• « Comme une prison à ciel ouvert » : au Royaume-Uni, MSF et Doctors of the World appellent à la fermeture du centre de Wethersfield - InfoMigrants
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    "Comme une prison à ciel ouvert" : au Royaume-Uni, MSF et Doctors of the World appellent à la fermeture du centre de Wethersfield
    Par Julia Dumont Publié le : 20/05/2025
    Dans un rapport publié la semaine dernière, Médecins sans frontières et Doctors of the World ont relayé des données collectées lors de consultations médicales et des témoignages de plusieurs personnes interrogées entre novembre 2023 et décembre 2024 dans le centre de Wetherfield. Ces demandeurs d’asile y décrivent des conditions de vie proche de la détention et néfastes pour la santé mentale. Les deux ONG appellent à la fermeture du site.
    Quand il est arrivé dans le camp de Wetherfield, Mahdi a eu une désagréable impression de déjà-vu. "Lorsque j’ai vu le camp militaire pour la première fois, il m’a rappelé les camps militaires de mon pays d’origine", a témoigné l’exilé auprès des équipes de Médecins sans frontières (MSF) et Doctors of the World (DOTW, membre du réseau Médecins du Monde).
    Cette ancienne caserne de la Royal Air Force, située dans l’Essex, à une centaine de kilomètres au nord-est de Londres, abrite des demandeurs d’asile depuis juillet 2023. Jusqu’à 800 hommes, âgés de 18 à 65 ans, peuvent y être hébergés. Mais les conditions de vie des demandeurs d’asile dans cette structure ne correspondent pas à leur état de santé, notamment mentale, ont alerté les deux ONG médicales dans un rapport publié le 13 mai.
    Entre novembre 2023 et décembre 2024, Doctors of the World a tenu, en partenariat avec MSF, une clinique mobile à l’extérieur du site de Wetherfield. Le rapport “’A Lonely Place’ : How Wethersfield is harming people seeking asylum” ("Un lieu isolé” : Comment Wethersfield nuit aux demandeurs d’asile) a été établi à partir de données collectées lors de consultations avec 278 personnes dans cette clinique et de sept entretiens de personnes vivant dans le site de Wetherfield.
    Parmi ces témoignages, la comparaison de Wetherfield avec une prison est courante. "Au début, j’avais l’impression d’entrer dans une prison", a par exemple confié Fadil* qui se plaint également de la grande promiscuité imposée aux résidents du site. "Ils ne nous ont pas dit que nous vivrions dans des préfabriqués de six personnes et que les salles de bain seraient partagées et éloignées. Ils nous ont seulement dit que le temps d’attente dans le camp serait de six à neuf mois, c’est tout." Selon lui, les demandeurs d’asile doivent se partager trois salles de bain, "pour huit à dix préfabriqués". Et la saleté des sanitaires dissuaderait même certains exilés d’aller aux toilettes, ajoute Fadil.
    Plusieurs demandeurs d’asile ont également souligné que l’isolement de Wetherfield était difficile à vivre. "Le camp est loin. Loin de la ville, loin des gens. Par exemple, si vous utilisez les moyens de transport qu’ils proposent ici, la ville la plus proche est à 20 minutes et la plus éloignée est à une heure de route", déplore Fadil. Et ce point de vue a été exprimé par de nombreux exilés interrogés par MSF et DOTW, rapportent les deux ONG. "Il est clair que l’isolement de Wethersfield et les conditions de vie sur place exacerbent et contribuent à la détérioration de la santé mentale des personnes au fil du temps", soulignent-elles. Ces conditions de vie ne sont en aucun cas adaptées à des personnes ayant connu un parcours migratoire bien souvent traumatique ou bien ayant fui leur pays en raison de graves violences endurées, signale le rapport de MSF et DOTW. "Les personnes fuyant la violence, la guerre, la persécution et d’autres formes de difficultés ont besoin d’un soutien thérapeutique en matière de santé mentale et de services tenant compte des traumatismes. Bien qu’un soutien de base en matière de santé mentale soit offert sur place, il n’existe pas de services spécialisés [à Wetherfield ndlr]", soulignent les auteurs du rapport.
    "Nos cliniciens ont observé que les problèmes de santé mentale - tels que la dépression, l’anxiété et les troubles du sommeil - sont souvent gérés par des prescriptions systématiques d’antidépresseurs et de somnifères. En raison de l’éloignement du site, il peut être difficile d’obtenir des ordonnances, car il faut se rendre dans la ville la plus proche, située à une quinzaine de kilomètres", ajoutent-ils.
    Un site "aux normes"
    Malgré ces critiques, le Home office assure que "les logements fournis [à Wetherfield] répondent à toutes les normes de logement, de santé et de sécurité". Interrogé par écrit par InfoMigrants, le Home office estime également que "le site de Wethersfield fournit des logements fonctionnels aux demandeurs d’asile et est conçu pour être aussi autonome que possible". Ses réponses précisent par ailleurs que le site dispose d’espaces communaux, de lieux dédiés à la pratique des cultes et de gymnases pour faire du sport.
    Mais ces structures, associées à une grande promiscuité, ne sont pas suffisantes pour permettre aux demandeurs d’asile de "reconstruire leur vie, guérir et s’intégrer dans la communauté", estime le rapport de MSF et DOTW. Malgré les critiques du site, "en avril 2025, le Premier ministre Starmer a refusé de fixer une date pour la fermeture du site", indique les auteurs du rapport. Interrogé à ce sujet, le Home office a répondu à InfoMigrants que "toute décision concernant l’utilisation à long terme du site ser[ait] prise par le ministre de l’Intérieur en temps voulu".

    #Covid-19#migrant#migration#royaumeuni#politiquemigratoire#asile#sante#santementale#detention

  • Un rapport dénonce les discriminations dans l’accès aux soins en France
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/05/06/femmes-personnes-d-origine-etrangere-ou-en-situation-de-handicap-sujets-aux-

    Un rapport dénonce les discriminations dans l’accès aux soins en France
    Le Monde avec AFP
    Douleurs minimisées, refus de prise en charge, actes non consentis : les femmes, les personnes d’origine étrangère ou en situation de handicap sont l’objet de discriminations dans leur accès aux soins et leur parcours médical, selon un rapport de la Défenseure des droits, publié mardi 6 mai. « Si les refus d’accès aux soins restent la forme la plus connue et manifeste, les discriminations peuvent survenir à toutes les étapes de la prise en charge et, de façon moins visible ou consciente, au sein de la relation soignant-soigné », estime l’autorité indépendante chargée de veiller au respect des droits en France.
    En 2022, 224 plaintes ont été déposées devant les ordres professionnels et l’Assurance-maladie et 31 réclamations ont été envoyées à la Défenseure des droits, mais l’« ampleur des discriminations dans les parcours de soins dépasse largement » ces chiffres, précise le rapport.
    En théorie, les professionnels de santé n’ont pas le droit de refuser un patient, sauf si la demande de soin ne correspond pas à leur domaine de compétence, s’ils ont un nombre trop élevé de patients ou si le patient en question a déjà été violent ou insultant à leur égard. Mais, dans les faits et sur le terrain, cette règle fait l’objet de nombreuses entorses, que ce soit dans l’accès aux soins ou dans le parcours de soins, relève la Défenseure des droits.
    Dans les services d’urgence, l’autorité indépendante décrit « une sous-évaluation » de la douleur et « de la gravité des symptômes exprimés par les femmes, notamment lorsqu’elles sont jeunes, d’origine étrangère ou perçues comme telles ». « Selon les cas, la douleur de la patiente est soit minimisée, soit remise en cause et renvoyée à une supposée anxiété ou à une souffrance psychologique dissimulée », dénonce-t-elle.
    « Le “syndrome méditerranéen”, préjugé raciste – sans fondement médical – selon lequel les personnes d’origine nord-africaine ou noire exagèrent leurs symptômes ou douleurs », a, quant à lui, « pour effet une minimisation des souffrances exprimées » par ces patients ou « un refus de prise en charge, aux conséquences parfois fatales ».Autres victimes de ces discriminations, les personnes vulnérables économiquement, comme les patients vivant à la rue ou les consommateurs de drogues qui en « raison de leur apparence physique, de leur odeur corporelle ou au motif de l’alcoolisation » peuvent se voir refuser l’accès aux urgences.
    Les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), de la complémentaire santé solidaire (CSS) et de l’aide médicale de l’Etat (AME) rencontrent, eux, des difficultés à obtenir ne serait-ce qu’un rendez-vous, selon le rapport.Quant aux personnes en situation de handicap, certaines se voient opposer des refus pour des motifs allant du « manque de temps ou de formation » aux « locaux inaccessibles ou à un matériel médical inadapté ».
    Au-delà de l’accès aux soins, la Défenseure des droits s’inquiète « d’atteintes fréquentes » au droit du patient à recevoir les informations utiles pour faire un choix éclairé et pouvoir donner son consentement. C’est le cas en particulier des femmes lors de leur suivi gynécologique avec des examens (frottis, échographie endovaginale, pose de stérilet) « réalisés sans information préalable et sans que leur consentement soit recherché ». Mais l’institution dit également avoir été alertée au sujet d’« actes de soins non consentis sur des personnes présentant un handicap psychique », comme l’administration contrainte d’une injection à un patient pourtant pris en charge sous le régime de la libre hospitalisation, ou le recours à la force, à la contention ou à l’isolement de manière accrue et non justifiée.
    Ces discriminations ont des conséquences « délétères immédiates et durables sur le parcours de soins des patients » qui finissent par reporter ou renoncer totalement aux soins, alerte l’institution, qui exhorte le gouvernement à mettre en place une stratégie nationale de prévention et de lutte contre ces pratiques. Elle recommande notamment de concentrer l’effort sur la prévention de ces discriminations, le recueil et le traitement des signalements et l’adaptation du système de soins aux besoins spécifiques de certains patients.

