palestiniens. Des Israéliens. Des Arabes.

    K : Du peuple palestinien qui est déraciné, jeté dans des camps, qui souffre de la faim, assassiné pendant vingt ans et interdit d’employer son propre nom, « Palestiniens » ?

    C : Pourtant, mieux vaut ça plutôt qu’ils soient morts.

    K : Pour toi, peut-être. Mais pas pour nous. Pour nous, libérer notre pays, avoir notre dignité, le respect, posséder simplement des droits humains est une chose aussi essentielle que la vie elle-même.

    Draitser n’explique pas les valeurs auxquelles devrait se consacrer la Gauche aux USA quand la paix et la justice sont en conflit. Son invocation du slogan « paix et justice » en tant que mission d’élection pour la Gauche US semble n’être rien de plus qu’une invitation faite aux gauchistes d’abandonner la politique pour s’embarquer plutôt sur une mission les vouant à devenir de « belles âmes » se situant au-delà des conflits sordides qui empoisonnent l’humanité – sans jamais prendre parti, hormis celui des anges. Son affirmation comme quoi « aucun groupe n’a à cœur les meilleurs intérêts de la Syrie » est presque trop stupide pour mériter un commentaire. Comment le saurions-nous ? L’on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression qu’il croit qu’il sait, et avec lui la Gauche US, seuls parmi tous les groupes et tous les états du monde, ce qui est le mieux pour « le peuple syrien ». C’est peut-être pourquoi il annone que la responsabilité de la gauche US est vouée « au peuple de Syrie, » comme si le peuple de Syrie était une masse indifférenciée dotée d’intérêts et d’aspirations identiques. Les Syriens dans leur ensemblecomprennent à la fois les républicains laïques et les Islamistes politiques, qui possèdent des opinions irréconciliables sur la manière d’organiser l’état, et qui ont été enferrés dans une lutte à mort pendant plus d’un demi-siècle – lutte entretenue, du côté islamiste, par son propre gouvernement. Les Syriens dans leur ensemble comprennent ceux qui sont en faveur de l’intégration dans l’Empire US et ceux qui s’y opposent ; ceux qui collaborent avec les impérialistes US et ceux qui s’y refusent. De cette perspective, que signifie donc l’affirmation que la gauche US ait une responsabilité envers le peuple de Syrie ? Quel peuple de Syrie ?

    Je pensais que la responsabilité de la gauche US se situait auprès des travailleurs des États-Unis, pas du peuple de Syrie. Et je pensais pareillement que la Gauche US aurait considéré que parmi ses responsabilités figure la diffusion d’analyses politiques rigoureuses et fondées sur des preuves, démontrant comment les élites économiques US utilisent l’appareil d’état US pour faire progresser leurs propres intérêts aux dépens des populations, domestiquement et à l’étranger. Comment la longue guerre de Washington contre la Syrie affecte-t-elle la classe laborieuse aux USA ? C’est ce dont Draitser devrait parler.

    Mon livre, « La Longue Guerre de Washington contre la Syrie », paraîtra en avril 2017.

    Stephen Gowans

     

    Article original en anglais :

  • Interview with Faia Younan A voice of the Levant - #Culture
    http://www.orientpalms.com/Interview-with-Faia-Younan

    She is a diva, an activist, a young Syrian beauty that sings and inspires millions. Faia Younan is one of the new voices of the Levant, a beautiful deep voice with a message that goes beyond the Levantine countries as people in the whole world identify with her plea for peace. It all started in 2014 with a video entitled «To Our Countries» — recorded with her sister Rihan — that went viral with 4 million views on Youtube. Now, two years later, she is releasing her debut album: “A sea between (...) #mode

  • @diala a fait une très belle interview de Faia Younan pour Orient Palms :
    http://www.orientpalms.com/interview-faia-younan

    She is a diva, an activist, a young Syrian beauty that sings and inspires millions. Faia Younan is one of the new voices of the Levant, a beautiful deep voice with a message that goes beyond the Levantine countries as people in the whole world identify with her plea for peace. It all started in 2014 with a video entitled «To Our Countries» — recorded with her sister Rihan — that went viral with 4 million views on Youtube. Now, two years later, she is releasing her debut album: “A sea between us”.

    (Au passage, pour ceux que ça intéresse, c’est un #longform sous #SPIP.)

  • Hausse phénoménale du nombre de réfugiés au Japon - La Centrale à idées

    http://la-centrale-a-idees.over-blog.com/2016/01/hausse-phenomenale-du-nombre-de-refugies-au-japon.htm

    Découvert ce blog très intéressant et ses petits billets à peine moqueurs...

    Le nombre de réfugiés acceptés par le pays du Soleil Levant a bondi de 250% en 2015.

    Ce ne sont pas moins de 27 heureux élus qu’a acceptés l’archipel nippon sur son sol, contre 11 en 2014. Selon le ministère de la Justice japonais, 7586 demandes d’asile avaient été déposées. Déposer une demande d’asile au Japon, c’est aussi hasardeux que de jouer au pachinko ou s’essayer à la bourse en ligne, on a 99% de chances de finir bredouilles.

    #réfugiés #asile #japon #marrant

  • L’appropriation culturelle : y voir plus clair
    LAETITIA KOMBO, Le Journal En Couleur, le 31 août 2016
    https://journalencouleur.wordpress.com/2016/08/31/lappropriation-culturelle-y-voir-plus-clair

    Au Moyen-Orient se déroule une guerre bien particulière : « la guerre du #houmous » autrement dit la course au record du monde de production d’houmous. Aujourd’hui détenu par le Liban, le record a longtemps appartenu à Israël. Comme plusieurs autres mets typique de la tradition culinaire arabe, Israël désigne ce met comme emblématique de sa culture. Michael Seguin, chercheur à l’Université de Montréal spécialisé dans le conflit israélo-arabe explique ainsi ce phénomène à première vue curieux : « Dans le cas du sionisme, l’appropriation du territoire s’est faite (…) notamment en s’appropriant une part du régime alimentaire des Palestiniens. C’est ainsi que le #falafel et le houmous sont devenus des plats nationaux israéliens, et que la ‘salade arabe’ est devenue ‘salade israélienne’. (…) Par ces différentes stratégies, Israël a tenté de montrer son inscription orientale en faisant siens des plats qui sont très courants dans tout le Levant (Syrie, Liban, #Palestine et Jordanie) » La cuisine devient donc une des armes du conflit…En s’appropriant la cuisine Palestinienne, Israël parvient à deux objectifs : tout d’abord, celui de s’établir une identité et ensuite, celui d’effacer celle du pays qu’il colonise. La culture devient ici un objet politique important. Ronit Verred, journaliste israélienne, parle de l’houmous comme d’« un symbole de toutes les tensions du Moyen-Orient. » Ainsi, même si cela n’est pas systématique – manger une pizza, par exemple, n’a aucun effet dommageable qu’on soit au Canada ou au Pérou. L’identité italienne ne se situe pas dans rapport dominant-dominé et ne fait pas l’objet d’oppressions dans les pays où l’on consomme ce met. Pour le professeur Séguin, dans le cas de la cuisine Israélienne : « Il s’agit bel et bien d’appropriation culturelle ».

    #Appropriation_culturelle #racisme

    voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/493046

  • Scalp, GBU, AASM… Ces armes très coûteuses avec lesquelles la France frappe Daech...
    https://www.crashdebug.fr/actualites-france/12261-scalp-gbu-aasm-ces-armes-tres-couteuses-avec-lesquelles-la-france-f

    Achetée à crédit aux USA ?

    Contributeur anonyme

    Le Scalp (deuxième missile en partant du haut) est le missile air-sol le plus redoutable des forces françaises,

    qui en ont tiré une cinquantaine sur des sites de l’EI depuis décembre 2015

    ((c) Dassault Aviation - K.Tokunaga)

    Quand il arrive à 800 km/h, mieux vaut ne pas traîner dans les parages. Long de 5 mètres, d’un poids d’1,3 tonne et équipé d’une charge explosive de 400kg, le missile Scalp, développé en collaboration franco-britannique par le missilier européen MBDA, est l’armement le plus redoutable employé par la France au Levant. Depuis l’entrée en action de ce redoutable matériel sur le théâtre irako-syrien le 15 décembre 2015, les forces françaises ont tiré une cinquantaine de ces missiles, appelés Storm Shadow en Grande-Bretagne et Black (...)

    #En_vedette #Liberté,_Égalité,_Fraternité... #Actualités_France

  • The arabs at war in Afghanistan, Hurst, Londres, 2015, 355 p.
    https://remmm.revues.org/9351

    The Arabs at War in Afghanistan est un livre original à plus d’un titre. Pour un lecteur français, qui plus est néophyte, il vient compléter deux écrits de référence sur le sujet, ceux d’Olivier Roy et de Gilles Dorronsoro1. Cet ouvrage n’est pas une autobiographie mais un dialogue à deux voix qui permettent la mise en récit d’une mémoire militante et milicienne, et offre une relecture de certains enjeux liés aux mouvements politiques nés en Afghanistan, notamment Al-Qaeda. Un dialogue, car il y a bien plus qu’un simple jeu de questions et de réponses entre les deux auteurs, Mustapha Hamid et Leah Farrall.

    3Le premier, plus connu sous le nom d’Abu Walid al-Masri, est un ancien des guerres d’Afghanistan. De nationalité égyptienne, il précède Oussama Ben Laden en terres afghanes : en juin 1979, soit six mois avant l’invasion soviétique de l’Afghanistan, il rejoint les rangs du Hizb I islami (Parti islamique) de Yunis Khalis, une formation idéologiquement proche des Frères musulmans. Il n’est pas encore un combattant mais écrit pour al-Ittihad (l’Union), un journal basé à Abu Dhabi. Levant des fonds provenant des pays du Golfe pour le compte de l’insurrection afghane, il est l’un des principaux acteurs des grands épisodes militaires de la guerre d’Afghanistan, tout au long des années 1980, et l’un de ses témoins privilégiés. En 1984, il fonde un camp d’entraînement militaire pour Afghans et activistes étrangers, à Qais, avec l’aide de Mawlawi Nasrullah Mansur. Ce dernier est le fondateur, en 1981, du Harakat i Inqilab i Islami (Mouvement de la révolution islamique), et l’un des futurs inspirateurs des Talibans. Mustapha Hamid s’en dit plus proche que d’Oussama Ben Laden et du Cheikh Abdallah Azzam, un Palestinien qui fonde, en octobre 1984, le Maktab al-Khadamat (le Bureau des services).

