Immigration : des flux stables, moins de régularisations, plus d’expulsions
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Immigration : des flux stables, moins de régularisations, plus d’expulsions
Par Julia Pascual
A l’heure où le premier ministre, François Bayrou, est prompt à reprendre à son compte l’idée de « submersion » migratoire, souvent agitée à l’extrême droite, la publication des chiffres annuels (provisoires) de l’immigration, mardi 4 février, par le ministère de l’intérieur, tend plutôt à illustrer une relative stabilité de l’entrée d’étrangers dans le pays.
Au point qu’après plusieurs années consécutives de hausse des délivrances de premiers titres de séjour, tirée notamment par le dynamisme économique à la sortie de la crise liée au Covid-19, un plateau pourrait être atteint. Même la demande d’asile, qui reste à un niveau élevé, engage un reflux, à l’image d’une tendance observée en Europe.
Enfin, conséquence logique du raidissement annoncé par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, depuis son arrivée Place Beauvau en septembre 2024, les régularisations sont en recul après cinq années de progression, tandis que les expulsions progressent, sans retrouver leur niveau d’avant la pandémie de Covid-19.
L’administration française a délivré 336 700 premiers titres de séjour à des étrangers en 2024, soit un volume proche de celui de 2023, en hausse de 1,8 %. Ces titres correspondent à différents motifs de migration et, pour la troisième année consécutive, c’est le motif étudiant qui arrive en tête (près de 109 300, soit + 0,2 %), devant les motifs familial (près de 90 600, en baisse de 1,2 %), économique (près de 55 600, + 0,9 %) et humanitaire (près de 54 500, + 13,5 %). « Même s’il y a une stabilisation, on reste à un niveau relativement élevé et supérieur à avant le Covid-19, souligne Jean-Christophe Dumont, chef de la division chargée des migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). On peut noter une dynamique positive de l’immigration de travail, contrairement à ce qui est observé pour l’immigration familiale, qui baisse depuis 2022. La hausse significative des réfugiés traduit, quant à elle, le résultat de l’augmentation de la demande d’asile observée en 2023. »
Sans surprise, les ressortissants du Maghreb sont les premiers bénéficiaires de titres de séjour, suivis des Chinois, des Américains et des Afghans. Derrière ce positionnement se trouvent des motifs de migration différents. Ainsi, environ les deux tiers des titres de séjour délivrés à des Marocains et des Tunisiens le sont pour des raisons familiales ou professionnelles, tandis que le motif familial préside à l’arrivée de 55 % des nouveaux immigrés algériens. A contrario, plus de la moitié des immigrants chinois et américains sont des étudiants, et 96 % des premiers titres accordés à des Afghans relèvent de la protection humanitaire.« Ces niveaux de flux migratoires, qui représentent environ 0,5 % de la population, sont deux fois plus faibles que la moyenne des flux migratoires dans l’OCDE en 2023 [0,97 %] », relativise encore Jean-Christophe Dumont.
Au total, quelque 4,3 millions de ressortissants de pays tiers à l’Union européenne (UE) sont aujourd’hui détenteurs d’un titre de séjour, dont 650 000 Algériens, 617 000 Marocains et 304 000 Tunisiens. Leur présence est plus importante dans certains départements, parmi lesquels la Seine-Saint-Denis (26,9 % de la population), la Guyane (26,8 %), Mayotte (21,3 %) et l’ensemble de l’Ile-de-France.Quant à la catégorie des visas de court séjour, délivrés pour l’essentiel à des touristes, elle poursuit sa hausse en 2024 pour atteindre 2,5 millions de visas, sans retrouver les niveaux d’avant la crise liée au Covid-19, notamment pour les ressortissants chinois, qui en sont les premiers bénéficiaires.
