• La fin du travail, le nerf de la guerre, Philippe Escande
    « Retours sur le futur (5/5). Des auteurs ont anticipé la société à venir dans des livres vendus à des milliers d’exemplaires. En 1997, Jeremy Rifkin théorisait ce qui allait inspirer la gauche française lors de nombreux débats politiques : la destruction des emplois par la technologie. »

    http://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/18/la-fin-du-travail-le-nerf-de-la-guerre_5174023_4415198.html

    Michel Rocard ne s’y était pas trompé : ce livre est « effrayant ». Dans la préface de l’édition française, il écrit qu’il est sidéré par l’ampleur du défi lancé par l’auteur de La Fin du travail (Jeremy Rifkin, La Découverte, 1997. Publication originale : The End of Work, 1995). Depuis plus de cinq mille ans, l’homme courbe l’échine sous le poids de ses obligations, et voilà que Jeremy Rifkin, spécialiste de prospective, annonce sa libération.

    Dans cet essai « torrentiel, déconcertant et parfois agaçant » – toujours selon Rocard –, l’auteur prédit que la technologie va progressivement faire disparaître la force de travail humaine et qu’il convient de s’y préparer en investissant massivement dans l’économie sociale. Il faut anticiper le chômage et l’extension de la misère, et aviver l’espoir de l’avènement d’une société moins marchande et plus solidaire.

    Il est déconcertant de constater qu’un débat lancé il y a plus de vingt ans ait refait surface, en France, lors de la campagne présidentielle de 2017. Bien des idées du candidat du Parti socialiste, Benoît Hamon, résonnent étrangement avec celles proposées par Rifkin : les robots vont tuer l’emploi, un revenu universel est nécessaire et il faut renforcer un tiers secteur non marchand. L’Américain a multiplié ses disciples.

    Vendu à 125 000 exemplaires aux Etats-Unis – ce qui est loin d’en faire un best-seller –, le livre a connu une belle carrière internationale. Traduit en dix-sept langues, il a lancé la carrière de son auteur et l’a installé dans le fauteuil confortable de prophète d’un monde nouveau, marqué par la triple révolution numérique, biologique et écologique. (

    Papy débonnaire
    Son ouvrage précédent, Au-delà du bœuf (Beyond Beef, Dutton Adult, 1992), plaidoyer d’un végétarien convaincu qui dénonce la consommation de viande et l’élevage bovin, ne laissait pas prévoir qu’il allait s’attaquer aussi abruptement à l’un des fondements de l’activité humaine. Douceur du regard, calvitie de notaire et moustache de sergent-major, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession.

    Un révolutionnaire se cache pourtant derrière Jeremy Rifkin, ce papy débonnaire aux costumes soignés et aux pochettes de soie assorties. Son premier engagement, celui qui déterminera tout le reste, a lieu en 1967 quand, jeune diplômé en droit, il organise la première manifestation nationale contre la guerre au Vietnam. Plus tard, il épouse la cause de la lutte contre les manipulations génétiques. Il trouble, avec ses camarades, les cénacles de l’Académie des sciences, en déployant ses banderoles et en chantant « Nous ne voulons pas être clonés », sur l’air de l’hymne aux droits civiques (We Shall not Be Moved).

    En 1977, dans le Library Journal, le critique Ken Nash presse le destin de ce jeune homme qui n’avait pourtant produit qu’un seul livre (Own Your Own Job, Bantam Books, 1977) : « Le socialisme de Rifkin est aussi américain que la tarte aux pommes, écrit Nash. Il est peut-être notre plus talentueux vulgarisateur d’idées radicales. » La France va adorer.

    Multiples retirages

    Quelques mois après la publication de The End of Work, le sociologue français Alain Caillé dévore le livre et rêve d’une édition française. Théoricien du don et militant de l’anti-utilitarisme, alternative humaniste au libéralisme et au marxisme, il retrouve ses thèmes dans l’ouvrage de Rifkin : l’impasse de l’économie marchande qui exclut de l’emploi et la nécessité d’encourager l’économie solidaire.

    Il fait le siège de son éditeur, La Découverte, pour le convaincre de le publier. « Ça ne se vendra pas », le prévient François Gèze, le patron de la maison. A tort : il a vendu plus de 30 000 exemplaires la première année de sa sortie, sans compter les multiples retirages, qui élèvent le nombre à 57 000. « Et il s’en vend toujours aujourd’hui », pointe l’éditeur. Il faut dire qu’il avait réussi à convaincre son ami Michel Rocard de préfacer l’ouvrage.