  • Syria conflict: Rebels ’filmed beheading boy’ in Aleppo
    http://www.bbc.com/news/world-middle-east-36835678?SThisFB

    One video shows five men posing with the frightened child, who could be as young as 10, in the back of a truck. One of the men grips him by the hair.

    The same man is later filmed apparently cutting the boy’s head off.

    The incident is reported to have taken place in Handarat, north of Aleppo, where there has been heavy fighting.

    […]

    A report published by the human rights group Amnesty International earlier this month detailed a series of violations allegedly committed by Nour al-Din al-Zinki Movement fighters, including abductions and torture.

    The group is reported to have benefited from financial and military support from the US, UK, France, Turkey, Qatar and other Gulf Arab states in the past.

  • Syrie : les troubles arrangements de Lafarge avec l’Etat islamique

    http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/06/21/syrie-les-troubles-arrangements-de-lafarge-avec-l-etat-islamique_4955023_161

    C’est l’histoire d’une dérive, une histoire de « zone grise » comme les guerres en produisent. L’histoire d’une cimenterie en Syrie, l’une des plus modernes et importantes du Proche-Orient, que sa direction a tenté de faire fonctionner coûte que coûte au milieu d’un pays à feu et à sang, au prix d’arrangements troubles et inavouables avec les groupes armés environnants, dont l’organisation Etat islamique (EI). C’est, enfin, l’histoire d’une société française, Lafarge, numéro un mondial du ciment depuis sa fusion avec le suisse Holcim et fleuron du CAC 40, qui a indirectement – et peut-être à son insu – financé les djihadistes de l’EI pendant un peu plus d’un an, entre le printemps 2013 et la fin de l’été 2014.

    La cimenterie de Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie, a été acquise par Lafarge en 2007, lorsque le groupe français rachète l’usine encore en construction à l’égyptien Orascom. L’homme d’affaires syrien Firas Tlass, proche du régime mais aujourd’hui en exil, est le partenaire minoritaire de Lafarge Cement Syria (LCS). L’usine rénovée, dont la capacité annuelle de production est de 2,6 millions de tonnes de ciment par an, entre en activité en 2010. Estimé à 600 millions d’euros, il s’agit du plus important investissement étranger en Syrie hors secteur pétrolier.

    La Syrie de Bachar Al-Assad se convertit alors au capitalisme, et le marché du ciment, récemment ouvert à la concurrence, est en pleine expansion ; la production nationale ne suffit pas à répondre à la demande intérieure. « Un panneau placé à l’entrée de la cimenterie indiquait que la production quotidienne de clinker [constituant du ciment] était de 7 000 tonnes par jour », se souvient un employé syrien de l’entreprise Lafarge, réfugié en Turquie depuis 2014. « La direction Lafarge en Syrie s’en vantait. Nous produisions bien plus et bien mieux que les autres cimenteries en Syrie », ajoute-t-il.

    Jusqu’en 2013, la production se maintient malgré l’instabilité croissante dans la région due à la guerre civile qui a débuté en 2011. Selon nos sources, la sécurité autour de l’usine est d’abord assurée par l’armée syrienne, puis, à partir de l’été 2012, par le YPG, la branche militaire du Parti kurde de l’union démocratique (PYD, autonomiste). A partir de 2013, la situation se dégrade. La production de l’usine Lafarge ralentit. « De dix mille tonnes de ciment produit par jour, l’usine n’en fabrique plus que six mille en 2013 », se souvient un ancien employé. Mais l’envolée des prix de cette matière très demandée s’envole : le sac de 50 kg, vendu 250 à 300 livres syriennes avant la guerre, se négocie 550 livres…

    La direction était au courant

    A partir du printemps 2013, l’EI (à l’époque surnommé l’Etat islamique en Irak et au Levant) prend progressivement le contrôle des villes et des routes environnant l’usine de Lafarge. Des courriels envoyés par la direction de Lafarge en Syrie, publiés en partie par le site syrien proche de l’opposition Zaman Al-Wasl et que Le Monde a pu consulter, révèlent les arrangements de Lafarge avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production jusqu’au 19 septembre 2014, date à laquelle l’EI s’empare du site et Lafarge annonce l’arrêt de toute activité.

    Rakka, située à moins de 90 kilomètres de l’usine par la route, tombe aux mains de l’EI en juin 2013. En mars 2014, c’est au tour de Manbij, une ville située à 65 kilomètres à l’est du site et où la plupart des employés de Lafarge sont hébergés. Pendant cette période, Lafarge tente de garantir que les routes soient ouvertes pour ses ouvriers, comme pour sa marchandise, entrante comme sortante.

    Un certain Ahmad Jaloudi est envoyé par Lafarge à Manbij pour obtenir des autorisations de l’EI de laisser passer les employés aux checkpoints. On ne trouve aucune trace d’Ahmad Jaloudi dans l’organigramme de Lafarge Syrie. Il dispose pourtant d’une adresse électronique avec le nom de domaine Lafarge. Un ancien employé explique : « Il est entré illégalement en Syrie par la frontière syrienne avec la Turquie. Il est jordanien de nationalité mais parle l’arabe avec l’accent syrien de Deraa [une ville syrienne à la frontière avec la Jordanie]. Il était gestionnaire de risques pour Lafarge. » « Il se déplaçait sans cesse entre Gaziantep [en Turquie], Rakka, Manbij et l’usine où il dormait comme certains d’entre nous contraints de rester sur place », ajoute l’employé.

    Dans un courriel daté du 28 août 2014, Ahmad Jaloudi relate ses efforts à Frédéric Jolibois, PDG de la filiale de Lafarge en Syrie depuis juin 2014. « L’Etat islamique demande une liste de nos employés… j’ai essayé d’obtenir une autorisation pour quelques jours mais ils ont refusé », regrette-t-il. Il suggère d’organiser une « conférence téléphonique » en urgence avec « Frédéric [Jolibois, basé à Amman], Mamdouh [Al-Khaled, directeur de l’usine, basé à Damas], Hassan [As-Saleh, représentant de Mamdouh Al Khaled dans l’usine] » et lui-même.

    Frédéric Jolibois répond le lendemain et ajoute en copie Jean-Claude Veillard, directeur sûreté du groupe Lafarge à Paris. Les échanges ne révèlent pas quel fut le résultat de cette discussion. Ils permettent cependant de conclure que la direction de Lafarge à Paris était au courant de ces efforts. « Les points sur la sécurité avec Jean-Claude Veillard à Paris étaient quotidiens. Ils se tenaient par conférence téléphonique à 11 heures », confie un employé.

    « Taxes de passage de l’EI »

    Il ne s’agit pas là du seul contact avec l’EI. Deux mois plus tôt, le 29 juin 2014, Ahmad Jaloudi écrit à Mazen Shiekh Awad, directeur des ressources humaines à Lafarge Syrie. Il met en copie Bruno Pescheux, alors PDG de Lafarge Syrie depuis l’ouverture de l’usine en 2010. Ahmad Jaloudi explique qu’il vient juste de revenir de Rakka : « Le haut responsable de l’EI n’est pas encore rentré. Il est pour l’instant à Mossoul [la « capitale » du « califat » de l’EI en Irak depuis juin 2014]. Je le verrai dès son retour. Notre client [il ne précise pas lequel] à Rakka m’a organisé un rendez-vous avec lui. » Le motif de cette tentative de contact avec un haut responsable de l’EI reste obscur.

    « Lafarge continuait d’alimenter le marché syrien du ciment et, pour cela, avait besoin d’acheminer sa production par les routes », explique un ancien employé de Lafarge. D’après une carte qui date du printemps 2014 et dessinée à partir des informations collectées par Ahmad Jaloudi auprès des chauffeurs qui acheminaient le ciment pour Lafarge, les checkpoints alentour étaient à l’époque en majorité contrôlés par l’EI. La carte, que Le Monde a pu consulter, indique les routes empruntées par les camions Lafarge : Jalabiya-Manbij-Alep-Sarakeb et Jalabiya-Tal Abyad-Rakka-Deir ez-Zor-Albou Kamal. Autant de villes tenues entièrement ou partiellement par l’EI.

    Un laissez-passer estampillé du tampon de l’EI et visé par le directeur des finances de la « wilaya » (région) d’Alep, daté du 11 septembre 2014, atteste des accords passés avec l’EI pour permettre la libre circulation des matériaux. Le laissez-passer que le chauffeur de Lafarge devait présenter aux checkpoints de l’EI somme « les frères combattants de laisser passer ce véhicule aux checkpoints [qui transporte] du ciment de l’usine Lafarge après un accord passé avec l’usine pour le commerce de ce matériau ». « Tout document qui n’a pas été tamponné n’est pas valable pour passer les checkpoints », est-il précisé.

    Pourquoi ce laissez-passer a t-il été visé par le directeur des finances de l’EI et non par un responsable militaire ?

    « L’EI pratique des taxes de passage pour les convoyeurs de marchandises. Les revenus sont gérés par Bayt Al-Mal, le “ministère islamique des finances” qui gère les revenus collectés ou distribués dans les différentes wilayas de l’EI », explique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes à France 24 et auteur d’Etat islamique, le fait accompli (Plon, 192 p., 12 €).

    « Pas les faire tourner en bourrique »

    Pour fabriquer le ciment, Lafarge avait notamment besoin de se fournir en roches calcaires et en argile. « Les roches calcaires étaient extraites à l’aide d’explosifs dans les carrières à côté de l’usine et acheminées dans des chargeuses jusqu’à la cimenterie pour être concassées, explique un employé. Même pendant la guerre, Lafarge achetait une centaine de camions remplis de roches calcaires par jour. » Selon nos sources, à partir de 2012, l’entreprise égyptienne Silika, qui fournissait la cimenterie en roches calcaires, cesse ses activités. Lafarge se tourne alors vers des entrepreneurs locaux pour s’approvisionner. « Les carrières étaient dans une région contrôlée par les Kurdes. Tous ces entrepreneurs étaient kurdes », explique un ancien employé.

