• L’un des plus grands attaquants de tous les temps, l’ancien footballeur brésilien Romario, devenu député socialiste, s’élève contre le coût économique et social de la coupe du Monde 2014 dans son pays :

    « Controverse • Le Mondial de foot 2014 bénéficiera-t-il au Brésil ? »
    http://www.courrierinternational.com/article/2013/06/19/le-mondial-de-foot-2014-beneficiera-t-il-au-bresil

    http://www.hdwallpapersarena.com/wp-content/uploads/2013/01/w39.jpg

    Une occasion manquée
    --Romário—Folha de São Paulo, São Paulo

    Le succès d’une Coupe du monde de football va bien au-delà de ce qui se voit. Les stades combles et les matchs transmis à la télévision ne représentent que 10 % de ce grand spectacle qui unit les peuples et fait vibrer la planète tout entière autour d’une même passion. Pour un pays, organiser un Mondial est une occasion rare (la dernière pour le Brésil remonte à plus de soixante ans) de ­stimuler l’économie, de développer le tourisme et la formation de ses citoyens, d’étendre et d’améliorer ses infrastructures en les ­rendant plus accessibles. Au vu de l’ensemble de ces possibles, la conclusion est aisée : non, le Brésil ne tirera pas tout le profit qu’il pourrait de la Coupe du monde.

    Il serait naïf d’espérer d’un Mondial qu’il résolve tous les problèmes d’un pays, mais il est désagréable de constater qu’il risque fort d’en aggraver certains. A la télévision, un spot publicitaire pour une bière [la bière Brahma, sous le titre “Imagina na Copa”, “Imaginez pendant la Coupe”] veut voir du pessimisme dans ce sentiment de frustration des Brésiliens. Mais il ne s’agit pas d’un pessimisme gratuit : c’est au contraire pur réalisme pour qui vit le quotidien des grandes villes. Oui, imaginez pendant cette Coupe tous nos problèmes structurels aggravés par l’afflux de millions de personnes !

    Le pessimisme des Brésiliens repose sur des faits : l’imprévoyance des autorités se traduit par d’innombrables retards dans les travaux et, indirectement, par un ­renchérissement du coût du Mondial (de 3,5 milliards de reais, pour être précis), selon le dernier état des lieux de la Cour fédérale des comptes. Pour se faire une idée de ce que l’on pourrait faire avec ces milliards, faisons une projection. En 2010, Lula, alors ­président, avait annoncé la construction de 141 ­nouveaux lycées professionnels publics, pour un coût total de 1,1 milliard de reais. En d’autres termes, les 3,5 milliards de reais qu’il a fallu ajouter au pot du Mondial permettraient de construire près de 500 ­nouveaux établissements d’enseignement technique au Brésil.

    Pourtant, ces dépenses excessives ne sont pas la pire des choses. Les retombées sociales pour la population, que l’on vante tant, semblent vouées à rester du domaine de la ­théorie. Presque tous les travaux d’infrastructures de transport ont pris du retard, au point que l’inauguration de certains chantiers a même été repoussée à après le Mondial, quand ils n’ont pas été purement et simplement ­annulés.

    Il y a aussi les problèmes peu visibles mais lourds de conséquences sociales, comme les relogements forcés. Le sujet a fait les gros titres du New York Times. Le quotidien signalait que 170 000 personnes allaient être expulsées d’ici au Mondial et aux Jeux olympiques, pour laisser la place aux chantiers d’urbanisme décidés dans la perspective des événements. Le problème, c’est que les indemnisations sont bien au-dessous des prix du marché et que, quand un relogement est proposé, c’est parfois à 60 kilomètres du domicile d’origine des expulsés. Moi qui ai parcouru le monde entier et participé à tant de Coupes du monde, je peux affirmer avec conviction qu’un pays n’est attrayant aux yeux des touristes que s’il l’est d’abord aux yeux de sa population. Aujourd’hui, je ne peux soutenir qu’un problème viendra empêcher la tenue de cet événement, mais j’ai la certitude que les Brésiliens seront déçus de voir leur pays perdre, une fois encore, une excellence occasion de devenir un endroit plus agréable à vivre.

    --Romário*
    Publié le 2 février

    * Champion du monde en 1994, il est aujourd’hui député fédéral du Parti socialiste brésilien.

    #football #Brésil #coupe_du_Monde #Romario