    #Covid-19#migrant#migration#sante#france#droit#santementale#discrimination#systemesante

  • En 2024, 16 000 étrangers sont passés en centres de rétention, dont une majorité de Maghrébins, selon un rapport de La Cimade - InfoMigrants
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    En 2024, 16 000 étrangers sont passés en centres de rétention, dont une majorité de Maghrébins, selon un rapport de La Cimade
    Par Charlotte Boitiaux Publié le : 29/04/2025
    Selon le dernier rapport de La Cimade, en 2024, la France a recouru massivement aux placements en centres de rétention (CRA) pour tenter d’éloigner les étrangers en situation irrégulière. Parmi eux, une majorité d’Algériens, de Tunisiens et de Marocains. Une méthode inefficace juge la Cimade : 60 % des personnes en CRA finissent par être libérées.
    C’est un nouveau rapport très critique envers le gouvernement français. Dans son bilan annuel, publié mardi 29 avril, La Cimade dresse un tableau acerbe « des pratiques abusives et des violations des droits des personnes enfermées » en centres de rétention français en 2024. Des privations de liberté « inutiles », juge l’association de défense des droits des étrangers dès les premières pages du rapport.
    Non seulement les expulsions au terme de cet enfermement restent faibles mais surtout le placement en rétention « augmente les tensions entre les personnes retenues, ainsi que leur angoisse et leur détresse, notamment concernant les personnes particulièrement vulnérables, souffrant de maladies graves ou de troubles psychiatriques ». Au total, 16 228 personnes ont été enfermées dans ces lieux de privation de liberté en France hexagonale, un chiffre peu ou proue similaire à celui de 2023. « Cela représente une baisse de près de 5 % par rapport à l’année précédente », note l’association. Ce nombre grimpe à 40 000 si l’on inclut les étrangers enfermés en CRA à Mayotte (22 300 en 2024) et dans les Outre-mer (Guadeloupe, Réunion, Guyane…)
    En ce qui concerne l’Hexagone, La Cimade rappelle que l’écrasante majorité des retenus sont maghrébins, ils constituent le trio de tête des nationalités : un peu plus de 5 000 Algériens, 1 900 Tunisiens et 1 700 Marocains sont passés par des CRA en 2024. Des chiffres loin devant les autres nationalités : 700 Roumains, 450 Albanais, 350 Guinéens, 300 Afghans ou encore 300 Ivoiriens. Pourtant, selon le droit français - et européen - l’enfermement d’un étranger en CRA est une mesure qui ne doit être utilisée qu’en dernier recours, « dans les cas où l’administration n’a pas d’autres moyens moins attentatoires aux libertés pour réaliser l’expulsion », rappelle l’association. Dans les faits, donc, il n’en est rien. L’immense majorité des retenus en France ont été placés en rétention suite à la réception d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) non respectée. Un peu plus de 128 000 ont été émises l’année dernière, seules 11 % ont été exécutées.
    La Cimade rappelle aussi que la majorité des étrangers en centre de rétention ne sont pas des délinquants - 28 % sont emmenés en CRA à leur sortie de prison. Les autres n’ont commis aucun crime sur le sol français. Ils sont sans-papiers. Mais être en situation irrégulière n’est pas un délit en France mais une irrégularité administrative.
    Une frontière sémantique de plus en plus floue, dénonce La Cimade. Les autorités brandissent de plus en plus « la menace à l’ordre public » pour justifier des placements en rétention. Cette mesure « participe [...] à troubler la perception des situations dans l’opinion publique, en martelant l’assimilation entre ’personnes étrangères’ et ’délinquance’ ».
    « La notion de ’menace à l’ordre public’ a aussi fortement influencé les décisions des juges judiciaires, qui se sont saisis de ce critère (apprécié très largement) pour accorder à la préfecture la prolongation de la rétention », écrit La Cimade. « Ces situations sont révélatrices d’une volonté politique de stigmatiser toujours plus les personnes étrangères ». Pourtant, le gouvernement ne semble pas amorcer de virage moins répressif. En 2023, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait annoncé à l’époque vouloir augmenter les places en CRA - actuellement de 1950 lits - à une capacité de 3 000 lits à l’horizon 2027 à travers la construction de nouveaux centres de privation de liberté et la multiplication des locaux de rétention administrative (LRA), notamment à Dijon, Nantes, Béziers, Aix-en-Provence, Nice, Mayotte, ou encore à Dunkerque. Un objectif inchangé par le nouveau ministre, Bruno Retailleau.
    En 2024, la durée moyenne de rétention s’établissait à près de 33 jours, soit 5 jours de plus par rapport à 2023. « Nos associations constatent quotidiennement l’impact de périodes d’enfermement de plus en plus longues sur la santé mentale et physique des personnes enfermées et sur le niveau de tension dans les CRA. Gestes désespérés, tentatives de suicide, actes d’automutilation, violences [...] ». Le gouvernement actuel souhaite pourtant allonger la durée de rétention à 210 jours - contre 90 aujourd’hui. Le 18 mars 2025, le Sénat a adopté en première lecture cette proposition de loi.
    Autant de mesures politiques raillées par la Cimade : « La multiplication des locaux de rétention administrative, n’est pensé qu’à l’aune de la chimère selon laquelle enfermer plus permettrait d’éloigner plus ». Il n’en est rien. Près de 60 % des personnes en rétention ont finalement été relâchées l’année dernière, estime l’association, 27 % ont été expulsées dans un pays hors Union européenne (UE), 11 % éloignées vers un pays de l’UE (via le règlement Dublin notamment).
    Un manque d’efficacité déjà souligné par la Cour des comptes l’année dernière. Cette dernière recommandait de miser davantage sur les « retours volontaires ». Ils sont moins coûteux qu’un éloignement forcé, rappelait Pierre Moscovici, le premier président de la Cour. Pour rappel, il est juridiquement contraignant d’expulser un étranger : certains sont inexpulsables (comme les Afghans, par exemple), d’autres, qui n’ont plus de documents d’identité, ne sont pas reconnus par leur pays d’origine (notamment par les pays du Maghreb) - et les États en question ne délivrent pas de laissez-passer consulaires.
    La Cimade insiste enfin sur la présence des mineurs en CRA. La loi asile et immigration du 26 janvier 2024 a acté la fin de l’enfermement des enfants dans les centres de rétention administrative. Une mesure plutôt respectée à l’exception des préfectures du Bas-Rhin et du Doubs qui ont ordonné le placement en CRA de six enfants et trois familles, selon l’association. « [Ces] préfectures ont profité des quelques semaines du mois de janvier précédant l’entrée en vigueur de la loi pour placer au CRA de Metz-Queuleu trois familles, accompagnées de six enfants. Le plus âgé d’entre eux avait 7 ans, deux étaient des nourrissons », écrit La Cimade. Cette interdiction du placement des enfants en rétention ne s’appliquera à Mayotte qu’à partir du 1er janvier 2027. « Ce décalage dans le temps vide de son sens la mesure puisque c’est dans ce territoire ultramarin que la majorité des familles avec enfants sont enfermées ; en moyenne ce sont 40 fois plus d’enfants qui y sont privés de liberté par rapport au reste des centres de rétention », écrit La Cimade.
    Au total, la France a été condamnée à onze reprises par la CEDH pour l’enfermement d’enfants en centre de rétention.

    #Covid-19#migrant#migration#france#CRA#OQTF#politiquemigratoire#sante#santementale#droit

  • De Rafah à Paris, Fadel Afana, psychiatre en exil
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    De Rafah à Paris, Fadel Afana, psychiatre en exil
    Par Laure Belot
    Fadel Afana connaît, depuis décembre 2024, une routine inaccoutumée. Chaque matin, ce psychiatre palestinien de 53 ans emprunte les transports en commun franciliens pendant deux heures, avant d’enfiler une blouse blanche à l’hôpital Sainte-Anne, au cœur de Paris (14e), et de se mettre à l’écoute de patients. Un quotidien posé qui contraste avec la situation « de chaos, de terreur et de guerre que subit [son] peuple », résume ce natif de Rafah, ville située à l’extrême sud de la bande de Gaza, près de la frontière égyptienne. Plusieurs de ses proches, restés sur place, sont morts depuis qu’il est arrivé en France, en octobre.
    Cette opportunité professionnelle, dont il se dit « extrêmement reconnaissant de pouvoir bénéficier, avec [sa] femme et [ses] deux filles », a été rendue possible par le programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil (Pause), créé au sein du Collège de France en 2017. Vendredi 25 avril, d’ailleurs, « seize autres bénéficiaires gazaouis et leurs familles, qui étaient bloqués depuis un an par la fermeture de la frontière entre l’Egypte et Gaza, ont atterri en France », se réjouit Laura Lohéac, directrice du programme. Alors que la défense de la science est au centre de l’actualité géopolitique mondiale, « les nationalités des candidats à l’exil reflètent la cartographie des conflits et des manifestations des régimes autoritaires », décrit-elle : « Après la Syrie, la Turquie, le Yémen, l’Iran, l’Irak, notre programme s’est ouvert progressivement à l’Afrique subsaharienne, à l’Amérique du Sud, avant de recevoir à partir de 2021 des personnes d’Afghanistan, d’Ukraine, de Russie puis de Palestine. »
    Invité, lundi 14 avril, à l’inauguration de l’exposition « Trésors sauvés de Gaza - 5 000 ans d’histoire », à l’Institut du monde arabe, à Paris, Fadel Afana a profité de la présence d’Emmanuel Macron pour évoquer avec le président « le traumatisme psychologique des enfants de Gaza, qui a commencé bien avant la dernière guerre ». Il est vrai que ce psychiatre est l’un des rares spécialistes à pouvoir témoigner de l’évolution de la santé mentale de la population gazaouie, depuis qu’il est devenu, en 2008, directeur clinique du centre médico-psychologique de Khan Younès puis professeur à l’université Al-Israa, détruite le 17 janvier 2024.
    « Au départ, nous voulions changer la manière de travailler pour étendre le nombre de patients pris en charge, mais la crise de 2009 est arrivée, puis celles de 2012, 2014, 2018, 2019, 2023, énumère-t-il. La population a vécu dans un trauma continu alors que nous n’étions que trois psychiatres spécialisés et une demi-douzaine de soignants pour 2 millions de Gazaouis. » Avec son épouse, Niven, psychologue travaillant auprès de femmes et d’enfants victimes d’abus, Fadel Afana constate au fil des ans une forte dégradation de l’état de santé mentale général : « Nous avions la sensation d’être comme Sisyphe [personnage mythologique condamné à pousser une pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finit toujours par retomber], de n’apporter jamais assez entre deux crises et de revenir au même point, sinon plus bas. »
    A ce moment-là, pourtant, nul projet d’exil. Le psychiatre a déjà refusé plusieurs postes au Qatar, en Australie, au Canada… « Notre vie était à Rafah : soigner autant que nous le pouvions, voir grandir nos filles, prendre soin de nos parents qui avaient travaillé dur pour que nous en soyons là. » Puis arrive l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. « J’ai tout de suite pressenti que la suite allait être terrible et la réponse a été totalement disproportionnée », dit celui qui continue à apporter son aide les semaines suivantes, avec des moyens de fortune. Un mois plus tard, cependant, alors qu’il se rend dans une épicerie, et fait demi-tour en raison d’un oubli, il échappe, à quelques secondes près, à l’explosion d’un obus qui fauche les personnes qu’il venait de côtoyer. « C’était une véritable scène de guerre. Je ne pouvais rien faire », dit-il d’une voix basse. Lui et sa famille sont traumatisés.
    Le psychiatre Michaël Guyader, ancien chef de service du 8e secteur de psychiatrie générale de l’Essonne, reçoit alors un « mail SOS » de son ami. « C’était un crève-cœur pour Fadel d’envisager un départ, mais il ne voulait pas imposer cette situation à sa famille, explique-t-il. Je me souviens de la fin de son message : “Ce qui me fait peur, ce ne sont pas les bombes qui tombent sur la tête, mais que ce soient des hommes qui soient capables de faire cela.” » Une collecte financière amicale s’organise en France, alors qu’à Rafah se met en place une logistique toute kafkaïenne pour vendre, notamment, maison et voiture et obtenir les 17 500 dollars (15 400 euros) en liquide exigés par les passeurs : 5 000 dollars par adulte, la moitié pour leur fille mineure et la « gratuité offerte » pour le chien qu’elle ne voulait pas abandonner.
    A demi-mot, Fadel Afana évoque les multiples bassesses mercantiles et morales auxquelles il va faire face, de part et d’autre de la frontière égyptienne, avant de réussir à franchir celle-ci, le 29 mars 2024, puis d’obtenir au Caire, plusieurs mois plus tard, le sésame officiel familial afin de s’envoler vers Paris, « sans le chien laissé à une famille cairote bienveillante », précise-t-il. « Ce furent les mois les plus difficiles de ma vie. Le film La vie est belle, de [Roberto] Benigni [1997], m’a aidé à tenir », dit-il sobrement.
    Fait médecine en Russie et en Ukraine
    Quel parcours pour le fils aîné d’Adel, celui qui, à 10 ans, en 1948, avait dû arrêter l’école pour cause d’exode forcé, alors que plus de 700 000 Arabes palestiniens sont délogés de leur territoire par les autorités israéliennes. « Mon père, dont les parents agriculteurs avaient alors tout perdu, avait un rêve : avoir un médecin dans la famille, raconte Fadel Afana. Devenu commerçant, il était prêt à tous les sacrifices pour cela. » Des quatre enfants de la fratrie, deux vont mourir jeunes. C’est Fadel, à 17 ans, qui partira à l’université. « On ne pouvait pas étudier la médecine à Gaza, et cela coûtait 8 000 dollars par an en Egypte », se souvient-il. Ce sera donc dans la ville de Krasnodar, en Russie, pour 3 000 dollars par an, puis à Ternopil, en Ukraine, qu’il fera ses études.
    De ce premier voyage à l’étranger, il se souvient d’« une période d’ouverture au monde extraordinaire », où il apprendra certes la médecine, mais aussi le russe, l’ukrainien, et se découvrira deux passions, la littérature et la philosophie. A son retour, un autre coup de pouce « change [sa] vie à tout jamais ». Avec une dizaine d’autres, il est choisi en 2005 pour un projet de coopération en santé mentale France-Palestine mis en œuvre par le ministère français des affaires étrangères. Il part se former pendant trois ans à la psychiatrie en France. « Outre Fadel, deux autres personnes de ce groupe prendront des responsabilités à leur retour », précise Michaël Guyader : Samah Jabr, directrice de l’unité de santé mentale du ministère palestinien de la santé, et Iyad Al-Azzeh, directeur du Halhul Community Mental Health Center for Children and Adolescents, à Hébron, en Cisjordanie.
    Fadel Afana « est un professionnel d’une grande profondeur qui a une formidable qualité de silence et d’écoute, estime la psychanalyste arabophone Anne Le Bihan, qui travaillait en 2005 dans le service de Michaël Guyader. Il avait lancé un cercle de réflexion pour se retrouver afin d’enrichir notre pratique ». En octobre, Anne Le Bihan et Michaël Guyader se trouvaient à l’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle pour accueillir la famille gazaouie, direction Corbeil-Essonnes (Essonne), où la municipalité a depuis pris chaleureusement sous son aile parents et enfants.
    Partageant désormais son temps entre observations cliniques et analyse de données, le psychiatre a rejoint à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) l’équipe du professeur Philip Gorwood, qui travaille sur l’utilisation de substances psychédéliques, tels le LSD ou la psilocybine, afin de traiter des dépressions profondes et des traumatismes. « C’est une piste révolutionnaire, car l’espoir est d’obtenir un résultat robuste en une seule prise », note le professeur. Dans l’immédiat, Fadel Afana poursuit aussi un autre objectif : s’ancrer en France, « un pays qui [l’]a sauvé », et obtenir, avec sa famille, le statut de réfugié.