    Pour fabriquer du ciment, des matières actives comme le gypse et la pouzzolane sont mélangées au clinker, résultat du chauffage de la matière crue à 1 450 degrés dans un four rotatif. « Lafarge achetait en moyenne trois camions de pouzzolane et une dizaine de camions de mazout lourd par jour », précise un employé proche de la production.
    « Impossible, sans carburant, de faire chauffer le précalcinateur et le four rotatif à de telles températures. Lafarge n’avait pas d’autres choix que d’acheter du pétrole de l’EI, qui contrôlait alors toutes les sources de production à Rakka et à Deir ez-Zor », ajoute-t-il.
    Quant à la pouzzolane, elle venait d’une carrière située près de Rakka. Même si le propriétaire de la carrière n’est pas un membre de l’organisation djihadiste, il y a toutes les chances que ce dernier soit « taxé » par l’EI, comme c’est le cas de tous les entrepreneurs de la région.

    Un courriel daté du 9 septembre 2014 révèle le fonctionnement de Lafarge pour s’approvisionner en pétrole et en pouzzolane. Un certain Ahmad Jamal écrit dans un anglais approximatif à Frédéric Jolibois, le nouveau PDG de Lafarge Syrie. En copie du courriel, il ajoute la responsable des approvisionnements de Lafarge en Syrie, basée à Damas. « Cela fait plus de deux mois que vous ne nous avez pas versé la somme de 7 655 000 livres syriennes [l’équivalent aujourd’hui de plus de 30 000 euros]. » Ahmad Jamal met en garde Lafarge contre les dangers qu’il encourt à cause de ce retard de paiement. « Essayez s’il vous plaît de comprendre qu’il s’agit de l’argent de fournisseurs qui travaillent avec l’armée islamiste la plus forte sur le terrain. Lafarge ne doit pas les faire tourner en bourrique. »

    Lafarge passait donc par des intermédiaires et des négociants qui commercialisaient le pétrole raffiné par l’EI, contre le paiement d’une licence et le versement de taxes. Beaucoup décrivent Ahmad Jamal comme un profiteur de guerre. Originaire de Rakka, il avait d’étroites relations avec l’EI et différents fournisseurs.
    « Il assurait un approvisionnement continu en pétrole. Lafarge payait au prix fort, mais obtenait ainsi une sécurité relative pour la poursuite de ses activités », raconte un ancien employé.

    « Lafarge a dépassé les limites »

    Dans son courriel du 9 septembre 2014, Ahmad Jamal révèle le schéma de paiement des fournisseurs de l’usine. « Dr Taleb a fait tout son possible pour calmer l’ensemble des parties, les Kurdes y compris, mais Lafarge a dépassé les limites. » Ahmad Jamal demande que le paiement dû par Lafarge soit versé « en euros ou en dollars sur le compte de Dr Taleb au Liban ». Il fait pression pour qu’un échéancier soit respecté : « Pour preuve de bonne foi, nous avons besoin au moins de 24 000 dollars ou 18 000 euros d’ici à la fin de la semaine et la somme totale d’ici à la fin du mois. »

    Amro Taleb, présenté comme « le Dr », est un jeune homme d’affaires syrien canadien de 28 ans, qui présente bien. La faculté de droit de l’université de Harvard, celle où Barack Obama a étudié, l’a même invité à donner une conférence en janvier 2015 sur la « résolution des conflits ». Il se présente comme consultant en gestion de l’environnement pour le gouvernement syrien et pour Lafarge Syrie et propriétaire d’une société d’import-export basée en Turquie, près de la frontière syrienne.

    Selon le contrat signé en avril 2013 entre Bruno Pescheux et Amro Taleb, présenté comme consultant pour Lafarge Cement Syria (LCS) et chef de projet de la société Greenway Ecodevelopment, basée en Inde, Amro Taleb est chargé de représenter Lafarge pour des opérations en lien avec les crédits carbone. « Pourquoi Bruno Pescheux signe-t-il un tel contrat en 2013, alors que la situation sécuritaire est déjà très instable et que les conditions de production sont loin d’être idéales ? Etait-ce vraiment nécessaire à ce moment-là ? », se demande un ancien employé de Lafarge. Selon lui, il s’agissait surtout de dissimuler des transactions financières illicites.

    Dans une interview accordée au Stanford Daily le 12 janvier 2015, Amro Taleb soulignait le « pragmatisme » dont beaucoup de tribus et d’hommes d’affaires syriens savent faire preuve dans leur relation avec l’Etat islamique… Il insistait même sur les « compétences » de certains membres de l’EI dans la gestion des affaires courantes.

    Cet environnement trouble inquiète certains cadres de Lafarge. Ainsi, à la réception du courriel d’Ahmad Jamal, la responsable des approvisionnements avoue à son directeur, Frédéric Jolibois, prendre des risques en communiquant avec ce fournisseur dans l’intérêt de Lafarge : « J’ai reçu ce mail d’Ahmad Jamal. Comme je vous l’ai expliqué auparavant, ce fournisseur nous fournit en carburant et en pouzzolane. » « D’ordinaire, tous les accords et négociations passaient par lui [Ahmad Jamal] et Bruno Pescheux [le précédent directeur] », précise-t-elle à l’attention du nouveau directeur. En réponse, Frédéric Jolibois lui demande, après vérification du dernier ordre d’achat, de procéder au virement. « Plus besoin pour vous d’être en communication avec ce fournisseur. Renvoyez-le vers moi en cas de problèmes. »

    Jeu trouble et dangereux

    Dans les faits, Frédéric Jolibois, qui venait de remplacer Bruno Pescheux, entre-temps muté au Kenya, a hérité d’un système dirigé par trois hommes, qui avaient pris le contrôle de l’usine, aux dires de plusieurs anciens employés : Mamdouh Al-Khaled, avec le titre officieux de « responsable de la production », Amro Taleb, « coordinateur financier », et Ahmad Jamal, « fournisseur principal ». Selon plusieurs témoignages, les trois hommes agissaient de concert, quitte à ne pas forcément tenir au courant la direction française de leurs arrangements et à se partager les bénéfices des surfacturations liées aux difficultés d’approvisionnement et taxes instaurées par les groupes armés.

    Dans ce jeu trouble et dangereux, chacun cherche à se « couvrir » au cas où un scandale éclaterait. Ainsi, le 13 juillet 2014, Mamdouh Al-Khaled, que beaucoup décrivent comme un membre du parti Baath proche du gouvernement syrien, s’inquiète des discussions qui ont cours « à tous les niveaux » sur l’achat illégal de pétrole à des « organisations non gouvernementales », c’est-à-dire des milices armées. Il craint que des « mesures » ne soient prises par le gouvernement syrien « contre les personnes ou entreprises » impliquées. Il invite Bruno Pescheux à développer un argumentaire pour répondre aux questions éventuelles des autorités. Ce dernier développe dans sa réponse une défense point par point et prend soin de mettre en copie Frédéric Jolibois, son successeur.

    En substance, il explique d’abord que les mazouts lourds sont « absolument nécessaires » au fonctionnement de l’usine. En outre, l’entreprise n’achète que de petites quantités par rapport au pétrole qui transite clandestinement depuis la Turquie. Il ajoute qu’il est très difficile d’acheminer du carburant de Tartous (port sous contrôle du gouvernement syrien). Enfin, il explique que la poursuite des activités de Lafarge sert les intérêts du gouvernement : la vente du ciment est une source de revenus pour l’Etat syrien, qui perçoit des impôts dessus.

    Une partie de l’usine démontée et revendue

    Le 19 septembre, l’EI s’empare de l’usine, évacuée la veille par une partie des employés. Lafarge abandonne le site. Les silos, remplis de ciment, ont été vidés de leur contenu vendu au détail. Nul ne sait qui a donné les codes ouvrant les silos : d’anciens employés ou le directeur de l’usine, qui aurait voulu éviter que le ciment ne prenne ?

    Quelque temps plus tard, Amro Taleb prend contact avec la direction de Lafarge, selon le site Intelligence Online : il propose de reprendre la production sous la protection des nouveaux occupants du site – « des hommes d’affaires de Rakka », en fait les chefs locaux de l’Etat islamique – en échange de 15 % de la production. Lafarge décline.
    Amro Taleb serait revenu à la charge en se présentant directement au siège parisien de l’entreprise, rue des Belles-Feuilles dans le 16e arrondissement, en janvier 2015, le même jour que l’attentat contre Charlie Hebdo. Lafarge prend peur et veut couper tout contact, même indirect, avec l’EI. Selon un ancien cadre syrien, une partie de l’usine a été démontée et revendue, les voitures volées. En février 2015, l’EI a quitté la zone, chassé par les combattants kurdes des YPG.

    Jointe par téléphone, la chargée de la communication du groupe Lafarge à Paris, Sabine Wacquez, a expliqué au Monde : « La situation en Syrie était très compliquée et évolutive en 2013-2014. Les personnes ayant travaillé sur place ne sont pas toutes joignables. Il nous est difficile de réagir à des courriels sans avoir tout vérifié, l’usine est fermée depuis septembre 2014. »

  • Opening Soon: Dar El Nimer - May 2016 (Villa Salem, America street, Clemenceau, Beirut, Lebanon)
    http://www.darelnimer.org/index.php

    Located in the heart of Beirut, Dar El-Nimer is an independent non-profit art foundation for historical, modern and contemporary cultural productions from Palestine, the Levant and beyond.

    Dar El-Nimer promotes deeper historical awareness and keener intellectual maturity by hosting productions by curators, writers, historians, performers, musicians and filmmakers whose works engage with the challenging social realities and political currents shaping the region.

    Dar El-Nimer for Arts and Culture is also responsible for the El-Nimer Collection.

  • Ça ne surprendra personne mais c’est toujours bon à documenter : selon l’OSDH un émir de Jabhat al-Nousra de la région d’Idlib, est mort de ses blessures suite à des combats contre les forces armées du régime alors qu’il était traité dans un hôpital ... en Turquie :
    http://www.syriahr.com/en/2016/05/18/46602

    An Amir in Jabhat Al-Nusra (al-Qaeda in Levant) of Jabal al-Zawiyah died affected by his injury which he got in previous clashes against the regime forces and militiamen loyal to them in the southern countryside of Aleppo, intersecting sources confirmed to SOHR that commander of Jabhat Al-Nusra died while he was being treated in a hospital inside the Turkish territory.

