A travers l’affaire Mahmoud Khalil, la repression s’accélère aux Etats-Unis contre les étudiants étrangers
Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
Dans les manifestations anti-Trump, son nom continue à être invoqué sur les pancartes. « Free Khalil » (« libérez Khalil »). Arrêté le 8 mars à New York et détenu, depuis, en Louisiane sans qu’aucune charge n’ait été portée contre lui, l’étudiant propalestinien de l’université Columbia Mahmoud Khalil, 30 ans, est devenu le symbole des expulsions politiques d’étudiants étrangers sur les campus américains.
Né en Syrie dans un camp de réfugiés palestiniens, l’activiste, titulaire depuis 2024 de la carte verte de résident permanent aux Etats-Unis, espérait être remis en liberté vendredi 11 avril, lors de l’audience consacrée à son maintien en détention par la juge de l’immigration Jamee Comans. Il avait rappelé au tribunal que son épouse, Noor Abdalla, une dentiste de nationalité américaine, devait accoucher sous peu et que, tout en étant « conscient » que l’enjeu de l’affaire « dépass[ait] largement » sa situation personnelle, il espérait « être libre pour assister à la naissance » de son premier enfant.
La juge en a décidé autrement. Lors de l’audience à Jena (Louisiane), elle a statué que l’administration Trump était en droit d’expulser l’étudiant, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont dispose le secrétaire d’Etat d’évaluer le risque posé pour la sécurité nationale. Les avocats de Mahmoud Khalil, Marc Van Der Hout et Johnny Sinodis, ont annoncé leur intention de faire appel. Un autre juge – fédéral celui-là – est également saisi de la constitutionnalité de son expulsion, dans l’Etat du New Jersey. Les avocats du jeune homme ont dénoncé l’atteinte à la liberté d’expression de leur client. (...)
Mahmoud Khalil, qui a fini, en décembre, un master d’administration publique à la School of International and Public Affairs de l’université Columbia, et doit officiellement obtenir son diplôme en mai, avait été le porte-parole des étudiants qui protestaient, au printemps 2024, « contre le génocide à Gaza ». Membre d’un groupe d’étudiants favorables au mouvement de désinvestissement en Israël, il avait également servi d’intermédiaire dans les négociations avec la direction pour la levée des campements installés sur le campus. A l’époque, il n’avait été ni interpellé ni poursuivi. Une semaine après son arrestation, en mars, l’organisation Jewish Voice for Peace (« la voix juive pour la paix ») avait occupé la Trump Tower, à New York, pour réclamer sa libération. Près de 100 personnes avaient été arrêtées.
Le gouvernement l’a accusé d’être « aligné avec le Hamas ». Des fonctionnaires du département de la sécurité intérieure lui ont reproché de ne pas avoir mentionné, dans sa demande de carte verte de 2024, qu’il avait travaillé avec l’UNRWA, l’agence de l’Organisation des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Le 9 avril, la juge a sommé le gouvernement de fournir les preuves justifiant sa décision d’expulsion. Le département d’Etat a produit une note de deux pages, non datée, signée par le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio. Le texte ne reproche aucun fait criminel à Mahmoud Khalil, dont il reconnaît les activités « d’ailleurs légales », mais l’accuse d’un « comportement antisémite ». Ne pas expulser l’étudiant compromettrait « la politique américaine de lutte contre l’antisémitisme dans le monde et aux Etats-Unis, affirme le secrétaire d’Etat, ainsi que les efforts visant à protéger les étudiants juifs contre le harcèlement et la violence sur le sol américain ».
Marco Rubio s’appuie sur une disposition, rarement utilisée, de la loi sur l’immigration et la nationalité de 1952, qui autorise le secrétaire d’Etat à ordonner personnellement l’expulsion de personnes n’ayant pas la nationalité américaine, dont la présence sur le territoire national est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur la politique étrangère des Etats-Unis. En 1990, après la fin de la guerre froide, le Congrès a modifié la loi et durci les conditions de l’expulsion : le ressortissant étranger doit compromettre, par sa présence, « un intérêt impérieux de politique étrangère des Etats-Unis ».