    #Covid-19#migrant#migration#france#gaza#palestine#exil#refugie#asile#sante#santementale

  • L’impossible printemps des Afghanes exilées à Lille
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/04/21/l-impossible-printemps-des-afghanes-exilees-a-lille_6598390_4500055.html

    L’impossible printemps des Afghanes exilées à Lille
    Par Ghazal Golshiri
    Célébré le premier jour du printemps en Afghanistan, Norouz, le Nouvel An perse, est par essence porteur d’espoir. Mais, depuis septembre 2021, Maryam, Sakineh, Atiyeh et Jamila le fêtent loin de leur terre. Les quatre femmes ont fui le pays peu après la chute de Kaboul. En France, elles tentent de se reconstruire et assistent impuissantes au sort de leurs compatriotes, restées captives des talibans. Maryam Gholamali a disposé des plantes partout dans son appartement : dans la salle de bains, sur sa bibliothèque, au bord des fenêtres, sur sa table, et même à l’extérieur, devant sa porte d’entrée. « A Kaboul aussi, j’en avais plein. Elles ressuscitent en moi la joie de la vie », confie l’Afghane de 34 ans, exilée à Lille depuis la prise de pouvoir des talibans, en août 2021. Son studio, installé dans un ancien hôpital reconverti par la mairie en hébergements pour demandeurs d’asile, dans le quartier du Grand Palais, est baigné de lumière. « Je me suis battue pour avoir le logement le plus lumineux possible », glisse-t-elle. (....)

    #Covid-19#migration#migrant#france#afghanistan#asile#sante#santementale#genre#violence

  • En Tunisie, « le retour volontaire », nouvelle voie pour de nombreux migrants
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/04/18/en-tunisie-le-retour-volontaire-nouvelle-voie-pour-de-nombreux-migrants_6597

    En Tunisie, « le retour volontaire », nouvelle voie pour de nombreux migrants
    Par Mustapha Kessous (El Amra, Tunisie, envoyé spécial) et Nissim Gasteli (Tunis, correspondance)
    Cette fois, c’est fini. « Le voyage est cassé », lâchent-ils. L’esprit est vide, les poches aussi. Pour ces Sénéglais, Ivoiriens ou Sierra-Léonais, les plages non loin d’El Amra, près de la ville de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie, est devenu le terminus de leur « aventure ». L’Europe, leur ultime désir, reste encore une chimère. Toujours Inaccessible.
    Pour eux, une autre voie se dessine, celle d’un retour au pays. Une idée jusqu’alors impensable qu’ils commencent à évoquer du bout du bout des lèvres. Que faire d’autre ? Rejoindre l’île italienne de Lampedusa à partir des plages de Chebba ou Salakta est devenu presque impossible. Depuis le 1er janvier, seuls 432 migrants y sont parvenus, à bord d’embarcations de fortune, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ils étaient plus de 18 000 sur la même période, il y a deux ans.
    Cette chute vertigineuse des traversées clandestines s’explique par l’accord signé à l’été 2023 entre la Tunisie et l’Union européenne (UE). Avec 260 millions d’euros d’aides afin de renforcer, entre autres, les garde-côtes tunisiens, la route maritime est désormais verrouillée. « On est coincés », déplore Fatoumata Camara, une Guinéenne de 27 ans, qui tente, en ce début de soirée, de réchauffer sur sa poitrine sa fille Maryam, née il y a trois mois.
    Elles vivent dehors dans une zone boisée quasi inhabitée à l’entrée de Sfax, adossées à un muret de pierres, avec une dizaine d’autres compatriotes. En regardant son bébé s’agiter – les nuits glaciales l’empêchent de dormir –, Mme Camara s’en prend à elle-même : « Pourquoi je suis partie ? Je n’ai plus rien au pays. Les tentatives de prendre la mer ont échoué. »
    Elle se tait. Une minute, puis deux. « J’ai dépensé des milliers d’euros. Avec cette somme, j’aurais pu faire des choses chez moi. Ce voyage n’en vaut pas la peine. On a perdu notre temps, il faut rentrer », martèle-t-elle. Pour cette coiffeuse qui a quitté Conakry, il y a presque deux ans, « cette politique de nous empêcher de partir a réussi. Ils [l’UE et l’Etat tunisien] ont gagné ».Assis chacun sur le couvercle rouillé d’une boîte de conserve, Hassan Traoré, 22 ans, et Omar Touré, 28 ans, l’écoutent dans un silence chargé de chagrin. Eux aussi veulent rentrer en Guinée. C’est bien plus qu’une envie : ils ont entamé les démarches auprès de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui propose aux migrants découragés par le blocage sécuritaire de financer leurs retours vers leurs pays respectifs.
    « OIM ». L’acronyme de cette agence rattachée aux Nations unies est dans de nombreuses bouches. Des taudis informels installés sur les champs d’oliviers près d’El Amra jusqu’à Tunis, les « voyageurs », comme ils se nomment, cherchent à rencontrer les employés de l’organisation.Au lendemain du démantèlement de l’immense camp du « kilomètre 30 », le 4 avril, certains ont accouru à son antenne de Sfax pour y déposer une demande de retour volontaire – qui comprend la prise en charge du billet d’avion, des nuitées dans un hôtel avant le départ et une aide médicale. Mais la tâche est ardue, notamment pour ceux qui vivent loin de la ville : les taxis sont chers et les louages (minibus) n’acceptent pas les « Noirs », disent certains.
    « Rentrer au pays est une humiliation. Je n’irai pas au village, je ne veux pas qu’on se moque de moi, qu’on dise que j’ai échoué, confie Hassan Traoré, en jetant un œil sur un post-it jaune sur lequel est écrit son numéro de dossier, déposé le 10 avril. Mais je suis fatigué. »Fatigué par deux années d’enfer à traverser les déserts algérien et libyen, éreinté par un mois dans une prison sfaxienne pour « séjour irrégulier », épuisé de demander à ses proches au pays de l’argent pour manger… Alors quand l’agent de l’OIM lui a demandé « Hassan Traoré, voulez-vous retourner en Guinée ? Vous n’y êtes pas forcé », il a répondu sans hésiter : « Oui, je veux me retourner. » Et il a signé le document validant sa décision.
    Combien de migrants ont accepté ce retour volontaire ? « Seulement 1 544 » depuis le début de l’année, a indiqué le président tunisien, Kaïs Saïed, dans un communiqué, publié fin mars, pressant l’OIM d’intensifier le rythme. En réalité, l’agence onusienne ne ménage pas sa peine. D’après les statistiques communiquées par l’OIM au Monde, plus de 250 000 migrants bloqués dans six pays de transit vers l’Europe – Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte et Niger – ont été rapatriés chez eux grâce à ce programme depuis 2013. Près de 50 000 rien qu’en 2024, année record.
    En outre, selon les données transmises par la Commission européenne au Monde, Bruxelles a très largement augmenté sa contribution au budget de l’OIM, passant de 85,7 millions d’euros en 2014 à près de 600 millions d’euros en 2024. En dix ans, l’institution a ainsi reçu près de 3,2 milliards d’euros de fonds européens pour différents programmes, dont celui « des retours volontaires » que certains migrants comparent à un système de « déportation ». Ce à quoi un porte-parole de la Commission européenne riposte assurant que ces retours sont « libres et éclairés
    L’Italie a décidé, début avril, d’allouer 20 millions d’euros pour rapatrier les Subsahariens présents en Algérie, Tunisie et Libye vers leurs pays d’origine respectifs, toujours en coopération avec l’OIM. En juin 2023, la France avait octroyé 25,8 millions d’euros d’aide bilatérale à la Tunisie pour « contenir le flux irrégulier de migrants et favoriser leur retour dans de bonnes conditions », avait déclaré Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, lors de sa venue à Tunis.
    « Toutes ces sommes d’argent sont insuffisantes », s’emporte Tarek Mahdi, député de Sfax. Ce proche du président Saïed plaide pour une réévaluation à la hausse des aides et la mise en place d’« un pont aérien » entre la Tunisie et les pays d’origine des migrants afin d’« accélérer » leur retour.« Pour beaucoup de fonctionnaires internationaux, le retour volontaire est perçu comme un dispositif humanitaire, un pis-aller face à des situations qu’ils ont contribué à provoquer », résume Camille Cassarini, chercheur à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, à Tunis.
    Depuis plusieurs années, ce programme essuie de nombreuses critiques des défenseurs des droits humains à cause des conditions dans lesquelles il est proposé. « Nous avons toujours remis en question le caractère volontaire de ces retours, car ces personnes migrantes sont interdites de se déplacer, de travailler, d’être hébergées, elles sont privées de tout droit », explique Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), qui décrit l’OIM comme une « agence au service des politiques migratoires européennes », dénonçant « la complicité de l’Etat » tunisien.
    D’ailleurs, en Libye, le Haut-Commissariat aux droits humains des Nations unies avait jugé en 2022 qu’en « raison de l’absence de consentement libre, préalable et éclairé et de voies alternatives viables, sûres et régulières pour la migration », de nombreux migrants sont « effectivement contraints d’accepter des retours ».
    Au Monde, l’OIM reconnaît « que les options offertes aux migrants confrontés à la perspective d’un retour peuvent être limitées et ne pas correspondre aux souhaits de l’individu ». Toutefois, elle défend ce choix « préférable », car « l’aide au retour représente souvent une solution salvatrice pour de nombreux migrants qui vivent dans des conditions particulièrement déplorables ».
    « Salvatrice ? » C’est ce que ressent Omar Touré, ce Guinéen qui vivote à l’entrée de Sfax : il se sent soulagé. Il a averti sa mère pour lui dire qu’il allait rentrer. « Elle a pleuré », lance-t-il. Sept années qu’il a quitté son pays. « Ce voyage, c’est une maladie psychologique. Mentalement et physiquement, nous sommes enfermés », argue-t-il. Maintenant, il attend un appel de l’OIM pour lui proposer un départ pour Conakry. Cela peut prendre des semaines ou des mois : l’agence doit vérifier son identité avec les autorités de son pays – il a déchiré ses papiers au début de son voyage – avant que celui-ci ne lui délivre un passeport. Omar Touré a juré, une fois sur ses terres, qu’il dirait « la vérité » aux plus jeunes : ne pas tenter d’aller en Europe. « La mort vous accompagne tout au long de ce voyage, clame-t-il. C’est une fausse route. »