  • Sykes-Picot 100 years on

    THE MODERN frontiers of the Arab world only vaguely resemble the blue and red grease-pencil lines secretly drawn on a map of the Levant on May 16th 1916, at the height of the first world war. Sir Mark Sykes and François Georges-Picot were appointed by the British and French governments respectively to decide how to apportion the lands of the Ottoman empire, which had entered the war on the side of Germany and the central powers. The Russian foreign minister, Sergei Sazonov, was also involved. The Allies agreed that Russia would get Istanbul, the sea passages from the Black Sea to the Mediterranean, and Armenia; the British would get Basra, Hafia and southern Mesopotamia; and the French a slice in the middle, including Lebanon, Syria and Cilicia (in modern-day Turkey). Palestine would be an international territory. In between the French- and British-ruled blocs, large swathes of territory, mostly desert, would be allocated to the two powers’ respective spheres of influence. Italian claims were added in 1917. But after the defeat of the Ottomans in 1918 these lines changed markedly with the fortunes of war and diplomacy. Sykes-Picot has become a byword for imperial treachery. George Antonius, an Arab historian, called it a shocking document, the product of “greed allied to suspicion and so leading to stupidity”. It was, in fact, one of three separate and irreconcilable wartime commitments that Britain made to France, the Arabs and the Jews. The resulting contradictions have been causing grief ever since.


    http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2016/05/daily-chart-13?fsrc=scn/tw/te/bl/ed/sykespicot100yearson
    #histoire #Moyen-Orient #frontières #visualisation #cartographie #monde_arabe #colonialisme #Empire_Ottoman

  • Dans son nouveau rapport « Droits humains à la frontière sud », l’association pro-droits humains d’Andalousie (APDHA) déplore le fait que l’Europe importe le « modèle » espagnol de ’contrôle et de #répression de l’immigration". Le nombre de migrant-e-s arrivé-e-s en #Espagne par l’Andalousie, Ceuta, Melilla, le Levant, les Baléares ou les Canaries (16111) est le plus élevé depuis 2008. L’immigration en Espagne reste synonyme de violations des #droits_humains, de souffrance et de mort en 2015" considère l’association dans son rapport annuel d’analyse des mouvements migratoires et de gestion de cette frontière sud de l’Europe et de ses conséquences : en 2015, les morts à la frontière sud ont augmenté de près de 50%...

    #mourir_aux_frontières #asile #migrations #réfugiés
    Lien vers le rapport (en espagnol) :
    http://www.apdha.org/media/informe-frontera-sur-2016-web.pdf

    • Reçu via la mailing-list Migreurop:

      L’Associacion Pro Derechos Humanos d’Andalousie (APDHA) a présenté hier son rapport annuel “Informe Derechos Humanos en la Frontera Sur 2016”, où elle met en évidence la recrudescence des arrivées en Espagne depuis le continent africain et du nombre de morts.

      Durant l’année 2015, au moins 16 111 personnes sont arrivées sur les côtes espagnoles (34 % de plus que l’année précédente), et la route des Canaries s’est réactivée (triplement des arrivées). Et ce, alors qu’en parallèle le gouvernement espagnol a investi 22 000 euros journaliers entre 2005 et 2013 pour l’installation et la maintenance de barbelés aux frontières de Ceuta et Melilla, selon le dernier rapport d’Amnesty « Peur et barbelés. La stratégie de l’Europe pour tenir les réfugiés à distance ».

      Le rapport souligne également que le nombre de personnes ayant perdu la vie en tentant d’atteindre l’Espagne l’année dernière a augmenté de 50 %. A ces 195 personnes s’ajoutent les 3770 personnes ayant péri en Méditerranée centrale et en Mer Egée, une « réalité sanglante, conséquence des politiques de l’UE qui a assumé le modèle espagnol comme pionner en matière de non-respect des droits humains aux frontières ».

      Les « refoulements à chaud » ou immédiats à la frontière hispano-marocaine ont été pleinement intégrés dans l’accord UE/Turquie en vue du refoulement "massif" de milliers de réfugiés parvenus sur les côtes grecques : « en plus d’exhiber une commercialisation méprisable des êtres humains, cet accord a dynamité le droit d’asile, le principe de non refoulement et l’interdiction des expulsions collectives ».

      L’accord UE/Turquie a ses antécédents en Espagne en 1992, avec l’accord de réadmission signé avec le Maroc, et en 2006 avec le Plan Afrique - lors de la dite « crise des cayucos » (pirogues) - lorsque l’Espagne a signé des accords de coopération avec le Nigeria, la Guinée Bissau, le Sénégal et la Mauritanie, conditionnés au contrôle de leurs frontières.

      L’Espagne est à ce point devenu un modèle dans la répression des migrations pour l’Europe qu’une part importante des barbelés s’installant sur le territoire de l’UE provient d’une entreprise espagnole…

  • Faire, refaire, défaire... l’éditorial d’Issa GORAIEB - L’Orient-Le Jour, après la visite de François Hollande. Perte d’influence de la France devant les hyper puissances, probablement, mais il n’est pas certain que ces mêmes hyperpuissances soient encore à même de régler les problèmes hyper morcelés. Faut-il le regretter ?

    http://www.lorientlejour.com/article/981985/faire-refaire-defaire.html

    Navrante impuissance ici, espérances démesurées là, c’est un double devoir que commande cette équation. Devoir de constance, de suivi, éventuellement de sacrifice pour celle qui fut la conceptrice, la proverbiale tendre mère du Liban ; et devoir de réalisme, de prise de conscience et de reprise en main pour les fils de ce pays. Qu’il s’agisse du sanguinaire régime de Bachar el-Assad, de Daech ou des autres cauchemars régionaux, le président Hollande aura été le plus lucide, le plus conséquent des leaders occidentaux ; mais bousculé de surcroît chez lui, il n’a jamais eu les moyens de sa politique car, sur le théâtre du Levant notamment, la France a dû s’effacer devant des puissances bien plus considérables.

    Le général Weygand sur les marches de la Résidence des Pins, entouré des chefs spirituels lors de la proclamation de l’État du Grand Liban ; et sur les mêmes lieux, un spectaculaire, un émouvant remake de l’événement autour de François Hollande... Entre ces deux images reproduites côte à côte par plus d’un média, il n’y a pas seulement un siècle d’écart. C’est en réalité tout un monde qui les sépare, un monde qui n’est plus celui où l’on s’activait à bâtir des États sur les ruines de l’Empire ottoman, dans le cadre des accords Sykes-Picot. Dans le monde d’aujourd’hui on s’acharne, au contraire, à altérer, à défigurer, sinon à dépecer ou à renvoyer dans les limbes plus d’une de ces entités apparues au Proche et au Moyen-Orient.

    Pour tout dire, il n’est plus dans le pouvoir ou les attributions de la France de proclamer une quelconque re-naissance du Liban, grand ou petit. Plus que par les diktats des puissances, c’est d’abord par la volonté des Libanais eux-mêmes que ce pays se re-fera ou non. Car quitte à abuser du verbe faire, on peut fort légitimement demander ce qu’ils ont fait de leur pays, activement aidés en cela par de malveillantes ingérences étrangères. D’un embryon de peuple ils ont fait non point une nation mais un vague conglomérat de peuplades. Ils continuent de bien faire, avec toutes ces querelles sectaires qui n’épargnent même pas les services de renseignements, à l’heure où le Liban a besoin de tous ses yeux et oreilles pour faire échec au terrorisme et à la subversion. Et ils font de mieux en mieux, avec cette intarissable cascade de scandales, avec cette corruption qui a gangrené une large partie du personnel politique dans la plus révoltante impunité.

    #liban #moyen_orient #hyperpuissances

  • Début de l’offensive du régime et de ses alliés au nord d’Alep, visant l’encerclement d’Alep. Selon Reuters, avec l’appui de l’aviation russe.
    Offensive annoncée comme une revanche suite à l’offensive rebello-alQaïdesque dans le sud d’Alep : http://seenthis.net/messages/479263
    http://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-aleppo-idUSKCN0XB1IH?feedType=RSS&feedName=worldNew

    Syria’s army backed by Russian warplanes launched an assault north of Aleppo on Thursday, threatening to block a vital rebel route into the city in fighting that has cast new clouds over Geneva peace talks.
    Syria’s recent upsurge in fighting, particularly around the northern city of Aleppo, has proven the most acute challenge yet to a cessation of hostilities deal agreed in February and soured an already bleak mood as opposing sides gather in Geneva. [...]
    In Aleppo, government forces and their allies were focused on the area around Handarat Camp, overlooking an important access point held by rebels into the city, which is split into zones held by the government and opposition.[...]
    “The escalation started at night. The area is of great importance. If the regime advances, this will tighten the grip on Aleppo,” said Abdullah Othman, head of the politburo of the Levant Front rebel group.
    Fighting near Aleppo has been escalating for two weeks, mostly to the south of the city where government forces backed by Lebanon’s Hezbollah and other militias have been waging fierce battles with rebels including Nusra Front fighters.
    The al Qaeda-linked Nusra Front and Islamic State groups are not included in the cessation of hostilities agreement.
    Speaking in Moscow, Russian President Vladimir Putin accused the rebels of breaching the truce to reconquer lost ground. “The opposition is trying to recover what they lost,” he said.

    Une carte :

  • La naissance de l’Etat islamique

    L’Etat islamique (EI) nait dans la lutte contre l’occupation américaine de l’Irak. Il s’étend en exploitant les révoltes populaires provoquées par les politiques violentes ou discriminatoires des gouvernements irakiens et syriens.

    Début 2004, le jihadiste jordanien Abu Musab al-Zarqawi forme Al-Qaïda en Irak. Il désirait chasser du pays autant les américains que les groupes religieux non-sunnites et filmait régulièrement des décapitations d’otages. Il s’autonomise rapidement de la direction centrale de Al-Qaïda, en Afghanistan. Le cercle Ben Laden s’inquiétait en effet de son comportement immodéré qui risquait de compromettre le soutien populaire à Al-Qaïda et à l’insurrection.

