• « La première fois que j’ai compris qu’il existait des lycées plus réputés que d’autres, c’était en discutant avec ma professeure de français de 3e, au collège Lamartine de Crémieu (Isère). Elle m’incitait à postuler dans un lycée plus prestigieux que celui de mon secteur, expliquant que ma moyenne - entre 18 et 19 - me le permettait. »
    [...]
    « En dehors de ce cadre pédagogique hors du commun, le choc social est violent. J’ai compris que j’étais pauvre en arrivant à Henri-IV. Car si « H4 » est, comme l’affirment certains, un temple de la méritocratie républicaine, comment expliquer la concentration de grands noms et des « fils et filles de » parmi les élèves ? Suffit-il d’être bien né pour être brillant ? Parmi les élèves de 2de, il y avait des enfants de ministres, de grands patrons, de journalistes connus. Dans ma classe, nous n’étions que deux à avoir été repêchés de province, avec quelques élèves de banlieue parisienne. »
    [...]
    « Sans cette sélection sur dossier à Henri-IV et ce régime d’exception accordé à deux lycées parisiens, je n’aurais jamais pu accomplir cette trajectoire. Mais je ne suis qu’une des exceptions qui confirment la règle. Depuis quelques semaines, je lis avec embarras les tribunes d’anciens élèves et de parents d’élèves qui voudraient faire passer Henri-IV pour un modèle de mixité sociale et de méritocratie. C’est évidemment faux ! »
    [...]

    https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/03/14/j-ai-compris-que-j-etais-pauvre-en-arrivant-au-lycee-henri-iv_6117481_440146

    #education #elite #oligarchie #égalité #prepa #etudesup #reproduction

    • Je bifurque, mais tout le système scolaire français sent la naphtaline, c’est bien l’hypocrisie de l’école française dite républicaine mais est en fait élitiste dont les rouages actuels ne font qu’accroitre les inégalités sociales.

      J’en ai pour preuve ma progéniture, entrée en seconde dans un lycée où j’ai fini par comprendre en discutant avec la directrice et les profs que les élèves boursiers avaient été regroupés dans une classe quant les autres profitaient de cours, de profs et surtout de considération bien différentes, avec des primes de type voyages à l’étranger et d’autres espoirs et investissements de la part de l’équipe pédagogique. Ce lycée distinguait donc bien les cochons des tourterelles. Et pour comprendre aussi ce mépris de classe, les élèves boursiers en france cumulent des points supplémentaires pour le passage en classe supérieure, donc ils passent parfois sans avoir le niveau suffisant. (faudrait aussi se poser des questions sur ce nivellement et ce qu’il induit de mépris d’un niveau à l’autre) Mais cette classe était donc celle des mauvais élèves et des pauvres, et d’après ma fille, malgré de bons profs, le niveau était nul et tous les cours perturbés par des comportements puérils. La directrice avait bien dit, lorsque L. avait voulu changer de classe pour pouvoir faire des arts plastiques : « Tu sais, ça ne va pas être possible, tu manques d’assurance, et dans l’autre classe, ils ont tout pour eux, non seulement un très bon niveau mais ils sont sûrs d’eux. »
      Et de fait, tu voyais qu’ils étaient à l’aise et bien intégrés, ne serait-ce que par leurs beaux vêtements et la façon de se bouger. Et non, ce n’est pas une histoire du XVIIIem siècle, c’est la france d’aujourd’hui dans toute sa duplicité démocratique mon cul.

    • Ma gosse a grandi dans une zone rurale de relégation où les gosses savent très tôt qu’ils n’iront pas loin (très littéralement). Dès la fin de 5e, les parents demandent pour les CAP et l’apprentissage.
      Quand on a demandé l’intégration de notre fille dans un lycée avec Arts Appliqués, on a compris que ce genre de demande n’était par du tout prévu, par personne, à aucun moment. Les bouseux ne font pas d’art. Point.

    • Apprentissage : en 2019, l’Assurance maladie a recensé 10 301 accidents du travail d’apprentis.
      Plus d’un par heure.
      A cela s’ajoutent 3110 accidents de trajet.
      Au total ce sont 15 apprentis qui sont décédés en une année du fait du travail (12 dans des accidents de trajet).

  • « C’est vrai qu’il est agaçant Bruno Latour, mais… » Tribune de Paul Guillibert

    https://www.nouvelobs.com/idees/20211025.OBS50251/c-est-vrai-qu-il-est-agacant-bruno-latour-mais.html

    Anticapitalistes contre penseurs écolos : l’économiste Frédéric Lordon a ranimé la controverse en s’attaquant à Bruno Latour, « pleurnicheur du vivant ». Le philosophe Paul Guillibert répond : la question climatique est aussi une question sociale.

    • C’est vrai qu’il est agaçant Latour quand on est marxiste. Prenez Kyoto par exemple. Dans « Politiques de la nature », il s’enthousiasmait de la présence à la même table de grands scientifiques du climat, de dirigeants politiques et d’entrepreneurs capitalistes. Il y avait déjà là de quoi s’inquiéter. 25 ans après, les résultats accomplis par les marchés carbone dans la lutte contre le changement climatique sont catastrophiques. Entre 1995 et 2020, de COP3 en COP24, les émissions de CO2 mondiales ont augmenté de plus de 60 %. Belle réussite. Mais que pouvait-on attendre d’accords passés sans les principaux concernés, les syndicats et les travailleur·se·s ? Latour n’a pas vu que la transition vers une économie bas carbone implique non seulement l’usage de nouvelles techniques mais surtout la transformation radicale des procès de travail, l’abandon des secteurs les plus polluants, la réduction massive de l’extraction et de la production mondiales. Comment tout cela pourrait-il arriver sans celles et ceux qui produisent pour le profit des autres ?

      Latour a donc contribué (parmi d’autres) à vider l’écologie politique contemporaine des relations de travail qui structurent la crise climatique. Il a participé à la création d’un champ académique, artistique et politique où la conflictualité inhérente aux rapports économiques n’existe tout simplement pas. La manière dont les gens vivent, en dépensant une certaine force de travail pour effectuer des tâches - payées ou non - afin d’assurer leur condition de subsistance, n’a plus aucune place. La disparition des classes, de l’économie, du travail et de la production dans la pensée contemporaine est une belle claque à l’histoire du mouvement ouvrier et à la vie quotidienne.

      [...] Il est temps d’abandonner les vieilles oppositions mal construites à « la critique rongeuse des souris ». La reproduction des conditions matérielles de l’existence humaine engage des vivants autres qu’humains.

      #travail #écologie_politique #syndicat #travailleurs #reproduction #communisme #intellectuels

      comme Paul Guillibert cite « Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres » https://seenthis.net/messages/925337, autant évoquer, avec Jason Moore et d’autres, un concept dont il ne fait pas usage, celui de #mise_au_travail_du_vivant

      Pour ceux qui seraient dans le coin, une rencontre avec Paul Guillibert à propos de son livre Terre et Capital. Penser la destruction de la nature à l’âge des catastrophes globales aura lieu à l’invitation du café librairie Michèle Firk à la Parole errante à Montreuil le 20 janvier prochain.

    • Frédéric Lordon au sujet des #Latouriens :

      La destruction capitaliste de la classe ouvrière n’intéressait pas la #bourgeoisie-culturelle, il était donc simple et logique de la passer sous silence. Celle de la planète est plus difficile à évacuer, impossible de ne pas en dire « quelque chose ». Mais quoi — qui ne portera pas trop à conséquence ? Arrivent les latouriens, qui n’ont pas seulement trouvé une manière merveilleusement poétique de reformuler le problème — « où atterrir ? » —, mais en proposent également la réponse qui convient : n’importe où pourvu que ce ne soit pas en le seul lieu où la piste est vilaine et cabossée : la mise en cause du capitalisme. Tous les organes de la #Grande-conscience en frétillent d’aise : frisson de se porter, et surtout d’inviter les autres à se porter en hauteur ; paix de l’âme à être bien certain qu’il ne s’ensuivra aucun dérangement pénible, vis-à-vis ni de leur tutelle publique, ni de leur tutelle capitaliste, ni, et c’est bien le principal, de leur conviction profonde...

      Se retrouver propulsé dans la position très politique de la #pensée-à-la-hauteur-du-péril [ en faisant le jeu politique des institutions médiatiques, culturelles, qui savent très bien ce qu’elles font quand elles élisent qui elles élisent pour ne rien dire d’embêtant — le jeu très politique de la #dépolitisation ], sans jamais prononcer la seule parole politique à la hauteur du péril, sans jamais dire que la Terre est détruite par les capitalistes, et que si nous voulons sauver les humains de l’inhabitabilité terrestre, il faut en finir avec le capitalisme.

      C’est un exploit qui mérite bien une élection. Le jeu de la climatologie concernée auquel invitent les forces de l’ordre symbolique est le jeu de la climatologie sans idée des causes, et surtout sans aucun désir de les trouver : le jeu de la climatologie pleurnicheuse. C’est-à-dire compatible.

      Trouvé sur Wiki :

      En 2001, dans son tout dernier cours au Collège de France, le sociologue Pierre Bourdieu s’associait à son collègue Yves Gingras pour dénoncer la #fausse-radicalité de la tendance de sociologie des sciences illustrée par Bruno Latour et ses collègues, qui selon lui soulèvent avec fracas de faux problèmes et avancent par « une série de ruptures ostentatoires » surtout destinées à promouvoir leurs carrières.

      En novembre 2012, au moment du renouvellement de l’équipe dirigeante de l’Institut d’études politiques de Paris, Bruno Latour défend dans le quotidien Le Monde le bilan et l’ambition de Richard Descoings et de son successeur Hervé Crès au moment où celui-ci est fortement remis en cause par un rapport de la Cour des comptes dénonçant la gestion de l’institut.❞

  • La puissance féministe - Ou le désir de tout changer

    L’#Amérique_du_Sud est un des coeurs battants du féminisme contemporain. Des millions de #femmes y prennent la rue contre les #féminicides, les #violences qui frappent les minorités de race et de genre, les lois qui répriment l’#avortement et le développement #néo-extractiviste. Figure majeure du féminisme latino-américain, #Verónica_Gago réinscrit ces bouleversements dans l’émergence d’une internationale féministe et propose, avec La #puissance_féministe, un antidote à tous les discours de #culpabilité et de #victimisation. En se réappropriant l’arme classique de la #grève, en construisant un #féminisme_populaire, radical et inclusif, les mouvements sud-américains ont initié une véritable #révolution. C’est à partir de l’expérience de ces luttes que Gago reconceptualise la question du #travail_domestique et de la #reproduction_sociale, expose les limites du #populisme de gauche et dialogue avec Spinoza, Marx, Luxemburg ou Federici. Parce qu’il unit la verve politique du manifeste aux ambitions conceptuelles de la théorie, La puissance féministe est un livre majeur pour saisir la portée internationale du féminisme aujourd’hui.

    https://www.editionsdivergences.com/livre/la-puissance-feministe-ou-le-desir-de-tout-changer
    #féminisme #livre #changement #résistance #extractivisme #intersectionnalité #Amérique_latine

    ping @cede @karine4

  • Le merveilleux spectacle des lucioles des Great Smoky Mountains | National Geographic
    https://www.nationalgeographic.fr/photographie/le-merveilleux-spectacle-des-lucioles-des-great-smoky-mountains

    Chaque printemps, les lumières scintillantes de milliers de lucioles inondent les forêts de la région d’Elkmont dans le Tennessee, situées dans le parc national de Great Smoky Mountains. Ensemble, ces lucioles affichent leurs éclats dans une danse aux allures de ballet synchronisé avant que la scène ne replonge dans l’obscurité. Elles répètent ce schéma pendant des heures en quête d’un partenaire.

    #reproduction ou pas si #pollution_lumineuse

  • Grève du travail reproductif et construction de communs reproductifs – CONTRETEMPS
    http://www.contretemps.eu/feminisme-greve-travail-reproductif-capitalisme

    Certes, il est maintenant communément admis que le travail reproductif inclut le #travail domestique, de la procréation et de soin (care). Il convient toutefois de réaffirmer le constat établi par plusieurs d’entre nous dans les années 1970 : lorsque nous parlons de « reproduction », nous ne parlons pas seulement d’activités qui reproduisent nos vies, mais d’activités essentielles à la reproduction de la main-d’œuvre et au processus d’accumulation capitaliste[4].

