Comment devient-on djihadiste ?
"L’offre djihadiste capte des jeunes qui sont en détresse du fait de failles identitaires importantes. Elle leur propose un idéal total qui comble ces failles, permet une réparation de soi, voire la création d’un nouveau soi, autrement dit une prothèse de croyance ne souffrant aucun doute. Ces jeunes étaient donc en attente, sans nécessairement montrer des troubles évidents. Dans certains cas, ils vivent des tourments asymptomatiques ou dissimulés ; ce sont les plus imprévisibles, parfois les plus dangereux, ce qui se traduit après le passage à l’acte violent par des témoignages tels que : « C’était un garçon gentil, sans problème, serviable, etc. » Dans d’autres cas, les perturbations se sont déjà manifestées à travers la délinquance ou la toxicomanie."
"L’offre radicale répond à une fragilité identitaire en la transformant en une puissante armure. Lorsque la conjonction de l’offre et de la demande se réalise, les failles sont comblées, une chape est posée. Il en résulte pour le sujet une sédation de l’angoisse, un sentiment de libération, des élans de toute-puissance. Il devient un autre. Souvent, il adopte un autre nom. Voyez combien les discours des radicalisés se ressemblent, comme s’ils étaient tenus par la même personne : ils abdiquent une large part de leur singularité. Le sujet cède à l’automate fanatique. Cela dit, il ne faut pas confondre expliquer et excuser : l’analyse de la réalité subjective sous-jacente à ce phénomène ne signifie ni la folie ni l’irresponsabilité, sauf exception. De plus, le fait « psy » n’est pas un minerai pur, il se recompose avec le contexte social et politique.
Les failles identitaires ne sont évidemment pas l’apanage des enfants de migrants ou de familles musulmanes, ce qui explique que 30 à 40 % des radicalisés soient des convertis. Ces sujets cherchent la radicalisation avant même de rencontrer le produit. Peu importe qu’ils ignorent de quoi est fait ce produit, pourvu qu’il apporte la « solution ». La presse a rapporté le cas de djihadistes qui avaient commandé en ligne l’ouvrage L’Islam pour les nuls . Aujourd’hui, l’islamisme radical est le produit le plus répandu sur le marché par Internet, le plus excitant, le plus intégral. C’est le couteau suisse de l’idéalisation, à l’usage des désespérés d’eux-mêmes et de leur monde."
Fethi Benslama
▻http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/11/12/pour-les-desesperes-l-islamisme-radical-est-un-produit-excitant_4808430_3224