    Zarqawi désirait mener à bien ses projets en regroupant les sunnites du Nord sous la bannière d’un Etat islamique d’Irak (EII). Cet Etat est proclamé en octobre 2006 malgré la mort de Zarqawi quatre mois plus tôt. C’est un échec. Le millénarisme exacerbé du mouvement l’empêche de faire des choix stratégiques rationnels. L’EII s’en prend aux tribus et à toutes les factions qui refusent de lui faire allégeance. L’émir de l’EII est tué par les forces américaines en avril 2010.

    Abu Bakr al-Baghdadi prend la relève. C’est un ancien étudiant en sciences coraniques passés par les Frères Musulmans et les geôles américaines.

    Les Etats-Unis se retirent d’Irak en 2011, laissant des chiites sectaires au pouvoir et une armée nationale très faible. L’EII remonte en puissance alors que les jihadistes irakiens adaptent leur stratégie : la guérilla affaiblit le gouvernement, mais l’établissement de l’Etat islamique prophétisé passe par un véritable soutien populaire. Il faut respecter les structures du pouvoir et les pratiques religieuses locales pour s’allier les tribus et leur clientèle. Il faut proposer une alternative à la corruption des autorités centrales.

    Le Printemps arabe permet à l’EII d’étendre ses activités à la Syrie où se trouvait déjà d’importants réseaux jihadistes, établis avec le soutien du régime contre les Etats-Unis. Baghdadi n’annonce sa présence dans le pays qu’en 2013, lorsqu’il agrandit l’organisation en Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Il rompt officiellement avec Al-Qaïda alors que l’EIIL se répand dans le Nord de l’Irak, enlevant Falloujah, puis Mossoul, ouvrant la route vers Bagdad.

    En juin 2014, au sommet de son exposition médiatique, Baghdadi se déclare « commandeur des croyants », un titre réservé aux califes successeurs de Mahomet et qu’avait déjà adopté le Mollah Omar lorsqu’il avait créé son émirat en Afghanistan.

    L’Etat islamique se caractérise depuis par une volonté réelle d’être un « Etat », c’est-à-dire d’administrer sa population, en lui fournissant des services et en l’encadrant.

    - William McCants, The ISIS Apocalypse : the history, strategy and doomsday vision of the Islamic State, St. Martin’s Press, 2015.

    – Charles Lister, « Jihadi Rivalry : The Islamic State Challenges al-Qaida », in : Brookings Doha Center Analysis Paper, n°16, janvier 2016.

    #islamisme #Etat_islamique #Irak #Syrie #Al-Qaida

  • Selon le journal turc Hürriyet, des officiels turcs ont fait la proposition suivante aux Américains, quand en marge du dernier sommet nucléaire Erdogan a rencontré Obama après avoir beaucoup insisté : « abandonnez le PYD [YPG] et au lieu de cela combattons ensemble Da’ich avec des groupes arabes et turkmènes [les groupes rebelles soutenus par la Turquie]. En échange d’une couverture aérienne américaine, la Turquie enverra des troupes au sol ».
    Selon le même article les Américains auraient refusé d’abandonner le PYD.
    http://www.hurriyetdailynews.com/ground-operations-in-syria.aspx?pageID=449&nID=97546&NewsCatID=46

    "Give up on PYD and instead let us fight against ISIL along with the Turkmen and Arab groups.” This was the proposal made by the Turkish officials to their American counterparts last week during President Recep Tayyip Erdoğan’s trip to the U.S. In return for the intervention of Turkish troops on the ground, they asked for American air cover.
    Yet Washington refused to give up its dependence on the Democratic Union Party [PYD] in the anti-Islamic State of Iraq and the Levant [ISIL] fight. But why? Why does Washington not agree to depend on Turkey rather than on PYD?

    Question déjà évoqueée sur seen this ici : http://seenthis.net/messages/477501 et là http://seenthis.net/messages/477501#message477547 (@gonzo)

    Reste que selon certaines rumeurs l’avancée récente des rebelles pro-turcs à partir de la poche d’Azaz face à Da’ich se serait faite avec l’appui de l’aviation américaine (je ne trouve plus de liens, si quelqu’un trouve quelque chose...).
    Peut-être y a-t-il eu une entente limitée, genre on appuie vos rebelles près de votre frontière - acceptant de fait qu’ils interdisent au YPG de réaliser la jonction des territoires kurdes, mais pas d’appui pour une vraie intervention au sol (à part de discrètes forces spéciales), et on ne lâche pas complètement le PYD/YPG.
    En tout cas, depuis cette offensive rebelle à partir de la poche d’Azaz, qui avait permis pour la première fois depuis bien longtemps une série de gains vers l’est sur Da’ich, Da’ich contre-attaque et des combats ont lieu autour de la ville sous contrôle rebelle de Marea et des villages pris par les rebelles.

    Pour une vue de l’évolution récente (depuis janvier dde cette année) des lignes de front dans cette région voir carte animée ici :
    https://lh3.googleusercontent.com/mm2lEcJexV1L0nqI2aoUWNqAtnPexX6i5oWbqMGR0wV72_cSgsBSJ_gfcZoUy

    Autre question : qu’en est-il de la présence d’al-Nousra parmi ces rebelles dont une partie ont été transférés de la province d’Idlib vers la poche d’Azaz via le territoire turc quand l’armée syrienne et le YPG ont coupé le corridor d’Azaz de la région d’Idlib et d’Alep en février 2016 ?

  • La #Russie dénonce la #contrebande d’#antiquités par #Daesh … et la complicité de Turcs
    http://www.bruxelles2.eu/2016/04/07/la-russie-denonce-la-contrebande-dantiquites-syriennes-et-des-turcs

    « En Syrie et en Irak, près de 100.000 objets appartenant au #patrimoine_mondial sont aux mains de l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL). On estime que le montant des revenus annuels que les islamistes tirent du trafic d’antiquités et de pièces archéologiques est compris entre 150 et 200 millions de dollars. »

    #archéologie #Turquie

  • عبد الله سليمان علي : هل ترتد نيران جبهة درعا على الأردن؟ : : الصفحة الرئيسة | جريدة السفير
    http://assafir.com/Article/1/484773

    Article tout-à-fait intéressant et éclairant sur la situation au sud de la Syrie. Cela commence par la mention de la présence, de plus en plus remarquée, d’officiers jordaniens du côté de Deraa. Pourquoi s’en étonner, fait semblant de se demander l’auteur, basé à Damas, puisque tout le monde sait que les fractions combattantes dans le sud, en principe plutôt ALS, sont financées depuis des années par des sources étrangères et dirigées par une sorte de PC militaire fort peu secret où travaillent différents spécialistes "de la coalition" ? [Etasuniens, Saoudiens, Français, Britanniques, Israéliens même paraît-il]...

    Sauf que la situation évolue mal depuis quelque temps, de plus en plus de milices combattantes rejoignant les rangs de Daesh/EI, plus ou moins ouvertement... La raison en est très simple : c’est l’EI/Daesh qui peut payer aujourd’hui que les fonds étrangers n’affluent plus de la même manière...

    Du coup, on constate l’échec manifeste de toute la stratégie (occidentale et surtout jordanienne) consistant à empêcher l’implantation au sud de la Syrie de l’EI (notamment par crainte d’une contamination de l’EI vers la Jordanie, vers ses centaines de milliers de réfugiés syriens et ses largement aussi nombreux sympatisants de l’EI au sein d’une partie de la population). En même temps, comme le souligne l’auteur, tout le monde savait que les choses se passeraient ainsi dès que l’argent (de la Coalition) n’affluerait plus vers les milices du Sud. Alors ?...
    La situation d’autant plus étonnante que le grand patron d’Al-Nusra au Sud, un certain "Abu Julaybib", connu pour son refus d’une extension du domaine de la lutte vers le sud ("la Jordanie est une ligne rouge"), a récemment été muté dans la zone côtière syrienne, sans aucune importance militaire aujourd’hui... S’agissait-il, par cette mutation, d’empêcher qu’il rejoigne, avec ses troupes, Daesh/EI ? Mais pourquoi diable Jabhat al-Nusra a-t-il cédé la place aussi facilement ? se demande encore l’auteur (et d’autres avec lui). Sa réponse en forme d’interrogation :

    هل سهّل الأردن بطريقة أو بأخرى حدوث هذا الانقلاب في الجبهة الجنوبية لمصلحة « داعش »، بهدف تهيئة الأرضية لتمرير خطة إقليمية معينة عندما تسنح الفرصة لذلك، أم على العكس سيكون هو أول من يدفع ثمن هذا الانقلاب في حال تمكن « داعش » بالفعل من الجلوس على عرش الجنوب، وما أحداث إربد ببعيدة؟
    التحقق من وجود ضباط أردنيين داخل درعا أو عدم وجودهم لن يعطي جواباً حول ذلك. وحدها بوصلة القرار الأردني التي ستحسم الأمر، ولن يكون كافياً الإعلان عن رفض تكرار سيناريو عرسال في درعا، لأن مجرد الرفض لم ينقذ لبنان من قبل.
    "Est-ce que la Jordanie a facilité, d’une manière ou d’une autre, ce basculement (= déclin de Jabhat al-Nosra) dans le Sud au profit de Daesh/EI pour préparer le terrain en vue d’un plan régional à mettre en oeuvre quand les circonstances seront favorables ? Ou bien la Jordanie sera-t-elle la première à payer le prix de ce retournement au cas où Daesh/EI serait en mesure d’asseoir son pouvoir dans le Sud ? Tout cela est-il lié aux incidents (très sérieux, il y a quelques semaines) d’Irbid (au Nord de la Jordanie) ? La réponse, n’est pas dans la présence ou non d’officiers jordaniens à Deraa, non plus que dans l’analyse de la position jordanienne. En effet, ne pas vouloir que se répète à Deraa le scénario d’Arsal ne suffira pas. On l’a constaté, le refus par les Libanais que cela se produise (à Arsal) n’a pas suffi."

