Gaël GIRAUD.- Le discours du 12 mars dernier du président de la République reprenait un thème présent depuis longtemps dans ses allocutions —la mise “hors marché” des biens communs, et la santé en est un — et semblait faire un réquisitoire contre sa propre politique. Le sens qu’il convient de donner à une parole est inséparable des actes qui l’accompagnent. Attendons les actes.
On accuse volontiers les « dogmes néolibéraux » ou l’austérité budgétaire d’avoir ruiné les systèmes de santé des pays occidentaux. Cependant on voit aussi que les pays qui s’en sortent le mieux tels la Corée du sud, Taïwan, Singapour ou l’Allemagne sont aussi ceux qui disposent d’un Etat moderne, de finances publiques saines, d’une industrie puissante. Par railleurs, la France semble dépenser plus que la moyenne des pays de l’UE dans le système de santé. Faut-il vraiment accuser l’austérité ?
Un peu de comptabilité nationale ne fait jamais de mal : la contribution des administrations publiques à la valeur ajoutée, et donc au PIB, est de l’ordre de 18,2% en France. Elle n’augmente quasiment pas depuis 1983. Les fameux 56,6% brandis trop souvent proviennent d’une erreur consistant à confondre la valeur ajoutée avec les dépenses de fonctionnement : les dépenses des ménages et des entreprises non financières représentent 150% du PIB mais cela n’inquiète personne, à juste titre, car tout le monde sait que ce ratio n’a pas de sens. Quant à nos dépenses publiques de santé, près des deux tiers alimentent la dépense privée : ce sont des revenus des professionnels de santé libéraux, des cliniques privées et des laboratoires pharmaceutiques.
La Corée du sud, Taïwan et le Vietnam (dans une version non-démocratique) démontrent qu’un secteur public puissant étroitement articulé à un secteur industriel qui ne rêve pas de se délocaliser en Chine ou en Europe de l’Est sont les clefs du succès économique et sanitaire.
Notre fiasco sanitaire me paraît d’abord dû à une culture comptable qui confond toujours la gestion de “bon père de famille” avec celle d’une Nation
Alors quelles sont les raisons de notre fiasco sanitaire ?
Notre fiasco sanitaire me paraît d’abord dû à une culture comptable qui confond toujours la gestion de “bon père de famille” avec celle d’une Nation : non, la macro-économie n’est pas de la micro-économie élargie car les dépenses des uns y font les revenus des autres (ce qui n’est pas vrai pour un ménage ou une entreprise). Et qui confond gestion intelligente avec réduction toujours et partout de la dépense publique à (très) court terme. Le stock (de masques), la réserve (d’enzymes) ne sont pas des immobilisations inutiles, de l’argent public dormant. Le budget de l’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS) créé en 2007 a été, depuis lors, divisé par dix. Résultat : par delà les morts, nous allons prendre au moins dix points supplémentaires de ratio dette publique sur PIB (un autre ratio qui n’a pas de sens) et cela fera hélas la démonstration que, jugé à l’aune de ses propres critères, cet “esprit comptable” conduit à sa propre défaite face au réel : la nécessaire explosion de la dépense publique et la destruction partielle de notre appareil productif pour sauver des vies. Mais ce n’est pas aujourd’hui l’heure des comptes. L’urgence est à la solidarité nationale avec nos compatriotes qui meurent chez eux, dans nos hôpitaux ou nos Ehpads et avec tous ceux qui souffriront de séquelles à vie. Cela doit passer par la réquisition des cliniques privées (comme en Espagne), la production de ventilateurs pour sauver des vies (comme aux Etats-Unis), de masques et matériel de dépistage sans lesquels aucun déconfinement ordonné n’est possible. (...)
Le plus urgent, à la sortie du confinement, sera de remettre au #travail le plus grand nombre de nos compatriotes : en pratiquant des tests de dépistage aléatoires groupés pour circonscrire les risques de reprise de la contagion, en généralisant le port du masque pour tous et partout, en renforçant de toute urgence notre système sanitaire. Encore faut-il que les salariés d’hier retrouvent un travail. Le chômage partiel permet de freiner l’hémorragie mais nous n’avons pas encore les chiffres de la débâcle en matière d’emplois. Par ailleurs, le COVID19 peut malheureusement devenir une épidémie saisonnière (comme la grippe) et le réchauffement climatique risque de multiplier les pandémies tropicales. Reconduire le « monde d’hier », fondé sur la thermo-industrie et des économies de court terme faites sur le dos des services publics serait irrationnel. Il faut donc profiter du déconfinement pour inaugurer le « monde de demain ».