Si la France compte de plus en plus de réfugiés (630 000 titres humanitaires valides en 2024), la demande d’asile a amorcé, elle, une baisse en 2024 de 5,5 %, avec quelque 158 000 requêtes, selon les données provisoires du ministère de l’intérieur. Ukrainiens, Afghans et ressortissants de la République démocratique du Congo sont les premières nationalités représentées. Avec plus de 13 000 dossiers enregistrés, « la demande d’asile ukrainienne est un phénomène nouveau », a souligné, mardi, lors d’une conférence de presse, le directeur général des étrangers en France, Eric Jalon. Elle traduit la recherche d’un statut plus pérenne de la part de personnes déjà présentes sur le territoire et qui bénéficient jusque-là du statut particulier de la protection temporaire, accordée par tous les Etats membres de l’UE aux Ukrainiens après le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022. Plus de 56 000 Ukrainiens continuent d’ailleurs de séjourner en France sous le régime de cette protection temporaire.
Conséquence de la présence croissante de ressortissants de pays touchés par des conflits armés, le taux d’accord d’une protection progresse, pour atteindre près de 50 %. Même si elle reste à un niveau élevé, la demande d’asile fléchit donc « de façon sensible pour la première fois depuis 2007, en dehors de la période de la crise sanitaire », remarque le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, Julien Boucher. Une tendance qui fait écho à celle que l’on observe à l’échelle européenne. Les chiffres ne sont pas encore disponibles pour l’ensemble de l’année 2024, mais le ministère de l’intérieur table sur une baisse d’environ 10 % en Europe, avec une demande autour du million de requérants. La France se situerait dans le top 4, derrière l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
Elle se singularise en outre par la variété des nationalités requérantes, au contraire de pays comme l’Allemagne, où un tiers des demandeurs sont syriens, ou comme l’Espagne, où deux demandeurs d’asile sur trois sont vénézuéliens ou colombiens.
Pour la première fois depuis 2020, les régularisations sont en baisse. Ainsi, 31 250 étrangers sans papiers en ont bénéficié en 2024, soit 3 500 de moins qu’en 2023. Un volume qui reste quoi qu’il en soit modeste, même si l’inflexion observée (− 10 %) tranche avec la progression des régularisations depuis 2020 et la sortie de la crise liée au Covid-19. Sans surprise, elle traduit le souhait de Bruno Retailleau, qui l’a plusieurs fois revendiqué, de réduire ces mesures d’admission exceptionnelle au séjour. Compte tenu de la circulaire ministérielle qu’il a diffusée aux préfets le 23 janvier, visant à durcir les critères d’examen de ces demandes de régularisation, le chiffre devrait continuer de baisser. Néanmoins, mardi, le directeur général des étrangers en France a expliqué qu’il n’existait « pas de prévisions » ni d’« objectifs », mais simplement « une orientation générale ».
Le recul des régularisations tranche avec les déclarations du précédent ministre de l’intérieur (et actuel garde des sceaux), Gérald Darmanin, qui avait manifesté son souhait, au travers de sa loi sur l’immigration promulguée en janvier 2024, de faciliter la régularisation des travailleurs sans papiers dans certains secteurs en tension, compte tenu des besoins de l’économie. Ce chiffre reste le mètre étalon de la lutte contre l’immigration irrégulière. Environ 21 600 étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, telle qu’une obligation de quitter le territoire ou une interdiction du territoire, ont été expulsés, dont 60 % de force (près de 13 000). Si ces éloignements sont en hausse, ils restent inférieurs au niveau d’avant la pandémie de Covid-19 (23 746 en 2019).
Les premiers pays concernés sont ceux du Maghreb, mais aussi l’Albanie, la Géorgie et la Roumanie. Les mesures d’expulsion exécutées diffèrent selon les origines. Ainsi, les éloignements forcés sont surreprésentés parmi les Algériens (près de 73 %), les Marocains (près de 71 %), mais aussi les Afghans (près de 96 %, uniquement vers un autre pays de l’UE). A contrario, les Géorgiens et les Turcs éloignés le sont pour moitié ou presque à travers des dispositifs de retours volontaires aidés, c’est-à-dire assortis d’un pécule.
Le ministère de l’intérieur a aussi communiqué sur les plus de 147 000 interpellations d’étrangers en situation irrégulière en 2024 (à son niveau le plus élevé depuis 2014), reflet de l’action des forces de l’ordre davantage que de la présence de personnes sans papiers.
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