    De manière beaucoup moins directe, L’Orient-Le Jour évoque les mêmes craintes : "Dans le Sud, l’absence de reconnaissance officielle de ces allégeances rend difficile l’évaluation des forces supplétives de l’organisation et de leurs capacités offensives. Cette nouvelle configuration pourrait, le cas échéant, se révéler menaçante pour la stabilité et la sécurité de la Jordanie." (http://www.lorientlejour.com/article/978789/comment-comprendre-la-presence-de-lei-dans-le-sud-de-la-syrie.html)

    On notera que, pour les observateurs locaux, le caractère "conspirationnel" de ces manoeuvres militaires est une évidence qui ne se discute même pas. Personne ne fait seulement semblant de parler des "révolutinnaires syriens", y compris dans leur "bastion historique" en 2011, Deraa... par ailleurs, toutes ces analyses s’inscrivent dans une même perspective géopolitique, celle d’un ensemble régional, le "Levant" (Syrie, Jordanie, Liban...), auquel Israël, miraculeusement (!), reste étranger.

    #levant #daesh #ei #syrie

  • نصري الصايغ : إصابة أوروبا في القلب.. التوحش ليس إسلامياً : : الصفحة الرئيسة | جريدة السفير
    http://assafir.com/Article/1/483041

    نقول : لم تعلن حرب على « داعش » بعد. الدول والرؤساء والملوك، يلوكون كلاماً مبتذلاً، لا يساوي حروفه. يحوّرون الموضوع. يدورون في فراغ الفعل. عندما ضرب الإرهاب الداعشي باريس، ارتعبت دول وشعوب. خرج الرئيس الفرنسي ليعلن : « الحرب على داعش ». كيف؟ متى؟ أين؟ لا تكفي إعلانات حالة الطوارئ. تشديد القبضة الأمنية. مشروعات تعديل مواد قانونية لنزع « الجنسية » عمن يشتبه به... لا يعوّض الحرب على « داعش » الكلام في فقه العنف، وعلاقته بالدين الإسلامي، و « تنامي الاسلاموفوبيا »... بالفم الملآن، لا علاقة للإسلام بهذا التوحش. هو منه براء نصاً وروحاً. ولم تكن للمسيحية أية علاقة بالتوحش الاستعماري ابان افتتاح القارة الجديدة، او ابان الغزو الاستعماري للجنس الأبيض لقارات الدنيا المستضعفة... المشكلة ليست في الدين. إذاً، أين هي؟ إذا لم تكن « داعش » بنت النص، فمن أي رحم جاءت؟ إذا لم تحصل الإجابة الدقيقة عن هذا السؤال، فستكون المسؤولية على من يتجنب توصيف الداء بعلته. وعندها، يحصل الارتكاب الفظيع، ما يشهد على ذلك، ان المسؤولين عن أسباب الإرهاب في دنيا العرب، استبدلوا الإرهاب الوبائي، بالمقاومة في لبنان. السعودية، ومعها الدول التابعة في الخليج، والدول « الناعمة » في الغرب، سارعت إلى تسمية « حزب الله » وتناست واجبها في مهمات « الحرب على داعش ».
    Nous disons que la guerre contre Daesh n’a pas encore été déclarée. Etats, chefs de gouvernements, rois se complaisent à mouliner des formules toutes faites qui évitent d’aborder les vraies questions et ne conduisent pas à l’action. Quand le terrorisme de l’EI a frappé Paris, les Etats et les populations ont pris peur. Le président français a déclaré la guerre à Daesh. Comment ? Quand ? Où ? Déclarer l’Etat d’urgence ne suffit pas, non plus que le renforcement des mesures sécuritaires ou encore les projets visant à retirer la nationalité des personnes soupçonnées... Parler de la culture de la violence (fiqh al-’unf), de sa présence dans l’islam, de l’essor de l’islamophobie ne remplacent pas la guerre contre Daesh. Disons-le clairement : l’islam n’a rien à voir avec ces atrocités tout comme le christianisme n’avait rien avoir avec les atrocités de la colonisation du Nouveau Monde et des autres régions de la terre par la race blanche. Ce n’est pas la religion le problème. Quel est-il alors ? Si le terreau de Daesh n’est pas celui des textes religieux, quel est-il ? Ne pas répondre à cette question, c’est ne pas s’attaquer aux causes réelles et permettre que se produisent des horreurs. On s’en rend compte lorsque les responsables de l’essor du terrorisme dans le monde arabe remplacent le fléeau du terrorisme par la résistance au Liban. Les Saoudiens, les pays du Golfe dans leur orbite et les pays "tranquilles" (nâ’ima) en Occident se sont empressés de s’en prendre au Hezbollah en oubliant leur obligation de lutter contre Daesh.
    من المعيب ألا تسكب دموع على من سقط في بروكسل وعلى من قتل في باريس وعلى من أصيب في اسطمبول، وعلى من اقتلعت منه الحياة في كل مكان بلغته قبضة « داعش ». يتساوى هؤلاء، مع لبنانيين في الضاحية وسوريين في مدن وبلدات، وعراقيين في دساكرهم ومصريين وتوانسة و... قليل من الدمع كاف ليعيد للبشر نصاب انسانيتهم ويشحذ رغبتهم في وضع حد لهذا التوحش... ومن المعيب أكثر ان لا يتجرأ أحد على تسمية الأشياء باسمائها، بعدما بلغت « الدولة الإسلامية في العراق والشام » مرتبة « الدولة العظمى » التي لا شبيه لها.
    C’est une honte que les larmes ne coulent pas pareillement pour les victimes tombés sous les coups de Daesh à Bruxelles, Paris, Istanbul, toutes égales aux victimes de la banlieue de Beyrouth, des villes et des villages syriens, aux Iraqueins, aux Egyptiens, aux Tunisiens. Quelques larmes suffisent pour rendre aux hommes leur humanité et les inciter à mettre un terme à la barbarie. Mais il est plus terrible encore de constater qu’on se refuse à appeler les choses par leur nom, aujourd’hui que l’Etat islamique en Irak et au Levant est devenu une grande puissance sans égale.
    أولاً : هذه الدولة ولدت هنا بأدوات من عندنا، بيئتها الحاضنة لها سابقة لولادتها. بيئة وهابية سلفية محروسة بنظام دقيق ومستفيد، يحظى بتفهم غربي ورعاية أميركية ودعم عالمي، وذيلية عربية غير مسبوقة. « داعش » ليس صناعة سعودية، ولكن ما كان لـ « داعش » أن توجد من دون هذه الدعوة، التي جنّدت « جيشاً » من الإسلاميين الوهابيين والسلفيين، لمحاربة « الكفار » السوفيات في أفغانستان. الرحم الوهابي من عندنا.
    Pour commencer, cet Etat est né en tirant parti de ce que notre monde lui donnait et qui se trouvait avant sa naissance. Un univers wahhabite salafiste protégé par un régime bénéficant de la compréhension des USA et du reste du monde, sans parler d’un abaissement arabe sans précédent. Daesh n’est pas un produit saoudien mais Daesh n’aurait pas existé sans cette prédication qui a enrôlé une "armée" d’islamistes wahhabites salafistes contre les "mécréants" soviétiques en Afghanistan. La matrice wahabite est nôtre.
    ثانياً : هذه الدولة الداعشية ولدت هنا، بعدما قضى الاستبداد الحزبي والعسكري والأمني على كل فكر وعقل ونقد، واقفل أبواب السياسة والمشاركة أمام أبرياء الناس واتقياء المستقبل. لقد أعدم الاستبداد الأمل وجعل البلاد مشاعاً له...
    Deuxièmement, l’Etat islamique est né ici, là où le despotisme d’un parti, de l’armée, des services de sécurité a éradiqué toute pensée, toute critique, a fermé toutes les portes de l’action politique aux gens ordinaires capables de créer un avenir. Le despotisme a tué l’espoir, il s’est emparé du pays.
    ثالثاً : هذه الدولة الداعشية، هي البنت الشرعية لنظام العولمة المتوحش اقتصاداً وسوقا، والذي عمّم الفقر وعالجه بالإحسان الـN.J.O.
    أسوأ ما أصيبت به شعوب هذه المنطقة، ما سماه نعوم تشومسكي : انعدام الأفق. سدّت الآفاق كلها. فلم يبق أمام هؤلاء البؤساء، غير العودة إلى الدين، ليصير مشروعاً سياسياً، بوهم العدالة... فبئس هذه العودة، واللعنة على هذا العالم الثلاثي الأبعاد : الوهابي والاستبدادي والعولمة.
    الحرب على « داعش » تأخرت. حرب « داعش » على العالم، هي العنوان. ليس في الأفق إلا مناوشة « داعش » بالتقسيط... اننا بانتظار « الأيام السود ».
    Troisièmement, l’EI est l’enfant légitime de la mondialisaiton sauvage qui détruit notre économie et nos marchés, qui répand une pauvreté soignée à coup de NGOs. Le pire que vivent les peuples de la région, c’est ce que Chomsky a appelé "l’absence d’horizon". Ils ont tous été refermés devant ces malheureux qui n’ont comme seule issue en guise de projet politique et d’illusoire égalité que le retour à la religion. Maudit soit ce monde confiné dans le traingle du Wahhabisme, du despotisme et de la mondialisation.
    La guerre contre Daesh a tardé. La guerre de Daesh contre le reste du monde, c’est le mot d’ordre du jour, mais ce que l’on voit, ce ne sont que de petites escarmouches. Des jours sombres nous attendent.

    Traduit à l’arrache, pas vraiment à citer !

    #bruxelles #EI

  • Syrie : « Pourquoi les Américains n’ont-ils rien fait ? »

    http://www.lemonde.fr/international/article/2016/03/15/syrie-pourquoi-les-americains-n-ont-ils-rien-fait_4882787_3210.html

    C’est l’histoire d’un hold-up tragique, aux répercussions mondiales, et de quelques hommes de bonne volonté qui ont tenté de l’empêcher. Cinq ans après le premier défilé anti-Assad, dans les souks de Damas, le 15 mars 2011, la révolution syrienne est prise en tenailles par les forces prorégime, d’une part, et les djihadistes du Front Al-Nosra et de l’organisation Etat islamique (EI), de l’autre.

    Ces deux formations issues d’Al-Qaida, initialement absentes de la révolution, ont réussi une percée foudroyante, au détriment des combattants de l’Armée syrienne libre (ASL), les pionniers de l’insurrection. La bannière noire des djihadistes flotte désormais sur la plus grande partie du nord du pays, une région libérée à l’hiver 2012-2013, et dont les opposants rêvaient de faire le laboratoire d’une nouvelle Syrie.

