Après le limogeage de Michel Delpuech et de deux hauts fonctionnaires, l’exécutif va donner au nouveau préfet mission de réformer l’institution, selon les informations du « Monde ».
Le projet était dans les tuyaux depuis plusieurs mois et il semble désormais mûr. Alors que la Préfecture de police (PP) est durement percutée par la crise des « #gilets_jaunes », la vague qui a commencé par emporter les hommes pourrait désormais chambouler toute l’institution. L’« échec », selon le mot ministériel, du #maintien_de_l’ordre lors de l’acte XVIII a déjà coûté sa place au préfet, Michel Delpuech, son directeur du cabinet, Pierre Gaudin, et le directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), Frédéric Dupuch. Mais iI pourrait accélérer dans la foulée des changements structurels plus importants au sein de la plus ancienne « maison police » de France créée en 1800 par Bonaparte, qui a toute autorité sur la capitale et la petite couronne.
Selon nos informations, le nouveau #préfet Didier Lallement, qui doit être installé officiellement dans ses fonctions jeudi 21 mars par Christophe Castaner, doit en effet recevoir une lettre de mission avec deux priorités. La première, confirme le ministère de l’intérieur, sera de mettre en œuvre la doctrine de « fermeté renforcée » de maintien de l’ordre, présentée le 18 mars par le premier ministre.
La seconde consistera à lancer une vaste réforme de la PP. Un signal qui se veut fort, alors que le sujet est depuis plusieurs années un serpent de mer. M. Lallement a rencontré à ce titre le président de la République, mardi. Il devait voir M. Castaner et son secrétaire d’Etat, Laurent Nuñez, mercredi.
« #Didier_Lallement n’est là que pour ça, réformer la PP, cet Etat dans l’Etat », confirme un préfet qui connaît bien l’homme, souvent considéré comme dur, voire autoritaire. Les changements d’hommes en seraient les prémices. Le départ de M. Dupuch, maillon essentiel de la « chaîne de commandement » incriminée, était ainsi attendu.
Le choix de se séparer de lui correspond à la lecture que la Place Beauvau a fait des « dysfonctionnements » dans la stratégie du maintien de l’ordre. Le puissant patron de la DSPAP, principale entité au sein de la PP avec quelque 19 000 hommes à son service, est accusé d’être l’auteur de la note interne sur les lanceurs de balles de défense (#LBD), qui aurait incité les troupes à en faire un usage réduit.
Equipe amputée de membres importants
Cela faisait en réalité plusieurs semaines que cette direction de la PP, qui gère notamment les #détachements_d’action_rapide, chargés des interpellations pendant les #manifestations, était dans le viseur du ministre de l’intérieur et de son secrétaire d’Etat. La Place Beauvau avait transmis des consignes pour que l’ensemble de la sécurisation des manifestations soit à la main de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), quand la PP avait opté pour une gestion bicéphale : le cœur de la mobilisation aux troupes de maintien de l’ordre de la DOPC, les abords aux petites unités plus mobiles de la DSPAP.
Le nouveau préfet va donc devoir procéder rapidement à des nominations, dans un contexte de manifestations hebdomadaires. Ses deux principales directions sont fragilisées par cette crise. La DSPAP a été soudainement décapitée. Quant à la DOPC, elle sort de plusieurs semaines de flottement, après l’arrêt-maladie prolongé de son directeur, Alain Gibelin, finalement relevé de ses fonctions, le 15 mars. Jérôme Foucaud a été nommé en remplacement, lundi 18 mars. Mais il devra lui-même s’appuyer sur une équipe amputée de membres importants depuis l’affaire Benalla.
Laurent Simonin, le chef d’état-major, ainsi que Maxence Creusat, à la tête de la cellule Synapse – une unité chargée de surveiller les réseaux sociaux qui joue un rôle majeur dans la gestion de la crise des « gilets jaunes » –, ont été mis en examen pour avoir transmis illégalement des images de vidéosurveillance à l’ancien chargé de mission de l’Elysée et ont donc été mutés à d’autres postes.