    Philippe Séguin, à l’époque président de l’Assemblée nationale (1993-1997) et autre amoureux du débat sur le travail, avait décliné car Jeremy Rifkin exerce déjà sur le personnel politique, français comme européen, un attrait indéniable. Comme si ses idées originales ouvraient de nouveaux horizons à des décideurs en panne de solutions nouvelles. Avant la sortie de l’édition française, il était l’invité d’honneur d’une conférence de deux jours organisée par Philippe Séguin à Epinal, son fief des Vosges, rassemblant leaders syndicaux et chefs d’entreprise.

    « Nouvel esprit de paresse »

    Le succès de l’ouvrage est aussi dû à un concours de circonstances exceptionnel : rincés par une crise qui n’en finit pas en ce milieu des années 1990, les Français sont en proie au doute. « Contre le chômage, on a tout essayé », reconnaît, en 1993, le président François Mitterrand. On imagine alors la disparition de l’emploi. Un an avant la traduction de Rifkin, la sociologue et philosophe Dominique Méda publie Le Travail, une valeur en voie de disparition (Alto, 1995). Un tabou saute. La droite hurle à l’Assemblée face à ce « nouvel esprit de paresse ».

    Dans le même temps, la romancière Viviane Forrester fait un tabac avec son Horreur économique (Fayard, 350 000 exemplaires). L’entreprise n’est plus tendance, le débat s’installe à gauche. Mais nous sommes en France, et l’argumentaire économique promu par Rifkin vire à la controverse philosophique.

    Pour Méda, comme pour André Gorz et d’autres penseurs de gauche, la question du progrès technologique n’est pas centrale. Il s’agit d’affirmer que le travail, valeur réhabilitée au XVIIIe siècle avec les Lumières, ne constitue pas l’essence de l’homme et que l’entreprise ne doit pas être son seul horizon. Il convient d’en réduire la durée pour se consacrer à d’autres activités plus épanouissantes : la famille, la communauté, l’enrichissement intellectuel… La conclusion est identique à celle de l’Américain mais prend d’autres chemins.
    « Je ne dis pas que le travail va disparaître, assure la sociologue, mais je souhaite qu’il prenne moins de place. » Une idée que partage également l’économiste Gilbert Cette, professeur à l’université d’Aix-Marseille, et qu’il traduit en des termes plus économiques :
    « Augmenter le temps de loisirs est une forme de redistribution des gains de productivité. »

    Déprime des salariés

    A ces données s’ajoutent une déprime des salariés (le plus grand succès des éditions La Découverte à cette époque sera d’ailleurs Le Harcèlement moral, de Marie-France Hirigoyen, en 1998, vendu à 600 000 exemplaires…) et une réflexion à gauche qui s’oriente de plus en plus vers la réduction du temps de travail.

    A la faveur de la dissolution du Parlement par Jacques Chirac en 1997, la gauche, exsangue cinq ans plus tôt, revient au pouvoir. A court d’idées neuves, elle saute sur la réduction du temps de travail, soufflée à Martine Aubry par Dominique Strauss-Kahn. Gilbert Cette intègre le cabinet de la ministre et donne une réalité à ce vieux rêve.
    Jeremy Rifkin ne pouvait imaginer pareille consécration : la plus importante réforme sociale de l’après-guerre en France, mise en route deux ans après la parution de son livre qui en faisait l’apologie ! Pourtant, la destruction des emplois par la technologie, thèse principale du livre, n’a pas abouti à une disparition du travail mais à sa transformation. Le drame que décrivait si bien l’auteur n’était pas celui de la fin du salariat mais de la désindustrialisation.

    Légitimité du débat

    Et si le débat revient aujourd’hui avec la peur de l’avènement des robots, la plupart des spécialistes en rejettent l’idée, de surcroît contredite par les faits : vingt ans après sa prédiction funeste, le taux de chômage mondial est plus bas qu’à l’époque (1 % de moins) ! Vieille opposition du scientifique face au vulgarisateur qui noircit le trait pour mieux vendre son message au risque de le déformer…
    « Monsieur Rifkin est un charlatan ! C’est un consultant qui a eu le flair d’enfourcher, au bon moment, les grandes peurs collectives de notre fin de siècle : les risques liés au progrès technologique et le chômage », lançait Olivier Blanchard, ancien chef économiste au FMI et enseignant au MIT, l’un des rares de sa profession qui soit entré dans le débat. Les autres ont préféré l’ignorer.