    Nous ne devons pas l’oublier parce qu’historiquement – mais je pense que cela arrive aujourd’hui encore – les #femmes se sont senties très coupables et divisées chaque fois qu’elles ont songé à faire une #grève du travail reproductif. Elles avaient l’impression de faire grève contre leur famille. L’analyse féministe nous a permis de montrer que, dans une société capitaliste, le travail reproductif a un double caractère. Il reproduit notre vie à travers la procréation, l’éducation des enfants, le travail sexuel, ainsi que la cuisine, le ménage, le réconfort apporté aux proches, etc. Mais il la reproduit d’une manière et avec une finalité particulière, au moyen d’activités qui, vues dans leur ensemble, apparaissent clairement subsumées à l’organisation capitaliste du travail. Les véritables bénéficiaires ne sont pas nos familles, mais les capitalistes qui ont économisé des milliards de dollars grâce au travail non rémunéré effectué par des générations de femmes. De nombreuses femmes refusent maintenant d’effectuer tout ou partie de ce travail toujours fondamental dans l’organisation capitaliste de la société. Imaginez ce qu’il se passerait si tou·tes les employeurs et employeuses, et la classe capitaliste dans son ensemble, devaient investir dans une infrastructure reproductive permettant aux travailleurs et travailleuses salarié·es d’aller chaque jour dans leur usine, leur bureau ou leur école…

  • Le ressenti corporel de la ménopause est aussi culturel | Slate.fr
    https://www.slate.fr/story/192405/menopause-regles-menstruations-culture-biologie-symptomes-normes-bouffees-chal

    « Venant d’une culture non occidentale, j’ignorais que la ménopause provoquait une dépression ou tout autre trouble psychologique ou physique », écrit l’anthropologue éthiopienne Yewoubdar Beyene, dans son ouvrage From Menarche to Menopause, paru en 1989. Ses recherches au Mexique auprès d’une centaine de villageoises mayas ont également mis en lumière que la plupart de ces femmes ne se plaignaient pas de bouffées de chaleur et qu’elles n’avaient d’ailleurs aucun mot pour désigner cette manifestation corporelle. Or ces fluctuations ménopausiques ne sont pas qu’une question de vocabulaire ni même de génétique. De nombreuses recherches ont révélé la variabilité des sensations corporelles autour de la ménopause entre pays et entre femmes de différentes origines au sein d’un même pays mais aussi entre femmes d’une même origine vivant dans des pays différents. « Pour penser le corps, on ne peut pas uniquement le réduire à de la biologie. Le corps et ses manifestations sont toujours inscrites dans un contexte social », appuie Cécile Charlap, autrice de La Fabrique de la ménopause (Éd. du CNRS, 2019).

    Si « la ménopause est un phénomène biologique universel –l’arrêt de la fonction reproductive et l’arrêt des règles– qui est commun à toutes les femmes, définit l’anthropologue et psychiatre Daniel Delanoë, notamment auteur de l’ouvrage Sexe, croyances et ménopause (éd. Hachette, 2006), d’autres éléments, les symptômes et processus biologiques associés, sont issus d’une construction sociale, qui diffère beaucoup selon les époques et les cultures ».

    Mais ces représentations sociales autour de la ménopause agissent plus ou moins directement sur les signes cliniques, et l’état physiologique ménopausique est donc grandement culturel.

    Alimentation (pauvre ou riche en soja), construction sociale d’un « problème » de santé (lors de l’invention d’une molécule qui y répond...), représentations sociales dévalorisantes contribuent à faire vivre différemment la ménopause selon la culture locale ou le milieu social.

    Tant que les femmes sont assignées au rôle de mère ou de jolie potiche, elles auront l’impression de perdre toute valeur sociale au moment de la ménopause, percevront l’orée de la cinquantaine comme un « âge critique » et souffriront donc davantage du tableau clinique qui sera le leur, suivant leurs dispositions génétiques ainsi que leur « biologie locale ». « La ménopause est un point d’accroche de la domination masculine, affirme l’anthropologue. Plus la domination masculine est sévère, plus la ménopause sera difficile à vivre au niveau de l’expérience sociale et de la valeur attribuée à l’expérience physique. »

    #gynécologie #corps_féminin #ménopause #santé #reproduction

  • Espace urbain et distanciation sociale
    https://acta.zone/espace-urbain-et-distanciation-sociale

    Cet entretien avec Stefan Kipfer a été réalisé au beau milieu du confinement. Un an après la publication de son livre « Le temps et l’espace de la décolonisation. Dialogue entre Frantz Fanon et Henri Lefebvre », édité par Eterotopia France, on a voulu revenir sur certaines de ses idées et hypothèses pour interroger le présent et développer des pistes d’analyse concernant la manière dont la crise actuelle investit la production de l’espace urbain. Source : ACTA

    • [...] On pourrait dire, pour retourner très vite au passé, que l’influence hygiéniste dans la période haussmannienne du XIXème siècle et dans la période fonctionnaliste à partir des années 1930, a renforcé l’aspect contre-révolutionnaire de ces deux moments de l’urbanisme moderne. Cet urbanisme a répondu à la fois aux mouvements révolutionnaires des classes populaires en métropole et aux mouvements qui essayaient de résister au colonialisme dans les colonies pour après se transformer en mouvements pour l’indépendance au XXème siècle.

      L’hygiénisme transforme une analyse médicale et sociale des conditions de santé des habitants en idéologie sanitaire qui considère que les classes subalternes et les peuples colonisés sont des éléments pathogènes, notamment quand ils se concentrent dans leur habitats géographiques « naturels » (la foule, les taudis, les faubourgs, les bidonvilles, les banlieues etc.). L’hygiénisme comme idéologie sanitaire comporte donc un déterminisme spatial qui propose que la forme urbaine serait la cause des problèmes sociaux, ce qui amène à des solutions spatiales qui essaient avant tout de séparer les classes dominantes (ou bien les administrateurs coloniaux) des classes populaires ou bien des peuples colonisés. Souvent ces stratégies essaient aussi de dissoudre l’habitat populaire. Si on regarde l’histoire de certains instruments d’intervention d’aménagement – le zonage, l’aménagement des parcs métropolitains, la méthode de la coulée verte – on voit bien comment l’urbanisme moderne est influencé par l’idéologie sanitaire hygiéniste.

      À plusieurs moments de l’histoire moderne de l’urbanisme on voit que ces interventions comprennent une volonté de disperser ou de déconcentrer les classes populaires. Ceci a amené à la production de la banlieue standardisée au milieu du XXème siècle et à l’ urban sprawl (l’étalement urbain), accentué depuis deux générations. L’étalement urbain prend des formes très différentes selon les régions, mais il est devenu une tendance à l’échelle mondiale depuis les années 1980. Il est une force qui a contribué à la destruction des habitats écologiques et à la création d’une situation structurelle favorable à la circulation des virus, des pathogènes et des pandémies16. La première conclusion à tirer est que n’importe quelle stratégie visant à dédoubler la déconcentration de la population aura certainement pour effet de renouveler les conditions qui ont contribué à la production accélérée de pandémies depuis la deuxième moitié du vingtième siècle.

      Espace urbain et distanciation sociale

      Il est vrai qu’aux États-Unis, au Canada, en France et ailleurs, il y a eu une remontée de la critique de la densité, de la vie urbaine dense et intense17. Certaines de ces critiques reprennent le même déterminisme spatial que l’idéologie sanitaire hygiéniste classique, affirmant en gros que ce n’est pas le virus qui tue, mais la morphologie urbaine. Il y a là un déplacement du regard de l’analyse biomédicale du virus à une manière de stigmatiser la forme urbaine. Ceci est une manœuvre classique dans l’idéologie sanitaire. Et pourtant on sait déjà très bien que la densité démographique, la densité de population n’est pas une explication suffisante pour l’avancée de la pandémie. Les premières études portant sur la Chine et New York City ont bien montré que le taux d’infection est déterminé par les conditions sociales et sanitaires et non par la densité elle-même18.

      En fait, il y a toute une série de pays et de villes qui sont soit aussi denses soit plus denses que Milan, Madrid, Paris, et New York, et qui ont réussi beaucoup mieux que ces villes à maîtriser la pandémie : Taiwan, la Corée du Sud, et, avant tout, Hong Kong19. Ils ont réussi ce coup justement à cause de la qualité de leurs infrastructures sanitaires et grâce à leur capacité de poursuivre des démarches proactives de prévention. Je crois que le cas plus impressionnant, le cas le plus frappant qui nous aide à contrer les critiques vulgaires de la densité est le Kerala20. Le Kerala est un État indien qui est trois fois plus dense que la moyenne indienne. C’est un État qui est très lié au niveau international, avec un pourcentage de travailleurs migrants assez important qui partent et qui retournent au pays. Mais le Kerala a un taux d’infection de coronavirus qui est beaucoup plus bas que la moyenne indienne. Pourquoi ? Le Kerala est géré depuis longtemps par un gouvernement de gauche, qui se voulait communiste à un certain moment mais qui est plus ou moins social-démocrate, qui a construit un réseau décentralisé d’infrastructures sanitaires et qui a donc développé une capacité d’action proactive assez impressionnante. Ceci a permis aux autorités et aux citoyens du Kerala de répondre très rapidement lorsque le premier cas de Covid 19 est arrivé dans cet État fin de janvier. Le Kerala nous montre que la densité n’est pas forcément un problème dans une pandémie. Elle peut même être un atout dans le combat contre la propagation du virus.
      Je crois qu’il y une conclusion importante et générale à tirer de cette discussion de l’idéologie sanitaire. Il ne faut jamais faire l’amalgame entre (1) les conditions sanitaires et médicales concrètes, (2) la morphologie urbaine (la forme physique de l’urbain), et (3) les rapports sociaux et politiques qui influencent à la fois la forme urbaine et les conditions sanitaires. Pour éviter une idéologie hygiéniste sanitaire, il faut toujours faire une distinction analytique entre ces trois aspects de la vie urbaine.

      #Stefan_Kipfer #urbanisme #classes_populaires #hygiénisme #Smart_City #capitalisme_High_Tech #surveillance #capitalisme_de_surveillance #atomisation #individualisation #racialisation #État #luttes #travail_essentiel #reproduction_sociale

  • Une crise de la reproduction sociale inédite à l’heure de la pandémie – Agitations
    https://agitationautonome.com/2020/05/10/une-crise-de-la-reproduction-sociale-inedite-a-lheure-de-la-pande

    Dans cet article publié initialement dans Developing Economics, Alessandra Mezzadri présente ce qui, selon elle, fait la singularité de la crise du coronavirus. En tant que crise sanitaire, cette pandémie affecte les conditions de réalisation du travail reproductif. Plus que jamais, la nécessité du travail du care pour la reproduction du rapport social capitaliste s’est fait sentir ces derniers mois. Mezzadri revient sur plusieurs aspects de cette crise sans précédent de la reproduction : la confusion entre le temps de travail salarié et le temps de travail reproductif pour les classes moyennes en télétravail, le retour vers les campagnes des populations qui étaient venues chercher du travail en ville, en passant par les inégalités de genre et de race que la pandémie est venue aggraver. En conclusion, Mezzadri défend que l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’économie réside dans cette contradiction entre la nécessité de la distanciation sociale pour la survie des individus, et celle du maintien des interactions pour la survie du capital.

    #reproduction_sociale

  • Notes sur la reproduction sociale – Simona de Simoni - ACTA
    https://acta.zone/notes-sur-la-reproduction-sociale

    Avec le déclenchement de la pandémie de Covid-19, la contradiction entre une « logique capitaliste du profit » et une « logique de reproduction de la vie » semble avoir été poussée à sa limite. Si, dans ce contexte, la catégorie de la « reproduction sociale » a été mobilisée dans des nombreuses analyses, elle apparaît souvent floue, peu compréhensible, ou bien réduite à un secteur professionnel en particulier (celui du care). Au contraire, dans le féminisme critique contemporain, cette catégorie vise à produire une « théorie unitaire » du capitalisme : c’est-à-dire une théorie capable d’analyser conjointement les processus d’exploitation et d’oppression dans différents contextes mondiaux. 

    Dans ce texte – issu d’une intervention en dialogue avec Cinzia Arruzza (co-autrice de l’ouvrage Féminisme pour les 99%. Un manifeste), Simona de Simoni revient sur la généalogie de cette catégorie, sur sa place dans la pensée marxienne, ainsi que sur sa réappropriation par les féministes marxistes depuis les années 1970 pour analyser « l’ensemble des activités qui reproduisent quotidiennement la société et ses membres ». L’autrice esquisse enfin l’hypothèse d’un renversement subsomptif dans le capitalisme néolibéral contemporain : c’est-à-dire un renversement par lequel la réorganisation des besoins reproductifs devient la matrice principale des transformations de la sphère productive. Ce renversement appelle d’une part à élargir le concept de production, en intégrant la reproduction de la vie en tant que travail. De l’autre, à reconnaître dans l’organisation de la reproduction la matrice de l’organisation globale du capitalisme actuel.