    #Covid-19#migrant#migration#OIM#UE#retour#rapatriement#sante#santementale#guinee#italie#tunisiie

  • Royaume-Uni : la santé mentale des demandeurs d’asile très affectée par les attaques racistes de l’été 2024, selon un rapport - InfoMigrants
    https://www.infomigrants.net/fr/post/64051/royaumeuni--la-sante-mentale-des-demandeurs-dasile-tres-affectee-par-l

    Royaume-Uni : la santé mentale des demandeurs d’asile très affectée par les attaques racistes de l’été 2024, selon un rapport
    Par Clémence Cluzel Publié le : 17/04/2025
    Dans un rapport publié mardi, l’organisation caritative britannique, Fondation pour la Santé Mentale, souligne la grande détérioration de la santé mentale des demandeurs d’asile au Royaume-Uni depuis les émeutes racistes survenues à l’été 2024.
    Selon un rapport de la Fondation pour la Santé Mentale, une organisation caritative basée au Royaume-Uni, les demandeurs d’asile ont vu leur santé mentale se dégrader fortement lors des troubles violents qui ont secoué le Royaume-Uni durant l’été 2024.
    Des émeutes xénophobes avaient agité l’Angleterre durant plusieurs semaines. Elles avaient éclaté suite à une attaque au couteau survenue le 29 juillet dans la ville côtière de Southport qui avait causé la mort de trois fillettes et fait dix blessés. Des informations erronées sur l’identité et la nationalité de l’agresseur, un adolescent britannique d’origine rwandaise, avaient alors été largement diffusées par des militants d’extrême-droite, propageant des discours anti-migrants, racistes et islamophobes.
    Ce déchainement de violence a généré chez nombre de demandeurs d’asile la crainte de sortir dans la rue de peur d’être pris pour cible par des manifestants d’extrême-droite, comme le souligne le rapport publié ce 15 avril. Les hôtels les hébergeant avaient également fait l’objet d’attaques, ce qui a accentué le sentiment de détresse psychologique dont nombre de migrants vulnérables souffrent, augmentant les risques de tentatives de suicide ainsi que de développer des troubles psychiatriques.
    « Nous avons constaté que les émeutes racistes de l’été 2024 ont eu un impact terrible sur la santé mentale de nombreux demandeurs d’asile au Royaume-Uni. Certaines personnes nous ont dit qu’elles avaient peur de quitter leur logement, risquant de s’isoler davantage, et d’autres ont dit qu’elles craignaient d’être attaquées en marchant dans la rue simplement à cause de la couleur de leur peau », a déclaré Mark Rowland, directeur général de la Fondation pour la santé mentale qui soutient les demandeurs d’asile et réfugiés en matière de santé mentale au Royaume-Uni. Par peur du rejet, certains cachent leur statut de demandeur d’asile et considèrent ce vocable comme stigmatisant.
    Les réseaux sociaux ont joué « un rôle clé dans l’escalade des tensions », selon le directeur général, en relayant les rumeurs et amplifiant les appels à la haine, les propos xénophobes et racistes sur diverses plateformes, dont X. Le directeur général de la Fondation pour la santé mentale a appelé le gouvernement britannique à « prendre davantage de mesures pour endiguer l’impact de la désinformation et de la haine en ligne et hors ligne ».
    L’exclusion des demandeurs d’asile du marché de l’emploi, du fait de conditions très restrictives contribue également à détériorer leur santé mentale en aggravant leur précarité, selon le même rapport. Actuellement, seuls les demandeurs qualifiés pour des professions en tension peuvent occuper un emploi, et uniquement si leur demande d’asile n’a pas fait l’objet d’une décision au bout d’un an.
    Pourtant dans son dernier rapport, la Fondation démontre qu’en leur octroyant le droit d’occuper tout type d’emploi, leur santé mentale s’en trouvera meilleure mais aussi améliorera les recettes fiscales du Royaume-Uni. L’Institut National de recherches économiques et sociales a ainsi évalué une économie de 4.4 milliards de livres sterling (5.1 milliards d’euro) en dépenses publiques, un gain d’1 milliard de livres sterling (1.2 milliard d’euro) pour la croissance économique ou encore une augmentation de 880 millions de livres sterling (1milliard d’euro) pour les recettes fiscales. En outre, cela favoriserait une meilleure intégration des personnes étrangères, une réduction de leur dépendance aux aides et une amélioration de leur santé mentale.
    La Fondation réclame à ce que, faute de traitement de leur demande par le ministère de l’intérieur dans un délai de six mois, le demandeur d’asile puisse occuper tout type d’emploi. Cette demande est portée depuis 2020 par la campagne « Lift the ban » (lever l’interdiction), qui regroupe une coalition de plus de 300 organisations, syndicats, entreprises etc. « Donner aux demandeurs d’asile le droit de travailler est une évidence. Tout le monde - qu’il s’agisse des demandeurs d’asile, des entreprises, du gouvernement, du NHS ou de nos communautés - a intérêt à ce que les demandeurs d’asile aient la possibilité de subvenir à leurs besoins. Le système actuel, qui est à la fois nuisible et coûteux, ne peut plus être maintenu en l’état », a souligné Mark Rowland.
    Si le parti travailliste au pouvoir s’est engagé à proposer un plan intergouvernemental sur la santé mentale, le Guardian rapporte que le porte-parole du ministère de l’intérieur a assuré qu’ils n’avaient « certainement pas l’intention de créer une procédure accélérée permettant aux personnes qui viennent au Royaume-Uni en dehors des règles établies en matière de visa de travail d’ignorer ces règles ». Malgré les promesses électorales, la crise du logement pour migrants se poursuit le parti au pouvoir peinant à trouver des solutions pérennes aux hébergements dans les hôtels.

    #Covid-19#migration#migrant#royaumeuni#asile#sante#santementale#xenophobie#violence

