• HCR - QUESTIONS ET RÉPONSES : « Avant la pandémie, la santé mentale des réfugiés était un sujet négligé. Aujourd’hui, c’est à une véritable crise que l’on a affaire. »
    https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2020/10/5f8051eba/questions-reponses-pandemie-sante-mentale-refugies-etait-sujet-neglige.html

    Le psychiatre Pieter Ventevogel dirige l’action du HCR en matière de santé mentale depuis six ans, une période durant laquelle le nombre de personnes déracinées par les conflits et les persécutions a atteint le chiffre sans précédent de 79,5 millions, parmi lesquelles 26 millions de réfugiés. Il s’est entretenu avec notre collègue Tim Gaynor, responsable du site Internet du HCR, à Genève, pour évoquer la question de la santé mentale des réfugiés et de l’impact de la pandémie de Covid-19.
    Quel était la situation en matière de santé mentale des réfugiés avant la pandémie actuelle ?​
    Il y a des variations, mais nous pouvons utiliser les estimations de l’Organisation mondiale de la santé. Une personne sur cinq - 22,1% - de la population adulte dans les zones touchées par la guerre souffre de problèmes de santé mentale. Nous n’avons pas de données concernant les enfants, mais nous pouvons supposer que ce chiffre est encore un peu plus élevé, car les enfants sont plus vulnérables. Selon d’autres études, ce niveau de référence est environ deux à trois fois plus élevé que celui de la population en général.
    Beaucoup de gens imaginent que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est le trouble le plus répandu chez les réfugiés, mais ce n’est certainement pas le seul problème de santé mentale auquel ils font face, et nous y sommes confrontés moins souvent que ce à quoi on pourrait s’attendre. Beaucoup de personnes ont à faire face à des expériences difficiles dans leur pays d’origine, ou durant leur fuite, des expériences violentes, et ce même dans le pays d’asile. Mais le SSPT constitue une pathologie bien spécifique, et, lorsque nous parlons de la santé mentale des réfugiés, nous devons aller au-delà de cette seule problématique.
    Les maux les plus courants sont en réalité la dépression et l’anxiété. La dépression est souvent liée à une perte - celle d’un être cher, d’un foyer, d’un emploi, d’un statut social ou d’un cercle social. Les personnes qui en souffrent n’ont plus aucun espoir pour l’avenir. Il est possible d’atténuer ce problème dans une certaine mesure lorsque des opportunités de développement personnel sont offertes, mais, dans de nombreux cas, les réfugiés se retrouvent dans une situation incertaine, attendant simplement que quelque chose se passe. Les solutions ne sont pas faciles à trouver, et les gens peuvent perdre tout espoir de voir leur vie s’améliorer.
    Au fil du temps, nous constatons également que la proportion de personnes souffrant de graves problèmes de santé mentale, comme la schizophrénie ou les troubles maniaco-dépressifs, est en augmentation. Nous ne savons pas exactement pourquoi - on ne devient pas schizophrène suite à un déracinement - mais il existe peut-être une vulnérabilité sous-jacente, soit au niveau du développement, soit au niveau biologique, qui peut se manifester dans certaines conditions. Lorsque le mécanisme de défense de ces personnes s’effondre, elles peuvent développer des symptômes. Dans les contextes de crise humanitaire, les personnes souffrant de graves problèmes de santé mentale courent un risque élevé de maltraitance et de négligence. C’est tout simplement inacceptable.
    Comment cette situation a-t-elle évolué depuis le début de la pandémie ?​
    Avant la pandémie, la santé mentale des réfugiés était une question peu prioritaire et très négligée. Aujourd’hui, nous faisons face à une crise de grande ampleur. De nombreux réfugiés voient leurs perspectives d’avenir s’effondrer. Les problèmes qui les ont poussés à fuir leur pays ne sont pas résolus et ils ne peuvent pas rentrer chez eux. En outre, les nombreux réfugiés qui survivaient dans leur pays d’asile grâce à l’économie informelle ont aujourd’hui perdu leurs moyens d’existence. Ils sont confrontés à un manque de solutions, car les possibilités de réinstallation ont diminué avec la pandémie. Les gens sont inquiets pour leur santé, ne sachant pas quand la pandémie va se terminer et comment ils peuvent vraiment se protéger.
    Ces facteurs de stress additionnels peuvent encore être relativement gérables pour la plupart des gens. Mais si vous vivez déjà en marge, cela peut constituer un élément déclencheur de problèmes psychiques. Ce désespoir croissant se manifeste par une augmentation des appels aux lignes d’assistance téléphonique de la part de réfugiés qui ont vraiment peur ou sont en colère, ainsi que de personnes qui ne voient pas d’issue et pensent « peut-être devrais-je mettre fin à ma vie. » Nous constatons également une augmentation des tentatives de suicide en Ouganda et au Kenya, en particulier chez les jeunes. Pour moi, ce sont là des indicateurs des tensions sous-jacentes.
    Il est difficile de connaître l’ampleur de ce phénomène, car la pandémie a également un impact sur la volonté des gens de se faire soigner. Dans de nombreux endroits, les réfugiés hésitent à se rendre dans les centres de santé car ils les perçoivent comme des lieux où l’on peut tomber malade plutôt que guérir. Cette montée du désespoir et la diminution du nombre de personnes qui demandent de l’aide pour des problèmes de santé mentale sont inquiétantes. Nous sommes aujourd’hui face à une crise qui peut dégénérer.

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