• Nouveau cri d’alarme du #Refuge_solidaire

    Mettant à l’abri depuis 2017 les migrants arrivant d’Italie, les associations briançonnaises, réunies au sein des Terrasses solidaires alertent sur la saturation du lieu depuis début mai, avec plus d’une centaine de personnes hébergées. La préfecture des hautes-Alpes reconnait qu’il n’y a « actuellement plus de places disponibles » dans le #dispositif_d'hébergement_d'urgence du département, mais n’annonce pas de création de place.

    Les associations regroupées au sein des Terrasses solidaires à Briançon affirment avoir alerté à plusieurs reprises depuis le 10 mai le préfet des hautes-Alpes, #Dominique_Dufour, sur la #saturation de ce lieu. Le bâtiment dispose de 64 places d’#hébergement_d’urgence. Depuis début mai, le nombre de personnes exilées accueillies atteint le double de cette #capacité_d’accueil, avec un pic à 136 personnes dimanche 21 mai. Jean Gaboriau, administrateur de l’association Refuges Solidaires, joint par téléphone lundi, rappelle que l’autorisation administrative du bâtiment, comme établissement recevant du public, est de 81 places.

    "Au quotidien, ça veut dire que le réfectoire sert de dortoir, que dans les petites salles de réunion, on met aussi des dortoirs. On arrive à répartir des gens aussi chez les hébergeurs solidaires, qui prennent quelques personnes soit des familles, soit des femmes et enfants, et la salle paroissiale Saint-Thérèse qui reste à notre disposition quelques nuits par semaine."
    Jean Gaboriau, administrateur de l’association Refuges solidaires

    Une saturation liée à des arrivées un peu plus importantes à la frontière franco-italienne, mais surtout à la rareté et à la cherté des #transports_publics qui empêchent les migrants de poursuivre leur route, selon ce bénévole.

    "Il y a un afflux un peu plus important d’Italie ces temps-ci. On ne sait absolument pas pourquoi, peut-être l’attitude du président tunisien voulant jeter les migrants dehors fait qu’il y a plus d’Africains qui étaient en attente qui partent plus vite. C’est possible, on ne sait pas. Par contre, ce qui est sûr c’est qu’au mois de mai, avec tous les ponts, il y a une offre de transports qui est plutôt défaillante. De surcroît avec la grève des aiguilleurs de la SNCF en Bourgogne qui affecte le #train_de_nuit. Surtout la cherté des billets pendant les ponts fait que les exilés ne peuvent pas continuer leur parcours, tant que les billets sont à des prix prohibitifs. Jean Gaboriau."

    Les associations, qui ont également écrit à plusieurs élus locaux, dont le député des hautes-Alpes Joël Giraud, demandent à l’État d’ouvrir des lieux complémentaires d’hébergement d’urgence.

    "C’est du ressort des pouvoirs publics de prendre en charge des gens qui sont à la rue, sans distinction d’origine. C’est dans la loi française. Jean Gaboriau"

    Contactée par Ram05, la préfecture des Hautes-Alpes nous a répondu par écrit que « d’importants crédits sont mobilisés pour l’hébergement d’urgence dans le département qui dispose de 175 places d’hébergement réparties entre les communes de Gap et de Briançon » mais qu’il n’y avait « actuellement plus de places disponibles dans ce dispositif ».

    La préfecture ajoute que le « dispositif » des Terrasses solidaires » ne fait « pas partie du dispositif État de l’hébergement d’urgence tel que coordonné et géré par nos services ».

    « Généralement, les personnes accueillies au Refuge Solidaire puis aux #terrasses_solidaires sont en transit sur le territoire français avant de repartir vers d’autres pays ou d’autres régions de France, en situation irrégulière, et ne sollicitent pas d’accompagnement social pour une éventuelle intégration sur le territoire haut-alpin », précise la préfecture.

    Interrogé en février 2023 dans l’émission « La Vie publique » (https://ram05.fr/podcasts/la-vie-publique/dominique-dufour-prefet-des-hautes-alpes) sur le #manque_structurel de places d’hébergements d’urgence à Briançon, le préfet des Hautes-Alpes Dominique Dufour avait confirmé que les hébergements d’urgence « ne doivent pas être mobilisés en fonction de la nationalité ou de la situation de tel ou tel ». Il avait assuré que « globalement, on ne fait pas de tri ». Avant de rejeter toute responsabilité sur les associations qui assurent seules depuis 2017, l’accueil des personnes exilées dans le Briançonnais.

    "Je comprends tout à fait qu’il y ait un certain nombre de personnes qui interviennent pour l’assistance aux migrants et d’ailleurs je les rencontre, on en discute. La réponse que j’ai à vous faire sur ce sujet c’est qu’il y a un dispositif de droit commun qui est mis en place par l’État et il est ouvert à tout le monde et puis ensuite, si pour des raisons que je comprends tout à fait les associations veulent intervenir pour l’accompagnement et l’assistance aux migrants, dont je répète mon rôle premier est de faire en sorte qu’ils ne viennent pas de manière irrégulière en France, et bien c’est leur #responsabilité. Dominique Dufour, préfet des Hautes-Alpes"

    L’intégralité de cette interview, diffusée le 24 février 2023, est à retrouver sur notre site (https://ram05.fr/podcasts/la-vie-publique/dominique-dufour-prefet-des-hautes-alpes), de même que notre magazine sur les Terrasses solidaires, diffusé le 5 décembre 2022 : « Terrasses solidaires : après un an d’accueil des exilé·e·s, le tiers-lieu briançonnais veut lancer son second volet » (https://ram05.fr/podcasts/le-mag/49053)

    https://ram05.fr/54073-2

    #Briançon #asile #migrations #réfugiés #accueil #Briançonnais #Hautes-Alpes #frontière_sud-alpine #Alpes #hébergement #mise_à_l'abri

  • #Bien-être : « Tant qu’on utilisera le #yoga pour être en forme au #travail, on aura un problème »

    Loin de nous apporter le bonheur promis, la sphère bien-être perpétue un système nuisible qui ne peut que nous rendre malheureux. Interview de #Camille_Teste.

    Huiles essentielles, massages et salutations au soleil promettent de nous changer de l’intérieur, et le monde avec. À tort ? C’est le sujet de l’essai Politiser le bien-être (https://boutique.binge.audio/products/politiser-le-bien-etre-camille-teste) publié en avril dernier chez Binge Audio Editions. Selon l’ex-journaliste Camille Teste, non seulement nos petits gestes bien-être ne guériront pas les maux de nos sociétés occidentales, mais ils pourraient même les empirer. Rassurez-vous, Camille Teste, aujourd’hui professeur de yoga, ne propose pas de bannir les sophrologues et de brûler nos matelas. Elle nous invite en revanche à prendre conscience du rôle que jouent les pratiques de bien-être, celui de lubrifiant d’un système capitaliste. Interview.

    Le bien-être est la quête individuelle du moment. C’est aussi un #business : pouvez-vous préciser les contours de ce #marché ?

    Camille Treste : La sphère bien-être recouvre un marché très vaste qualifiant toutes les pratiques dont l’objectif est d’atteindre un équilibre dit « intégral », c’est-à-dire psychologique, physique, émotionnel, spirituel et social, au sens relationnel du terme. Cela inclut des pratiques esthétiques, psychocorporelles (yoga, muscu...), paramédicales (sophrologie, hypnose...) et spirituelles. En plein boom depuis les années 90, la sphère bien-être s’est démultipliée en ligne dans les années 2010. Cela débute sur YouTube avec des praticiens et coachs sportifs avant de s’orienter vers le développement personnel, notamment sur Instagram. Rappelons que le milieu est riche en complications, entre dérives sectaires et arnaques financières : par exemple, sous couvert d’élévation spirituelle, certains coachs autoproclamés vendent très cher leurs services pour se former... au #coaching. Un phénomène qui s’accélère depuis la pandémie et s’inscrit dans une dynamique de vente pyramidale ou système de Ponzi.

    Pourquoi la sphère bien-être se tourne-t-elle autant vers les cultures ancestrales ?

    C. T : Effectivement, les thérapies alternatives et les #néospiritualités ont volontiers tendance à picorer dans des pratiques culturelles asiatiques ou latines, comme l’Ayurveda née en Inde ou la cérémonie du cacao, originaire d’Amérique centrale. Ce phénomène relève aussi bien d’un intérêt authentique que d’une #stratégie_marketing. Le problème, c’est que pour notre usage, nous commercialisons et transformons des pratiques empruntées à des pays dominés, colonisés ou anciennement colonisés avant de le leur rendre, souvent diluées, galvaudées et abîmées, ce qu’on peut qualifier d’#appropriation_culturelle. C’est le cas par exemple des cérémonies ayahuasca pratiquées en Amazonie, durant lesquelles la concoction hallucinogène est originellement consommée par les chamanes, et non par les participants. Pourquoi cette propension à se servir chez les autres ? Notre culture occidentale qui a érigé la #rationalité en valeur suprême voit d’un mauvais œil le pas de côté spirituel. Se dissimuler derrière les pratiques de peuples extérieurs à l’Occident procure un #alibi, une sorte de laissez-passer un peu raciste qui autorise à profiter des bienfaits de coutumes que l’on ne s’explique pas et de traditions que l’on ne comprend pas vraiment. Il ne s’agit pas de dire que les #pratiques_spirituelles ne sont pas désirables, au contraire. Mais plutôt que de nous tourner vers celles d’autres peuples, peut-être pourrions-nous inventer les nôtres ou renouer avec celles auxquelles nous avons renoncé avec la modernité, comme le #néodruidisme. Le tout évidemment, sans renoncer à la #médecine_moderne, à la #science, à la rationalité, et sans tomber dans un #traditionalisme_réactionnaire.

    Vous affirmez que la sphère bien-être est « la meilleure amie du #néolibéralisme. » Où est la connivence ?

    C. T : La #culture_néolibérale précède bien sûr l’essor de la sphère bien-être. Théorisée au début du 20ème siècle, elle s’insère réellement dans nos vies dans les années 80 avec l’élection de Reagan-Thatcher. Avant cette décennie, le capitalisme laissait de côté nos relations personnelles, l’amour, le corps : cela change avec le néolibéralisme, qui appréhende tout ce qui relève de l’#intime comme un marché potentiel. Le capitalisme pénètre alors chaque pore de notre peau et tous les volets de notre existence. En parallèle, et à partir des années 90, le marché du bien-être explose, et l’économiste américain Paul Zane Pilzer prédit à raison qu’au 21ème siècle le marché brassera des milliards. Cela a été rendu possible par la mécanique du néolibéralisme qui pose les individus en tant que petites entreprises, responsables de leur croissance et de leur développement, et non plus en tant que personnes qui s’organisent ensemble pour faire société et répondre collectivement à leurs problèmes. Peu à peu, le néolibéralisme impose à grande échelle cette culture qui nous rend intégralement responsable de notre #bonheur et de notre #malheur, et à laquelle la sphère bien-être répond en nous gavant de yoga et de cristaux. Le problème, c’est que cela nous détourne de la véritable cause de nos problèmes, pourtant clairement identifiés : changement climatique, paupérisation, système productiviste, réformes tournées vers la santé du marché et non vers la nôtre. Finalement, la quête du bien-être, c’est le petit #mensonge que l’on se raconte tous les jours, mensonge qui consiste à se dire que cristaux et autres cérémonies du cacao permettent de colmater les brèches. En plus d’être complètement faux, cela démantèle toujours plus les #structures_collectives tout en continuant d’enrichir l’une des vaches à lait les plus grasses du capitalisme.

    Il semble que le #collectif attire moins que tout ce qui relève l’intime. Est-ce un problème d’esthétique ?

    C. T : La #culture_individualise née avec les Lumières promeut l’égalité et la liberté, suivie au 19ème et 20ème siècles par un effet pervers. L’#hyper-individualisme nous fait alors regarder le collectif avec de plus en plus d’ironie et rend les engagements – notamment ceux au sein des syndicats – un peu ringards. En parallèle, notre culture valorise énormément l’#esthétique, ce qui a rendu les salles de yoga au design soignées et les néospiritualités très attirantes. Récemment, avec le mouvement retraite et l’émergence de militants telle #Mathilde_Caillard, dite « #MC_danse_pour_le_climat » – qui utilise la danse en manif comme un outil de communication politique –, on a réussi à présenter l’#engagement et l’#organisation_collective comme quelque chose de cool. La poétesse et réalisatrice afro-américaine #Toni_Cade_Bambara dit qu’il faut rendre la résistance irrésistible, l’auteur #Alain_Damasio parle de battre le capitalisme sur le terrain du #désir. On peut le déplorer, mais la bataille culturelle se jouera aussi sur le terrain de l’esthétique.

    Vous écrivez : « La logique néolibérale n’a pas seulement détourné une dynamique contestataire et antisystème, elle en a fait un argument de vente. » La quête spirituelle finit donc comme le rock : rattrapée par le capitalisme ?

    C. T : La quête de « la meilleure version de soi-même » branchée sport et smoothie en 2010 est revue aujourd’hui à la sauce New Age. La promesse est de « nous faire sortir de la caverne » pour nous transformer en sur-personne libérée de la superficialité, de l’ego et du marasme ambiant. Il s’agit aussi d’un argument marketing extrêmement bien rodé pour vendre des séminaires à 3 333 euros ou vendre des fringues censées « favoriser l’#éveil_spirituel » comme le fait #Jaden_Smith avec sa marque #MSFTSrep. Mais ne nous trompons pas, cette rhétorique antisystème est très individualiste et laisse totalement de côté la #critique_sociale : le #New_Age ne propose jamais de solutions concrètes au fait que les plus faibles sont oppressés au bénéfice de quelques dominants, il ne parle pas de #lutte_des_classes. Les cristaux ne changent pas le fait qu’il y a d’un côté des possédants, de l’autre des personnes qui vendent leur force de travail pour pas grand-chose. Au contraire, il tend à faire du contournement spirituel, à savoir expliquer des problèmes très politiques – la pauvreté, le sexisme ou le racisme par exemple – par des causes vagues. Vous êtes victime de racisme ? Vibrez à des fréquences plus hautes. Votre patron vous exploite ? Avez-vous essayé le reiki ?

    Le bien-être est-il aussi l’apanage d’une classe sociale ?

    C. T : Prendre soin de soi est un #luxe : il faut avoir le temps et l’argent, c’est aussi un moyen de se démarquer. Le monde du bien-être est d’ailleurs formaté pour convenir à un certain type de personne : blanche, mince, aisée et non handicapée. Cela est particulièrement visible dans le milieu du yoga : au-delà de la barrière financière, la majorité des professeurs sont blancs et proposent des pratiques surtout pensées pour des corps minces, valides, sans besoins particuliers.

    Pensez notre bien-être personnel sans oublier les intérêts du grand collectif, c’est possible ?

    C. T : Les espaces de bien-être sont à sortir des logiques capitalistes, pas à jeter à la poubelle car ils ont des atouts majeurs : ils font partie des rares espaces dédiés à la #douceur, au #soin, à la prise en compte de nos #émotions, de notre corps, de notre vulnérabilité. Il s’agit tout d’abord de les transformer pour ne plus en faire un bien de consommation réservé à quelques-uns, mais un #bien_commun. C’est ce que fait le masseur #Yann_Croizé qui dans son centre masse prioritairement des corps LGBTQI+, mais aussi âgés, poilus, handicapés, souvent exclus de ces espaces, ou la professeure de yoga #Anaïs_Varnier qui adapte systématiquement ses cours aux différences corporelles : s’il manque une main à quelqu’un, aucune posture ne demandera d’en avoir deux durant son cours. Je recommande également de penser à l’impact de nos discours : a-t-on vraiment besoin, par exemple, de parler de féminin et de masculin sacré, comme le font de nombreux praticiens, ce qui, en plus d’essentialiser les qualités masculines et féminines, est très excluant pour les personnes queers, notamment trans, non-binaires ou intersexes. Il faut ensuite s’interroger sur les raisons qui nous poussent à adopter ces pratiques. Tant que l’on utilisera le yoga pour être en forme au travail et enrichir des actionnaires, ou le fitness pour renflouer son capital beauté dans un système qui donne plus de privilèges aux gens « beaux », on aura un problème. On peut en revanche utiliser le #yoga ou la #méditation pour réapprendre à ralentir et nous désintoxiquer d’un système qui nous veut toujours plus rapides, efficaces et productifs. On peut utiliser des #pratiques_corporelles comme la danse ou le mouvement pour tirer #plaisir de notre corps dans un système qui nous coupe de ce plaisir en nous laissant croire que l’exercice physique n’est qu’un moyen d’être plus beau ou plus dominant (une idée particulièrement répandue à l’extrême-droite où le muscle et la santé du corps servent à affirmer sa domination sur les autres). Cultiver le plaisir dans nos corps, dans ce contexte, est hautement subversif et politique... De même, nous pourrions utiliser les pratiques de bien-être comme des façons d’accueillir et de célébrer nos vulnérabilités, nos peines, nos hontes et nos « imperfections » dans une culture qui aspire à gommer nos failles et nos défauts pour nous transformer en robots invulnérables.

    https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/bien-etre-tant-quon-utilisera-le-yoga-pour-etre-en-forme-au-travail-on-aura-un-
    #responsabilité

    voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/817228

  • Comment la #France verrouille son #passé_colonial

    La polémique en France sur la notion de #crime_contre_l'humanité du temps de la #colonisation rappelle les vifs débats causés dans ce même pays il y a plus de dix ans par l’adoption de la loi du 23 février 2005 qui ne retenait que le « rôle positif de la présence française outre-mer ». L’« #affaire_Macron » met en exergue le profond malaise lié au passé colonial de la France, souligne la professeure de droit Sévane Garibian.

    Quoi que l’on pense des propos récents d’#Emmanuel_Macron sur la #colonisation_française, il est utile d’observer leurs effets en recourant à une temporalité plus longue, dépassant le court terme médiatico-politique. La #polémique née il y a quelques jours en France rappelle, en symétrie inversée, les vifs débats causés dans ce même pays il y a plus de dix ans par l’adoption de la loi du 23 février 2005 qui ne retenait que le « #rôle_positif de la présence française outre-mer ». La disposition litigieuse (finalement abrogée par décret en 2006), tout comme les rebondissements et double discours dans ladite « affaire Macron », auront eu pour mérite de mettre en acte le profond #malaise lié au passé colonial de la France.

    Ce trouble s’est régulièrement nourri de résistances dont nous trouvons de multiples traces dans le champ du #droit, grand absent des commentaires de ces derniers jours. Abordons donc cette polémique de biais : par ce qu’elle ne dit pas, par ce qu’elle occulte. Rappelons ainsi que la Cour de cassation française eut l’occasion de produire une jurisprudence relative aux #crimes commis en #Algérie (#affaires_Lakhdar-Toumi_et_Yacoub, 1988) ainsi qu’en #Indochine (#affaire_Boudarel, 1993). Une #jurisprudence méconnue, ou tombée dans l’oubli, qui soulevait pourtant directement la question de la qualification ou non de crime contre l’humanité pour ces actes.

    Les précédents

    Plusieurs historiens ont pu souligner dernièrement la distinction entre les usages juridiques, historiques et moraux du concept de crime contre l’humanité, tout en rappelant que ce dernier ne peut se trouver, aujourd’hui en France, au cœur de #poursuites_pénales visant les #crimes_coloniaux. Quelle est donc l’histoire du droit menant à un tel constat ? Afin de mieux comprendre ce dont il s’agit, il est possible d’ajouter deux distinctions à la première.

    D’abord, une distinction entre le problème de la #qualification de crime contre l’humanité (qui renvoie à la question complexe de la #définition de ce crime en #droit_français), et celui de l’#amnistie prévue, pour les crimes visés, par des lois de 1966 et 1968. Ces deux points fondent les justifications discutables du refus de poursuivre par la #Cour_de_cassation dans les affaires précitées ; mais seul le premier constituait déjà le réel enjeu. En l’état du droit, et contrairement à ce qu’affirmaient alors les juges de cassation, la qualification de crime contre l’humanité aurait en effet pu permettre, au-delà du symbole, de constater une #imprescriptibilité (inexistante en France pour les crimes de guerre) défiant l’amnistie.

    Plus tard, la Cour de cassation admettra d’ailleurs en creux le caractère « inamnistiable » des crimes contre l’humanité, non reconnus en l’espèce, dans l’affaire de la manifestation du 17 octobre 1961, en 2000, puis dans l’#affaire_Aussaresses en 2003 – toutes deux en relation avec les « évènements d’Algérie ». Entre les deux, elle confirmera dans l’#affaire_Ely_Ould_Dah (2002) la poursuite, en France, d’un officier de l’armée mauritanienne pour des faits de #torture et des actes de #barbarie amnistiés dans son propre pays : il semble manifestement plus aisé d’adopter une attitude claire et exigeante à l’encontre de lois d’amnistie étrangères.

    Volonté de verrouillage

    En outre, et c’est là que se niche la seconde distinction, une analyse plus poussée du raisonnement de la Cour dans les affaires Lakhdar-Toumi, Yacoub et Boudarel met en lumière une volonté des juges de verrouiller toute possibilité de traitement des crimes coloniaux. Il importe donc de distinguer ici les questions de droit et les politiques juridiques qui sont à l’œuvre. L’historienne Sylvie Thénault écrivait récemment que « toute #définition_juridique est le résultat d’une construction par des juristes et d’une évolution de la jurisprudence » (Le Monde du 16 février). Or il n’existait à l’époque des affaires précitées que des définitions jurisprudentielles, plus (#affaire_Barbie) ou moins (#affaire_Touvier) larges du crime contre l’humanité en France, lequel ne fera son apparition dans le Code pénal qu’en 1994.

    A y regarder de plus près, on comprend que les juges de cassation rejettent la qualification de crime contre l’humanité pour les crimes coloniaux à plusieurs reprises, en choisissant de s’appuyer exclusivement sur la #jurisprudence_Touvier. Celle-ci limite, à l’inverse de la #jurisprudence_Barbie, la définition du crime contre l’humanité aux crimes nazis commis « pour le compte d’un pays européen de l’Axe ». Si la jurisprudence Touvier permit en son temps d’esquiver habilement le problème de la #responsabilité de la France de Vichy, elle bloquera aussi, par ricochet, toute possibilité de répression des crimes perpétrés par des Français pour le compte de la France, jusqu’en 1994.

    Le verrouillage est efficace. Et le #refoulement créé par cette configuration juridique, souvent ignorée, est à la mesure du trouble que suscitent encore aujourd’hui les faits historiques survenus dans le contexte de la #décolonisation. Plus généralement, l’ensemble illustre les multiples formes d’usages politiques de l’histoire, comme du droit.

    https://www.letemps.ch/opinions/france-verrouille-passe-colonial

    ping @cede @karine4

  • L’alluvione in Emilia-Romagna: le lacrime di coccodrillo sopra un consumo di suolo senza argine

    La Regione sconvolta in questi giorni è la prima in Italia per cementificazione in aree alluvionali, come mostrano i dati dell’Ispra, ignorati dai più fino a ogni disastro: più 78,6 ettari nel 2021 nelle aree ad elevata pericolosità idraulica; più 501,9 in quelle a media pericolosità. Altro che “è colpa delle nutrie”, osserva il prof. Paolo Pileri

    Non mancando di rispetto alle vittime delle esondazioni nel ravennate, è corretto ricordare quel che l’ipocrisia di molte parole politiche in queste ore nasconde: l’Emilia-Romagna, da anni, consuma suolo come se non ci fosse un domani, parandosi dietro a una legge urbanistica regionale del 2017 (la numero 24) che fa letteralmente acqua da tutte le parti per quanto riguarda la tutela del suolo. E i nodi vengono al pettine.

    Insopportabili le lacrime dei politici e delle varie autorità civili o di alcune organizzazioni dell’agricoltura che riescono a prendersela perfino con le nutrie che bucano gli argini, tanta è la miopia o la svogliatezza di vedere che il clima è cambiato per causa nostra e siamo noi i soli responsabili di tutto ciò. La nostra urbanistica, la nostra agricoltura, la nostra mobilità autocentrica, la nostra idea di crescita e sviluppo. Siamo noi le nutrie, noi i sapiens che non vogliamo smettere di consumare suolo, di cementificare in ogni dove, di tenere in piedi questo modello sociale ed economico dilapidatore di natura. Oggi sono tutti a piangere ma ieri erano tutti schierati a deridere e non considerare quanti di noi, pochi ahinoi, sostenevano pubblicamente che la legge urbanistica della Emilia-Romagna, con il suo maledetto 3% di consumo di suolo sempre possibile, non avrebbe che aggravato la situazione, aumentato le metastasi.

    Tanto per ricordare i numeri e non le opinioni, e cito dati tratti dal rapporto Ispra sul Consumo di suolo, dinamiche territoriali e servizi ecosistemici del 2022 a cura di Michele Munafò. Tra il 2020 e il 2021 l’Emilia-Romagna è stata la terza Regione italiana per consumo di suolo, più 658 ettari cementificati in un solo anno, pari al 10,4% di tutto il consumo di suolo nazionale. In pochi anni -e con questi governanti- la Regione è arrivata ad avere una superficie impermeabile dell’8,9% contro una media nazionale del 7,1%. E tutti sappiamo perfettamente che sull’asfalto l’acqua non si infiltra e scorre veloce accumulandosi in quantità ed energia, ovvero provocando danni e vittime.

    Tutti noi sappiamo che tra un suolo libero e uno cementificato la quantità d’acqua che scorre violentemente in superficie aumenta di oltre cinque volte. Tutti noi sappiamo che le piogge saranno sempre peggiori, eppure continuiamo a prendercela con le “bombe d’acqua” e non con quelle di cemento che nel frattempo e ogni giorno noi sapiens sganciamo sul nostro territorio, rendendolo più vulnerabile. La provincia di Ravenna è stata la seconda provincia regionale per consumo di suolo nel 2020-2021 (più 114 ettari, pari al 17,3% del consumo regionale) con un consumo procapite altissimo (2,95 metri quadrati per abitante all’anno); è quarta per suolo impermeabilizzato procapite (488,6 m²/ab).

    La città di Ravenna è stato il capoluogo più consumatore di suolo dell’intera Regione nello scorso anno (più 69 ettari). E che cosa si fa? Si va avanti. In Regione si consuma perfino nelle aree protette (più 2,1 ettari nel 2020-2021), nelle aree a pericolosità di frana (più 11,8 ettari nel 2020-2021), nelle aree a pericolosità idraulica dove l’Emilia-Romagna vanta un vero e proprio record essendo la prima Regione d’Italia per cementificazione in aree alluvionali: più 78,6 ettari nelle aree ad elevata pericolosità idraulica; più 501,9 in quelle a media pericolosità che è poi più della metà del consumo di suolo nazionale con quel grado di pericolosità idraulica: pazzesco.