    Introduction

    Avec le déclenchement de la pandémie mondiale et la mise en oeuvre de diverses politiques d’endiguement à l’échelle planétaire, la catégorie de la reproduction sociale a été remise au goût du jour dans de nombreuses analyses. En particulier, plusieurs théoriciennes et militantes féministes ont insisté sur cette question1. On pourrait dire, en fait, que celle-ci s’est imposée, que la propagation de l’épidémie a mis en lumière les caractéristiques et les contradictions inhérentes à la manière dont la reproduction sociale est organisée dans notre société.
    Tout d’abord, l’ampleur et la valeur sociale des « travaux reproductifs » ont émergé : c’est-à-dire tous ces travaux ultra-prolétarisées (tant sur le plan matériel que symbolique), fortement connotées en termes de genre2 et de race, qui permettent quotidiennement la reproduction de personnes et l’entretien d’individus non autonomes (qu’il s’agisse d’enfants, de personnes âgées, de malades ou d’handicapés). Au cours de l’urgence pandémique, ces travaux ont été célébrés de diverses manières par les autorités institutionnelles des différents pays et par les médias mainstream : des articles de journaux et des discours officiels ont parlé de héros, d’anges et de guerriers tandis que l’appareil idéologique et discursif qui accompagne historiquement le travail de reproduction et s’appuie sur diverses images de vocation et de sacrifice a été largement mobilisé.

    Cette reconnaissance superficielle n’a toutefois pas été accompagnée de mesures de protection et de soutien matériel adéquats : les travailleurs et les travailleuses impliqués sur le front de la reproduction sont et ont été exposés à de graves risques de contagion et à des rythmes de travail épuisants. Outre l’ensemble du secteur des soins externalisé dans les services publics ou privés, en raison de l’organisation privée et domestique de la quarantaine, le travail domestique (lui aussi fortement connoté en termes de genre) s’est intensifié avec des conséquences sociales désastreuses à court et moyen terme.

    Deuxièmement, des régimes de reproduction très différents dans les espaces urbains ont été mis en lumière, avec des taux de contagion répartis selon la race, la classe, la marginalité, le sexe, etc. Par exemple, la situation des prisonniers et des sans-abri a été emblématique. Plus généralement, la crise sanitaire a transformé les lieux de travail et d’habitation en véritables variables de survie, exposant certaines catégories à un risque de contagion beaucoup plus élevé que d’autres et, à moyen terme, à une détérioration des conditions de vie d’une grande partie de la population.

    Troisièmement, en raison du confinement de masse, on a assisté à une accélération assez impressionnante de la subsomption capitaliste de larges portions de la reproduction sociale au moyen de dispositifs numériques, ce qui exige une réflexion urgente sur la relation entre la reproduction, les processus d’extraction et la valorisation, ainsi que l’élaboration de pratiques de soustraction, de contre-utilisation et de « ré-endogénisation » de la reproduction. Un exemple clair de ce problème est fourni par le monde de l’éducation à tous les niveaux – de l’école primaire à l’université – et sa réorganisation à distance grâce à l’utilisation de plateformes numériques : dans le secondaire, par exemple, sans aucune discussion critique (ou très peu), les géants Google et Microsoft sont devenus les outils « naturels » pour faire face à l’urgence pandémique. Ainsi, la réponse du secteur de l’éducation à la crise pandémique tend à coïncider tout court avec sa subsomption approfondie à la logique du capitalisme et avec une forte endogénéisation du processus éducatif.

    Enfin, sur un plan plus général, la crise pandémique a mis en évidence la contradiction inhérente au processus de reproduction sociale : une tension profonde entre « vie » et « profit », entre la protection de la vie et la sécurité des travailleurs et des travailleuses d’une part, et la logique contraire de la production à tout prix d’autre part. À ce niveau, l’Italie est un exemple emblématique : la tragédie qui a submergé certains territoires de la région de Lombardie – en particulier Bergame et ses vallées – ne serait pas compréhensible sans une analyse du tissu productif de la région et sans la reconnaissance d’intérêts et de pressions économiques spécifiques (et donc de responsabilités connexes).

    Pour toutes ces raisons – d’autres pourraient être ajoutées ou explicitées – une réflexion sur la reproduction sociale est nécessaire et urgente. À cet égard, il est toutefois utile de prendre du recul et d’essayer de mieux définir ce que l’on entend par reproduction sociale. Il arrive souvent, en effet, que la formule apparaisse nébuleuse, peu compréhensible ou, au contraire, qu’elle se réduise à une sorte d’étiquette qui identifie un secteur professionnel.

    #reproduction_sociale #capitalisme

  • Notes sur le jour où je suis devenue une vieille personne | Alisa del Re
    https://acta.zone/notes-sur-le-jour-ou-je-suis-devenue-une-vieille-personne

    Dans ce texte qui relève à la fois de l’expression subjective personnelle et des considérations stratégiques, Alisa del Re, figure de l’opéraïsme et du féminisme italien, s’interroge sur la construction de la vulnérabilité des personnes âgées durant l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences. Ce faisant, elle rappelle la nécessité de replacer la question des corps et de la reproduction sociale au centre de la réflexion politique, et plaide pour une réorganisation sociale qui permette à chacun·e, sans considération pour sa classe d’âge, de bénéficier d’une santé et d’une vie décentes. Source : Il Manifesto via Acta

    • Nous sommes aujourd’hui scandalisé·e·s par ce massacre des personnes âgées, par ce manque de soins pour les corps faibles, qui a montré toutes ses limites parce qu’il n’est pas au centre de l’attention politique, parce qu’il est marginalisé et qu’il est géré suivant les logiques du profit. Face à la pandémie, on découvre, comme si cela était une nouveauté, que nous sommes tou·te·s dépendant·e·s des soins, que nous devons tou·te·s être reproduit·e·s par quelqu’un, que chacun·e d’entre nous porte la faiblesse du vivant en lui ou en elle, que seul·e·s, nous ne pouvons pas grand chose. Nous ne sommes pas des machines disponibles au travail sans conditions, les travailleur·se·s ont été les premier·e·s à faire grève pour que leur santé soit protégée avant le profit, avant même les salaires.

      Au contraire, c’est précisément cette situation exceptionnellement dramatique et sans précédent qui a mis les corps et leur reproduction au premier plan, en soulignant l’étroite relation entre la reproduction, les revenus et les services sociaux – étroite relation qui doit nous servir de programme pour la phase à venir. Même le pape a saisi cette nécessité dans son discours du dimanche de Pâques : « Vous, les travailleurs précaires, les indépendants, le secteur informel ou l’économie populaire, n’avez pas de salaire stable pour supporter ce moment… et la quarantaine est insupportable. Peut-être le moment est-il venu de penser à une forme de salaire universel de base qui reconnaisse et donne de la dignité aux tâches nobles et irremplaçables que vous accomplissez ; un salaire capable de garantir et de réaliser ce slogan humain et chrétien : « pas de travailleur sans droits » ».

      #soin #corps #santé #reproduction_sociale #travailleurs_précaires #indépendants #salaire #revenu_garanti

    • Et #pape. Je ne comprends pas du tout comment son propos sur les droits liés au travail et devant assurer la continuité du revenu dans des situations comme celles-ci (et d’autres : chômage, vieillesse) peut être entendu comme la demande d’un revenu sans contrepartie. C’est bien de droits dérivés du travail qu’il est question.

    • @antonin1, aie l’amabilité s’il te plait de pardonner cette réponse embrouillée et digressive, ses fôtes, erreurs terminologiques et conceptuelles, élisions impossibles et répétitions. Sache qu’elle n’est pas non plus suffisamment mienne à mon goût (je reviendrais peut-être sur ces notes, là, j’en ai marre.).

      Ce revenu là est sans contrepartie car le travail vient avant lui (renversement politique de la logique capitaliste du salaire, payé après la prestation de travail, contrairement au loyer, payable d’avance). C’est reconnaître le caractère social de la production, sans la passer au tamis des perspectives gestionnaires actuellement dominantes à un degré... inusité, bien qu’il s’agisse d’un conflit central. "Chamaillerie" séculaire du conflit de classe prolongé, revisité (quelle classe ? que "sujet" ?) : Qui commande ? Ce point vue selon lequel la contrepartie est par avance déjà assurée, remet en cause le commandement sur le travail (non exclusivement dans l’emploi et l’entreprise) provient pour partie de la lecture politique des luttes sur le salaire, dans l’usine taylorisée, le travail à la chaine, qui ont combattu l’intenable mesure des contributions productives à l’échelon individuel (salaire aux pièces, à la tâche) en exigeant que soit reconnu le caractère collectif de la production avec la revendication durante les années soixante et ensuite d’augmentations de salaire égales pour tous (idem en Corée du Sud, dans l’industrie taylorienne des années 80, ou depuis un moment déjà avec les luttes ouvrières du bassin industriel de la Rivière des Perles chinoise), et pas en pourcentage (ou les ouvriers luttent pour le plus grand bénéfice des « adres », qui accroît la hiérarchie des salaires), ce à quoi on est souvent retourné avec l’individualisation des salaires des années 80, sous l’égide d’une valeur morale, le mérite. Comment peut-on attribuer une "valeur" individuelle à une activité qui est entièrement tributaire de formes de coopération, y compris auto-organisée, mais essentiellement placée y compris dans ces cas "exceptionnels", sous contrainte capitaliste, directe ou indirecte ?

      La est le coup de force sans cesse répété auquel s’oppose tout processus de libération, dans et contre le travail. Avoir ou pas pour finalité LA Révolution, événement qui met fin à l’histoire et en fait naître une autre, qu’on la considère comme peu probable, retardée ou dangereuse - hubris du pouvoir révolutionnaire qui se renverse en domination, à l’exemple de la "soviétique" qui a assuré le "développement" du capitalisme en Russie, entre violence de l’accumulation primitive, bureaucratie, police et archipel pénal, ou faillite, épuisement de la politisation populaire-, ne modifie ça que relativement (et c’est beaucoup, c’est l’inconnu : reprise des perspectives communalistes, mais à quelle échelle ? apologie de la révolution dans la vie quotidienne, de la désertion, de la fragmentation, perte de capacité à imaginer comment la coopération sociale, la production, la circulation, les échanges, la recherche, etc. pourraient être coordonnées autant que de besoin), avoir ou pas La révolution à la façon du Grand soir pour perspective ne supprime pas ce qui fonde des processus de libération, ces contradictions sociales, politiques, existentielles (chez tous, spécialement les femmes et les « colorés » pour employer une désignation étasunnienne, faute de mieux, car réticent au sociologique « racisés »), l’immanence de tensions agissantes, ou seulement potentielles (la menace est toujours là, bien qu’elle ne suffise en rien à elle seule, confère par exemple l’époque ou, actualisée ou rémanente, l’ivresse mondiale du socialisme pouvait partout potentialiser la conflictualité sociale). Ne pas en rester aux « alternatives » de la politique gestionnaire, impose de s’appuyer sur des avancées pratiques seules en mesures de relancer cet enjeu de lutte... Il y aurait sans doute à le faire aujourd’hui à partir du #chômage_partiel provisoirement concédé sous les auspices de la crise sanitaire à plus de la moitié des salaires du privé et d’autres phénomènes, massifs ou plus ténus. Être dans la pandémie réintroduit une étrange forme de communauté, et à quelle échelle ! Quels agencements collectifs d’énonciation se nicheraient là depuis lesquels pourraient être brisée la chape de la domination et dépassée le fragmentaire, sans dévaster des singularités encore si rares (si on excepte les pratiques comme champ propice à l’invention de mondes, si l’on excepte les vivants non bipèdes dont nous avons à attendre une réinvention de notre capacité d’attention), ça reste à découvrir.

      Nos tenants du revenu d’existence ou de base s’appuient d’ailleurs sur ces contradictions, latentes ou visibles (le scandale de la misère, d’une rareté organisée , ce en quoi je ne peux qu’être d’accord au cube) et déclarées, pour promettre de les résorber peu ou prou. Comme on parlait du "socialisme à visage humain" après Staline, la mort du Mouvement ouvrier, et non des luttes ouvrières, fait promettre une consolation impossible, un capitalisme à visage humain, ce qu’on retrouve chez les actuels enchantés actuels l’après qui sera pas comme avant qui refusent d’envisager qu’il s’agit de force à constituer et à mettre en oeuvre, contre la violence du capital, ne serait- ce que pour modestement, mais quelle ambition !, la contenir (sans jamais tabler outre mesure sur le coût d’arrêt écologique). Pourtant, il n’y a aucun espace pour le "réformisme » sans tension révolutionnaire, sans conflit, ouvert ou larvé, qui remette en cause avec force le business as usal.

