• La propriété intellectuelle : une idée radine pour gens fatigués
    https://lundi.am/La-propriete-intellectuelle-une-idee-radine-pour-gens-fatigues

    Ce texte défend l’hypothèse que la notion de propriété intellectuelle est anti-éducative par essence puisqu’elle est un refus des partages qui renforcent mutuellement les individus. Ainsi, pour avoir trouvé telle molécule le premier, je détiens le pouvoir virtuel d’empêcher des milliers de personnes de guérir par elles-mêmes : je n’admets pas qu’elles puissent comprendre, par l’exercice d’une même raison, comment j’ai fait ; je me constitue en obstacle à leur puissance de refaire par elles-mêmes, arguant qu’elles me doivent quelque chose ; elles sont donc empêchées de produire librement cette molécule qui est bonne pour elles.

    Je voudrais procéder ici à une critique radicale de la notion de propriété intellectuelle selon la perspective éducative : jamais la notion n’apparaît aussi faible conceptuellement et aussi cynique politiquement qu’envisagée au regard des enjeux éducatifs du partage et de la libre distribution des puissances de la pensée humaine mise au service du plus grand nombre dans l’intérêt général.

    #copyright_madness #propriété_intellectuelle #propriété #savoirs #connaissance #éducation #économie #capitalisme #philosophie #épistémologie #Lumières

  • « #Covas_do_Barroso », un docu-western sur la face sombre de la #transition_énergétique au #Portugal

    https://www.youtube.com/watch?v=ZklsYH2S58Y

    Le réalisateur #Paulo_Carneiro sort le 26 mars un film choral qui remet en scène la résistance d’un village portugais contre un mégaprojet de #mines de #lithium porté par la multinationale britannique #Savannah.

    https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/260325/covas-do-barroso-un-docu-western-sur-la-face-sombre-de-la-transition-energ
    #film #énergie #résistance #extractivisme #lutte

  • #Guide de l’étudiant pour ne pas écrire avec #ChatGPT

    OpenAI a publié un « Guide de l’étudiant pour écrire avec ChatGPT » (https://openai.com/chatgpt/use-cases/student-writing-guide). Dans ce billet, je passe en revue leurs #conseils et je propose quelques contre-#arguments, d’un point de vue d’enseignant-chercheur. Après avoir abordé chacune des 12 suggestions d’OpenAI, je conclus en évoquant rapidement les aspects éthiques, cognitifs et environnementaux que tout étudiant devrait considérer avant de décider d’utiliser ou non ChatGPT. J’ajoute quelques commentaires en fin de billet au fil des retours critiques. (Version anglaise : A Student’s Guide to Not Writing with ChatGPT)

    « Déléguez la mise en forme des #citations à ChatGPT. L’IA excelle dans l’automatisation des tâches fastidieuses et chronophages telles que la présentation des citations. N’oubliez cependant pas de vérifier l’exactitude de vos bibliographies par rapport aux documents source. »

    Cette dernière phrase est probablement là pour des raisons juridiques, parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas dire que ChatGPT produira systématiquement des résultats exacts. En effet, mettre en forme des citations et des #bibliographies consiste à présenter des métadonnées conformément à des règles formelles (les #styles_bibliographiques). On n’est pas ici dans le domaine du langage naturel. ChatGPT fera des #erreurs, qui prendront du temps à trouver et à corriger. Alors utilisez plutôt un logiciel de gestion bibliographique, tel que #Zotero. Il s’occupera de vos citations et bibliographies de manière fiable, parce qu’il est programmé pour. Il vous suffit de nettoyer les métadonnées des références au fur et à mesure que vous les collectez, et vos bibliographies ne contiendront jamais d’erreurs.

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    « 2. Informez-vous rapidement sur un nouveau sujet. ChatGPT peut vous aider à démarrer vos recherches en vous permettant d’acquérir un #socle_de_connaissances sur un sujet. »

    ChatGPT est un simulateur de conversation humaine, et non un système d’information ou une base de connaissances. L’#information, ça se trouve dans des cerveaux, des documents et des bases de données. ChatGPT n’est pas doté de capacité de #compréhension : il ne fait que produire des réponses plausibles en tant que réponses, sans comprendre rien à rien. Il ne peut donc pas vous informer de manière fiable. Ne demandez pas à un intermédiaire qui n’a pas la capacité de comprendre une information de vous l’expliquer : à la place, faites un tour dans la #bibliothèque universitaire la plus proche et cherchez vous-même l’information, avec l’aide des bibliothécaires et des documentalistes.

    –-> J’ai tendance à conseiller de solliciter les enseignants, bibliothécaires et co-étudiants. Mais comme me le suggère Adrien Foucart sur Mastodon, peut-être que vous préférez apprendre par vous-même. Dans ce cas, le plus important est de développer vos compétences en recherche d’information. Selon moi, la référence reste le tutoriel CERISE (Conseils aux Etudiants en Recherche d’InformationS Efficace : https://callisto-formation.fr/course/view.php?id=263), que vous pouvez suivre de manière entièrement autonome.

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    « 3. Demandez une feuille de route pour trouver des #sources pertinentes. ChatGPT peut guider votre recherche en vous suggérant des chercheurs, des sources et des termes de recherche pertinents. Mais n’oubliez pas : bien qu’il puisse vous orienter dans la bonne direction, ChatGPT ne remplace pas la lecture de #sources_primaires et d’articles évalués par des pairs. Et comme les #modèles_de_langage peuvent générer des informations inexactes, vérifiez toujours vos faits. »

    (Ce point est encore plus litigieux que le point 1, donc OpenAI nous gratifie de deux phrases complètes qui sont probablement là pour des raisons juridiques.) Parce que ChatGPT n’a pas de capacité de compréhension, il ne sait pas ce que sont des choses comme « une source » ou « une affirmation vraie ». Vous ne pouvez donc pas vous fier à ses indications. Vous perdrez du temps et ferez des erreurs. Encore une fois, demandez à un humain ou faites une recherche de documents et de données dans un vrai système d’information.

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    « 4. Approfondissez votre compréhension en posant des questions précises à ChatGPT. »

    Parce que ChatGPT n’a pas de capacité de #compréhension, il ne connaît pas les réponses réelles à vos questions, seulement des réponses plausibles. Il génèrera des réponses vraies et fausses sans distinction. Cela retardera votre apprentissage. Encore une fois, passez par des humains, des documents et des données directement au lieu de demander à ChatGPT.

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    « 5. Améliorez votre #écriture en demandant à ChatGPT comment il trouve votre structure. »

    Parce que ChatGPT n’a pas de capacité de compréhension, il ne comprend pas ce qu’est une structure de texte « attendue » ou « améliorée », même si vous lui décrivez. Il ne peut que rehausser la qualité de votre texte à ce qu’il pense être un niveau moyen, ou l’abaisser à ce même niveau. Dans les deux cas, vous obtiendrez des notes médiocres. Pour progresser réellement dans votre écriture, demandez conseil à un professeur ou joignez un groupe d’étudiants qui s’entraident là-dessus  ; si un tel groupe n’existe pas, réunissez quelques personnes et créez-le – ce sera une expérience utile en soi.

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    « 6. Vérifiez votre raisonnement en demandant à ChatGPT de transformer votre texte en liste à puces. »

    Comme l’a récemment montré une étude australienne (https://pivot-to-ai.com/2024/09/04/dont-use-ai-to-summarize-documents-its-worse-than-humans-in-every-way), ChatGPT ne sait pas #résumer, seulement #raccourcir. À l’heure actuelle, savoir résumer reste un savoir-faire humain. Un #savoir-faire que vous pouvez acquérir en suivant un cours de #résumé dans un cursus en sciences de l’information, un programme de formation continue, un cours en ligne, etc. (Je suis plutôt partisan de faire les choses dans l’autre sens mais plusieurs collègues me disent que sur le fond cette méthode du reverse outlining leur est très utile et qu’ils la conseillent à des étudiants.)

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    « 7. Développez vos idées à travers un dialogue socratique avec ChatGPT. »

    Enfin un conseil qui est lié à la fonction réelle de ChatGPT : simuler la communication humaine. Cependant, le #dialogue_socratique implique que vous conversez avec quelqu’un qui a une compréhension supérieure du sujet et qui vous amène progressivement au même niveau. Malheureusement, ChatGPT n’est pas Socrate. Utiliser ChatGPT comme partenaire d’entraînement vous restreindra à son niveau : celui d’une machine qui produit des phrases humaines plausibles. Proposez plutôt cet exercice à vos professeurs et à vos camarades, et mettez-vous avec quelqu’un de plus avancé que vous pour progresser.

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    « 8. Mettez vos idées à l’épreuve en demandant à ChatGPT des #contre-arguments. »

    Pour améliorer votre capacité de #réflexion, vous devez être capable de trouver des contre-arguments, pas seulement d’y répondre. Utiliser ChatGPT pour faire la moitié du travail vous empêchera de progresser. Trouvez vous-même des contre-arguments. Et si vous avez besoin d’aide, ne demandez pas à ChatGPT : il ne peut produire que des arguments moyens, ce qui vous fera rapidement stagner. Faites plutôt appel à quelqu’un qui sait imaginer des arguments solides qui vous obligeront à réfléchir.

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    « 9. Comparez vos idées à celles des plus grands penseurs de l’histoire. »

    ChatGPT peut vous divertir en créant de toutes pièces une pièce de théâtre entre philosophes, mais il n’a pas la capacité de concevoir un exercice aussi complexe de manière à ce que vous puissiez en tirer des enseignements. Suggérez plutôt cette idée à un enseignant, dont c’est le métier.

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    « 10. Améliorez votre écriture en demandant à ChatGPT de vous faire des retours successifs. »

    Il s’agit d’une variante du point 5 sur le fait de solliciter des #avis. Une fois encore, utiliser ChatGPT limitera votre niveau à ce qu’une machine pense être le niveau de l’humain moyen. Faites plutôt appel à vos professeurs, organisez des sessions d’évaluation par les pairs avec vos camarades, et faites en sorte que ces sessions soient itératives si nécessaire.

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    « 11. Utilisez la fonctionnalité #Mode_vocal_avancé de ChatGPT pour en faire un compagnon de #lecture. »

    (« Mode vocal avancé » signifie que ChatGPT vous écoute lire quelque chose à haute voix et tente de répondre à vos questions sur ce que vous venez de lire). Il s’agit d’une variante des points 2-4 concernant le fait de s’informer. ChatGPT n’a pas de capacité de compréhension. Il ne fournira donc pas d’interprétations fiables de ce que vous lisez. À la place, cherchez d’abord la définition des mots que vous ne connaissez pas dans des dictionnaires  ; cherchez des analyses rédigées par des humains pour y trouver des interprétations qui vous aideraient à comprendre ce que vous lisez  ; demandez leur avis à d’autres étudiants travaillant sur le même texte.

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    « 12. Ne vous contentez pas de répéter ce que vous avez déjà fait – améliorez vos compétences. […] Demandez à ChatGPT de vous suggérer des moyens de développer votre capacité à penser de manière critique et à écrire clairement. »

    ChatGPT n’a pas de capacité de compréhension, donc la signification d’expressions comme « pensée critique » et « techniques d’écriture » lui échappent. Prenez ces expressions et entrez-les dans le moteur de recherche du catalogue de la bibliothèque de votre université  ; si vous préférez, demandez conseil à un bibliothécaire. Lisez ce que vous trouvez, et demandez à vos professeurs ce qu’ils en pensent. Pour le reste, rien ne vaut l’entraînement : comme disent les anglophones, practice, practice, practice.

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    Quelques mots de conclusion

    ChatGPT est conçu pour simuler un partenaire de conversation humain. Il s’appuie sur un modèle probabiliste du langage (quel mot est le plus susceptible d’arriver après tel mot) et communique pour communiquer, pour créer l’illusion de la conversation. Il bavarde, tchatche, blablate, indifférent à la signification de ce qu’il dit, indifférent à la vérité. Tout ça est très divertissant mais une attraction de fête foraine n’est pas un outil d’apprentissage fiable, et je pense donc que les étudiants devraient s’en méfier.

    Lorsque des étudiants me posent des questions sur ChatGPT, je mentionne les trois problèmes suivants :

    #éthique : la plupart des modèles de langue ont été construits à partir de données volées  ;
    - #cognition : l’utilisation d’outils comme ChatGPT rend plus dépendant des outils et moins autonome intellectuellement, ainsi que des études ont commencé à le montrer (en voici une réalisée en France)  ;
    #environnement : les coûts énergétiques de l’IA générative sont supérieurs d’un ordre de grandeur à ceux des outils préexistants (et elle n’est même pas rentable, donc on brûle du carburant pour rien).

    C’est généralement suffisant pour faire réfléchir la plupart de mes étudiants. Ce sont des jeunes gens créatifs, ils ont donc de l’empathie pour les créateurs qui ont été spoliés. Pour progresser et obtenir leur diplôme, ils veulent des outils qui leur font gagner du temps, pas des gadgets qui les rendent moins autonomes intellectuellement. Ils sont frappés d’apprendre que ChatGPT consomme dix fois plus d’énergie que Google pour répondre à la même question, généralement en pire (mais Google est en train de rattraper ChatGPT vers le bas).

    La bonne nouvelle, c’est que comme le dit le blogueur Jared White :

    « Vous pouvez littéralement ne pas l’utiliser. […] vous pouvez être un technicien expert et un créateur épanoui, au fait de son époque, très connecté, et rester complètement à l’écart de ce cycle de hype. »

    Si vous avez besoin de plus d’informations sur ce sujet, je vous recommande vivement de consulter le site Need To Know de Baldur Bjarnason (https://needtoknow.fyi). Il s’agit d’une synthèse accessible d’un état de l’art très fouillé sur les risques liés à l’utilisation de l’IA générative. C’est un excellent point de départ. (Et si vous connaissez des ressources similaires en français, je suis preneur.)
    Quelques commentaires supplémentaires
    Suite à la publication de ce billet, j’ai reçu par mail une critique de mon point de vue sur ChatGPT, en particulier l’idée qu’il n’a pas de capacité de compréhension. Je partage ma réponse ci-dessous. Il se peut que d’autres commentaires s’ajoutent ainsi au fil du temps.

    L’idée que ChatGPT n’a pas de capacité de compréhension est discutable. Tout dépend de la définition que l’on donne à « compréhension ». Marcello Vitali-Rosati soutient que le sens n’est pas une prérogative humaine, que les humains ont une forme d’intelligence et que l’IA en a une autre – tout dépend de la façon dont nous définissons les différentes formes d’intelligence. Il évoque le fait que ChatGPT sait faire des choses que les machines ne pouvaient pas faire auparavant mais qu’il échoue à faire d’autres choses que des systèmes plus simples savent faire depuis longtemps. Il serait donc plus juste de dire que ChatGPT possède une forme d’intelligence qui lui est propre, et qui est adaptée à certaines tâches mais pas à d’autres. Marcello mentionne par exemple que ChatGPT peut créer des discours politiques convaincants mais qu’il n’est pas capable de donner la liste des écrits d’un auteur de manière fiable.

    Je suis d’accord avec tout cela. Ça m’amène à préciser un peu les choses : ChatGPT comprend clairement comment communiquer. La manière dont il arrive à cette compréhension est une forme d’intelligence. Le problème, c’est que cette compréhension n’est pas celle qui compte dans un contexte d’apprentissage, de mon point de vue d’enseignant. Comprendre comment communiquer est différent de comprendre une information. C’est fondamental à mes yeux. Et c’est là, à mon avis, que le débat peut véritablement se situer. Quand on fait des études de commerce, ChatGPT est sans doute un outil intéressant pour travailler sur le marketing (même si je pense qu’il vaut mieux y réfléchir soigneusement, du fait des questions éthiques et environnementales). Mais en dehors des domaines dont le matériau principal est le bullshit (tout jugement de valeur mis à part), son utilité est moins évidente.

    Les tâches mentionnées dans le « guide » d’OpenAI font partie de celles où ChatGPT échoue à donner des résultats fiables. ChatGPT n’est pas un système d’information : qu’il passe d’une exactitude de 90 % à 99 %, voire à 99,99 %, ça ne change rien au fait que le risque d’erreur est présent du fait de la nature même de l’outil. On peut légitimement ne pas vouloir prendre ce risque. Quant aux compétences, je crois que les seules personnes qui trouvent ChatGPT bluffant sont celles qui sont moins bonnes que lui dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Regardons les choses en face : ChatGPT est aussi nul que l’humain moyen. Si on s’appuie sur cet outil pour progresser, tout ce qu’on peut faire c’est plafonner dans le moyen.

