Gérald Darmanin, maître des tractations pour faire voter « son » projet de loi sur l’immigration
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Gérald Darmanin, maître des tractations pour faire voter « son » projet de loi sur l’immigration
Par Claire Gatinois et Julia Pascual
PLe couvert a été mis pour deux. Ce mardi 14 novembre, place Beauvau, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, reçoit son « copain » Sacha Houlié à déjeuner. Devant le président de la commission des lois, figure de l’aile gauche de la Macronie, l’ancien des Républicains (LR) déroule sa stratégie pour faire adopter le projet de loi « immigration » à l’Assemblée nationale, dont l’examen doit démarrer le 11 décembre. (...)
Cette performance a un prix. Gérald Darmanin a laissé les élus de droite durcir drastiquement le projet. Un « musée des horreurs », s’étrangle Sacha Houlié. L’article 3, permettant de régulariser de plein droit des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, a été abrogé, au profit d’un article moins-disant ; l’aide médicale d’Etat (AME), un panier de soins destinés aux immigrés sans papiers, a disparu, au profit d’une aide médicale d’urgence ; l’automaticité du droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers a été supprimée ; le délit de séjour irrégulier a été rétabli ; le regroupement familial a été durci, de même que l’accès aux droits sociaux… Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, crie victoire. (...)
La foire n’est pas terminée. Mais Gérald Darmanin compte déjà les « bouses ». Et calcule devant Sacha Houlié qu’au-delà des députés du camp présidentiel, les élus du groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), qu’il traite soigneusement depuis des mois lors de déplacements en Corse et dans les outre-mer, voteront en faveur de « son » texte. Quinze députés LR lui seraient favorables. Avec les abstentions escomptées d’élus du Rassemblement national (RN) et de la droite, le texte peut passer sans 49.3 (cet article de la Constitution qui permet de faire adopter une loi sans vote), calcule le locataire de la place Beauvau, qui demande au député de la Vienne de ne pas prendre de positions contraires à la sienne lors des discussions au banc.
Une semaine plus tôt, Sacha Houlié avait prévenu dans un entretien au Figaro que les députés Renaissance rétabliraient le texte initial du gouvernement, débarrassé de ses dérives droitières. Les suppressions de l’AME et du droit du sol, assimilées à des cavaliers législatifs, sont vouées à être censurées par le Conseil constitutionnel. Mais une partie du camp présidentiel tient à signifier sa désapprobation alors que, pendant les débats au Sénat, M. Darmanin a préféré éviter la confrontation sur le fond.(...)
« Gérald a les clés », observe le chef de file des sénateurs macronistes, François Patriat. Lors d’un dîner à l’Elysée, le 7 novembre, M. Darmanin avait prévenu le chef de l’Etat devant la première ministre, Elisabeth Borne, qu’il comptait « co-construire » un texte avec les sénateurs, rappelant qu’à ses yeux, le pays penche à droite, et qu’il avait l’opinion publique avec lui. « O.K., on y va », lui répond Emmanuel Macron. Un peu plus tôt, le locataire de la place Beauvau avait aussi formulé devant la cheffe du gouvernement, des ministres et les présidents de groupe son espoir d’obtenir l’abstention des rangs du RN et de LR, sous la pression de leurs électorats. Le ministre du travail, Olivier Dussopt, ancien socialiste, qui avait posé avec Gérald Darmanin pour mettre en scène une loi alliant fermeté et humanisme, ne sera pas au banc du Palais du Luxembourg.
Seul en piste, le ministre de l’intérieur manœuvre. Mais au sein du gouvernement, l’extrême bienveillance dont l’ex-sarkozyste fait preuve vis-à-vis de la droite finit par agacer. La suppression de l’AME choque. D’autant que le ministre fait savoir qu’il y est favorable « à titre personnel » quand le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, et Elisabeth Borne disent publiquement leur opposition. Le locataire de la place Beauvau finit par tempérer sa position, mais seulement après avoir obtenu, début octobre, que Matignon lance une mission sur une réforme de l’AME. (...)
Si le transfuge de la droite assure qu’il ne discute pas avec les élus RN, il a l’intuition que les 88 députés d’extrême droite ne s’opposeront pas au texte. « C’est compliqué pour le RN de voter contre », soupèse Violette Spillebout, députée Renaissance du Nord. L’élue « darmaniste », qui a récemment débattu à la télévision avec des parlementaires lepénistes, comme les députés de l’Yonne Julien Odoul et du Pas-de-Calais Emmanuel Blairy, assure que, hors micro, elle ne ressent pas de virulence de ses collègues RN contre le texte. « Je ne vois pas ce qui leur fait penser » qu’on pourrait s’abstenir, s’étonne Jean-Philippe Tanguy, président délégué du groupe RN à l’Assemblée, qui a toutefois remarqué une étonnante amabilité à son endroit. Lorsqu’il a tancé Elisabeth Borne, qui, le 18 octobre, déclenchait un nouveau 49.3 sur un texte budgétaire, en lui lançant un irrespectueux « Arrête ton bla-bla ! », l’élu d’extrême droite a, dit-il, reçu les louanges de députés Horizons et réputés proches du ministre de l’intérieur. « Gérald Darmanin est sans foi ni loi », peste Olivier Marleix, exaspéré par « la godille » du ministre. Un exercice vain, selon le patron des députés LR, à moins que la majorité présidentielle ne vote, lors de la niche parlementaire des Républicains, une réforme de la Constitution pour permettre un référendum sur l’immigration. « C’est donnant-donnant », dit-il sans grand espoir. A la fin, présage-t-il, la loi « immigration » aboutira par un 49.3, « et Gérald Darmanin essaiera de dire que c’est la méchante Borne qui le lui aura imposé ».
Entré en politique à 16 ans, après avoir été sèchement recadré par un cadre du RPR qui signifie à ce petit-fils de harki qu’« on ne peut pas adhérer si on n’est pas français », Gérald Darmanin veut ce texte, qui doit sculpter son image d’autorité et répondre, selon les sondages qu’il scrute avec attention, à une demande des Français.
Omniprésent dans les médias, Gérald Darmanin fait maintenant des « threads » (des fils) sur le réseau social X. Il déroule chaque jour la liste des étrangers expulsés : (...) Un compte rendu sans précédent, instauré quelques jours après l’attentat d’Arras, le 13 octobre, au cours duquel un jeune Russe radicalisé a mortellement poignardé un professeur de français. « Personne n’avait osé faire ça, remarque un préfet en poste. Mais il faut bien rassurer la population, sinon, elle va nous mettre Marine Le Pen au pouvoir. »
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