    Come si fa a dire che è colpa delle nutrie? O a piangere quando qualche anno prima si approvava una legge che faceva acqua ovunque e quando il tema dello stop al consumo di suolo non fa parte dei propri discorsi politici tutti i giorni? Come si fa a piangere quando l’Emilia-Romagna non ha fatto nulla negli anni passati per portare al tavolo di tutte le Regioni una proposta di legge nazionale contro il consumo di suolo? Come si fa a piangere quando non si è capaci di parlare di biodiversità, di cambiamenti climatici e di altri modelli economici e sociali? E tanto per concludere con le ipocrisie, l’Emilia-Romagna si è costruita una legge urbanistica talmente ingannevole da autoprodursi assoluzioni come quella che si può vedere sul sito della città metropolitana di Bologna dove, come per incanto, dal 2018 fino a oggi i consumi di suolo sono magicamente diventati zero. Ma non perché hanno smesso di consumare (tutt’altro), solo perché hanno manomesso le definizioni urbanistiche al punto tale da riuscire a non conteggiare più le cementificazioni e risultare così tutti virtuosi e contenti per legge, non per virtù.

    Capite fin dove arriva l’ipocrisia? Capite l’urgenza di svoltare pagina? Capite che abbiamo bisogno di politici e urbanisti che siano in grado di ipotizzare un futuro possibile senza consumare suolo, senza una transizione energetica mangiando aree agricole, senza immense colate di cemento per la logistica e le autostrade e così via. Capite che la lacuna è culturale? Capite che non abbiamo bisogno di ministri che girano la testa dall’altra parte o ministri che si occupano di alte velocità inutili o ponti impossibili davanti a un paese che affoga a ogni pioggia o di ministri che si permettono di dire che esistono consumi di suolo buoni, come è capitato durante la presentazione dell’ultimo rapporto nazionale? Qui non c’è nulla di buono. È un diritto di noi tutti avere un governo regionale e nazionale che tutela il suolo e la natura e ferma questo saccheggio continuo, questi “vandali in casa” come disse più di 50 anni fa Antonio Cederna, profeta inascoltato.

    https://altreconomia.it/lalluvione-in-emilia-romagna-le-lacrime-di-coccodrillo-sopra-un-consumo

    #inondations #Italie #Emilie-Romagne #responsabilité #artificialisation_des_sols #aménagement_territorial #sol #hypocrisie

  • Mission accomplie ? Les effets mortels du contrôle des frontières au #Niger

    Résumé

    Le 26 mai 2015, le Parlement du Niger a adopté la #loi n° #2015-36 sur le #trafic_illégal_de_migrants, qui a donné lieu à une approche répressive et sécuritaire de la gestion des migrations. La loi a été rédigée sous l’égide de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), et le soutien financier de l’Italie et du Danemark.

    Les prestataires de services aux migrants (tels que transporteurs, hôtes, courtiers, etc.) qui, jusqu’alors, opéraient au grand jour dans le contexte d’une infrastructure de mobilité transsaharienne socialement et économiquement cruciale, se sont retrouvés soudainement criminalisés et exposés à des sanctions sévères ainsi qu’à des peines d’emprisonnement.

    De nouvelles formes de contrôle des frontières ont été mises en place, avec le soutien technique r et financier des institutions de l’UE et des États membres désireux de contenir la migration à travers le Sahara. Au cours années suivantes i, des milliers de décès et de disparitions de migrants ont été enregistrés dans le nord du Niger. Le gouvernement nigérien, les médias et les agences de l’UE telles que Frontex ont imputés la responsabilité de l’augmentation du nombre de décès et de disparitions aux transporteurs , désormais considérés comme des passeurs négligents et cupides. Grâce à sa fermeté, le Niger a été érigé en modèle en matière de “lutte contre le trafic illicite de migrants”. Le gouvernement nigérien et ses partenaires internationaux ont ainsi développé un discours de “mission accomplie”, se vantant d’avoir réussi à réduire le nombre de “migrants” transitant par le Niger et soulignant la protection des migrants contre les passeurs.

    Ce récit a été remise a été contesté par de nombreux journalistes, activistes et chercheurs , soutenant au contraire, que cette loi n’a fait qu’exacerber les dangers de mort auxquels sont confrontés les migrants i. Ils ont mis en évidence le rôle du Niger en tant que lieu stratégique clé du contrôle de la mobilité dans le cadre des politiques d’externalisation des frontières de l’UE, à travers lesquelles l’UE a étendu le contrôle de ses frontières au-delà de son périmètre, y compris toujours plus au sud dans la bande Saharo-sahélienne. Leurs analyses ont montré que les effets de la loi, ainsi que les nombreuses formes de contrôle aux frontières qui se sont développées ces dernières années, ont contraint les trajectoires les transporteurs dans des zones plus reculées du désert, créant ainsi des situations dangereuses et souvent fatales lorsqu’un véhicule tombe en panne ou que les transporteurs abandonnent leurs passagers et s’enfuient afin d’éviter d’être appréhendés. Des activistes, des journalistes et des chercheurs travaillent sans relâche depuis des années pour attirer l’attention sur la façon dont la mise en œuvre de la loi a conduit à un désastre humanitaire pour les migrants et les Nigériens, ainsi qu’à une précarité économique et à la crainte d’amendes sévères et d’emprisonnement parmi les locaux, en particulier pour ceux qui vivent dans la région d’Agadez.

    En dépit de ces efforts, le nombre réel de décès de migrants dans le reste inconnu. En effet, les sanctions sévères prévues par la loi ont contraint les mouvements transsahariens à l’intérieur du Niger à se poursuivre dans la clandestinité et dans les zones les plus reculées du désert, où les incidents peuvent facilement passer inaperçus. Par conséquent, il est devenu encore plus difficile de recueillir des données fiables sur les décès.

    Dans ce rapport, l’enquête de Border Forensics mobilise des méthodologies nouvelles et uniques d’analyse géospatiale et de télédétection pour contribuer à une meilleure analyse empirique des effets mortels de la loi 2015-36 et du renforcement des contrôles aux frontières qui en découle. Nous détaillons d’abord le contexte sous-jacent aux changements spectaculaires obervées dans l’approche de la migration au niveau national au Niger, et le rôle des acteurs européens dans le développement des contrôles frontaliers au Niger à partir de 2015 pour contenir la migration vers l’Europe. Puis, nous discutons des défis liés à la collecte de données et limitant la disponibilité de preuves empiriques pour documenter les effets de la loi 2015-36. Ensuite, nous décrivons les méthodologies uniques que nous avons développées et les sources de données auxquelles nous avons eu accès, avant de les appliquer à une étude de cas multi-sites le long d’une section de la route Agadez-Sabha qui s’étend de la ville civile de Séguédine au poste frontalier de Toummo à la frontière nigéro-libyenne, en passant par le poste militaire de Madama. Après une brêve description de chacun des sites, nous décrivons les analyses géospations et de télédétection que nous avons déployées sur chacun d’eux. Enfin, nous discutons des implications de ces résultats pour déterminer les responsabilités des dangers accrus des traversées transsahariens au Niger dans le sillage de la loi 2015-036.

    Bien que nos analyses de chaque site révèlent des dynamiques variées de pratiques frontalières et d’éclatement des trajectoires, un modèle récurrent émerge, indiquant une corrélation claire entre le renforcement des contrôles frontaliers et la dispersion des trajectoires des migrants. Nous démontrons ensuite comment cette dispersion voit les trajectoires des migrants s’enfoncer dans le désert, où les chances de survie sont considérablement réduites dans les cas d’incidents récurrents tels que les pannes de véhicule, d’abandon, ou de passagers à court d’eau. Nous rendons ainsi visible et mesurable l’un des plus grands risques encourus lors de cette traversée du désert du Sahara : un état de déshydratation potentiellement mortel dans les zones moins fréquentées et moins surveillées.

    Les méthodologies innovantes présentées dans ce rapport sont destinées à servir de base à l’élargissement de la base de preuves sur les effets de l’externalisation des frontières. Ces éléments de preuves peuvent soutenir les appels à une plus grande responsabilisation de tous les acteurs engagés dans la gestion des frontières, notamment le gouvernement nigérien, l’UE et ses États membres, ainsi que les agences de l’ONU.

    https://www.borderforensics.org/fr/investigations/niger-investigation

    #frontières #externalisation #migrations #réfugiés #asile #répression #morts_aux_frontières #létalité #décès #mourir_aux_frontières #criminalisation #contrôles_frontaliers #passeurs #transporteurs #Agadez #déshydratation #désert #responsabilité #Border_forensics

    a contribué à l’enquête @rhoumour

    • ’Migrants abandoned in the Sahara Desert have no chance of surviving’ — Border Forensics

      A new report released by Border Forensics concludes that migrants have almost no chance of surviving when crossing the desert from Niger to Libya. Ever since the introduction of border control laws in 2015, migrants have been forced to take more remote and deadly paths, according to Border Forensics.

      Border Forensics, an agency that uses spatial analysis to investigate practices of border violence, recently published an investigation on the consequences of new border control mechanisms between Niger and Libya. The collective, composed of researchers and geographers, has shown how crossing the desert to reach Libya has become increasingly deadly since 2015.

      That year, Niamey adopted a law making transporting and hosting migrants illegal. Consequently, traffickers had to find new routes that were further away from the main roads and less visible to the authorities.

      According to the Border Forensics report, the death toll in the Sahara Desert has never been higher than it is today.

      InfoMigrants interviewed Rhoumour Ahmet Tchilouta, a member of Border Forensics and a PhD student in political geography at the University of Grenoble.

      InfoMigrants: What techniques did you use for this investigation?

      Rhoumour Ahmet Tchilouta: We used geospatial data. The aim was to measure the effect of the Nigerien law of 2015 on the routes taken by migrants through the Sahara desert.

      We focused on the route linking Agadez, in northern Niger, to Sabha, in Libya.

      We analyzed high-resolution satellite images to understand the new paths that migrants take in order to avoid the authorities. With satellite data, it is possible to obtain very clear images and see the smallest details very precisely. For example, you can see a wrecked vehicle or streams of people.

      We also analyzed the risks associated with dehydration using a technique which is also used by researchers working on the route from Mexico to the United States.

      We conducted interviews with drivers [members of an irregular immigration network responsible for transporting migrants in vehicles through Niger, editor’s note] who detailed the new zones of trajectories to us.

      We compared these trajectories with the main routes and then we considered several factors — like elevation, heat or the wind. We also analyzed how much a person sweats, specifically how many liters of water a migrant will lose as they try to reach the main road after being abandoned in the desert.

      With the accumulated factors, we can now say that the migrants abandoned in the Sahara Desert have no chance of surviving.

      The migrants are too far away from main roads to be spotted and helped in the case of an accident. The human body cannot last that long.

      In addition, by analyzing the field of vision, meaning the visibility or invisibility of the routes, we show the correlation between invisibility and the dangers that migrants face. The less visible the routes, the more deadly the situation becomes for migrants. The main cause of death is always the same: lack of water.

      IM: In the report, you state that the “Sahara is an open tomb”. You write that bodies can be found months or even years after death.

      Rhoumour Ahmet Tchilouta: In the Sahara desert, sandstorms and windstorms are frequent. Vehicle tracks disappear quickly. If you put an object in the sand, it quickly disappears.

      The same rule applies to cadavers. Some remain buried forever.

      Windstorms can also unearth bodies. There are very regular reports of macabre discoveries in the desert. We find dried up bodies, suddenly exposed by the movements of sand.

      IM: Why do you carry out this type of research work and for what purpose?

      Rhoumour Ahmet Tchilouta : The purpose of this investigation is to provide evidence. For years, journalists, researchers and organizations have said the 2015 law has caused a lot of suffering by making the road to Libya much more dangerous. Except there was no proof.

      This report shows how border policies have accentuated the dangers faced by migrants on the road between Niger and Libya.

      New empirical data of the mechanisms through which border controls have led to increased danger for migrants now exists.

      There is also another objective: to highlight the violence of the migration policies implemented in Niger.

      IM: Who is accountable for the increased death and suffering of migrants?

      Rhoumour Ahmet Tchilouta: There have always been deaths in the desert but never as many as now.

      The 2015 law in Niger has had devastating effects and the main actor responsible for the migratory dramas is Niger. Yet, without European and UN funding, Niger would never have been able to implement its policy.

      One of the main partners in migration control in Niger is the International Organization for Migration (IOM): it is involved in the construction of border posts and the strengthening of Niger’s defense and security forces.

      The UN agency is Niamey’s main partner. The EU funds the partnership.

      European players therefore play an important role. The EU Emergency Trust Fund for Africa has provided about €300 million to Niger.

      All actors operating in Niger believe the mission of stopping migratory flows has been partially accomplished. This is false, the policy has simply forced migrants to take increasingly distant and dangerous paths.

      https://www.infomigrants.net/en/post/48858/migrants-abandoned-in-the-sahara-desert-have-no-chance-of-surviving--b

    • Europas Wüste

      Die EU möchte Migration verhindern – und das bereits außerhalb ihrer eigentlichen Grenzen. Welche Auswirkungen das hat, zeigt ein Blick auf die Situation im Niger.

      Die Bundesregierung hat sich kürzlich auf eine gemeinsame Strategie zur Reform des europäischen Asylrechts geeinigt. In Auffanglagern an den EU-Außengrenzen soll das Schicksal tausender Geflüchteter im Schnellverfahren entschieden werden. Dabei gibt sich die europäische Gemeinschaft größte Mühe, Migrant:innen proaktiv von ihren eigenen Grenzen fernzuhalten.

      Ein Beispiel: Die Bundeswehr wird sich an der »EU Military Partnership Mission In Niger« beteiligen. Im Sinne der Friedensstiftung in der Sahelzone sollen Maßnahmen getroffen werden, um die Geflüchteten möglichst schon mitten in Afrika an der Weiterreise zu hindern. So wird die Sahara-Wüste zum großen und tödlichen Hindernis – und zur ersten Grenze der EU mitten in Afrika – wie es Menschenrechtsaktivist:innen vor Ort nennen.

      In dieser Folge von Global Trouble sprechen wir mit Kerem Schamberger über die Situation im Niger. Er ist in der Öffentlichkeitsarbeit von medico international für den Bereich Flucht und Migration zuständig und hat das westafrikanische Land besucht. Gemeinsam mit den medico-Partnerorganisationen „Alarmphone Sahara“ und „Border Forensics“ blicken wir auf die Folgen von Europas Externalisierung des Grenzregimes.

      https://www.medico.de/europas-wueste-19081
      #podcast

    • Sahara : La collaboration entre le Niger et l’UE pour renforcer les contrôles aux frontières met en danger la vie des migrants

      Border Forensics a développé de nouvelles méthodes d’analyse géospatiale pour mesurer l’impact du renforcement des contrôles sur les risques encourus par les migrants lors de la traversée du désert du Sahara nigérien.

      Une loi sur le “trafic illicite de migrants” adoptée par le Niger en 2015 et mise en oeuvre avec le soutien décisif des États, institutions et agences européens, a provoqué une crise humanitaire tant pour les migrants que pour les Nigériens empruntant les routes transsahariennes du Niger. L’enquête publiée par Border Forensics s’appuie sur des méthodes innovantes d’analyse géospatiale pour apporter de nouvelles preuves sur la manière dont ces politiques et pratiques ont accentué les risques de perte de vies humaines.
      Afin de prévenir la migration à travers le nord du Niger vers la Libye, le Gouvernement nigérien, Dans le but de contrecarrer la migration à travers le nord du Niger vers la Libye, les autorités européennes ont criminalisé les prestataires de services aux migrants (transporteurs, hôtes, courtiers, etc.), qui constituaient jusqu’alors une infrastructure vitale de la mobilité transsaharienne. Ils ont établi de nouvelles formes de contrôle aux frontières. Celles-ci n’ont pas mis fin à la mobilité dans la région, au contraire, elles ont forcé les trajectoires des transporteurs vers des zones encore plus reculées du désert, créant ainsi des conditions dangereuses et souvent fatales lorsqu’un véhicule tombe en panne ou que les transporteurs abandonnent leurs passagers en fuyant d’être appréhendés.
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      “En raison des sanctions sévères prévues par la loi et du renforcement des contrôles aux frontières, les mouvements transsahariens à l’intérieur du Niger ont été contraints à la clandestinité. Ce faisant, on ignore l’ampleur réelle des décès de migrants dans le désert. Pour pallier ce manque de données fiables et contribuer à une meilleure analyse empirique des effets meurtriers de la loi de 2015-36, nous avons dû développer de nouvelles méthodes d’analyse géospatiale, en nous appuyant notamment sur le travail des activistes et des chercheurs qui ont documenté les décès de migrants dans le désert de Sonora, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.” – Tara Plath.
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      L’enquête de Border Forensics mobilise ces méthodologies géospatiales et de télédétection novatrices pour analyser la relation entre les pratiques frontalières, les changements spatiaux dans les trajectoires des migrants et les dangers accrus de la traversée du desert du Sahara nigérien.
      Le rapport a déployé ces méthodes pour une étude de cas sur plusieurs sites le long d’une section de la route reliant Agadez, dans le nord du Niger, à Sabha, en Libye : la ville civile de Séguédine, le poste militaire avancé de Madama et le poste de contrôle de Toumo à la frontière nigéro-libyenne. Les analyses menées par Border Forensics sur chaque site révèlent un schéma clair établissant un lien entre le renforcement des contrôles aux frontières et les changements de trajectoire des migrants, qui s’enfoncent dans le désert, où les chances de survie sont considérablement réduites en cas d’incidents récurrents tels que la panne du véhicule, d’abandon ou de pénurie d’eau. L’enquête permet ainsi de rendre visible et mesurable les dangers accrus rencontrés par les migrants à travers l’un des plus grands risques encourus dans ces voyages transsahariens : un état de déshydratation potentiellement mortel dans les zones les moins fréquentées et les moins visibles. La corrélation observée entre le niveau d’invisibilité des pistes alternatives utilisées par les migrants pour éviter les contrôles aux frontières et le niveau de danger potentiel rencontré le long de ces pistes post-2015 suggère une relation de cause à effet.

      Au-delà des pertes tragiques en vies humaines, la loi 2015-36 a eu aussi d’autres effets néfastes. Elle a contribué à saper le tissu social, économique et politique des communautés affectées au Niger et au-delà. Elle a eu un impact sur les moyens de subsistance des populations locales mettant ainsi en péril leur stabilité économique et leur bien-être, tout en restreignant la mobilité au Niger des citoyens de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest qui, conformément aux accords régionaux, devraient pourtant bénéficier de la liberté de circulation et du droit de résider et de s’installer au Niger. Ces éléments peuvent appuyer les appels à une plus grande responsabilisation de tous les acteurs engagés dans la gestion des frontières, en particulier le gouvernement nigérien, l’UE et ses États membres, ainsi que les agences de l’ONU.
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      “Tous les acteurs – qu’ils soient nigériens, européens, des agences de l’ONU ou autres – impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette loi devraient être tenus responsables de l’augmentation des décès et des souffrances des migrants qu’elle a entraînée. Le gouvernement du Niger devrait mettre fin à la criminalisation des nombreux acteurs qui transportent ou interagissent avec les migrants, tandis que l’Union européenne, ses agences et ses États membres devraient immédiatement cesser de soutenir des politiques migratoires néfastes au Niger et au-delà par le biais de l’externalisation de leur dispositifs de contrôle des frontières.”

      https://airinfoagadez.com/2023/05/14/sahara-la-collaboration-entre-le-niger-et-lue-pour-renforcer-les-cont

  • Des articles renvoyés au géant chinois de la mode Shein parcourent 100’000 kilomètres Linda Bourget

    L’émission A Bon Entendeur de la RTS a suivi des articles renvoyés au géant chinois de la mode éphémère Shein. Trois articles ont parcouru à eux seuls quelque 100’000 km en bateau, par la route et en avion.

    Qu’advient-il des vêtements commandés en ligne et renvoyés à l’expéditeur ? Pour le savoir, l’émission A Bon Entendeur de la RTS s’est intéressée à des articles de la marque Shein. Peu connue des plus de 30 ans, la plateforme chinoise de vente en ligne s’est imposée comme le leader mondial de l’"ultra fast fashion" (ou mode éphémère) et jouit d’une immense popularité auprès de la génération Z.


    Une veste en jeans, un sac à dos et une pochette en tissu ont été munis de trackers avant d’être renvoyés. Les trackers n’ont pas été détectés lors du contrôle qualité de la marchandise effectué à Berne et les trois objets ont donc pu être suivis à distance. Résultats des courses : ceux-ci ont effectué un périple de trois mois et d’environ 100’000 km au total, soit deux fois et demi le tour de la Terre.

    Ils ont voyagé en bateau, par la route et en avion.

    La cargaison a d’abord sillonné les ports européens : Rotterdam, Hambourg, Bruges, Valence avant de se rendre en Asie, en premier lieu à Singapour puis à Hong Kong. Les trois objets ont ensuite emprunté des chemins différents. Le sac à dos a été acheminé en avion jusqu’en Australie, la veste noire a été envoyée au Mexique, tandis que la pochette de tissu a enchaîné les vols avant de terminer sa course en Pennsylvanie, aux Etats-Unis.

    Racheté par un autre client
    La RTS s’est rendue sur place afin de retrouver la pochette en question. Dans la banlieue de Reading, en Pennsylvanie, Erison Almonte a confirmé avoir commandé cet article sur la plateforme chinoise. « Je l’ai simplement achetée chez Shein, il n’y en avait plus qu’une et je la trouvais sympa parce qu’elle allait bien avec une chemise que je voulais mettre pour aller à une fête », a-t-il expliqué en interview.

    « Ce qui me plaît chez Shein », ce sont les prix, a encore précisé l’Américain. L’entreprise se caractérise en effet par une politique de prix cassés et une offre extrêmement large qui se renouvelle en permanence.


    Pour quelles émissions de CO2 ?
    Directeur scientifique de l’entreprise Quantis, un cabinet de conseil en stratégie environnementale, Sébastien Humbert a analysé les données du renvoi de cet objet, afin d’en estimer les émissions de CO2. « La première surprise, c’est que ça repart en bateau, ce qui est plutôt une bonne chose » dans la mesure où les émissions sont beaucoup plus faibles que celles générées par le transport aérien. « Par contre au niveau des mauvaises surprises, il y a le fait que le bateau va d’abord de l’autre côté de la planète, avant que la pochette ne soit renvoyée. L’impact de l’avion est encore plus grand que ce à quoi on s’attendait avant de faire les calculs ».

    D’après ses estimations, si la fabrication de la pochette a dégagé environ 1 kg de CO2, le transport qui a permis de la livrer en Suisse, de la renvoyer en Chine puis de la livrer à nouveau aux Etats-Unis aurait généré environ 6 kg de CO2.

    Renvois à perte ?
    Les données relatives aux renvois ont également été soumises à Naoufel Cheikhrouhou, professeur de logistique à la HES-SO Genève. Sa modélisation laisse penser que certains de ces retours ne sont pas rentables pour l’entreprise, bien que le client suisse doive payer entre 5 et 6 francs par paquet renvoyé à Shein.

    « D’après nos calculs, le coût de retour de la veste en jeans est de l’ordre de 7,50 francs. Or si le client la renvoie par courrier, cela coûte 5 francs, ce qui veut dire que l’entreprise doit couvrir elle-même à peu près 2,50 francs de différence », estime le spécialiste. « Je pense qu’on arrive à un modèle qui n’est plus viable sur le plan économique et je ne pense pas qu’il soit viable sur le plan sociétal aujourd’hui. De mon point de vue en tout cas, ce n’est pas un modèle qui va pouvoir persister. »

    Conditions de travail dénoncées
    L’ONG Public Eye enquête sur l’entreprise Shein depuis plusieurs années. « Près de 100’000 km pour trois objets, c’est hallucinant », commente Géraldine Viret, sa responsable médias pour la Suisse romande. Celle-ci dénonce par ailleurs les conditions de travail des employés actifs pour la marque dans des centres logistiques basés en Chine.

    Aujourd’hui, la réalité de ce modèle, ce sont des gens qui travaillent comme des robots
    Géraldine Viret, responsable médias pour la Suisse romande de l’ONG Public Eye

    D’après une enquête réalisée sur place, « les témoignages sont vraiment scandaleux, très choquants, avec des gens qui disent ne pas avoir le droit de s’arrêter, être surveillés par vidéo par leur manager et être réprimandés, se faire hurler dessus ou avoir des retenues de salaire. Aujourd’hui, la réalité de ce modèle, ce sont des gens qui travaillent comme des robots ».

    Interrogée sur sa politique de retour, Shein a refusé de répondre à la RTS.

    #shein #fast_fashion #transports #pollution #logistique #esclavage #responsabilité #économie #planète #enfumage #trackers

    Source : https://www.rts.ch/info/monde/13990218-des-articles-renvoyes-au-geant-chinois-de-la-mode-shein-parcourent-1000

  • Médecin à #Sainte-Soline, je témoigne de la #répression

    Alors que le pronostic vital d’un opposant aux #mégabassines de Sainte-Soline est toujours engagé, une médecin urgentiste lui ayant porté secours témoigne. Elle pointe la #responsabilité de la #préfecture pour le retard de sa #prise_en_charge par les #urgences.

    Le week-end de mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) a été marqué par de nombreuses violences policières et des #blessures très graves, avec une personne encore entre la vie et la mort.

    En attendant de plus amples informations, Reporterre publie d’ores et déjà le témoignage d’Agathe, médecin urgentiste présente à la manifestation, qui a suivi et s’est occupée de cette personne toujours dans le coma et au pronostic vital engagé. Elle pointe la gravité des faits et la responsabilité de la préfecture pour le retard de sa prise en charge par les urgences.

    • La marche de printemps

    Départ du camp vers 11 h. Trois cortèges marchent à travers champs. Le premier cortège nous annonce qu’il n’y a aucun barrage des forces de l’ordre sur le parcours. Ils gardent la bassine. Un vulgaire trou recouvert de béton. Ils la gardent comme une forteresse. Ils auraient même creusé une tranchée de huit mètres de profondeur et un talus de plusieurs mètres de hauteur sur tout le tour de la bassine pour la rendre inaccessible. Les douves du château-fort. Le cortège au sein duquel je me trouve est joyeux, les manifestants marchent dans la boue, un champ de colza, premières fleurs du printemps.

    • Arrivée à proximité de la mégabassine

    Les cortèges se retrouvent. Ils fusionnent. Une marée humaine. La victoire d’être si nombreux. 20 000, 25 000, 30 000 personnes, impossible d’estimer. On aperçoit les #forces_de_l’ordre soigneusement disposées autour du bassin, enceinte de camions de gardes mobiles, plusieurs blindés. Une colonne de #quads avec un binôme de #gardes_mobiles dessus. Certains auraient vu la cavalerie. Personne n’est inquiet à cet instant. Que peuvent-ils faire contre cette foule hétéroclite et déterminée ?

