• Yiddish : comment la langue a survécu à l’anéantissement
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-info-culturelle-reportages-enquetes-analyses/yiddish-comment-la-langue-a-survecu-a-l-aneantissement-4339427

    Un film sort en salles, tourné en yiddish par un jeune cinéaste français, alors que l’on croyait la langue sur le point de disparaître. Retour sur l’histoire de cette langue devenue objet d’études grâce à une pionnière nommée Rachel Ertel, et sa survie souterraine.

    Shtetel ”, en yiddish, la langue des juifs d’Europe centrale et orientale, désigne les villages et les bourgades de cette partie du monde où des juifs, il y a mille ans, ont partagé une langue par-delà les frontières. Shttl , c’est le nom du film du réalisateur français Ady Walter qui sort en salles ce 13 décembre 2023 avec la particularité d’avoir été tourné en yiddish à un âge tout le monde tenait la langue pour morte, ou à peu près. Le titre de ce film de fiction qui raconte les 24 dernières heures d’un village de l’actuelle Ukraine à l’époque du nazisme a perdu son E : c’est un hommage du cinéaste à Georges Perec. En 1969, avait paru La Disparition, entièrement écrit sans la lettre E, pourtant la plus courante de la langue française. Par cette contrainte faite à sa littérature et le pari un peu fou d’écrire malgré tout, Perec entendait à l’époque manifester l’encastrement des béances laissées par la Shoah : l’absence de sa mère, déportée et assassinée à Auschwitz, et aussi la perte de la langue.

    Tourné en yiddish cinquante ans plus tard à la faveur d’un casting ardu qui n’a pas recruté que des comédiens juifs, Shttl montre que le yiddish n’est pas mort. Le film fait exister la langue vernaculaire des juifs d’Europe, qui emprunte à 75% à l’Allemand mais aussi à l’araméen, au français, à l’hébreu, ou encore à l’anglais. Et le yiddish, paraît ainsi sortir du souterrain. Alors que 11 millions de locuteurs le parlaient ordinairement à la veille de la Seconde guerre mondiale, l’idiome n’a pas réellement résisté à l’anéantissement des juifs sous le nazisme : le yiddish dans la vie de tous les jours n’est plus la langue de grand monde. Rachel Ertel, traductrice et grande pionnière des études yiddish, dira même que c’est “ la langue de personne ” : c’est le titre d’un grand livre qu’elle signait en 1993 aux éditions du Seuil, dans la collection “ Librairie du XXIe siècle ” de Maurice Oleander. Pour autant, le yiddish n’est pas mort tout à fait, loin s’en faut. Et c’est notamment à Rachel Ertel qu’on le doit.

    La langue apparaissait pourtant décimée pour de bon, et un mille-feuilles de brimades, d’antisémitisme et de vieilles hiérarchies avaient en effet resurgi dès la chute du nazisme. Par exemple parce que l’Union soviétique de Staline, déjà, avait fait interdire le yiddish. Il suffit de voir qu’au procès des grands criminels nazis, à Nüremberg, le premier témoin juif (et pourtant ils ne seront pas nombreux) n’avait pas obtenu ce qu’il avait pourtant clairement réclamé : s’exprimer dans sa langue, c’est-à-dire celle d’avant la Shoah, mais aussi celle des morts.

    Ce témoin s’appelait Avrom Sutzkever et parce qu’il a écrit sur son passage devant les juges de Nüremberg, on sait combien il importait pour lui de parler yiddish alors. Et comment il s’était lui-même trouvé fort étonné du niveau somme toute assez correct du russe qui lui était venu aux lèvres in extremis alors qu’on lui avait refusé sa langue maternelle : Sutzkever, qui était un grand poète, avait survécu parce qu’il avait réussi à s’extirper du ghetto de Varsovie par les égouts, avant de rejoindre le territoire soviétique. Lui qui était revenu dans sa Pologne natale aux côtés des troupes de l’armée rouge était devenu le témoin de la délégation soviétique, à Nüremberg. Et en même temps un témoin privé de sa langue. Le 17 février 1946, la veille de son témoignage, il avait pourtant écrit : " J’irai à Nuremberg. […] Je mesure la responsabilité écrasante qui m’incombe, dans ce voyage. Je prie pour que les âmes évanouies des martyrs se manifestent à travers mes paroles. Je veux parler en yiddish. Pas question d’une autre langue. " Ironiquement, c’est parce que, plus tard, Rachel Ertel notamment, a traduit ces pages, qu’on en a connaissance. Mais lui-même le racontera aussi dans les médias français qui l’inviteront dans les années 1980 : dans les archives de France culture, rediffusées par les Nuits ultérieurement, on retrouve par exemple cinq émissions avec Sutzkever au micro d’André Velter en 1988 :