      Je digresse à profusion, mauvais pli. Le travail déjà là qui « justifie » (que de problèmes inabordés avec l’emploi de ce terme) le revenu garanti, doit se lire au delà de l’usine et de toute entreprise : l’élevage des enfants, le travail des femmes, la scolarisation et la formation, l’emploi aléatoire et discontinu, le travail invisible(ils sont plusieurs, dont une part décisive des pratique du soin), la retraite (qu’elle a déjà bien assez travaillée avant d’avoir lieu, les comptables pourraient servir à quelque chose si on les collait pas partout où ils n’ont rien à faire que nuire), les périodes de latence elles-mêmes, et donc la santé (pas tant la "bonne santé" que la santé soignée, défaillante et « réparée », soutenue) prérequis à l’existence de la première des forces productives (souvent réduites au capital fixe et à la science) le travail vivant, d’autant que c’est toujours davantage la vie même qui est mise au travail (jusqu’aux moindres manifestations d’existence et échanges : data), ici le revenu garanti est une politique des besoins radicaux autant qu’il signe une acceptation de l’égalité. C’est du moins comme cela que je veux le voir (bien des seenthissiens sont en désaccord avec divers points évoqués ici, et avec une telle caractérisation de la portée révolutionnaire du revenu garanti, qui fait par ailleurs l’objet de nombreuses critiques se prévalant de l’émancipation, de la révolution, etc.).

      Antériorité du travail vivant sur le rapport de capital donc. L’économie venant recouvrir cela, si l’on veut bien en cela "suivre" Marx sans renoncer à une rupture des et d’avec les rapports sociaux capitalistes (modalités diverses : intellectuelles, lutte, Révolution, révolutions..) - compris dans ses versions marxistes (décadence objectiviste et économiciste de la critique de l’économie politique alors que ce type d’approche ne peut aller sans poser la question du pouvoir, du commandement capitaliste (micro, méso, macro, global).
      L’approche d’Alisa del Re, l’intro à son texte le rappelle, a partie liée avec un courant théorico-politique né dans l’Italie au début des années 60, l’opéraïsme, un marxisme hérétique et une pratique de pensée paradoxale.
      [Voilà comment j’ai relevé ce jour les occurrences de La Horde d’or pour leur coller tous le # La_Horde_d’or, (parfois, je ne disposais pas d’un post perso où ajouter ce #, s’cusez), livre en ligne http://ordadoro.info où on trouve de quoi satisfaire en partie la curiosité sur ce courant et ces histoires, par recherche internet sur le site dédié ou en employant l’index].

      La revendication d’un revenu garanti, d’une généralisation égalitaire des "droits sociaux" qui soit substantielle, (niveau élevé, absence de conditionnalité, de familialisation comme mécanisme de base, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas tenir compte positivement de l’ampleur du ménage, des enfants, etc. ) peut (a pu, pourra ?) mettre crise la politique du capital (une vie soumise à la mesure du temps de travail, une disponibilité productive gouvernée, cf. chômage) et entrouvrir à un autre développement que le "développement" capitaliste, de faire que la "libre activité" actuellement interdite, bridée, exploitée et toujours capturée -ce qui limite singulièrement la définition des prolos et précaires comme surnuméraires , même si celle-ci décrit quelque chose de l’idéologie agissante de l’adversaire, qui n’est pas un rapport social sans agents agissants, ni une simple oligarchie sans assise sociale réelle, mais bien l’organisation de fait de militants de l’économie fabriqués en série dans les écoles faites pour ça, et pas seulement la télé -, que la libre activité ou la "pulsion" à oeuvrer, transformer, inventer (présente sous le travail qui est nécessité économique avant tout) absorbe comme n voudra capturée pour le profit puisse relever de satisfaction des besoins)

      Travail, revenu et communisme t’intriguent. Si ce qui précède ne te refroidit pas, il y a ici même des # utilisables pour un parcours, petites promenades ou randonnée sans fin : revenu_garanti refus_du_travail general_intellect opéraïsme salaire_social salaire_garanti Mario_Tronti Toni_Negri Silvia_Federici Paolo_Virno Nanni_Ballestrini ... labyrinthe étendu lorsque s’y ajoute dess # trouvé dans les textes abordés ou la colonne de droite du site.

    • Pardon @colporteur mais ça fait vingt ans que j’entends virevolter les abeilles de YMB, traducteur de tout ce beau monde, et je ne comprends toujours pas comment dans le cadre où nous sommes, une société capitaliste libérale, une revendication de revenu garanti peut ne pas être une mesure libérale. Dans une société idéale, peut-être, sans accumulation, sans marché du travail, où nous sommes plus proches des bases matérielles de nos vies, où le travail fait donc sens et s’impose sans être imposé... Mais pour l’instant, je ne vois pas comment on peut sortir de la condition surnuméraire par la magie d’un revenu sans fonction sociale. Serait-ce le plus beau métier du monde, tellement beau que les mecs se battent pour l’exercer, justement la fête des mères se rapproche.

    • [Les # du post précédent ne s’enregistrant pas, j’essaie ici] il y a ici même des # utilisables pour un parcours, petites promenades ou randonnée sans fin : #revenu_garanti #refus_du_travail #general_intellect #opéraïsme #salaire_social #salaire_garanti #Mario_Tronti #Toni_Negri #Silvia_Federici #Paolo_Virno #Nanni_Balestrini ... labyrinthe étendu lorsque s’y ajoute des # trouvés dans les textes abordés ou/et dans la colonne de droite du site.

  • On Social Reproduction and the Covid-19 Pandemic

    Thesis 1
    Capitalism prioritizes profit-making over life-making: We want to reverse it

    This pandemic, and the ruling class response to it, offers a clear and tragic illustration of the idea at the heart of Social Reproduction Theory: that life-making bows to the requirements of profit-making.

    Capitalism’s ability to produce its own life blood—profit—utterly depends upon the daily “production” of workers. That means it depends upon life-making processes that it does not fully and immediately control or dominate. At the same time, the logic of accumulation requires that it keeps as low as possible the wages and taxes that support the production and maintenance of life. This is the major contradiction at the heart of capitalism. It degrades and undervalues precisely those who make real social wealth: nurses and other workers in hospitals and healthcare, agricultural laborers, workers in food factories, supermarket employees and delivery drivers, waste collectors, teachers, child carers, elderly carers. These are the racialized, feminized workers that capitalism humiliates and stigmatizes with low wages and often dangerous working conditions. Yet the current pandemic makes clear that our society simply cannot survive without them. Society also cannot survive with pharmaceutical companies competing for profits and exploiting our right to stay alive. And it is apparent that the ‘invisible hand of the market’ will not make and run a planet-wide health infrastructure which, as the current pandemic is showing, humanity needs.

    The health crisis is thus forcing capital to focus on life and life-making work such as healthcare, social care, food production and distribution. We demand that this focus remains even when the pandemic has passed so that health, education and other life-making activities are decommodified and made accessible to all.

    Thesis 2
    Social reproduction workers are essential workers: We demand they be recognized as such in perpetuity

    While most commodity-producing companies lacking workers have seen their profits and stock values drop precipitously, they find themselves beholden to the people-making organizations, communities, households and individuals. But, given capitalism’s need to prioritize profit-making over life-making, such organizations, communities, households and individuals are barely equipped to meet the challenge. It is not just that Covid-19 has taken a toll on healthcare, public transit and grocery store workers, various community volunteers and others. Years and years of dismantling essential social services in the name of austerity means that social reproductive workforces are smaller than they used to be, and community organizations fewer and less well resourced.

    To compensate for decades of neglect in a crisis, many capitalist states and corporations are shifting their priorities, but only partially and temporarily. They are sending cheques to households, extending unemployment insurance to precarious workers, ordering automakers to switch from producing cars to producing masks and ventilators. In Spain, the state temporarily took over for-profit hospitals; in the US, insurance companies are forfeiting co-payments for Covid-19 testing. Among other things, this shows just how readily available and plentiful are the resources to actually meet people’s needs when there is political will.

    We demand that workers in social reproduction sectors—nurses, hospital cleaners, teachers, garbage removal staff, food makers and supermarket employees—be permanently recognized for the essential service they perform, and their wages, benefit and social standing be improved to reflect their importance in maintaining society as a whole.

    Thesis 3
    Bail out people not banks

    Our rulers are devoting far more resources to bailing out businesses, in the hope of staving off an utter collapse of capitalist value. The very profits produced, we remind you, by the labor power that social reproductive labor supplies. CEOs of hotel and restaurant chains, tech and airline companies, and more are throwing millions of workers off their payroll, while largely preserving their own hyper-inflated salaries and benefits. This is because the capitalist system requires that the contradiction between life and wage labour always be resolved to the benefit of capital rather than people’s lives.

    We demand that all financial resources and stimulus packages be invested in life-making work, and not in keeping capitalist companies running.

    Thesis 4
    Open borders, close prisons

    This pandemic is hitting immigrants and detainees very hard: those who are stuck in prisons or detention centers with indecent hygienic conditions and no health resources, those who are undocumented and suffer in silence for fear of seeking help and getting deported, those who work in life-making activities (health and social care, agriculture, etc.) and are more at risk of being infected because they have no choice but go to work (lacking adequate or any protective gear), those who are in transit between countries trying to reach their families, and those who cannot leave their countries because of travel bans and sanctions.

    Pandemic or not, Trump will retain the sanctions against Iran (where infection rates and deaths are skyrocketing). And neither Trump nor the European Union will pressure Israel to lift sanctions that rob the 2 million people imprisoned in Gaza of much needed medical supplies. This differentiated response to the pandemic draws upon and reinforces the racist and colonialist oppression that is capitalism’s underbelly.

    We demand that healthcare needs take precedence over any immigration regulations, that those imprisoned for most crimes be released immediately and alternative compassionate sanctions are found for those who are sick, that detention centers and other carceral institutions aimed at disciplining rather than nourishing life be closed.

    Thesis 5
    Solidarity is our weapon: Let’s use it against capital

    The pandemic has revealed to the world how working people in a crisis always get by through a wide and creative array of survival strategies. For most, that has meant relying on immediate friends and family. Some, however, are managing through mutual aid initiatives. For the homeless and those capitalist society has rejected as a burden, support has come from heroic initiatives of social reproduction volunteers who are offering to others nothing less than the right to life. Neighborhoods across the UK are creating Whatsapp groups to stay in touch with the most vulnerable and help them obtain food and medication. Schools are sending food vouchers to poor families with children eligible for free meals. Food banks and charities are seeing the number of volunteers rising. Social reproduction commons are arising as an urgent necessity. But we have also learned the lessons of the past: we will not allow capitalist governments to use social reproduction commons as an excuse for the state’s withdrawal from responsibility.

    As socialist feminists, we need to push this further, to work together to call for public provision of all that is necessary for human life to thrive. This means building solidarity across the different communities that are unequally affected and resourced. This means supporting the most marginalized and arguing for those with any social resources—trade unions, NGOs, community organizations—to share and support those without. This means demanding that the state recognize social reproduction work as the cornerstone of social existence.

    We demand that governments learn from the people and replicate in policy terms what ordinary people are doing to help and support each other.

    Thesis 6
    Feminist Solidarity against Domestic Violence

    The lockdown measures adopted by most countries to contain the spread of Covid-19, while absolutely necessary, have severe consequences for millions of people who live in abusive relationships. Reports of domestic violence against women and LGBTQ folk have multiplied during the pandemic as victims are forced to stay indoors with violent partners or family members. Stay-at-home campaigns that do not take into account the specific plight of domestic abuse are particularly worrisome in a context in which years of rampant neoliberalism have meant that funds have been withdrawn from anti-violence shelters and services

    We demand that governments immediately reverse years of defunding of anti-violence services, and provide the resources agencies need to operate and widely publicize their helplines.

    Thesis 7
    Social reproduction workers have social power: We can use it to reorganize society

    This pandemic can, and should, be a moment when the left puts forward a concrete agenda for how to support life over profit in a way that will help us move beyond capitalism. This pandemic has already shown us how much capitalism needs social reproductive workers—waged and unwaged, in hospitals and infrastructure work, in households, in communities. Let’s keep reminding ourselves of that, and of the social power that such workers hold. This is the moment when we, as social reproduction workers, must develop the consciousness of the social power we hold, in our national contexts, at the borders that divide us, and across the globe.