    Un instant je me demande pourquoi les forces de l’ordre sont là. Ils ont creusé une tranchée de huit mètres de profondeur et un énorme talus. La bassine nous est inaccessible. Je me demande pourquoi la présence de toute cette artillerie est nécessaire. Qu’aurions-nous fait en leur absence ? J’en discute avec un·e ami·e, on se dit qu’ils font de la lutte contre les mégabassines un symbole de l’autorité de l’État.

    • Premiers gaz

    Je suis venue manifester avec une bande d’ami·es, je marche avec une copine. Dans mon sac à dos des compresses, du désinfectant, des antalgiques, des bandes, des pommades anti-inflammatoires, quelques kits de sutures si nécessaires pour l’après. Nos expériences de manifestations des dernières années nous ont appris qu’il fallait s’équiper en matériel de secourisme. Je ne me suis pas identifiée comme « medic » officiel. Mais il me semble évident d’avoir un minimum de matériel, au moins pour les copin·es.

    Les cortèges se rejoignent à proximité de la bassine. Le cortège à notre droite est déjà noyé par les #gaz alors que nous sommes encore à plusieurs centaines de mètres. Ils remontent vers nous, alors que nous continuons à avancer, heureux de se retrouver après ces nombreux kilomètres parcourus à travers champ.

    Les manifestants s’approchent des gardes mobiles avec leurs banderoles. On avance ensemble. Nous apercevons les visages familiers de quelques vieilles amitiés. À peine le temps de se retourner. Il pleut des #grenades_lacrymogènes, et d’autres, assourdissantes ou désencerclantes. Nous reculons. Je vois une femme faire demi-tour et repartir en arrière. Énorme détonation entre ses jambes. Elle boite. Nous reculons pour l’accompagner, la soutenir. Ça commence fort. On constate les blessures, un bel hématome sur la cuisse, un peu de gel anti-inflammatoire, deux gorgées d’eau. On se retourne, les manifestants crient « medic » de tous les côtés. On vient à peine d’arriver.

    C’est un homme jeune avec une plaie délabrante de la main. Grenade de désencerclement. Je nettoie, une compresse, une bande, un antalgique. « Tu devras refaire le point sur la base medic arrière, être sûr qu’il n’y ait pas de corps étrangers. » D’autres « #medic » s’affairent. On continue. On entend dire que quelqu’un serait inconscient au sol à proximité d’une banderole devant. On cherche cette personne. Impossible de la trouver. Un ami nous arrête, il s’est pris un #Flash-Ball à l’arrière de la tête. On s’assoit pour l’examiner derrière une haie. On remonte sur un chemin en terre.

    • Le chemin des blessés

    Le niveau d’intensité a été maximal d’emblée. Pas de demi-mesure. Tous ces blessés qui reculent. Allongé dans un champ. Assis dans un fossé. La haine monte contre les forces de l’ordre. Que font-ils, que défendent-ils, quelques mètres cubes de béton valent-ils tous ces corps mutilés ?

    Quelqu’un nous attrape par le bras. Un infirmier avec lequel j’ai discuté un peu plus tôt dans la journée. Il nous emmène à proximité d’un homme allongé à côté d’un fossé. « Fracture ouverte de fémur », me dit-il. Un pansement est déjà installé, je ne vois pas la plaie. Je vois un hématome de cuisse volumineux. Il n’y a pas d’extériorisation de sang. Je sens son pouls. Il est conscient. La première chose à faire : le mettre en sécurité. Un antalgique. À huit personnes, on le déplace plus loin. Quelqu’un prend des constantes. La fréquence cardiaque est normale. Je suis rassurée, il n’est pas en train de se vider de son sang. Pour une fracture ouverte de fémur, le risque hémorragique est majeur. Je demande à ce que quelqu’un appelle le Samu pour une évacuation.

    Derrière nous, un deuxième blessé est transporté par des manifestants. Une plaie délabrante de la fesse gauche. La plaie n’est pas hémorragique. Elle est douloureuse. Il ne peut pas marcher.

    On aperçoit une nouvelle charge de la police. Des quads ? Des lacrymos ? Je ne sais pas, je n’ai pas le temps de lever le nez des blessés. Il va falloir qu’on recule de nouveau pour mettre les blessés en sécurité. On fait un portage sur le chemin en terre pour s’éloigner vraiment définitivement des zones d’agressions.

    On arrive à un croisement. Je demande à ce que les constantes des blessés soient prises de nouveau pour s’assurer de leur stabilité. Je demande à ce qu’on rappelle le #Samu pour qu’il nous envoie des #secours. Je vois que sur le chemin d’autres blessés continuent d’affluer.

    Je refais le point sur la suspicion de fracture ouverte du fémur. Je déballe la plaie. La plaie est profonde. Il y a quelque chose de dur et de blanc qui ressort en son sein. Ce n’est pas de l’os. C’est un corps étranger en plastique blanc, une part cylindrique, une part plate. Je laisse le corps étranger en place. Il doit être retiré dans un bloc opératoire au cas où il existe une plaie vasculaire sous-jacente. Je rectifie le diagnostic à la régulation du Samu.

    À ce croisement de routes où se retrouvent de nombreux blessés, des élus et des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme sont présents.

    Un homme est installé par des manifestants juste à ma gauche. Il a le visage déformé. Il s’est pris une grenade dans le visage. Je l’examine. Il a une plaie de la paupière hémorragique. L’œdème de la paupière ne me permet pas d’examiner l’œil, sa vision, sa motricité. Il a une très probable fracture du maxillaire gauche, je ne peux rien dire pour son œil.

    Des personnes viennent me voir pour me dire que les #ambulances sont bloquées par les gardes mobiles en amont. Je commence à m’énerver. Je transmets : « Nous avons appelé le Samu, nous avons des blessés graves. Ils doivent laisser passer les ambulances. Nos appels sont enregistrés sur les bandes de la régulation du Samu. S’ils entravent le passage des ambulances, ils seront pleinement responsables du retard de soins. On ne se laissera pas faire. Y compris sur plan juridique. » « Mettez-leur la pression, c’est pas possible autrement. »

    D’autres blessés arrivent entre-temps, ils ont l’air stables. Je n’ai pas le temps de les voir. Certaines personnes s’occupent d’eux. Des complicités de bord de route.

    • L’« urgence absolue »

    Quelqu’un vient me chercher pour me demander d’intervenir plus en amont sur le chemin. Mon amie reste avec les blessés.

    Je remonte vers la zone où un homme est au sol. Du monde autour de lui. Je m’approche de sa tête. Un « medic » réalise une compression du cuir chevelu. Des gens essayent de le faire parler. Du sang coule sur le chemin. Il est en position latérale de sécurité. Je me présente auprès des autres personnes qui prennent soin de lui. « Je suis médecin urgentiste, est-ce qu’il a déjà été évalué par un médecin ? Est-ce que quelqu’un a déjà appelé le Samu ? » Le Samu est prévenu. Pour l’instant aucun moyen ne semble engagé. Je l’évalue rapidement. L’histoire rapporte un tir tendu de grenade au niveau temporal droit (juste en arrière de l’oreille). Il se serait effondré. Extrait par des manifestants. Au début il aurait été agité. Là, il est en position latérale de sécurité. Il est trop calme.

    Je fais un bilan de débrouillage :

    – une plaie du scalp de plusieurs centimètres en arrière de l’oreille. La plaie est hémorragique ;

    – un traumatisme crânien grave avec un score de Glasgow initial à 9 (M6 Y1 V2), une otorragie qui fait suspecter une fracture du rocher ;

    – pupilles en myosis aréactives ;

    – vomissement de sang avec inhalation ;

    – les premières constantes qu’on me transmet sont très inquiétantes. La fréquence cardiaque serait à 160, la tension artérielle systolique à 85. Le shock index est à presque 2.

    Je demande à ce qu’on rappelle la régulation du 15 et qu’on me les passe au téléphone. Mon petit matériel ne va pas suffire. Quelle impuissance…

    Je prends la régulation du 15 au téléphone. Je demande à parler au médecin. Je me présente en tant que médecin urgentiste : je demande un #Smur [service d’aide médicale urgente] d’emblée pour un patient traumatisé crânien grave, avec une plaie du scalp hémorragique, et des constantes faisant redouter un choc hémorragique. Le médecin me répond que la zone ne semble pas sécurisée et qu’il est impossible pour eux d’intervenir au milieu des affrontements. J’explique que nous sommes à distance des zones d’affrontement. Qu’il y a des champs autour où il est possible de faire atterrir un hélicoptère. Il me dit qu’un point de rassemblement des victimes (PRV) est en cours d’organisation, qu’il va nous envoyer des pompiers pour extraire les victimes. J’insiste sur le fait que cet homme a besoin d’un Smur d’emblée, qu’il s’agit d’une urgence vitale immédiate et qu’il n’est pas en état d’être transporté vers un PRV. L’appel téléphonique prend fin, je n’ai pas l’impression que ma demande ait été entendue.

    Un traumatisme crânien grave peut aboutir à la mort cérébrale, ou à la présence de séquelles extrêmement lourdes.

    Je retourne auprès de la victime. Je la réévalue. Son score de Glasgow est tombé à 7. Le coma est de plus en plus profond. Une équipe de médecins infirmiers des gardes mobiles arrive. Je suis en colère. Ils viennent apporter les bons soins à ceux qu’ils ont presque tués. Je ravale ma colère, il faut penser à cet homme, à ce qu’il y a de mieux pour lui. Je fais une transmission médicale. Je propose que le médecin rappelle la régulation pour appuyer ma demande de Smur dans le cadre d’une #urgence_vitale_immédiate. En attendant, j’aide l’infirmier à poser une perfusion. Traitement de l’hypertension intracrânienne. Traitement pour l’hémorragie. Le médecin des gardes mobiles me demande si j’ai de l’oxygène. Je ris nerveusement. Non, moi j’ai des compresses et de la biseptine, j’étais là pour manifester initialement.

    Leur matériel est limité. Ils n’ont pas de quoi faire des soins de réanimation. Je ressens leur stress. Nous sommes dépendants du Smur.

    Des pompiers en pick-up arrivent, ils nous demandent pourquoi le Smur et les #VSAV [véhicules de secours et d’assistance aux victimes] ne sont pas là. Je craque et leur hurle dessus, je dis que les ambulances sont bloquées par les GM [gardes mobiles] en amont.

    Combien de temps s’est écoulé ? Depuis combien de temps était-il au sol avant mon arrivée ? Comment peuvent-ils assumer un tel niveau de violence pour quelques mètres cubes de béton ?

    Je pense à Rémi Fraisse.

    Le Smur arrive. J’aide à son installation sur le brancard du Samu. Le médecin du Smur prépare de quoi l’intuber dans le camion. Je quitte les lieux pour rejoindre les autres blessés.

    Je pense à cet homme. À ses amis. Aux miens. Je me demande où ils sont. Y en a-t-il d’autres comme lui ? Je pense à tous ceux qui ont été blessés ces dernières années par les armes de la police. À la zad, au Chefresne, au Testet, pendant la loi Travail, les Gilets jaunes. À ceux qui ont perdu des doigts, une main. Un œil. Ceux qui ont perdu la vie. À lui.

    https://reporterre.net/Medecin-a-Sainte-Soline-je-temoigne-de-la-repression
    #témoignage #violences_policières #maintien_de_l'ordre #méga-bassines

  • #Incendie du #camp de #Moria en Grèce : la fabrique des coupables idéals

    Le #procès en appel des quatre Afghans condamnés en 2021 à dix ans de prison pour l’incendie en 2020 du camp de migrants de #Lesbos se tient le 6 mars. Une contre-enquête vidéo met en lumière les « preuves faibles et contradictoires » qui ont conduit au verdict de première instance, et pointe la responsabilité des autorités grecques et européennes dans la tragédie.
    https://www.youtube.com/watch?v=CPGd0Loozhw

    LeLe drame avait eu lieu la nuit du 8 au 9 septembre 2020 sur l’île grecque de Lesbos. Plusieurs incendies consécutifs, propagés par des vents forts, avaient détruit le camp de migrants de Moria, le plus grand d’Europe, réputé pour ses conditions de vie extrêmement précaires.

    Aucune victime n’était à déplorer, mais les 13 000 migrants de ce camp situé à quelques kilomètres de la Turquie s’étaient retrouvés sans abri, en pleine pandémie de Covid-19.

    En juin 2021, quatre jeunes Afghans ont été condamnés à dix ans de prison ferme pour incendie criminel. Ils ont fait appel de la décision. Leur audience se tient le lundi 6 mars 2023 à Lesbos.

    « Les accusés avaient été condamnés sur la seule base du témoignage douteux d’un Afghan, qui n’a pas comparu à l’audience », précise Natasha Dailiani, l’une des avocates des quatre condamnés. Ces derniers sont issus de la minorité religieuse chiite des Hazaras, souvent persécutée en Afghanistan.

    Ils assurent de leur côté que ce témoin, un Afghan de l’ethnie majoritaire sunnite des Pachtouns, les a désignés comme les incendiaires en raison de leur appartenance religieuse. « Les quinze autres témoins à charge présents à l’audience de juin 2021 n’ont pas identifié les quatre accusés », ajoute Me Dailiani.

    Missionnées par la défense des mis en cause, Forensic Architecture et Forensis, deux organisations spécialisées dans les contre-enquêtes sur les crimes et mensonges d’État, ont retracé les événements de cette nuit du 8 septembre 2020 en s’appuyant sur des centaines de vidéos prises par les réfugiés et autres acteurs présents sur place, des témoignages ainsi que des rapports officiels.

    Leur enquête vidéo révèle entre autres que « les jeunes demandeurs d’asile accusés d’avoir mis le feu ont été arrêtés sommairement sur la base de preuves faibles et contradictoires », rapporte Dimitra Andritsou, coordinatrice de recherche à Forensis.

    Le vaste camp de Moria comportait douze zones (voir la carte ci-dessous). Le premier incendie se déclare le 8 septembre, au plus tard à 23 h 36, à proximité de la zone 6 (dans l’est du camp), avant de se propager dans le reste du camp, selon les deux collectifs d’enquête.

    Un deuxième incendie se déclare ensuite au centre du camp. À 1 h 43, le 9 septembre, il se répand dans la zone 12 (dans le sud du camp). Le principal témoin affirme que les quatre Afghans auraient eux-mêmes mis le feu à cette zone 12, comme le rappellent Forensic Architecture et Forensis.

    Celles-ci reconstituent également la progression de l’incendie dans la zone 12, cartographiant ainsi le schéma de propagation du feu, qui correspond à la direction du vent. La majorité du camp de Moria était en outre composée d’abris de fortune faits de plastique, de polystyrène, de bois ou de bâches, soit des matières hautement inflammables, comme l’illustrent les vidéos spectaculaires récoltées par Forensic Architecture et Forensis.

    « Il fallait trouver un responsable »

    Les quatre Afghans jugés coupables avaient rapidement été arrêtés, quelques jours après l’incendie de Moria. Deux autres mineurs afghans avaient par ailleurs été interpellés et condamnés à cinq ans de prison ferme lors d’un procès distinct en mars 2021.

    « Il fallait trouver un responsable. Ce procès, particulier, ne remplissait pas les conditions qui garantissent un procès équitable, c’était en ce sens une parodie de justice, dénonce l’avocate Natasha Dailiani. Nos clients, dans l’attente de leur appel, sont évidemment inquiets. Dévastés après le verdict du premier procès, ils ne peuvent accepter cette décision et clameront à nouveau leur innocence. »

    « Notre enquête suggère que face à la gestion inhumaine du camp par l’Union européenne et le gouvernement grec, il fallait un bouc émissaire », estime de son côté Dimitra Andritsou.

    Surpeuplé, le camp de Moria, dit hotspot (centre de premier accueil), d’une capacité de quelque 3 000 places, abritait le jour de l’incendie de 2020 environ 13 000 migrants, majoritairement originaires d’Afrique ou du Proche-Orient. Nombre d’associations et de politiques avaient précédemment alerté sur un drame qui semblait inévitable tant le camp était insalubre.

    L’incendie du 8 septembre 2020 au camp de Moria était le dernier d’une longue série. Au moins 247 départs de feu s’étaient déclarés à l’intérieur et aux alentours de cette structure depuis sa création en 2013, ainsi que le relèvent Forensic Architecture et Forensis.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/060323/incendie-du-camp-de-moria-en-grece-la-fabrique-des-coupables-ideals

    #camps_de_réfugiés #Grèce #réfugiés #asile #migrations #architecture_forensique #justice #contre-enquête #responsabilité #reconstruction #feu #hotspot

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    Fil de discussion sur cet incendie :
    https://seenthis.net/messages/876123

    • Fire in Moria Refugee Camp

      In the late hours of 8 September 2020, large fires broke out at the migrant camp of Moria, located on the frontier island of Lesvos, Greece. The fires smouldered over several days, displacing thousands of people and reducing the epicentre of the EU’s carceral archipelago to ashes. The overcrowded camp, first established in 2013, was host to more than 13,000 people at the time, and was notorious for its precarious and unsafe living conditions—conditions manufactured and maintained for years by Greek and EU policies.

      https://counter-investigations.org/investigation/fire-in-moria-refugee-camp

    • Grecia, incendi e responsabilità

      Il controverso processo per il disastroso incendio che ha distrutto il campo profughi di Moria, sull’isola di Lesbo, terminato con una condanna, ha visto la difesa utilizzare nuovi dati scientifici sulla fragilità degli ecosistemi alla minaccia del fuoco

      “Il crimine non è l’incendio, il crimine è Moria”, recitava lo striscione esposto davanti alla corte d’appello dell’isola di Lesbo il 6 marzo 2024, mentre quattro richiedenti asilo afgani aspettavano una decisione sul loro caso.

      Poche ore dopo, tre di loro sono stati rilasciati sulla parola e rinviati a nuovo processo, in quanto minorenni al momento degli incidenti. Il processo contro l’altro imputato è continuato fino all’8 marzo 2024, quando è stato dichiarato colpevole e condannato a otto anni di carcere. Il caso ha sollevato preoccupazioni sui diritti umani, sullo stato di diritto e sulla sicurezza nel contesto migratorio.

      Cronaca di una tragedia annunciata

      I quattro imputati facevano originariamente parte dei cosiddetti “Sei di Moria”, un gruppo di sei giovani richiedenti asilo (cinque minorenni e un adulto) arrestati dalla polizia locale pochi giorni dopo lo scoppio del tragico incendio nel campo profughi di Moria di settembre 2020, che ha lasciato 13mila persone senza riparo.

      Al momento degli arresti, i vigili del fuoco stavano ancora indagando. Nonostante la mancanza di prove, le immagini dei “piromani” in manette hanno fatto subito il giro dei media.

      Nel frattempo sono venute alla luce le scandalose condizioni di vita nel campo. Notis Mitarachi, l’allora ministro greco della Migrazione, ha cercato di placare l’opinione pubblica con dichiarazioni pompose: rivolgendosi ai membri del Comitato permanente per la pubblica amministrazione, l’ordine pubblico e la giustizia, ha affermato che le infrastrutture a Moria erano già state notevolmente migliorate e che i responsabili dell’incendio “sarebbero stati puniti e deportati”.

      A giugno 2021, il tribunale con giuria mista di Chios ha dichiarato i quattro imputati colpevoli di “incendio doloso con pericolo per la vita umana” e li ha condannati a dieci anni di reclusione, basandosi sulla testimonianza scritta di un unico testimone.

      Sebbene nessuno potesse dire esattamente come tutto fosse iniziato, diversi testimoni hanno collegato la tragedia ad una serie di incidenti violenti avvenuti tra i residenti del campo nelle tarde ore dell’8 settembre 2020, e in particolare, a forti disaccordi sulle misure di isolamento legate al coronavirus presto trasformatisi in una lotta interetnica, poi sfuggita di mano.

      Mitarachi ha dichiarato che «gli incidenti a Moria sono iniziati tra i richiedenti asilo a causa della quarantena». Pochi mesi dopo, intervistato da un media greco, ha dichiarato che il progetto del governo di creare un campo profughi più sicuro con condizioni umane dignitose nella regione aveva incontrato resistenza da parte delle autorità locali, con esiti disastrosi.

      Mitarachi ha poi accusato Kostas Moutzouris, governatore regionale del Nord Egeo, che a sua volta lo ha citato in giudizio nell’aprile 2021.

      Il famigerato campo profughi è stato definito da reporter internazionali e operatori umanitari come “l’inferno in terra”, “una bomba a orologeria” e “un disastro in attesa di accadere”, dove le persone venivano tenute per anni in condizioni disumane.

      Al suo apice, il campo ospitava oltre 14mila persone in uno spazio originariamente progettato per 2.150, e sono state registrate morti a causa delle terribili condizioni di vita, della scarsa igiene e delle scarse scorte di cibo.
      Una prospettiva diversa

      Il processo contro i quattro afghani del 2021 è stato controverso fin dall’inizio. Poiché l’unico testimone non è comparso in tribunale e quindi non è stato interrogato, la difesa ha sottolineato «interpretazioni errate o incomplete» delle intenzioni dei loro clienti e degli eventi della notte dell’incendio.

      Nel 2023 sono venute alla luce nuove prove: gli avvocati della difesa hanno tentato di ricostruire i fatti con l’aiuto delle ricerche condotte da Forensic Architecture/Forensis su loro commissione.

      I rilievi di FA/Forensis, sulla base di testimonianze e resoconti ufficiali scritti, nonché dell’esame di materiale audiovisivo, hanno attribuito l’incendio a condizioni geografiche, morfologiche e meteorologiche che rendono questa regione mediterranea più esposta agli incendi, soprattutto a settembre, quando “il terreno è più secco”.

      In una conferenza stampa tenutasi a marzo 2023, gli esperti Dimitra Andritsou e Stefanos Levidis hanno spiegato che “le condizioni di siccità, combinate con la precarietà e la densità derivanti dalle politiche imposte dalle autorità greche e dell’UE, hanno portato ad un forte aumento dei grandi incendi ogni anno in questo periodo”.

      La nostra analisi”, ha concluso Andritsou, “rivela significative incongruenze nella testimonianza del testimone chiave e getta ulteriori dubbi sulle prove in base alle quali sono stati accusati i giovani richiedenti asilo”.

      Il parere degli esperti si è basato in modo significativo sui filmati girati dagli stessi giovani migranti nel quadro di un corso di formazione sulla realizzazione di film e reportage offerto da un’organizzazione che lavora con i rifugiati a Lesbo.
      La prevenzione incendi: una questione di cultura e di valori

      In una prospettiva più ampia, ciò apre una nuova discussione sul tema della prevenzione e gestione degli incendi, soprattutto nelle regioni ad alto rischio come Lesbo.

      Indipendentemente dall’esito finale, il fatto che nella sperimentazione sia stata utilizzata un’ipotesi legata al clima/morfologia evidenzia la rilevanza di progetti che affrontano i fenomeni estremi che colpiscono la Grecia.

      OBCT ha intervistato il professor Kostas Kalabokidis, responsabile del Greek Living Lab (LL) nell’iniziativa FIRE-RES, un progetto che fornisce soluzioni innovative per territori resilienti al fuoco in Europa, tra cui Lesbo.

      “Gli ecosistemi forestali della regione mediterranea sono costantemente minacciati da incendi estremi, che hanno un impatto significativo sui servizi eco-sistemici essenziali”, afferma Kalabokidis. “I nostri studi mirano a esaminare le intricate relazioni tra le strategie di soppressione e gestione degli incendi e i diversi servizi eco-sistemici colpiti dagli incendi, con l’obiettivo di sviluppare un quadro completo e su misura per paesaggi resilienti agli incendi”.

      Il professor Kalabokidis ha sottolineato come l’uso di approcci metodologici avanzati, come l’analisi dei compromessi, la pianificazione degli scenari o le simulazioni stocastiche, possa contribuire a ridurre i pericoli e i rischi di incendi boschivi.

      FIRE-RES studia non solo i fattori ambientali, ma anche le condizioni socio-economiche che possono rendere una regione più esposta agli incendi e ad altri disastri. Nel caso del campo sovrappopolato di Moria, le dimensioni e la densità della popolazione hanno agito da catalizzatori, combinate con l’uso di materiali economici e infiammabili.

      Altri fattori comprendono la mancanza di un’adeguata formazione tra residenti e operatori su come prevenire e gestire un’emergenza legata agli incendi e una consapevolezza limitata (soprattutto tra i giovani residenti, come evidenziato dagli atti del processo) delle conseguenze di un comportamento irresponsabile che potrebbe portare ad un disastro e un crimine grave.

      FIRE-RES sottolinea l’importanza di educare le popolazioni che vivono in regioni resistenti al fuoco; ciò potrebbe tradursi in un insieme di atteggiamenti, competenze e pratiche tra i civili provenienti da diverse sfere della società, che consentirebbe loro di avere una migliore comprensione dei pericoli imminenti, ma anche delle soluzioni praticabili.

      https://www.balcanicaucaso.org/aree/Grecia/Grecia-incendi-e-responsabilita-230976

  • #Alana_Osbourne - “Decolonial Tours” - 30th June 2022 - Beyond Inhabitation Lab Spring Seminar Series

    I focus on tour guides who offer decolonial narratives and experiences of Brussels to an eclectic and changing audience. Drawing on the embodied temporalities of walking tours and by reviving urban memories, these guides give texture and shape to the city’s sensorium in a way that reaffirms black life against the resonances of colonialism in Belgium. Suturing past, present and future, this quilting of urban times fosters new relationships between people, landscapes and histories, and opens spaces of togetherness within a riven city.