    Jennifer Hunt est l’une des plus grands spécialistes du travail aux Etats-Unis. Elle fut chef économiste au ministère du travail américain pendant la mandature de Barack Obama. « J’étais professeure à l’université Yale à l’époque, dit-elle. Nous ne le connaissions même pas. En 1995, nous sortions de la récession, c’était le début de la nouvelle économie et la croissance de l’emploi était très rapide. » Tout juste reconnaît-elle qu’il est parfois utile « d’avoir des gens qui ne sont pas contraints par une discipline et par des faits scientifiques ». Pour l’économiste Daniel Cohen, « Ce livre est arrivé à un moment de grande fatigue. Il est faux de dire que le travail disparaît, mais le débat sur la finalité de celui-ci est légitime ».

    Conférences convoitées
    C’est finalement le destin des Rifkin, Attali ou Minc de saisir l’air du temps, de lire beaucoup et de former, à partir de cela, des idées bien plus audacieuses que celles de la communauté scientifique… Et d’en faire commerce. Les conférences de Jeremy Rifkin, réclamées par toutes les grandes entreprises et organisations mondiales, se monnayent entre 20 000 et 40 000 euros.

    Sa société de conseil enchaîne les contrats avec la Commission européenne, le gouvernement allemand, la ville de La Haye, le Luxembourg, la région des Hauts-de-France… Les missions sont facturées entre 350 000 et 450 000 euros – « Le prix d’un rond-point », tempère modestement le prospectiviste –. « Sa notoriété et son charisme nous ont permis de rassembler tous les acteurs de la région autour d’un projet mobilisateur », insiste l’ancien ministre Philippe Vasseur, qui a monté avec lui le projet de « Troisième révolution industrielle » pour les Hauts-de-France.

    La Fin du travail a permis à Rifkin de gagner ses galons de millénariste en chef. Après la fin du bœuf et celle du travail, sont intervenues celles de la propriété (L’Age de l’accès, La Découverte, 2005) et des énergies fossiles (La Troisième Révolution industrielle, Les Liens qui libèrent, 2012). Il prédit maintenant la fin du capitalisme par sa dissolution dans le collaboratif (La Nouvelle Société du coût marginal zéro, Babel, 2016), voire la fin de l’espèce humaine, si l’on ne prend pas de mesure contre le réchauffement climatique.

    Des idées fortes qui retentissent dans une Europe en proie aux doutes existentiels. « Si je devais renaître, j’aimerais que ce soit en France ou en Italie », a coutume de lancer Jeremy Rifkin. Il en est déjà le citoyen de cœur et, avec ses certitudes, il est au moins le prophète d’un monde incertain.

    https://seenthis.net/messages/262461

    #Rifkin #Travail #emploi

  • Jeremy Rifkin, l’Internet des objets et la société des Barbapapa - Le nouvel Observateur
    http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/01/jeremy-rifkin-linternet-objets-societe-barbapapa-255193

    On savait depuis son livre sur la troisième révolution industrielle, mais cela se confirme avec son dernier livre (« La nouvelle société du coût marginal zéro », éd. Les liens qui libèrent, 2014) que Jeremy Rifkin envisageait l’avenir radieux de la production et de la consommation d’objets de sa future société d’hyperabondance sur le mode de « l’Internet des objets » : des imprimantes 3D partout, permettant à chacun de produire à domicile ou dans de micro-unités d’innombrables objets matériels de la vie quotidienne, jusqu’à des « voitures imprimées », en étant guidé par des programmes en ligne (logiciels gratuits), moyennant divers matériaux de base, plastiques souvent, mais aussi « ordures, papier recyclé, plastique recyclé, métaux recyclés... ».

    On a depuis longtemps l’Internet de l’information mais deux autres grands réseaux viendraient s’y connecter pour former le système de production du futur.

    D’abord celui de l’énergie, où « des centaines de millions de personnes produiront leur propre énergie verte à domicile » (automobiles à piles à hydrogène, habitations à énergie positive…), et la partageront entre eux sur un « Internet de l’énergie », avec l’hydrogène partout comme moyen de stockage ;
    et enfin cet « Internet des objets », qui aurait exactement la même propriété économique : à terme, un coût négligeable.

    Making of

    Ce billet a d’abord été publié sur le blog de l’économiste Jean Gadrey. Rue89 a été gracieusement autorisé à le reproduire. Mathieu Deslandes

    Ce système hypothétique d’abondance planétaire à coût très faible repose sur une hypothèse centrale sans laquelle il ne tient pas debout : les énergies (renouvelables) vont « devenir pratiquement gratuites » à terme.