    If we stop, the world stops. That insight can be the basis of policies that respect our work, it can also be the basis of political action that builds the infrastructure for a renewed anti-capitalist agenda in which it is not profit-making but life-making that drives our societies.

    https://spectrejournal.com/seven-theses-on-social-reproduction-and-the-covid-19-pandemic

    #propositions #thèses #féminisme #reproduction_sociale #le_monde_d'après #marxisme #capitalisme #profit #travail #frontières #ouverture_des_frontières #prisons #solidarité #violence_domestique #solidarité_féminine #pouvoir #pouvoir_social #féminisme_marxiste

    Traduction en français :
    Sept thèses féministes sur le #covid-19 et la reproduction sociale

    Alors que la pandémie de Covid-19 continue de sévir dans le monde entier, il apparaît de plus en plus clairement que les intérêts de l’#économie mondiale sont en contradiction avec la #préservation_de_la_vie. Ainsi a été rendue visible aux yeux de tou·te·s l’importance fondamentale de celles et ceux qu’on trouve en première ligne – les infirmier·e·s et les autres personnels de santé, les ouvrier·e·s agricoles, les ouvrier·e·s des usines alimentaires, les employé·e·s des supermarchés etc. –, celles et ceux dont l’emploi permet la reproduction de la vie même. A travers ces sept thèses que nous traduisons aujourd’hui, le collectif féministe marxiste montre combien la théorie de la reproduction sociale peut nous aider à penser l’épidémie, mais aussi à dresser des pistes pour abolir le monde qui l’a produite.

    https://acta.zone/sept-theses-feministes-sur-le-covid-19-et-la-reproduction-sociale

    via @isskein
    ping @karine4

  • Covid-19, crise du commandement capitaliste et contagion sociale. Comment intervenir ? – ACTA, Texte initialement publié sur le site Infoaut.
    https://acta.zone/covid-19-crise-du-commandement-capitaliste-et-contagion-sociale

    Le Covid-19 est l’incursion violente, rapide et incontrôlable d’un virus qui fragilise la santé de la population mondiale en se propageant par le contact humain dans les voies respiratoires. Il a déjà contaminé et tué des dizaines de milliers de personnes.

    En se propageant à travers les réseaux du commerce international, le Covid-19 a constitué d’emblée une crise sanitaire mondiale. Il a rendu visible les effets des coupes dans les investissements publics sur la qualité des services sanitaires, thérapeutiques et de prévention primaire ; le manque de stratégies de prévention et de formation épidémiologique des responsables institutionnels ; l’absence d’organisation structurée en « couloirs sanitaires », de réseaux d’assistance sur le territoire et de moyens de protection adéquats (tests de dépistage, équipements de protection) pour le personnel médical qui s’infecte à tout-va.

    Mais la crise sanitaire est en train de devenir ou est déjà devenue une crise « du social » : restrictions de mobilité et isolement humain ; propagation régulière et continue du virus le long des lignes de la productivité ; absence de réponses économiques (face à la faim et aux dettes) et de services pour la population (il suffit de penser au deuil sans l’encadrement rituel des funérailles). Elle deviendra une crise économique, avec un ralentissement de l’accumulation et de la production de valeur. Licenciements, faillites, saisies, compétition inter-capitalistes dans le transfert et l’absorption de la crise n’en sont que quelques aspects triviaux déjà visibles pour tout un chacun.

    Insister sur la crise du commandement capitaliste

    Mais une autre prise de conscience habite l’élite mondiale. « L’alternative – une destruction permanente de la capacité de production et donc de l’assiette fiscale – serait beaucoup plus préjudiciable pour l’économie et éventuellement la confiance dans le gouvernement »1. Tels sont les mots de Mario Draghi dans son vibrant appel à prendre conscience de l’état de guerre dans lequel nous nous trouvons, incitant les autorités à se débarrasser du dogme de l’équilibre budgétaire en injectant des centaines de milliards de dollars dans les veines du patient mourant formé par le corps socio-économique tout entier. Leur grande crainte est que la crise se transforme en effondrement, que ce soit la prise du Gouvernement sur les événements qui soit en jeu dans la contagion pandémique, c’est-à-dire l’organisation hiérarchique de la société en fonction de leur Économie. L’hypothèse qu’elle débouche sur une « crise » du commandement se manifeste dans l’incapacité systémique à penser des alternatives efficaces capables de réorganiser de façon durable et cohérente la production de biens en lien avec la reproduction sociale de l’être humain. Les propositions de voies de sortie venues du camp capitaliste et sagement esquissées par l’ancien président de la Banque centrale européenne, énoncent et renouvellent les causes de la crise actuelle. Davantage de dettes pour sauver le capital fictif, peut-être un peu d’helicopter money [NdT : en anglais dans le texte] pour permettre à la valeur de se réaliser sur le marché. Ainsi, le plan visant à « desserrer les cordons de la bourse » pour transformer une partie de la finance en revenu de consommation est le premier grand signe d’opposition des classes dominantes à l’effondrement de la civilisation capitaliste.

    Cependant, sous les latitudes plus ordinaires de la réalité sociale, celles où nous nous trouvons presque tous en quarantaine, au travail ou à l’hôpital, la crise de la reproduction capitaliste contenue dans la situation d’urgence soulève de nouvelles questions, auparavant ensevelies sous le flux continu de l’ordre social. C’est un peu comme un hamster qui cesse soudainement de tourner dans son manège, et découvre, stupéfait, une nouvelle perspective. Il remarque la cage, la scrute, jette un œil au dehors. Il essaie de comprendre à quoi ce dehors ressemble, avant même de penser à scier ses barreaux pour s’échapper. Dans cette « guerre contre le Covid-19 », le blocage partiel mais significatif de la reproduction capitaliste ouvre une nouvelle série d’expériences collectives et massifiées et de nouvelles dimensions de la vie sociale. Cette fois-ci, elles ne sont pas complètement dirigées par d’autres car elles condensent un travail humain et parce qu’elles sont « influencées » par la propagation du virus lui-même, comme élément d’ingouvernabilité. Par là, ces expériences peuvent contribuer à faire varier le cours de l’Histoire. C’est donc à ce niveau que nous devons réfléchir à une action commune à la hauteur de la tâche.

    L’hypothèse politique que nous proposons dans ces pages est de se saisir de l’urgence pandémique, comme destruction et comme opportunité, dans les termes subjectifs d’un sujet encore à construire : transformer l’objectivité de la crise en déstructuration du commandement capitaliste. C’est-à-dire faire ressortir et renforcer la nature antagoniste au système dominant présente dans les actions des sujets sociaux dans le cadre d’un affrontement qui a déjà commencé. Cet affrontement ne peut, à ce jour, être une question de pouvoir, de force, de combat frontal avec le camp adverse, de conflit d’autorité sur ce qu’est et qui décide dans l’état dit d’exception. Il ne peut en être ainsi, non pas parce qu’il s’agit d’une conception dépassée des rapports de force entre les classes, mais parce que le Sujet historique n’existe pas en tant que tel. Pour l’instant, il est matériellement dispersé sous la forme d’une présence au sein des ganglions de la reproduction sociale. Il existe en puissance, sous la forme de femmes et d’hommes engagés d’une certaine manière dans la lutte pour survivre à l’intérieur et contre l’urgence du Covid-19.

    #crise_sanitaire #crise_économique #reproduction_sociale #Commandement_capitaliste

  • Sept thèses féministes sur le Covid-19 et la reproduction sociale – ACTA
    https://acta.zone/sept-theses-feministes-sur-le-covid-19-et-la-reproduction-sociale

    Cette pandémie, et la réponse qu’y donne la classe dirigeante, illustre de manière claire et tragique l’idée qui est au cœur de la théorie de la reproduction sociale : la production de la vie se plie aux exigences du profit.

    La capacité du capitalisme à produire son propre flux vital – le profit – dépend de la « production » quotidienne de travailleurs. Autrement dit, elle dépend du processus de création de la vie qu’il ne contrôle ou ne domine pas entièrement ni directement. Dans le même temps, la logique de l’accumulation exige de maintenir au plus bas tant les salaires que les impôts qui soutiennent la production et la préservation de la vie. Il s’agit là de la contradiction majeure qui est au cœur du capitalisme : il dénigre et sous-évalue précisément celles et ceux qui produisent la vraie richesse sociale : les infirmier·e·s et les autres personnels de santé, les ouvrier·e·s agricoles, les ouvrier·e·s des usines alimentaires, les employé·e·s des supermarchés et les livreur·se·s, les collecteur·trice·s de déchets, les enseignants·e·, celles et ceux qui s’occupent des enfants ou des personnes âgées. Ce sont les travailleuses1 racialisées, féminisées, que le capitalisme humilie et stigmatise en leur imposant des salaires bas et des conditions de travail souvent dangereuses. Pourtant, la pandémie actuelle montre clairement que notre société ne peut tout simplement pas survivre sans elles. La société ne peut pas non plus survivre avec des sociétés pharmaceutiques qui se font concurrence pour les profits et qui exploitent notre droit à rester en vie. Et il est évident que la « main invisible du marché » ne pourra pas créer et gérer l’infrastructure sanitaire planétaire dont la pandémie actuelle montre bien que l’humanité a besoin.

    #reproduction_sociale #féminisme #marxisme #féminisme_marxiste #Bhattacharya #Bromberg #Dimitrakaki #Farris #Ferguson #HM #covid_19

  • Des #pêcheurs pris dans un étau

    « La mer c’est la liberté. Aujourd’hui nous sommes emprisonnés à même l’eau » déplore Slah Eddine Mcharek, président de l’Association Le Pêcheur pour le développement et l’environnement[1] à #Zarzis. Leurs projets sont ambitieux : protection des ressources aquatiques, développement d’une pêche durable et responsable et défense de la pêche artisanale. Mais les obstacles sont de taille : pris entre la raréfaction des ressources halieutiques, les menaces à leur sécurité, la réduction de leur zone de pêche et la criminalisation du sauvetage des migrants en mer, les pêcheurs se retrouvent enserrés dans un véritable étau.

    Au-delà de la petite ville de Zarzis et de ses plages où se côtoient hôtels de luxe, corps de naufragés et pêcheurs en lutte, le récit de Slah Eddine rappelle l’importance de la justice migratoire et environnementale.

    La mer, déchetterie nationale

    Depuis quelques années, un phénomène prend de l’ampleur : les rejets de déchets plastiques envahissent les rives et encombrent les zones où travaillent les pêcheurs. Faute d’un système opérationnel de collecte des ordures ménagères et de sensibilisation aux risques liés à la pollution des eaux par le plastique, ces déchets s’entassent dans les canaux de la ville avant de se disperser dans la mer, au point que les pêcheurs réclament l’interdiction des sacs plastiques.

    Aux déchets ménagers s’ajoute le problème des rejets industriels. Slah Eddine déploie une carte du bassin méditerranéen et pointe du doigt le sebkhet el melah (marais salant) des côtes de Zarzis. Le salin appartient à Cotusal, vestige colonial d’une filiale française qui a exploité pendant longtemps les ressources salines de la Tunisie, dans le cadre de concessions avantageuses qui n’ont pas été renégociées depuis l’indépendance[2]. L’exploitation du sel dans cette région, en plus de saliniser les terres agricoles, rejette des produits de traitement du sel dans la mer. Surtout, les eaux zarzisiennes sont polluées par les rejets du Groupe Chimique Tunisien, notamment le phosphogypse, et par les eaux usées non traitées par l’ONAS (Office National de l’Assainissement). Cette dernière ne remplit pas sa mission de traitement des eaux industrielles et ménagères, notamment sur l’île de Djerba. Une partie des eaux est traitée de manière inefficace et insuffisante, l’autre non traitée du tout.

    Un équilibre écologique rompu

    Pour les êtres vivants qui habitent ces eaux, les rejets industriels mêlés aux déchets et eaux usées ne peuvent faire que mauvais mélange. « La mer est devenue des toilettes à ciel ouvert » s’indigne Slah Eddine, pointant cette fois du doigt deux poissons dessinés sur une affiche. L’un est le loup de mer et l’autre la dorade. « Là où les usines rejettent leurs eaux, ces poissons n’y vivent plus » explique-t-il. La contamination de ces eaux rompt un équilibre essentiel à la survie de la faune et la flore maritimes.

    Dans ces eaux, la reproduction marine est difficile sinon impossible, entraînant la disparition de plusieurs espèces de poissons et notamment les espèces cartilagineuses. Les éponges souffrent quant à elles du réchauffement climatique et présentent depuis quelques années des signes de maladies, au désespoir des familles qui vivent de leur commerce. Ainsi, en 2017, suite à la montée des températures (24°C à 67m de profondeur !), de nombreuses éponges sont mortes, par leur fragilité aux changements du milieu ou par une épidémie favorisée par cette augmentation de température[3].