    Dr. Alana Osbourne is a FNRS post-doctoral fellow at the Anthropological Laboratory for Contemporary Worlds (LAMC) at the Brussels Free University (ULB | Université Libre de Bruxelles). An anthropologist and filmmaker, her research interests include: sensorial anthropology and affect, the anthropology of violence, archival studies, Caribbean studies and film. She alternates her academic work with film and theatre projects.

    https://www.youtube.com/watch?v=03AOAlPxQV8


    #balade_décoloniale #Bruxelles #Belgique #décolonial #villes #urban_matter #temps #passé #présent #conférence #toponymie #toponymie_politique

    via @cede

    • #There_Are_Black_People_In_The_Future

      There are Black People in the Future is inspired by afro-futurist artists and writers who highlight the need for Black people to claim their place. Through the inscription and utterance of the words, ‘There are Black People in the Future,’ the project addresses systemic oppression of black communities through space and time by reassuring the presence of Black bodies. In 2017, Wormsley placed these words on a billboard in East Liberty, a neighborhood in Pittsburgh’s east end that has suffered gentrification. When the billboard was removed by the city, community members protested, in response to this community support, Wormsley has raised grant money to artists, activists, and community workers in Pittsburgh around their interpretation of the phrase “There Are Black People in the Future”. Since then, the billboard has been replicated in Detroit, Charlotte, New York City, Kansas City and Houston, internationally London, Accra and Qatar. Each site can pull from this precedence of supporting Black futures locally, whether through commissions, grants, project funding or programming. The text, which Wormsley encourages others to use freely, has since been used in protest, critical art theory, essays, song, testimony and collective dreaming.


      https://www.alishabwormsley.com/tabpitf

      #art #TABPITF #Alisha_Wormsley

    • La conférence de Alana Osbourne commence par introduire (et se construit à partir de) du rapport de la #commission_parlementaire (belge) chargée d’examiner le #passé_colonial :
      Le #rapport sur le passé colonial de la Belgique achoppe sur la question des #excuses

      Après deux ans et demi de travaux, des déplacements en République démocratique du Congo, au Rwanda, au Burundi, l’audition de près de 300 personnes, la commission parlementaire chargée d’examiner le passé colonial du pays devait remettre son rapport final. Mais les libéraux ont refusé d’adopter le texte lundi.

      L’écologiste Wouter de Vriendt, qui préside la commission parlementaire chargée d’examiner le passé colonial de la Belgique, avait demandé que la chambre des représentants présente des excuses aux peuples congolais, burundais et rwandais pour « la #domination et l’#exploitation_coloniale, les #violences et les #atrocités, les violations individuelles et collectives des droits humains durant cette période, ainsi que le #racisme et la #discrimination qui les ont accompagnées ».

      #Wouter_de_Vriendt invitait également « le pouvoir exécutif à faire des démarches analogues sur le plan des #réparations_symboliques ». Le président de la commission précisait bien que cette #reconnaissance du rôle de la Belgique, n’impliquerait aucune #responsabilité_juridique et ne pourrait donc donner lieu à une #réparation_financière.

      Des précautions qui n’ont pas suffi à convaincre les députés libéraux. Ces derniers ont claqué la porte de la commission lundi 19 décembre. Ils refusent que soient présentées des excuses, car celles-ci pourraient entraîner selon eux des réparations financières, ce dont ils ne veulent pas entendre parler. Ces députés préfèrent ainsi en rester aux regrets présentés par le roi.

      Faute d’accord sur cette question des excuses, la commission ne remettra donc pas son rapport final. C’est là un échec, d’autant plus douloureux que nombre de recommandations formulées par le président de cette commission semblaient faire consensus.

      https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221220-les-excuses-au-c%C5%93ur-des-dissensions-parlementaires-sur-le-pass%C3%

  • Le Business du bonheur

    De la légendaire Lise Bourbeau à la reine du rangement Marie Kondo, en passant par la star du développement personnel Tony Robbins, le bonheur est une industrie qui fait des millionnaires. C’est aussi une idéologie : le culte de l’optimisme, de la résilience et de la performance individuelle. Mais alors que la consommation d’antidépresseurs ne cesse d’augmenter et que les burn-out se multiplient dans nos sociétés, que cache cette obsession contemporaine pour le bonheur ?

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/66144
    #film #documentaire #film_documentaire
    #développement_personnel #management #positivité #bonheur #psychologie_positive #choix #marché #coaching #individualisme #science_du_bonheur #Martin_Seligman #psychanalyse #Freud #thérapie_comportementale #optimisme #pessimisme #espoir #forces_Clifton #Don_Clifton #leadership #volontarisme #self-help #protestantisme #la_recherche_du_bonheur #recherche_du_bonheur #self-made_man #méritocratie #responsabilité_individuelle #inégalités #agency (#pouvoir_d'agir) #USA #Etats-Unis #libéralisme #éducation_positive #émotions #psychologie_sociale #team-building #cache-misère #travail #chief_happiness_officer #volonté #convivialité #docilité #happiness_economics #Richard_Layard #center_of_economic_performance (#CED) #bien-être_individuel #David_Cameron #programmes_d'activation_comportementale #chômage #rapport_Stiglitz #Gallup #adaptation #privatisation_de_la_souffrance

  • Une ONG allemande dépose une plainte contre des dirigeants européens pour #crimes_contre_l'humanité envers des migrants

    Le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains a annoncé, mercredi, avoir déposé une plainte pour crimes contre l’humanité contre des dirigeants européens devant la Cour pénale internationale. L’ONG les accuse d’avoir collaboré avec la Libye pour l’interception de migrants en mer malgré les risques de sévices que les exilés encourent dans le pays.

    Le #Centre_européen_pour_les_droits constitutionnels_et_humains (#ECCHR) a déposé une plainte pour crimes contre l’humanité devant la #Cour_pénale_internationale (#CPI) visant plusieurs responsables européens, a annoncé, mercredi 30 novembre, cette ONG allemande, soutenue par l’ONG, Sea-Watch.

    Parmi les personnes visées par la plainte figurent l’ancien ministre de l’Intérieur italien #Matteo_Salvini, les ancien et actuel Premiers ministres maltais #Robert_Abela et #Joseph_Muscat, ou encore l’ancienne cheffe de la diplomatie européenne, #Federica_Mogherini.

    L’ECCHR estime que la politique européenne de soutien aux #garde-côtes_libyens chargés d’intercepter les exilés en #Méditerranée puis de les ramener en #Libye a rendu ces personnalités indirectement responsables des #violences et #exactions subies par les migrants dans le pays. Les exilés, qui sont interceptés en mer par les garde-côtes libyens, sont systématiquement envoyés dans des centres de détention, où ils subissent des violences physiques et sexuelles, des privations de nourriture et de la #torture.

    « Bien qu’ils aient eu connaissance de ces crimes, des fonctionnaires des agences de l’UE ainsi que de l’Italie et de Malte ont renforcé leur collaboration avec la Libye pour empêcher les réfugiés et les migrants de fuir la Libye par la mer », souligne l’ECCHR dans son communiqué, publié mercredi 30 novembre. « Ce soutien et cette #collaboration tendent à démontrer le rôle décisif que jouent les #hauts_fonctionnaires de l’UE dans la privation de liberté des migrants et des réfugiés fuyant la Libye », ajoute l’ONG.

    Enquête sur les faits de #collaboration

    L’ECCHR et #Sea-Watch appellent la CPI à enquêter sur ces faits de collaboration entre acteurs européens et libyens et à traduire en justice les responsables. Les deux ONG réclament également la fin du financement des programmes d’externalisation des frontières européennes qui s’appuient, entre autres, sur le soutien et la formation des garde-côtes libyens. Elles demandent enfin la création d’un programme civil de recherche et sauvetage européen qui serait financé par les États membres de l’Union européenne (UE).

    Environ 100 000 migrants ont été interceptés au large des côtes libyennes et renvoyés dans le pays depuis 2017, date de la signature d’un accord entre la Libye et l’Italie pour lutter contre l’immigration illégale. Outre l’Italie, l’UE a versé depuis 2015 plus de 500 millions d’euros au gouvernement de Tripoli pour l’aider à freiner les départs de migrants vers l’Europe.

    Malgré les preuves de plus en plus nombreuses des cas de maltraitance envers des migrants en Libye, l’UE n’a pas cessé son aide financière au pays. Pire, l’Union a elle-même reconnu dans un rapport confidentiel remis en début d’année que les autorités libyennes ont eu recours à un « usage excessif de la force » envers les migrants et que certaines interceptions en Méditerranée ont été menées à l’encontre de la règlementation internationale.

    En 2021, Amnesty international a accusé l’UE de « complicité » dans les atrocités commises sur le sol libyen à l’encontre des exilés. L’ONG, comme le fait l’ONU, exhorte régulièrement les États membres à « suspendre leur coopération sur les migrations et les contrôles des frontières avec la Libye ». En vain.

    https://www.infomigrants.net/fr/post/45141/une-ong-allemande-depose-une-plainte-contre-des-dirigeants-europeens-p

    #migrations #asile #réfugiés #justice #plainte #responsabilité #complicité #décès #mourir_en_mer #morts_en_mer

    –—

    juin 2019 :
    ICC submission calls for prosecution of EU over migrant deaths
    https://seenthis.net/messages/785050

  • La liberté, par-delà la métaphysique
    https://laviedesidees.fr/La-liberte-par-dela-la-metaphysique.html

    À propos de : Olivier Boulnois, Généalogie de la liberté, Seuil. Sommes-nous libres ou nos actions ont-elles des causes naturelles ? Le problème ainsi posé est une construction métaphysique : le sens authentique de la liberté comme principe d’action a été recouvert, à partir de l’Antiquité tardive, par l’invention du libre arbitre et le poids excessif donné à l’idée de volonté.

    #Philosophie #responsabilité #liberté #causalité

    • La théorie aristotélicienne n’a pas besoin d’une instance centrale d’arbitrage (la volonté), ni de résoudre le problème de son inscription dans le déterminisme physique. La liberté pour Aristote, pensée sur le modèle de l’homme libre dans la Cité, n’est pas un attribut métaphysique, mais s’inscrit dans un horizon éthique et consiste dans la capacité de bien agir.

      L’invention du libre arbitre

      Dès lors, pourquoi et comment les concepts de volonté et de libre arbitre apparaissent-ils ? C’est le résultat d’un processus en trois étapes : l’invention chez les stoïciens de la volonté comme instance de décision (to eph’ hemin), mais dans un cadre déterministe ; l’invention du libre arbitre chez Alexandre d’Aphrodise au IIe siècle de notre ère ; l’attribution du libre arbitre à la volonté chez Augustin au Ve siècle

      #éthique
      .

  • #Recherche et #Engagement : Recherche et #engagement_citoyen des chercheur·euse·s

    Un engagement croissant des chercheur·euse·s dans le débat public a amené la Direction de l’UNIL à initier une réflexion sur cette question.

    Cette thématique a été soumise à des chercheuses et chercheurs de toutes les facultés, réunis au sein d’un groupe de travail par le Centre interdisciplinaire de recherche en éthique (CIRE) et le Centre de compétences en durabilité (CCD). Le groupe de travail s’est réuni à treize reprises entre avril 2020 et mai 2022 et a défini de manière autonome les thématiques, les approches et les méthodes qu’il jugeait pertinent de mobiliser dans cette perspective. Il a notamment réalisé une enquête, ainsi que des focus groups, auprès de la communauté UNIL au printemps 2021.

    Les réflexions du groupe de travail visaient en premier lieu à clarifier les enjeux liés à l’engagement des #scientifiques dans le #débat_public et à mieux comprendre les pratiques et perceptions de la communauté UNIL à cet égard. Les réflexions et conclusions du groupe de travail, ainsi que ses recommandations adressées à la Direction de l’UNIL sont présentées dans le rapport. Celui-ci est accompagné d’une annexe détaillant les résultats de l’enquête.

    https://www.unil.ch/centre-durabilite/fr/home/menuinst/recherche/recherche-et-engagement.html

    Pour télécharger le rapport :
    L’ENGAGEMENT PUBLIC DES UNIVERSITAIRES : ENTRE LIBERTÉ ACADÉMIQUE ET DÉONTOLOGIE PROFESSIONNELLE


    https://www.unil.ch/files/live/sites/centre-durabilite/files/pdf/rapport-gt-unil-recherche-et-engagement.pdf

    #militantisme #rapport #université_de_Lausanne #UNIL #liberté_académique #déontologie #neutralité #liberté_d'expression #devoir_de_réserve #désobéissance_civile #crédibilité #enseignement #affiliation_professionnelle #culture_de_l'engagement

    ping @karine4 @_kg_

    • Ce rapport est mentionné dans cette interview avec #Julia_Steinberger :

      Julia Steinberger, professeure, militante et… activiste pour le climat

      Mi-octobre, cette professeure d’économie écologique à l’Université de Lausanne, autrice principale du dernier rapport du GIEC, a été embarquée par la police. Son crime ? Avoir bloqué la circulation avec d’autres militants pour réclamer la rénovation des passoires énergétiques en Suisse.

      Il faut s’armer d’un peu de patience pour arriver à Julia Steinberger. Ce n’est pas que son bureau à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne soit difficile à trouver. Il est même assez reconnaissable avec ses posters des groupes Extinction Rebellion et Renovate Switzerland sur la porte. Non. C’est plutôt que la chercheuse a du mal à gérer les nombreuses sollicitations médias.

      « Je donne normalement deux fois, même trois présentations à des publics divers chaque semaine et c’est beaucoup, beaucoup trop. Et ça c’est sans parler des interviews, des médias, des podcasts, etc. C’est trop et je pense que nous voulons que tout le monde s’intéresse à cette problématique, se l’accapare et décide d’agir dessus. Mais en même temps, nous n’avons pas du tout le soutien institutionnel, les heures dans la journée, pour pouvoir faire notre travail, notre enseignement et aussi faire face à ces demandes de communication. Donc là, je crois que je suis en train de crouler là-dessous, mais je ne pense pas que je suis la seule. »

      Julia Steinberger n’en est pas à sa première manif. Avant le blocage de la route vers Berne, le 11 octobre 2022, la chercheuse a déjà écopé d’une amende pour une brève occupation d’une banque accusée de financer les énergies fossiles. Mais si prof et activiste sont deux termes incompatibles pour certains, ce n’est pas la vision de Julia Steinberger. Elle, veut dissocier neutralité et rigueur scientifique. Et fait sienne la maxime de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

      « Je pense que le travail de recherche n’empêche ou ne soustrait pas à l’obligation d’agir en tant que citoyen ou en tant que citoyenne. Je ne me suis jamais vraiment demandé si je devais ou je ne pouvais faire que l’un ou l’autre. Je sais que ça dérange certains, mais je pense que c’est une question aussi de cohérence et d’intégrité. Et je ne suis pas la seule dans mon cas de figure. »

      L’université de Lausanne est en effet habituée d’avoir dans ses rangs des chercheurs engagés pour la sauvegarde du climat. Le philosophe et candidat écologiste aux européennes de 2019 en France, Dominique Bourg. Le prix Nobel de chimie Jacques Dubochet, quasiment de toutes les manifestations en Suisse.
      Responsabilité

      Elle-même fille d’un prix Nobel de physique et militant pour le désarmement nucléaire, Julia Steinberger veut croire que l’ampleur du réchauffement est telle que les scientifiques du climat doivent se réinventer s’ils veulent se faire entendre.

      « Je pense que dans certains domaines, [les chercheurs assument] une responsabilité de communication publique. Concernant le problème du tabagisme, par exemple, dans la santé. Mais dans le domaine du climat, la stratégie actuelle, une stratégie de technocratie ou les chercheurs se limitent à conseiller les politiques, est un échec. Nous écrivons des rapports qui sont ensuite destinés à conseiller et à orienter les politiques, mais on se rend compte que ce n’est pas du tout suffisant et qu’il faut faire autrement. »

      Pour le moment, l’université ne trouve rien à redire à ses actions. Au contraire même. La direction a commandé un rapport sur l’engagement public de ses chercheurs. Et ses conclusions sont simples : l’université a pour mission de stimuler le débat sur les grands enjeux de société. Et c’est exactement ce que fait Julia Steinberger.
      « Corruption légale »

      Mais son combat en agace tout de même certains. Surtout à droite et à l’extrême droite, où on lui reproche d’être décroissante. « Et alors », répond-elle ? Cela ne remet pas en cause la validité de ses recherches. Et de renvoyer la classe politique suisse à ses propres contradictions :

      « Par exemple, nos parlementaires ont le droit d’être lobbyiste. Donc même s’ils jouent le jeu de la transparence, ils sont lobbyiste, pour l’industrie automobile par exemple. Je viens justement de lire la newsletter du parti d’extrême droite l’IDC – elle est sponsorisée par Land Rover, Opel et Kia. C’est-à-dire que c’est une corruption légale. Mais le résultat pour les citoyens et pour le bon fonctionnement d’une société dans une démocratie est très très très délétère. »

      À 48 ans, avec une vie de famille et un gros projet de recherche européen sur les bras, Julia Steinberger ne compte pas pour autant ralentir sa vie d’activiste. Elle la mène depuis trop longtemps pour ça.

      https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/comme-personne/julia-steinberger-professeure-militante-et-activiste-pour-le-climat-6076
      #renovate_Switzerland #responsabilité

  • La liberté des un·es et celle des autres par temps de Covid- Paris Luttes
    https://paris-luttes.info/la-liberte-des-un-es-et-celle-des-16352

    Depuis le début de la crise sanitaire, la notion de liberté a beaucoup été mise en avant en France dans les cortèges des opposant·es aux mesures gouvernementales, signifiant la possibilité de choisir en son âme et conscience ce qui est bon pour soi, contre les contraintes imposées par l’extérieur. (...) @Mediarezo Actualité / #Mediarezo

  • #Décharge budgétaire de #Frontex à nouveau bloquée

    Le Parlement européen réaffirme
    le respect inconditionnel des droits des personnes exilées


    Ce 18 octobre, le #Parlement_européen a refusé pour la seconde fois d’accorder la décharge budgétaire à l’agence Frontex pour ses #comptes de l’exercice 2020, suivant de ce fait l’avis adopté récemment par sa commission de Contrôle budgétaire (#CONT), sur base des nombreux constats de violations des #droits_humains et de #dysfonctionnements_internes.

    « Cette décision met une nouvelle fois Frontex devant ses responsabilités face aux nombreux cas de violations de droits fondamentaux que la société civile internationale et les personnes exilées dénoncent depuis plus de 10 ans », déclare le CNCD-11.11.11. Frontex sait dorénavant que ses activités sont sous surveillance vis-à-vis du respect des droits fondamentaux. L’#impunité n’est plus possible. L’Agence va devoir se plier aux exigences de #transparence, de mise en #responsabilité et de #contrôle_démocratique pour continuer d’exister.

    En effet, le 6 octobre 2022, la commission CONT du parlement UE a bloqué la décharge du #budget de Frontex suite à « l’ampleur des #fautes_graves et des possibles #problèmes_structuraux sous le précédent directeur exécutif de l’agence, qui a depuis démissionné à la suite des révélations du rapport de l’#OLAF du 28 avril dernier ».

    Les députés déplorent « que Frontex n’ait pas mis en œuvre certaines des conditions établies dans le précédent rapport du Parlement. Ils demandent notamment la suspension de ses activités de soutien (retours) en Hongrie, compte tenu du contexte lié à l’État de droit dans le pays, ainsi que le suivi de ses activités en Grèce, où l’Agence aurait mené des opérations de surveillance des frontières dans des régions où, simultanément, des refoulements de migrants avaient lieu ».

    Par ailleurs, les parlementaires se disent « choqués et profondément préoccupés par le suicide d’un membre du personnel, lié à des pratiques présumées de harcèlement sexuel » et se félicitent de la réouverture de ce dossier par la nouvelle direction exécutive qu’ils accueillent favorablement. Le vote négatif du Parlement européen ce 18 octobre doit être l’occasion d’une remise en question fondamentale de l’orientation du mandat de l’agence et de la manière dont elle remplit ce dernier. Des réformes structurelles, y compris en interne, doivent être mises en place au plus vite pour garantir la transparence et le respect des droits humains. La Belgique, qui siège au Conseil d’administration de Frontex, doit utiliser ce levier de manière à obtenir ces réformes. Elle doit également les exiger lors des négociations autour du Pacte européen sur la migration et l’asile dont on annonce l’adoption sous la présidence belge de l’Union européenne, début 2024.

    https://www.cncd.be/Decharge-budgetaire-de-Frontex-a
    #blocage #enfin #frontières #contrôles_frontaliers #migrations #asile #réfugiés

  • Décryptage. Audit sur les violences dans les centres fédéraux : au-delà de l’exercice de communication (2021)

    On a assisté à un exercice de communication bien emballé lors de la sortie du rapport du juge Oberholzer sur les violences dans les centres fédéraux d’asile (CFA) mi-octobre dernier. L’auteur de l’audit est venu accompagné de Mario Gattiker, Secrétaire d’État aux migrations, présenter les conclusions de son enquête et ses recommandations aux autorités. La presse a dans l’ensemble retenu le message principal calibré par le SEM : « Il n’y a pas de violence systématique » dans les CFA à l’encontre des requérant·es d’asile. Or, c’est une violence systémique que dénoncent depuis 2020 les organisations de défense des personnes hébergées dans ces lieux [1]. De fait, en écrivant que « le système actuel, qui prévoit une large externalisation des tâches en matière de sécurité à des prestataires privés, doit être remis en question », le juge Oberholzer n’est pas loin de dire la même chose.

    Son rapport recommande de ne confier les postes-clés et un pouvoir décisionnaire qu’à des fonctionnaires de l’État, à tout le moins dans le domaine de la sécurité. Une telle mesure permettrait « de combler les faiblesses systémiques [sic !] des structures organisationnelles actuelles ». Autre constat préoccupant dans ce contexte : le fait que les agent·es de sécurité n’étaient pas habilité·es à recourir à la coercition policière et fonctionnaient « sans base juridique formelle ». Les autres recommandations du rapport – meilleure formation des agent·es de sécurité, usage réglementé des « cellules d’isolement », instauration d’un mécanisme de plainte externe et indépendant, etc. – ne sont que la répétition de mesures déjà demandées de manière bien plus appuyée, notamment par la Commission nationale de prévention de la torture [2].

    Devant la presse, le SEM a évidemment assuré être satisfait de constater que « dans l’ensemble » les droits fondamentaux sont respectés et qu’une partie des recommandations est déjà en voie d’être mise en œuvre. Mais peut-on se satisfaire d’un « dans l’ensemble » ? Surtout que ce n’est qu’après plus d’un an de dénonciations par les ONG, le dépôt de plusieurs plaintes pénales et la sortie dans les médias publics des cas documentés de violences que le SEM a daigné sortir de ses dénégations et annoncer un audit.

    On soulignera en plus les limites du rapport : mandaté par le SEM pour faire la lumière sur les faits de violence dénoncés en mai 2021, le juge s’est contenté de lire les pièces de 7 dossiers ayant fait l’objet de plaintes pénales, sans les instruire, donc sans rencontrer les personnes concernées. Un choix assumé, soit. De là à minimiser les violences, comme le fait Oberholzer, en rapportant les cas de recours à la force « disproportionné, donc illicite » au nombre total de requérant·es et de personnel des CFA, il y a un pas pour le moins spécieux. C’est comme si on se gargarisait du faible nombre de condamnations pour violence conjugale alors que les mécanismes de plaintes sont peu accessibles.

    Primo, il n’existe justement pas de mécanisme de plainte externe et indépendant permettant aux victimes de dénoncer les violences au plan pénal : jusqu’ici le SEM s’y est opposé [3]. Et témoigner est une démarche périlleuse : hormis la crainte, subjective, de représailles sur la décision d’asile les concernant, les requérant·es d’asile des centres sont à la merci du pouvoir discrétionnaire du personnel du SEM et des agences de sécurité. Ces derniers peuvent prononcer toutes sortes de sanctions orales sans avoir à rendre des comptes. L’omerta est cultivée au sein des établissements : les membres du personnel osant s’en affranchir pour témoigner risquent leur poste.

    Deuxièmement, les CFA ayant volontairement été établis dans des lieux isolés pour éviter les contacts avec la société civile, on peut imaginer combien ces plaintes ne sont pas représentatives des faits dénoncés. À Bâle ou à Giffers, les plaintes pénales déposées en 2020 – et qui ne sont d’ailleurs pas considérées dans ce rapport (!) – ne l’ont été que parce que la société civile s’était engagée en soutien de ces victimes. Elles ont été déposées par des avocat·es extérieur·es au centre. Ce qui nous amène à l’autre argument fallacieux du rapport, qui prétend que « le fait que des enquêtes pénales étaient déjà été engagées dans une majorité des cas incriminés prouve d’ailleurs que la protection juridique en cas de recours à la violence avéré ou présumé dans les centres d’asile de la Confédération fonctionne et qu’une enquête indépendante et impartiale est garantie ».

    Le juge Oberholzer se trompe en laissant entendre que la représentation juridique des CFA aurait dans son mandat de défendre les personnes victimes de violence dans les centres. Les juristes en question sont uniquement mandaté·es pour la procédure d’asile. Éventuellement pour un recours en fin de procédure contre une assignation à un centre pour personnes jugées « récalcitrantes ». Mais en tout cas pas de mener des procédures pénales.

    Reste à choisir entre regarder le verre à moitié vide ou à moitié plein, sans être dupe.
    Amnesty a pour sa part maintenu ses conclusions : « les violences commises par le personnel de sécurité à l’encontre des demandeur·euses d’asile documentées étaient si graves qu’elles pouvaient, dans certains cas, être assimilées à des actes de torture ou à d’autres mauvais traitements » [4].

    Pour rappel, les CFA sont censés accueillir des personnes en recherche d’une protection. Les violences ne datent pas d’hier et sont systémiques. C’est donc le système qu’il faut changer.
    Notes
    Notes ↑1 Julia Huguenin-Dumittan, « Violences dans les CFA. S’il n’est pas systématique, le problème reste systémique », Vivre Ensemble, paru sur asile.ch le 20 octobre 2021.
    ↑2 Sophie Malka « La société civile, garde fou à l’impunité », VE 182, avril 2021.
    ↑3 Postulat 20.3776, Création d’un service de médiation indépendant pour les requérants d’asile, Brenzikofer Florence (Verts), 18.06.20.
    ↑4 Amnesty International, « Je demande que les réquérants d’asile soient traités comme des êtres humains. Violation des droits humains dans les Centres Fédéraux d’Asile suisses« , mai 2021

    https://asile.ch/2022/01/31/decryptage-audit-sur-les-violences-dans-les-centres-federaux-au-dela-de-lexerc

    #centres_fédéraux #CFA #SEM #Mario_Gattiker #SEM #asile #migrations #réfugiés #Suisse #violence #violence_systémique #privatisation #sous-traitance #Suisse

    –—

    ajouté à la métaliste sur les #centres_fédéraux :
    https://seenthis.net/messages/884092

    • Asile et externalisation : un système qui n’assume pas ses #responsabilités

      L’#audit mené par l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer concernant la violence dans les centres fédéraux d’asile met en lumière plusieurs dysfonctionnements dans le système d’asile. Au cœur de ceux-ci : le principe de l’externalisation complète de certaines tâches dites étatiques. Derrière ce mécanisme se cache un phénomène de déresponsabilisation aux conséquences non négligeables pour le quotidien des personnes réfugiées.

      Dans le domaine de l’asile, de nombreuses tâches liées à l’encadrement, à la sécurité, à la logistique, ou encore à l’assistance des personnes demandeuses d’asile (ci-après, tâches d’accueil) sont sous-traitées à des organismes tiers. Encouragés par le SEM, les appels d’offres de plus en plus nombreux, ainsi qu’une concurrence institutionnelle accrue participent à la création d’une économie de l’accueil. Dans ce contexte imprégné de logiques financières et managériales, l’essentiel n’est donc pas de bien faire, mais de bien se vendre.