  • « En moyenne, nous avons 130 jeunes qui arrivent par semaine » : à l’AMNA, la structure qui évalue l’âge des mineurs isolés à Paris - InfoMigrants
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    « En moyenne, nous avons 130 jeunes qui arrivent par semaine » : à l’AMNA, la structure qui évalue l’âge des mineurs isolés à Paris
    Par Charlotte Boitiaux Publié le : 02/04/2025
    Depuis le mois de juin 2022, France terre d’asile est en charge de l’évaluation de la minorité des jeunes migrants étrangers à Paris. Leur dispositif baptisé Accueil des mineurs non accompagnés, ou AMNA, a évalué près de 12 000 jeunes en 2024, majoritairement des Guinéens, des Ivoiriens et des Maliens. Et 30% d’entre eux ont été reconnus mineurs à l’issue de la procédure et pris en charge par les autorités.Ils sont une quinzaine de jeunes à patienter dans les locaux de l’AMNA* (Accueil des mineurs non accompagnés), dans le 13e arrondissement parisien, ce lundi 31 mars 2025. Il est 10h. Silencieux, ils attendent d’être appelés par le personnel de France terre d’asile (FTDA). Ils sont Ivoiriens, Guinéens, parfois Gambiens ou même Bangladais. Depuis deux ans, l’association a la délicate mission d’évaluer leur âge.
    Si ces jeunes étrangers, en situation irrégulière, sont reconnus mineurs, ils pourront être pris en charge par les autorités au titre de la protection de l’enfance. Dans le cas contraire, ils seront considérés comme majeurs, et bien souvent, c’est le retour à la rue qui les attend. Mais comment se déroule l’entretien à l’AMNA ? À quoi les jeunes doivent-ils s’attendre ? Ont-ils droit à un hébergement pendant la procédure ?Entretien avec Béatrix Allan, directrice du service d’évaluation au sein de l’AMNA.
    1/ L’AMNA est donc la seule structure à évaluer l’âge des jeunes étrangers qui arrivent à Paris et veulent faire reconnaître leur minorité ?
    Béatrix Allan : Oui. Il faut savoir que les jeunes ne nous connaissent pas trop sous l’appellation ’AMNA’. À Paris, on dit plutôt : ’Tolbiac’ ou ’Les rendez-vous de Tolbiac’.Ici, pas besoin de prendre rendez-vous, on vient spontanément, on est ensuite orientés par le personnel de France terre d’asile.En moyenne, on accueille 130 jeunes par semaine. En ce moment, la fréquence est légèrement plus basse. Mais le plus souvent, la moitié des jeunes qu’on reçoit sur l’ensemble de la semaine se présentent à nous le lundi. On parle d’une quarantaine de personnes. Plus la semaine avance, moins ils sont nombreux. Souvent, le samedi on accueille moins d’une dizaine de jeunes. Quand ils arrivent, les jeunes passent par ce qu’on appelle un pré-accueil où l’on enregistre leur identité, on évalue leur état de santé. Nous travaillons avec cinq infirmiers et deux psychologues au sein de l’AMNA. L’évaluation de leur âge ne se fait pas tout de suite. On les laisse ’atterrir’ avant. Concrètement, il y a un délai moyen de cinq jours environ entre le moment où ils arrivent et le moment où ils sont reçus. On ne les ’interroge’ pas tout de suite. Après le passage en pré-accueil, les jeunes vont être mis à l’abri et se reposer, ils peuvent se faire soigner en fonction des pathologies détectées. On peut les diriger vers une PASS ou vers une de nos psychologues. Ce n’est que trois ou quatre jours plus tard qu’ils reviendront dans nos locaux pour leur entretien d’évaluation de la minorité et de l’isolement.
    2/ Tous les jeunes sont-ils automatiquement hébergés durant leur évaluation ?
    Oui, leur mise à l’abri est automatique. Nous avons deux foyers pour les garçons dans les 11e et 12e arrondissements parisiens. Nous faisons en sorte qu’il y ait toujours des places disponibles. Nous avons également un centre pour les filles dans le 20e arrondissement. En tout, nous avons quelque 100 places d’hébergement, mais le nombre de lits peut augmenter si davantage de jeunes se présentent. Dans ces foyers exclusivement dédiés à la prise en charge des jeunes, ils sont encadrés par des animateurs, des éducateurs, ils peuvent avoir accès à des activités sportives, le plus souvent, ils se tournent vers le foot... C’est un temps de répit bienvenu pour ces personnes qui ont souvent des parcours migratoires compliqués.Je répète et j’insiste, tous les jeunes qui passent par nos locaux auront un endroit où dormir le soir pendant toute la durée de leur évaluation.
    3/ Comment détermine-t-on l’âge d’un adolescent, j’imagine que l’évaluation est subjective et donc délicate ?
    Ce n’est pas simple en effet. Il faut savoir que tous nos évaluateurs suivent une formation obligatoire de trois ou cinq jours pour acquérir des connaissances juridiques, comprendre l’enjeu de cette évaluation, préparer leur entretien, les former à recueillir les paroles d’un enfant ou d’un adolescent, les aider à analyser les éléments entendus pendant l’entretien. On les sensibilise aussi à la psychologie de l’enfance. L’idée, ce n’est pas d’avoir le même rapport final pour chaque jeune Ivoirien ou Guinéen qu’on reçoit, nous sommes là pour individualiser chaque entretien. En 2024, les principaux pays d’origine des jeunes reçus dans les locaux de l’AMNA étaient : la Guinée (32%), la Mali (26%), la Côte d’Ivoire (15%), la Gambie (4%) et le Bangladesh (3%).
    4/ En se présentant à l’AMNA, les jeunes ne sont pas obligés de se soumettre aux relevés de leurs empreintes et de passer par le fichier AEM ?
    Pour faire reconnaître leur minorité, les jeunes migrants arrivant en France doivent passer par une nouvelle procédure de plus en plus utilisée : le fichier AEM (Appui à l’évaluation de la minorité). Ce système implique de passer par la case préfecture dès l’arrivée dans le département. Les craintes des associations ? Que le préfet ne place un jeune en centre de rétention avant tout recours.
    Non, les jeunes ne sont absolument pas obligés de passer par le fichier AEM.En revanche, nous sommes obligés de les en informer. Nous leur disons que le fichier existe et nous leur faisons signer un document qui recueille leur consentement ou non. La plupart des jeunes refuse de donner leurs empreintes.
    5/ Présenter des papiers d’identité ou un extrait d’acte de naissance ne suffit pas à obtenir une réponse positive de l’AMNA ?
    Les pièces d’identité et les actes de naissance sont des éléments qui nous aident évidemment, ce sont des ’indices’ particulièrement importants, mais ils sont pris en compte parmi d’autres. Idem avec l’apparence physique. Nous ne nous arrêtons pas à ça en disant : ’Ah il fait plus vieux que 15 ans’. C’est humain de jauger le physique d’une personne, mais nous apprenons aux évaluateurs que les physionomies changent, notamment en fonction du parcours de vie des jeunes.Encore une fois, nous croisons tous les éléments d’un récit. Nous cherchons à savoir quelle est la composition familiale, la scolarité de la personne évaluée. Nous faisons aussi un important travail de recherche sur les pays d’origine. La scolarité n’est pas la même dans tel ou tel pays. On apprend à nos évaluateurs à utiliser les repères des jeunes et à ne pas se baser sur nos références à nous. Nous travaillons aussi avec des traducteurs, par téléphone ou physiquement. Souvent, nous faisons appel à des professionnels qui parlent le soninké, le malinké, le bambara, l’arabe et maintenant le bengali aussi. Le recours à un traducteur est fortement encouragé pour bien comprendre le récit de la personne évaluée. L’idée est de mettre le jeune en confiance pour qu’il puisse livrer son récit dans les meilleures conditions possibles - et pouvoir ensuite rassembler un faisceau d’indices. Ce qui nous permettra d’évaluer la cohérence de ce faisceau avec l’âge allégué par le jeune. Encore une fois, nous avons pour mission d’individualiser chaque entretien, d’avoir un rapport d’évaluation final propre à chaque jeune.
    5/ Ce n’est pas vous qui prenez la décision finale mais la Ville de Paris...
    Oui, à la fin de chaque évaluation, un rapport est écrit. L’évaluateur va débriefer avec un coordinateur. Ce rapport est relu par une tierce personne. Un deuxième entretien est même possible en cas de doute sur certains éléments d’un récit, ce que nous appelons un « entretien complémentaire ».Ensuite, à la fin de l’évaluation, nous émettons une conclusion qui plaide ou ne plaide pas en faveur de la minorité d’un jeune. C’est ensuite la Ville de Paris qui étudie les dossiers que nous leur transmettons et prend la décision finale. En terme de chiffres, l’AMNA a reçu 12 288 jeunes en 2023 et 11 736 en 2024. Selon la Mairie de Paris, en 2024, 30% de ces jeunes ont reçu une réponse favorable, soit environ 3 500 personnes. Un chiffre stable par rapport à 2023 où 31% avaient reçu une réponse positive, soit environ 3 800 jeunes. « La stabilité de ce taux tient à la grande qualité du partenariat avec FTDA et de la conclusion des rapports qui plaide en faveur de la minorité en cas de doute », ajoute le service de la Prévention et Protection de l’enfance à la Mairie de Paris.
    6/Que se passe-t-il une fois que le jeune reçoit la réponse ?
    L’AMNA remet la décision de la Ville de Paris aux jeunes. En cas de réponse positive, le jeune est donc reconnu mineur. Il va patienter dans son foyer parisien le temps de lui trouver une place sur le territoire national.Une fois reconnu mineur, un jeune peut rester dans le département où il a été évalué ou être orienté vers un autre département. Dans tous les cas, son orientation a pour but de mieux distribuer la prise en charge des mineurs non accompagnés sur l’ensemble des départements français.
    Si la personne n’est pas reconnu mineure, nous lui expliquons les alternatives qui s’offrent à elle : nous lui expliquons qu’elle peut demander un recours auprès d’un juge pour enfant, et nous la dirigeons vers les dispositifs de protection de droit commun. À FTDA, nous plaidons pour que ces jeunes, vulnérables, soient mis à l’abri tout au long de leurs procédures administratives.À Paris, la situation des jeunes dits « en recours » qui ont fait appel de la décision négative de la Ville de Paris, est très précaire. Considérés comme majeurs, en situation irrégulière, ils errent dans les rues de la capitale sans hébergement, dépendants exclusivement des associations pour survivre, en attendant leur audience devant un juge pour enfant.
    Les associations estiment qu’ils se comptent par plusieurs centaines. Entre les mois de décembre et mars 2024, environ 400 jeunes en recours ont occupé la Gaîté Lyrique avant d’en être expulsés. Avant ce squat, ils avaient occupé la Maison des Métallos, et encore avant, le parc de Belleville. À chaque fois, les forces de l’ordre les ont expulsés.
    7/ Quel est le profil des jeunes que vous recevez ?
    Nous avons déjà eu des ’très jeunes’, des profils de moins de 12 ans, mais c’est très rare. Les jeunes qui se présentent à nous disent avoir 16 ans ou 16 ans et demi la plupart du temps. L’écrasante majorité sont des garçons, seuls 4% ou 5% sont des filles. Les jeunes filles ont généralement un parcours émaillé d’événements traumatogènes, elles représentent plus des deux tiers des consultations psychologiques à l’AMNA. Elles sont hélas davantage victimes de traites, de prostitution forcée, d’agressions.

    #Covid-19#migrant#migration#france#MNA#minorite#politiquemigratoire#sante#santementale

  • Après l’extrême solitude du Covid-19, le rebond des étudiants étrangers restés en France : « La crise m’a révélé une face de mon caractère que je ne connaissais pas »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2025/03/27/apres-l-extreme-solitude-du-covid-19-le-rebond-des-etudiants-etrangers-reste

