#salle_de_spectacles

  • ´Communication de Francis Peduzzi directeur du "Channel" théâtre national de Calais.
    @cdb_77
    "Nous n avons jamais voulu faire du Channel un lieu où s’énoncerait ce qu’il faut penser

    Francis Peduzzi, directeur du Channel, février 2016, Stradda

    Comme Lampedusa, plus au sud, Calais cristallise l’attention sur le phénomène migratoire et son lot de violence et malheur. Calais fixe aujourd’hui l’attention. Et tant que les frontières ne seront pas ouvertes, cela durera. Car tant que Calais sera aussi proche de l’Angleterre, cela durer. La vie est devant nous.
    Cela fait maintenant une vingtaine d’années que les réfugiés encore nommées localement « les Kosovars » affluent dans la ville. Mais dire cela ne rend compte qu’imparfaitement de la situation. De quelques centaines, il y a encore un temps, ils sont désormais des milliers. D’une présence furtive dans la ville, l’élimination récente et méthodique des squats dans l’ espace urbain a rendu cette présence beaucoup plus visible. C’est une construction du regard qui, consciemment ou pas, s’est organisée accentuant et exacerbant les phénomènes de rejet. La ville, pratiquement du jour au lendemain, a vu surgir des centaines d’etres, pour beaucoup des Africains, dans l’espace urbain.
    La souffrance inutile
    Aujourd’hui, ils sont plus de cinq milles, hommes, femmes, enfants installés dans la plus grande des précarité, à s’entasser dans un bidonville, situation dénoncée au gré des rapports successifs des associations humanitaires et autres observatoires.
    Une phrase semble réunir la plupart des responsables politiques : « Les Calaisiens souffrent ». Probablement, mais à ne jamais préciser de quoi, on laisse le champ libre aux thèses de rejet. Pour ce qui est de nous-meme, nous souffrons, certes. Mais nous souffrons d’abord de la souffrance inutile de ces milliers de personnes pour qui l’avenir est incertain, à qui l’on réserve ici des conditions inhumaine (meme si sans commune mesure avec les enfers qu’ils ont quittés et traversés pour venir jusqu’à nous), à qui l’on interdit tout ou presque. Nous souffrons de les savoir en proie à toutes les violences. Celles de l’Etat, pas si tendre que cela avec le malheur d’autrui ( dernière violence en date : des jets massifs de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre sur des cabanes où vivent femmes et enfants). Au moins aussi inquiétante, une autre violence tend à s’organiser et à s’instituer, celle de milices qui veulent casser du noir. Nous en resterons là pour la description. Alors que peut faire une scène nationale dans ce marasme ? Nous passerons sur le minimum que sont les aides ponctuelles, en termes de contact et éventuellement de lieu de réunion, à tous ceux, artistes de passages qui veulent s’intéresser à cette question Notre parti pris est ailleurs.

    La justesse d’une position
    Devant l’afflux des sollicitations dont nous sommes l’objet, largement dopé par l’appel de Calais dit appel des 800, initié par des cinéastes en octobre 2015, nous avons du nous forger une feuille de route et penser notre positionnement : Au lendemain de sa parution dans Libé, nous avons littéralement croulé sous les demandes. Qui voulait un prêt de salle pour un concert de soutien, qui voulait une coproduction ou une résidence pour parler du sujet, qui souhaitait faire du Channel son quartier général, et d’autres encore. Dans ces conditions, nous a fallu réfléchir à une ligne directrice, nous permettant de répondre simplement et sans arbitraire aux demandes multiples qui nous arrivent chaque jour, sans discontinuer. Et formuler une position qui soit en accord profond avec la façon dont la scène nationale se vit sur le territoire.
    Elle peut faire en portant un autre regard. Nous n’avons jamais voulu faire du Channel un lieu en surplomb, un lieu qui décréterait le savoir, un lieu où s’énoncerait ce qu’il faut penser. Nous avons depuis longtemps quitté les rives de cette fable consistant à imaginer le théatre comme agora, lieu du débat démocratique et de la prise de conscience. Cela ne se joue pas à cet endroit de la parole dite qui, elle-meme, transformerait les etres et en ferait des humanistes et des gens conscient, militant pour un monde meilleur. Cela n’a jamais été notre propos et ceux qui continuent à propager ce type de discours n’ont à nos yeux jamais parlé à un seul spectateur de théatre et ont avec le réel une faible accointance. Pour autant, cela ne signifie pas une distanciation naive au monde, une insensibilité aux questions contemporaines. Cela signifie juste que cela ne se traduit pas ainsi. Le Channel n’est pas le lieu du message. Le sens que nous donnons à notre travail est tout entier dans l’architecture et la conception du lieu de plus de vingt mille mètres carrés que nous avons créé : un lieu de vie.

    La reconnaissance de l ‘autre
    Avant d’etre une salle de spectacles, le Channel est un lieu : un lieu vivant. Un lieu où une librairie, un restaurant, des salles de travail et de réunion font se croiser des personnes de toutes sortes, font s’y développer une vie passionnante : nous pensons que c’est à cet endroit là que nous pouvons agir. C’est à cet endroit précis que nous devons porter le regard. Nous avons du nous y résoudre. Tellement sollicités que nous l’étions, nous avons du adopter une ligne de conduite. Si nous pouvons favoriser et faciliter, parce que nous avons un outil, le travail de ceux qui veulent s’intéresser à ces questions, nous ne souhaitons absolument pas nous inscrire dans une sorte de spécialisation que nous conférerait de fait notre situation géographique et qui nous ferait devenir producteurs ou diffuseurs attitrés de spectacles sur ce sujet. Nous pensons que la population de cette ville a besoin d’une respiration en venant au Channel, et ce n’est certainement pas en rajoutant une couche sur une situation trop bien vécue.
    Nous avons à répondre à ceux qui veulent rendre le monde intelligible. Nous sommes un lieu de la reconnaissance de l’autre. Regarder comme des habitants de la ville, comme une richesse. Reconnaître au lieu de méconnaître. "

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