      Ainsi, en 2020, la société médicale OSEARA a vu son mandat prolongé, et ce malgré les accusations portées à son encontre.[1] Motif avancé par le SEM : les autres propositions reçues en réponse à son appel d’offre étaient trop chères, et même « disproportionné·es ».[2] Dans le canton de Berne, dans le cadre de la restructuration du système d’asile cantonal entrée en vigueur le 1er juillet 2020, les organisations mandatées pour la mise en œuvre de la politique d’accueil et d’hébergement sont passées de dix à cinq : les grandes structures (à l’image d’ORS) se sont vues privilégiées aux plus petites, au détriment de celles présentes sur le terrain de longue date et de leur expertise et connaissances locales.

      Or qui dit bien se vendre dit aussi enjeux budgétaires… et budgets revus à la baisse ; une problématique qui se répercute, entre autres, sur la qualification du personnel employé dans les centres. Dans le contexte des centres fédéraux, Amnesty International, l’OSAR ou encore la Plateforme SCCFA sont unanimes : le recrutement et la formation de base du personnel encadrant et de sécurité présentent de graves lacunes. Peu formé, celui-ci ne dispose la plupart du temps pas des outils adéquats pour la prise en charge quotidienne de populations traumatisées et la gestion de conflits. Il en va de même pour le rapport de N. Oberholzer, qui recommande une meilleure formation du personnel et un encadrement à revoir.

      Mais est-ce suffisant ? Non, car ces dérives continueront tant que leurs origines structurelles – et donc systémiques – ne seront réellement questionnées. En effet, si cette problématique n’est certes pas spécifique à une gestion privatisée, elle comporte d’importants enjeux de déresponsabilisation, engendrés par le processus même d’externalisation. Du fait de la délégation de compétences, ce sont les organismes mandatés qui, à travers leurs contacts directs avec les personnes demandeuses d’asile et leurs actions quotidiennes dans ce domaine, décident du poids à accorder aux droits fondamentaux. Aussi, alors même que la responsabilité du SEM est pleine et entière (comme le rappelle d’ailleurs un avis de droit de la Commission fédérale contre le racisme[3]), elle est diluée.

      Dès lors, dans ce système complètement fragmenté, qui voit le nombre de prestataires de services se démultiplier, une meilleure définition des dispositions qui concernent les prestations d’accueil semble primordiale pour remédier aux lacunes existantes dans l’exploitation des structures d’hébergement pour personnes relevant de l’asile. Or, comme le déplore notamment l’OSAR[4], il n’existe que peu de standards contraignants pour garantir la qualité des conditions de vie dans les structures collectives d’hébergement.

      Cette absence de réglementation indique quelque chose d’important : les pouvoirs publics considèrent les appels d’offres comme les principaux instruments permettant de garantir la qualité du système d’accueil, à travers les critères et les exigences fixés pour la sélection des prestataires. Or, ceux-ci ne portent que sur la forme des services d’hébergement et d’accueil (budget, certification et autres dispositions financières et techniques) et non sur leur contenu (règlement et structure quotidienne dans les centres, sanctions, accès à l’éducation, accès à la santé et aux soins personnels, soutien aux personnes ayant des droits spécifiques, formation du personnel d’accueil et médical, etc.).

      La problématique de l’externalisation soulevée par le rapport de N. Oberholzer mérite donc d’être au cœur des débats politiques. En permettant à chaque partie d’éluder sa responsabilité, qui plus est dans un contexte où les composantes humaines, sociales et éthiques de l’asile sont négligées, elle contribue à une « sous-traitance morale » de l’accueil. Or, mandater des organisations externes ne décharge pas les pouvoirs publics de leurs prérogatives régaliennes. La responsabilité des personnes qui vivent et qui travaillent dans les centres fédéraux (et cantonaux) d’asile devrait enfin être assumée !
      Notes
      Notes ↑1 « Mandats privés : Médecins aux ordres du SEM », Sophie Malka, Vivre Ensemble n°180, décembre 2020.
      Voir aussi « Les expertises médicales douteuses de l’entreprise OSEARA pour le compte du SEM », Giada de Coulon, paru sur asile.ch le 26 janvier 2018.
      ↑2 Communiqué de presse du SEM du 9 septembre 2020
      ↑3 « Requérants d’asile dans l’espace public« , Avis de droit établi sur mandat de la Commission fédérale contre le racisme CFR, Berne, février 2017.
      ↑4 « Standards minimaux pour l’hébergement des personnes requérantes d’asile » – Prise de position de l’OSAR », avril 2019.

      https://asile.ch/2022/02/09/asile-et-externalisation-un-systeme-qui-nassume-pas-ses-responsabilites

  • « Au feu les pompiers ! » ou la société du spectacle écologique, Laurent Fonbaustier, juriste
    https://aoc.media/opinion/2022/09/01/au-feu-les-pompiers-ou-la-societe-du-spectacle-ecologique

    « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs » : c’est par ces mots qu’il y a juste vingt ans le président Jacques Chirac ouvrait son discours au Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg. Des mots qui résonnent beaucoup plus fort aujourd’hui, au sortir d’un été caniculaire marqué par nombre de mégafeux. Une relecture minutieuse du message de 2002 fait sauter à la face comme une impuissance globale d’ordres juridiques et politiques qui ne parviennent visiblement pas à éteindre l’incendie en cours d’emballement.

    « Au feu, les pompiers
    V’là la maison qui brûle
    Au feu, les pompiers
    V’là la maison brûlée.

    C’est pas moi, qui l’ai brûlée
    C’est la cantinière
    C’est pas moi, qui l’ai brûlée
    C’est le cantinier… »

    Comptine… pour adultes (extrait)

     
    « Le soleil, ni la mort, ne se peuvent regarder fixement »

    La Rochefoucault , Maximes, 1665

     

    Comment pouvons-nous encore dormir tandis que nos lits brûlent ? C’est visiblement la chanson Beds are burning, du groupe de rock australien Midnight Oil[1], qui inspira Jean-Paul Deléage, à qui l’on doit la très marquante phrase sur laquelle s’ouvrit, il y a précisément vingt ans aujourd’hui, le discours prononcé par le président Jacques Chirac lors du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg[2]. Réélu de fraîche date, le président français semblait avoir alors été convaincu de l’urgence et de la gravité de la situation écologique. Ses discours de campagne, teintés de vert, l’avaient conduit à mettre en place la « Commission Coppens ». Elle accouchera d’une Charte de l’environnement qui rejoindra, après bien des atermoiements, le bloc de constitutionnalité français le 1er mars 2005.

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    La lecture (ou l’écoute) du discours, vingt ans après, est édifiante. Il n’est pas seulement question d’écologie (et plus restrictivement encore de climat) dans une acception étroite, comme pourrait le laisser entendre une interprétation trop rapide de son titre. Le texte évoque de manière inclusive les « ressources naturelles », la diversité dans ses dimensions biologique et culturelle. La responsabilité collective de l’humanité, pays riches en tête, est mise en exergue, en lien étroit avec la nécessité d’éradiquer la pauvreté. Bien conscient, du fait de sa position institutionnelle notamment, des limites du droit international, Jacques Chirac se prend à rêver d’une Alliance mondiale pour le développement durable, dont le but serait d’être engagé simultanément sur cinq grands chantiers : le changement climatique, l’éradication de la pauvreté, la diversité au sens large, les modes de production et de consommation, ainsi qu’une « gouvernance mondiale pour humaniser et maîtriser la mondialisation ».

    Or, 20 ans après, au risque de s’abandonner à quelques généralisations hâtives et sans assommer les lectrices et lecteurs par des données chiffrées, que peut-on constater en ce qui concerne le climat, la biodiversité et les ressources naturelles ? Pour ce qui est du réchauffement climatique, les données sont biaisées car nous subissons encore aujourd’hui les conséquences d’émissions qui datent en partie d’avant 2002 et parce qu’une...

    #paywall #écologie #responsabilité #canicule #megafeux #climat #biodiversité #pauvreté #mondilisation #capitalisme

  • Helping asylum seekers in Northern Cyprus

    Asylum seekers coming to Cypriot shores is a direct result of violent pushbacks against refugees at the EU’s borders

    On May 24, 2021, three Cameroonian asylum seekers left the north of Cyprus in an attempt to reach the south. They were denied protection, triggering widespread international condemnation, and were stranded in no man’s land for nearly seven months after the Cypriot authorities refused to recognise their asylum request.

    Their predicament stemmed partly from the island’s de facto division since 1974. Crossing the United Nations-controlled Green Line separating the internationally recognised Republic of Cyprus (RoC) and the Turkish-controlled Northern Cyprus (recognised only by Turkey) is considered illegal if not authorised, even for those seeking asylum.

    The RoC authorities argued that granting the three Cameroonians asylum would encourage others to cross the Green Line, and have accused Turkey of encouraging an influx of refugees from Syria and Sub-Saharan Africa. But the reality is more complex.

    The university island

    Since 2018, Cyprus has become a major destination for refugees. As routes into the European Union via Greece close and refugees’ living conditions in countries like Turkey and Lebanon worsen, traffickers are instead offering Syrian refugees a risky crossing to Cyprus. Many arriving on the island live in dire conditions in overcrowded reception centres, while government ministers stoke anti-refugee sentiment. Some land in Northern Cyprus and mistake it for the RoC.

    The increase in the number of asylum seekers in Northern Cyprus reflects both new arrivals by boat and the ‘university island’ model. A recent study by the student group VOIS Cyprus shows a correlation between the growing number of university students in the north and the increase in asylum seekers, with 4.5 per cent of the 763 respondents (mostly third-country nationals) citing war or conflict in their home country as their reason for studying there. There are currently 21 universities in Northern Cyprus, with students from some 100 countries. For the 2021-22 academic year, there were 14,000 Turkish Cypriot students, 43,000 from Turkey, and 51,000 from third countries.

    Unfortunately for most of the refugees from the Middle East and Sub-Saharan Africa, the government in Northern Cyprus has not assumed responsibility for providing asylum to persons in need of protection. This is despite the fact that international human-rights instruments such as the UN’s 1951 Refugee Convention, the International Covenant on Civil and Political Rights, and the Convention Against Torture are part of the north’s domestic legal framework.

    In fact, there is no specific domestic legislation regarding refugee protection, and no differentiation between persons in need of protection and other migrant groups. Refugees arriving in Northern Cyprus by boat are often detained and deported. It is a similar story for students who are unable to regularise their stay due to financial difficulties and then, fearing persecution and/or war in their home countries, seek asylum.
    Who’s responsible?

    Responsibility for offering protection should lie with the UN Refugee Agency (UNHCR). But the UNHCR’s mandate in Northern Cyprus has diminished since 2014, because the lack of established rules with the local authorities have left the agency unable to offer refugees meaningful protection. The UNHCR’s mandate previously allowed for determination of refugee status in the north to be part of the procedure for deciding whether a person needed protection. Its current mandate, however, enables it to provide asylum seekers only with protection letters recognising them as ‘persons of concern’ (PoCs). In theory, this document prevents PoCs from being deported, and gives them access to the labour market, health care, and (in the case of children) education. But the absence of a comprehensive mechanism to offer even basic protection to refugees in Northern Cyprus is a concern.

    In fact, there is no official agreement between the Refugee Rights Association (RRA, which acts as the implementing partner on the UNHCR’s behalf) and the Turkish Cypriot authorities, and hence no legal basis for the UNHCR protection letters. It is simply an informal arrangement that the authorities can rescind at any time, which explains why they have made no concerted efforts to offer PoCs meaningful protection.

    Some therefore regard crossing the Green Line to the RoC as their only option, despite the RoC’s poor track record with refugees. Being recognised internationally as refugees would at least be preferable to the limbo they experience in the north.
    The EU’s and UNHCR’s failure

    It is difficult to know who exactly is to blame for asylum seekers’ plight in Northern Cyprus. But desperate people will continue making their way to Northern Cyprus, regardless of whether they are aware of its unrecognised status. International actors, particularly the UNHCR and the EU, must therefore take concrete steps to offer them meaningful protection.

    Far too often, the UNHCR has claimed that it is unable to establish relations with Northern Cyprus because it is a territory under occupation. But for many asylum seekers languishing in undignified conditions, the question of effective control does not matter. To offer them meaningful protection, the UNHCR must seek innovative ways of communicating with the authorities in the north. Giving the RRA more money and manpower to do this would be a good start.

    The EU, meanwhile, should push the RoC government to re-establish and recognise claims of protection for those who cross the Green Line and to collaborate with the authorities in the north. In addition, it should investigate the RoC’s increased and reportedly inhumane border policing, increase its support to the RRA, and encourage the Turkish authorities to pressure their Turkish Cypriot counterparts to uphold their human-rights commitments.

    More importantly, other EU member states must acknowledge their role in this debacle. The fact that asylum seekers are now opting for Cypriot shores is a direct result of violent pushbacks against refugees at these countries’ borders. The EU can – and should – provide asylum seekers safer humanitarian corridors, visas, and resettlement packages. Desperate people must not suffer more than they already have for the prospect of a better future.

    https://www.ips-journal.eu/topics/democracy-and-society/helping-asylum-seekers-in-northern-cyprus-6122
    #Chypre #asile #migrations #réfugiés #Chypre_du_Nord #frontières #responsabilité #ligne_verte #Turquie #université #étudiants #étudiants_universitaires #Kokkinotrimithia

  • Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-neuroscientifiques

    Des chercheurs en neurosciences et sociologie mettent en garde contre la thèse, qu’ils jugent scientifiquement infondée, selon laquelle une de nos #structures_cérébrales nous conditionnerait à surconsommer.

    Selon Thierry Ripoll et Sébastien Bohler, les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux #comportements_individuels déterminés par notre cerveau. Une structure, le striatum, piloterait par l’intermédiaire d’une #molécule_neurochimique, la #dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation, indiquaient-ils récemment dans un entretien au Monde.

    (#paywall)
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/07/pourquoi-detruit-on-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-scientifi

    –—

    Tribune longue :

    Dans un entretien croisé pour Le Monde, Thierry Ripoll et Sébastien Bohler présentent leur thèse commune, développée dans deux ouvrages récents et que Bohler avait résumée dans un ouvrage précédent sous le titre évocateur de « bug humain » : les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux comportements individuels déterminés par la structure même du cerveau. Précisément, le dogme de la croissance viendrait du striatum. Selon lui, cette structure cérébrale piloterait par l’intermédiaire d’une molécule neurochimique, la dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation. Ripoll reprend cette thèse à son compte, et il affirme que la décroissance économique, qu’il appelle de ses vœux pour limiter les catastrophes en cours, bute ainsi sur des limites psychobiologiques.

    Cette thèse est très forte et a des conséquences politiques très préoccupantes : la #nature_humaine, ou plus précisément notre #programmation_biologique, conditionnerait le champ des possibles concernant l’organisation socio-économique. Le modèle de croissance économique serait le seul compatible avec le #fonctionnement_cérébral humain. Cela disqualifie les projets politiques de #décroissance ou de stabilité basés sur la #délibération_démocratique. Cela déresponsabilise également les individus[i] : leur #comportement destructeur de l’#environnement n’est « pas de leur faute » mais « celle de leur #striatum ». Une conséquence logique peut être la nécessité de changer notre nature, ce qui évoque des perspectives transhumanistes, ou bien des mesures autoritaires pour contraindre à consommer moins, solution évoquée explicitement par les deux auteurs. Les neurosciences et la #psychologie_cognitive justifient-elles vraiment de telles perspectives ?

    Nous souhaitons ici solennellement informer les lectrices et les lecteurs de la totale absence de fondement scientifique de cette thèse, et les mettre en garde contre ses implications que nous jugeons dangereuses. Ce message s’adresse également à ces deux auteurs que nous estimons fourvoyés, sans préjuger de leur bonne foi. Nous ne doutons pas qu’ils soient sincèrement et fort justement préoccupés des désastres environnementaux mettant en danger les conditions d’une vie décente de l’humanité sur Terre, et qu’ils aient souhaité mobiliser leurs connaissances pour aider à trouver des solutions. Les arguments déployés sont cependant problématiques, en particulier ceux relevant des neurosciences, notre domaine principal de compétence.

    Tout d’abord, le striatum ne produit pas de #dopamine (il la reçoit), et la dopamine n’est pas l’#hormone_du_plaisir. Le neuroscientifique #Roy_Wise, qui formula cette hypothèse dans les années 70, reconnut lui-même « je ne crois plus que la quantité de plaisir ressentie est proportionnelle à la quantité de dopamine » en… 1997. L’absence de « fonction stop » du striatum pour lequel il faudrait toujours « augmenter les doses » est une invention de #Bohler (reprise sans recul par #Ripoll) en contresens avec les études scientifiques. Plus largement, la vision localisationniste du xixe siècle consistant à rattacher une fonction psychologique (le #plaisir, le #désir, l’#ingéniosité) à une structure cérébrale est bien sûr totalement obsolète. Le fonctionnement d’une aire cérébrale est donc rarement transposable en termes psychologiques, a fortiori sociologiques.

    Rien ne justifie non plus une opposition, invoquée par ces auteurs, entre une partie de #cerveau qui serait « récente » (et rationnelle) et une autre qui serait « archaïque » (et émotionnelle donc responsable de nos désirs, ou « instinctive », concept qui n’a pas de définition scientifique). Le striatum, le #système_dopaminergique et le #cortex_frontal, régions du cerveau présentes chez tous les mammifères, ont évolué de concert. Chez les primates, dont les humains, le #cortex_préfrontal a connu un développement et une complexification sans équivalent. Mais cette évolution du cortex préfrontal correspond aussi à l’accroissement de ses liens avec le reste du cerveau, dont le système dopaminergique et le striatum, qui se sont également complexifiés, formant de nouveaux réseaux fonctionnels. Le striatum archaïque est donc un #neuromythe.

    Plus généralement, les données neuroscientifiques ne défendent pas un #déterminisme des comportements humains par « le striatum » ou « la dopamine ». Ce que montrent les études actuelles en neurosciences, ce sont certaines relations entre des éléments de comportements isolés dans des conditions expérimentales simplifiées et contrôlées, chez l’humain ou d’autres animaux, et des mesures d’activités dans des circuits neuronaux, impliquant entre autres le striatum, la dopamine ou le cortex préfrontal. Le striatum autocrate, dont nous serions l’esclave, est donc aussi un neuromythe.

    Par ailleurs, Bohler et Ripoll font appel à une lecture psycho-évolutionniste simpliste, en fantasmant la vie des êtres humains au paléolithique et en supposant que les #gènes codant pour les structures du cerveau seraient adaptés à des conditions de vie « primitive », et pas à celles du monde moderne caractérisé par une surabondance de biens et de possibles[ii]. Il y a deux problèmes majeurs avec cette proposition. Tout d’abord, les liens entre les gènes qui sont soumis à la sélection naturelle, les structures cérébrales, et les #comportements_sociaux sont extrêmement complexes. Les #facteurs_génétiques et environnementaux sont tellement intriqués et à tous les stades de développement qu’il est impossible aujourd’hui d’isoler de façon fiable des #déterminismes_génétiques de comportements sociaux (et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé). Poser la surconsommation actuelle comme sélectionnée par l’évolution, sans données génétiques, est une spéculation dévoyée de la #psychologie_évolutionniste. Le second problème concerne les très faibles connaissances des modes d’#organisation_sociale des peuples qui ont vécu dans la longue période du paléolithique. Il n’existe pas à notre connaissance de preuves d’invariants ou d’un mode dominant dans leur organisation sociale. Les affirmations évolutionnistes de Bohler et Ripoll n’ont donc pas de statut scientifique.

    Il est toujours problématique de privilégier un facteur principal pour rendre compte d’évolutions historiques, quel qu’il soit d’ailleurs, mais encore plus quand ce facteur n’existe pas. Les sciences humaines et sociales montrent la diversité des modèles d’organisation sociale qui ont existé sur Terre ainsi que les multiples déterminismes socio-historiques de la « grande accélération » caractéristique des sociétés modernes dopées aux énergies fossiles. Non, toutes les sociétés n’ont pas toujours été tournées vers le désir de toujours plus, vers le progrès et la croissance économique : on peut même argumenter que la « religion du #progrès » devient dominante dans les sociétés occidentales au cours du xixe siècle[iii], tandis que le modèle de la #croissance_économique (plutôt que la recherche d’un équilibre) n’émerge qu’autour de la seconde guerre mondiale[iv]. Invoquer la « #croissance » comme principe universel du vivant, comme le fait Ripoll, abuse du flou conceptuel de ce terme, car la croissance du PIB n’a rien à voir avec la croissance des plantes.

    Il peut certes sembler légitime d’interroger si le fonctionnement du cerveau a, au côté des multiples déterminismes sociohistoriques, une part de #responsabilité dans l’état de la planète. Mais la question est mal posée, l’activité de « milliards de striatum » et les phénomènes socioéconomiques ne constituant pas le même niveau d’analyse. Bohler et Ripoll ne proposent d’ailleurs pas d’explications au niveau cérébral, mais cherchent à légitimer une explication psychologique prétendument universelle (l’absence d’#autolimitation) par la #biologie. Leurs réflexions s’inscrivent donc dans une filiation ancienne qui cherche une explication simpliste aux comportements humains dans un #déterminisme_biologique, ce qu’on appelle une « #naturalisation » des #comportements. Un discours longtemps à la mode (et encore présent dans la psychologie populaire) invoquait par exemple le « #cerveau_reptilien » à l’origine de comportements archaïques et inadaptés, alors que cette pseudo-théorie proposée dans les années 60 a été invalidée quasiment dès son origine[v]. Le « striatum », la « dopamine », le « #système_de_récompense », ou le « #cerveau_rapide et le #cerveau_lent » sont en fait de nouvelles expressions qui racontent toujours à peu près la même histoire. Loin d’être subversive, cette focalisation sur des déterminismes individuels substitue la #panique_morale [vi] à la #réflexion_politique et ne peut mener, puisque nous serions « déterminés », qu’à l’#impuissance ou à l’#autoritarisme.

    Les erreurs des arguments développés par Bohler et Ripoll ont d’ores et déjà été soulignées à propos d’ouvrages précédents de Bohler[vii]. Nous souhaitons également rappeler qu’il existe un processus d’évaluation des productions scientifiques (y compris théoriques) certes imparfait mais qui a fait ses preuves : la revue par les pairs. Aucun de ces deux auteurs ne s’y est soumis pour avancer ces propositions[viii]. Il n’est pas sûr que notre rôle de scientifiques consiste à évaluer les approximations (et c’est un euphémisme) qui sont en continu publiées dans des livres ou dans la presse. Notre réaction présente est une exception justifiée par une usurpation des neurosciences, la gravité des enjeux écologiques dont ces auteurs prétendent traiter, ainsi que par la popularité grandissante que ces thèses semblent malheureusement rencontrer[ix].

    _____________________

    Ce texte n’est pas issu des travaux de l’atelier d’écologie politique mais il résonne fortement avec d’autres travaux de l’atécopol. Il a été rédigé par Etienne Coutureau, chercheur CNRS en neurosciences (Bordeaux), Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS en neurosciences et en écologie politique et membre de l’atécopol (Toulouse), Sébastien Lemerle, enseignant-chercheur en sociologie (Paris-Nanterre), Jérémie Naudé, chercheur CNRS en neurosciences (Montpellier) et Emmanuel Procyk, chercheur CNRS en neurosciences (Lyon).

    [i] Jean-Michel Hupé, Vanessa Lea, « Nature humaine. L’être humain est-il écocidaire par nature ? », dans Greenwashing : manuel pour dépolluer le débat public, Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), Paris, Le Seuil, 2022, p. 150-156.

    [ii] Philippe Huneman, Hugh Desmond, Agathe Du Crest, « Du darwinisme en sciences humaines et sociales (1/2) », AOC, 15 décembre 2021.

    [iii] François Jarrige, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2014.

    [iv] Timothy Mitchell, « Economentality : how the future entered government », Critical inquiry, 2014, vol. 40, p. 479-507. Karl Polanyi a par ailleurs montré comment l’économie de marché est une construction socio-historique : La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, (1944) 1983.

    [v] Sébastien Lemerle, Le cerveau reptilien. Sur la popularité d’une erreur scientifique, Paris, CNRS éditions, 2021.

    [vi] Jean-Michel Hupé, Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « Effondrement sociologique ou la panique morale d’un sociologue », Politix, n° 134, 2021. Cet article témoigne également que Bohler et Ripoll ne sont pas les seuls intellectuels mobilisant les neurosciences de façon très contestable.

    [vii] Jérémie Naudé (2019), « Les problèmes avec la théorie du "bug humain", selon laquelle nos problème d’écologie viendraient d’un bout de cerveau, le striatum » ; Thibault Gardette (2020), « La faute à notre cerveau, vraiment ? Les erreurs du Bug humain de S. Bohler » ; Alexandre Gabert (2021), « Le cortex cingulaire peut-il vraiment "changer l’avenir de notre civilisation" ? », Cortex Mag, interview d’Emmanuel Procyk à propos de Sébastien Bohler, Où est le sens ?, Paris, Robert Laffont, 2020.

    [viii] Le bug humain de Sébastien Bohler (Paris, Robert Laffont, 2019) a certes obtenu « le Grand Prix du Livre sur le Cerveau » en 2020, décerné par la Revue Neurologique, une revue scientifique à comité de lecture. Ce prix récompense « un ouvrage traitant du cerveau à destination du grand public ». Les thèses de Bohler n’ont en revanche pas fait l’objet d’une expertise contradictoire par des spécialistes du domaine avant la publication de leurs propos, comme c’est la norme pour les travaux scientifiques, même théoriques.

    [ix] La thèse du bug humain est ainsi reprise dans des discours de vulgarisation d’autorité sur le changement climatique, comme dans la bande dessinée de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, Le monde sans fin, Paris, Dargaud, 2021.

    https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/070722/pourquoi-detruit-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-neur
    #neuro-science #neuroscience #critique #écologie #surconsommation #politisation #dépolitisation #politique

  • Immigration : sous la une de Mediapart | 14.08.22

    1./ International — Parti pris

    Les exilés meurent, le monde ferme les yeux

    Du nord de la France à la mer Égée en passant par la Méditerranée ou le Mexique, les morts aux frontières se multiplient, sans que cela provoque la moindre réaction chez nos dirigeants politiques. Cette banalisation ne peut perdurer.

    par Nejma Brahim

    https://www.mediapart.fr/journal/international/130822/les-exiles-meurent-le-monde-ferme-les-yeux

    2./ Politique

    Projet de loi immigration : des titres de séjour suspendus aux « principes de la République »

    Le ministre de l’intérieur veut priver de titre de séjour les personnes étrangères qui manifestent un « rejet des principes de la République ». Cette mesure, déjà intégrée à la loi « séparatisme » de 2021 mais déclarée inconstitutionnelle, resurgit dans le texte qui doit être examiné d’ici la fin de l’année.

    par Camille Polloni

    https://www.mediapart.fr/journal/france/120822/projet-de-loi-immigration-des-titres-de-sejour-suspendus-aux-principes-de-

    • Les exilés meurent, le monde ferme les yeux

      Du nord de la France à la mer Égée en passant par la Méditerranée ou le Mexique, les morts aux frontières se multiplient, sans que cela provoque la moindre réaction chez nos dirigeants politiques. Cette #banalisation ne peut perdurer.