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    15/11 – Ce billet sur ChatGPT m’a valu une réponse… générée par ChatGPT ! Sur LinkedIn, Francesc Pujol propose une « critique de ma critique », qu’il explique avoir générée via ChatGPT. Je n’ai pas été convaincu par ce qui ressemble beaucoup à une série de vagues déclarations un peu incantatoires sur la valeur supposée de l’outil. À la fin du texte, l’auteur (humain ou machine ?) dit que mon propos illustre une position « réactionnaire » et « déséquilibrée », et suggère que les gens comme moi pensent que les étudiants n’ont pas envie d’apprendre et les profs pas envie d’enseigner. Charmant !

    Pujol ajoute qu’il va faire lire mes objections à OpenAI et sa « critique de ma critique » par quelques personnes, sans leur dire qui a écrit quoi, pour voir qui de moi ou de ChatGPT produit le plus de déclarations un peu vagues… Là aussi, je ne suis pas convaincu. Mes arguments reposent sur une lecture de la littérature critique sur l’IA générative. Dans mon billet, je renvoie notamment à l’état de l’art réalisé par Baldur Bjarnason et son ouvrage The Intelligence Illusion. Escamoter cela, demander aux gens d’évaluer une série de phrases sans contexte, c’est traiter ce qui devrait être une discussion basée sur des faits comme une dégustation à l’aveugle chez un caviste. Ça me semble particulièrement problématique quand le débat porte précisément sur l’information, les sources, les connaissances vérifiables. Je comprends qu’en tant que partisan de l’utilisation de l’IA dans l’enseignement supérieur on ressente le besoin de défendre ses choix. Encore faudrait-il traiter ses opposants avec un minimum de respect et de sérieux intellectuel.

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    17/11 – Deux jours après la publication de ce billet, Marcello a publié « La créativité des LLM » sur son blog. Il y explique le concept de température, qui est une définition formelle de la créativité mise en œuvre par un outil comme ChatGPT. La fin du billet aide à bien cerner sa position dans un débat qui est de nature épistémologique :

    « Ne me faites pas le petit jeu consistant à dire : “mais non, la créativité est plus que ça !” Si vous n’êtes pas capables de définir formellement ce plus, alors cela veut tout simplement dire que vos idées ne sont pas claires. »

    Pour moi les programmes comme ChatGPT ne sont pas informatifs, en tout cas pas de manière suffisamment fiable dans un contexte éducatif : ils comprennent ce qu’est communiquer, pas informer. Par contre, ils relèvent bien du domaine créatif. Si on n’est pas dans un contexte où la fiabilité de l’information est importante, et que par ailleurs on apporte des réponses aux enjeux d’éthique et de coût énergétique, alors je ne m’oppose pas du tout à l’usage créatif des #LLM.

    https://www.arthurperret.fr/blog/2024-11-15-guide-etudiant-ne-pas-ecrire-avec-chatgpt.html

    #enseignement #AI #IA #intelligence #ESR #université

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    signalé aussi par @monolecte :
    https://seenthis.net/messages/1082701

  • Une romance avec l’Hydre (1)
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/faits-divers/une-romance-avec-l-hydre-1

    En librairie : Les Esperados et La vie dans les restes, par Yannick Blanc. Voir ici. __ Voici une plongée en eaux troubles, au temps de l’incendie climatique. Tout n’est peut-être pas faux dans les divagations ici rapportées. Des gens, peut-être, croiront reconnaître une ville, des bois, une rivière, des événements de leur connaissance. Mais si grossièrement, si outrageusement déformés et exagérés ! Certes, il faut parfois grossir pour se faire entendre, et fabuler pour dire le vrai, (…) #Faits_divers

    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/romance_avec_l_hydre_1.pdf

  • Ralentir la traduction ?

    La #traduction_automatique n’a pas été conçue à des fins professionnelles, mais pour produire une traduction moins chère et suffisante. C’est-à-dire, une ubérisation.

    Dans un passionnant article pour la revue Traduire (https://journals.openedition.org/traduire/2869), la traductrice indépendante Laura Hurot explique comment le secteur de la traduction a changé ces dernières années, sous la forme d’une ubérisation silencieuse.

    Nombre d’agences de traduction imposent de travailler sur des plateformes dotées d’un système de #chronométrage intégré qui évalue la #productivité des traductrices et traducteurs. Mais cette #accélération n’affecte pas seulement la phase traductionnelle : des agences recourent également à des systèmes de #révision et de #contrôle_qualité en partie automatisés reposant sur des outils de #catégorisation des erreurs. Ces changements conduisent à une accélération de la productivité et à une perte d’#autonomie, des #savoir-faire et du #bien-être des traducteurs indépendants plateformisés. D’ailleurs, on ne parle plus de traduction, mais de #post-édition, pour désigner une #correction de traduction automatique, dont la conséquence première est de lisser les #tarifs de traduction vers le bas.

    Dans un article plus récent de la même revue, le collectif en chair et en os, qui défend une traduction humaine contre la généralisation des machines, souligne que dans l’édition, la traduction automatique touche d’abord certains genres littéraires dont la langue n’est pas plus facile à prendre en charge par la machine, mais des genres qui sont périphériques dans la hiérarchie culturelle et où la #précarité est depuis longtemps plus forte (les secteurs de la romance, des livres pratiques, des livres pour les jeunes ou des sciences humaines sociales sont également des secteurs où les rémunérations sont moindres et les statuts plus précaires… et ils se sont précarisés avec la forte #féminisation du secteur depuis les années 80). Et les auteurs de rappeler qu’“un outil développé puis déployé à des fins d’économie n’est pas qu’un outil : il est l’élément d’un système”. Et de rappeler que la traduction automatique n’a pas été conçue à des fins professionnelles mais pour produire une traduction moins chère et suffisante. Pour les acteurs de la tech, traduire un texte consiste en effet à le transposer en miroir, dans une vision purement mathématique, en remplaçant simplement un mot par un autre mot, même si désormais ces agencements sont largement statistiques. Ce n’est pourtant pas si simple, surtout quand les textes sont complexes et les langues rares, comme le pointent les limites à l’utilisation croissante d’outils de traduction automatiques pour accomplir des tâches trop complexes pour eux, comme pour remplir des formulaires de demandes d’asiles sans maîtrise de la langue, conduisant à des erreurs multiples et aux rejets massives des demandes.

    Il n’y a pas que la traduction depuis des langues rares qui se révèle complexe, dans leur numéro de décembre, les Cahiers du Cinéma revenaient, à la suite d’une tribune de l’Association des traducteurs et adaptateurs de l’audiovisuel (Ataa), sur la perte de qualité des #sous-titres des films, trop souvent réalisés automatiquement. Le problème n’est pas seulement économique et lié au fait que le sous-titrage ou le #doublage viennent en bout de chaîne de la production, qui échappe souvent à la production, que de savoir à qui elle incombe : producteur, distributeur, diffuseur… Un conflit de responsabilité qui permet de justifier la perte de qualité. Le plus fascinant pourtant est de constater combien la traduction automatique échoue sur des phrases assez simples, même depuis l’anglais. Ainsi cet « How’s my room ? » traduit par « Comment va ma chambre ? » au lieu de « Où en est ma chambre ?« , nous montrant toutes les limites de l’approche de la traduction statistique, qui se révèle bien moins performante qu’on ne le pense souvent.

    L’observatoire de la traduction automatique (https://www.atlas-citl.org/lobservatoire-de-la-traduction-automatique) rappelait récemment que sa tribune de 2023 demandant la transparence réelle des données d’entraînements de l’#IA_générative, la possibilité de refuser que le travail de traduction serve à l’entraînement des machines qui détruisent le métier, que les aides publiques soient exclusivement réservées aux créations humaines ou que les produits culturels créés avec de l’IA soient obligatoirement signalés… n’avait toujours reçu aucune réponse des autorités.

    Signalons enfin que le 10e numéro de la revue Contrepoint, la revue du Conseil européen des associations de traducteurs littéraires, est entièrement consacré à la question de la traduction sous IA. Pour Damien Hansen, qui rappelle que la traduction automatique reste incapable de comprendre le texte, “le problème n’est pas tant l’outil en soi que le fait qu’on l’impose aux professionnels et qu’on l’emploie pour des raisons purement économiques”. Plutôt que de venir aider et soutenir le traducteur, la traduction automatique est produite pour le contraindre voire le faire disparaître. L’utilisation de l’IA comme outil de contrôle montre à nouveau que leur orientation vers des outils de contrainte plutôt que d’assistance, contrairement à ce qui nous est asséné, risque de devenir une limite forte à son développement.

    Dans son article, Laura Hurot, rappelle, à la suite du livre du spécialiste de la cognition, Olivier Houdé, L’intelligence humaine n’est pas un algorithme (Odile Jacob, 2019), que la clé de l’intelligence réside certainement bien plus dans le #ralentissement de la pensée plutôt que dans son accélération. A l’heure où la #vitesse est une idole indétrônable, il faudrait pouvoir mieux mesurer ce qu’elle nous fait perdre.

    https://danslesalgorithmes.net/2025/01/16/ralentir-la-traduction

    #traduction #AI #IA #intelligence_artificielle #ubérisation #travail #conditions_de_travail #automatisation

    via @reka

  • Marseille : loi contre les pannes d’ascenseur Annie Vergnenegre - francetvinfo.fr/

    Le projet de loi du député de l’Eure, Philippe Brun, sera présenté à l’Assemblée nationale le 23 janvier par le député PS marseillais, Laurent Lhardit.
    L’objectif de ce texte est d’obliger les sociétés d’entretien et de maintenance à réparer les ascenseurs en panne dans des délais rapides, alors que certains appareils restent souvent plusieurs mois hors d’état.

    Des obligations de délais et des sanctions pour non-respect
    Le premier article de la loi proposition de loi prévoit en premier lieu « une obligation d’information ». « En cas de panne d’ascenseur ou de danger pouvant affecter tant les occupants que les tiers », le propriétaire de l’immeuble, qu’il soit bailleur social ou syndic en cas de copropriété, aura deux jours ouvrés pour signaler la panne à l’ascensoriste de l’immeuble concerné.


    À compter de cette notification, la société de maintenance aura « une obligation de réactivité » : deux jours ouvrés pour intervenir et huit jours ouvrés pour régler le sinistre, sauf motif impérieux.

    En cas de non-respect de ces obligations, une astreinte de 1 000 euros sera appliquée par jour de retard. 

    Ces obligations de délais devraient entrer en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2026.

    Une obligation de constituer des stocks

    Pour expliquer les délais interminables de réparation, les ascensoristes mettent notamment en avant les délais d’attente pour disposer des pièces, souvent produites à l’étranger. Or le zéro stock est un moyen pour ces grosses sociétés de réduire leurs coûts de fonctionnement. Avec cette loi, les opérateurs auront l’obligation de constituer et de maintenir des stocks de pièces permettant de répondre concrètement à ces nouvelles obligations. 

    Le non‑respect de cette obligation est passible d’une amende pénale, dont le montant est au minimum 1 % du chiffre d’affaires mondial de la société, porté à 3 % en cas de récidive.

    En l’absence de régularisation dans un délai de six mois à compter de la notification, l’opérateur risque une amende administrative pouvant aller jusqu’à 300 000 euros, 1 500 000 euros en cas de récidive.

    Cette obligation de stocks devrait entrer en vigueur au 1ᵉʳ juillet 2026.
    . . . . .
    Une obligation d’accompagner les résidents à mobilité réduite
    Si la société de maintenance ne peut résoudre le sinistre dans les deux jours ouvrés, elle devra proposer au propriétaire de l’immeuble, à ses frais, un système de portage pour accompagner les occupants à mobilité réduite afin d’assurer leur ravitaillement alimentaire ou leur accès aux soins. 

    Le texte de loi prévoit par ailleurs que les communes pourront se substituer aux sociétés défaillantes pour mettre en œuvre ces mesures d’accompagnement, et se faire rembourser auprès d’elles leurs frais engagés. 

    La fédération des ascensoristes opposée au texte
    Source et suite : https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/ce-qu-il-faut-retenir-de-la-proposition-de-loi-pour-lut

    #ps #logement #SAV #panne #maintenance #loi #accessibilité

  • 13.06.2007 : Un clandestin a été retrouvé mort dans un camion en Savoie
    (pour archivage, c’est un cas de 2007)

    Il était caché dans la coque d’un bateau…

    Des salariés, qui protestaient près du péage de #Saint-Michel-de-Maurienne (A43) contre la désindustrialisation de la vallée, ont entendu un bruit suspect alors qu’ils passaient à côté de la coque d’un bateau transporté en camion. Ils ont découvert, cachés dans la coque, quatre personnes, passagers clandestins. L’un d’eux était mort, les trois autres très affaiblis. A tel point que la foule s’est indignée quand les gendarmes ont sorti les menottes.

    D’après l’un des témoins, les clandestins « paraissaient très jeunes, environ une vingtaine d’années et ils étaient très maigres ». Les manifestants ont indiqué qu’ils étaient de « type indien ou pakistanais ». Les gendarmes ne connaissent pas encore la nationalité des quatre hommes. Ils savent cependant qu’ils sont partis de Grèce.

    https://www.20minutes.fr/france/164260-20070613-clandestin-ete-retrouve-mort-camion-savoie

    #frontière_sud-alpine #migrations #réfugiés #Savoie #France #Italie #morts_aux_frontières #mourir_aux_frontières

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    Ajouté au fil de discussion sur les personnes en situation migratoire mortes à la frontière dite « haute » (#Mongenèvre, #Val_Susa, #Col_de_l'Echelle, #Bardonecchia, #Oulx, #Briançon) entre la #France et l’Italie :
    https://seenthis.net/messages/800822

    • Un clandestin retrouvé mort dans un camion

      Trois autres clandestins se trouvaient à bord. La découverte macabre a été faite sur l’autoroute A43 à hauteur de Saint-Michel-de-Maurienne.

      Un passager clandestin a été retrouvé mort mercredi après-midi 13 juin dans un camion qui transportait trois autres clandestins, sur l’autoroute A43 à hauteur de Saint-Michel-de-Maurienne (Savoie), a annoncé la gendarmerie.

      Les clandestins, dont on ignore le pays d’origine, avaient trouvé refuge dans la coque d’un bateau transporté par le camion provenant d’Italie.

      Le véhicule, qui venait d’emprunter le tunnel du Fréjus, avait été bloqué au niveau du péage de Saint-Michel-de-Maurienne (Savoie) par quelque 300 salariés, qui manifestaient contre la désindustrialisation de leur vallée.

      En passant à côté du camion vers 15H30, les manifestants ont entendu du bruit dans la coque et ont donné l’alerte.

      L’un des manifestants, pompier volontaire de son état, a tenté de ranimer un des clandestins, sans résultat, a-t-on appris auprès de l’un des salariés.

      Les trois survivants avaient très chaud et étaient très fatigués, a précisé la gendarmerie.

      Selon les pompiers, trois ambulances et deux équipes médicales d’urgence ont été envoyées sur les lieux. (AFP)

      https://www.nouvelobs.com/societe/20070613.OBS1729/un-clandestin-retrouve-mort-dans-un-camion.html

  • Thomas Midgley, le chimiste qui voulait “aider l’humanité” est à l’origine de deux des pires pollutions du XXᵉ siècle
    https://www.nouvelobs.com/histoire/20241230.OBS98434/thomas-midgley-le-chimiste-qui-voulait-aider-l-humanite-est-a-l-origine-d

    Entre hubris et lobbying : comment les inventions malsaines sont finalement commercialisées et détruisent la planète.

    Série Ce chimiste développa l’essence au plomb et le fréon. Le premier engendra une pollution de cinquante ans. Le second un trou dans la couche d’ozone.

    Pour aller plus loin
    Marie Mallon, David Blair, Thomas Midgley, Philip Zimbardo, William McGonagall, Herostratus.

