C’est le premier accrochage d’envergure entre les forces américaines et les forces pro-régime depuis que les Etats-Unis ont annoncé leur intention, à la mi-janvier, de prolonger leur présence militaire dans l’est de la Syrie. Dans la nuit de mercredi 7 à jeudi 8 février, la coalition internationale anti-djihadiste conduite par Washington a aidé les Forces démocratiques syriennes (FDS), la milice kurdo-arabe à laquelle elle est alliée, à repousser une attaque de paramilitaires loyalistes, dans la province de Deïr Es-Zor.
Les deux camps avaient contribué, à la fin de 2017, chacun de leur côté, à chasser l’organisation Etat islamique (EI) de cette région riche en hydrocarbures. La confrontation, qui a causé entre 45 et 100 morts dans les rangs des assaillants, a été qualifiée d’« agression » et de « massacre » par Damas. Même si un porte-parole du Pentagone a affirmé que Washington « ne cherche pas un conflit avec le régime », les partisans de Bachar Al-Assad ont promis de se venger.
Les hostilités ont débuté lorsque des combattants affiliés au régime Assad ont franchi l’Euphrate, en violation de l’accord russo-américain qui fait du fleuve une ligne de démarcation : à l’ouest, les pro-gouvernementaux, soutenus par Moscou et à l’est, les FDS, appuyés par les Etats-Unis. Plusieurs centaines d’hommes, équipés de tanks, de mortiers et de canons de campagne, ont pris part à l’offensive, visant le secteur de Khasham, qui abrite à la fois le quartier général des FDS et un important gisement pétrolier.
Fiasco sanglant pour les pro-régime
Selon le Centcom, le commandement de l’armée américaine au Proche-Orient, les forces kurdo-arabes ont commencé à riposter après qu’une vingtaine d’obus se sont écrasés à 500 mètres de leurs positions. Les conseillers de la coalition anti-EI, qui sont principalement des soldats américains, ont participé à la défense de la base, au moyen de frappes aériennes et de tirs d’artillerie. Selon le Centcom, le contact a été maintenu en permanence avec l’armée russe, avant, pendant et après l’attaque.
Celle-ci se solde sur un fiasco sanglant. Les pro-régime auraient perdu une centaine d’hommes selon un officier américain, et quarante-cinq selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Les victimes sont des membres des Forces de défense nationale, une milice supplétive de l’armée régulière, et des combattants chiites afghans, dépêchés sur le champ de bataille syrien par Téhéran, allié de Damas. En face, la coalition ne déplore qu’un blessé, dans les rangs des FDS.
L’incursion des loyalistes à l’est de la ligne de déconfliction n’avait pourtant rien d’une opération de dernière minute. Des partisans du régime avaient annoncé son lancement la veille sur les réseaux sociaux, signe d’une préparation en amont. Selon le journaliste syrien Hassan Hassan, les combats avaient été précédés par la diffusion de rumeurs, insinuant qu’un accord secret avait été passé entre les kurdes et le régime, pour restituer l’est de l’Euphrate à ce dernier. Objectif : semer le doute parmi les partisans des FDS, au moment même où Damas mobilisait ses relais au sein des tribus, très puissantes dans l’est syrien. Mais cette manœuvre, visiblement prématurée, a fait long feu.
Moscou fait profil bas
Les stratèges du régime ont peut-être voulu tester la résolution de la coalition internationale, sa détermination à défendre ses alliés, maintenant que le gros de la lutte contre l’EI est terminé. « La réponse de la coalition a été claire : ce n’est pas parce que les Kurdes ont été momentanément lâchés à Afrin qu’ils le seront dans le nord-est du pays », estime une source proche de la direction kurde. Une référence à l’offensive lancée par la Turquie en janvier contre un autre bastion des FDS, dans le coin nord-ouest de la Syrie, avec l’accord tacite des Etats-Unis, qui ne disposent pas de troupes dans cette zone.
Damas ne peut même pas se consoler auprès de Moscou. La Russie, qui a suivi la déroute des pro-régime en quasi-direct, fait profil bas, comme si elle voulait se dissocier de cette attaque mal pensée. Le ministère russe de la défense s’est contenté de déclarer que Washington ne cherche pas à lutter contre les djihadistes, mais à « saisir et à conserver des biens économiques syriens ». Tout laisse penser que le régime Assad n’est pas près de se relancer dans une attaque frontale contre les FDS.
« Les choses ne sont pas terminées pour autant, prévient Robert Ford, ancien ambassadeur américain à Damas, aujourd’hui membre du Middle East Institute, un think-tank de Washington. Les Américains et leurs alliés locaux doivent se préparer à des actions non conventionnelles, telles que des assassinats, des attentats à la voiture piégée et des coups de main conduits par de petits groupes très mobiles ». Une confédération tribale qui a perdu plusieurs de ses jeunes dans l’offensive, a appelé à la vengeance.
Les trois objectifs de Washington
Le 17 janvier, lorsqu’il avait annoncé que les troupes américaines resteraient en Syrie, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson avait justifié cette décision en citant trois objectifs : empêcher toute reformation des groupes djihadistes, lutter contre l’influence de l’Iran, et peser sur une éventuelle transition politique à Damas.
Des soldats américains observent la frontière avec la Turquie, près de la ville de Manbji, dans le nord de la Syrie, le 7 février.