    L’accumulation des pollutions a fini par asphyxier toute forme de vie dans les eaux proches de Djerba et Zarzis et notamment dans le golfe quasi fermé de Boughrara. Les pêcheurs estiment que 90 % des poissons et mollusques auraient disparu en dix ou vingt ans, privant beaucoup de personnes, notamment des jeunes et des femmes, d’un revenu stable. Mais alors que les pêcheurs de Gabès reçoivent des compensations à cause de la pollution et viennent pêcher sur les côtes de Zarzis, les pêcheurs zarzisiens ne reçoivent rien alors qu’ils sont aussi affectés.

    Plus au nord, sur les côtes sfaxiennes, c’est un autre phénomène qui s’est produit deux fois cette année, en juin puis en novembre, notamment à Jbeniana : la mer est devenue rouge, entrainant une forte mortalité de poissons. Le phénomène a été expliqué par la présence de microalgues eutrophisant la mer, c’est-à-dire la privant de son oxygène. Mais la version officielle s’arrête là[4], la prolifération de ces microalgues n’a pas été expliquée. Or, des phénomènes similaires sont connus à d’autres endroits de la planète, notamment dans le golfe du Mexique où la prolifération des algues est due à l’excès d’engrais phosphaté et azoté qui se retrouve dans la mer, ou du rejet d’eaux usées, qui produisent des concentrations trop importantes de matières organiques[5]. Il est donc fort probable que les rejets concentrés en phosphate du Groupe Chimique Tunisien à Gabès et Sfax, d’autres rejets industriels et ménagers et/ou des rejets d’engrais agricoles par les oueds soient à l’origine du phénomène.

    Le coût de Daesh

    Alors que certaines espèces disparaissent, d’autres se multiplient en trop grand nombre. Le crabe bleu, surnommé « Daesh » par les pêcheurs de la région du fait de son potentiel invasif et destructeur, en est le meilleur exemple. Cette espèce, apparue fin 2014 dans le golfe de Gabès[6], a rapidement proliféré au large des côtes, se nourrissant des poissons qui jusque-là constituaient le gagne-pain des pêcheurs du coin. « Daesh détruit tout : les dorades, les crevettes, les seiches …. Tous les bons poissons ! » s’exclame-t-il. La voracité du crabe bleu a aggravé les problèmes économiques de bien des pêcheurs. Si la chair de cette espèce invasive fait le bonheur de certains palais et qu’un marché à l’export est en plein développement en direction de l’Asie et du Golfe, les habitants de Zarzis qui vivent de la pêche artisanale, eux, ne s’y retrouvent pas. « Un kilo de loup ou de dorade se vend 40 dinars. Un kilo de crabe bleu, c’est seulement 2 dinars ! » affirme un pêcheur de l’association.

    Le calcul est vite fait, d’autant plus que les crabes bleus font assumer aux pêcheurs un coût du renouvellement du matériel beaucoup plus important, leurs pinces ayant tendance à cisailler les filets. « Avant l’arrivée de Daesh, nous changions les filets environ deux fois par an, maintenant c’est quatre à cinq fois par ans ! » se désole l’un d’entre eux.

    Bloqués dans un Sahara marin

    Comme le martèlent les pêcheurs, « la zone de pêche de Zarzis est devenue un Sahara, un véritable désert ». Suite au partage international de la Méditerranée, les pêcheurs zarzisiens sont cantonnés dans des eaux côtières, qui se vident de poisson suite aux désastres écologiques et à la surpêche.

    « Avant 2005 et le dialogue 5+5[7] on pouvait accéder à des zones de pêche intéressantes, mais depuis les autres pays ont agrandi leur territoire marin ». En effet, c’est en 2005 que la Libye met en place sa zone de pêche exclusive, interdisant ainsi l’accès aux pêcheurs tunisiens. La Tunisie met elle aussi en place sa zone économique exclusive[8], mais, à la différence de la zone libyenne[9], elle autorise des navires étrangers à y pêcher. Les chalutiers égyptiens sont particulièrement présents, et s’ajoutent aux chalutiers tunisiens (de Sfax notamment) qui ne peuvent plus pêcher dans les eaux poissonneuses libyennes. Il arrive même que ces chalutiers pénètrent dans les eaux territoriales, en toute impunité. En plus des désastres écologiques, les eaux du sud tunisien se vident ainsi de leurs poissons à cause de la surpêche.

    Limites des différentes zones maritimes tunisiennes[10] :

    Or, les frontières officielles ne semblent pas délimiter la zone où les pêcheurs tunisiens peuvent réellement travailler, cette dernière étant manifestement beaucoup plus restreinte et empiétée par la zone libyenne. Sur la carte maritime qu’il a déployée devant lui, Slah Eddine matérialise la zone où les pêcheurs de Zarzis peuvent pêcher de manière effective et montre en resserrant ses doigts l’évolution de la zone de pêche libyenne au détriment de la zone tunisienne. Mais alors, pourquoi ce déplacement de frontière maritime n’apparaît dans aucun texte ou accord international[11] ? Y a-t-il des accords cachés ? Les garde-côtes libyens s’arrogent-ils le droit de pénétrer les eaux tunisiennes ? Ou les pêcheurs tunisiens auraient-ils intégré l’obligation de ne pas pénétrer une zone tampon pour ne pas craindre pour leur sécurité ?

    Les pêcheurs sous les feux des groupes armés libyens

    Au-delà des problèmes économiques auxquels ils doivent faire face, les pêcheurs de Zarzis sont confrontés à de graves problèmes de sécurité dans les eaux où ils naviguent. Alors que les bateaux de pêche libyens ne se gênent pas, selon Slah Eddine, pour venir exploiter les eaux tunisiennes, il n’existe aucune tolérance pour les pêcheurs tunisiens qui s’aventurent en dehors de leur zone. Ces dernières années, le pêcheur ne compte plus les cas d’agressions, de saisies de bateaux, de menaces et prises d’otages, par les groupes armés, et parmi eux les gardes côtes officiels libyens, équipés par les programmes européens de lutte contre la migration non réglementaire.

    En 2012, un pêcheur tunisien mourrait ainsi sous les balles tirées d’une vedette côtière libyenne tandis que les 18 autres membres de l’équipage étaient faits prisonniers à Tripoli[12]. En 2015, quatre bateaux de pêche tunisiens qui avaient pénétré les eaux libyennes étaient également pris en otage par des groupes armés libyens et acheminés au port d’El Zaouira[13]. Les attaques ont eu lieu jusque dans les eaux tunisiennes, comme en février 2016 lorsque treize chalutiers tunisiens avec soixante-dix marins à bord ont été arraisonnés et emmenés dans le même port, la partie libyenne exigeant alors une rançon contre leur libération[14]. L’année suivante, en 2017, des pêcheurs libyens de Zaouira menaçaient de kidnapper tous les marins tunisiens qu’ils rencontreraient en mer en représailles au contrôle d’un chalutier libyen dans le port de Sfax par la garde maritime tunisienne. Depuis, les prises d’otage se multiplient. Enième épisode d’une saga sans fin, la dernière attaque libyenne date de septembre dernier.

    L’insécurité ne touche pas que les pêcheurs de Zarzis, mais tous les pêcheurs tunisiens qui naviguent à proximité des zones frontalières : au Sud-Est, ce sont les feux des groupes libyens qui les menacent ; au Nord-Ouest, ceux de la garde côtière algérienne. Le 31 janvier de cette année, un pêcheur originaire de Tabarka et âgé de 33 ans a été tué par les autorités algériennes alors que son bateau avait pénétré les eaux territoriales de l’Algérie[15]. « Le danger est partout ! », « on se fait tirer dessus ! », s’exclament les pêcheurs de l’Association. Entre deuil et colère, ils dénoncent l’absence de réponse ferme des autorités tunisiennes contre ces agressions et se font difficilement à l’idée qu’à chaque départ en mer leur vie puisse être menacée.

    Les autres damnés de la mer

    Comme tout marin, les pêcheurs de Zarzis doivent porter assistance aux bateaux en détresse qu’ils croisent sur leur chemin. Et des bateaux en détresse, ce n’est pas ce qui manque au large de Zarzis. Le hasard a fait que leur zone de pêche se trouve sur la route des migrants qui fuient la Libye sur des embarcations de fortune et les accidents sont fréquents dans ces eaux dangereuses. Porter secours aux survivants, prendre contact avec le Centre de Coordination des Sauvetages en Mer, ramener les corps de ceux pour lesquels ils arrivent trop tard afin de leur offrir une sépulture digne, c’est aussi cela, le quotidien des pêcheurs de Zarzis. L’effroi et la colère de l’impuissance lorsque des cadavres se prennent dans les filets pêche, l’inquiétude et le soulagement lorsque le pire est évité et que tout le monde arrive à bon port.

    Sauver des vies lorsqu’il est encore temps, c’est avant tout un devoir d’humanité pour ces hommes et ces femmes de la mer. La question ne se pose même pas, malgré les heures de travail et l’argent perdus. Pour être plus efficaces dans leurs gestes et secourir le plus grand nombre, plus d’une centaine de pêcheurs de Zarzis ont suivi en 2015 une formation de 6 jours sur le secours en mer organisée par Médecins sans frontières[16]. Alors que les politiques européennes de criminalisation des ONG menant des opérations de recherche et de secours en mer ont laissé un grand vide en Méditerranée, les pêcheurs tunisiens se retrouvent en première ligne pour les opérations de sauvetage. Aussi, quand ils partent en mer, prévoient-ils toujours de l’eau et de la nourriture en plus, des fois qu’un bateau à la dérive croise leur chemin.

    Des sauveurs que l’Europe veut faire passer pour des criminels

    Au-delà d’un devoir d’humanité, porter secours aux embarcations en détresse est une obligation inscrite dans le droit international maritime et en particulier dans la Convention internationale sur la Sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), qui s’applique à tous les navires. Le texte prévoit l’obligation pour tous les Etats de coordonner leurs secours et de coopérer pour acheminer les personnes dans un lieu sûr[17], où la vie des survivants n’est plus menacée et où l’on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux.

    Aussi, lorsque l’équipage de Chameseddine Bourrasine croise lors l’été 2018 une embarcation avec 14 migrants à la dérive, c’est sans hésitation qu’il décide de leur porter secours. Mais alors que les rescapés menacent de se suicider s’ils sont ramenés en Tunisie et qu’il ne saurait être question de les livrer aux garde-côtes de Libye où c’est l’enfer des geôles qui les attend, le capitaine décide d’appeler la garde côtière du pays sûr le plus proche, à savoir l’Italie. Après plusieurs tentatives de contact restées sans réponse, il décide alors de remorquer le bateau vers l’Italie pour débarquer les migrants dans un lieu où ils seront en sécurité[18]. Accusé avec son équipage de s’être rendu coupable d’aide à l’immigration dite « clandestine », ce sauvetage coûtera aux 7 marins-pêcheurs 22 jours d’incarcération en Sicile.

    Si le procès s’est résolu par un non-lieu, les pêcheurs de Zarzis restent dans le collimateur des autorités italiennes. « Nous les pêcheurs tunisiens, l’Italie voudrait nous contrôler et encore limiter la zone dans laquelle nous pouvons pêcher » se désole Slah Eddine, « les Italiens nous surveillent ! ». Il évoque aussi la surveillance d’EUNAVFOR Med, également appelée Sophia, opération militaire lancée par l’Union européenne en 2015 en Méditerranée pour, selon les mots de la Commission « démanteler le modèle économique des passeurs et des trafiquants d’êtres humains »[19]. Si l’opération militaire les surveille de près lorsqu’il s’agit du secours en mer, lorsqu’il est question d’attaques par des milices libyennes, Sophia détourne le regard et abandonne les pêcheurs tunisiens à leur sort.

    Les harraga de demain ? [20]

    « On ne peut plus, ce n’est plus possible, il n’y a plus rien », répètent les pêcheurs, acquiesçant les paroles par lesquelles Slah Eddine vient de présenter leur situation. Entre les eaux polluées, les problèmes économiques, le fléau de Daesh, les poissons qui ne se reproduisent plus, les éponges malades, les attaques libyennes, les pressions italiennes et européennes, être un pêcheur en Tunisie, « ce n’est plus une vie ». Leurs fils à eux sont partis pour la plupart, en Europe, après avoir « brûlé » la mer. Ils savent que dans cette région qui vit surtout de la pêche, il n’y a pas d’avenir pour eux.