    Les principales causes de ce détournement, qui a ébranlé tout le monde arabe et dont l’onde de choc est ressentie jusque dans les capitales européennes, sont bien connues : la brutalité sans limite du régime syrien, qui a semé le chaos propice à l’implantation des extrémistes ; le jeu trouble des bailleurs de fonds du Golfe, qui ont contribué à la confessionalisation du soulèvement ; et le morcellement de l’opposition, qui a multiplié les erreurs.

    A ces trois facteurs, il faut en rajouter un quatrième : le dédain des Etats-Unis pour les opposants syriens, dont les signaux d’alerte ont été régulièrement ignorés. Le Monde a mené l’enquête, recueillant la confession exclusive d’un homme, le maître-espion de l’Armée syrienne libre (ASL), « M. » rencontré à trois reprises.

    Pendant près de deux ans, il a transmis à la CIA des
    rapports très fouillés, nourris par son réseau d’informateurs. Une mine de données, truffées de cartes, de photographies, de coordonnées GPS et de numéros de téléphone.

    « Du moment où Daech [l’acronyme arabe de l’EI] comptait 20 membres à celui où il en a compté 20 000, nous avons tout montré aux Américains, explique cette source. Quand on leur demandait ce qu’ils faisaient de ces informations, ils répondaient de façon évasive, en disant ce que c’était entre les mains des décideurs. »

    Le Monde a pu prendre connaissance de plusieurs de ces pièces et en récupérer quelques-unes, notamment la localisation des bureaux et des check points des djihadistes à Rakka, leur quartier général en Syrie. Par la même filière, Le Monde a eu accès à un plan secret, élaboré à l’été 2014, en concertation avec Washington, qui devait permettre d’expulser l’EI de la province d’Alep. Repoussée à plusieurs reprises par les Américains, l’attaque a finalement été torpillée fin 2014, par un assaut surprise du front Al-Nosra, sur la brigade de l’ASL qui devait la mener.

    Des entretiens avec deux autres hommes de l’ombre ont permis d’authentifier ces documents, ainsi que de recouper et d’enrichir le récit initial. Mis bout à bout, ces éléments dessinent les contours d’une formidable occasion manquée. Si elle avait été saisie, il est probable que la communauté internationale se serait retrouvée dans une situation beaucoup plus confortable qu’elle ne l’est, aujourd’hui, face à l’EI.

    « Nous sous-estimons la richesse que les Syriens peuvent apporter en termes de renseignements sur l’EI », affirme Charles Lister, un spécialiste des mouvements djihadistes syriens, qui a été confronté à de multiples reprises aux récriminations d’opposants, dont les informations avaient été ignorées par les Etats-Unis.

    « A la fin de l’année 2013, nous avons raté deux coches, renchérit un diplomate occidental. Le premier, c’est l’attaque chimique contre la banlieue de Damas [le 21 août 2013], qui est restée sans réponse, ce qui a remis en selle le régime. Le second, c’est le renforcement de l’acteur qui aurait lutté contre Daech, et l’ASL était la mieux placée pour assumer ce rôle. »

    Appelons notre source « M. ». Pour des raisons de sécurité, son identité ne peut être révélée, de même que celle de tous les autres Syriens cités dans cet article. Dans la Syrie d’aujourd’hui, il ne fait pas bon espionner l’EI. Ces derniers mois, plusieurs militants révolutionnaires exilés en Turquie ont payé de leur vie leur engagement antidjihadiste.
    La carrière de « M. » dans le renseignement débute en avril 2013, lorsqu’il intègre le Conseil militaire suprême (SMC). Formé quatre mois plus tôt, cet organe ambitionne de coordonner les opérations des brigades labellisées ASL, et de centraliser l’aide financière qui afflue alors dans le plus grand désordre.

    « M. » contribue d’abord à la mission d’enquête des Nations unies sur
    l’usage d’armes chimiques en Syrie. Puis, il participe à des médiations destinées à obtenir la libération d’étrangers, capturés par des groupes djihadistes. Mais très vite son attention se porte sur l’EI, qu’il a observé à Saraqeb, une ville de la province d’idliv.

    « Son responsable sur place s’appelait Abou Baraa Al-Jazairi, c’était un Belgo-Algérien, raconte M. Il jouait à l’idiot, il fumait du haschisch en permanence. Il parlait de créer un califat, qui s’étendrait comme un cancer, et tout le monde pensait qu’il rigolait. Mais son parcours m’intriguait. Il avait combattu en Irak et en Afghanistan, il parlait le russe, le français et l’anglais, avec un background d’ingénieur. Tout sauf un amateur. Quand ses hommes ont ouvert un tribunal et ont commencé à y juger des gens, on a réalisé que les bêtises d’Abou Baraa étaient sérieuses. »

    En accord avec ses chefs, « M. » décide de monter des dossiers sur ces intrus. L’EI s’appelle alors l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ses combattants, non Syriens en majorité, se distinguent par leur empressement à imposer leur loi sur le territoire où ils se déploient, contrairement à leurs rivaux d’Al-Nosra, mieux intégrés à l’insurrection, qui se concentrent sur le renversement du régime. Ils arrivent par centaines chaque mois à la frontière syro-turque, dont la traversée est alors un enfantillage.

    « Ces étrangers venaient voler notre pays, nos droits et notre terre », s’indigne « M. » qui les identifie comme un danger mortel pour la révolution. « Si vous n’arrêtez pas ce flot de terroristes, dans trois mois, même les Syriennes porteront la barbe », s’alarme son chef, à peine ironique, lors d’une rencontre en Turquie avec Robert Ford, l’ambassadeur américain auprès de l’opposition syrienne.

    Infiltré au sein de l’EI

    « M. » est envoyé se former à l’étranger. A son retour, il recrute une trentaine d’hommes de confiance, disséminés dans les villes qui sont en train de tomber sous la coupe de l’EIIL. Jarablus, Al-Bab, Tell Abyad, Manbij, Rakka. Pour financer son réseau, l’espion en chef demande
    30 000 dollars (27 000 euros) par mois aux Etats-Unis. Il en reçoit 10 000. Les rencontres avec ses officiers traitants se tiennent dans les palaces de la Turquie centrale, à Adana, Gaziantep, Ankara.

    L’un des agents les plus précieux du SMC est une taupe infiltrée dans le bureau des affaires financières de l’EIIL, situé à Manbij, non loin de la frontière turque. Un rapport rédigé sur la base de ses « infos », que Le Monde s’est procuré, fait état de transfert d’argent de Radwan Habib, un parlementaire syrien, membre du Ba’as, le parti au pouvoir, vers son frère Ali, émir de l’EI à Maskaneh, une petite ville sur l’Euphrate. Dix versements sont recensés entre novembre 2013 et avril 2014, dont l’un d’une valeur de 14 millions de livres syriennes (environ 67 000 euros).
    « Initialement, il s’agissait pour Radwan Habib de soutenir son frère, un simple chef rebelle, face à une tribu rivale, détaille « M ». Mais quand Ali est passé chez Daech, l’argent a continué à affluer. »

    Les mouchards de l’ASL ne font pas qu’écouter aux portes. Ils font aussi de la reconnaissance de terrain, parfois très risquée. Au Monde, « M. » a montré la photographie, prise au téléobjectif, d’un camp d’entraînement, dans le nord de la province de Lattaquié, fréquenté par des djihadistes étrangers. « Je l’ai évidemment transmise à mes contacts occidentaux, avec les coordonnées GPS, mais je n’ai eu aucun retour, maugrée « M. ». Des agents à moi ont aussi réussi à se procurer des numéros de téléphone de responsables de Daech, des numéros de série d’appareils satellites et même des adresses IP. Mais là encore, zéro retour. »

    A l’époque, au tournant de l’année 2013-2014, les Etats-Unis sont encore loin d’être entrés en guerre contre l’EI. Ils observent en retrait les groupes armés qui poussent alors comme des champignons, tentant de déceler ceux qui menacent leurs intérêts et ceux avec lesquels ils pourraient travailler.
    « Obama et son équipe ont toujours été très réticents à utiliser la force militaire en Syrie et à équiper les rebelles, rappelle Robert Ford, qui a pris sa retraite de diplomate en février 2014, et officie aujourd’hui comme chercheur au Middle East Institute. Leur inquiétude était double : d’une part que les armes fournies soient utilisées contre le régime Assad, ce qui aurait été une grave violation du droit international [les Etats-Unis considérant toujours que, même si leur ambassade à Damas a fermé, le régime Assad

    reste dépositaire de la légalité syrienne]. D’autre part, que ces armes puissent atterrir dans les mains de groupes comme Nosra. »
    A cet égard, la capture des bureaux et des entrepôts de l’ASL, en décembre 2013, dans le village d’Atmeh, sur la frontière turque, marque un tournant. En quelques heures, des groupes islamistes armés s’emparent des lieux et de l’arsenal qui s’y trouve. C’est le coup de grâce pour le SMC, déjà court-circuité par de nombreux bailleurs de la rébellion. Le Qatar et la Turquie par exemple disposent de leur propre filière et de leurs propres clients, hors ASL. Des armes arrivent même de Libye par bateaux, affrétés par un imam de Stockholm, Haytham Rahmé, membre des Frères musulmans.

    Halte à la foire, disent les Etats-Unis. Désormais tout devra passer par le « MOM » [un acronyme du turc qui signifie centre d’opérations militaires], une structure de coordination, hébergée dans les bases militaires du sud de la Turquie, où siègent les principaux parrains des rebelles (Arabie saoudite, Qatar, Turquie, France et Royaume-Uni), sous la baguette de la CIA. Pour faire avaler la pilule aux rebelles, les Etats-Unis leur promettent des armes antichars : les missiles TOW. Ils seront fournis par l’Arabie saoudite et la formation des artilleurs sera faite au Qatar, par des experts américains. Un coup à trois bandes.
    La première brigade de l’ASL à recevoir ces engins, au mois de mars 2014, s’appelle Harakat Hazm. Elle a été fondée au début de l’année par des anciens du bataillon Farouk, les défenseurs de la vieille ville de Homs. Avec les TOW – dont les premières vidéos font sensation sur Internet –, 4 000 hommes répartis entre les provinces d’Idlib, d’Alep et de Hama et un budget mensuel de quelques centaines de milliers de dollars, réglé par l’Oncle Sam, Hazm voit loin : elle aspire à devenir le principal pôle rebelle du nord.