    Après l’extrême solitude du Covid-19, le rebond des étudiants étrangers restés en France : « La crise m’a révélé une face de mon caractère que je ne connaissais pas »
    Propos recueillis par Eric Nunès
    Rencontrée dans un jardin de la Cité internationale universitaire de Paris, au printemps 2021, Danielle Monsef Abboud, 25 ans à l’époque, libanaise et diplômée d’AgroParisTech, étouffait. Après plus d’une année de pandémie de Covid-19, la jeune femme se sentait murée par des pans de solitude, d’inaction et de précarité. Empêchée de tout. « J’ai l’impression d’être retenue par un immense élastique, disait-elle. Quand tout cela se terminera, je vais tout arracher ! » Ils étaient environ 350 000 étudiants étrangers à poursuivre un cursus en France, quand, en mars 2020, le premier confinement a été ordonné. Près de la moitié des étudiants français trouvait alors refuge auprès de leur entourage familial, 74 % des étudiants internationaux demeuraient cloîtrés à proximité de leur établissement fermé.
    Près d’un tiers de ces étudiants étrangers ne pouvaient rejoindre leur famille, car celle-ci était trop éloignée, et un quart n’avaient pas les moyens financiers de le faire. Pour d’autres, les frontières de leur pays étaient tout bonnement fermées, relate un rapport de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) de septembre 2020, d’après lequel les étudiants étrangers apparaissent comme les « plus grands perdants de la crise sanitaire ». Certains, rencontrés lors de la pandémie et recontactés cinq ans plus tard, racontent le chemin parcouru. Chacun à sa manière, ils ont, comme Danielle, « tout arraché ».
    A la fin du mois de mars 2020, les « petits boulots » ont quasi disparu, et la plupart ne disposent pas de bourse de leur pays. Les plus « autonomes vis-à-vis de leur famille, dont la situation se caractérise par un éloignement de celle-ci et de l’aide matérielle et financière qu’elle peut apporter, comptent parmi les plus durement affectés par l’épidémie sur le plan économique et psychologique », souligne une étude publiée par la Revue européenne des migrations internationales (REMI), intitulée « Une année perdue ? Le parcours migratoire des étudiants internationaux en France à l’heure de la crise sanitaire », coécrite par les sociologues Evelyne Barthou, Yann Bruna et Emma Lujan. La précarité matérielle des étudiants isolés est telle durant le premier confinement que plus d’un quart d’entre eux n’ont pas mangé à leur faim, rappelle l’OVE.
    Ces étudiants ont donc peu ou pas d’épargne. Le passage d’un mode de vie frugal à une grande détresse se fait en quelques semaines. Quand la pandémie est déclarée, Danielle vient de recevoir le titre d’ingénieure agronome. Dans la poursuite de son stage de fin d’études, elle travaille pour un grand groupe français. La vie qu’elle s’était promise s’évapore. L’emploi espéré et le salaire qui l’accompagne sont repoussés aux calendes grecques.
    Parallèlement, son statut d’étudiante touche à sa fin, ainsi que ses droits à un logement. « Je suis seule, ma carrière qui commençait est stoppée net. Sans revenus, je me retrouve à solliciter Les Restos du cœur pour me nourrir, alors que je participais à leur financement dans le cadre de mon précédent travail. J’ai eu peur de me retrouver à la rue », avoue-t-elle. Pour les étudiants venus en France acquérir les connaissances et les compétences qui leur garantiraient un statut social, le rêve d’ascension sociale s’écroule avec le Covid-19.
    Zagha (le nom a été modifié), Tunisien de 31 ans aujourd’hui, ingénieur dans l’automobile, se souvient de ses nuits d’errance, lors du printemps 2020, sur le campus de Villeneuve-d’Ascq (Nord). Le centre régional des œuvres universitaires et scolaires, le Crous, loue alors des réduits de 9 mètres carrés dans de vieux bâtiments. Dans sa « chambre », l’humidité forme une couche de moisissure autour des fenêtres. Les sanitaires, mixtes et collectifs, sont bouchés ou sales. Enfin, punaises de lit et cafards partagent l’habitat indigne loué 162 euros par mois. « Je marchais dans le campus jusqu’à 4 heures du matin pour repousser au plus loin le moment de rentrer », raconte-t-il.
    Sharon Barragan, une Vénézuélienne aujourd’hui âgée de 28 ans, a, elle, fuit le régime bolivarien, en 2019, dans l’espoir d’une vie meilleure en Argentine. Elle y enchaîne les jobs mal payés, dans la restauration. Harcelée par un patron, elle s’enfuit de nouveau. Cette fois pour la Belgique, où elle décroche un poste d’au pair, à Bruxelles, début 2020. Elle pense avoir trouvé un peu de stabilité, mais, dans un environnement général de psychose, Sharon décide de prendre le métro, alors que sa famille d’accueil lui a interdit de le faire. « Ce jour-là, j’ai eu peur de me faire virer et de me retrouver à la rue, sans rien et totalement seule », témoigne-t-elle. En période de crise, les garde-fous contre la précarité sont ténus pour les plus fragiles. A la rentrée 2020, entre deux confinements, Sharon trouve un nouveau poste d’au pair à Paris et intègre le cursus de licence de danse, à l’université Paris-VIII.
    A une extrême précarité s’ajoute la solitude, pour ces étudiants isolés. Quand arrive la pandémie, ceux qui demeurent sur les campus n’ont plus de cours, plus de travail, plus d’activité extra-académique. Les primo-arrivants font état d’un « sentiment d’isolement bien plus accru que celles et ceux installés depuis plusieurs années, du fait de leur impossibilité de nouer des relations », constatent Evelyne Barthou, Yann Bruna et Emma Lujan, dans REMI. « Je n’avais quasi aucune interaction sociale et l’obligation de rester dans cette chambre avec des cafards », se rappelle Zagha, qui venait d’arriver en France. « Mes amis étaient loin, et je ne voulais surtout pas inquiéter ma famille », poursuit-il.
    Oscar Fiallo, étudiant vénézuélien alors âgé de 22 ans, est arrivé à Paris, début septembre 2020, avec seulement 80 euros en poche, mais le droit d’intégrer l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers, dans le cadre d’un double diplôme avec l’université nationale expérimentale de Tachira. A peine installé dans une chambre de la Cité internationale universitaire, il voit arriver le deuxième confinement (30 octobre-15 décembre 2020).
    Il trouve un emploi de nuit dans la restauration rapide, dans la banlieue est de la capitale. Il travaille jusqu’à la fermeture, prend chaque jour un bus de nuit pour rejoindre sa chambre, dort quatre heures et enchaîne, dès 8 heures, ses cours en distanciel. « C’était mentalement et physiquement épuisant, se souvient-il, mais c’était aussi une opportunité. » S’il avait dû suivre les cours en présentiel, l’équation travail-études aurait été impossible. « Le Covid m’a révélé une face de mon caractère que je ne connaissais pas. Je peux faire face à n’importe quelle situation. Je m’adapte, je garde en toute occasion une forme d’optimisme », dit Oscar, 27 ans aujourd’hui et ingénieur dans un grand groupe français d’aéronautique.
    Après l’épreuve de la pandémie, ces anciens étudiants se sont appliqués à créer un environnement qui les protège d’une prochaine crise. Se préparer à affronter le pire en construisant le meilleur, c’est le chemin de Zagha, désormais cadre dans la construction automobile. « Je m’assure de me protéger matériellement et psychologiquement pour n’avoir jamais à revivre une situation pareille », explique-t-il. Si sa situation matérielle est maintenant solide, c’est auprès de sa religion qu’il trouve un réconfort : « Je m’applique à faire de mon mieux pour faire face aux aléas de la vie, mais si le destin en décide autrement, ma foi m’aide à l’accepter. »
    Quant à Danielle, elle a bien arraché l’élastique qui la retenait. L’année qui a freiné le cours de la vie de cette cadre dans une banque d’investissement s’est transformée en une réserve d’énergie supplémentaire : « Je saute sur toutes les occasions qui se présentent. Je profite de chaque instant, car je ne sais pas si je les revivrai. Je veux être actrice de ma vie et ne plus jamais subir. Le Covid m’a forgée, m’a rendue plus forte. »
    Sharon a quitté l’université Paris-VIII pour intégrer celle d’Artois, à Arras, en 2021. Elle devient équipière dans un fast-food : « Dans le pire endroit, j’ai trouvé le meilleur : l’amour. » Elle rencontre Victor, un étudiant en informatique, avec qui elle se marie en mars 2023. Sharon n’a pas terminé son master, elle a trouvé un emploi dans une entreprise de design et poursuit une formation en yoga. Après des années d’insécurité et de pandémie, elle avait, dit-elle, « besoin de stabilité dans un couple, de la chaleur d’un foyer, de fonder une famille ». « Nous aurons des enfants, pour l’instant nous avons un chien ! »

    #Covid-19#migrant#migration#france#etudiant#sante#parcoursmigratoire#santementale#integration

  • Italie : le gouvernement annonce l’ouverture prochaine de cinq nouveaux centres de rétention - InfoMigrants
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    Italie : le gouvernement annonce l’ouverture prochaine de cinq nouveaux centres de rétention
    Par Marlène Panara Publié le : 06/03/2025
    Le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi a fait savoir au journal La Repubblica que cinq nouveaux CPR, des centres de rétention pour migrants en attente de leur expulsion, seront prochainement inaugurés. Éléments centraux de la politique migratoire italienne, ces structures sont pourtant régulièrement sous le feu des critiques.
    Vers davantage d’expulsions en Italie ? Dans une interview au journal La Repubblica publiée le 5 mars, le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi a annoncé l’ouverture de cinq centres de rétention pour l’éloignement dans tout le pays. Appelés CPR, équivalent des CRA français, ces structures hébergent les migrants en attente de leur expulsion.
    La construction d’un autre centre de rétention spécifique aux migrants originaires de « pays sûrs » a également été annoncé. Parmi ces pays figurent la Tunisie, le Nigeria, l’Algérie, le Sénégal, le Maroc, la Côte d’Ivoire ou encore la Gambie. D’après le ministre toujours, deux CPR pourront être ouverts « dès le printemps prochain ». Le CPR de Turin est également « proche de la réouverture », a-t-il ajouté. Ce centre était fermé depuis mars 2023, à la suite de manifestations des retenus.
    « Avec la Première ministre Giorgia Meloni, nous avons donné une indication claire aux préfectures de police et aux préfectures : les migrants irréguliers ayant un casier judiciaire et qui sont dangereux pour la sécurité des citoyens doivent être rapatriés », a insisté Matteo Piantedosi lors de l’entretien. « Ce choix, que nous nous sommes donné comme véritable objectif prioritaire, porte ses fruits : nous sommes déjà à 35 % d’expulsions en plus par rapport à la même période l’an dernier ». « Nous espérons faire encore plus et mieux. Ce sont des gens dangereux ».
    En mai 2023 déjà, le décret Cutro - du nom d’une ville de Calabre où des dizaines de migrants avaient perdu la vie en février 2023 dans un naufrage - avait prévu la construction 10 nouveaux CPR, afin que chaque région du pays en possède un. Le texte a également permis d’allonger la durée de rétention pour une durée maximale de 18 mois, contre 135 jours auparavant (environ 4 mois).
    À l’heure actuelle, neuf CPR sont actuellement opérationnels, à Milan, Rome, ou encore Brindisi et Bari, pour une capacité totale de 1 500 places, d’après le ministère de l’Intérieur. Ces centres prennent en charge l’hébergement des exilés sous le coup d’une expulsion « pour irrégularités dans leur dossier », ou « pour dangerosité avérée », avait précisé Matteo Piandesosi en septembre 2023, cité par Sky TG24, lors de l’ouverture d’un centre pour migrants à Pozzallo en Sicile.
    Figures centrales de la politique migratoire italienne depuis quelques années, les CPR sont pourtant régulièrement pointés du doigt par les ONG et l’opposition. En juillet 2024, Amnesty International s’alarmait de la détention « abusive » des migrants, notamment tunisiens.
    D’après l’ONG, ces exilés sont victimes de « détentions automatiques » dans les CPR, et n’ont pas accès aux procédures d’asile. « Des ressortissants tunisiens, notamment, ont été transférés dans des CPR immédiatement après leur débarquement en Italie, après un passage rapide dans les hotspots […] qui ont abouti à ce qu’ils ne soient pas considérés comme des demandeurs d’asile, même s’ils avaient l’intention de demander une protection », lit-on dans le rapport.
    En janvier 2024, une enquête du parquet de Potenza cette fois, avait affirmé que des personnes retenues dans le CPR de Palazzo San Gervasio avaient été forcées d’ingérer des médicaments, afin de « contrôler illégalement l’ordre public ». Plus de 30 cas de mauvais traitements avaient été constatés contre des personnes retenues entre 2018, année d’ouverture du centre situé dans le sud de l’Italie, et 2022. Le 30 novembre 2021 par exemple, un Tunisien de 40 ans a été « immobilisé aux poignets et aux chevilles » avec « cruauté » pour l’obliger à « ingérer contre son gré des doses d’antipsychotiques et de tranquillisants » - comme le Rivotril, le Tafor et le Talofen - indiquait le rapport du procureur Francesco Curcio, dévoilé par la presse italienne. Le 10 mars 2022, un Gambien de 31 ans a reçu du Valium par voie intramusculaire alors qu’il était, lui aussi, ligoté aux chevilles et aux poignets et maintenu au sol. Plusieurs cas de violences physiques ont également été répertoriés. Une infirmière évoque des patients traités avec « des contusions, des hématomes sur tout le corps, des fractures ». Les personnes enfermées, qui vivaient dans des « conditions inhumaines » selon la justice, pouvaient « développer des comportements obsessionnels, comme marcher en rond », a témoigné une autre.
    En décembre 2023, une autre enquête a révélé les conditions de vie particulièrement difficiles du CPR de via Corelli, à Milan. Le procureur avait critiqué un système de santé « gravement déficient » : manque de médicaments, « saleté » des dortoirs, état des sanitaires qualifiés d’"honteux" ou aliments « malodorants, avariés, périmés » font partie des éléments relevés par les enquêteurs.
    Ces conditions d’hébergement affectent la santé des retenus, et peuvent aussi conduire à des drames. En février 2024, Ousmane Sylla, un Guinéen de 22 ans, s’est pendu dans le CPR de Ponte Galeria près de Rome. Ses compagnons d’infortune l’ont retrouvé vers 5h du matin, inconscient. Selon la presse italienne, ils ont tenté de le secourir et d’appeler à l’aide, en vain. Sur le mur de sa cellule, Ousmane Sylla avait écrit ces mots en français : « Je n’en peux plus, je veux rentrer chez moi. L’Afrique me manque, et ma mère aussi ». Quelques jours avant son suicide, le jeune homme avait pleuré et fait part de son mal-être aux infirmières du centre. Une centaine de personnes séjournent dans ce CPR, décrit comme « un enfer » où les étrangers sont privés de liberté dans des « conditions inhumaines », selon l’eurodéputé et secrétaire général du parti de centre-gauche +Europa, Riccardo Magi. Ce dernier avait tenu à visiter le centre quelques heures après le drame, en compagnie de Valentina Calderone, en charge de la surveillance des lieux de privation de liberté. « Il n’est pas nécessaire d’attendre des enquêtes pour dire que des endroits comme Ponte Galeria sont totalement inhumains, il n’est pas nécessaire d’attendre la mort d’un jeune garçon pour dire qu’il faut fermer ces lieux », avait-t-elle affirmé.
    Le 9 février dernier, une fresque représentant le visage d’Ousmane Sylla et Moussa Balde, qui s’est lui aussi suicidé dans un CPR, à Turin, a été inaugurée dans un parc de Rome. L’œuvre de l’artiste Jerico a été dévoilée en présence de la mère et de la sœur d’Ousmane Sylla, Mariama. « Par son geste, Ousmane voulait qu’on s’intéresse aux gens enfermés dans les CPR, et lutter contre les injustices », a-t-elle déclaré. « Mais quand je regarde cette fresque de lui, c’est à ses rêves que je pense ».