    Aucun autre « spécialiste » que Rifkin ne dit cela dans le monde ! Tous disent que l’énergie restera chère, renouvelable ou pas, parce que certes le soleil et le vent sont gratuits, mais les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les réseaux électriques intelligents et toutes les autres techniques, exigent des matériaux, des métaux et des terres rares qui sont et seront chers, et même de plus en plus.

    Cela ruine le modèle techno-économique « hors-sol » de Rifkin, aussi bien pour cette nouvelle production 3D que pour sa vision de robots prenant la place de l’essentiel du travail humain.
    Un conte de fées hi-tech

    Bien entendu, presque tous les mythes reposent sur des bouts de vérité et, dans le cas présent, de telles imprimantes existent bel et bien et vont se diffuser. Mais en faire la base principale de la production et de la consommation du futur est un conte de fées hi-tech, au demeurant pas du tout féérique sur le plan écologique vu la débauche d’énergie et de matières que sa généralisation impliquerait.

    Ce qu’il a de formidable avec le conte de fées des imprimantes 3D partout et pour tous, c’est que, de même que l’Internet de l’énergie reposerait sur des énergies renouvelables disponibles en abondance à un coût quasi nul, de même, les objets que vous fabriqueriez un jour seraient recyclables et leurs composants réintroduits dans ces imprimantes pour fabriquer d’autres objets selon votre bon plaisir et vos goûts du jour. Les objets eux aussi seraient renouvelables pour pas un rond. C’est ce que Rifkin a retenu de l’économie circulaire pour la mettre au service de ses contes de fées.

    Cette plasticité infinie des objets et des formes ne vous rappelle rien ? Elle me fait furieusement penser aux sympathiques personnages des Barbapapa, se transformant à coût nul en n’importe quel objet à l’instar d’une pâte à modeler.

    #rifkin #3e_revolution_industrielle #barbapapa #Gadrey #imprimante_3D

    • Voir aussi la tribune :

      http://www.liberation.fr/terre/2014/10/21/la-troisieme-revolution-de-rifkin-n-aura-pas-lieu_1126521

      La thèse de la Troisième Révolution industrielle et tous ceux qui vantent le capitalisme numérique restent enfermés dans une vision simpliste des technologies et de leurs effets. Ils oublient de penser les rapports de pouvoir, les inégalités sociales, les modes de fonctionnement de ces « macrosystèmes » comme les enjeux de l’autonomie des techniques et des techno-sciences, sans parler de la finitude des ressources et de l’ampleur des ravages écologiques réels de ce capitalisme soi-disant immatériel. Malgré la fausseté et le simplisme de son analyse, il n’est pas surprenant que tout le monde célèbre Rifkin et ses prophéties. Grâce à son rêve technologique, il n’est plus nécessaire de penser aux impasses de notre trajectoire, à nos vrais besoins, il suffit de s’en remettre aux grandes entreprises, aux experts et aux entrepreneurs high-tech de toutes sortes qui vont nous offrir les solutions techniques pour sortir de l’impasse.

      Outre que ce projet intellectuel est largement illusoire, il est aussi antidémocratique car il s’appuie sur les experts et les seuls décideurs en laissant de côté les populations invitées à se soumettre, à accepter avec reconnaissance le monde ainsi vanté dans les médias. C’est un des paradoxes de cette Troisième Révolution industrielle : censée promouvoir un pouvoir « latéral », décentralisé et coopératif, elle fait appel à des forces hautement capitalistiques. Censée réduire les consommations d’énergie, elle repose sur des systèmes numériques hautement sophistiqués, virtuellement centralisés et dévorateurs de métaux rares, via des serveurs géants actionnés par une poignée d’entreprises mondiales qui récoltent au passage des données personnelles sur les heureux utilisateurs. Censée reposer sur la généralisation des énergies renouvelables, elle ne calcule ni la matière ni l’énergie nécessaires pour édifier ces machines. Cette nouvelle utopie technicienne est hors-sol et invente un nouveau mythe qui rejoint celui de la transition énergétique, conciliant l’inconciliable : croissance verte autoproclamée et pénurie de matière, entropie et expansion miraculeuse des énergies, liberté individuelle et société de contrôle.

