On apprend par exemple que Samir Geagea, un ténor de la droite chrétienne, a sollicité les faveurs sonnantes et trébuchantes du royaume en 2012. Dans une lettre envoyée à sa hiérarchie, l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, Ali Awad Asiri, décrit la mauvaise passe financière du chef des Forces libanaises, en mentionnant notamment qu’il est « sur le point de ne plus pouvoir payer le salaire de ses gardes du corps ».
La réponse donnée par l’Arabie saoudite à cette requête n’apparaît pas dans les documents de WikiLeaks. Un conseiller de M. Geagea, contacté par Le Monde, s’est refusé à faire tout commentaire sur le sujet. A en juger par la fréquence de ses voyages à Riyad et par son ardeur à critiquer le Hezbollah, la milice chiite libanaise, qui est l’une des bêtes noires du royaume saoudien, défenseur autoproclamé du monde sunnite, il est probable que l’ex-chef de milice de la guerre civile ait obtenu gain de cause.
Ingérence patente
Selon les « Saudi Cables », trois autres responsables politiques libanais, tous chrétiens, de droite, et membres de la coalition dite du 14-Mars, opposée à Damas et Téhéran, se sont livrés à des démarches similaires, en vue des législatives de 2013, entre-temps reportées à 2017 : Elias Murr, un ex-ministre de l’intérieur, propriétaire du quotidien Al-Joumhouria ; l’avocat Boutros Harb, candidat malheureux à la présidence de la République ; et Dory Chamoun, le président du Parti national libéral, héritier de l’ancien chef de l’Etat Camille Chamoun.
L’ingérence de l’Arabie saoudite dans les salles de rédaction libanaises est patente dans une lettre de trois pages consacrée en juin 2012 au quotidien de centre gauche As-Safir. L’ambassadeur Asiri y éreinte Talal Salman, le directeur de la rédaction, jugé coupable d’avoir publié un article critiquant la politique saoudienne dans la région, en affirmant que « son identité chiite éclipse son objectivité journalistique ».
En guise de réaction, l’ambassadeur recommande de « continuer à soutenir » Al-Joumhouria, An-Nahar, un quotidien de centre droit, et Al-Moustakbal, l’organe du parti de Saad Hariri, à charge pour eux « d’attaquer quiconque salit l’image » du royaume. Il propose également d’inviter M. Salman à Riyad, présumant, sans expliquer pourquoi, qu’une telle visite serait susceptible de remettre son titre sur le droit chemin.
« Pas étonné par ces révélations »
Pareille offre est aussi suggérée dans le cas de Pierre Daher, le patron de LBC, la première chaîne de télévision libanaise, à qui il est reproché, dans un autre câble, d’avoir laissé passer à l’antenne un reportage défavorable à la monarchie. Asiri, le très entreprenant émissaire des Saoud, va jusqu’à émettre l’idée de pénaliser LBC, en lui retirant des budgets publicitaires.
Un autre document, daté de mai 2012 et classé top secret, fait état d’une demande de financement de MTV, une télévision privée propriété de la famille Murr. « Le montant demandé est 20 millions de dollars. C’est un peu exagéré. On devrait proposer 5 millions », précise le courrier. Le Monde n’a pas été en mesure de recueillir la réaction de la chaîne.
« Je ne suis pas étonné par ces révélations, confie le politologue libanais Hilal Khashan. Notre système est structurellement corrompu. Nos médias ne cherchent pas à informer le public. Ce sont des laquais, ils dépendent tous de fonds étrangers. » Al-Akhbar, le complice de WikiLeaks, proche des positions du Hezbollah et de son parrain iranien, échapperait-t-il à cette règle ?