Mahmoud Khalil avait été l’un des premiers étudiants arrêtés par la police de l’immigration. Dans la foulée, Badar Khan Suri, de nationalité indienne, chercheur à l’université de Georgetown (Washington), avait été arrêté en Virginie après révocation de son visa, au motif qu’il entretenait « des contacts étroits avec un conseiller du Hamas ». Il est toujours en détention au Texas. Il y a également Rumeysa Ozturk, l’étudiante turque en doctorat de l’université Tufts (Massachusetts), dont l’arrestation, fin mars, par six policiers en civil, saisie sur une vidéo, avait particulièrement choqué. Elle est toujours en détention, elle aussi, en Louisiane.
Leurs cas ont valeur de test de la volonté de l’administration Trump de reprendre en main des universités jugées trop politisées. « Chaque fois que je tombe sur un de ces cinglés, je lui retire son visa », avait déclaré Marco Rubio, le 27 mars, en affirmant que les jeunes ayant la chance d’être accueillis aux Etats-Unis sont là pour obtenir un diplôme et « pas pour devenir des activistes qui mettent le chaos » sur les campus. Le ministre avait établi à quelque 300 le nombre de visas d’étudiants étrangers révoqués sur l’ensemble du territoire.
Depuis deux semaines, les avocats voient avec inquiétude une nouvelle vague d’expulsions gagner les campus. Dans tout le pays, se multiplient les exemples d’étudiants ayant subitement appris par une lettre de leur ambassade ou par un e-mail de l’université que leur autorisation de séjour était annulée.
Selon la National Lawyers Guild, une association de juristes progressistes, le nombre d’étudiants ciblés pourrait s’approcher du millier. Contrairement à Mahmoud Khalil, ces jeunes ne sont généralement pas des résidents permanents. En leur retirant leur visa, l’administration espère les voir quitter d’eux-mêmes le territoire. « Ces annulations sont illégales et nous sommes encore en train d’essayer d’en comprendre le modèle, a expliqué l’avocat Khaled Alrabe, du National Immigration Project de la même association de juristes, à la radio de San Francisco KQED. Mais il y a de quoi être inquiet, car cela semble extrêmement vaste et touche tous les profils d’étudiants. »
En l’absence de centralisation officielle des données, le média en ligne Inside Higher Ed, consacré à l’enseignement supérieur, a entrepris de tenir à jour un décompte. De Harvard (cinq étudiants ciblés) à l’université du Minnesota (cinq également) ou Stanford (six), plus de 80 établissements sont concernés. Selon leurs avocats, la plupart des jeunes sont originaires d’Inde, de Chine et de pays musulmans. En Californie, où 96 étudiants se sont vus retirer leur visa sur les différents campus, deux d’entre eux ont porté plainte, le 5 avril, contre la police de l’immigration, pour avoir supprimé « abruptement » leur nom de la banque de données Sevis (Student and Exchange Visitor Information System), utilisée par le département de la sécurité intérieure pour surveiller le statut des étudiants étrangers et des visiteurs en programme d’échange.
A l’université d’Etat de l’Arizona (ASU), une manifestation a eu lieu, fin mars, par solidarité avec huit étudiants menacés. Une semaine plus tard, le syndicat United Campus Workers a découvert qu’ils étaient une cinquantaine dans le même cas, et que l’un d’entre eux avait été placé en détention. La majorité des révocations ne mentionnent « aucun motif, explique Michael Kintscher, un étudiant de troisième cycle et président du syndicat. Ni quels sont les délais pour quitter le territoire ».
Certains sont déjà partis. ASU, qui offre des consultations juridiques pour les étudiants expulsés, fait partie de la quarantaine d’établissements faisant l’objet d’une enquête du gouvernement fédéral pour avoir tardé, selon ce dernier, à réprimer les manifestations anti-israéliennes. Ils sont menacés de suppression des financements fédéraux. Les universités ont conseillé à leurs étudiants étrangers de porter en permanence sur eux une copie de leur passeport et de leur autorisation de séjour, de s’abstenir de publier sur leurs réseaux sociaux, scrutés par les autorités. L’étudiant de l’ASU maintenu en détention avait été condamné, il y a plusieurs années, pour conduite en état d’ivresse. Il avait presque terminé ses études. Il s’est dit à prêt à quitter le territoire au plus vite, selon son avocate, Ami Hutchinson, citée par le média Arizona Luminaria. « Pour ne plus jamais revenir. »