    Dossier « Les boulets de l’histoire », notre série sur ces gaffeurs, honnêtes ou pas, dont les actions bouleversèrent le monde

    En accès libre

    « Son intention était d’aider l’humanité – mais deux de ses plus grandes inventions menacèrent la vie sur Terre. Finalement, il fut lui-même tué par sa dernière trouvaille. » Peu d’humains sur cette planète peuvent se vanter d’une telle élégie (prononcée en 2015, par l’un de ses collègues mi-admiratif mi-amusé). Le chimiste Thomas Midgley n’est pas très connu du grand public. Il a pourtant eu une importance énorme dans l’histoire industrielle du XXᵉ siècle, par le biais de deux inventions qu’il développa coup sur coup : l’essence au plomb et le fréon. La première servit à améliorer la combustion dans les moteurs et à augmenter la puissance des voitures. La seconde fut essentielle pour la réfrigération et la propulsion des aérosols dans les sprays. Les deux furent des polluants majeurs, qu’il fallut des années pour éliminer.

    Né en 1889 en Pennsylvanie, Thomas Midgley sort de l’université de Cornell en 1911 avec un diplôme en ingénierie mécanique. Esprit brillant, inventeur compulsif, il se distingua par exemple par l’installation de protocoles domotiques : une alarme en cas de vent trop violent, un système de déclenchement à distance pour arroser sa pelouse, etc. Au cours de sa carrière, il aurait déposé plus d’une centaine de brevets. En 1916, il commence à travailler pour General Motors. L’entreprise cherche alors une manière de régler le problème des « cliquetis » dans ses moteurs, un phénomène extrêmement désagréable pour les automobilistes, et même dangereux puisque de trop violentes secousses pouvaient vous faire dévier de votre trajectoire.

    Publicité

    En 1921, après s’être aperçu grâce à une mini-caméra que ces tremblements venaient d’une mauvaise combustion, après avoir testé des milliers de composés et s’être formé sur le tas à la chimie, le jeune ingénieur propose une solution : l’ajout de plomb tétraéthyle dans les carburants. Deux ans plus tard, ce mélange est commercialisé sous un nom plus vendeur : « l’Ethyl ». L’année suivante, General Motors, Dupont et Standard Oil fondent ensemble The Ethyl Corporation, avec Midgley et son collègue Charles Kettering à sa tête. Pendant les cinquante années qui vont suivre, des milliers de milliards de litres de ces essences vont être brûlés dans les voitures du monde entier. Ce n’est qu’en 1970 que les autorités commenceront à limiter cet additif dont les effets s’avèrent désastreux sur la santé.
    Publicité de 1933 pour le carburant Ethyl, qui fait « durer votre vieille voiture plus longtemps ». Sur l’affiche : « Mon Dieu, papa, ils te dépassent tous ».

    Publicité de 1933 pour le carburant Ethyl, qui fait « durer votre vieille voiture plus longtemps ». Sur l’affiche : « Mon Dieu, papa, ils te dépassent tous ». MARY EVANS/SIPA
    Pompe à essence distribuant de l’Ethyl, carburant à base de plomb.

    Pompe à essence distribuant de l’Ethyl, carburant à base de plomb. SUPERSTOCK/SIPA

    Toujours dans les années 1920, toujours à General Motors, Midgley est mis devant un autre défi : trouver de nouveaux fluides frigorigènes pour la section « Frigidaire » de l’entreprise (propriétaire de la marque à l’époque). Les gaz réfrigérants sont alors instables et dangereux, à tel point que des explosions mortelles émaillent l’actualité. Avec des collègues, Midgley parvient à synthétiser ce que l’on appellera le « fréon », que les chimistes connaissent sous le nom de chlorofluorocarbures (CFC). Ce gaz est adopté avec gourmandise par l’industrie, en particulier par la multinationale DuPont, alors liée financièrement à General Motors. En 1930, devant ses collègues, Midgley joue au magicien : il inhale du gaz et souffle sur une bougie, ce qui prouve théoriquement l’innocuité de son invention. Il fallut attendre les années 1970 pour qu’on commence à comprendre que les CFC étaient destructeurs pour la couche d’ozone, qui nous protège des ultraviolets du Soleil. Ce n’est qu’en 1987 que le protocole de Montréal prévoira la fin de son exploitation industrielle.
    Publicité française de 1931 pour la marque Frigidaire, alors propriété de General Motors et utilisant le gaz chlorofluorocarbures, nocif pour la couche d’ozone.

    Publicité française de 1931 pour la marque Frigidaire, alors propriété de General Motors et utilisant le gaz chlorofluorocarbures, nocif pour la couche d’ozone. PHOTO12 VIA AFP
    https://www.nouvelobs.com/histoire/20241230.OBS98434/thomas-midgley-le-chimiste-qui-voulait-aider-l-humanite-est-a-l-origine-d

    Deux inventions, deux pollutions. On pourrait penser qu’il n’y a là qu’un triste exemple de créations qui échappent à leurs créateurs. Hélas, l’histoire est plus triste, plus croquignolesque aussi. La toxicité du plomb était déjà connue dans les années 1920. Dès l’Antiquité, on avait remarqué que l’eau transportée par des conduits faits de ce métal empoisonnait ceux qui la buvaient. Quand le plomb tétraéthyle (PTE) est découvert par un chimiste allemand, en 1854, il n’est pas mis sur le marché du fait de sa « nature mortelle avérée ». Tout cela n’a pas empêché General Motors de s’entêter dans cette direction, malgré l’existence d’autres additifs possibles, comme l’éthanol.
    Les « fanatiques de la santé »

    Dans les usines qui commencent à produire ces carburants, des ouvriers ont des hallucinations, voient des papillons, voire décèdent après être descendus dans une spirale de folie autodestructrice. Tout cela ne trouble guère l’inventeur qui estime qu’une contamination du grand public est « pratiquement impossible, car personne ne se couvrira les mains à plusieurs reprises d’essence contenant du plomb tétraéthyle – cela pique et brûle… Les gaz d’échappement ne contiennent pas suffisamment de plomb pour que l’on s’en préoccupe ».
    Dr. Thomas Midgley Jr.

    Dr. Thomas Midgley Jr. FARM SECURITY ADMINISTRATION/LIBRARY OF CONGRESS

    S’il y a des régulations, elles viendront, soupire-t-il, des concurrents jaloux ou de « fanatiques de la santé ». Midgley lui-même dut se mettre en retrait quelques mois après un empoisonnement au plomb. Il prend avec légèreté les symptômes qu’il ressent : « Le remède à ce mal n’est pas seulement extrêmement simple, il est aussi très délectable. Il s’agit de faire ses valises, de monter dans un train et de chercher un terrain de golf approprié dans l’Etat de Floride. » Sincère ou de mauvaise foi ? Saura-t-on jamais ? En 1924, lors d’une conférence de presse, il se lave les mains avec un jerrycan de plomb tétraéthyle. Pendant des années, General Motors utilisa tous les leviers à sa disposition pour empêcher que l’évidence – ces essences étaient toxiques – ne se transforme en interdiction.

    Pour ce qui est des CFC, si la fluorine était connue pour sa dangerosité, sa re-combinaison la stabilisait et il fallut des années pour s’apercevoir de ses effets sur l’ozone. Des historiens ont même tenté de contraster ces deux polluants, d’en faire des modèles des grandes menaces qui pèsent sur l’humanité au XXIᵉ siècle : la première provoque un mal connu que le lobbying tente de minimiser, le second génère une chaîne d’événements invisibles qui s’avèrent catastrophiques. Midgley lui-même n’aura jamais l’occasion de comprendre qu’il a déchaîné des forces prométhéennes. Atteint par la polio en 1940, il finit en chaise roulante. Sa furie d’inventions se poursuit : il imagine un système de poulies et de câbles pour se coucher dans son lit. C’est là qu’on le retrouvera mort, en 1944, étranglé dans les câbles. Accident ou suicide ? Quoi qu’il en soit, Thomas Midgley est mort tué par une de ses inventions.

    #Plomb #Essence #Pollution #CFC #Couche_ozone #Savants_fous

  • #Pierre_Gaussens, sociologue : « Les #études_décoloniales réduisent l’Occident à un ectoplasme destructeur »

    Le chercheur détaille, dans un entretien au « Monde », les raisons qui l’ont conduit à réunir, dans un livre collectif, des auteurs latino-américains de gauche qui critiquent les #fondements_théoriques des études décoloniales.

    S’il passe son année en France comme résident à l’Institut d’études avancées de Paris, Pierre Gaussens évolue comme sociologue au Collège du Mexique, à Mexico, établissement d’enseignement supérieur et de recherche en sciences humaines. C’est d’Amérique latine qu’il a piloté, avec sa collègue #Gaya_Makaran, l’ouvrage Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle (L’Echappée, 256 pages, 19 euros), regroupant des auteurs anticoloniaux mais critiques des études décoloniales et de leur « #stratégie_de_rupture ».

    Que désignent exactement les études décoloniales, devenues un courant très controversé ?

    Les études décoloniales ont été impulsées par le groupe Modernité/Colonialité, un réseau interdisciplinaire constitué au début des années 2000 par des intellectuels latino-américains, essentiellement basés aux Etats-Unis. Il comptait, parmi ses animateurs les plus connus, le sociologue péruvien #Anibal_Quijano (1928-2018), le sémiologue argentin #Walter_Mignolo, l’anthropologue américano-colombien #Arturo_Escobar, ou encore le philosophe mexicain d’origine argentine #Enrique_Dussel (1934-2023). Les études décoloniales sont plurielles, mais s’articulent autour d’un dénominateur commun faisant de 1492 une date charnière de l’histoire. L’arrivée en Amérique de Christophe Colomb, inaugurant la #colonisation_européenne, aurait marqué l’entrée dans un schéma de #pouvoir perdurant jusqu’à aujourd’hui. Ce schéma est saisi par le concept central de « #colonialité », axe de #domination d’ordre racial qui aurait imprégné toutes les sphères – le pouvoir, le #savoir, le #genre, la #culture.

    Sa substance est définie par l’autre concept phare des études décoloniales, l’#eurocentrisme, désignant l’hégémonie destructrice qu’aurait exercée la pensée occidentale, annihilant le savoir, la culture et la mythologie des peuples dominés. Le courant décolonial se fonde sur ce diagnostic d’ordre intellectuel, mais en revendiquant dès le début une ambition politique : ce groupe cherchait à se positionner comme une avant-garde en vue d’influencer les mouvements sociaux et les gouvernements de gauche latino-américains. Il est ainsi né en critiquant les #études_postcoloniales, fondées dans les années 1980 en Inde avant d’essaimer aux Etats-Unis. Les décoloniaux vont leur reprocher de se cantonner à une critique « scolastique », centrée sur des études littéraires et philosophiques, et dépourvue de visée politique.

    Pourquoi avoir élaboré cet ouvrage collectif visant à critiquer la « #raison_décoloniale » ?

    Ce projet venait d’un double ras-le-bol, partagé avec ma collègue Gaya Makaran, de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Nous étions d’abord agacés par les faiblesses théoriques des études décoloniales, dont les travaux sont entachés de #simplisme et de #concepts_bancals enrobés dans un #jargon pompeux et se caractérisant par l’#ignorance, feinte ou volontaire, de tous les travaux antérieurs en vue d’alimenter une stratégie de #rupture. Celle-ci a fonctionné, car la multiplication des publications, des revues et des séminaires a permis au mouvement de gagner en succès dans le champ universitaire. Ce mouvement anti-impérialiste a paradoxalement profité du fait d’être basé dans des universités américaines pour acquérir une position de force dans le champ académique.

    La seconde raison tenait à notre malaise face aux effets des théories décoloniales. Que ce soient nos étudiants, les organisations sociales comme les personnes indigènes rencontrées sur nos terrains d’enquête, nous constations que l’appropriation de ces pensées menait à la montée d’un #essentialisme fondé sur une approche mystifiée de l’#identité, ainsi qu’à des #dérives_racistes. Il nous semblait donc crucial de proposer une critique d’ordre théorique, latino-américaine et formulée depuis une perspective anticolonialiste. Car nous partageons avec les décoloniaux le diagnostic d’une continuité du fait colonial par-delà les #décolonisations, et le constat que cette grille de lecture demeure pertinente pour saisir la reproduction des #dominations actuelles. Notre ouvrage, paru initialement au Mexique en 2020 [Piel Blanca, Mascaras Negras. Critica de la Razon Decolonial, UNAM], présente donc un débat interne à la gauche intellectuelle latino-américaine, qui contraste avec le manichéisme du débat français, où la critique est monopolisée par une droite « #antiwoke ».

    Le cœur de votre critique se déploie justement autour de l’accusation d’« essentialisme ». Pourquoi ce trait vous pose-t-il problème ?

    En fétichisant la date de #1492, les études décoloniales procèdent à une rupture fondamentale qui conduit à un manichéisme et une réification d’ordre ethnique. L’Occident, porteur d’une modernité intrinsèquement toxique, devient un ectoplasme destructeur. Cette #satanisation produit, en miroir, une #idéalisation des #peuples_indigènes, des #cosmologies_traditionnelles et des temps préhispaniques. Une telle lecture crée un « #orientalisme_à_rebours », pour reprendre la formule de l’historien #Michel_Cahen [qui vient de publier Colonialité. Plaidoyer pour la précision d’un concept, Karthala, 232 pages, 24 euros], avec un #mythe stérile et mensonger du #paradis_perdu.

    Or, il s’agit à nos yeux de penser l’#hybridation et le #métissage possibles, en réfléchissant de façon #dialectique. Car la #modernité a aussi produit des pensées critiques et émancipatrices, comme le #marxisme, tandis que les coutumes indigènes comportent également des #oppressions, notamment patriarcales. Cette #focalisation_ethnique empêche de penser des #rapports_de_domination pluriels : il existe une #bourgeoisie_indigène comme un #prolétariat_blanc. Cette essentialisation suscite, en outre, un danger d’ordre politique, le « #campisme », faisant de toute puissance s’opposant à l’Occident une force par #essence_décoloniale. La guerre menée par la Russie en Ukraine montre à elle seule les limites d’une telle position.

    En quoi le positionnement théorique décolonial vous semble-t-il gênant ?

    La stratégie de rupture du mouvement conduit à plusieurs écueils problématiques, dont le principal tient au rapport avec sa tradition théorique. Il procède à des récupérations malhonnêtes, comme celle de #Frantz_Fanon (1925-1961). Les décoloniaux plaquent leur grille de lecture sur ce dernier, gommant la portée universaliste de sa pensée, qui l’oppose clairement à leur geste critique. Certains se sont rebellés contre cette appropriation, telle la sociologue bolivienne #Silvia_Rivera_Cusicanqui, qui a accusé Walter Mignolo d’avoir détourné sa pensée.

    Sur le plan conceptuel, nous critiquons le galimatias linguistique destiné à camoufler l’absence de nouveauté de certains concepts – comme la « colonialité », qui recoupe largement le « #colonialisme_interne » développé à la fin du XXe siècle – et, surtout, leur faiblesse. Au prétexte de fonder un cadre théorique non eurocentrique, les décoloniaux ont créé un #jargon en multipliant les notions obscures, comme « #pluriversalisme_transmoderne » ou « #différence_transontologique », qui sont d’abord là pour simuler une #rupture_épistémique.

    Votre critique s’en prend d’ailleurs à la méthode des études décoloniales…

    Les études décoloniales ne reposent sur aucune méthode : il n’y a pas de travail de terrain, hormis chez Arturo Escobar, et très peu de travail d’archives. Elles se contentent de synthèses critiques de textes littéraires et théoriques, discutant en particulier des philosophes comme Marx et Descartes, en s’enfermant dans un commentaire déconnecté du réel. Il est d’ailleurs significatif qu’aucune grande figure du mouvement ne parle de langue indigène. Alors qu’il est fondé sur la promotion de l’#altérité, ce courant ne juge pas nécessaire de connaître ceux qu’il défend.

    En réalité, les décoloniaux exploitent surtout un #misérabilisme en prétendant « penser depuis les frontières », selon le concept de Walter Mignolo. Ce credo justifie un rejet des bases méthodologiques, qui seraient l’apanage de la colonialité, tout en évacuant les critiques à son égard, puisqu’elles seraient formulées depuis l’eurocentrisme qu’ils pourfendent. Ce procédé conduit à un eurocentrisme tordu, puisque ces auteurs recréent, en l’inversant, le « #privilège_épistémique » dont ils ont fait l’objet de leur critique. Ils ont ainsi construit une bulle destinée à les protéger.