    « Ce n’était pas la priorité de Washington »

    C’est là que se recycle « M. » après le fiasco du SMC. Pendant tout l’été 2014, alors que les hordes de l’Etat islamique proclamé par Abou Bakr Al-Baghdadi déferlent sur Mossoul, en Irak, il travaille à un plan secret, susceptible de bouleverser l’équilibre des forces dans le nord de la Syrie. Il s’agit d’attaquer les positions de l’EIIL du nord au sud de l’axe Azaz-Alep, ce qui compléterait l’offensive du mois de janvier 2014, qui avait déjà permis d’expulser les djihadistes d’Alep. Le Monde a vu les documents soumis aux Américains en préparation de cette offensive, à laquelle d’autres brigades de l’ASL devaient se joindre, comme Jaysh Al-Moudjahidin, basée à Alep.

    Tout était prévu, heure par heure, rue par rue : de l’itinéraire suivi par les assaillants, aux filières de ravitaillement en armes et en essence. Un travail de fourmi nourri par l’armée d’indics de « M ».
    « Dans chacun des villages tenus par Daech, on connaissait le nombre d’hommes armés, l’emplacement de leurs bureaux et de leur planque, on avait localisé les snipers et les mines, on savait où dormait l’émir local, la couleur de sa voiture, et même sa marque. D’un point de vue tactique comme stratégique, on était prêts. »

    Les Américains hésitent, demandent des précisions. Mais le temps presse. Dans la région d’Idlib, le Front Al-Nosra se fait menaçant. Au mois d’août, il s’empare de Harem, dans la région d’Idlib, en y délogeant les hommes du Front des révolutionnaires syriens (FRS), un groupe estampillé ASL et armé par le MOM, commandé par Jamal Maarouf, un ancien ouvrier du bâtiment reconverti en seigneur et profiteur de guerre.

    L’offensive d’Al-Nosra pose un dilemme à Hazm qui connaît la popularité du groupe sur le terrain, non seulement parmi les civils mais aussi dans les rangs des rebelles modérés. « Nous avons sondé nos contacts au Conseil de sécurité national, à Washington, se remémore un consultant syrien, embauché par Hazm. Nous leur avons parlé de combattre le Front Al-Nosra, avant qu’il ne devienne trop fort. Ils ont refusé, en expliquant que ce n’était pas leur priorité. »

    L’urgence, pour la Maison Blanche, est à Kobané. A la mi-septembre 2014, l’EI rentre dans cette bourgade kurde, adossée à la frontière turque. L’aviation américaine, déjà à l’œuvre en Irak, bombarde aussitôt ses colonnes de pick-up. Pendant tout l’automne, l’US Air Force offre aux combattants du YPG, le bras armé du mouvement autonomiste kurde, un soutien aérien massif, qui débouchera sur le retrait des djihadistes, fin janvier 2015. Les membres d’Hazm, qui comme la plupart des révolutionnaires syriens se méfient du YPG, coupables à leurs yeux de collusion avec le régime syrien, observent la bataille avec des sentiments mêlés.

    Car parallèlement, la planification de leur propre offensive contre l’EI s’est enlisée. Beaucoup de réunions dans les palaces turcs et toujours pas de feu vert. « Les Américains rechignaient à nous fournir des images satellites, déplore « M ». Ils disaient aussi que leurs avions ne pourraient pas nous aider une fois les combats avec l’EI commencés. Tout ce qu’ils nous proposaient, c’était de nous débarrasser d’un ou deux obstacles, avant le début de l’offensive. »

    Le Front Al-Nosra ne leur en donnera pas l’occasion. En novembre, il s’empare des QG du FRS et de Hazm dans la province d’Idlib. En quelques semaines, ses combattants balaient leurs rivaux, en qui ils voient une copie conforme des « Sahwa », ces milices sunnites que Washington avait mobilisées en Irak, de 2007 à 2010, pour défaire Al-Qaida. En réaction, Washington suspend son aide militaire et financière aux deux groupes rebelles syriens. Une réunion des chefs de l’ASL est organisée en urgence à Reyhanli, du côté turc de la frontière.
    Dans une atmosphère électrique et enfumée, le chef de Hazm, Hamza Al-Shamali, plaide pour une riposte musclée à Nosra et surtout un engagement à s’entraider, en cas de nouvelle attaque. « Tous les chefs de l’ASL ont dit d’accord en bombant le torse, se rappelle un conseiller de l’opposition syrienne, présent ce jour-là. Mais au bout de quelques minutes, j’en ai vu qui se mettaient déjà à douter. Quand, au mois de janvier, Nosra a attaqué le dernier QG de Hazm à l’ouest d’Alep, personne n’a bougé. La vérité, c’est que Nosra faisait peur à tout le monde. Et que les Américains n’ont pas encouragé leurs autres clients à réagir. »

    Lâchage ? Manipulation ? L’ex-ambassadeur américain Robert Ford, qui n’était plus alors en poste, répond sur un ton clinique. « Les membres de Nosra qui ont défait Hazm ne préparaient pas d’attaque contre des cibles américaines. Ils n’étaient pas une priorité. Et par ailleurs, les Etats-Unis ont toujours été nerveux sur la fiabilité des groupes armés du nord de la Syrie », dit-il en visant implicitement la formation de Jamal Maarouf, accusé de multiples exactions.

    Le fiasco du programme « Train and Equip »

    En Turquie, « M. » fulmine. A la suite d’une ultime rencontre, il coupe les ponts avec ses officiers traitants. « Si nous avions pu aller au bout de notre plan, nous serions considérés aujourd’hui comme les partenaires obligés dans la lutte contre le terrorisme, dit-il. Mais visiblement, quelqu’un ne voulait pas que nous accédions à cette position. »

    « Je ne crois pas aux théories du complot, corrige le consultant d’Hazm, associé de près à la filière CIA. Obama n’est pas interventionniste, c’est comme ça. Il estime que c’est aux Etats du Moyen- Orient de gérer leur chaos. Son seul souci, c’est de parler avec tout le monde. Quant à l’opposition, elle ne peut pas se plaindre. Elle a reçu plein d’armes. Mais elle a fait trop d’erreurs. »

    Sur le terrain, l’épisode de l’automne 2014 a des conséquences dramatiques. De peur de subir le même sort que Hazm et le FRS, les autres leaders de l’ASL se placent plus ou moins sous la tutelle du Front Al-Nosra. Plus possible pour les modérés de prendre des initiatives sans son aval. « Nosra s’est mis à prélever une partie de l’aide humanitaire et militaire qui arrive à l’ASL, accuse Jamal Maarouf, rencontré dans une banlieue du sud de la Turquie, où il vit aux crochets du gouvernement Erdogan. Mais il leur laisse les missiles TOW dont il a besoin pour détruire les tanks du régime. Il sait que s’il s’en empare, les Américains cesseront de les livrer. »

    A l’été 2015, le fiasco du programme « Train and Equip » (« Entraînement et équipement ») qui devait permettre de former des rebelles anti-EI, pousse les conséquences des errements américains dans ce conflit à leur paroxysme. A peine entrés en Syrie, les quelques dizaines d’hommes armés sélectionnés à la va-vite par le Pentagone, sont dépouillés de leurs armes par les combattants du Front Al-Nosra. Parce qu’il interdisait à ses recrues de combattre le régime, le Pentagone n’avait pas jugé bon d’offrir à ses « protégés » une couverture aérienne.

    Depuis la Turquie, « M. » ressasse son amertume. Il voit les Kurdes du YPG, avec lesquels les Etats-Unis collaborent de plus en plus, s’arroger le rôle dont il rêvait. Son ultime travail pour les Américains a consisté à monter un gros rapport sur Rakka, le sanctuaire de l’EI en Syrie. Un document qui comporte l’organigramme local de l’organisation djihadiste, de l’émir jusqu’aux responsables des check points, ainsi que des pages entières de coordonnées GPS. « C’était il y a un an et demi et Rakka est toujours la capitale de Daech », vitupère « M. ».

    Palmyre abandonnée

    Un autre Syrien partage sa colère. Un ancien officier des services de renseignements du régime Assad en rupture de ban, reconverti dans le business au Royaume-Uni, qui sert d’intermédiaire discret à l’ASL. Le Monde l’a rencontré en novembre, dans un hôtel de Gaziantep, pour parler à sa demande de Palmyre. Quelques mois plus tôt, en juin 2015, la célèbre cité antique avait été saisie par les troupes de l’EI, en un raid éclair qui avait stupéfait le monde entier. Une attaque dont les Américains avaient pourtant été prévenus, affirme-t-il.

    « J’étais à Iskanderun [un port turc, non loin de la Syrie]. Des gars à moi à Soukhné [une ville à une centaine de kilomètres à l’est de Palmyre] m’ont appelé pour me dire que des jeeps de l’EI fonçaient vers Palmyre. J’ai alerté la CIA et le Pentagone. La seule réponse que j’ai eue, c’est qu’ils avaient vu eux aussi le départ des convois, mais que leur pilote avait repéré des enfants dans une camionnette. Et les autres véhicules alors ? »

    Cette source n’a pas produit de documents étayant ses propos. Mais ils sonnent juste. « Dans l’opposition, tout le monde savait au moins dix jours à l’avance, que l’EI allait attaquer Palmyre, assure l’ex-consultant d’Hazm. C’est du terrain, plat, désertique, facile à bombarder. Pourquoi les Américains n’ont-ils rien fait ? Cela reste un mystère ». L’analyste Charles Lister n’a pas de réponse non plus. « L’opposition doute depuis longtemps des objectifs des Etats-Unis en Syrie, dit-il. Et il semble que la méfiance existe de l’autre côté aussi. Pourtant l’EI ne pourra jamais être vaincu sans l’aide des Syriens du terrain, autrement dit, l’opposition, majoritairement sunnite et arabe. »

    Dimanche 13 mars, une autre brigade de l’ASL, la Division 13, a été défaite par le Front Al-Nosra dans la ville de Maarat Al-Numan et les villages environnants. Après le FRS et Hazm, c’est un nouveau groupe modéré qui s’incline face aux djihadistes. La série noire continue. Il est minuit moins le quart en Syrie.