« Chantier de transformation en profondeur »
Quel que soit le jeu de chaises musicales à la PP, il devrait en tout cas être au diapason d’une réflexion profonde, amorcée dès l’automne au ministère de l’intérieur, et plus particulièrement pilotée par Laurent Nuñez, fin connaisseur de l’institution pour avoir été lui-même directeur du cabinet du préfet de 2012 à 2015. Si l’affaire Benalla a pu accélérer cette réflexion, plusieurs interlocuteurs assurent qu’elle était déjà amorcée sous Gérard Collomb. Le calendrier s’est ensuite précisé en décembre 2018, dans le cadre d’un « protocole » avec les #syndicats_policiers.
Une partie des primes promises lors du premier pic de violences des « gilets jaunes » a en effet été conditionnée à des avancées sur plusieurs sujets « abrasifs », comme les décrit un proche du dossier : les heures supplémentaires, la gestion des cycles horaires et la réforme de la PP. Au cabinet de M. Castaner, on préfère dire que ce protocole a prévu « l’ouverture d’un chantier de transformation en profondeur » auquel les directions de la #gendarmerie et de la #police nationale ainsi que la PP ont été priées de contribuer en faisant des propositions. Le 13 mars, une réunion « d’étape » a en tout cas eu lieu sur le sujet.
Lisser la chaîne de commandement
Principal but de cette réforme quoi qu’il en soit : retirer à la Préfecture de police une partie de ses compétences spécifiques, qui lui confèrent une grande indépendance vis-à-vis du pouvoir politique – et de facto une grande puissance –, supprimer les doublons, lisser la chaîne de commandement, et potentiellement faire des économies… Sont principalement dans le viseur les directions chargées de la lutte contre l’immigration irrégulière, la police judiciaire, le renseignement et, dans une moindre mesure, la logistique. A la PP, un service spécifique gère en effet le matériel nécessaire par exemple à l’ordre public (barres-ponts, canons à eau etc.). Il est déjà en phase de dissolution.
Le sujet sur lequel les discussions seraient les plus avancées, selon certaines sources, est l’#immigration. Il est ainsi envisagé la création d’une grande « direction zonale » rattachée à la #police_aux_frontières (DCPAF). Celle-ci est en effet compétente partout en France, sauf à Paris. « C’est compliqué car de nombreux réseaux internationaux ont leurs ramifications à Paris. La petite couronne concentre par ailleurs les deux tiers de l’immigration irrégulière. Or, les préfectures n’ont pas de police spécialisée sur cette zone où la PP est compétente… », décrypte un bon connaisseur du dossier, qui salue toutefois les « progrès » réalisés sous l’ère Delpuech avec la vague migratoire [sic, ndc] , notamment pour gérer de façon plus « fluide » les placements en #rétention.
A la PP, l’un des principaux opposants au projet était Frédéric Dupuch, l’un des hauts fonctionnaires écartés mardi. Et pour cause, sa direction, la DSPAP, a aujourd’hui la gestion de l’immigration illégale en lien avec les commissariats de quartier. Le changement dans l’attribution des compétences affaiblirait cette entité prépondérante au sein de la préfecture.
Une crise préoccupante des vocations
Un sujet plus épineux actuellement sur la table concerne la #police_judiciaire. A l’instar de la DCPAF, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) n’a pas compétence, en pratique, sur le territoire parisien, où les troupes du fameux « 36 » règnent en maître. Une situation qui engendre régulièrement une « guerre des polices » sur les belles affaires.
« Ça ne se parle pas », regrette une source policière. « Dans un contexte d’internationalisation de la délinquance, notamment en matière de stupéfiants, cela pose des problèmes de continuum et pénalise en partie les stratégies nationales », souligne une autre source haut placée. Concrètement est donc aujourd’hui en réflexion un rattachement de la direction régionale de la police judiciaire de Paris à la DCPJ, dans une nouvelle structure zonale qui comprendrait Versailles.
En matière de #renseignement, la direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPP) est aussi potentiellement dans le viseur. Les projets à son égard semblent toutefois plus incertains. Depuis toujours, la DRPP défend un modèle « intégré », qui cumule les fonctions de renseignement territorial (ex-RG) et le suivi du « haut du spectre », soit les profils les plus dangereux, notamment en matière de terrorisme. Mais ce modèle doublonne en partie avec la compétence nationale de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui s’agace depuis longtemps de cette situation. La circulation de l’information en pâtit régulièrement, comme cela est apparu lors de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), en 2016.