    Sur quelle base appelez-vous à fonder une critique de gauche du colonialisme ?

    En opposition aux penchants identitaires des décoloniaux, nous soutenons le retour à une approche matérialiste et #dialectique. Il s’agit de faire dialoguer la pensée anticoloniale, comme celle de Frantz Fanon, avec l’analyse du #capitalisme pour renouer avec une critique qui imbrique le social, l’économie et le politique, et pas seulement le prisme culturel fétichisé par les décoloniaux. Cette #intersectionnalité permet de saisir comment les pouvoirs néocoloniaux et le capitalisme contemporain reproduisent des phénomènes de #subalternisation des pays du Sud. Dans cette perspective, le #racisme n’est pas un moteur en soi, mais s’insère dans un processus social et économique plus large. Et il s’agit d’un processus historique dynamique, qui s’oppose donc aux essentialismes identitaires par nature figés.

    « Critique de la raison décoloniale » : la dénonciation d’une « #imposture »

    Les études décoloniales constitueraient une « #contre-révolution_intellectuelle ». L’expression, d’ordinaire réservée aux pensées réactionnaires, signale la frontalité de la critique, mais aussi son originalité. Dans un débat français où le label « décolonial » est réduit à un fourre-tout infamant, cet ouvrage collectif venu d’Amérique latine apporte un bol d’air frais. Copiloté par Pierre Gaussens et Gaya Makaran, chercheurs basés au Mexique, Critique de la raison décoloniale (L’Echappée, 256 pages, 19 euros) élève le débat en formulant une critique d’ordre théorique.

    Six textes exigeants, signés par des chercheurs eux-mêmes anticoloniaux, s’attachent à démolir ce courant, qualifié d’« imposture intellectuelle ». Les deux initiateurs du projet ouvrent l’ensemble en ramassant leurs griefs : l’essentialisation des peuples à travers un prisme culturel par des auteurs qui « partagent inconsciemment les prémisses de la théorie du choc des civilisations ». Les quatre contributions suivantes zooment sur des facettes des études décoloniales, en s’attaquant notamment à la philosophie de l’histoire qui sous-tend sa lecture de la modernité, à quelques-uns de ses concepts fondamentaux (« pensée frontalière », « colonialité du pouvoir »…) et à son « #ontologie de l’origine et de la #pureté ». Un dernier texte plus personnel de la chercheuse et activiste Andrea Barriga, ancienne décoloniale fervente, relate sa désillusion croissante à mesure de son approfondissement de la pensée d’Anibal Quijano, qui lui est finalement apparue comme « sans consistance ».

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/24/pierre-gaussens-sociologue-les-etudes-decoloniales-reduisent-l-occident-a-un
    #décolonial

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    • En complément :
      https://lvsl.fr/pourquoi-lextreme-droite-sinteresse-aux-theories-decoloniales

      L’extrême droite veut décoloniser. En France, les intellectuels d’extrême droite ont pris l’habitude de désigner l’Europe comme la victime autochtone d’une « colonisation par les immigrés » orchestrée par les élites « mondialistes ». Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement », a même fait l’éloge des grands noms de la littérature anticoloniale – « tous les textes majeurs de la lutte contre la colonisation s’appliquent remarquablement à la France, en particulier ceux de Frantz Fanon » – en affirmant que l’Europe a besoin de son FLN (le Front de Libération Nationale a libéré l’Algérie de l’occupation française, ndlr). Le cas de Renaud Camus n’a rien d’isolé : d’Alain de Benoist à Alexandre Douguine, les figures de l’ethno-nationalisme lisent avec attention les théoriciens décoloniaux. Et ils incorporent leurs thèses, non pour contester le système dominant, mais pour opposer un capitalisme « mondialiste », sans racines et parasitaire, à un capitalisme national, « enraciné » et industriel.

      Article originellement publié dans la New Left Review sous le titre « Sea and Earth », traduit par Alexandra Knez pour LVSL.

    • Les pensées décoloniales d’Amérique latine violemment prises à partie depuis la gauche

      Dans un livre collectif, des universitaires marxistes dénoncent l’« imposture » des études décoloniales, ces théories qui tentent de déconstruire les rapports de domination en Amérique latine. Au risque de la simplification, répondent d’autres spécialistes.

      PourPour une fois, la critique ne vient pas de la droite ou de l’extrême droite, mais de courants d’une gauche marxiste que l’on n’attendait pas forcément à cet endroit. Dans un livre collectif publié en cette fin d’année, Critique de la raison décoloniale (L’échappée), une petite dizaine d’auteur·es livrent une charge virulente à l’égard des études décoloniales, tout à la fois, selon eux, « imposture », « pensée ventriloque », « populisme » et « contre-révolution intellectuelle ».

      Le champ décolonial, surgi dans les années 1990 sur le continent américain autour de penseurs comme Aníbal Quijano (1928-2018), reste confidentiel en France. Ce sociologue péruvien a forgé le concept de « colonialité du pouvoir », qui renvoie aux rapports de domination construits à partir de 1492 et le début des « conquêtes » des Européens aux Amériques. Pour ces intellectuel·les, les vagues d’indépendances et de décolonisations, à partir du XIXe siècle, n’ont pas changé en profondeur ces rapports de domination.

      La première génération des « décoloniaux » sud-américains, autour de Quijano, de l’historien argentino-mexicain Enrique Dussel (1934-2023) et du sémiologue argentin Walter Mignolo (né en 1941), a développé à la fin des années 1990 un programme de recherche intitulé « Modernité/Colonialité/Décolonialité » (M/C/D). Ils ont analysé, souvent depuis des campus états-uniens, la « colonialité », non seulement du « pouvoir », mais aussi des « savoirs » et de « l’être ».

      Pour eux, 1492 est un moment de bascule, qui marque le début de la « modernité » (le système capitaliste, pour le dire vite) et de son revers, la « colonialité » : le système capitaliste et le racisme sont indissociables. Selon ces auteurs, « le socle fondamental de la modernité est le “doute méthodique” jeté sur la pleine humanité des Indiens », doute qui deviendra un « scepticisme misanthrope systématique et durable » jusqu’à aujourd’hui, expliquent Philippe Colin et Lissell Quiroz dans leur ouvrage de synthèse sur les Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine, publié en 2023 (éditions de La Découverte).

      « Au-delà des indéniables effets de mode, la critique décoloniale est devenue l’un des paradigmes théoriques incontournables de notre temps », écrivent encore Colin et Quiroz. Depuis la fin des années 1990, cette manière de critiquer le capitalisme, sans en passer par le marxisme, s’est densifiée et complexifiée. Elle a été reprise dans la grammaire de certains mouvements sociaux, et récupérée aussi de manière rudimentaire par certains gouvernements étiquetés à gauche.

      C’est dans ce contexte qu’intervient la charge des éditions L’échappée, qui consiste dans la traduction de six textes déjà publiés en espagnol (cinq au Mexique en 2020, un autre en Argentine en 2021). Parmi eux, Pierre Gaussens et Gaya Makaran, deux universitaires basé·es à Mexico, l’un Français, l’autre Polonaise, s’en prennent à ces « discours académiques qui veulent parler à la place des subalternes » et dénoncent une « représentation ventriloque des altérités ».

      Préoccupé·es par l’influence grandissante des théories décoloniales dans leur milieu universitaire, Gaussens et Makaran veulent exposer leurs « dangers potentiels ». Dont celui de contribuer à « justifier des pratiques discriminatoires et excluantes, parfois même ouvertement racistes et xénophobes, dans les espaces où celles-ci parviennent à rencontrer un certain écho, surtout à l’intérieur du monde étudiant ».

      Les critiques formulées par ces penseurs d’obédience marxiste sont légion. Ils et elles reprochent une manière de penser l’Europe de manière monolithique, comme un seul bloc coupable de tous les maux – au risque d’invisibiliser des luttes internes au continent européen. Ils contestent la focalisation sur 1492 et jugent anachronique la référence à une pensée raciale dès le XVe siècle.

      De manière plus globale, ils dénoncent un « biais culturaliste », qui accorderait trop de place aux discours et aux imaginaires, et pas assez à l’observation de terrain des inégalités économiques et sociales ou encore à la pensée de la forme de l’État au fil des siècles. « L’attention qu’ils portent aux identités, aux spécificités culturelles et aux “cosmovisions” les conduit à essentialiser et à idéaliser les cultures indigènes et les peuples “non blancs”, dans ce qui en vient à ressembler à une simple inversion de l’ethnocentrisme d’origine européenne », écrit le journaliste Mikaël Faujour dans la préface de l’ouvrage.

      Ils critiquent encore le soutien de certains auteurs, dont Walter Mignolo, à Hugo Chávez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie – ce que certains avaient désigné comme une « alliance bolivarienne-décoloniale », au nom de laquelle ils ont pu soutenir des projets néo-extractivistes sur le sol des Amériques pourtant contraires aux intérêts des populations autochtones.

      Dans une recension enthousiaste qu’il vient de publier dans la revue Esprit, l’anthropologue Jean-Loup Amselle parle d’un livre qui « arrive à point nommé ». Il critique le fait que les décoloniaux ont « figé », à partir de 1492, l’Europe et l’Amérique en deux entités « hypostasiées dans leurs identités respectives ». « Pour les décoloniaux, insiste Amselle, c’est le racisme qui est au fondement de la conquête de l’Amérique, bien davantage que les richesses qu’elle recèle, et c’est le racisme qui façonne depuis la fin du XVe siècle le monde dans lequel on vit. »

      La parole d’Amselle importe d’autant plus ici qu’il est l’un des tout premiers, depuis la France, à avoir critiqué les fondements de la pensée décoloniale. Dans L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes (Seuil, 2008), il consacrait déjà plusieurs pages critiques en particulier de la pensée « culturaliste », essentialiste, de Walter Mignolo lorsque ce dernier pense le « post-occidentalisme ».

      À la lecture de Critique de la raison décoloniale, si les critiques sur les partis pris téléologiques dans certains travaux de Walter Mignolo et Enrique Dussel visent juste, la virulence de la charge interroge tout de même. D’autant qu’elle passe presque totalement sous silence l’existence de critiques plus anciennes, par exemple sur le concept de « colonialité du pouvoir », en Amérique latine.

      Dans une recension publiée dans le journal en ligne En attendant Nadeau, l’universitaire David Castañer résume la faille principale du livre, qui « réside dans l’écart entre ce qu’il annonce – une critique radicale de la théorie décoloniale dans son ensemble – et ce qu’il fait réellement – une lecture du tétramorphe Mignolo, Grosfoguel [sociologue d’origine portoricaine – ndlr], Quijano, Dussel ». Et de préciser : « Or, il y a un grand pas entre critiquer des points précis des pensées de ces quatre auteurs et déboulonner cette entité omniprésente que serait le décolonial. »

      Tout se passe comme si les auteurs de cette Critique passaient sous silence la manière dont ce champ s’est complexifié, et avait intégré ses critiques au fil des décennies. C’est ce que montre l’ouvrage de Colin et Quiroz dont le dernier chapitre est consacré, après les figures tutélaires des années 1990 – les seules qui retiennent l’attention de Gaussens et de ses collègues –, aux « élargissements théoriques et militants ».
      Méta-histoire

      L’exemple le plus saillant est la manière dont des féministes, à commencer par la philosophe argentine María Lugones (1944-2020), vont critiquer les travaux de Quijano, muets sur la question du genre, et proposer le concept de « colonialité du genre », à distance du « féminisme blanc », sans rejeter pour autant ce fameux « tournant décolonial ».

      Idem pour une pensée décoloniale de l’écologie, à travers des chercheurs et chercheuses d’autres générations que celles des fondateurs, comme l’anthropologue colombien Arturo Escobar (qui a critiqué le concept de développement comme une invention culturelle d’origine occidentale, et théorisé le « post-développement ») ou l’Argentine Maristella Svampa, devenue une référence incontournable sur l’économie extractiviste dans le Cône Sud.

      La critique formulée sur la fixation problématique sur 1492 chez les décoloniaux ne convainc pas non plus Capucine Boidin, anthropologue à l’université Sorbonne-Nouvelle, jointe par Mediapart : « Les auteurs décoloniaux font une philosophie de l’histoire. Ils proposent ce que j’appelle un méta-récit. Ce n’est pas de l’histoire. Il n’y a d’ailleurs aucun historien dans le groupe des études décoloniales. Cela n’a pas de sens de confronter une philosophie de l’histoire à des sources historiques : on ne peut qu’en conclure que c’est faux, incomplet ou imprécis. »

      Cette universitaire fut l’une des premières à présenter en France la pensée décoloniale, en invitant Ramón Grosfoguel alors à l’université californienne de Berkeley, dans un séminaire à Paris dès 2007, puis à coordonner un ensemble de textes – restés sans grand écho à l’époque – sur le « tournant décolonial » dès 2009.

      Elle tique aussi sur certaines des objections formulées à l’égard d’universitaires décoloniaux très dépendants des universités états-uniennes, et accusés d’être coupés des cultures autochtones dont ils parlent. À ce sujet, Silvia Rivera Cusicanqui, une sociologue bolivienne de premier plan, connue notamment pour avoir animé un atelier d’histoire orale andine, avait déjà accusé dès 2010 le décolonial Walter Mignolo, alors à l’université états-unienne Duke, d’« extractivisme académique » vis-à-vis de son propre travail mené depuis La Paz.

      « Contrairement à ce que dit Pierre Gaussens, nuance Capucine Boidin, Aníbal Quijano parlait très bien, et chantait même, en quechua. C’était un sociologue totalement en prise avec sa société. Il a d’ailleurs fait toute sa carrière au Pérou, à l’exception de voyages brefs aux États-Unis durant lesquels il a échangé avec [le sociologue états-unien] Immanuel Wallerstein. Pour moi, c’est donc un procès d’intention qui fait fi d’une lecture approfondie et nuancée. »
      L’héritage de Fanon

      Au-delà de ces débats de spécialistes, les auteur·es de Critique de la raison décoloniale s’emparent avec justesse de nombreux penseurs chers à la gauche, de Walter Benjamin à Frantz Fanon, pour mener leur démonstration. Le premier chapitre s’intitule « Peau blanche, masque noire », dans une référence au Peau noire, masques blancs (1952) de l’intellectuel martiniquais. Le coup est rude : il s’agit d’accuser sans détour les décoloniaux d’être des « blancs » qui se disent du côté des peuples autochtones sans l’être.

      Pierre Gaussens et Gaya Makaran insistent sur les critiques formulées par Fanon à l’égard du « courant culturaliste de la négritude », qu’ils reprennent pour en faire la clé de voûte du livre. « Si le colonisé se révolte, ce n’est donc pas pour découvrir une culture propre ou un passé glorieux, ni pour prendre conscience de sa “race”, mais parce que l’oppression socio-économique qu’il subit ne lui permet pas de mener une existence pleine et entière », écrivent-ils.

      Dans l’épilogue de sa biographie intellectuelle de Fanon (La Découverte, 2024), Adam Shatz constate que des critiques de l’antiracisme contemporain, depuis le marxisme notamment, se réclament parfois du Martiniquais. « Ce qui intéressait Fanon n’était pas la libération des Noirs, mais celle des damnés de la Terre », confirme-t-il. Mais Shatz se montre aussi plus prudent, alors que « l’horizon de la société post-raciale [que Fanon appelait de ses vœux – ndlr] s’est considérablement éloigné » par rapport à 1961, année de sa mort à 36 ans à peine.

      À lire Shatz, Fanon menait une critique des pensées binaires telles que certains universalistes et d’autres identitaires la pratiquent. La nature de son œuvre la rend rétive aux récupérations. Il juge aussi que les décoloniaux, et des mouvements comme Black Lives Matter, qui se revendiquent tout autant de Fanon que les marxistes critiques de l’antiracisme, « sont plus fidèles à la colère » du psychiatre martiniquais, avec « leur style d’activisme imprégné d’urgence existentielle ».