      Mais peut-être est-ce le secret de l’annonce répétée de la Troisième Révolution industrielle : éviter les remises en cause, résorber les contestations qui s’élèvent en renouvelant l’utopie des technologies salvatrices qui résoudront naturellement tous les problèmes. Le succès du rêve de Rifkin vient, en définitive, de son aspect rassurant, de ce qu’il nous berce d’illusions, il est le visage intellectuel de la technocratie écologique en gestation. Il correspond au désarroi d’une immense majorité de nos contemporains qui attendent des techniciens qu’ils façonnent le nouveau monde, clés en main, en les dotant toujours plus en smartphones et en écrans plats. Cette nouvelle servitude volontaire vient peut-être de ce que nous sommes toujours plus avides de confort et aussi toujours davantage privés du goût de la vraie liberté : celle dont il est possible de jouir sans la moindre prothèse et sans le moindre risque d’addiction.

      Et le reportage relativement décapant d’Usbek et Rika :
      http://usbek-et-rica.fr/comment-jai-presque-interviewe-jeremy-rifkin

      Dépité, le Monsieur Loyal de la soirée nous confie que l’invité a aussi bougé le conducteur de l’émission et envisage de monologuer plutôt que de répondre aux invités. Ce qui se vérifie quelques minutes plus tard. À la question initiale « Qu’avez-vous souhaité nous dire avec ce nouveau livre ? », Rifkin donne une réponse de 45 minutes montre en main, en forme de best of de son bouquin… Leçon pour le futur : on n’interviewe pas Jeremy Rifkin, on l’écoute parler. Le pire, en plus, c’est qu’on nous avait prévenu : « Tu verras, en général, il ne veut pas qu’on lui pose de questions, et si tu as le droit d’en poser, de toutes façons, il répond à côté… » Le côté rock star, passe encore. Qu’il refuse de sortir sous la pluie pour ne pas mouiller ses costumes en flanelle ou qu’il touche un pactole avec 4 zéros à la fin pour la moindre intervention publique, peu importe. Après tout, l’homme conseille Obama, Merkel et le vice-premier ministre chinois, excusez du peu… Mais fuir la contradiction ? Se contenter de dérouler une pensée linéaire ? Pour un esprit aussi brillant, c’est quand même dommage.

      Rifkin plaide pour la rédaction d’un Bill of Rights de l’économie post-capitaliste

      Voilà pour la forme. Maintenant, passons au fond. Que nous dit Rifkin cette fois ? Le capitalisme est à l’agonie. Et il finira par être remplacé par le système des « communaux collaboratifs », mode d’organisation sociale qui privilégie l’intérêt collectif à l’intérêt individuel et fleurit aujourd’hui avec la montée en puissance de l’économie du partage. Comme d’habitude, Rifkin donne une certaine perspective historique à son propos. Il rappelle ainsi que le système des commons existait bien avant la naissance du capitalisme. Dans l’Angleterre médiévale, pâturages et forêts étaient déjà gérés de façon communautaire. C’était avant le temps des enclosures et de la propriété privée, dont le philosophe John Locke a tenté de nous faire croire qu’elle était un droit naturel : « Les paysans unissaient leurs lopins individuels dans des champs ouverts et des pâturages communs qu’ils exploitaient collectivement. Les communaux ont impulsé la première pratique primitive de la prise de décision démocratique en Europe. (…) Il s’agissait d’un système où la propriété n’était jamais possédée à titre exclusif, mais divisée en sphères de responsabilité, conformément à un code fixe d’obligations en matière de propriété », rappelle Rifkin, qui plaide aujourd’hui pour la rédaction d’un Bill of Rights de l’âge numérique, une charte définissant les règles de cette nouvelle économie post-capitaliste.

      Et cet intéressant angle de traverse de Jean Gadrey (qui date un peu) :
      http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2013/05/09/jeremy-rifkin-le-gourou-du-gotha-europeen-1

      Dans ce livre, il ne conte pas ou peu de rencontres avec la base, il ne s’adresse pas, comme l’a fait Stiglitz, aux « indignés », il ne fréquente pas les forums sociaux mondiaux. La société civile n’est plus sa cible, il dialogue avec le sommet, on l’invite pour des conventions, devant les cadres réunis de multinationales. Et surtout, il est l’invité ou l’ami – il nous en fournit les détails avec complaisance - d’Angela Merckel, de Manuel Barroso, « de cinq présidents du Conseil européen », de Prodi, de Zapatero, de « David » (Cameron), de Papandréou, de l’OCDE « devant les chefs d’État et ministres de 34 pays membres », de Neelie Kroes (ultralibérale, invitée régulière du groupe Bilderberg), du maire de Rome (ancien ministre de Berlusconi), du prince de Monaco. Mais aussi, à un moindre degré, de Chirac et Hollande.