L’alignement des planètes semble néanmoins idéal aujourd’hui, aux yeux des stratèges du ministère de l’intérieur, pour parvenir à des avancées sur tous ces sujets. Et ce, car la plupart des organisations syndicales apparaissent aujourd’hui enclines à soutenir les réformes. Notamment pour des raisons de ressources humaines et de gestion de carrière. Une crise préoccupante des vocations traverse par exemple la police judiciaire, autrefois service roi. Un rattachement de la PJ parisienne (environ 2 000 personnes) à sa direction centrale, la DCPJ (environ 5 300), permettrait de redonner une respiration aux carrières et d’éviter la fuite des cerveaux en province, estiment certains interlocuteurs.
« Il ne s’agit surtout pas de tout détruire »
Tous les spécialistes du sujet soulignent toutefois les risques de ces réformes. En clair, il ne faut pas casser un modèle qui – paradoxalement – fonctionne bien. Grâce à des moyens budgétaires régulièrement abondés, la PP a toujours su survivre aux assauts en développant une réelle efficacité sur son territoire. En matière de renseignement, la compétence de la DRPP sur le « bas du spectre » – souvent négligé par la DGSI – ou les réseaux d’ultradroite ou d’ultragauche n’est par exemple pas questionnée.
Le problème se pose aujourd’hui à l’envers : alors que les ressources se font rares pour l’Etat, ce sont les directions de tutelle de la PP qui estiment pâtir de sa toute-puissance. Certains plaident même pour inverser le paradigme. « Dans plusieurs domaines, le modèle parisien marche mieux que ce qui se fait ailleurs. Plutôt que de chercher absolument à nous déboulonner, il faudrait regarder comment exporter nos modes de fonctionnement », juge une source haut placée à la préfecture.
« Il ne s’agit surtout pas de tout détruire », prévient une source au cœur de ces négociations, consciente des spécificités de la capitale. Le but, selon plusieurs interlocuteurs, serait plutôt de ramener le préfet de police de Paris au niveau de ce que sont ses homologues en région : soit des préfets de zone sur lesquels sont « branchés » tous les services nationaux, comme c’est le cas à Marseille.
« Il faut redonner tout son rôle d’administration centrale » à la PP, résume un proche du dossier, mais sortir de la logique d’« Etat dans l’Etat », qui a aujourd’hui, par exemple, sa propre unité d’élite – la brigade de recherche et d’intervention. Une force qui a toute compétence sur la capitale, les groupes d’intervention de la police nationale et de la gendarmerie, le RAID et le GIGN, étant invités à rester cantonnés derrière le périphérique.
« Gilets jaunes » : soutenu par l’exécutif, Castaner se sait néanmoins en sursis, Cédric Pietralunga, Nicolas Chapuis
▻https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/20/gilets-jaunes-soutenu-par-l-elysee-et-matignon-castaner-resiste-a-l-offensiv
Le ministre de l’intérieur est critiqué pour n’avoir pas pu maintenir l’ordre samedi. Mais, pour l’exécutif, le problème a été un « défaut d’exécution » de ses ordres.
Le pilonnage était attendu. Il a été intense. Accusé d’être responsable de la débâcle policière lors de la dix-huitième journée de mobilisation des « gilets jaunes », qui a vu l’avenue des Champs-Elysées se transformer en champ de bataille, samedi 16 mars, Christophe Castaner a été pris pour cible toute la journée de mardi par l’opposition.
« Un ministre de l’intérieur digne de ce nom aurait dû déposer sa #démission », a attaqué le président du groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblée nationale, Christian Jacob. « J’en ai connu des ministres de l’intérieur de la Ve République, mais celui-là, il va rester au Musée Grévin ! », a ajouté le député (LR) de Paris Claude Goasguen sur LCP.
Lors de la séance des questions au gouvernement, le ministre a été plusieurs fois interrompu par des « Démission ! » venus des bancs de la droite, auxquels les élus de la majorité ont répondu en applaudissant debout M. Castaner.