    Langue sans frontières ni patrie
    La création de l’État d’Israël, en mai 1948, n’avait pas non plus été une bonne nouvelle pour le yiddish. Israël avait choisi l’hébreu, jusque-là une langue plutôt plus religieuse que le yiddish contrairement à ce qu’on croit parfois, et en avait fait sa voix nationale. A nouveau, l’hybride yiddish, sans frontières ni patrie, tranchait avec l’objectif national. Pour toujours alors, le yiddish apparaîtra comme la langue de la diaspora et en Israël, parler yiddish sera longtemps modérément toléré, voire déconseillé ou méprisé.

    Mais à New York et dans quelques communautés établies ici ou là en Amérique du Nord, l’idiome avait résisté. Un théâtre en yiddish existait à New York depuis 1882 déjà. Sur place, les ultra-orthodoxes notamment le parleront plus tardivement qu’ailleurs, et en préserveront en partie la trace. C’est notamment pour cette raison que le yiddish embarquera sur le tard une dimension plus spirituelle et religieuse que celle qu’il avait jamais eu avant la Seconde Guerre mondiale. Au risque de se voir souvent accoler à tort l’image d’un vieux rabbin avec une barbe. Alors que la vitalité très séculaire de la vie yiddish telle qu’elle s’ouvrait dans les années 1920 ou 1930 n’avait pas grand chose de religieux. Les mélodies klezmer embarquent encore la trace d’une vie rythmée. Mais entre-temps, la langue avait aussi revêtu une dimension sacrée du fait même qu’elle avait été, et restait la langue des disparus.

    Mais l’Amérique du Nord n’était pas resté le seul lieu de la culture yiddishophone survivante. Qui sait qu’à Paris, dans les années 1980, paraissait encore le tout dernier quotidien yiddishophone au monde ? Toute une activité culturelle souterraine perdurait, à bas bruit le plus souvent. Des livres, pourtant, se publiait : il en paraîtra même davantage dans les années 1950 ou 1960 que dans l’entre-deux guerres à partir du moment où les survivants chercheront à témoigner de la Shoah (le genre porte un nom yiddish : ’Yizker-bikher -’et si vous êtes germaniste vous reconnaitrez “ livre ” derrière bikher .

    Mais la transmission cependant ne se faisait pas, ou trop peu. Et c’est la pratique du yiddish comme langue du quotidien. qui s’évaporait. Il n’était plus " la langue de la mère ", le mameloshn comme cela se dit en yiddish, et cela charrie à la fois affection, attachement, et désormais mélancolie. C’est à ce moment-là, et parce qu’elle était devenue une spécialiste de littérature américaine, que Rachel Ertel a intensément contribué à la préservation du yiddish. Non seulement comme langue, en tant que traductrice, et fine exégète de tant de poètes pour qui elle édifiera des anthologies ; mais encore de la culture yiddish. Et d’ailleurs, l’universitaire préfère souvent dire " culture yiddish " à " culture juive ", faisant exister au passage le monde yiddishophone et ses onze millions de locuteurs d’avant-Hitler comme un peuple en soi.

    Clivage psychologique
    Parce qu’elle avait étudié aux Etats-Unis, puis soutenu une thèse sur les écrivains juifs américains, Rachel Ertel a rapporté le yiddish dans ses bagages : c’est alors qu’elle enseignait la littérature des minorités américaines à l’université de Jussieu à Paris, dans les années 1970, qu’elle a créé le tout premier cours sur la littérature yiddish. Puis des cours de yiddish, tenant ensemble la langue, et l’enseignement de la culture. Le tout débouchera plus tard sur la première chaire d’études yiddish, qu’elle occupera : les deux tenaient ensemble. De ces cours, l’intellectuelle racontera plus tard qu’ils étaient d’abord suivis par des étudiants " clivés ", venus chercher là l’introuvable : " L’obstacle le plus dur à surmonter ne fut pourtant pas d’ordre matériel. Il était d’ordre psychologique. Les étudiants étaient clivés. Ils ne savaient pas au juste ce qu’ils venaient chercher. Ils venaient surtout combler des vides incomblables. Écrire la langue au tableau était exposer quelque chose qui était de l’ordre de leur intimité. Une fois ceci accepté, des étudiants bardés de diplômes, qui avaient appris le grec, le latin, le sanscrit, le russe, l’allemand, s’obstinaient à dire que leurs grands-mères ne déclinaient pas, ne conjuguaient pas. Eux qui avaient appris plusieurs alphabets ne parvenaient pas à retenir les vingt-deux lettres de l’aleph-beys yiddish. "