      Tout cela vous pose un homme, mais me pose un problème, indépendamment de la présence massive dans cette liste de nombreux leaders libéraux ou ultralibéraux. POUR QUELQU’UN QUI VALORISE EN THÉORIE LE POUVOIR LATÉRAL, TOUT SE PASSE COMME SI, POUR FAIRE AVANCER SA CAUSE, IL EMPLOYAIT EXCLUSIVEMENT DES MÉTHODES VERTICALES, visant à conquérir le cœur de l’oligarchie. La démocratie est certes pour lui une fin, mais pas un moyen de transformation sociale : elle « sera donnée par surcroît » (Évangile, Mathieu, 6.33), comme conséquence de l’adoption des nouvelles technologies « partagées » de l’information et de l’énergie.

      Ce rêve de réorientation démocratique partant de l’oligarchie et de la technologie est une impasse, une dépossession, un piège à citoyens. Si ces derniers ne s’emparent pas de la transition, si en particulier ils ne reprennent pas le contrôle de la finance (une priorité totalement absente chez Rifkin) ET DES TECHNOLOGIES, l’oligarchie, qui en a vu d’autres, va récupérer les idées de Rifkin et n’en retenir que ce qui conforte ses intérêts. Elle sait fort bien, elle, que ce ne sont pas les « forces productives », Internet et les réseaux électriques décentralisés qui menacent son pouvoir et qui vont bouleverser les « rapports de production », même si, en son sein, les innovations technologiques peuvent, comme toujours, modifier le rapport des forces économiques entre diverses fractions du capitalisme.

      Internet existe depuis plus de vingt ans, l’informatique depuis quarante ans, et l’on n’a pas observé de recul du pouvoir de l’oligarchie, au contraire. Rien n’empêchera Neelie Kroes et les autres ultra-libéraux qui invitent volontiers Rifkin de tenter de profiter de ces nouvelles configurations techniques pour pousser les feux d’un capitalisme encore plus dérégulé, encore moins « partagé ». Ils savent comment faire pour dominer les nouveaux réseaux techniques. Seuls des mouvements sociaux, des réseaux citoyens, peuvent, du local au global, orienter et acclimater ces innovations afin de les mettre au service du partage et des droits humains. Mais ce n’est pas à eux que Rifkin s’adresse en priorité. C’est au gotha qu’il vend, très cher, ses conseils et ceux de son team.

      Les cercles de grands patrons entourant Rifkin ont très bien compris qu’ils pouvaient s’engouffrer dans la brèche médiatique ouverte et y prendre des positions de pouvoir et de lobbying, afin d’être les artisans hautement lucratifs des nouvelles infrastructures électriques « intelligentes », des véhicules électriques, des énergies renouvelables, des piles à combustibles, etc. Ils savent que, dans ce cas, le « pouvoir latéral » et le « capitalisme distribué » de Rifkin ne sont pas pour demain…

      On comprend enfin pourquoi ce lobbying orienté vers le haut convient à certains élus de sommet, internationaux, nationaux ou régionaux, qui participent d’une conception verticale du changement, impulsé par eux. Rifkin les flatte, à peu de frais. Or une transition définie par le haut, presque forcément indifférente aux inégalités qu’elle suscite, prendra un autre tour que celle qui ferait toute leur place à « la base » et à la « justice environnementale », autre grande absente du livre de Rifkin.

  • Bienvenue dans un monde de service - PandoDaily.com
    http://pando.com/2014/01/24/its-a-services-world-how-1-99-a-month-can-help-a-company-reap-millions

    Google a pour habitude de prendre un produit cher et de le transformer en service gratuit ou presque. Arrivera-t-il demain à Nest ce qui est arrivé à Microsoft, quand Google a lancé GoogleDrive ? Pour Manu Rekhi, ces exemples illustrent le changement en cours, le passage du produit au service. Bienvenue dans l’âge de la location. Les #services d’abonnement prennent le relai des produits que l’on achetait. Et la consommation instantanée qu’ils promettent est la force motrice de ces services. Et Manu Rekhi d’égrainer une liste de services par abonnement existants dans tous les domaines possibles et imaginables... et ce pour quelques dollars par mois. Tags : internetactu fing internetactu2net (...)

    #sharevolution #economiecollaborative