      Combien de temps encore laisserons-nous les exilés livrés à eux-mêmes ; contraints, faute de voies légales de migration, d’emprunter de dangereuses routes par l’intermédiaire de réseaux de passeurs souvent peu scrupuleux ? La question mérite d’être posée, à l’heure où les drames humains se suivent et se ressemblent, aux quatre coins du monde, sans qu’ils suscitent la moindre réaction politique.

      En France, mercredi 10 août, Mohammed est mort près d’un campement à Grande-Synthe, dans le Nord. Le jeune homme, de nationalité soudanaise, s’est noyé à l’âge de 22 ans en faisant sa toilette dans un canal, faute d’un accès digne à l’eau - l’un des nombreux droits fondamentaux des exilés que la France bafoue, au quotidien. Le 20 juillet dernier, l’association Human Rights Observers documentait comment, en pleine canicule, la préfecture du Nord avait ordonné la saisie de cuves d’eau mises à la disposition des exilé·es.

      « Une mort de plus qui n’a rien d’un accident, elle est le résultat des politiques criminelles à nos frontières », a dénoncé Utopia 56 à propos de Mohammed. L’association, qui vient en aide aux exilés dans le Calaisis et le Dunkerquois, s’échine à rendre hommage aux victimes disparues à cette frontière – plus de trois cents depuis 1999, un bilan alourdi par le naufrage du 24 novembre 2021 – et à mettre un nom sur ceux et celles que l’on préfère, par facilité, appeler « les migrants ».

      La veille, mardi 9 août, un important naufrage survenait en mer Égée, au large de l’île grecque de Karpathos. Mercredi 10 août au matin, les gardes-côtes grecs annonçaient avoir secouru vingt-neuf personnes, mais entre trente et cinquante personnes restaient encore portées disparues. L’embarcation avait quitté la ville turque d’Antalya dans l’objectif de rallier l’Italie.

      C’est sur cette route – celle de la Méditerranée orientale – que sont régulièrement documentés des « push-backs » (« refoulements »), pourtant illégaux au regard du droit international. Ces derniers sont parfois meurtriers : les migrant·es sont forcé·es de monter à bord d’une embarcation sans moteur, puis repoussé·es vers le large, sans eau ni nourriture, et donc sans garantie de survie (lire notre enquête).
      La société civile porte seule la responsabilité de ces vies

      En Méditerranée centrale, où seuls des navires humanitaires affrétés par des ONG européennes comme SOS Méditerranée, Open Arms, Sea-Watch ou Sea-Eye (lorsqu’ils ne sont pas bloqués à quai par les autorités italiennes) volent au secours des migrant·es qui tentent la périlleuse traversée de la mer, plusieurs autres drames se sont joués ces derniers jours. Mardi 9 août, huit personnes – trois femmes, quatre enfants et un homme – ont perdu la vie dans un naufrage au large de la Tunisie.

      Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), près de 1 200 personnes sont mortes sur cette route depuis le début de l’année. La veille, lundi 8 août, six autres personnes mouraient dans un naufrage au large de la capitale algérienne. Une femme enceinte figurait parmi les survivants.

      Outre-Atlantique, trois personnes sont mortes en traversant le Darién Gap entre la Colombie et le Panama, trois autres en tentant d’atteindre le Nicaragua par la mer, et cinq autres entre Cuba et les États-Unis. Deux semaines plus tôt, dix-sept Haïtiens avaient déjà péri après que leur embarcation a chaviré au large des Bahamas.

      Fin juin, plus de cinquante personnes exilées originaires du Mexique, du Guatemala ou du Honduras étaient retrouvées mortes dans un camion surchauffé au Texas. Joe Biden s’est contenté de jeter la pierre aux passeurs, évoquant une « industrie criminelle qui brasse plusieurs milliards de dollars » et « exploite [les exilé·es] sans respect pour leur vie ». En France, Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, en avait fait autant après le naufrage du 24 novembre dernier au large de Calais.

      Difficile d’imaginer une fin à cette liste funeste. Faut-il pour autant admettre que ces tragédies se banalisent ? Si les réseaux organisés de passeurs ont une part de responsabilité, les États occidentaux oublient qu’ils sont, avant toute chose, les scénaristes de ces films d’horreur au décor de plus en plus hostile.

      Restrictions sur l’octroi de visas, droit d’asile bafoué, refoulements illégaux, construction de murs, barbelés et contrôles accrus aux frontières, violences policières sont autant de décisions assumées et réfléchies pour empêcher les candidat·es à l’exil de rallier nos terres, au prétexte qu’ils ou elles n’auraient pas la bonne couleur de peau ou la bonne « culture », pour toujours davantage maîtriser nos « flux migratoires ».

      Et tant pis si cela implique des morts. Qui s’en soucie encore, hormis les associations et citoyen·nes solidaires ? Plus de 24 000 personnes (enregistrées) ont péri sur la seule route de la Méditerranée depuis 2014. Un chiffre qui devrait nous tordre l’estomac, mais auquel tout le monde ou presque semble s’être habitué.

      Seul le visage du petit Alan Kurdi, découvert mort noyé à l’âge de 2 ans sur une plage turque en 2015 après avoir traversé la Méditerranée, avait permis de réveiller les consciences. Cela n’a malheureusement pas duré.

      Tout porte à croire que nos #frontières maritimes et terrestres ont désormais pour rôle de « nettoyer » le monde de personnes perçues comme « illégitimes ». Mais criminaliser des vies et des parcours qui n’ont rien de criminels n’est pas digne de nos démocraties.

      Les migrations caractérisent un phénomène naturel, auquel mieux vaut s’adapter plutôt que de tenter de l’endiguer pour simplement répondre aux peurs insensées d’une partie de l’opinion publique.

      Alors qu’elles vont certainement s’amplifier avec le dérèglement climatique (lui aussi assumé), les États occidentaux ne peuvent plus se dérober à leurs #responsabilités. Ils ont le devoir de s’organiser pour développer une véritable politique d’accueil. Cessons de fermer les yeux, cessons de compter les morts.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/130822/les-exiles-meurent-le-monde-ferme-les-yeux

      #décès #morts #morts_aux_frontières #mourir_aux_frontières #asile #migrations #réfugiés #responsabilité

  • De la #démocratie en #Pandémie. #Santé, #recherche, #éducation

    La conviction qui nous anime en prenant aujourd’hui la parole, c’est que plutôt que de se taire par peur d’ajouter des polémiques à la confusion, le devoir des milieux universitaires et académiques est de rendre à nouveau possible la discussion scientifique et de la publier dans l’espace public, seule voie pour retisser un lien de confiance entre le savoir et les citoyens, lui-même indispensable à la survie de nos démocraties. La stratégie de l’omerta n’est pas la bonne. Notre conviction est au contraire que le sort de la démocratie dépendra très largement des forces de résistance du monde savant et de sa capacité à se faire entendre dans les débats politiques cruciaux qui vont devoir se mener, dans les mois et les années qui viennent, autour de la santé et de l’avenir du vivant.

    https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts/De-la-democratie-en-Pandemie

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    Et une citation :

    « La conviction qui nous anime en prenant aujourd’hui la parole, c’est que plutôt que de se taire par peur d’ajouter des #polémiques à la #confusion, le devoir des milieux universitaires et académiques est de rendre à nouveau possible la discussion scientifique et de la publier dans l’espace public, seule voie pour retisser un lien de confiance entre le #savoir et les citoyens, lui-même indispensable à la survie de nos démocraties. La stratégie de l’ _#omerta_ n’est pas la bonne. Notre conviction est au contraire que le sort de la démocratie dépendra très largement des forces de résistance du monde savant et de sa capacité à se faire entendre dans les débats politiques cruciaux qui vont devoir se mener, dans les mois et les années qui viennent, autour de la santé et de l’avenir du vivant. »

    #syndémie #désert_médical #zoonose #répression #prévention #confinement #covid-19 #coronavirus #inégalités #autonomie #état_d'urgence #état_d'urgence_sanitaire #exception #régime_d'exception #Etat_de_droit #débat_public #science #conflits #discussion_scientifique #résistance #droit #santé #grève #manifestation #déni #rationalité #peur #panique #colère #confinement #enfermement #défiance #infantilisation #indiscipline #essentiel #responsabilité #improvisation #nudge #attestation_dérogatoire_de_déplacement #libéralisme_autoritaire #autoritarisme #néolibéralisme #colloque_Lippmann (1938) #économie_comportementale #Richard_Thaler #Cass_Sunstein #neuroscience #économie #action_publique #dictature_sanitaire #consentement #acceptabilité_sociale #manufacture_du_consentement #médias #nudging #consulting #conseil_scientifique #comité_analyse_recherche_et_expertise (#CARE) #conseil_de_défense #hôpitaux #hôpital_public #système_sanitaire #éducation #destruction #continuité_pédagogique #e-santé #université #portefeuille_de_compétences #capital_formation #civisme #vie_sociale #déconfinement #austérité #distanciation_sociale #héroïsation #rhétorique_martiale #guerre #médaille_à_l'engagement #primes #management #formations_hybrides #France_Université_Numérique (#FUN) #blended_learning #hybride #Loi_de_programmation_de_la_recherche (#LPR ou #LPPR) #innovation #start-up_nation #couvre-feu #humiliation #vaccin #vaccination
    #livre #livret #Barbara_Stiegler

    • secret @jjalmad
      https://twitter.com/jjalmad/status/1557720167248908288

      Alors. Pour Stiegler je veux bien des ref si tu as ça, j’avais un peu écouté des conf en mode méfiance mais il y a un moment, sans creuser, et je me disais que je devais pousser parce qu’en effet grosse ref à gauche

      @tapyplus

      https://twitter.com/tapyplus/status/1557720905828253698

      Check son entretien avec Desbiolles chez les colibris par ex. T’as aussi ses interventions à ASI, son entretien avec Ruffin, etc. C’est une philosophe médiatique, on la voit bcp. Et elle dit bien de la merde depuis qq tps. Aussi un live de la méthode scientifique avec Delfraissy

      Je suis pas sur le PC mais je peux te lister pas mal de sources. D’autant plus pbtk parce que « réf » à gauche. Mais dans le détail elle dit de la merde en mode minimiser le virus + méconnaissance de l’antivaccinisme. Et du « moi je réfléchit » bien claqué élitiste et méprisant.

      Quelques interventions de B Stiegler (en vrac) :
      Alors la première m’avait interpellée vu qu’elle était partie en HS complet à interpeller Delfraissy sur les effets secondaires des vaccins : https://radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/et-maintenant-la-science-d-apres-8387446
      (le pauve N Martin se retrouvait sur un débat complètement HS)

      Il y a d’une part la critique politique (rapport à la démocratie en santé publique), mais pour Stiegler outre la position « le gvt en fait trop, c’est des mesures autoritaires inutiles » elle se positionne par ailleurs sur des choix

      Parler des EI des vaccins sans balancer avec les effets de la maladie. Utilisation de la santé mentale des enfants pour critiquer le port du masque à l’école, lecture de la situation où il n’y aurait que gvt vs libertay, et en omettant complètement toutes les positions développées par l’autodéfense sanitaire et les militants antivalidistes et de collectifs de patients (immunodéprimés, covid long, ...) quand ils ne vont pas dans son narratif.

      Elle met de côté toutes les lectures matérialistes de la situation et sort clairement de son champ de compétence sur certains points, tout en ne donnant que très peu de sources et de points de référence pour étayer ses propos.

      Genre elle critique la pharmacovigilance et les EI mais elle ne donne jamais aucune source ni aucune information sur les outils, méthodes et acteurs qui travaillent ces sujets. Pareil quand elle dit découvrir les critiques des vaccination. Il y a de quoi faire avec les travaux historique sur la #santé_publique et la vaccination. A t elle interrogé des spécialiste de ces sujets, notamment les spécialistes qui ne vont pas que dans le sens de son propos. Elle semble manquer cruellement de référence historique sur le sujet alors qu’elle s’en saisit et qu’elle a une aura d’#intellectuelle_de_gauche, donc plein de monde lui accorde une confiance et trouve qu’elle est très pertinente sur certains sujets. Mais sur le traitement des points techniques elle me semble plutôt à la ramasse et ce qui ne va pas dans son sens est renvoyé à la doxa gouvernementale ou technoscientiste liberale, sans apparemment regarder les contenus eux même. Et Desbiolles c’est pareil. Alla je connais moins et je l’ai entendu dire qq trucs pertinents (sur les profils des non vaccines par exemple) mais le fait qu’il cite Desbiolles devant l’opecst, alors que celle ci racontait des trucs bien limites sur les masques et les enfants, ça me met des warnings.

      Je rajouterai 2 points : 1) il y a des sujets super intéressants à traiter de trouver comment on construit une position collective sur des questions de santé publique, ni individualiste ni subissant l’autorité de l’état. Genre comment penser une réflexions sur les vaccinations (en général, pas spécifiquement covid) dans une perspective émancipatrice et libertaire, comment on fait collectif, comment on mutualise des risques, comment on se donne des contraintes individuelles pour soutenir celles et ceux qui en ont plus besoin.

      Stiegler ne fait que critiquer l’autoritarisme d’état, parle de démocratie, mais ne propose aucune piste concrète ni axe de réflexion pour développer cela. D’autres personnes le font et développent cela, et c’est des sujets non triviaux sur lesquels il est important de délibérer.

      2) Un autre point c’est son discours, comme ceux d’autres intellectuels, est surtout axé sur la partie « choix libre » de la phrase « choix libre et éclairé », et n’évoquent pas vraiment la manière dont on construit collectivement la partie « éclairé »

      Il y a des sujets super importants à traiter sur le rapport aux paroles d’expert, de la place des scientifiques dans un débat public, de la dialectique entre connaissance scientifique et choix politiques et éthiques, bref plein d’enjeux d’éducation populaire

      Ah et aussi dernier point que j’ai déjà évoqué par le passé : l’axe « liberté » sur les questions de vaccination, c’est un argument central des discours antivaccinaux, qui axent sur le fait que les individus peuvent choisir librement etc. C’est assez documenté et c’est par exemple un registre argumentaire historique de la Ligue Nationale Pour la Liberté de Vaccination (LNPLV), qui défend le rapport au choix, défendant les personnes qui ont refusé les vaccinations obligatoires. Mais sous couvert de nuance et de démocratie, ce sont des positions antivaccinales assez claires qui sont défendues. Ce truc de la nuance et de la liberté, tu la retrouves par exemple également chez les anthroposophes (j’en parlais récemment dans un thread).

      j’ai enfin compris pourquoi on dit intellectuel de gauche : c’est pour indiquer avec quel pied leur marcher dessus.

  • « Tant qu’on sera dans un système capitaliste, il y aura du #patriarcat » – Entretien avec #Haude_Rivoal

    Haude Rivoal est l’autrice d’une enquête sociologique publiée en 2021 aux éditions La Dispute, La fabrique des masculinités au travail. Par un travail de terrain de plusieurs années au sein d’une entreprise de distribution de produits frais de 15 000 salariés, la sociologue cherche à comprendre comment se forgent les identités masculines au travail, dans un milieu professionnel qui se précarise (vite) et se féminise (lentement). Les travailleurs, majoritairement ouvriers, sont soumis comme dans tous les secteurs à l’intensification, à la rationalisation et à la flexibilisation du travail. Leur réponse aux injonctions du capitalisme et à la précarisation de leur statut, c’est entre autres un renforcement des pratiques viriles : solidarité accrue entre hommes, exclusion subtile (ou non) des femmes, déni de la souffrance… Pour s’adapter pleinement aux exigences du capitalisme et du patriarcat, il leur faut non seulement être de bons travailleurs, productifs, engagés et disciplinés, mais aussi des “hommes virils mais pas machos”. Pour éviter la mise à l’écart, adopter de nouveaux codes de masculinité est donc nécessaire – mais laborieux. Dans cette étude passionnante, Haude Rivoal met en lumière les mécanismes de la fabrique des masculinités au travail, au croisement des facteurs de genre, de classe et de race.

    Entretien par Eugénie P.

    Ton hypothèse de départ est originale, elle va à rebours des postulats féministes habituels : au lieu d’étudier ce qui freine les femmes au travail, tu préfères analyser comment les hommes gardent leur hégémonie au travail « malgré la déstabilisation des identités masculines au et par le travail ». Pourquoi as-tu choisi ce point de départ ?

    J’étais en contrat Cifre [contrat de thèse où le ou la doctorant.e est embauché.e par une entreprise qui bénéficie également de ses recherches, ndlr] dans l’entreprise où j’ai fait cette enquête. J’avais commencé à étudier les femmes, je voulais voir comment elles s’intégraient, trouvaient des stratégies pour s’adapter dans un univers masculin à 80%. Ce que je découvrais sur le terrain était assez similaire à toutes les enquêtes que j’avais pu lire : c’était les mêmes stratégies d’adaptation ou d’autocensure. J’ai été embauchée pour travailler sur l’égalité professionnelle, mais je n’arrivais pas à faire mon métier correctement, parce que je rencontrais beaucoup de résistances de la part de l’entreprise et de la part des hommes. Et comme je ne comprenais pas pourquoi on m’avait embauchée, je me suis dit que ça serait intéressant de poser la question des résistances des hommes, sachant que ce n’est pas beaucoup étudié par la littérature sociologique. J’ai changé un peu de sujet après le début de ma thèse, et c’est au moment où est sortie la traduction française des travaux de Raewyn Connell [Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, ndlr] : cet ouvrage m’a ouvert un espace intellectuel complètement fou ! Ça m’a beaucoup intéressée et je me suis engouffrée dans la question des masculinités.

    C’est donc la difficulté à faire ton travail qui a renversé ton point de vue, en fait ?

    Oui, la difficulté à faire le travail pour lequel j’ai été embauchée, qui consistait à mettre en place des politiques d’égalité professionnelle : je me rendais compte que non seulement je n’avais pas les moyens de les mettre en place, mais qu’en plus, tout le monde s’en foutait. Et je me suis rendue compte aussi que l’homme qui m’avait embauchée pour ce projet était lui-même extrêmement sexiste, et ne voyait pas l’existence des inégalités hommes-femmes, donc je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il m’avait embauchée. J’ai compris plus tard que les raisons de mon embauche était une défense de ses propres intérêts professionnels, j’y reviendrai. Ce n’est pas qu’il était aveugle face aux inégalités – il travaillait dans le transport routier depuis 40 ans, évidemment que les choses avaient changé -, mais j’avais beau lui expliquer que les discriminations étaient plus pernicieuses, il était persuadé qu’il ne restait plus grand-chose à faire sur l’égalité hommes-femmes.

    Comment se manifeste cette “déstabilisation des identités masculines au et par le travail”, cette supposée « crise de la virilité », que tu évoques au début de ton livre ?

    Je me suis rendue compte en interviewant les anciens et les nouveaux que rien qu’en l’espace d’une génération, il y avait beaucoup moins d’attachement à l’entreprise. Les jeunes générations avaient très vite compris que pour monter dans la hiérarchie, pour être mieux payé ou pour avoir plus de responsabilités, il ne suffisait pas juste d’être loyal à l’entreprise : il fallait la quitter et changer de boulot, tout simplement. Ce n’est pas du tout l’état d’esprit des anciens, dont beaucoup étaient des autodidactes qui avaient eu des carrières ascensionnelles. Il y avait énormément de turnover, et ça créait un sentiment d’instabilité permanent. Il n’y avait plus d’esprit de solidarité ; ils n’arrêtaient pas de dire “on est une grande famille” mais au final, l’esprit de famille ne parlait pas vraiment aux jeunes. Par ailleurs, dans les années 2010, une nouvelle activité a été introduite : la logistique. Il y a eu beaucoup d’enquêtes sur le sujet ! Beaucoup de médias ont parlé de l’activité logistique avec les préparateurs de commandes par exemple, une population majoritairement intérimaire, très précaire, qui ne reste pas longtemps… et du coup, beaucoup d’ouvriers qui avaient un espoir d’ascension sociale se sont retrouvés contrariés. Ce n’est pas exactement du déclassement, mais beaucoup se sont sentis coincés dans une précarité, et d’autant plus face à moi qui suis sociologue, ça faisait un peu violence parfois. Donc c’est à la fois le fait qu’il y ait beaucoup de turnover, et le fait qu’il n’y ait plus le même sentiment de famille et de protection que pouvait apporter l’entreprise, qui font qu’il y a une instabilité permanente pour ces hommes-là. Et comme on sait que l’identité des hommes se construit en grande partie par le travail, cette identité masculine était mise à mal : si elle ne se construit pas par le travail, par quoi elle se construit ?

    Ça interroge beaucoup le lien que tu évoques entre le capitalisme et le patriarcat : la précarisation et la flexibilisation du travail entraînent donc un renforcement des résistances des hommes ?

    Oui, carrément. Il y a beaucoup d’hommes, surtout dans les métiers ouvriers, qui tirent une certaine fierté du fait de faire un “métier d’hommes ». Et donc, face à la précarisation du travail, c’est un peu tout ce qu’il leur reste. Si on introduit des femmes dans ces métiers-là, qui peuvent faire le boulot dont ils étaient si fiers parce que précisément c’est un “métier d’hommes”, forcément ça crée des résistances très fortes. Quand l’identité des hommes est déstabilisée (soit par la précarisation du travail, soit par l’entrée des femmes), ça crée des résistances très fortes.

    Tu explores justement les différentes formes de résistance, qui mènent à des identités masculines diversifiées. L’injonction principale est difficile : il faut être un homme « masculin mais pas macho ». Ceux qui sont trop machos, un peu trop à l’ancienne, sont disqualifiés, et ceux qui sont pas assez masculins, pareil. C’est un équilibre très fin à tenir ! Quelles sont les incidences concrètes de ces disqualifications dans le travail, comment se retrouvent ces personnes-là dans le collectif ?

    Effectivement, il y a plein de manières d’être homme et il ne suffit pas d’être un homme pour être dominant, encore faut-il l’être “correctement”. Et ce “correctement” est presque impossible à atteindre, c’est vraiment un idéal assez difficile. Par exemple, on peut avoir des propos sexistes, mais quand c’est trop vulgaire, que ça va trop loin, là ça va être disqualifié, ça va être qualifié de “beauf”, et pire, ça va qualifier la personne de pas très sérieuse, de quelqu’un à qui on ne pourra pas trop faire confiance. L’incidence de cette disqualification, c’est que non seulement la personne sera un peu mise à l’écart, mais en plus, ce sera potentiellement quelqu’un à qui on ne donnera pas de responsabilités. Parce qu’un responsable doit être un meneur d’hommes, il faut qu’il soit une figure exemplaire, il doit pouvoir aller sur le terrain mais aussi avoir des qualités d’encadrement et des qualités intellectuelles. Donc un homme trop vulgaire, il va avoir une carrière qui ne va pas décoller, ou des promotions qui ne vont pas se faire.

    Quant à ceux qui ne sont “pas assez masculins », je n’en ai pas beaucoup rencontrés, ce qui est déjà une réponse en soi !

    Peut-on dire qu’il y a une “mise à l’écart” des travailleurs les moins qualifiés, qui n’ont pas intégré les nouveaux codes de la masculinité, au profit des cadres ?

    Non, c’est un phénomène que j’ai retrouvé aussi chez les cadres. Mais chez les cadres, le conflit est plutôt générationnel : il y avait les vieux autodidactes et les jeunes loups, et c’est la course à qui s’adapte le mieux aux transformations du monde du travail, qui vont extrêmement vite, en particulier dans la grande distribution. C’est une des raisons pour laquelle le directeur des RH m’a embauchée : il avait peur de ne pas être dans le coup ! L’égalité professionnelle était un sujet, non seulement parce qu’il y avait des obligations légales mais aussi parce que dans la société, ça commençait à bouger un peu à ce moment-là. Donc il s’est dit que c’est un sujet porteur et que potentiellement pour sa carrière à lui, ça pouvait être très bon. Ça explique qu’il y ait des cadres qui adhèrent à des projets d’entreprise avec lesquels ils ne sont pas forcément d’accord, mais juste parce qu’il y a un intérêt final un peu égoïste en termes d’évolution de carrière.

    On dit toujours que les jeunes générations sont plus ouvertes à l’égalité que les aînés, je pense que ce n’est pas tout à fait vrai ; les aînés ont à cœur de s’adapter, ils ont tellement peur d’être dépassés que parfois ils peuvent en faire plus que les jeunes. Et par ailleurs, les jeunes sont ouverts, par exemple sur l’équilibre vie pro et vie perso, mais il y a quand même des injonctions (qui, pour le coup, sont propres au travail) de présentéisme, de présentation de soi, d’un ethos viril à performer… qui font qu’ils sont dans des positions où ils n’ont pas d’autres choix que d’adopter certains comportements virilistes. Donc certes, ils sont plus pour l’égalité hommes-femmes, mais ils ne peuvent pas complètement l’incarner.

    L’une de tes hypothèses fortes, c’est que le patriarcat ingurgite et adapte à son avantage toutes les revendications sur la fin des discriminations pour se consolider. Est-ce qu’on peut progresser sur l’égalité professionnelle, et plus globalement les questions de genre, sans que le patriarcat s’en empare à son avantage ?

    Très clairement, tant qu’on sera dans un système capitaliste, on aura toujours du patriarcat, à mon sens. C’était une hypothèse, maintenant c’est une certitude ! J’ai fait une analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, pour dire que la domination masculine est pareille que le capitalisme, elle trouve toujours des moyens de se renouveler. En particulier, elle est tellement bien imbriquée dans le système capitaliste qui fonctionne avec les mêmes valeurs virilistes (on associe encore majoritairement la virilité aux hommes), que les hommes partent avec des avantages compétitifs par rapport aux femmes. Donc quand les femmes arrivent dans des positions de pouvoir, est-ce que c’est une bonne nouvelle qu’elles deviennent “des hommes comme les autres”, c’est-à-dire avec des pratiques de pouvoir et de domination ? Je ne suis pas sûre. C’est “l’égalité élitiste” : des femmes arrivent à des positions de dirigeantes, mais ça ne change rien en dessous, ça ne change pas le système sur lequel ça fonctionne, à savoir : un système de domination, de hiérarchies et de jeux de pouvoir.