      Aussi stimulante soit-elle, la publication de Critique de la raison décoloniale témoigne surtout, en creux, de la trop faible circulation des textes originaux des théories décoloniales en France, et du trop petit nombre de traductions disponibles en français (parmi les exceptions notables, la publication aux PUF en 2023 de Philosophie de la libération, de Dussel, classique de 1977). Le livre des éditions de L’échappée est une entreprise de démontage d’un champ encore peu documenté en France, ce qui donne à sa lecture un abord inconfortable.

      Et ce, même si Mikaël Faujour, collaborateur au Monde diplomatique, qui a traduit une partie des textes du recueil en français, avec l’essayiste partisan de la décroissance Pierre Madelin, insiste, dans une préface périlleuse, sur une clé de lecture française, qui complique encore la réception de l’ouvrage. Le journaliste s’inquiète des « cheminements » de la pensée décoloniale dans l’espace francophone, d’abord via les revues Multitudes et Mouvements, puis à travers le parti des Indigènes de la République (PIR) autour notamment de Houria Bouteldja, jusqu’à déplorer « le rapprochement, à partir de 2019, entre les décoloniaux autour du PIR et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon ».

      La charge n’est pas sans rappeler le débat suscité en 2021 par le texte du sociologue Stéphane Beaud et de l’historien Gérard Noiriel, sur le « tournant identitaire » dans les sciences sociales françaises. Au risque d’ouvrir ici une vaste discussion plus stratégique sur les gauches françaises, qui n’a que peu à voir avec les discussions théoriques posées par les limites des premières vagues de la théorie décoloniale en Amérique latine ?

      Joint par Mediapart, Faujour assure le contraire : « Il n’y a pas d’étanchéité entre les deux espaces [français et latino-américain]. D’ailleurs, le livre [original publié en 2020 au Mexique] contenait un texte critique de Philippe Corcuff sur les Indigènes de la République. Par ailleurs, Bouteldja salue Grosfoguel comme un “frère”. Dussel et Grosfoguel sont venus en France à l’invitation du PIR. Tout l’appareillage lexical et conceptuel, la lecture historiographique d’une modernité débutée en 1492 unissant dans la “colonialité”, modernité, colonialisme et capitalisme, mais aussi la critique de la “blanchité”, entre autres choses, constituent bel et bien un fonds commun. »

      Mais certain·es redoutent bien une confusion dans la réception du texte, dans le débat français. « Pierre Gaussens et Gaya Makaran travaillent depuis le Mexique, avance Capucine Boidin. Je comprends une partie de leur agacement, lorsqu’ils sont face à des étudiants latino-américains, de gauche, qui peuvent faire une lecture simplifiée et idéologique de certains textes décoloniaux. D’autant qu’il peut y avoir une vision essentialiste, romantique et orientaliste des cultures autochtones, dans certains de ces écrits. »

      « Mais en France, poursuit-elle, nous sommes dans une situation très différente, où les études décoloniales sont surtout attaquées sur leur droite. Manifestement, Pierre Gaussens est peu informé des débats français. Ce livre arrive comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec le risque de donner à la droite des arguments de gauche pour critiquer les études décoloniales. »

      https://www.mediapart.fr/journal/international/271224/les-pensees-decoloniales-d-amerique-latine-violemment-prises-partie-depuis

  • #Bergère_de_France : la #filature de #laine reprise par ses salariés

    Le salon Made in France ouvre ses portes le 8 novembre 2024. 100 000 visiteurs sont attendus, l’occasion de découvrir des produits locaux et des entreprises symboles du savoir-faire français. Parmi ces marques : Bergère de France, l’incontrounable du secteur de la laine.

    Dans une mercerie parisienne, Chantal Berchot vend des pelotes de laine depuis plus de 45 ans. Aujourd’hui, la marque Bergère de France représente l’essentiel de ses ventes. Pour elle, c’est un soulagement d’apprendre que cette laine fabriquée en France a été sauvée. Pour Chantal, la marque aurait commis plusieurs erreurs : changer la qualité de sa laine et surtout augmenter trop rapidement ses prix. Depuis le début de l’année 2024, une pelote coûte un euro de plus.
    La réussite d’une longue aventure industrielle

    Il reste quand même des clientes fidèles, toujours prêtes à tricoter : “C’est bien que les employés aient repris et que cela continue parce que nous pourrons continuer à réaliser de belles choses”, se réjouit une cliente. Lancée en 1946 à Bar-le-Duc dans la Meuse, Bergère de France a su préserver son héritage jusqu’à aujourd’hui. En avril dernier, la marque avait été placée en redressement judiciaire. Depuis deux semaines, l’entreprise est officiellement une société coopérative reprise par ses salariés.

    https://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/bergere-de-france-la-filature-de-laine-reprise-par-ses-salaries_6885701
    #France #coopérative

  • La cartographie sensible et participative. Pour qui, pour quoi, comment ?

    Dans ce Tuto, nous abordons les méthodes et apports de la cartographie dite « sensible » comme processus d’exploration et mode de co-écriture scientifique.

    Dans un premier temps, #Morgane_Dujmovic présentera les évolutions récentes des cartes sensibles et leur contribution à l’épistémologie et aux méthodologies des sciences sociales. De façon croissante ces quinze dernières années, des travaux au croisement de la recherche, des pratiques artistiques et/ou du travail social se sont intéressé à des solutions graphiques adaptées à la subjectivité des récits. Dans le domaine de la cartographie, l’approche sensible a exploré l’utilisation de techniques manuscrites ou manuelles permet d’évoquer les dimensions narratives, psychologiques et émotionnelles des récits de vie, par exemple l’atténuation (Khalili 2011) et la représentation manuscrite du fond de carte (B. Ahmed et Dujmovic 2017) ou la construction d’une légende commune (Amilhat Szary et Mekdjian 2015). Les cartes sensibles entendent ainsi mobiliser les sens et la sensibilité des cartographes, pour susciter ceux des lecteurs ou lectrices de la carte (Rekacewicz et Tratnjek 2016, Mekdjian et Olmedo 2016).

    Plus rares sont les travaux qui comportent une dimension participative affirmée. La seconde partie du Tuto aborde la carte comme outil d’expression, de restitution, et comme mode relationnel. Nous verrons comment on peut appliquer ces réflexions sur le terrain et comment les retranscrire en pratiques cartographiques, à partir du projet « CartoMobile » qui s’intéresse aux savoirs et représentations de personnes exilées dans des contextes frontaliers violents (frontières françaises, balkaniques et Méditerranée centrale). Morgane Dujmovic détaille le dispositif d’ateliers cartographiques itinérants qui lui a permis de fabriquer des processus cartographiques « à hauteur d’individus », adaptées aux expériences singulières de la frontière – de la formulation d’un projet de carte, aux choix de sémiologie graphique et de valorisation. On s’interrogera ainsi sur le potentiel des co-écritures graphiques sensibles pour générer des recherches à plusieurs mains et plusieurs voix.

    Ce Tuto ouvre également une réflexion sur la restitution et la réception de telles cartes, où sont à nouveau questionnées les possibilités de participation de personnes dont les savoirs sont peu entendus, délégitimés et/ou mis en silence. Cette réflexion s’appuie sur deux expériences de restitution collective : l’exposition participative issue de la CartoMobile, qui fait interagir le public avec les récits cartographiques de personnes exilées, et le projet art-science « Freestyler la carte » qui met en dialogue et en jeu la musique, le corps et la voix dans la représentation de l’espace en exil (actuellement en création avec l’artiste congolais Wanny S-King dans le cadre d’une résidence EHESS/Fondation Camargo).

    https://mate-shs.cnrs.fr/actions/tutomate/tuto60_carto-sensible_dujmovic

    https://www.youtube.com/watch?v=2o5SMn-ihNA&t=35s

    #cartographie_participative #cartographie_sensible #visualisation #méthodologie #conférence #cartographie_radicale #migrations #frontières #imaginaire #ressources_pédagogiques #sémiologie_graphique #sens #sensibilité #contre-cartographie #espace_vécu #choix_graphiques #savoirs_expérientiels #vidéo

    ping @visionscarto @reka

  • France : quelle est la part des élèves qui savent nager en classe de 6e ?
    https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/vrai-ou-faux-france-quelle-est-la-part-des-eleves-qui-savent-nager-en-c

    Premier chiffre, avancé par la députée LFI Aurélie Trouvé sur Twitter : « en Seine Saint-Denis, à peine un enfant sur deux sait nager à l’entrée en 6e ».

    En réalité, c’est encore moins que cela. C’est plutôt un quart. Ainsi selon une étude réalisée par l’Académie de Créteil sur l’année 2021, seuls 26% des #enfants entrant en 6e en #Seine-St-Denis savaient déjà nager. Cette étude s’appuie sur le taux de réussite à l’Attestation scolaire du #savoir_nager en sécurité (#ASSN), un examen où les enfants doivent, par exemple, se déplacer dans l’eau sur le ventre sur 15 mètres ou passer sous un obstacle immergé.

    Des chiffres circulent également sur les élèves nageurs de 6e dans toute la France. [...] Mathieu Hanotin évoque des élèves qui savent nager à l’entrée de la 6e, au début de l’année, précisément c’est 66% au niveau national. Amélie Oudéa-Castéra quant à elle, parle des élèves qui savent nager à l’issue de la 6e, à la fin de l’année, 83% exactement. Ce sont des chiffres d’un rapport de la Direction générale de l’enseignement scolaire sorti en 2023. Cette différence entre l’entrée et la sortie s’explique parce que beaucoup d’enfants apprennent à nager pendant cette année de 6e.

    Toujours selon ce rapport, il y a de grosses disparités selon les territoires en France. C’est dans les #Outre-mer qu’on trouve le moins d’élèves nageurs à la fin de la 6e, notamment à #Mayotte où 58% des enfants seulement savent nager à la fin de cette année scolaire. L’académie de #Créteil, dont fait partie la Seine-St-Denis, est aussi dans le bas du tableau avec près de 73% de nageurs à la fin de la 6e. Pour expliquer ce retard, la Direction générale de l’enseignement scolaire déplore le manque de #bassins pour apprendre à nager dans ces académies.

  • Ecco perché il #Tav diventa un bancomat Ue per i costruttori

    L’eterna telenovela del Tav Torino-Lione ha la sua immancabile puntata estiva. Arrivano nuovi finanziamenti dall’Europa, quelli che dovrebbero coprire il 55% dei costi dell’opera. Bruxelles comunica l’assegnazione di 700 milioni di euro del #Cef, #Connecting_Europe_Facility, il programma per finanziare i grandi progetti infrastrutturali. Da #Telt, la società italo-francese che sta lavorando per realizzare la Torino-Lione, arriva intanto la notizia che i costi sono saliti da 8,6 a 11,1 miliardi e che la consegna è posticipata al 2033. L’arrivo dei 700 milioni – sottolinea Telt – è segno dell’impegno dell’Europa per il Tav: sono il 10% del budget europeo disponibile e rendono quest’opera, per importo erogato, il terzo progetto finanziato dall’Unione. Per gli ingegneri della commissione tecnica sul Tav dell’Unione montana Valle di Susa, invece, quei 700 milioni sono briciole: neppure il 3% del budget europeo 2021-2027 per le infrastrutture di trasporto, che ammonta a quasi 26 miliardi di euro. Nel 2014 la Torino-Lione portò a casa 814 milioni, cioè il 7% del budget 2014-2020 (che era di 11,7 miliardi). Oggi, malgrado i soldi disponibili fossero più del doppio (quasi 26 miliardi, appunto), il contributo diminuisce sia in cifra assoluta sia in percentuale. Non solo. Questi fondi europei arrivano dopo 10 anni dall’ultima assegnazione, avvenuta con il bando Cef 2014. E sono l’ultima erogazione possibile per il settenato 2028-2034. Insomma – secondo i tecnici del movimento No-Tav – l’Europa nei fatti non dimostra molta passione per la grande opera che piace tanto a Matteo Salvini e a molti anche a sinistra. La lentezza con cui arrivano i finanziamenti europei dipende anche dai ritardi nei lavori: per chiedere soldi nuovi, bisogna prima finire di spendere quelli già assegnati; e in questi anni Telt non ha brillato per capacità di spesa. Lo ha segnalato anche la Corte dei conti europea nel 2020: con i fondi erogati nel 2014, si dovevano completare entro 5 anni, cioè nel 2019, gli studi e i lavori finanziati. Telt ha chiesto ben tre proroghe, terminando quei lavori in 10 anni, ovvero nel doppio del tempo previsto. Sono stati chiusi in fretta e furia nel febbraio 2024, per poter partecipare in extremis all’ultimo bando di finanziamento del settenato europeo, dopo aver perso i due bandi precedenti. Così sono arrivati i 700 milioni appena annunciati. Dal 2001 ad oggi, sono già stati spesi quasi 2 miliardi in opere preparatorie, senza che le cinque talpe comprate per scavare il tunnel ferroviario tra Italia e Francia siano entrate in funzione: sono ancora parcheggiate nello stabilimento in Germania dove sono state assemblate. Per scavare la galleria serviranno almeno altri 11 miliardi, di cui il 45% dovrà essere pagato da Italia (almeno 2,5 miliardi) e Francia (altri 2,5) e il 55% dall’Europa (almeno 6). Arriveranno? E quando? L’entrata in servizio della linea, prevista ora per il 2033, sembra un miraggio: imporrebbe una capacità di spesa entro quella data di 11 miliardi. Ma a questo ritmo di spesa e di finanziamenti – circa 750 milioni europei ogni sette anni – per finire il tunnel ci vorranno altri sette settenati, ossia una cinquantina d’anni. Al di là degli annunci e delle previsioni, sembra che i soldi servano a finanziare nel tempo la lobby del Tav, amministratori e costruttori, senza alcuna garanzia di riuscire a realizzare davvero l’opera. Del resto, la linea ferroviaria già esistente è più che sufficiente a trasportare le merci che viaggiano tra Italia e Francia. E ormai il progetto si è ridotto al solo tunnel, abbandonando l’idea di nuove linee d’accesso in Italia (Val di Susa) e soprattutto in Francia (Modane-Dijon, saltando Lione). Il Tav non è più un progetto infrastrutturale: è ormai solo una bandiera per la politica e un bancomat per i costruttori.

    https://www.ilfattoquotidiano.it/in-edicola/articoli/2024/08/02/ecco-perche-il-tav-diventa-un-bancomat-ue-per-i-costruttori/7645124

    #TAV #Turin-Lyon #Lyon-Turin #business #train #train_à_grande_vitesse #géologie #Val_de_Suse #Vallée_de_Suse #Maurienne #Savoie #infrastructure_ferroviaire #coût

  • Tunnel Lyon-Turin : le chantier coûtera finalement 11,1 milliards d’euros et sera livré avec un an de retard

    La société maître d’ouvrage a publié les nouveaux chiffres vendredi dernier. Les travaux coûteront 30% de plus que prévu.

    Le tunnel de base Lyon-Turin coûtera 2,5 milliards d’euros de plus que prévu, avec un #budget total de 11,1 milliards d’euros, soit une hausse de près de 30%, rapporte mardi 30 juillet France Bleu Pays de Savoie. Ces chiffres ont été annoncés vendredi dernier par la société #TELT, maître d’ouvrage, à l’issue de son dernier conseil d’administration.

    L’entreprise a publié le #coût_prévisionnel actualisé du chantier du #tunnel_de_base du Lyon-Turin en cours de construction entre Saint-Jean-de-Maurienne, en Savoie, et Suse, en Italie. Résultat : le tunnel coûtera 2,5 milliards d’euros de plus que prévu par rapport à une première expertise initiale TELT effectuée en 2015 qui estimait alors le chantier à 8,6 milliards d’euros. Avec cette hausse, les travaux du tunnel de base doivent coûter 11,1 milliards d’euros, soit une hausse de près de 30% en neuf ans.

    Hausse des coûts de certaines matières, nouvelles « contraintes »...

    Parmi les raisons avancées par TELT pour expliquer cette hausse, la pandémie de Covid-19 ou encore la guerre en Ukraine, qui a eu plusieurs conséquences comme des difficultés d’approvisionnement et la hausse des coûts de certaines #matières_premières. Autre raison avancée, la multiplication d’autres chantiers comme ceux des Jeux olympiques en France. Enfin, des « contraintes géologiques non prévisibles » ont aussi fait augmenter le coût du projet.