    Et puis il y a ceux qui, privés de toute autre source de revenus, sont contraints à se reconvertir dans des activités de passeurs. Nés dans des familles où la pêche se transmet de père en fils, ils connaissent la mer, ses vents, tempêtes, marées et courants. Ils savent où se procurer des bateaux. Lorsque ces loups de mer sont à la barre, le voyage est plus sûr pour celles et ceux risquent la traversée vers l’Europe à bord d’un rafiot. Alors que les harragas tunisiens sont de plus en plus systématiquement déportés lorsqu’ils sont arrêtés par les autorités italiennes[21], certains passeurs ont troqué leur clientèle tunisienne pour une clientèle subsaharienne, de plus en plus nombreuse à mesure que leur situation en Libye se dégrade. Faute de voies régulières pour les migrants, la demande de passage vers l’Europe augmente. Et faute de ressources alternatives pour les pêcheurs, l’offre se développe.

    Or ce n’est ni la « main invisible » ni une quelconque fatalité qui poussent ces pêcheurs au départ ou à la diversification de leurs activités, mais le mélange entre le modèle de développement polluant et incontrôlé, l’inaction des autorités tunisiennes en matière de protection de l’environnement, et le cynisme des politiques migratoires sécuritaires et meurtrières de l’Union européenne.

    https://ftdes.net/des-pecheurs-pris-dans-un-etau
    #environnement #sauvetage #Méditerranée #pêche #développement #émigration #Cotusal #pollution #plastique #colonialisme #sel #salines #phosphogypse #Groupe_Chimique_Tunisien #eaux_usées #reproduction_marine #poissons #éponges #Djerba #mollusques #Gabès #Jbeniana #microalgues #phosphate #crabe_bleu #Libye #différend_territorial #zone_économique_exclusive #surpêche #asile #migrations #réfugiés #criminalisation #Chameseddine_Bourrasine #EUNAVFOR_Med #Operation_Sophia #harraga

    #ressources_pédagogiques #dynamiques_des_suds

  • Je ne MÉRITE PAS mon SUCCÈS.
    https://www.youtube.com/watch?v=ezdtQIrO8oI

    #mérite #talent

    Le syndrome de l’imposteur : pourquoi nous hante-t-il ?
    https://www.youtube.com/watch?v=IEhpr0VnnZA


    #imposture #syndrome_de_l'imposteur #syndrome_de_l'imposture

    Détérminisme sociale - Reproduction sociale
    Chantal Jaquet : « Le déterminisme social n’est pas une fatalité. »
    https://www.youtube.com/watch?v=uUTBIbwVmmM


    #determinisme_sociale #reproduction_sociale #héroïsation #sur_homme #grand_homme #excellence (les filière d’excellence implique qu’il y a des filière de médiocrité)

  • Les inégalités moulées Jean-François Nadeau - 7 Octobre 2019 - Le devoir
    https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/564214/les-inegalites-moulees

    La lâcheté complaisante qu’entretient, de longue date, la société à l’égard des inégalités fait en sorte qu’elles semblent aller de soi. Il suffit d’observer le champ fondamental de l’éducation pour s’en convaincre. Malgré ses prétentions, le système québécois ne fournit pas les mêmes chances à l’ensemble des élèves. Le Québec serait même le système d’éducation le plus inéquitable au Canada. C’est du moins ce que nous révélait, il y a quelques jours, une étude pour le moins préoccupante conduite par le Mouvement L’école ensemble.

    Sur la base de données compilées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette étude observe que notre système d’éducation avalise l’existence de programmes sélectifs, selon que l’on fréquente l’école publique ordinaire, l’école des programmes particuliers ou l’école privée. Autrement dit, loin de casser les inégalités, comme il le prétend depuis la Révolution tranquille, notre système d’éducation contribue plutôt à les reproduire en les moulant finement.

    À en croire le discours ambiant, nous vivons dans un monde sans barrières sociales. Tout ne serait qu’une question de volonté, d’ambition et de détermination, que l’on suppose à la base équitablement réparties en chacun. Selon ce mirage savamment entretenu dans nos sociétés, chaque individu serait capable, par ses propres qualités, d’échapper à la loi de la gravité du milieu de vie qui pèse sur lui. Ce rêve waltdysnéesque répète, autrement dit, qu’il suffirait de vouloir pour pouvoir.

    Des gens partis de rien, arrivés là où on ne les attendait pas, servent sans cesse d’exemple pour perpétuer ce mythe de la mobilité sociale. On braque les projecteurs sur ces cas d’exception, comme s’il s’agissait d’une preuve universelle que tout est possible à chacun. On soutient de la sorte l’idée généreuse — mais surtout trompeuse — qu’il demeure bel et bien possible de changer de situation sociale, dans un monde qui continue en vérité de sécréter plus d’inégalités que de possibilités.

    S’il faut rêver pour changer le monde, le monde ne se change pas qu’en rêvant. La perpétuation du monde tel qu’il est — c’est-à-dire un monde foncièrement inégal — se fait selon les modalités de cette inertie sociale entretenue sous le couvert d’un récit fantasmé où chacun serait libre de choisir sa trajectoire.

    L’infériorité de la formation de larges portions de la population continue d’être présentée comme si elle découlait d’une simple affaire de capacités et de goûts pour les études, qu’elle serait pour ainsi dire naturelle, fruit d’un choix librement consenti. On se conforte de la sorte à l’idée que l’éducation constitue une affaire individuelle qui n’est pas circonscrite, au préalable, par une appartenance à un milieu, à une classe sociale, à des revenus familiaux. Et on juge ainsi acceptable que des familles d’ouvriers engendrent surtout des ouvriers et des familles d’avocats surtout des avocats.

    La mobilité sociale, sauf cas d’exception, n’est pas la règle dans notre monde. Si on trouve bel et bien des individus parvenus à échapper aux lois de la statistique, cela ne change pas pour autant le fait que les enfants des classes populaires sont à majorité voués à un destin moins favorisé que ceux qui appartiennent à un monde doré.

    Le principe théorique de l’accessibilité pour tous à l’école a maquillé des formes d’exclusion qui se sont mutées en se camouflant derrière le mince paravent de cette démocratisation opérée à l’orée des années 1960. Bien que tous les enfants fréquentent désormais l’école, les barrières sociales demeurent, ce dont témoignent les inégalités de notre système d’éducation, saigné pendant des années par les scalpels des politiques d’austérité.

    La capacité de manier des concepts, des faits et des raisonnements n’est pas innée. Cela nécessite un entraînement soutenu, durant de longues années. Avant même d’acquérir cette capacité, il faut être en mesure de se donner les moyens de surmonter des difficultés qui entravent son acquisition. Le manque de temps, le manque d’argent, le manque d’espace, un milieu familial défavorable aux études continuent d’expliquer, en large partie, l’insuffisance des résultats obtenus par notre système d’éducation.

    Peut-on changer le tissu social seulement en réformant l’école de l’intérieur ? Depuis des années, l’école québécoise n’arrête pas de se trouver chamboulée. Les réformes de l’éducation sont pour ainsi dire permanentes. L’une chasse l’autre. On en perd vite le compte, à moins d’être un spécialiste. Et encore. Le ministre Jean-François Roberge vient d’en lancer une énième, comme si c’était la principale action qu’encourageait sa fonction.

    Se gargariser ainsi de réformes à n’en plus finir, n’est-ce pas là le signe d’une fuite en avant, celle d’un État qui manque d’abord à son devoir de changer les conditions socio-économiques qui permettraient d’amenuiser, à la base, les différences entre les enfants et leurs parents ?

    Quand on y pense, l’école ne peut suffire à elle seule à briser les inégalités puisqu’elle en est aussi, au final, le triste produit.

    #inégalités (et ses #reproductions) #société #barrières_sociales #sélection #réformes #éducation #école #mobilité_sociale #exclusion #exclusions

  • Jean-Pierre Berlan, La planète des clones, 2019
    https://sniadecki.wordpress.com/2019/08/27/berlan-planete-clones

    Une autre publication récentes des Éditions La Lenteur.

    Depuis la Révolution industrielle, réparer ce double sacrilège est une tâche essentielle des sciences agronomiques et de sa discipline phare, la sélection – devenue « amélioration génétique ». Cet ouvrage vise à montrer qu’en dépit des désastres qui s’accumulent en matière d’agriculture, d’alimentation et de santé, cette tâche s’impose si impérieusement aux scientifiques qu’elle leur enlève tout esprit critique.

    La Révolution industrielle ne s’est pas limitée à l’utilisation d’une source nouvelle d’énergie, le charbon. Elle a également induit une transformation de la plupart des activités, et a fini par toucher tous les aspects de la société. Pendant un certain temps, l’agriculture et la paysannerie ont semblé y échapper car la machine à vapeur encombrante, lourde, peu mobile, ne pouvait aisément remplacer les chevaux dans les champs. Non seulement la Première Guerre mondiale décime la paysannerie, mais surtout elle accouche de trois innovations industrielles : les explosifs-engrais, les gaz de combat-pesticides et les chars de combat-tracteurs qui vont liquider la paysannerie, fondement des sociétés humaines depuis 10 000 ans. La « mort de la paysannerie est le changement social le plus spectaculaire et le plus lourd de conséquences de la seconde moitié du XXe siècle, celui qui nous coupe à jamais du monde passé », écrit l’historien Eric Hobsbawm.

    #Jean-Pierre_Berlan #reproduction #agriculture #paysannerie #Histoire #Révolution_industrielle #sélection #capitalisme #livre #Éditions_La_Lenteur

  • « Le mouvement des gilets jaunes a permis à beaucoup d’inventer une parole politique », Laurent Jeanpierre
    https://www.liberation.fr/debats/2019/08/23/laurent-jeanpierre-le-mouvement-des-gilets-jaunes-a-permis-a-beaucoup-d-i

    Si on raisonne à l’échelle du mouvement, il faut distinguer deux moments : une phase ascendante à partir de novembre 2018, puis une phase de déclin qui débute avec la destruction des abris sur les ronds-points fin janvier 2019. Dans la première période, on observe un des effets quasi miraculeux du mouvement : des divisions très ancrées dans les imaginaires, entre « ceux qui bossent » et « ceux qui ne foutent rien », s’estompent (elles reviendront lors du déclin du mouvement).

    #Gilets_jaunes #subjectivité #reproduction

    • « In girum », de Laurent Jeanpierre : situer les « gilets jaunes » ?, Jean Birnbaum
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/08/29/in-girum-de-laurent-jeanpierre-situer-les-gilets-jaunes_5504038_3260.html

      Dans un essai captivant « In girum », le professeur de science politique et intellectuel de gauche tente de cerner la « révolte des ronds-points », en se laissant ébranler par elle.

      Des « gilets jaunes » au « rond point des Gaulois », à Saint-Beauzire (Puy-de-Dôme), le 15 décembre 2018. THIERRY ZOCCOLAN/AFP

      Si l’essai de Laurent Jeanpierre émeut d’emblée, c’est qu’il assume la fragilité qui donne force à ce genre : méditant le mouvement des « gilets jaunes », l’auteur « essaye » pour de bon, et proclame la nécessité d’un humble tâtonnement. Ici, la modestie requise est à la fois scientifique et politique. Laurent Jeanpierre dit en substance : comme professeur de science politique mais aussi comme intellectuel de gauche, je suis l’héritier de modèles qui menacent d’écraser la nouveauté des actions vécues sous le poids d’une spéculation vétuste ; voilà pourquoi je ne prétends pas énoncer la « vérité cachée » de la rébellion jaune, je souhaiterais simplement me « laisser ébranler » par elle.

      Cette révolte a ruiné les certitudes des docteurs en insurrection
      De fait, l’ensemble de l’ouvrage, rédigé d’une plume sensible, se déplie au conditionnel. Son auteur rappelle d’abord les traits spécifiques de cette révolte : en rupture avec les légitimités traditionnelles, apparemment privée de cohérence idéologique et de débouchés politiques, obtenant par l’émeute ce que les défilés syndicaux étaient impuissants à conquérir, elle a ruiné les certitudes des docteurs en insurrection, militants de gauche comme chercheurs en sciences sociales.

      Les uns et les autres vacillent devant les ronds-points ? Oui, parce que leur culture commune demeure ancrée dans une certaine période, celle du capitalisme fordiste. A l’époque, le mouvement ouvrier formait l’archétype de tout combat émancipateur ; l’usine se tenait au centre des ­conflits ; les syndicats comptaient ; et même la sociologie. Quiconque a lu Alain Touraine, entre autres, sait que ce monde-là est entré en crise depuis des lustres. Mais Jeanpierre montre bien que le « moment jaune » marque son cruel enterrement.