    Donc selon toi, l’imbrication entre patriarcat et capitalisme est indissociable ?

    Absolument, pour une simple et bonne raison : le capitalisme fonctionne sur une partie du travail gratuit qui est assuré par les femmes à la maison. Sans ce travail gratuit, le système capitaliste ne tiendrait pas. [à ce sujet, voir par exemple les travaux de Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, ndlr]

    Ça pose la question des politiques d’égalité professionnelle en entreprise : sans remise en question du système capitaliste, elles sont destinées à être seulement du vernis marketing ? On ne peut pas faire de vrais progrès ?

    Je pense que non. D’ailleurs, beaucoup de gens m’ont dit que mon livre était déprimant pour ça. Je pense que les politiques d’égalité professionnelle ne marchent pas car elles ne font pas sens sur le terrain. Les gens ne voient pas l’intérêt, parce qu’ils fonctionnent essentiellement d’un point de vue rationnel et économique (donc le but est de faire du profit, que l’entreprise tourne et qu’éventuellement des emplois se créent, etc), et ils ne voient pas l’intérêt d’investir sur ce sujet, surtout dans les milieux masculins car il n’y a pas suffisamment de femmes pour investir sur le sujet. J’ai beau leur dire que justement, s’il n’y a pas de femmes c’est que ça veut dire quelque chose, ils ont toujours des contre-arguments très “logiques” : par exemple la force physique. Ils ne vont pas permettre aux femmes de trouver une place égale sur les postes qui requièrent de la force physique. Quand les femmes sont intégrées et qu’elles trouvent une place valorisante, ce qui est le cas dans certains endroits, c’est parce qu’elles sont valorisées pour leurs qualités dites “féminines”, d’écoute, d’empathie, mais elles n’atteindront jamais l’égalité car précisément, elles sont valorisées pour leur différence. Le problème n’est pas la différence, ce sont les inégalités qui en résultent. On peut se dire que c’est super que tout le monde soit différent, mais on vit dans un monde où il y a une hiérarchie de ces différences. Ces qualités (écoute, empathie) sont moins valorisées dans le monde du travail que le leadership, l’endurance…

    Ça ne nous rassure pas sur les politiques d’égalité professionnelle…

    Si les politiques d’égalité professionnelle marchaient vraiment, on ne parlerait peut-être plus de ce sujet ! Je pense que les entreprises n’ont pas intérêt à ce qu’elles marchent, parce que ça fonctionne bien comme ça pour elles. Ca peut prendre des formes très concrètes, par exemple les RH disaient clairement en amont des recrutements : ”on prend pas de femmes parce que physiquement elles ne tiennent pas”, “les environnement d’hommes sont plus dangereux pour elles”, “la nuit c’est pas un environnement propice au travail des femmes”… Tu as beau répondre que les femmes travaillent la nuit aussi, les infirmières par exemple… Il y a un tas d’arguments qui montrent la construction sociale qui s’est faite autour de certains métiers, de certaines qualités professionnelles attendues, qu’il faudrait déconstruire – même si c’est très difficile à déconstruire. Ça montre toute une rhétorique capitaliste, mais aussi sexiste, qui explique une mise à l’écart des femmes.

    On a l’impression d’une progression linéaire des femmes dans le monde du travail, que ça avance doucement mais lentement, mais je constate que certains secteurs et certains métiers se déféminisent. On observe des retours en arrière dans certains endroits, ce qui légitime encore plus le fait de faire des enquêtes. Ce n’est pas juste un retour de bâton des vieux mormons qui veulent interdire l’avortement, il y aussi des choses plus insidieuses, des résistances diverses et variées.

    En plus, l’intensification du travail est un risque à long terme pour les femmes. Par exemple, il y a plus de femmes qui font des burnout. Ce n’est pas parce qu’elles sont plus fragiles psychologiquement, contrairement à ce qu’on dit, mais c’est parce qu’elles assurent des doubles journées, donc elles sont plus sujettes au burnout. Les transformations du monde du travail sont donc un risque avéré pour l’emploi des femmes, ne serait-ce que parce que par exemple, les agences d’intérim trient en amont les candidats en fonction de la cadence. Il faut redoubler de vigilance là-dessus.

    Tu analyses les types de masculinité qui se façonnent en fonction des facteurs de classe et de race. On voit que ce ne sont pas les mêmes types d’identités masculines, certaines sont dévalorisées. Quelles en sont les grandes différences ?

    Je ne vais pas faire de généralités car ça dépend beaucoup des milieux. Ce que Raewyn Connell appelle la “masculinité hégémonique”, au sens culturel et non quantitatif (assez peu d’hommes l’incarnent), qui prendrait les traits d’un homme blanc, d’âge moyen, hétérosexuel, de classe moyenne supérieure. Par rapport à ce modèle, il y a des masculinités “non-hégémoniques”, “subalternes”, qui forment une hiérarchie entre elles. Malgré le fait que ces masculinités soient plurielles, il y a une solidarité au sein du groupe des hommes par rapport au groupe des femmes, et à l’intérieur du groupe des hommes, il y a une hiérarchie entre eux. Les masculinités qu’on appelle subalternes sont plutôt les masculinités racisées ou homosexuelles. Elles s’expriment sous le contrôle de la masculinité hégémonique. Elles sont appréciées pour certaines qualités qu’elles peuvent avoir : j’ai pu voir que les ouvriers racisés étaient appréciés pour leur endurance, mais qu’ils étaient aussi assez craints pour leur “indiscipline” supposée. En fait, les personnes “dévalorisées” par rapport à la masculinité hégémonique sont appréciées pour leurs différences, mais on va craindre des défauts qui reposent sur des stéréotypes qu’on leur prête. Par exemple, les personnes racisées pour leur supposée indiscipline, les personnes des classes populaires pour leur supposé mode de vie tourné vers l’excès, les femmes pour leurs supposés crêpages de chignon entre elles…. C’est à double tranchant. Les qualités pour lesquelles elles sont valorisées sont précisément ce qui rend l’égalité impossible. Ces qualités qu’on valorise chez elles renforcent les stéréotypes féminins.

    Tu montres que le rapport au corps est central dans le travail des hommes : il faut s’entretenir mais aussi s’engager physiquement dans le travail, quitte à prendre des risques. Il y a une stratégie de déni de la souffrance, de sous-déclaration du stress chez les travailleurs : pour diminuer la souffrance physique et psychologique au travail, il faut changer les conditions de travail mais aussi changer le rapport des hommes à leur corps ?

    Je pensais que oui, mais je suis un peu revenue sur cette idée. Effectivement, il y plein d’études qui montrent que les hommes prennent plus de risques. C’est par exemple ce que décrit Christophe Dejours [psychiatre français spécialisé dans la santé au travail, ndlr] sur le “collectif de défense virile”, qui consiste à se jeter à corps perdu dans le travail pour anesthésier la peur ou la souffrance. Ce n’est pas forcément ce que j’ai observé dans mes enquêtes : en tout cas auprès des ouvriers (qui, pour le coup, avaient engagé leur corps assez fortement dans le travail), non seulement parce qu’ils ont bien conscience que toute une vie de travail ne pourra pas supporter les prises de risque inconsidérées, mais aussi parce qu’aujourd’hui la souffrance est beaucoup plus médiatisée. Cette médiatisation agit comme si elle donnait une autorisation d’exprimer sa souffrance, et c’est souvent un moyen d’entrée pour les syndicats pour l’amélioration des conditions de travail et de la santé au travail. Donc il y a un rapport beaucoup moins manichéen que ce qu’on prête aux hommes sur la prise de risques et le rapport au corps.

    En termes d’émotions, là c’est moins évident : on parle de plus en plus de burnout, mais à la force physique s’est substituée une injonction à la force mentale, à prendre sur soi. Et si ça ne va pas, on va faire en sorte que les individus s’adaptent au monde du travail, mais on ne va jamais faire en sorte que le monde du travail s’adapte au corps et à l’esprit des individus. On va donner des sièges ergonomiques, des ergosquelettes, on va créer des formations gestes et postures, on va embaucher des psychologues pour que les gens tiennent au travail, sans s’interroger sur ce qui initialement a causé ces souffrances.

    D’ailleurs, ce qui est paradoxal, c’est que l’entreprise va mettre en place tous ces outils, mais qu’elle va presque encourager les prises de risque, parce qu’il y a des primes de productivité ! Plus on va vite (donc plus on prend des risques), plus on gagne d’argent. C’est d’ailleurs les intérimaires qui ont le plus d’accidents du travail, déjà parce qu’ils sont moins formés, mais aussi parce qu’ils ont envie de se faire un max d’argent car ils savent très bien qu’ils ne vont pas rester longtemps.

    Donc ce sont les valeurs du capitalisme et ses incidences économiques (les primes par exemple) qui forgent ce rapport masculin au travail ?

    Oui, mais aussi parce qu’il y a une émulation collective. La masculinité est une pratique collective. Il y a une volonté de prouver qu’on est capable par rapport à son voisin, qu’on va dépasser la souffrance même si on est fatigué, et qu’on peut compter sur lui, etc. J’ai pu observer ça à la fois chez les cadres dans ce qu’on appelle les “boys clubs”, et sur le terrain dans des pratiques de renforcement viril.

    Tu n’as pas observé de solidarité entre les femmes ?

    Assez peu, et c’est particulièrement vrai dans les milieux masculins : la sororité est une solidarité entre femmes qui est très difficile à obtenir. J’en ai fait l’expérience en tant que chercheuse mais aussi en tant que femme. Je me suis dit que j’allais trouver une solidarité de genre qui m’aiderait à aller sur le terrain, mais en fait pas du tout. C’est parce que les femmes ont elles-mêmes intériorisé tout un tas de stéréotypes féminins. C’est ce que Danièle Kergoat appelle “le syllogisme des femmes”, qui dit : “toutes les femmes sont jalouses. Moi je ne suis pas jalouse. Donc je ne suis pas une femme.” Il y a alors une impossibilité de création de la solidarité féminine, parce qu’elles ne veulent pas rentrer dans ces stéréotypes dégradants de chieuses, de nunuches, de cuculs… Les femmes sont assez peu nombreuses et assez vites jugées, en particulier sur leurs tenues : les jugements de valeur sont assez sévères ! Par exemple si une femme arrive avec un haut un peu décolleté, les autres femmes vont être plutôt dures envers elle, beaucoup plus que les hommes d’ailleurs. Elles mettent tellement d’efforts à se créer une crédibilité professionnelle que tout à coup, si une femme arrive en décolleté, on ne va parler que de ça.

    Toi en tant que femme dans l’entreprise, tu dis que tu as souvent été renvoyée à ton genre. Il y a une forme de rappel à l’ordre.

    Oui, quand on est peu nombreuses dans un univers masculin, la féminité fait irruption ! Quels que soient tes attributs, que tu sois féminine ou pas tant que ça, tu vas avoir une pression, une injonction tacite à contrôler tous les paramètres de ta féminité. Ce ne sont pas les hommes qui doivent contrôler leurs désirs ou leurs remarques, mais c’est aux femmes de contrôler ce qu’elles provoquent chez les hommes, et la perturbation qu’elles vont provoquer dans cet univers masculin, parce qu’elles y font irruption.

    Toujours rappeler les femmes à l’ordre, c’est une obsession sociale. Les polémiques sur les tenues des filles à l’école, sur les tenues des femmes musulmanes en sont des exemples… Cette volonté de contrôle des corps féminins est-elle aussi forte que les avancées féministes récentes ?

    C’est difficile à mesurer mais ce n’est pas impossible. S’il y a des mouvements masculinistes aussi forts au Canada par exemple, c’est peut-être que le mouvement féministe y est hyper fort. Ce n’est pas impossible de se dire qu’à chaque fois qu’il y a eu une vague d’avancées féministes, quelques années plus tard, il y a forcément un retour de bâton. Avec ce qui s’est passé avec #metoo, on dirait que le retour de bâton a commencé avec le verdict du procès Johnny Depp – Amber Heard, puis il y a eu la la décision de la Cour Constitutionnelle contre l’avortement aux Etats-Unis… On n’est pas sorties de l’auberge, on est en train de voir se réveiller un mouvement de fond qui était peut-être un peu dormant, mais qui est bien présent. L’article sur les masculinistes qui vient de sortir dans Le Monde est flippant, c’est vraiment des jeunes. En plus, ils sont bien organisés, et ils ont une rhétorique convaincante quand tu ne t’y connais pas trop.

    Les milieux de travail très féminisés sont-ils aussi sujets à l’absence de sororité et à la solidarité masculine dont tu fais état dans ton enquête ?

    En général, les hommes qui accèdent à ces milieux ont un ”ascenseur de verre” (contrairement aux femmes qui ont le “plafond de verre”) : c’est un accès plus rapide et plus facile à des postes à responsabilité, des postes de direction. C’est le cas par exemple du milieu de l’édition : il y a énormément de femmes qui y travaillent mais les hommes sont aux manettes. Le lien avec capitalisme et virilité se retrouve partout – les hommes partent avec un avantage dans le monde du travail capitaliste, souvent du simple fait qu’ils sont des hommes et qu’on leur prête plus volontiers d’hypothétiques qualités de leader.

    Dans quelle mesure peut-on étendre tes conclusions à d’autres milieux de travail ou d’autres secteurs d’activité ? Est-ce que tes conclusions sont spécifiques à la population majoritairement ouvrière et masculine, et au travail en proie à l’intensification, étudiés dans ta thèse ?

    J’ai pensé mon travail pour que ce soit généralisable à plein d’entreprises. J’ai pensé cette enquête comme étant symptomatique, ou en tout cas assez représentative de plein de tendances du monde du travail : l’intensification, l’informatisation à outrance… Ces tendances se retrouvent dans de nombreux secteurs. Je dis dans l’intro : “depuis l’entrepôt, on comprend tout.” Comme partout, il y a de la rationalisation, de l’intensification, et de la production flexible. A partir de là, on peut réfléchir aux liens entre masculinités et capitalisme. Les problématiques de violence, de harcèlement sortent dans tous les milieux, aucun milieu social n’est épargné, précisément parce qu’elles ont des racines communes.

    Comment peut-on abolir le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme ?

    Je vois une piste de sortie, une perspective politique majeure qui est de miser sur la sororité. La sororité fonctionne différemment des boys clubs, c’est beaucoup plus horizontal et beaucoup moins hiérarchique. Il y a cette même notion d’entraide, mais elle est beaucoup plus inclusive. Ce sont des dominées qui se rassemblent et qui refusent d’être dominées parce qu’elles refusent de dominer. Il faut prendre exemple sur les hommes qui savent très bien se donner des coups de main quand il le faut, mais faisons-le à bon escient. C’est une solution hyper puissante.

    Ne pas dominer, quand on est dominante sur d’autres plans (quand on est blanche par exemple), ça revient à enrayer les différents systèmes de domination.

    Tout à fait. Les Pinçon-Charlot, on leur a beaucoup reproché d’avoir travaillé sur les dominants, et c’est le cas aussi pour les masculinités ! Il y a plusieurs types de critique : d’abord, il y a un soupçon de complaisance avec ses sujets d’étude, alors qu’il y a suffisamment de critique à l’égard de nos travaux pour éviter ce biais. Ensuite, on est souvent accusé.e.s de s’intéresser à des vestiges ou à des pratiques dépassés, parce que les groupes (hommes, ou bourgeois) sont en transformation ; en fait, les pratiques de domination se transforment, mais pas la domination ! Enfin, on peut nous reprocher de mettre en lumière des catégories “superflues”, alors qu’on devrait s’intéresser aux dominé.e.s… mais on a besoin de comprendre le fonctionnement des dominant.e.s pour déconstruire leur moyen de domination, et donner des armes à la sororité.

    https://www.frustrationmagazine.fr/entretien-rivoal
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    • Alors que la sécheresse fait rage en France, c’est loin de la métropole que la question de l’accès à l’eau potable est la plus préoccupante. La situation socioéconomique en #Outre-mer est critique mais le système est figé et la question de la #responsabilité éclatée.

      En savoir plus

      En Outre-mer, l’accès à l’eau potable n’a rien d’évident. Les problèmes s’accumulent : #coupures_d’eau à répétition, #infrastructures vieillissantes responsables de fuites et d’une qualité de l’eau souvent médiocre etc. Malgré tout, le système reste bloqué. De l’Etat aux collectivités en passant par les entreprises privées, quels degrés de #responsabilités établir face à cette #inégalité d’#accès_à_l’eau ? La #fracture_territoriale observée est-elle synonyme d’un abandon des Outre-mer par la métropole ?

      Pour évoquer ces questions, François Saltiel reçoit Nicolas Metzdorf, député de Nouvelle-Calédonie, Marc Laimé , consultant en eau et assainissement auprès des collectivités locales et co-auteur de #Guadeloupe, L’île sans eau, Massot Editions et Michèle Chay, membre de la Commission du Groupe Outre-Mer du CESE et co-autrice d’un rapport à paraître sur l’eau dans les territoires ultra-marins.

      Pour commencer, nos trois invités rappellent les spécificités de chaque territoire ultra-marin sur la question de l’accès à l’eau potable. Michèle Chay commence : "s’il n’y a pas de problèmes de ressources avérés dans les départements et les collectivités d’Outre-mer, il y a des problématiques concernant l’accès et l’assainissement de l’eau. Elles sont différentes d’un territoire à l’autre pour des raisons de démographie, de découpage territorial etc." Nicolas Metzdorf complète : "l’accès à l’eau est plutôt de qualité en #Nouvelle-Calédonie ; seul 7% de la population n’a pas accès à l’eau potable. Mais on observe des épisodes de sécheresses récurrentes et l’émergence de nouveaux problèmes liés à la gestion de l’eau." Marc Laimé ajoute : "depuis une quinzaine d’années, un quart des guadeloupéen.ne.s n’a pas accès à l’eau potable. La responsabilité est partagée entre l’Etat qui n’a pas assuré sa mission régalienne, les élus locaux (accusés notamment de clientélisme) et les acteurs privés."

      Mais qui est responsable ? Pour Nicolas Metzdorf : "On a un mauvais réflexe dans les Outre-mer, on est toujours critique envers l’Etat mais on se regarde peu nous-même. Nous, les élus locaux, nous avons la première des responsabilités. L’adduction en eau potable est une compétence des communes, pas de l’Etat. La question est de savoir si la problématique de l’eau, problème du siècle, peut être laissée à des syndicats intercommunaux et des collectivités locales." Michèle Chay est d’accord avec Nicolas Metzdorf sur la responsabilité des collectivités locales : "l’Etat a d’ailleurs mis des #fonds pour améliorer la situation (avec le plan « #Eau_DOM » et des contrats de progrès, ou bien avec le plan "#France_Relance" qui a débloqué 50 millions d’euros sur la question de l’eau." Concernant l’inaction des collectivités locales, Marc Laimé ajoute : "La Cour des Comptes a publié un rapport il y a deux mois, chaque année la France vote un budget de 26 milliards d’euros pour les #DOM-TOM or la moitié seulement est saisie. La raison est simple : les collectivités locales n’ont pas l’ingénierie technique, financière et humaine pour monter des dossiers."

      Quand on aborde les inégalités de traitement et de considération des habitants d’Outre-mer par la métropole, les avis divergent. Pour Marc Laimé : "chaque DROM à des particularités mais tous sont touchés par une très grande précarité et pauvreté. Toutes ces problématiques doivent être prises en compte vis-à-vis des défaillances du service public qui n’est pas assuré dans les territoires ultra-marins comme il l’est dans un département de métropole. Le sentiment d’inégalité sur place est légitime." Michèle Chay ajoute qu’il "n’y a pas d’égalité réelle dans les Outre-mer, c’est une évidence (à cause de la précarité, du manque de travail chez les jeunes etc.). Pourtant, c’est des territoires de la République, il faudrait mettre les moyens financiers et techniques."

      Nicolas Metzdorf s’exclame : "j’ai vraiment du mal avec ce qui est dit. Si je prends l’exemple de la Nouvelle-Calédonie, l’Etat est intervenu à chaque fois que nous avions un problème. A un moment, il faut reconnaître que la responsabilité vient de nous-même avant de chercher à tout prix un coupable ailleurs. Parce que l’on est insulaire, on a l’impression que tout ce qui ne se passe pas bien est dû au fait que nous sommes loin. Je ne crois pas, je pense que nous sommes tous traités de la même manière et que nous avons notre part de responsabilité."

      Enfin, contrairement aux deux autres invités, Nicolas Metzdorf considère que l’intégration du ministère des Outre-mer dans celui de l’Intérieur est une "excellente chose. Le ministère des Outre-mer est aujourd’hui géré par un ministère régalien, ce qui lui donne un vrai poids politique. Quand le ministère des Outre-mer était seul, il fallait beaucoup de lobbying de la part des parlementaires et du ministre pour se faire entendre. C’est paradoxal, on critique beaucoup la différence de traitement des Outre-mer mais on veut en faire un ministère à part entière."

      #eau #eau_potable

      #podcast #audio

      voir aussi les reportages de @wereport sur l’eau potable en Guadeloupe :
      https://www.wereport.fr/tag/guadeloupe

  • Le #rapport qui accable #Frontex, l’agence européenne de gardes-#frontières, et sa pratique de refouler illégalement les migrants en #Grèce

    Ce document, que « Le Monde » et ses partenaires de Lighthouse Reports et l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » ont pu consulter, accuse l’ancienne direction. A Bruxelles, le rapport est réputé si toxique que personne ne voudrait le lire

    Le 15 février, l’Office européen de lutte antifraude (#OLAF) rendait ses conclusions, au terme d’un an d’enquête, sur la gestion au sein de Frontex de l’épineuse question des « #pushbacks ». Voilà des années que les gardes-côtes grecs sont accusés de pratiquer ces refoulements de migrants, contraires à la convention de Genève, sous l’œil, complice, de l’agence la plus riche de l’Union européenne.

    Le rapport, qui a en partie provoqué la chute de l’ancien directeur Fabrice Leggeri, est depuis au centre d’une bataille entre la Commission et les parlementaires européens, qui font feu de tout bois pour obtenir sa publication. A Bruxelles, le document, connu d’un nombre restreint de fonctionnaires et d’élus, est réputé si toxique que personne ne voudrait le lire. La nouvelle directrice de Frontex, la Lettonne Aija Kalnaja, a assuré ne pas en avoir pris connaissance. Et le vice-président de la Commission, le Grec Margaritis Schinas, un soutien historique de Fabrice Leggeri, a refusé de dire en séance s’il l’avait lu ou non.

    Ce rapport, que Le Monde et ses partenaires de Lighthouse Reports, ainsi que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, ont pu consulter, détaille par le menu les péchés de la super-agence européenne de gardes-côtes et de gardes-frontières ainsi que les excès de sa précédente direction. Il confirme également l’utilisation massive de la technique illégale du « pushback » par les autorités grecques pour décourager les migrants de pénétrer sur le sol européen. Ainsi que la connaissance détaillée qu’avait Frontex du phénomène.

    « Ces #expulsions doivent cesser »

    Face à ces révélations, difficile de ne pas s’interroger sur la position de la #Commission_européenne. Cette dernière, qui a pris connaissance des conclusions de l’OLAF fin février, n’a mis que récemment en garde la Grèce face à la fréquence des accusations de violation des droits de l’homme dont elle fait l’objet. Sans remettre en cause, pour l’heure, le déploiement de Frontex sur la péninsule. « La protection de la frontière extérieure de l’UE contre les entrées illégales est une obligation. Mais les expulsions violentes et illégales de migrants doivent cesser, maintenant », a tonné Ylva Johansson, commissaire européenne chargée des affaires intérieures, à l’issue d’un appel avec trois membres de l’exécutif grec, dont le ministre de la police, le 30 juin. Cinq jours plus tard, face aux parlementaires européens, le premier ministre grec, #Kyriakos_Mitsotakis, a quant à lui balayé la plupart de ces accusations, les qualifiant de « propagande turque ».

    Dans les médias, voilà des mois que l’homme et son camp s’évertuent à nier l’importance du cas grec dans les turbulences que traverse Frontex, après la démission de son ancien directeur exécutif, le 29 avril. « L’opposition essaie, sans succès, de lier son départ avec ces prétendus “pushbacks” », a ainsi déclaré le ministre de l’intérieur, Notis Mitarachi, devant son propre Parlement. La situation en Grèce est pourtant le fil rouge des enquêteurs de l’OLAF. Dans leur rapport de 129 pages, ces derniers confirment tout ce que les médias, dont Le Monde, ont écrit sur le sujet depuis plus de deux ans. Pis, ils révèlent que les faits étaient largement connus, et même dénoncés au sein de Frontex.

    Ainsi, dès avril 2020, deux divisions de l’agence jugeaient « crédibles » les #accusations fréquentes de traitements violents de la part des policiers grecs infligés aux migrants qui tentaient de rejoindre leurs côtes. « Le fait que les Grecs tolèrent et pratiquent les “pushbacks” est très probable », jugeait la division d’évaluation de la vulnérabilité de Frontex dans un rapport daté du 18 avril 2020, cité par l’OLAF.

    Un an plus tard, le centre de situation de Frontex, sa tour de contrôle, chargée de surveiller en direct les frontières extérieures de l’Union européenne grâce à sa batterie de caméras, suggérait même l’ouverture d’une enquête interne sur la base de nouvelles images transmises par l’ambassadeur de Turquie en Pologne, directement au siège de l’agence.

    Face à ces conclusions, émanant de ses propres services, la réponse de la direction de l’agence est toujours la même, assure l’OLAF. Cantonner les découvertes au plus petit cercle possible. Eviter la contagion. « Il y avait un schéma récurrent [de la part de la direction] dans le fait de vouloir cacher des informations et éviter toute #responsabilité », note un agent de Frontex. « Je pense qu’à l’époque #Fabrice_Leggeri voulait protéger la Grèce. C’est le pays que l’agence soutient le plus. Mais personne ne comprend pourquoi il a pris ce risque », se souvient l’un de ses proches.

    Volonté de « couvrir » la Grèce

    Le 5 août 2020, à 1 h 41 du matin, un avion de Frontex est ainsi témoin d’un « pushback ». Ce qu’il filme est troublant : un navire grec traîne un canot pneumatique, trente migrants à son bord, en direction des eaux territoriales turques, au lieu de les ramener à terre. « La manœuvre n’a aucun sens en matière de sauvetage », se lamente l’un des agents de Frontex dans un rapport d’incident adressé à son supérieur dans la matinée qui suit les faits.

    L’avion de Frontex est finalement sommé de quitter les lieux par les autorités hellènes, envoyé dans une zone « où il ne détecte plus aucune activité ». « Je considérais ces événements comme des “pushbacks” », se souvient un des agents interrogés par l’OLAF, avant de confesser l’interdiction formelle d’enquêter en interne et la volonté ferme de la direction de « couvrir » la Grèce « en raison du contexte international ». « La répétition de ces événements est de plus en plus difficile à gérer », renchérit le premier.