    #Covid-19#migrant#migration#italie#CPR#retention#expulsion#politiquemigratoire#sante#santementale#droit

  • Denver, ville sanctuaire pour les migrants, résiste au plan d’expulsion de masse prévu par le gouvernement des Etats-Unis
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/03/02/denver-ville-sanctuaire-pour-les-migrants-dans-le-viseur-de-trump-je-ne-vais

    Denver, ville sanctuaire pour les migrants, résiste au plan d’expulsion de masse prévu par le gouvernement des Etats-Unis
    Par Corine Lesnes (Denver (Colorado), envoyée spéciale )
    Le plan d’expulsion de masse de l’administration Trump se heurte à la résistance des villes sanctuaires, qui, comme la capitale du Colorado, refusent de prêter main-forte à la police fédérale de
    Jeanette Vizguerra est toujours là. Elle n’a pas quitté le pays et, quoi qu’en pensent Donald Trump et ses fidèles, elle ne partira pas, du moins pas sans combat. En 2017, après l’investiture de l’homme qui avait fait des Mexicains ses cibles de prédilection, la mère de famille était « entrée en sanctuaire » – son expression – comme on entre dans les ordres. Réfugiée au sous-sol d’une église de Denver (Colorado), elle était devenue le visage des sans-papiers, établis depuis des années aux Etats-Unis mais pourchassés par la police de l’immigration. Le magazine Time en avait fait l’une des cent personnalités de l’année 2017. La comédienne America Ferrera avait pris la plume pour saluer cette mère courage devenue l’icône du mouvement sanctuaire, ce rassemblement d’églises, de villes et de citoyens qui refusent de collaborer à l’arrestation de leurs voisins.
    Huit ans ont passé. Jeanette Vizguerra a réussi à rester aux Etats-Unis grâce à une dérogation temporaire, renouvelée d’année en année, mais elle est toujours sous le coup d’une mesure d’expulsion. A ce stade de la campagne d’« expulsions de masse » lancée dès son retour au pouvoir par Donald Trump, elle préfère ne pas donner son adresse par téléphone. On la rejoint dans un pavillon de la banlieue ouest de Denver, dans un quartier en surplomb de l’autoroute qui file vers les montagnes Rocheuses. Quartier ami, à en juger par les fresques murales de la Vierge de Guadalupe.
    Les enfants de Jeanette ont grandi. Nés aux Etats-Unis, ils ont un passeport américain, en vertu de ce droit du sol que Donald Trump veut extraire de la Constitution. Luna, 20 ans, se prépare à entrer dans l’armée américaine. Roberto, 19 ans, a fini le lycée. A 10 ans, les enfants savaient déjà comment se comporter si la police essayait d’arrêter leur mère. Les deux grands filmeraient l’interpellation sur leur portable et appelleraient son avocat, pendant que Zury, la petite, irait se réfugier dans la chambre de ses parents. Aujourd’hui, c’est la consigne que Jeanette diffuse sur la page Facebook où elle enseigne aux sans-papiers à réagir aux opérations policières. Préparer les enfants. Leur donner un rôle, au lieu de les laisser assister impuissants à la séparation forcée d’avec leurs parents.
    Jeanette Vizguerra ne cache pas que les temps sont devenus difficiles. L’administration Trump 2 est « beaucoup plus agressive », constate-t-elle dans un anglais aussi rugueux que son profil. « Elle essaie de faire le plus de dégâts possible dans nos communautés. » La porte-voix des sans-papiers n’a plus de nouvelles d’America Ferrera. Mais elle dit que les migrants ne peuvent pas laisser le gouvernement « semer la terreur » dans leur esprit. Jeanette a travaillé plus de vingt-sept ans dans le Colorado comme femme de ménage. Elle a écopé d’une mesure d’expulsion en 2009 pour avoir été en possession d’une fausse carte de Sécurité sociale, le sésame qui permet de trouver un emploi. En 2013, elle a été arrêtée à la frontière, alors qu’elle revenait clandestinement du Mexique – où elle avait pris le risque de retourner pour voir une dernière fois sa mère, hospitalisée. A 54 ans, elle s’estime en droit de rester aux Etats-Unis. « Je ne vais pas les laisser me séparer de ma famille sans me battre », défie-t-elle.
    Le mouvement sanctuaire est apparu dans les années 1980, quand les églises américaines offraient refuge aux Salvadoriens fuyant la guerre civile. Il n’a pas de définition juridique universelle, mais désigne les Etats ou les villes qui ont décidé de limiter leur coopération avec la police de l’immigration, l’Immigration and Customs Enforcement (ICE). Pendant le premier mandat de Donald Trump, de 2017 à 2021, près d’une dizaine d’Etats démocrates (Californie, Colorado, Connecticut, Illinois, Massachusetts, New Jersey, New York, Oregon, Washington) et une centaine de villes se sont déclarés sanctuaires : ils ont adopté des lois interdisant à leurs polices locales d’aider la police fédérale à arrêter des clandestins. Beaucoup ont aussi interdit à la police de l’immigration de saisir des détenus dans les prisons locales sans un mandat délivré par un juge fédéral.
    Nombre d’Etats républicains (Alabama, Géorgie, Floride, Iowa, Tennessee, Texas, Virginie-Occidentale) ont contre-attaqué en adoptant des mesures inverses, obligeant les forces de l’ordre locales à coopérer avec les autorités fédérales. Le terme « sanctuaire » est devenu le symbole des divisions de la société américaine sur un sujet qui a pesé lourd dans la victoire de Donald Trump lors de l’élection de novembre 2024.
    Denver, la capitale du Colorado, Etat républicain jusqu’en 2008 et désormais solidement bleu, est l’une de ces villes sanctuaires que l’administration Trump essaie de mettre au pas mais qui n’ont pas l’intention de plier face aux injonctions présidentielles, quitte à se porter en justice. Aux Etats-Unis, l’immigration est du seul ressort de l’Etat fédéral. Rien n’oblige les polices locales à vérifier les permis de séjour des résidents. « Nous avons un principe très clair de séparation des pouvoirs, explique Violeta Chapin, professeure de droit et spécialiste de l’immigration à l’université du Colorado, à Boulder. Le gouvernement fédéral ne peut pas forcer les Etats à faire son travail. Il peut le leur demander, les encourager, mais il ne peut pas les y contraindre. »
    A peine installé dans le bureau Ovale, Donald Trump a frappé fort. Arrestations à grand spectacle, migrants menottés et renvoyés dans leur pays sous l’œil des caméras, annulation du statut temporaire accordé depuis 2023 aux Vénézuéliens, gel des subventions aux ONG de défense des migrants… Dans les deux jours qui ont suivi l’investiture du 20 janvier, l’association Rocky Mountain Immigrant Advocacy Network (Rmian), un réseau d’avocats spécialisés dans l’immigration, s’est vu signifier l’interdiction de fournir des conseils juridiques au centre de détention d’Aurora, dans la banlieue de Denver, l’un des plus grands du pays, où quelque 1 530 migrants, qui pour la plupart parlent à peine anglais, attendent de comparaître devant un juge. « C’est tellement cruel », note Mekela Goehring, la directrice de Rmian. Après s’être pourvue en justice, l’association, qui a formé une centaine d’avocats bénévoles, a retrouvé son accès aux migrants, mais elle s’attend d’un jour à l’autre à perdre 25 % de ses subventions.
    La confusion – le « chaos », disent les avocats – règne sur le statut des migrants. Ceux qui avaient saisi les opportunités de régularisation offertes au fil des années par les autorités américaines comprennent qu’ils ont construit sur du sable, que tout est susceptible d’être remis en question. Les demandeurs d’asile, les jeunes dreamers – amenés par leurs parents et protégés depuis 2010 par un statut temporaire (le programme Deferred Action for Childhood Arrivals, ou DACA) –, les parents d’enfants américains en attente d’une annulation de leur injonction à quitter le territoire : tous sont désormais susceptibles de faire l’objet d’une procédure d’« expulsion accélérée ». Et, comme ils ont fourni leurs coordonnées dans leur dossier, la police n’a plus qu’à les cueillir. « Plus personne n’est à l’abri », s’alarme l’étudiant en droit Hunter Parnell après avoir rendu visite, au centre de rétention, à un homme installé depuis plus de vingt ans aux États-Unis mais qui a eu le tort de se trouver « au mauvais moment au mauvais endroit ».
    La peur est intermittente, diffuse. « C’est une sorte de guerre psychologique », explique Kayla Choun, avocate au sein du cabinet Elevation Law, spécialisée dans la défense des migrants. Mais, malgré le départ en fanfare de sa campagne, l’administration Trump se heurte aux réalités. Selon le département de la sécurité intérieure, 37 660 personnes ont été expulsées en un mois, soit moins que sous Joe Biden (57 000 expulsions mensuelles en moyenne en 2024). Déçu par les premiers résultats, Donald Trump s’impatiente. Pour aider la police de l’immigration, débordée, il veut forcer les collectivités locales à arrêter les sans-papiers et à les détenir, quitte à menacer de couper les fonds aux villes démocrates qui protègent les migrants.
    Au cœur du concept de sanctuaire existe l’idée que certaines zones dites « sensibles » doivent être épargnées. Les parents doivent pouvoir déposer leurs enfants à l’école ou se rendre à l’hôpital sans risquer d’être arrêtés. Pour les responsables des collectivités sanctuaires, la sécurité de l’ensemble de la population est compromise si les migrants hésitent à s’adresser à la police de peur d’être arrêtés. Depuis 2011, une directive fédérale empêchait l’ICE de cibler les églises, les écoles et les hôpitaux. Donald Trump l’a révoquée dès le 20 janvier. « Les villes sanctuaires sont un sanctuaire pour les criminels, un point c’est tout, a asséné Tom Homan, l’architecte de la campagne d’expulsions massives, sur Fox News. Fini de jouer. »