    Native de 1939 dans l’actuelle Lituanie, Rachel Ertel avait passé la guerre en Sibérie, écartée par le pouvoir soviétique au prétexte que son père, bundiste, était ce qu’on appelait un " ennemi du peuple ". A la chute du nazisme, sa mère et son beau-père s’installeront en France et c’est à Paris, rue Denis Patin, dans ce foyer où s’était installé sa famille entourée de quantité d’écrivains yiddishophones, qu’elle avait pour de bon chevillé à elle cette langue. Elle le racontait notamment sur France culture dans la série A voix nue, en 2017 :

    Pologne-Sibérie-Pologne : 1939-1948
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/pologne-siberie-pologne-1939-1948-3798843

    Adulte, Rachel Ertel ne cessera de la restituer. Non seulement en étant celle qui fera du yiddish, et de cette culture, un objet d’études. Mais encore en traduisant de nombreux ouvrages, là où dans les années 1990, on ne comptait encore que trois cents ouvrages traduits du yiddish au français par exemple. Traductrice, Rachel Ertel exhumera cette langue et cultivera cette histoire. Mais elle a aussi des mots très subtils pour exprimer la manière dont son activité de traductrice dynamique l’a toujours plongée dans un état émotionnel bien particulier - à la différence de l’anglais, qu’elle traduit aussi : alors qu’elle fait vivre cette histoire littéraire et en même temps celle de ces auteurs yiddish comme personne, elle explique avoir toujours eu une conscience aigue du fait qu’elle contribuait malgré tout à enterrer cette langue dès lors que des traductions seraient disponibles. Rares seront ceux, en effet, qui feront le geste d’ouvrir la version originale.

    En 1996, le Conseil de l’Europe alertait : le yiddish allait disparaître. L’année précédente seulement, le tout premier colloque jamais organisé avait enfin un lieu. La collection " Domaine yiddish " créée et animée par Rachel Ertel, d’abord au Seuil puis chez Julliard et enfin Liana Levi, avait fini par faire des petits : le yiddish se lisait, se racontait, se distribuait. C’est dans la foulée que sortiront des limbes la Maison de la culture yiddish, à Paris en 2002, et sa bibliothèque. Des cours, aussi, ouvraient comme jamais au tournant du siècle, et quatre fois plus d’élèves se formeront pour apprendre le yiddish en l’intervalle de vingt ans. La langue n’était pas morte.

    Signe de sa reconnaissance institutionnelle, en 2012, les ambassadeurs de France, d’Israël et des Etats-Unis auprès de l’Unesco assistaient à Paris à un colloque sur la culture yiddish devant un public de six cents personnes. C’est Rachel Ertel qui prenait en charge la leçon inaugurale du colloque cette année-là, et elle prononçait notamment ces mots : " Dans l’Histoire que nous vivons maintenant la marginalité a remplacé la centralité. Si le peuple juif pendant longtemps a été, par son caractère diasporique, exceptionnel, cette exceptionnalité est devenue la centralité du monde contemporain. Les guerres de plus en plus meurtrières, les changements climatiques qui provoquent famines et misère économique, imposent à des populations de plus en plus nombreuses une existence diasporique. Ces populations seront de plus en plus souvent amenées à des langues de fusion. Si je déplore les guerres et la misère, je suis loin de déplorer le métissage et la bâtardise, fondement même de la langue yiddish, qui peu à peu deviendra le paradigme de langues de plus en plus nombreuses. Car la vie est dans la mutabilité, sa permanence est dans la mutabilité."

  • #Ouvrir_les_frontières : les six preuves qu’on a tous à y gagner

    La France a fermé ses frontières au lendemain de la crise de 1973, au prétexte de protéger l’emploi. Les véritables raisons étaient surtout électoralistes. Car, en dépit des fantasmes, les immigrés ne menacent ni nos emplois, ni nos « identités », ni nos systèmes sociaux. Et tous, loin de là, ne rêvent pas de s’installer dans les pays riches. À moins qu’on continue de les y obliger en renforçant nos politiques prédatrices et sécuritaires.


    http://www.humanite.fr/ouvrir-les-frontieres-les-six-preuves-quon-tous-y-gagner-557326

    #frontières #ouverture #sans_frontières #migration #libre_circulation

    • Il s’agit ici d’ouvrir les frontières aux migrants. Parce que les mêmes qui préfèrent que les migrants se noient, sont très favorables à la libre circulation absolue des biens et des capitaux (et des personnes à condition qu’elles soient très riches).