    Deux options s’offrent à Frontex, opine un autre, à la suite de l’incident. « Parler aux Grecs » ou retirer les avions de Frontex pour ne plus être témoin de telles manœuvres. Une solution « cynique », reconnaît un agent, mais qui préserve Frontex de futures turbulences ou autres « risques en matière de réputation ». Varsovie choisira la seconde option. Plusieurs témoins assurent que la manœuvre avait pour but de ne plus être témoin de l’intolérable.

    Selon les enquêteurs européens, il ne s’agit pourtant pas de la seule alerte reçue par la direction. Ni de la première. Le 5 juillet 2019, un message informe le management que certains agents, déployés dans des Etats membres, rechignent à faire remonter les comportements problématiques dont ils sont les témoins sur le terrain, en raison « des répercussions que cela pourrait avoir pour eux ». C’est particulièrement le cas en Grèce. Fin avril 2020, un agent déployé par Frontex sur place demande l’anonymat au moment de rapporter des faits dont il a été témoin. « Les menaces des autorités grecques ont fini par porter leurs fruits », se lamente l’un de ses supérieurs par écrit.

    La conclusion la plus destructrice pour Frontex porte probablement sur son implication financière dans les opérations hellènes. L’OLAF note ainsi qu’au moins six bateaux grecs, cofinancés par l’agence, auraient été impliqués dans plus d’une dizaine de refoulements entre avril et décembre 2020. « Nous n’avons trouvé aucune preuve de la participation directe ou indirecte de Frontex dans ces renvois », déclarait Fabrice #Leggeri en janvier 2021. Une ligne qu’il a défendue coûte que coûte jusqu’au bout de son mandat. A tort.

    https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/28/refoulement-de-migrants-en-grece-l-enquete-qui-accuse-frontex_6136445_3210.h
    #migrations #asile #réfugiés #refoulements #push-backs #de_la_Haye_Jousselin

    • La direction de Frontex « a considéré que la Commission européenne était trop centrée sur les droits de l’homme »
      https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/28/la-direction-de-frontex-a-considere-que-la-commission-europeenne-etait-trop-

      Dans un rapport de l’OLAF, les enquêteurs accusent trois dirigeants placés à la tête de l’agence européenne d’avoir « basé leur décision sur des préjugés ».

      C’est la chronique d’un naufrage. L’histoire d’une dissimulation à grande échelle perpétrée par trois fonctionnaires européens placés à la tête de Frontex : Fabrice Leggeri, son directeur, Thibauld de La Haye Jousselin, son bras droit, et le Belge Dirk Vanden Ryse, directeur de la division chargé de la surveillance des frontières. Les deux premiers ont été poussés à la démission. Le troisième est toujours en poste à Varsovie. Aucun des trois n’a donné suite aux demandes d’interview du Monde et de ses partenaires.

      Tous les trois ont laissé leurs « opinions personnelles » interférer avec la conduite de Frontex, notent les enquêteurs l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Partisans d’une ligne dure en matière de gestion des frontières extérieures de l’Union européenne, ils ont enfermé l’agence dans un mensonge : les refoulements de migrants en mer Egée n’existent pas. Ils seraient une invention d’ONG « soutenues par les Turcs ». Une position proche de celle défendue par l’exécutif grec, mais aussi par l’extrême droite européenne.

      Pour les enquêteurs, c’est la circulation de cette idée, empoisonnée, qui explique en partie la dérive de l’agence. Plusieurs mis en cause « ont basé leur décision sur des préjugés (…). Ils ont considéré que la Commission européenne était trop centrée sur les questions de droits de l’homme, écrivent-ils en guise de conclusion à leur rapport de 129 pages. En agissant ainsi, ils ont rendu impossible pour l’agence de répondre à ses responsabilités. » « Le contexte géopolitique, qui prévalait à l’époque, a affecté ma perception des situations opérationnelles », s’est défendu Fabrice Leggeri, face aux fonctionnaires européens, à propos de l’une des situations litigieuse identifiées par l’OLAF.

      #paywall

    • «  La Commission était trop centrée sur les droits de l’homme  »

      Dans un rapport de l’OLAF, les enquêteurs accusent trois dirigeants placés à la tête de Frontex d’avoir «  basé leur décision sur des préjugés  »

      C’est la chronique d’un naufrage. L’histoire d’une dissimulation à grande échelle perpétrée par trois fonctionnaires européens placés à la tête de Frontex ? : Fabrice Leggeri, son directeur, #Thibauld_de_La_Haye_Jousselin, son bras droit, et le Belge #Dirk_Vanden_Ryse, directeur de la division chargé de la surveillance des frontières. Les deux premiers ont été poussés à la #démission. Le troisième est toujours en poste à Varsovie. Aucun des trois n’a donné suite aux demandes d’interview du Monde et de ses partenaires.

      Tous les trois ont laissé leurs «  opinions personnelles  » interférer avec la conduite de Frontex, notent les enquêteurs de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Partisans d’une ligne dure en matière de gestion des frontières extérieures de l’Union européenne, ils ont enfermé l’agence dans un mensonge : les refoulements de migrants en mer Egée n’existent pas. Ils seraient une invention d’ONG «  soutenues par les Turcs  ». Une position proche de celle défendue par l’exécutif grec, mais aussi par l’extrême droite européenne.

      Pour les enquêteurs, c’est la circulation de cette idée, empoisonnée, qui explique en partie la #dérive de l’agence. Plusieurs mis en cause «   ont basé leur décision sur des préjugés (…). Ils ont considéré que la Commission européenne était trop centrée sur les questions de droits de l’homme, écrivent-ils en guise de conclusion à leur rapport de 129 pages. En agissant ainsi, ils ont rendu impossible pour l’agence de répondre à ses #responsabilités.  » «  Le contexte géopolitique, qui prévalait à l’époque, a affecté ma perception des situations opérationnelles  » , s’est défendu Fabrice Leggeri, face aux fonctionnaires européens, à propos de l’une des situations litigieuse identifiées par l’OLAF.

      Au cours de l’enquête, ils sont des dizaines à témoigner de la circulation de ce « narratif » dans les couloirs de l’agence européenne. Et de l’impérieuse nécessité, revendiquée par la direction, de soutenir la Grèce, quitte à couvrir les violences perpétrées par ses policiers. « Les pushbacks n’existent pas et ne peuvent être jugés selon des critères objectifs » , écrivait ainsi un des trois mis en cause, dans un message du 25 novembre 2020. « Je dois bien admettre qu’à l’époque j’avais de la sympathie pour la position selon laquelle Frontex devait soutenir la Grèce dans sa “guerre” contre la Turquie » , s’explique-t-il, interrogé par l’OLAF.

      Les critiques du trio à la tête de l’agence visent particulièrement la directrice du bureau des #droits_fondamentaux, l’Espagnole #Immaculada_Arnaez, chargée d’enquêter sur les cas de violences dont les agents de Frontex pourraient être témoins. Deux ans durant, les trois hommes se sont employés à limiter sa marge d’action, en la marginalisant et en la traitant comme un agent hostile.

      S’affranchir de tout contrôle

      Elle est surnommée «  Pol Pot  », soupçonnée de faire régner «  une terreur de Khmer rouge dans l’agence  »… L’opprobre dont elle fait l’objet s’étend aux employés de son département, «  des gauchistes  » qui balancent tout «  aux ONG ou aux membres du consultative forum [un organe paritaire chargé de suivre l’évolution de l’agence]   ». Au fil des pages apparaît l’image d’une direction qui désirait s’affranchir de tout contrôle extérieur, notamment de celui de la Commission européenne, pourtant responsable de son mandat. Cette dernière «  ne comprend pas le rôle de Frontex  » . Imperméable aux «  problématiques sécuritaires  » , aveugle face au rôle que l’agence «  commence à jouer  » , loin de celui de «  taxi légal  » ou de «  passeur  » où on voudrait la cantonner.

      Pire, la Commission serait une menace pour sa survie. «  [Elle] se fait le relais des ONG pour qu’il y ait une sorte de mécanisme automatique qui t’impose de suspendre toute opération sur la base d’allégations (…). Dans un contexte de menace hybride, c’est donner les clés de nos opérations à toute puissance étrangère capable de diffuser des “fake news” » , écrit l’un des trois hommes, le 10 novembre 2020. Réponse immédiate de son interlocuteur, qui suggère de « sortir de la nasse où ils veulent nous mettre pour servir les visées de certaines ONG, de certains groupes criminels et de certaines puissances non européennes » .

      Dans leurs échanges, les cadres de Frontex critiquent le «  crétinisme bureaucratique  » ou la «  bêtise  » de certains des représentants de la Commission, qui seraient «  une insulte  » . A propos d’un tweet posté par Ylva Johansson, la commissaire aux affaires intérieures, le 26 novembre 2020, et repartagé par #Monique_Pariat, la directrice générale des affaires intérieures, qui se réjouit de la tenue d’une journée de l’intégration au sein de l’Union européenne à destination des migrants, l’un des trois mis en cause commente : «  Tout est dit.  » Réponse immédiate d’un collègue  : «  Nous ne sommes pas de leur bande… Et elles ne sont pas de la nôtre.  »

      https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/28/la-direction-de-frontex-a-considere-que-la-commission-europeenne-etait-trop-

    • Classified Report Reveals Full Extent of Frontex Scandal

      The EU’s anti-fraud office has found that the European border agency covered up and helped to finance illegal pushbacks of asylum-seekers in Greece. The report, which DER SPIEGEL has obtained, puts pressure on the EU Commission – and could also spell trouble for Frontex’s new leadership.

      The contents of the investigative report from OLAF, the European Union’s anti-fraud agency, are classified. Members of the European Parliament are only granted access under strict security measures, and normal citizens are not allowed to see it. But Margaritis Schinas, the vice president of the European Commission, who is responsible, among other things, for migration, is allowed to. And perhaps he ought to do so as well. At the end of the day, it relates to a sensitive issue that also happens to fall within his area of responsibility.

      Investigators have taken 129 pages to document the involvement of Frontex, the EU’s border agency, in the illegal activities of the Greek Coast Guard. Border guards systematically dump asylum-seekers adrift at sea

      in the Aegean – either in rickety boats or on inflatable life rafts. The investigators reviewed private emails and WhatsApp messages from Fabrice Leggeri, the former head of Frontex, and his team. They interviewed witnesses and seized documents and videos.

      But Schinas has so far shown very little interest in the report. When a member of the European Parliament recently asked him if he had read it, he simply changed the subject.
      Frontex Finances Greek Pushbacks

      The report from OLAF has the potential to destroy careers. One, that of former border guard agency head Leggeri, is already over . After reading the report from the investigation, Frontex’s board of directors had no choice but to urge him to step down. What investigators have pieced together, though, is so explosive that it reaches far beyond Leggeri. As such, the EU has been trying to keep the report under wraps for months now. However, DER SPIEGEL, Le Monde and Lighthouse Reports have all obtained copies of the report.

      In their findings, the EU investigators provide detailed evidence of Greek human rights violations. And they prove that Frontex knew about them early on. Instead of preventing pushbacks, Leggeri and his people covered them up. They lied to the European Parliament and concealed the fact that the agency even provided support for some pushbacks using European taxpayer money.

      DER SPIEGEL has already revealed most of these transgressions in joint research conducted together with Lighthouse Reports. With its report, however, OLAF, an EU authority, is now officially establishing the breaches of law and misconduct, documenting some pretty shocking details along the way. The 129 pages read like an indictment of the Greek government, which still claims it didn’t break any laws. It also creates pressure for Frontex interim director Aija Kalnaja and the European Commission. They will have to act quickly now if they want to remain free of guilt.
      Left adrift on the high seas: A Turkish coast guard officer rescues a child from a life raft on the Aegean.

      A single pushback case does a good job of illustrating almost all of the misdeeds of which OLAF investigators are now accusing Frontex. During the early morning hours of August 5, 2020, the Greek Coast Guard towed an inflatable refugee boat behind it. About 30 refugees had been sitting on the vessel. The Greeks actually should have brought the asylum-seekers safely to shore and provided them with the chance to apply for asylum. Instead, they dragged them back toward Turkey.

      Officials at Frontex were able to follow the pushback live. A Frontex aircraft had streamed what was happening back to headquarters in Warsaw. By that point, though, the people at Frontex had long since known what was going to happen. They were familiar with the images of refugees left abandoned in the Aegean Sea, and an internal report had explicitly warned of the Greek pushbacks. One official had noted that the Coast Guard had put the migrants in a situation “that can seriously endanger” their lives. “The repetition of such kind of events (sic) becomes more and more difficult to deal with.” The pushbacks posed a “huge reputational risk” to the agency, the official wrote.
      Aircraft Withdrawn To Prevent Recording of Human Rights Violations

      Investigators claim that the Frontex heads prevented the proper investigation of the pushback. Instead, they withdrew a plane that had been patrolling the Aegean Sea on behalf of Frontex. Officially, it was said, the aircraft was needed in the central Mediterranean. The truth, though, was that Frontex wanted to avoid recording further human rights violations.

      The OLAF investigators have gathered considerable evidence of this. They quote Frontex employees who provide statements that are incriminating of Leggeri. They also uncovered a handwritten note dating from Nov. 16, 2020. “We have withdrawn our FSA some time ago, so not to witness (sic)…,” it states. FSA is short for “Frontex Surveillance Aircraft.” The EU agency, which is obliged to prevent violations of fundamental rights, deliberately looked the other way.

      The investigators also detail how Frontex used European taxpayer money to fund pushbacks in at least six instances. The incident on August 5, for example, involved the Greek Coast Guard vessel “CPB 137.” The agency had co-funded the boat’s mission. The agency’s leadership knew exactly how delicate the matter was – and concealed this from all subsequent inquiries made by the European Parliament and Frontex’s Management Board.

      Former Frontex Director Leggeri is responsible for many of these lapses. He systematically prevented more detailed investigations – taking steps like withholding crucial videos and documents from the agency’s fundamental rights commissioner at the time, Spanish lawyer Inmaculada Arnaez, as revealed in previous reporting from DER SPIEGEL. The OLAF report now provides additional corroboration of revelations previously reported in DER SPIEGEL, and also gives clues about Leggeri’s motives through private WhatsApp messages.

      Reading the messages, one has no choice but to conclude that, for years, the EU tolerated a man with right-wing populist leanings at the helm of its border management agency. As early as 2018, the agency’s leadership had feared that Frontex would be turned into something akin to a “taxi” service for ferrying refugees. Leggeri and his team had also been suspicious of the current European Commission, the EU’s executive branch. The messages reveal their belief that the Commission is on the side of NGOs that are advocates of asylum-seekers. Later, the agency leadership team rails against the “stupidity” of certain Commission officials. At one point, when Home Affairs Commissioner Ylva Johansson promoted the integration of immigrants in the EU on Twitter, a message stated: “Everything is said.”

      But fundamental rights officer Arnaez has been Frontex management’s favorite bogeyman. She is compared in the messages to dictator Pol Pot, the communist mass murderer. They claim the fundamental rights officer is bringing a “Khmer Rouge”-style regime of terror to the agency. Leggeri isn’t the only official who appeared to be hindering Arnaez’s work, either. In one meeting, a Frontex staffer warned: The fundamental rights officers are “not real Frontex colleagues.”

      Neither Leggeri, nor the two other Frontex employees who are the subjects of serious accusations in the OLAF report, wanted to comment when contacted by DER SPIEGEL for a response. They include Thibauld de La Haye Jousselin, Leggeri’s right-hand man, who has also since left the agency, and Dirk Vande Ryse, formerly head of Frontex’s Situational Awareness and Monitoring Division, who has been assigned to another post.
      Frontex Interim Head Wants To Send Even More Officers to Aegean

      The new Frontex interim head, Aija Kalnaja, would like to get all this behind her as soon as possible. She says the crucial thing is that the border agency never gets into a situation like that again. And yet it already finds itself in a similar predicament: Videos and testimonies show that new pushbacks happen in the Aegean Sea almost every day. And Frontex continues to work closely with the Greek border guards.

      Kalnaja has herself stated that she has not read the OLAF report – this despite the fact that the it reveals a whole series of structural problems that don’t have anything to do with Leggeri. For example, it states that Greek border guards apparently place pressure on Frontex officials if they try to report pushbacks, as previously reported by DER SPIEGEL. The Greeks often conceal arriving refugee boats by not recording these “ghost landings” in the corresponding Frontex database.

      Under Frontex’s own regulations, Kalnaja would be required to end an operation if there are “serious and persistent violations of fundamental rights.” The OLAF report leaves no doubt that this is the case in the Aegean. But Kalnaja isn’t even thinking about withdrawing her officials – in fact, she wants to send more staff to the Aegean. In response to a question from DER SPIEGEL, Frontex management said it “strongly believes” that the agency should strengthen its presence in the country. Greece, Frontex wrote, operates in a “very complex geopolitical environment.”
      Pressure on European Commission Grows

      The Olaf report also raises questions about the European Commission, which each year transfers millions of euros to Athens. The money is earmarked to help the Greeks manage migration according to EU law – not for abandoning people in life rafts without motors on the open sea.

      Home Affairs Commissioner Johansson is politically responsible for Frontex. The social democratic politician will have to live with the fact that the use of force at the EU’s external borders has escalated under her watch. Johansson has publicly called on the Greek government to halt the pushbacks. But that hasn’t changed anything. So far, the Commission has balked at calls to cut the funding to Athens. Nor has the Commission initiated any infringement proceedings against Greece.

      In Brussels, it is considered an open secret that this could be related to European Commission Vice President Schinas. The Greek politician’s Twitter profile is adorned with his country’s flag. The conservative politician is a member of the same political party as Greek Prime Minister Kyriakos Mitsotakis. When it comes to politically sensitive matters, Schinas isn’t shy about asserting his influence, one insider reports. In a recent interview , Schinas said there was no solid evidence that the Coast Guard conducted pushbacks. He claimed the accusations have been lodged exclusively by “NGOs, the press and the authoritarian regime in Ankara.” What the commissioner didn’t mention is the OLAF report, which he has had access to since late February.

      https://www.spiegel.de/international/europe/frontex-scandal-classified-report-reveals-full-extent-of-cover-up-a-cd749d04

    • « Pushback » de migrants en Grèce : Frontex accablé par un rapport

      L’ancienne direction de l’agence de surveillance des frontières Frontex avait connaissance des renvois illégaux de migrants en Grèce et aurait même co-financé des refoulements, selon un rapport accablant dont Der Spiegel publie ce jeudi des extraits.

      Un rapport accablant. Un document confidentiel de l’Office européen de la lutte contre la fraude (Olaf) consulté par le magazine allemand Der Spiegel, accuse l’ancienne direction de Frontex - agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes- d’avoir eu connaissance des renvois illégaux de migrants en Grèce et d’avoir même co-financé des refoulements.

      Frontex était au courant très tôt de ces renvois illégaux, parfois brutaux, de demandeurs d’asile vers la Turquie, affirment les auteurs de ce rapport. « Au lieu d’empêcher les « pushbacks », l’ancien patron Fabrice Leggeri et ses collaborateurs les ont dissimulés. Ils ont menti au Parlement européen et ont masqué le fait que l’agence a soutenu certains refoulements avec de l’argent des contribuables européens », résume le magazine allemand. Les conclusions des enquêteurs avaient provoqué la démission de Fabrice Leggeri.

      Le rapport dévoile de nombreux détails. Comme quand les garde-côtes grecs ont, le 5 août 2020, traîné un canot pneumatique avec 30 migrants à son bord non vers la Grèce, mais vers la Turquie. Un avion de Frontex qui patrouillait a filmé la scène.

      Au lieu de s’adresser aux autorités grecques, Frontex a arrêté de faire patrouiller des avions au-dessus de la mer Egée, au motif que l’agence en avait besoin ailleurs.

      Les enquêteurs citent des témoignages de collaborateurs de Frontex mettant en cause Fabrice Leggeri pour avoir fermé les yeux sur ces actes illégaux. Et ils ont trouvé une note écrite évoquant le retrait des avions de surveillance « pour ne pas être témoin ».
      Un Pushback co-financé par Frontex

      Ce n’est pas tout. L’Olaf rapporte aussi qu’au moins six bateaux grecs, co-financés par Frontex, auraient été impliqués dans plus d’une dizaine de refoulements entre avril et décembre 2020. L’ancien directeur a toujours rejeté ces accusations. Interrogée, une porte-parole de la Commission européenne a annoncé qu’ « une série de mesures » avaient déjà été mises en place pour régler la question de la gouvernance de l’agence, dirigée depuis début juillet par la Lettonne Aija Kalnaja.

      Anitta Hipper affime qu’ « en terme de travail sur place avec les autorités grecques, il y a des progrès sur le terrain », elle pointe aussi « une nouvelle proposition de loi pour garantir un système de surveillance solide » du traitement des demandeurs d’asile en Grèce.

      En sept ans à la tête de Frontex, Fabrice Leggeri avait accompagné le renforcement de l’agence, qui a été considérablement musclée et dont les effectifs - avec des agents désormais armés - doivent atteindre 10 000 garde-côtes et garde-frontières d’ici 2 027.

      https://www.liberation.fr/international/europe/pushback-de-migrants-en-grece-frontex-accable-par-un-rapport-20220728_UGI

    • "Pushbacks" de migrants en Grèce : Frontex avait bien connaissance des renvois illégaux vers la Turquie

      Un rapport accablant, consulté par plusieurs médias européens, démontre que l’ancienne direction de l’agence de surveillance des frontières avait connaissance des renvois illégaux de migrants en Grèce vers la Turquie. Frontex aurait même co-financé certains de ces refoulements en mer.

      Frontex avait bel et bien connaissance des renvois illégaux de migrants pratiqués en Grèce vers la Turquie. C’est ce que révèle un rapport accablant, et encore confidentiel, établi par l’Office européen de la lutte contre la fraude (Olaf), qui a enquêté sur le sujet depuis janvier 2021.

      L’ancienne direction de l’agence européenne de surveillance des frontières était même au courant très tôt de ces pratiques, parfois brutales, affirme ce rapport, dont le journal allemand Der Spiegel a publié jeudi 28 juillet des extraits.

      "Au lieu d’empêcher les ‘pushbacks’, l’ancien patron Fabrice Leggeri et ses collaborateurs les ont dissimulés. Ils ont menti au Parlement européen et ont masqué le fait que l’agence a soutenu certains refoulements avec de l’argent des contribuables européens", résume le magazine allemand.

      Si les conclusions des enquêteurs avaient déjà provoqué la démission de Fabrice Leggeri fin avril, ce rapport dévoile désormais de nombreux détails quant à ces pratiques illégales.
      Frontex a arrêté les patrouilles aériennes "pour ne pas être témoin"

      L’Olaf affirme ainsi que, le 5 août 2020, les garde-côtes grecs ont remorqué un canot pneumatique avec 30 migrants à son bord non vers la Grèce mais vers la Turquie. Un avion de Frontex qui patrouillait a filmé la scène.

      Mais, au lieu de s’adresser aux autorités grecques, Frontex a alors arrêté de faire patrouiller des avions au-dessus de la mer Égée, au motif qu’elle en avait besoin ailleurs.

      Fabrice Leggeri aurait ainsi sciemment fermé les yeux sur ces actes illégaux, accusent des collaborateurs de Frontex cités par les enquêteurs. Ces derniers ont par ailleurs trouvé une note écrite évoquant le retrait des avions de surveillance "pour ne pas être témoin" de ce qui se passait en mer.

      Plus grave encore, Frontex aurait co-financé certains de ces refoulements. L’Olaf rapporte en effet qu’au moins six bateaux grecs, cofinancés par l’agence européenne, auraient été impliqués dans plus d’une dizaine de "pushbacks" entre avril et décembre 2020, ce que l’ancien directeur a toujours rejeté.
      Nombreux témoignages

      La mer Égée est le théâtre de nombreux refoulements, alertent les associations et les migrants eux-mêmes depuis des années. InfoMigrants reçoit régulièrement des témoignages d’exilés allant dans ce sens.

      À l’été 2021, une Congolaise avait expliqué comment les garde-côtes grecs avaient refoulé son embarcation en mer, mettant les passagers en danger. "Ils nous ont menacé avec leur armes (…) Ils ont tourné autour de nous, ce qui a fait de grandes vagues et du courant", avait-elle rapporté.

      Au mois de mai 2021, Samuel, un autre migrant d’Afrique subsaharienne, avait raconté comment son embarcation avait été renvoyée vers les côtes turques. Fin 2020, Slimane, un Guinéen avait expliqué à la rédaction comment des hommes en uniforme avaient percé le canot dans lequel il se trouvait pour l’empêcher d’atteindre les îles.

      Sur terre, la situation n’est pas meilleure : en 2021, l’ONG norvégienne Aegean Boat Report a comptabilisé pas moins de 629 cas de refoulements illégaux de migrants menés dans les îles de la mer Égée.
      “Il y a des progrès sur le terrain"

      Lors d’une visite aux bureaux de Frontex, à Athènes, la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a réagi à ces révélations. "Même si je ne peux évidemment pas vérifier en détail ce qu’il en est de chaque cas individuel", "il y a eu des ’pushbacks’ incompatibles avec le droit européen", a-t-elle affirmé.

      Elle a souligné que "des mesures ont été prises immédiatement (...), nous en avons tous parlé aujourd’hui, pour que davantage d’observateurs des droits de l’Homme soient sur place", a-t-elle ajouté.

      Interrogée sur la publication, une porte-parole de la Commission européenne, Anitta Hipper, a, elle, souligné qu’"une série de mesures" avaient déjà été mises en place pour régler la question de la gouvernance de l’agence, dirigée depuis début juillet par la Lettonne Aija Kalnaja.

      "En termes de travail sur place avec les autorités grecques, il y a des progrès sur le terrain", a ajouté Anitta Hipper, pointant aussi "une nouvelle proposition de loi pour garantir un système de surveillance solide" du traitement des demandeurs d’asile en Grèce.

      Durant les sept ans passés à la tête de Frontex, Fabrice Leggeri a considérablement renforcé l’agence, dont les effectifs - avec des agents désormais armés - doivent atteindre 10 000 garde-côtes et garde-frontières d’ici 2027.

      La Grèce, de son côté, a toujours démenti tout refoulement illégal à ses frontières. Le ministre grec des Migrations Notis Mitarachi a indiqué jeudi qu’il n’avait lu que "le résumé" du rapport de l’Olaf, qui, selon lui, "ne blâme pas directement la Grèce". "Nous avons le droit de protéger nos frontières", a-t-il répondu aux médias.

      http://www.infomigrants.net/fr/post/42249/pushbacks-de-migrants-en-grece--frontex-avait-bien-connaissance-des-re