    La remise en cause de ces protections a semé la consternation à Denver. Dans les écoles, les cliniques, les centres d’accueil pour étrangers, le personnel a dû suivre une formation. « Si la police se présente pour arrêter un patient, on doit demander à voir le mandat, résume le pédiatre Mohamed Kuziez, qui exerce au Children’s Hospital du Colorado. On peut refuser l’accès, mais on s’expose à être poursuivi pour obstruction à un agent de la force publique. »
    Sur le campus universitaire d’Auraria, dans le centre de la ville, où plus d’un quart des 42 000 étudiants est hispanique, les jeunes Latinos sont persuadés qu’ils sont surveillés par des agents en civil. « Ça rappelle les années 1930, quand Herbert Hoover a fait expulser 2 millions de Mexicains, dont plus de la moitié étaient des citoyens américains », affirme un étudiant en histoire, en référence à la campagne dite de « rapatriement mexicain » menée après la crise de 1929 par le gouvernement américain. Le 12 février, le district scolaire des écoles publiques de Denver, qui représente 207 établissements et 93 000 élèves de la maternelle à la terminale, a été le premier du pays à porter plainte pour rétablir l’interdiction des descentes de police dans les zones sensibles. Dans les écoles, la peur de la « migra », la police de l’immigration, est « dévastatrice », a souligné le responsable du district scolaire, Alex Marrero.
    A une altitude de 1 600 mètres, ce qui lui vaut son surnom de « Mile High City » (1 mile = 1 609 mètres), Denver s’enorgueillit de son capitole au toit recouvert de feuilles d’or 24 carats. Malgré la neige, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment le 17 février, lors du Presidents’Day, jour de la traditionnelle célébration des présidents américains, pour protester contre la dérive « monarchique » de Donald Trump et d’Elon Musk. Aucun migrant n’avait osé se mêler au défilé.
    A deux pas de là, sur Grant Street, la First Baptist Church, tout en brique rouge, est l’une des 800 églises sanctuaires du pays (elles n’étaient que 250 en 2014). Dans le couloir, une affiche communique le numéro de téléphone à appeler pour alerter sur la présence de véhicules de l’ICE. C’est là que Jeanette Vizguerra s’était réfugiée, en 2017, dans une pièce aménagée dans le sous-sol. Fin janvier, l’église a fait installer un dispositif de sécurité. Si les agents de l’ICE veulent entrer, ils trouveront les portes fermées. La congrégation a décidé de « rester accueillante », indique Kurt Kaufman, l’assistant du pasteur. Elle se portera discrètement au secours des migrants en situation d’urgence. « Mais, si la police vient avec un mandat, il n’y a pas grand-chose que nous pourrons faire », soupire le jeune diacre.
    Les Etats et villes sanctuaires n’en sont pas à leurs premières attaques de la part du camp républicain. Début 2024, le très droitier gouverneur du Texas, Greg Abbott, avait expédié par bus à Denver des milliers de demandeurs d’asile, principalement des Vénézuéliens. La ville avait été débordée par l’arrivée de quelque 40 000 migrants en six mois, mais elle s’était mobilisée pour les loger puis les orienter vers d’autres localités. Le 3 mars, le maire, Mike Johnston (qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien), est convoqué à la Chambre des représentants, en compagnie de ses collègues démocrates de Boston et de Chicago. La commission de surveillance et de réforme du gouvernement leur reproche de « compromettre la sécurité des Américains » en « entravant la capacité des agents fédéraux » à procéder à l’arrestation de criminels par leurs politiques « obstructionnistes ».
    L’offensive des républicains ne s’arrête pas là. La nouvelle ministre de la justice, Pam Bondi, a ordonné le gel des crédits qui, sous l’administration Biden, étaient octroyés aux villes sanctuaires pour compenser les dépenses occasionnées par l’arrivée des demandeurs d’asile (350 millions de dollars dans le cas de Denver). Ancienne procureure générale de Floride, grande alliée de Trump, elle envisage de poursuivre, au nom de l’Immigration and Nationality Act, les responsables locaux qui font obstacle à la transmission d’informations aux autorités fédérales. « Cette loi ne dit rien sur l’obligation de recueillir ces informations, rétorque la professeure Violeta Chapin. Personne n’a ordonné à Denver de ne pas partager d’informations avec le gouvernement fédéral. Le principe des villes sanctuaires, c’est qu’elles ne collectent tout simplement pas ces informations. »
    (...)L’« opération Aurora » a eu lieu le 5 février. Plusieurs complexes résidentiels des quartiers longeant East Colfax ont vu le débarquement de commandos avec des gilets pare-balles marqués ICE, soutenus par des transport de troupes blindés et des fumigènes. Arrivés au complexe d’appartements Edge of Lowry, un ensemble d’une soixantaine de logements mal entretenus, où les résidents se plaignaient depuis des années non pas des gangs mais des marchands de sommeil exploitant leur situation précaire, ils ont frappé aux portes sans ménagement. « Policia ! »
    Les ONG n’ont pas été surprises. V. Reeves, 29 ans, une diplômée en neurosciences qui a fondé le réseau d’aide aux sans-abri Housekeys Action Network Denver, dormait sur place depuis déjà une semaine. Elle a d’abord entendu le bruit des bottes. Les agents portaient des béliers, prêts à enfoncer les portes alors que la loi ne leur en donne pas le droit, sauf à présenter un mandat d’arrestation. « De la pure terreur », dit l’activiste (qui, non binaire, se fait appeler par le prénom V, en écho au V de la victoire). La veille, V. avait encore fait le tour des résidents pour leur rappeler de ne pas ouvrir leur porte, quoi qu’il arrive. Personne n’a ouvert. « Je suis tellement fier, exulte V. Pas un résident d’Edge of Lowry n’a ouvert. Personne n’a été arrêté ! »
    Dans le reste de l’agglomération, le bilan de l’opération, menée simultanément dans une demi-douzaine de résidences, n’a pas été plus impressionnant. Une quarantaine d’interpellations mais un seul suspect ayant un casier judiciaire, alors que la police avait annoncé cibler une centaine de membres de Tren de Aragua. Tom Homan, le « Tsar de la frontière », comme le surnomme Donald Trump, a blâmé des « fuites » émanant des médias pour expliquer le coup de filet raté. (...).

    #Covid-19#migrant#migration#etatsunis#denver#villesanctuaire#expulsion#politiquemigratoire#sante#droit#santementale

  • En Libye, vingt-huit corps de migrants exhumés d’une fosse commune
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/02/09/en-libye-vingt-huit-corps-de-migrants-exhumes-d-une-fosse-commune_6539015_32

    En Libye, vingt-huit corps de migrants exhumés d’une fosse commune
    Le Monde avec AFP
    Les corps de vingt-huit migrants originaires d’Afrique subsaharienne ont été retrouvés dans une fosse commune près d’un centre de détention « illégal », dans la région de Koufra, à l’extrême sud-est de la Libye, a annoncé dimanche 9 février le bureau du procureur général libyen.Les corps ont été retrouvés après une opération des forces de sécurité dans ce centre tenu par un réseau de trafiquants d’êtres humains, où étaient « séquestrés » soixante-seize migrants originaires d’Afrique subsaharienne, a précisé la même source.
    Une enquête a permis d’identifier l’existence d’une « bande dont les membres séquestraient des migrants irréguliers, les torturaient et les soumettaient à des traitements cruels, dégradants et inhumains », a ajouté le bureau du procureur.Trois personnes ont été arrêtées, un Libyen et deux étrangers, a-t-il ajouté sans plus de détails.
    Des photos publiées dimanche sur les réseaux sociaux montraient des individus émaciés portant des cicatrices sur le visage, les membres et le dos.
    La Libye est plongée dans le chaos politique et sécuritaire depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, à la suite d’une révolte populaire. Gouverné par deux exécutifs rivaux – l’un à Tripoli (ouest), reconnu par l’ONU, l’autre à Benghazi (est), soutenu par le clan du maréchal Khalifa Haftar –, le pays, situé à environ 300 kilomètres des côtes italiennes, est devenu l’une des principales plaques tournantes du trafic d’êtres humains sur le continent.
    Des dizaines de milliers de migrants d’Afrique subsaharienne, en quête de l’eldorado européen, y sont la proie de trafiquants, quand ils ne meurent pas en tentant la périlleuse traversée de la Méditerranée.
    Fin janvier, le bureau du procureur général, basé à Tripoli, a ordonné l’incarcération de deux membres d’une bande criminelle accusée de torture à l’encontre de 263 migrants originaires d’Afrique en situation irrégulière, dans le but d’extorquer des rançons. Selon lui, la bande opérait dans un camp de rétention dans la zone d’Al-Wahat, une région désertique sous le contrôle des forces du maréchal Haftar, à environ 750 kilomètres au sud-est de Tripoli.
    En mars 2024, une fosse commune contenant « au moins 65 corps de migrants » avait été découverte dans le sud-ouest de la Libye, selon l’Organisation internationale pour les migrations.

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