    Le tunnel de base, qui relie donc Saint-Jean-de-Maurienne à Suse, et qui devait être opérationnel en 2032 aura finalement un an de retard. La livraison est prévue pour fin 2033. Pour rappel, actuellement, 37,3 km ont déjà été creusés, dont 13,7 km du tunnel de base, sur les 164 km de #galeries prévues pour l’ouvrage.

    https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/tunnel-lyon-turin-le-chantier-coutera-finalement-11-1-milliards-d-euros
    #TAV #Turin-Lyon #Lyon-Turin #coût #retard #train #train_à_grande_vitesse #géologie #Val_de_Suse #Vallée_de_Suse #Maurienne #Savoie #infrastructure_ferroviaire

  • #Muzungu à la #cpi

    Le cadre de ce livre est la #Cour_pénale_internationale (CPI).

    En ce lieu où s’invente la justice internationale pénale du XXIe siècle, que peuvent faire l’#art ou la #poésie ? Ressaisir des matériaux et des situations, et les traiter à partir de leurs propres outils et dispositifs, pour tenter d’en faire émerger d’autres types de #savoirs, latents, et non exploités.
    Ce livre rend compte d’une expérience déployée à la CPI entre 2016 et 2022 par #Franck_Leibovici et #Julien_Seroussi au moyen d’#oeuvres-outils, à la fois œuvres d’art et outils pour professionnels. En plongeant dans le #procès de deux chefs de milice accusés de #crimes_de_guerre et de #crimes_contre_l’humanité dans l’Est de la #République_Démocratique_du_Congo, les auteurs montrent comment, à chaque étape du procès ou dans chaque département de la CPI, l’art et la poésie peuvent s’immiscer – non pour alléger ou égayer par un « supplément d’âme » des crimes trop lourds à porter, mais pour ouvrir des espaces de représentation, susciter de nouvelles questions, permettre aux juges mêmes de nouvelles actions.

    L’art et la poésie comme instruments d’action, au même titre que le droit et les sciences sociales. En ce sens, ce livre est une méditation sur ce que peuvent l’art et la poésie aujourd’hui. L’ouvrage se construit comme une visite guidée de la CPI et des œuvres-outils conçues pour l’occasion, à travers des photographies, des schémas, des modes d’emploi, mais aussi des contributions de membres de la CPI. Il décrit des zones aveugles des pratiques juridiques, et les propositions que portent ces oeuvres-outils. Aucune compétence juridique ni artistique n’est toutefois requise pour cette visite guidée.

    Franck Leibovici est artiste et poète. Julien Seroussi est agrégé de sciences sociales et docteur en sociologie, il a été analyste aux Chambres à la CPI, puis au Pôle « Crimes de masse » du Tribunal judiciaire de Paris.

    https://beauxartsparis.fr/fr/pagesimple/muzungu-la-cpi

    #justice_transformatrice #justice_transformative

    ping @reka @karine4

  • Contester l’ordre et l’héritage colonial avec Manuel Quintín Lame
    https://www.terrestres.org/2024/05/24/contester-lordre-et-lheritage-colonial-avec-manuel-quintin-lame

    Trente ans après avoir été enterré dans la montagne colombienne, un manuscrit est exhumé et publié en 1971. C’est le testament politique et spirituel d’un acteur central des luttes autochtones d’Amérique latine, Manuel Quintín Lame, décédé quelques années plus tôt. Contre la dépossession foncière, économique et politique, une décolonisation ambitieuse reste à mener. Retour sur un livre, une philosophie et un parcours subversifs. L’article Contester l’ordre et l’héritage colonial avec Manuel Quintín Lame est apparu en premier sur Terrestres.

    #Amérique_Latine #Décolonial #Droits_des_peuples_autochtones #Forêt #Modernité #Savoirs #Stratégie

  • #SaveToomaj !

    « Nous devons éliminer la musique », proclame Khomeyni, en 1979. L’instauration de la République islamique entraîne le déclin de la musique, traditionnelle ou pop. Cette dernière est alors suspectée de corrompre la jeunesse et de diffuser les influences dissolvantes du « Grand Satan » américain. Au cours de la décennie 1970, la pop iranienne avait pourtant connu un grand essor, avec l’émergence de chanteuses talentueuses, telles Googoosh. Or, la chute du shah s’accompagne de l’interdiction des concerts et de la fermeture des salles de spectacle. Les femmes ne peuvent désormais plus se produire seules sur scène. La musique ne se perpétue qu’à la condition d’emprunter les circuits clandestins (cassettes pirates). Pour poursuivre leurs activités, beaucoup d’artistes doivent s’exiler.

    https://lhistgeobox.blogspot.com/2024/05/savetoomaj.html

  • "Nos logements sont indignes, nos salaires dérisoires" : les bergers dépités par l’arrêt des négociations sur leurs #conditions_de_travail

    Dans les #Alpes, les #bergers dénoncent l’arrêt des négociations sur leurs conditions de travail. Depuis deux ans, ils luttent pour une meilleure #rémunération mais aussi des #habitats plus dignes. Alors que des pourparlers devaient se tenir, les représentants des éleveurs ont annulé les discussions.

    « Pas de gaz pour cuisiner, pas d’chauffage sans incendier, pas de place pour se relever, un matelas pour tout plancher » : il y a un peu moins d’un an, Pastor X & the Black PatouX dénonçait dans un clip de rap montagnard, les conditions dans lesquelles certains bergers travaillent en #estive, notamment en #Savoie, dans le parc national de la #Vanoise.

    Ils vivent dans des #cabanes de 4 mètres carrés, sans toilettes, ni gaz, ni eau potable. Des #abris_d'urgence dans l’attente de construction de chalets d’#alpage. Mais ces solutions, censées être temporaires, sont devenues insoutenables pour les premiers intéressés (voir notre reportage ci-dessous).

    90 heures de travail au lieu des 44 réglementaires

    « On estime qu’on a des conditions de logement qui sont indignes en alpage mais aussi ailleurs », déclare Tomas Bustarret, membre du syndicat de gardiens de troupeaux de l’Isère.

    #Promiscuité et #insalubrité viennent s’ajouter à des conditions de travail que les bergers jugent intolérables.

    « Les #salaires varient entre 1500 et 2500 euros, la moyenne est autour de 1900-2000 euros pour 44 heures de travail légales. Mais, dans les faits, on fait 70 à 90 heures de travail. Donc, rapporté au nombre d’heures travaillées, ces salaires sont dérisoires », poursuit-il.

    Des #frais_professionnels s’élevant à 1000 euros

    D’autant que les bergers fournissent leurs propres « équipements » en alpage : les vêtements pour résister aux conditions météo mais aussi les chiens de conduite des troupeaux (Border collie).

    « L’utilisation des #chiens n’est pas reconnue au niveau de nos frais », déplore Tomas Bustarret. « C’est nous qui payons la nourriture, les frais de vétérinaire des chiens et aussi nos vêtements qui nous servent pour le travail », dit-il, estimant que ces frais professionnels s’élèvent à un millier d’euros par saison.

    La pilule a d’autant plus de mal à passer que l’#élevage ovin est subventionné dans le cadre du #plan_loup, pour faire face au prédateur.

    Un secteur très subventionné par l’Etat

    « On pourrait être payés plus, ça ne ferait pas s’effondrer l’économie de nos employeurs », ajoute le jeune homme. « Les salaires sont subventionnés par le plan #loup pour les gardiens d’ovins à 80%, jusqu’à 2 500 euros. Du coup, nous, on tombe un peu des nues quand on nous refuse 200 euros ou 400 euros de plus par mois », dit-il.

    Les gardiens de troupeaux, grands oubliés de la colère agricole ?

    Cohabitation avec les usagers de la #montagne, retour du loup, mesures environnementales, le métier de berger évolue. Pour toutes ces raisons, les gardiens de troupeaux se sont regroupés en syndicat, affilié à la CGT, pour faire entendre leur voix.

    « L’idée, c’est d’améliorer par la réglementation les conditions de travail des bergers en empêchant les mauvaises pratiques de certains employeurs », avance Tomas Bustarret.

    En avril 2023, ils avaient mené une action devant la maison des agriculteurs de l’Isère.

    Les négociations au point mort

    « C’est une négociation. On ne peut pas leur donner satisfaction à 200 % mais on essayera d’aller dans leur sens le plus possible », assurait alors Guy Durand, éleveur et représentant pour l’Isère de la FDSEA, au micro de France 3 Alpes.

    Mais ces négociations n’ont abouti à rien de concret pour l’instant. Pire, celles qui devaient avoir lieu le 7 mars, ont été annulées par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Les rendez-vous à l’échelle départementale et nationale sur le statut des ouvriers agricoles sont également au point mort.

    La remise en cause des #conventions_collectives ?

    Une commission paritaire devrait avoir lieu le 14 mars avec la fédération départementale de l’Isère, « mais la dernière a été annulée deux jours avant donc on ne sait pas si elle va se tenir », dit encore le jeune homme.

    Dans chaque département, une convention collective territoriale est établie. « Dans l’Ain, la FNSEA tente de supprimer des accords territoriaux qui assurent des droits spécifiques aux salariés agricoles », indique Tomas Bustarret.

    Les bergers et les gardiens de troupeaux se disent prêts à multiplier les actions pour obliger les exploitants agricoles à revenir à la table des négociations.

    https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/temoignage-nos-logements-sont-indignes-nos-salaires-der
    #travail #montagne #logement

  • #Destruction des #haies : la grande accélération

    Malgré les règlementations et les subventions, le bocage continue de disparaître et de se dégrader. Pour éclairer le sujet de ce bocage qui régresse, le média Splann ! a mené l’enquête dans une partie du #Trégor, au nord-ouest de la #Bretagne.

    Le bocage joue pourtant un rôle clé et structurant dans le paysage et la qualité environnementale des espaces cultivables.

    Loin d’être des alliées les haies sont devenues des plaies pour une partie des agriculteurs. Pour entretenir un bocage et des haies, il faut de la main-d’œuvre et des #savoir-faire parfois perdus. Autrefois faisant l’usage de limite entre parcelles, la haie a perdu son sens avec les nouvelles formes d’#agriculture. En Bretagne en 10 ans les exploitations ont grossi de 14ha en moyenne.

    « La disparition des haies est une conséquence de la disparition des élevages laitiers, de l’agrandissement des exploitations et de l’intensification du #modèle_agricole. 159,2km de haies détruits en 20 ans sur un territoire sensibles aux algues vertes et exceptionnel par son fleuve sauvage : la #vallée_du_Léguer. »

    https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-mercredi-28-fevrier-2024-8031910
    #bocage #France #agriculture_intensive #élevage

    • En Bretagne, la #dégradation du bocage continue

      Le bocage est globalement en mauvais état. D’importants arrachages de haies ont lieu en Bretagne dans des zones jusque-là préservées, en raison de l’agrandissement des fermes.

      – L’érosion qualitative du bocage se poursuit malgré les investissements publics.
      - Les zones bocagères du Centre Bretagne subissent d’importants arasements de haies sur talus.
      – La disparition des haies est une conséquence de la disparition des élevages laitiers, de l’agrandissement des exploitations et de l’intensification du modèle agricole.
      - 159,2 km de haies détruits en vingt ans sur un territoire sensible aux algues vertes et exceptionnel par son fleuve sauvage : la vallée du Léguer.

      « Quand ils ont repris mes terres, ils ont tout rasé, mis tout ça « propre ». Il y avait quatre parcelles, il n’y en a plus qu’une. J’avais des beaux chênes, c’est moi qui les avais élevés, quand même. Ça m’a fait mal au ventre, je peux te dire. » Maurice, paysan retraité dans le Goëlo (22), est amer de constater la dégradation du paysage dont il a eu la charge. C’est loin d’être un cas isolé. Les paysages et la biodiversité du bocage du nord-ouest de la France s’appauvrissent à une vitesse qui impressionne même les chercheurs.

      « C’est une période de rupture paysagère. On a été surpris par l’ampleur, l’intensité de cette transformation des paysages, qui est identique quelle que soit la zone étudiée » (— Thibaut Preux, auteur d’une thèse sur la transformation du bocage normand, et actuellement en travail d’étude dans le Centre Bretagne.)

      Les haies continuent de subir un déclin de grande ampleur. Pire : le rythme s’accélère depuis la dernière décennie. Chaque année, environ 23.500 km de haies disparaissent en France. 70 % ont été rayées de la carte depuis les remembrements des années 1950. La tendance n’est pas près de s’inverser : « La disparition et la dégradation des haies sont des conséquences inéluctables de l’évolution de notre modèle agricole, explique le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), remis au ministère de l’Agriculture en avril 2023. L’intensification des productions, la régression de l’élevage à l’herbe, la baisse constante du nombre d’agriculteurs avec en corollaire l’augmentation de la taille des exploitations ont fait des haies une contrainte pour l’exploitant agricole. » Cette analyse est partagée par les chambres d’agriculture de Bretagne qui désignent « l’évolution du parcellaire et des exploitations – reprises de parcelles, échanges, agrandissements d’entrée de champ » parmi les causes des arrachages.

      Pourtant, le déclin de la haie revient à perdre une alliée précieuse face à l’effondrement de la biodiversité et aux conséquences du dérèglement climatique : inondations catastrophiques, sécheresses interminables, pollution de l’eau, canicules étouffantes, autant de catastrophes accentuées par l’arrachage des talus et des haies. À l’heure où le pays se prépare à affronter un réchauffement de +4 °C, préserver le bocage est crucial tant pour l’agriculture que pour l’ensemble de la société.

      En Bretagne, la qualité du bocage s’érode toujours

      Face à cet appauvrissement du paysage, la Région Bretagne a lancé dès 2007 un programme de replantation : Breizh Bocage. En Loire-Atlantique, c’est le cadre régional « Liger Bocage et Agroforesterie » qui a été lancé en 2021. Les efforts en termes de plantations et de subventions sont indéniables (6.500 km de haies plantées depuis 2008 par la Région Bretagne). Mais le rapport du CGAAER souligne la limite des politiques publiques en faveur du bocage : « Si l’accent est souvent mis sur la création de nouvelles haies, il convient avant tout de mieux protéger le linéaire existant ».

      Le nombre de kilomètres de haies en Bretagne administrative semble stabilisé depuis 2020. Mais il faut nuancer cette avancée. Le bocage, ce ne sont pas que des haies, mais aussi des talus sans arbres et des lisières de forêt. Et quand on tient compte de tous ces éléments, on note un recul de 4 % du bocage.
      Compenser une haie fonctionnelle est impossible

      Le problème, c’est que la plupart des chiffres raisonnent en linéaires, c’est-à-dire en longueur de haies. Ils ne tiennent pas compte de la qualité effective des haies : le bocage breton est en très mauvais état. 80 % des haies sont mal entretenues [lire notre article « Le bocage, lourde charge pour les agriculteurs »], et dépérissent. C’est même la principale cause de l’érosion du bocage, avant les arasements. L’autre biais, de taille, est que la politique agricole commune (PAC) considère dans certains cas qu’on peut remplacer une haie existante par une jeune plantation : un exploitant peut donc arracher autant qu’il veut, tant qu’il compense en replantant le même équivalent linéaire un peu plus loin.

      « Un linéaire qui fonctionne bien, dense, avec des arbres anciens, on ne le compense pas avec une jeune haie avec des arbres de deux ans le long d’un bâtiment », explique Julie Le Pollès, technicienne bocage au syndicat de la baie de Douarnenez (Epab, 29). Faute de suivi et d’entretien [lire « Champ libre aux destructions »], de nombreuses haies issues de compensations périclitent : « Si ce n’est pas accompagné, on peut avoir un taux de reprise [survie des plants, NDLR] de 20-30 %. Il n’y a pas d’attente qualitative, on n’est que sur du quantitatif, et c’est là qu’il y a un problème. »

      Rupture paysagère en Centre Bretagne

      En 2022, à Spézet (29), quatre kilomètres de haies sur talus ont été arrachés et « compensés », le tout dans une zone très bocagère. Cet épisode suscite une forte indignation d’une partie de la population en Centre Bretagne, qui s’est organisée en collectifs « Kleuzioù » (« talus », en breton) pour défendre ce patrimoine paysager.