      Au point d’ouvrir un nouveau cycle de luttes ? Laurent Jeanpierre se garde de toute réponse trop assurée. Mais il suggère une hypothèse. Par-delà leur diversité générationnelle et sociale, avance-t-il, les « gilets jaunes » auraient en commun d’être des « entravés », dont la mobilité spatiale ne recoupe plus aucune mobilité sociale ; sur les ronds-points, ils et elles auraient voulu rebâtir un lieu de vie, des espaces de rencontre et de solidarité ; sans rêver de révolution anticapitaliste, les « gilets jaunes » appelleraient donc de leurs vœux « le réencastrement de l’économie dans les réseaux de solidarité effectifs, plutôt que dans le marché, et au service des individus ». Conclusion : leur action viendrait essentiellement conforter une « relocalisation de la politique », à rebours de l’élan internationaliste qui avait animé, au tournant des années 2000, la galaxie « altermondialiste ». Afin d’étayer cette hypothèse, Laurent Jeanpierre situe la révolte des ronds-points dans une constellation planétaire « d’utopies politiques locales », dont il décrit avec finesse les succès et les impasses : zadisme, mouvement des « places » grecques, kibboutzim israéliens, révolte au Chiapas, « mairies rebelles » de Catalogne…

      Cette façon de prendre recul et hauteur produit des effets ambivalents. D’une part, elle permet à Laurent Jeanpierre de signer les pages les plus passionnantes de son livre. Mais, d’autre part, elle en ­exhibe la contradiction intime, celle qu’endure tout théoricien de l’émancipation confronté à un mouvement social, et désireux de dévoiler sa signification. A l’origine de ce bref essai, on s’en souvient, il y a le refus des jugements surplombants. En cela, Laurent Jeanpierre se place dans le sillage d’une certaine pensée anarchiste : pure dissidence des âmes et des corps, la révolte se passerait d’explication.

      Psychanalyste malgré lui

      Mais on ne se refait pas. Le savant a la mémoire longue et l’esprit conquérant. Si bien qu’au fil des pages Laurent Jeanpierre prête aux révoltés des ronds-points telle ambition « inconsciente », telle intention « qui leur échappe ». Sous sa plume, on voit alors resurgir ce maudit lexique de la « vérité cachée » dont il prétendait s’affranchir. Psychanalyste malgré lui, il évoque même les « tendances conservatrices ou néofascistes qui ont traversé le mouvement ».

      Ce point est mentionné à plusieurs reprises, comme en passant. L’approfondir aurait ­permis de « se laisser ébranler » jusqu’au bout en posant les questions suivantes : est-il possible de refuser, comme Laurent Jeanpierre le fait, la disqualification globale du mouvement par ceux qui le réduisent à ces « tendances néofascistes », tout en interrogeant le sens de ces pulsions ? Alors que d’autres mobilisations, au cours des dernières décennies, avaient aussi imposé un nouveau répertoire d’action collective (happenings d’Act Up, occupations par les sans-papiers, coordinations infirmières, forums altermondialistes…), comment expliquer qu’aucune d’entre elles n’ait jamais été suspectée d’une quelconque « tendance néofasciste » ? S’il y a là une singularité, se pourrait-il que la mobilisation des « gilets jaunes », loin de s’inscrire dans l’histoire des gauches et des luttes d’émancipation, ait eu pour vocation de rompre avec la tradition du mouvement ouvrier, voire d’en finir avec elle ?

      « In girum. Les leçons politiques des ronds-points », de #Laurent_Jeanpierre, La Découverte, « Cahiers libres », 192 p., 12 €.

      #livre #révolte #insurrection #émeute #militants #capitalisme-fordiste #usine #Mouvement_ouvrier #entravés #rupture #utopies_politiques_locales #néofasciste (tendance)

    • In Girum - Les leçons politiques des ronds-points, Laurent Jeanpierre, extrait
      https://books.google.fr/books?id=uAaqDwAAQBAJ&pg=PT10&source=kp_read_button&redir_esc=y#v=onepa

      « ... la politique en trouve pas sa consistance dans les discours et n’est pas avant tout une affaire d’opinion, de revendications, de programmes. »

      #entravés #espoirs_périphériques #reproduction #communes
      @monolecte @parpaing @kaparia @cie813 @vanderling @mona @recriweb et aux autres, bien sûr.

    • Rencontre avec l’auteur ce soir vendredi 6 septembre 2019.

      « La Librairie Petite Egypte (35 Rue des Petits Carreaux, 75002 Paris, Métro Sentier) me fait l’amabilité de m’inviter à présenter l’essai que je viens de publier aux Éditions La Découverte (In Girum. Les leçons politiques des ronds-points).
      J’en présenterai quelques aspects sous forme de dialogue à partir de 19 heures. La discussion sera suivie d’un pot amical. »

  • Ivan Illich, Le travail fantôme, 1980
    https://sniadecki.wordpress.com/2019/03/30/illich-travail-fantome

    Illich ici pas mal en lien avec la critique de la dissociation-valeur de Roswitha Scholz.

    Dans cet essai je veux explorer pourquoi, dans une société industrielle, une telle ségrégation existe inéluctablement ; pourquoi, sans ségrégation basée sur le sexe ou la pigmentation, sur les diplômes ou la race ou sur l’adhésion à un parti, une société construite sur le postulat de la rareté ne peut exister. Et, pour approcher en termes concrets les formes méconnues de la ségrégation, je veux parler de la bifurcation fondamentale du travail qu’implique le mode de production industriel.

    J’ai choisi pour thème le versant occulté de l’économie industrielle, et plus spécifiquement le « travail fantôme ». Il ne s’agit ici ni du travail mal payé ni du chômage ; ce dont je parle, c’est du travail non payé qui est le fait de la seule économie industrielle. Dans la plupart des sociétés, hommes et femmes ont ensemble assuré et régénéré la subsistance de leur foyer grâce à des activités non payées. Chaque foyer produisait lui-même la plus grande part de ce qui lui était nécessaire pour vivre. Ces activités dites de subsistance ne sont pas mon propos. Je m’intéresse à cette forme totalement différente de travail non payé qu’une société industrielle exige comme complément indispensable de la production de biens et de services. Cette forme de servitude non rétribuée ne contribue nullement à la subsistance. Bien au contraire, tout comme le travail salarié elle désagrège la subsistance. J’appelle « travail fantôme » ce complément du travail salarié, à savoir : la plus grande part des travaux ménagers accomplis par les femmes dans leur maison ou leur appartement, les activités liées à leurs achats, la plus grande part du travail des étudiants « bûchant » leurs examens, la peine prise à se rendre au travail et à en revenir. Cela inclut le stress d’une consommation forcée, le morne abandon de son être entre les mains d’experts thérapeutes, la soumission aux bureaucrates, les contraintes de la préparation au travail et bon nombre d’activités couramment étiquetées « vie de famille ».

    #Ivan_Illich #critique_du_travail #dissociation-valeur #reproduction #Histoire #moyen_âge

    • Merci d’avoir signalé ce texte...

      Ce serait pas plutôt Roswitha Scholz qui est en retard sur Illich ? C’est en tout cas une prose bien plus lisible et compréhensible que le salmigondis théorique de la WertKritik.

      Et une critique du travail (salarié) qui va à la racine historique de la chose en elle-même et en soi.

      Et hop, Kéops !

    • Haha non mais un jour faudra que t’arrêtes de créer des séparations trop fortes, là où il y a essentiellement des rapprochements et convergences, c’est une sorte de tropisme. :D

      (Quant au style : 1) Illich est très lié aux courants d’éduc pop, notamment d’amérique du sud, c’est un bon pédagogue ; et 2) c’est surtout un historien, qui sait bien parler et transmettre de l’Histoire, mais qui est moins compétent sur la théorie philo-économique et sociale. Mais bon, j’ai pas 3h pour développer, et comme d’hab je vais encore jamais trouver le temps de répondre en longueur, et là j’ai le fiston, faut aller manger.

      Sinon juste pour le contexte, pour pas avoir de quiproquo : pour moi aussi c’est difficile et je n’ai aucun penchant particulier pour les textes compliqués. Je n’ai fait que quelques années d’études techniques, et c’est un travail difficile pour moi de lire de la philosophie, de la théorie critique, etc, qui me prend du temps tard la nuit au lieu de dormir. Et je râle régulièrement sur ClémentH et assimilé pour manque de matériel d’éduc pop sur ce sujet. Mais je pense pas trop débilement avoir compris le cadre général, et perso je fais totalement un lien fort entre critique de la valeur et anti-indus. Comme beaucoup d’ailleurs en fait. @ktche :p )

      À ta santé !
      (un jour peut-être on boira une mousse pour de vrai pour se disputer :p )

  • « Les opposants à la “théorie du genre” disposent de relais politiques puissants » (David Paternotte, Le Monde, 29.03.2019)
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/29/david-paternotte-les-opposants-a-la-theorie-du-genre-disposent-de-relais-pol

    Depuis le début des années 1990, le Saint-Siège, la droite populiste et l’extrême droite affirment que le concept de #genre déconstruit l’ordre des sexes. Entretien avec un sociologue de l’Université libre de Belgique qui a dirigé un ouvrage collectif sur les campagnes #antigenre en Europe.

    Ils s’attaquent principalement aux #droits à la #reproduction, au #mariage et à la #parentalité des #homosexuels, #lesbiennes et #bisexuels, ainsi qu’aux droits sexuels et reproductifs des #femmes. En de nombreux endroits, ils ont aussi remis en cause l’#éducation_sexuelle ainsi que l’éducation contre les #stéréotypes de genre. S’est ensuite greffée à ces combats la remise en cause de la légitimité des études de genre à l’université.
    Les militants des campagnes antigenre se présentent souvent comme des sauveurs de la démocratie : ils disent lutter contre le totalitarisme moderne de la #pensée_unique et du #politiquement_correct. Ils affirment se battre pour la #liberté_religieuse, mais aussi la #liberté_d’expression, limitée selon eux par la jurisprudence en matière de discours de #haine. En Europe, il serait, à les croire, de plus en plus difficile d’être chrétien et d’invoquer sa conscience pour refuser de marier des homosexuels ou de pratiquer des #avortements.

    #PayWall

  • Tiens… des nouvelles d’Alexis Escudero pour l’édition italienne de la Reproduction artificielle de l’humain

    Post-face à l’édition italienne de la Reproduction artificielle de l’humain | Alexis Escudero
    https://alexisescudero.wordpress.com/2017/01/05/post-face-a-ledition-italienne-de-la-reproduction-artifici

    Enfin, c’est le sens de votre question, il existe bien des raisons féministes de refuser la reproduction artificielle. Certaines féministes s’en sont emparé. Elles restent malheureusement minoritaires. Après les chasses aux sorcières et l’accaparement de l’accouchement par les médecins, l’artificialisation de la reproduction parachève le mouvement de médicalisation et de dépossession de la maternité par le pouvoir médical (essentiellement masculin). La reproduction artificielle s’en prend exclusivement au corps des femmes, diagnostiquées, manipulées, prélevées, expertisées, encouragées par le pouvoir médical à retenter indéfiniment leurs chances d’avoir un enfant, subissant alors examens, interventions chirurgicales, fausses couches à répétition, hémorragies. La marchandisation du corps touche principalement celui des femmes : vente d’ovules, gestation pour autrui. Dans un monde où la réussite sociale passe par le fait d’avoir des enfants (et en attendant l’utérus artificiel), la PMA accroît l’injonction à la maternité sur les femmes. En Israël, la politique nataliste agressive de l’Etat, est un fardeau pour les femmes qui ne veulent ou ne peuvent avoir d’enfants. Les nouvelles méthodes de FIV avec injection cytoplasmique du spermatozoïde permettent à des hommes quasi stériles de procréer. La responsabilité de la stérilité repose encore et toujours sur les femmes.

    Vous parlez d’un « féminisme anarchiste, queer » dans lequel on trouverait des voix contre la procréation artificielle. Je ne connais pas le contexte italien. En France, s’il existe une poignée de féministes anarchistes queers, une minorité d’entre elles s’oppose à l’artificialisation de la reproduction, sans parvenir à peser dans le débat public. Dans leur majorité, les personnes qui se réclament de la théorie queer soutiennent ouvertement la PMA. En partie parce que critiquer l’artificialisation de la reproduction revient selon elles à faire le jeu des réactionnaires. Sans doute aussi parce que la reproduction artificielle et le transhumanisme sont des outils formidables pour déconstruire les rôles masculins et féminins, « troubler le genre », remettre en cause la dichotomie entre sexe et genre. Leurs critiques de la médicalisation, du pouvoir médical, s’effacent devant les promesses offertes par les technologies reproductives.

    #critique_techno #féminisme #PMA #GPA #reproduction_artificielle