Devant la commission des lois du Sénat, où il avait été convoqué mardi en en fin d’après-midi pour s’expliquer sur les défaillances dans les opérations de maintien de l’ordre à Paris, M. Castaner a également eu droit à une salve de remarques acerbes, résumées d’un trait par Michel Raison, élu (LR) de Haute-Saône : « Quand est-ce que l’autorité de l’Etat sera rétablie ? Parce que le vrai patron, ce n’est pas le préfet de police, c’est le ministre de l’intérieur. »
Soutien unanime de l’exécutif
Sous le déluge, l’ancien maire socialiste de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) ne s’est pourtant pas dérobé, répondant à chaque interpellation. Le ministre peut se targuer il est vrai d’un soutien unanime de l’exécutif.
Depuis dimanche, c’est le même mot d’ordre qui est répété : il faut sauver le soldat Castaner. « C’est un bon ministre de l’intérieur, il est en première ligne depuis le début et il se montre solide. S’il a pris un coup au casque, il a du coffre et les épaules pour tenir. Il y a un pilote à Beauvau et cela se voit », rassure-t-on ainsi à Matignon. Selon son entourage, le chef du gouvernement, Edouard Philippe, s’est entretenu à plusieurs reprises depuis samedi avec son ministre, dont il est devenu proche malgré leurs parcours politiques opposés, pour lui dire son soutien.
Sur le fond, c’est le même argument qui est martelé : le ministre de l’intérieur n’est pas en cause dans les défaillances constatées samedi. « Il y a eu un défaut d’exécution », assure-t-on au sommet de l’Etat. Comprendre : la hiérarchie policière n’a pas obéi aux ordres du ministère de l’intérieur.
« Les consignes que j’avais passées n’ont pas été appliquées », a lui-même plaidé M. Castaner, mardi matin sur France Inter. C’est pour cette raison que le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, a été limogé. « Le ministre de l’intérieur est responsable politiquement, le préfet est responsable opérationnellement. Il ne faut pas mélanger les choses, sans quoi nous devrions changer de ministre tous les deux mois », plaide un conseiller.
En sursis
Au sein de la maison police, personne ne réclame d’ailleurs le départ de ce fidèle d’Emmanuel Macron. « Quel intérêt on aurait à changer de ministre de l’intérieur ? Aucun ! Il commence à appréhender son poste. A l’heure qu’il est, on a, avec Laurent Nuñez [secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur], un binôme qui fonctionne bien, il ne faut pas y toucher », tranche Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP Police-FO, le premier syndicat au sein du ministère.
Les nombreux déplacements de terrain de Christophe Castaner sont plutôt appréciés des fonctionnaires. Tout comme le soutien indéfectible aux forces de l’ordre affiché par la Place Beauvau, au plus fort de la tempête sur les violences policières et l’usage trop généreux des lanceurs de balles de défense (LBD).
Les organisations syndicales n’oublient pas non plus que c’est Christophe Castaner qui a conclu un protocole d’accord en décembre 2018, prévoyant des augmentations de salaire substantielles pour les gardiens de la paix, au terme d’une discussion marathon de huit heures. Le ministre avait sollicité un arbitrage de l’exécutif et obtenu gain de cause. Quant à ses incartades lors d’une soirée dans un restaurant, révélées par la presse people, elles font sourire les troupes plus qu’autre chose. « L’épisode ne l’a pas affaibli », assure-t-on à Matignon, où l’on revendique de former « un pack » autour du ministre.
Dans les rangs de la police, on ne se fait surtout aucune illusion sur les effets de la politique du fusible. « Depuis 2016, on a eu cinq ministres qui se sont succédé, parfois pour quelques semaines seulement, rappelle une source policière haut placée. Dès que quelque chose ne va pas dans le pays, on veut tout bouleverser à Beauvau, comme si le changement d’homme allait régler tous les problèmes. »
S’il n’est pas menacé à court terme, Christophe Castaner se sait néanmoins en sursis. Que de nouvelles émeutes éclatent lors d’une prochaine manifestation des « gilets jaunes », ou que des affrontements se terminent par des blessés graves voire des morts, et le ministre de l’intérieur n’aurait d’autre solution que de partir à son tour. « Ce serait le seul moyen de protéger le président et ce serait son rôle », concède un parlementaire de la majorité.