      Le sujet est sensible, car dans cette partie de la Bretagne, nombre de fermes laitières cessent leur activité et partent à l’agrandissement des exploitations voisines, faute de jeunes repreneurs. « La filière est en train de se restructurer à une vitesse grand V, parce qu’elle est pilotée de plus en plus par les industries laitières, notamment les grands groupes comme Lactalis, ou les grandes coop’ comme Agrial…, explique l’universitaire Thibaut Preux. Il est très probable que la restructuration de la filière ait des conséquences sur les paysages et notamment sur le maintien des particularités que sont les bocages, le maintien des prairies permanentes, et sur la qualité de l’eau. »

      Les disparités sont fortes entre les terroirs bretons. Dans des secteurs où le bocage a déjà été simplifié depuis les années 1970, on note peu d’évolution. Par endroits, le gain en termes de linéaires de haie est notable, grâce à Breizh Bocage : sur le bassin versant de Douarnenez, classé bassin algues vertes, une soixantaine de kilomètres de haies environ a été gagnée, selon les estimations fournies par la technicienne Julie Le Pollès.

      La dynamique est tout autre au centre de la péninsule : des Monts d’Arrée au Kreiz Breizh en passant par le Sud-Trégor, où le maillage de haies sur talus est encore dense, l’érosion qualitative récente et rapide du bocage ne fait aucun doute.

      De la source du Léguer à son embouchure, 159 km de haies détruites en vingt ans

      Difficile, à l’échelle de la Bretagne, de savoir combien de haies et talus ont ainsi disparu. Des associations, comme Eau et Rivières de Bretagne et le site Sentinelles de la Nature, s’emploient à recenser celles dont elles ont connaissance, sans parvenir à une vision exhaustive. Splann ! s’y est attelé dans une partie du Trégor, autour de la baie de Lannion, sur le territoire du Sage, un document qui élabore la stratégie locale en matière de gestion de l’eau. Le résultat est net : 159,2 km de linéaire bocager ont été détruits entre 2003 et 2023. Sollicités sur ces chiffres, ni Lannion-Trégor Communauté, ni Guingamp-Paimpol Agglomération n’ont répondu à nos questions.

      2015 : année catastrophique pour le bocage

      Point culminant des arrachages en France : la catastrophique période 2014-2016, juste avant l’entrée en vigueur de la nouvelle PAC (Politique agricole commune). L’Europe décide de passer les haies en « surfaces non-agricoles » et d’interdire leur arrachage, tout en précisant qu’elles restent éligibles aux aides. Il s’ensuit une certaine confusion : de nombreux agriculteurs s’attendent à ce que les haies diminuent les subventions auxquelles ils ont droit, qui sont calculées en fonction de la taille de leurs parcelles. De peur que leurs haies soient sanctuarisées et qu’ils ne puissent plus y toucher, de nombreux agriculteurs préfèrent les faire disparaître avant qu’elles ne figurent sur les cartes. Cette nouvelle PAC, qui avait pour objectif de protéger les haies, a finalement entraîné beaucoup de destructions.

      Combien de kilomètres de haies ont été détruits à cette période ? Difficile à dire, d’autant plus que des haies ont été gommées des cartes : les allers-retours entre services et les sous-déclarations faites par des agriculteurs ont « abouti à une forte sous-estimation du linéaire de haies », soit « plus de 30 % des linéaires qui ne sont pas protégés », estime l’association de promotion de la haie Afac-Agroforesterie dans un rapport consacré à cette mesure de « protection des haies » de la PAC. « Ils n’auraient pas interdit l’arrachage des haies, ça s’en serait pas arraché la moitié », rapporte ainsi un agriculteur, cité dans la thèse de Léo Magnin, consacrée à l’application des Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE 7).
      « On ne sait pas combien de haies ont été détruites »

      Aujourd’hui, le bocage est suivi par des techniciens qui travaillent pour des collectivités locales ou syndicats de bassin versant. Suivant leurs fiches de poste et agréments, ils sont chargés de déployer les plantations du programme régional Breizh Bocage, de conseiller les agriculteurs qui souhaitent « déplacer » une haie (comprendre : « détruire » et « compenser »), et d’observer l’évolution de la maille bocagère sur l’ensemble du territoire qu’ils couvrent. Mais la tâche est ardue : obtenir des chiffres fiables et actualisés est presque impossible.

      Les données cartographiques, malgré un travail d’amélioration en cours, sont incomplètes et erronées, notamment parce que les services de l’État ont eu recours, pour identifier les éléments bocagers, à l’aide de photos aériennes, à des « travailleurs du clic » à l’étranger. Les Directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ont une vue d’ensemble sur les dossiers d’arrachages déclarés, mais les techniciens bocage locaux, bien souvent, n’y ont pas accès. « On ne sait pas combien de linéaire a été détruit, déplore Gwenaëlle*, technicienne bocage en Bretagne-Sud. À chaque fois on redemande à la DDTM pourquoi les arasements dont ils ont connaissance ne sont pas numérisés, on ne comprend pas comment est traité ce volet-là. »

      Aux techniciens de se débrouiller seuls pour obtenir des données sur les évolutions du maillage bocager de leur territoire, de mener leur propre travail de cartographie, très chronophage. « On n’est pas aidés par la DDTM, et ce n’est pas un euphémisme », appuie Erwan*, technicien bocage dans une collectivité, qui affirme être parvenu à obtenir, « par des chemins détournés », un jeu de données cartographiques détenu par les services de l’État. « Il y a un verrou de la part de la DDTM pour ne pas donner ça aux opérateurs de terrain », constate-t-il. Julie Le Pollès, technicienne à Douarnenez, prend l’exemple de son territoire, où la DDTM aurait consenti à donner le nombre de dossiers traités, mais pas les emplacements précis des linéaires : « Ça complique le suivi du maillage bocager. On estime que 14 km de haies ont été détruits depuis 2015, dont 9 qui étaient déclarés à la PAC. On sait qu’on a 1,7 km de compensé, mais le reste on n’en sait rien. » Contactées par Splann !, aucune des DDTM de Bretagne administrative n’a répondu à nos questions.
      « Les arasements non déclarés seraient le plus gros des arasements »

      « Sans inventaire en temps réel, c’est compliqué de dire que le bocage est stabilisé, entre ce qui est détruit et ce qui est créé, commente Ronan*, technicien bocage dans le Finistère. Si ça se trouve, il y a deux fois plus de linéaires qui ont été arasés et on ne le sait pas, en fait. » Le suivi du bocage est encore plus ardu quand les arrachages sont faits sans déclaration. Par exemple, dans le bassin versant de l’Aulne, un comptage effectué par un naturaliste pour l’association Bretagne Vivante a recensé au moins 55 km de haies détruits dans seulement six communes allant de Saint-Rivoal à Scrignac entre 2005 et 2022. D’après nos informations, la grande majorité n’aurait pas fait l’objet de déclaration ni de compensation.

      À titre de comparaison, le syndicat de bassin versant a planté une trentaine de kilomètres de haies depuis 2013, sur un territoire à cheval sur 49 communes. Bien au-dessous des destructions répertoriées sur une fraction de son territoire. « Les arasements non déclarés et que personne ne voit, je dirai que c’est le plus gros des arasements qui existent. Donc, ça reste inconnu à tous », poursuit Ronan, le technicien bocage. « C’est trop tard, on ne reviendra pas en arrière, assène Maurice, l’exploitant retraité du Goëlo (22). Et comme il y a de moins en moins de paysans, et qu’il va continuer à y en avoir de moins en moins, il y aura encore des regroupements d’exploitations, et y’aura l’arasement des talus automatiquement. Ça, il ne faut pas se voiler la face. »

      * Les prénoms ont été modifiés.

      https://splann.org/enquete/bocage/degradation-bocage-continue

  • Recension par Brigitte Simonnot : Mônica Macedo-Rouet, Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information
    https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/34076

    Mônica Macedo-Rouet, Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information
    Brigitte Simonnot
    p. 519-522
    https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.34076
    Référence(s) :

    Mônica Macedo-Rouet, Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information . Caen, Éd. C&F, 2022, 243 pages

    1Propagande, fausses nouvelles, désinformation : les exemples se multiplient et tous soulignent la nécessité de former à l’évaluation de la qualité de l’information. Cette thématique, développée en sciences de l’information et de la communication, fait désormais l’objet de recherches dans plusieurs autres disciplines qui peuvent utilement y contribuer. Voici donc un ouvrage bienvenu, publié dans la collection Éducation de C&F éditions, qui aborde précisément l’éducation à l’évaluation. Mônica Macedo-Rouet, professeure des universités en psychologie cognitive après avoir été maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, adopte ici un positionnement résolument transdisciplinaire. Son point de vue original, au carrefour de ces trois disciplines, interroge la manière d’éduquer jeunes et moins jeunes à cet art difficile de l’évaluation de l’information et des sources.

    2Dans cet ouvrage, l’évaluation est définie comme « l’étape du processus de lecture à laquelle on doit décider d’accepter ou non une information lue ou trouvée à la suite d’une recherche » (p. 107). Comme l‘indique l’autrice, la nécessité d’évaluer l’information, notamment celle trouvée sur Internet, et le besoin de former à cette pratique font désormais consensus. Ceci étant, la question principale abordée dans ce livre est la suivante : « Comment former tous les usagers d’Internet à la recherche et à l’évaluation de l’information tout en développant leur autonomie et leur libre arbitre ? » (p. 27). Mônica Macedo-Rouet apporte en cinq chapitres des éléments de réflexion issus de recherches scientifiques récentes. Elle propose une synthèse appuyée non seulement sur ses propres travaux mais aussi sur une littérature scientifique internationale plus large. Ses propos concernent principalement les adolescents, à qui un chapitre est d’ailleurs consacré, mais l’ambition affichée est de promouvoir des interventions éducatives auprès de tous les publics, scolaires ou non scolaires, sans pour autant adopter une vision normative.

    #Mônica_Macedo-Rouet #Savoir_Chercher

  • Grosse fuite dans une usine : 12 500 litres de lait se déversent dans une rivière
    https://www.ladepeche.fr/2024/02/01/grosse-fuite-dans-une-usine-12-500-litres-de-lait-se-deversent-dans-une-ri

    À Caussade, en Tarn-et-Garonne, un accident survenu durant une opération de maintenance dans une fromagerie a provoqué une pollution, jeudi 1er février. Le cour d’eau tout proche et la station d’épuration ont été impactés.

    Un petit cours d’eau se jetant dans la Lère a été pollué par un rejet de lait provenant de la laiterie – fromagerie située impasse de Meaux, à Caussade, ce jeudi 1er février 2024.

    Faut bosser pour obtenir les infos non cité dans l’article… les acteurs coupables de cette pollution sont : Fromagerie #Lescure / #Terra_Lacta qui appartient au groupe #Savencia
    525 Impasse Meaux
    82300 Caussade

    #laiterie #pollution
    Et il me semble qu’il y a déjà sur seenthis un accident de ce type qui a pollué la Seiche en Ille-et-Vilaine.

    Pollution de la Seiche en Ille-et-Vilaine : « Les rejets continuent, on a plusieurs milliers de poissons morts »
    https://seenthis.net/messages/624973

  • L’éducation à l’évaluation de l’information, un défi sociétal majeur
    https://jouvenot.com/un-defi-societal-majeur-entretien-avec-monica-macedo-rouet-sur-son-ouvrage

    Mônica Macedo-Rouet aborde, dans son dernier ouvrage, un enjeu crucial dans notre ère numérique : l’éducation à l’évaluation de l’information. Dans cette interview, elle nous livre les clés de cette compétence essentielle à développer dès le plus jeune âge.

    Bonjour Mônica Macedo-Rouet, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

    Mônica Macedo-Rouet : Pendant deux décennies après l’invention du Web, l’évaluation de l’information était un sujet relativement marginal. Avec l’arrivée des réseaux sociaux et la propagation des nouvelles fausses, douteuses ou biaisées en ligne, l’évaluation est devenue un défi sociétal majeur et une compétence essentielle à tout un chacun. Il suffit de regarder les exemples de désinformation sur la vaccination contre la Covid-19, les élections présidentielles au Brésil, ou encore la guerre en Ukraine. Or, cette compétence ne s’acquiert pas ou rarement de manière spontanée. Elle nécessite un apprentissage systématique et adapté aux différentes situations et âges de la vie. Mon livre « Savoir chercher : pour une éducation à l’évaluation de l’information » passe en revue un ensemble de recherches réalisées depuis trente ans, au niveau international, pour tenter de comprendre et d’expliciter les conditions d’un enseignement-apprentissage efficaces de la recherche et l’évaluation d’informations. L’évaluation est une compétence complexe, qui ne se résume pas à vérifier la conformité d’une information à certains critères, comme dans une check-list. Aujourd’hui nous avons des pistes prometteuses pour développer cette capacité chez internautes, dès le plus jeune âge. Mais il nous faut des théories plus solides et des preuves empiriques obtenues à travers des études rigoureuses, afin de pouvoir identifier plus précisément les contenus et méthodes les plus efficaces pour former à l’évaluation. C’est un problème actuel et socialement important.

    Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

    M. M-R. : « Ce livre paraît au moment où le monde entier fait face à une gigantesque crise sanitaire, qui est aussi une crise de l’information (Zarocostas, 2020). Les discours scientifique, institutionnel, populaire et subversif concernant la maladie, sa prévention et ses traitements se juxtaposent de façon chaotique, et chacun peut mesurer l’impact profond des campagnes de désinformation sur les comportements, avec des conséquences parfois dramatiques. Ce contexte illustre de façon grave mais claire l’urgence d’inscrire l’éducation à l’évaluation de l’information comme un objectif prioritaire pour l’éducation des adolescents. Si plusieurs formes pédagogiques peuvent avoir un impact positif sur la culture et les compétences des jeunes, il existe également un risque que des interventions mal configurées aboutissent au mieux à une perte de temps, et au pire aux effets contraires à ceux attendus. Pour maximiser ses chances de réellement contribuer à la formation de l’esprit critique et à l’auto-défense du public face aux périls de l’information en ligne, l’enseignement de l’évaluation de l’information doit reposer sur des bases scientifiques solides. Cependant, il s’agit encore d’un domaine émergent, où beaucoup reste à inventer pour trouver un équilibre entre éducation formelle et informelle, et relever les défis aujourd’hui amplement reconnus d’éducation aux médias et à l’information. Les recherches dans ce domaine doivent se poursuivre en développant les collaborations internationales, la mise en place de méthodologies innovantes de formation et de recherche, et la publication de résultats. Il s’agit d’un enjeu primordial auquel doivent contribuer les chercheurs, les enseignants, les professionnels de l’information, les étudiants et les élèves. » (p. 208)

    Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

    M. M-R. : Je ne sais si l’on peut parler de « tendances » en ce qui concerne l’éducation à l’évaluation de l’information. Les résultats de la recherche montrent que certaines approches pédagogiques ayant fait leurs preuves dans d’autres domaines, telles que l’enseignement explicite, sont celles qui marchent le mieux pour apprendre aux élèves à évaluer la qualité et la crédibilité des informations en ligne. Simplement, il n’est pas évident d’enseigner l’évaluation comme l’on enseigne les disciplines traditionnelles à l’école. Nous avons à la fois moins de recul et plus de diversité en ce qui concerne les savoirs mobilisés par l’évaluation de l’information par rapport aux disciplines scolaires traditionnelles. Si l’on peut parler de « tendance », je dirais que c’est justement le fait de ne pas considérer l’évaluation comme une discipline scolaire qui s’impose ces dernières années. Les recherches sur l’éducation à l’évaluation montrent au contraire qu’il est important d’enseigner l’évaluation dans toutes les disciplines et de mobiliser différents savoirs, formels et non-formels, afin d’augmenter les chances de généralisation de l’évaluation à tous les domaines. Car évidemment on ne veut pas que les élèves évaluent l’information uniquement quand leurs enseignants ou leurs parents le leur demandent. Il faut que chacun puisse s’émanciper par rapport à la désinformation, en sachant « quand » et « comment » évaluer les messages qui nous parviennent, soient-ils diffusés par des influenceurs dans les réseaux sociaux ou par des sources officielles ne dévoilant pas leurs intérêts aux yeux de tous.

    Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

    M. M-R. : Bien faire attention à la source des informations quel que soit le sujet que l’on aborde, y compris à propos des méthodes pour apprendre à évaluer l’information. Il existe une multitude de sites, logiciels et services pour apprendre à distinguer « le vrai du faux », vérifier la crédibilité des informations, et identifier les « bonnes sources ». Certains sont basés sur des savoirs professionnels ayant fait leurs preuves dans des domaines spécifiques (ex., Les décodeurs/fact-checking), d’autres relèvent d’initiatives purement commerciales qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’éducation et la formation des individus. Même lorsqu’elles sont fondées sur des savoirs professionnels, ces applications peuvent ne pas être efficaces pour l’apprentissage car elles font l’évaluation « à la place » de l’individu. La seule manière de savoir si une méthode ou un outil est efficace pour l’apprentissage est de se tourner vers des sources qui fondent leurs arguments sur des données objectives. Plusieurs initiatives en ce sens ont vu le jour ces dernières années, tels que les sites « What Works Clearinghouse » (IES, États-Unis), « What the research says » (Becta, Angleterre ; archives), ou encore les notes du Conseil Scientifique de l’éducation nationale (Notes du CSEN, France). Un bémol est que ces sources ne détaillent pas les éléments qui rendent l’enseignement efficace. Il y a donc un travail de « traduction », ou plutôt d’adaptation, des conclusions des études par l’enseignant ou le concepteur d’un site ou service, en pistes d’actions concrètes.

    En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

    M. M-R. : Le rôle du contexte, de la motivation et des croyances personnelles des individus dans l’évaluation de l’information est un sujet que je souhaite développer. Je veux comprendre comment ces aspects non purement cognitifs influencent l’évaluation de l’information et des sources dans la vie quotidienne, que ce soit sur Internet ou dans d’autres lieux et moyens d’information. Un autre sujet est bien sûr l’impact de l’intelligence artificielle sur l’évaluation de l’information et des sources. Pour le moment, ChatGPT par exemple ne permet pas d’identifier les sources des textes générés automatiquement. Quelle est la crédibilité que l’on peut attribuer à ces textes dans ces conditions ? Indépendamment du contenu, peut-on dire qu’un texte est crédible lorsque l’on connait pas l’origine de l’information ? Ces questions seront sans doute au cœur des recherches et débats sur la recherche et l’évaluation de l’information dans les années à venir.

    Merci Mônica Macedo-Rouet.

    Merci Bertrand Jouvenot.

    Le livre : Savoir chercher : Pour une éducation à l’évaluation de l’information, Mônica Macedo-Rouet, C&F Editions, 2023.

    #Mônica Macedo-Rouet #Savoir_Chercher #Education_media_information

  • Fermes, coopératives... « En #Palestine, une nouvelle forme de #résistance »

    Jardins communautaires, coopératives... En Cisjordanie et à Gaza, les Palestiniens ont développé une « #écologie_de_la_subsistance qui n’est pas séparée de la résistance », raconte l’historienne #Stéphanie_Latte_Abdallah.

    Alors qu’une trêve vient de commencer au Proche-Orient entre Israël et le Hamas, la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah souligne les enjeux écologiques qui se profilent derrière le #conflit_armé. Elle rappelle le lien entre #colonisation et #destruction de l’#environnement, et « la relation symbiotique » qu’entretiennent les Palestiniens avec leur #terre et les êtres qui la peuplent. Ils partagent un même destin, une même #lutte contre l’#effacement et la #disparition.

    Stéphanie Latte Abdallah est historienne et anthropologue du politique, directrice de recherche au CNRS (CéSor-EHESS). Elle a récemment publié La toile carcérale, une histoire de l’enfermement en Palestine (Bayard, 2021).

    Reporterre — Comment analysez-vous à la situation à #Gaza et en #Cisjordanie ?

    Stéphanie Latte Abdallah — L’attaque du #Hamas et ses répercussions prolongent des dynamiques déjà à l’œuvre mais c’est une rupture historique dans le déchaînement de #violence que cela a provoqué. Depuis le 7 octobre, le processus d’#encerclement de la population palestinienne s’est intensifié. #Israël les prive de tout #moyens_de_subsistance, à court terme comme à moyen terme, avec une offensive massive sur leurs conditions matérielles d’existence. À Gaza, il n’y a plus d’accès à l’#eau, à l’#électricité ou à la #nourriture. Des boulangeries et des marchés sont bombardés. Les pêcheurs ne peuvent plus accéder à la mer. Les infrastructures agricoles, les lieux de stockage, les élevages de volailles sont méthodiquement démolis.

    En Cisjordanie, les Palestiniens subissent — depuis quelques années déjà mais de manière accrue maintenant — une forme d’#assiègement. Des #cultures_vivrières sont détruites, des oliviers abattus, des terres volées. Les #raids de colons ont été multipliés par deux, de manière totalement décomplexée, pour pousser la population à partir, notamment la population bédouine qui vit dans des zones plus isolées. On assiste à un approfondissement du phénomène colonial. Certains parlent de nouvelle #Nakba [littéralement « catastrophe » en Arabe. Cette expression fait référence à l’exode forcé de la population palestinienne en 1948]. On compte plus d’1,7 million de #déplacés à Gaza. Où iront-ils demain ?

    « Israël mène une #guerre_totale à une population civile »

    Gaza a connu six guerres en dix-sept ans mais il y a quelque chose d’inédit aujourd’hui, par l’ampleur des #destructions, le nombre de #morts et l’#effet_de_sidération. À défaut d’arriver à véritablement éliminer le Hamas – ce qui est, selon moi, impossible — Israël mène une guerre totale à une population civile. Il pratique la politique de la #terre_brûlée, rase Gaza ville, pilonne des hôpitaux, humilie et terrorise tout un peuple. Cette stratégie a été théorisée dès 2006 par #Gadi_Eizenkot, aujourd’hui ministre et membre du cabinet de guerre, et baptisée « la #doctrine_Dahiya », en référence à la banlieue sud de Beyrouth. Cette doctrine ne fait pas de distinction entre #cibles_civiles et #cibles_militaires et ignore délibérément le #principe_de_proportionnalité_de_la_force. L’objectif est de détruire toutes les infrastructures, de créer un #choc_psychologique suffisamment fort, et de retourner la population contre le Hamas. Cette situation nous enferme dans un #cycle_de_violence.

    Vos travaux les plus récents portent sur les initiatives écologiques palestiniennes. Face à la fureur des armes, on en entend évidemment peu parler. Vous expliquez pourtant qu’elles sont essentielles. Quelles sont-elles ?

    La Palestine est un vivier d’#innovations politiques et écologiques, un lieu de #créativité_sociale. Ces dernières années, suite au constat d’échec des négociations liées aux accords d’Oslo [1] mais aussi de l’échec de la lutte armée, s’est dessinée une #troisième_voie.

    Depuis le début des années 2000, la #société_civile a repris l’initiative. Dans de nombreux villages, des #marches et des #manifestations hebdomadaires sont organisées contre la prédation des colons ou pour l’#accès_aux_ressources. Plus récemment, s’est développée une #économie_alternative, dite de résistance, avec la création de #fermes, parfois communautaires, et un renouveau des #coopératives.

    L’objectif est de reconstruire une autre société libérée du #néolibéralisme, de l’occupation et de la #dépendance à l’#aide_internationale. Des agronomes, des intellectuels, des agriculteurs, des agricultrices, des associations et des syndicats de gauche se sont retrouvés dans cette nouvelle forme de résistance en dehors de la politique institutionnelle. Une jeune génération a rejoint des pionniers. Plutôt qu’une solution nationale et étatique à la colonisation israélienne — un objectif trop abstrait sur lequel personne n’a aujourd’hui de prise — il s’agit de promouvoir des actions à l’échelle citoyenne et locale. L’idée est de retrouver de l’#autonomie et de parvenir à des formes de #souveraineté par le bas. Des terres ont été remises en culture, des #fermes_agroécologiques ont été installées — dont le nombre a explosé ces cinq dernières années — des #banques_de_semences locales créées, des modes d’#échange directs entre producteurs et consommateurs mis en place. On a parlé d’« #intifada_verte ».

    Une « intifada verte » pour retrouver de l’autonomie

    Tout est né d’une #prise_de_conscience. Les #territoires_palestiniens sont un marché captif pour l’#économie israélienne. Il y a très peu de #production. Entre 1975 et 2014, la part des secteurs de l’agriculture et de l’#industrie dans le PIB a diminué de moitié. 65 % des produits consommés en Cisjordanie viennent d’Israël, et plus encore à Gaza. Depuis les accords d’Oslo en 1995, la #production_agricole est passée de 13 % à 6 % du PIB.

    Ces nouvelles actions s’inscrivent aussi dans l’histoire de la résistance : au cours de la première Intifada (1987-1993), le #boycott des taxes et des produits israéliens, les #grèves massives et la mise en place d’une économie alternative autogérée, notamment autour de l’agriculture, avaient été centraux. À l’époque, des #jardins_communautaires, appelés « les #jardins_de_la_victoire » avait été créés. Ce #soulèvement, d’abord conçu comme une #guerre_économique, entendait alors se réapproprier les #ressources captées par l’occupation totale de la Cisjordanie et de la #bande_de_Gaza.

    Comment définiriez-vous l’#écologie palestinienne ?

    C’est une écologie de la subsistance qui n’est pas séparée de la résistance, et même au-delà, une #écologie_existentielle. Le #retour_à_la_terre participe de la lutte. C’est le seul moyen de la conserver, et donc d’empêcher la disparition totale, de continuer à exister. En Cisjordanie, si les terres ne sont pas cultivées pendant 3 ou 10 ans selon les modes de propriété, elles peuvent tomber dans l’escarcelle de l’État d’Israël, en vertu d’une ancienne loi ottomane réactualisée par les autorités israéliennes en 1976. Donc, il y a une nécessité de maintenir et augmenter les cultures, de redevenir paysans, pour limiter l’expansion de la #colonisation. Il y a aussi une nécessité d’aller vers des modes de production plus écologiques pour des raisons autant climatiques que politiques. Les #engrais et les #produits_chimiques proviennent des #multinationales via Israël, ces produits sont coûteux et rendent les sols peu à peu stériles. Il faut donc inventer autre chose.

    Les Palestiniens renouent avec une forme d’#agriculture_économe, ancrée dans des #savoir-faire_ancestraux, une agriculture locale et paysanne (#baladi) et #baaliya, c’est-à-dire basée sur la pluviométrie, tout en s’appuyant sur des savoirs nouveaux. Le manque d’#eau pousse à développer cette méthode sans #irrigation et avec des #semences anciennes résistantes. L’idée est de revenir à des formes d’#agriculture_vivrière.

    La #révolution_verte productiviste avec ses #monocultures de tabac, de fraises et d’avocats destinée à l’export a fragilisé l’#économie_palestinienne. Elle n’est pas compatible avec l’occupation et le contrôle de toutes les frontières extérieures par les autorités israéliennes qui les ferment quand elles le souhaitent. Par ailleurs, en Cisjordanie, il existe environ 600 formes de check-points internes, eux aussi actionnés en fonction de la situation, qui permettent de créer ce que l’armée a nommé des « #cellules_territoriales ». Le #territoire est morcelé. Il faut donc apprendre à survivre dans des zones encerclées, être prêt à affronter des #blocus et développer l’#autosuffisance dans des espaces restreints. Il n’y a quasiment plus de profondeur de #paysage palestinien.

    « Il faut apprendre à survivre dans des zones encerclées »

    À Gaza, on voit poindre une #économie_circulaire, même si elle n’est pas nommée ainsi. C’est un mélange de #débrouille et d’#inventivité. Il faut, en effet, recycler les matériaux des immeubles détruits pour pouvoir faire de nouvelles constructions, parce qu’il y a très peu de matériaux qui peuvent entrer sur le territoire. Un entrepreneur a mis au point un moyen d’utiliser les ordures comme #matériaux. Les modes de construction anciens, en terre ou en sable, apparaissent aussi mieux adaptés au territoire et au climat. On utilise des modes de production agricole innovants, en #hydroponie ou bien à la #verticale, parce que la terre manque, et les sols sont pollués. De nouvelles pratiques énergétiques ont été mises en place, surtout à Gaza, où, outre les #générateurs qui remplacent le peu d’électricité fournie, des #panneaux_solaires ont été installés en nombre pour permettre de maintenir certaines activités, notamment celles des hôpitaux.

    Est-ce qu’on peut parler d’#écocide en ce moment ?

    Tout à fait. Nombre de Palestiniens emploient maintenant le terme, de même qu’ils mettent en avant la notion d’#inégalités_environnementales avec la captation des #ressources_naturelles par Israël (terre, ressources en eau…). Cela permet de comprendre dans leur ensemble les dégradations faites à l’#environnement, et leur sens politique. Cela permet aussi d’interpeller le mouvement écologiste israélien, peu concerné jusque-là, et de dénoncer le #greenwashing des autorités. À Gaza, des #pesticides sont épandus par avion sur les zones frontalières, des #oliveraies et des #orangeraies ont été arrachées. Partout, les #sols sont pollués par la toxicité de la guerre et la pluie de #bombes, dont certaines au #phosphore. En Cisjordanie, les autorités israéliennes et des acteurs privés externalisent certaines #nuisances_environnementales. À Hébron, une décharge de déchets électroniques a ainsi été créée. Les eaux usées ne sont pas également réparties. À Tulkarem, une usine chimique considérée trop toxique a été également déplacée de l’autre côté du Mur et pollue massivement les habitants, les terres et les fermes palestiniennes alentour.

    « Il existe une relation intime entre les Palestiniens et leur environnement »

    Les habitants des territoires occupés, et leur environnement — les plantes, les arbres, le paysage et les espèces qui le composent — sont attaqués et visés de manière similaire. Ils sont placés dans une même #vulnérabilité. Pour certains, il apparaît clair que leur destin est commun, et qu’ils doivent donc d’une certaine manière résister ensemble. C’est ce que j’appelle des « #résistances_multispécifiques », en écho à la pensée de la [philosophe féministe étasunienne] #Donna_Haraway. [2] Il existe une relation intime entre les Palestiniens et leur environnement. Une même crainte pour l’existence. La même menace d’#effacement. C’est très palpable dans le discours de certaines personnes. Il y a une lutte commune pour la #survie, qui concerne autant les humains que le reste du vivant, une nécessité écologique encore plus aigüe. C’est pour cette raison que je parle d’#écologisme_existentiel en Palestine.

    Aujourd’hui, ces initiatives écologistes ne sont-elles pas cependant menacées ? Cet élan écologiste ne risque-t-il pas d’être brisé par la guerre ?

    Il est évidemment difficile d’exister dans une guerre totale mais on ne sait pas encore comment cela va finir. D’un côté, on assiste à un réarmement des esprits, les attaques de colons s’accélèrent et les populations palestiniennes en Cisjordanie réfléchissent à comment se défendre. De l’autre côté, ces initiatives restent une nécessité pour les Palestiniens. J’ai pu le constater lors de mon dernier voyage en juin, l’engouement est réel, la dynamique importante. Ce sont des #utopies qui tentent de vivre en pleine #dystopie.

    https://reporterre.net/En-Palestine-l-ecologie-n-est-pas-separee-de-la-resistance
    #agriculture #humiliation #pollution #recyclage #réusage #utopie

    • La toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine

      Dans les Territoires palestiniens, depuis l’occupation de 1967, le passage par la prison a marqué les vécus et l’histoire collective. Les arrestations et les incarcérations massives ont installé une toile carcérale, une détention suspendue. Environ 40 % des hommes palestiniens sont passés par les prisons israéliennes depuis 1967. Cet ouvrage remarquable permet de comprendre en quoi et comment le système pénal et pénitentiaire est un mode de contrôle fractal des Territoires palestiniens qui participe de la gestion des frontières. Il raconte l’envahissement carcéral mais aussi la manière dont la politique s’exerce entre Dedans et Dehors, ses effets sur les masculinités et les féminités, les intimités. Stéphanie Latte Abdallah a conduit une longue enquête ethnographique, elle a réalisé plus de 350 entretiens et a travaillé à partir d’archives et de documents institutionnels. Grâce à une narration sensible s’apparentant souvent au documentaire, le lecteur met ses pas dans ceux de l’auteure à la rencontre des protagonistes de cette histoire contemporaine méconnue.

      https://livres.bayard-editions.com/livres/66002-la-toile-carcerale-une-histoire-de-lenfermement-en-pal
      #livre