Bonjour,
je vous envoie ci-dessous, et en pièce ci-jointe, un article qui m’a beaucoup touché, et que je crois capable de toucher de nombreuses personnes, concernant la domination sexuelle ordinaire dans les relations hétérosexuelles.
Il est paru dans Timult, une excellente revue rédigée collectivement par desfemmes/lesbiennes/trans, et qui traite de nombreux sujets de la vie politique (et de la vie politique que constitue le quotidien) d’une façon vive, vivante et vécue... Cf., pour le numéro qui nous concerne ici, ▻https://timult.poivron.org/06.
Le voici, donc, ci-dessous. Je n’en connais pas l’auteure, mais Timult m’a fait savoir qu’elle est d’accord pour que je le diffuse.
yves
===============
Dire non n’est jamais anodin
Viol et domination sexuelle ordinaire dans les relations hétérosexuelles
Le viol est un drame. Les filles violées sont des victimes. Chacune, chaque fille, adolescente puis femme, nous sommes tenues depuis l’enfance à le craindre. Souvent avec la meilleure intention du monde : protéger son enfant, sa s¦ur, sa nièce, on nous explique et l’on répète ensuite aux autres filles comment se comporter, à quel point il est important de bien rester à sa place pour ne pas se mettre en danger. Après 20h, encore en France, aujourd’hui, combien de fois plus d’hommes que de femmes dans les rues ? Vous vous êtes déjà amusé.es à faire le compte ? Et ben moi, pas besoin de compter, presque tous les soirs, je sens bien cette ambiance lourde, alors que je suis la seule fille dehors dans cette rue, sur cette place, à traverser ce parc, cette plage... montée d’adrénaline, je suis sur la défensive. Parano ? Malgré tout ce qu’on m’a répété depuis toute petite, de faire attention, que je risquais de me faire violer, et ben je sais que je n’y suis pas du tout préparée. Je sais que je ne saurais pas me défendre, que je resterais paralysée, inerte, passive, passive à en crever.
On nous ment, pourtant, avec toute cette bien-pensance et ces conseils culpabilisants. La vérité, c’est qu’à partir du moment où tu nais avec un sexe féminin, et ben tu es en danger de viol. Simplement parce que c’est un « crime » éternellement sous-estimé, éternellement perpétré, impunément, dans toutes les classes sociales, à toutes les époques, et partout sur la planète. Le pire, c’est qu’un très faible pourcentage est raconté, un pourcentage encore moindre donne lieu à de réelles représailles envers l’agresseur, la parole de la victime est sans cesse mise en doute. Seuls les cas spectaculaires, bien clairs, bien tranchants, bien effrayants, d’agressions avec de la violence physique, de la part d’un ou plusieurs inconnus, dans un lieu public, sont entendus, recevables dans notre société où règne en maître absolue la domination hétérosexuelle masculine.
En vrai, la plupart d’entre nous qui subissent un viol doivent y faire face chez elles, chez des amis ou dans la famille proche. On ne peut pas se contenter de dire « j’espère que moi, ça ne m’arrivera jamais » et rester enfermée bien tranquillement, être la meilleure épouse, la meilleure mère. Simplement parce que la plupart du temps, il frappe à la porte, il défonce la porte, il est déjà dans l’école, dans le groupe, dans la maison, dans la chambre. Parce que celui qui viole ne fait pas qu’exercer une violence physique extrême : il assoit son pouvoir psychologique, manipule affectivement, détruit mentalement... la menace de viol est une agression qui nous réassigne directement à notre statut de fille, à une infériorité, une soumission, une passivité patiemment et savamment inculquées depuis nos premières respirations dans ce monde.
Une pote a défié son psychologue l’autre jour, qui cherchait à la « déculpabiliser » en disant qu’un viol, c’est pas normal : arrêtez de mentir ! « Le viol, c’est la norme » : ce qu’on peut faire impunément, ce qui se fait de génération en génération... le viol, tel que décrit dans l’imaginaire collectif, se double nécessairement d’une violence physique inouïe, comme si le viol lui-même n’était pas un assez grand motif de scandale, de douleur et de plainte. Ce schéma caricatural, c’est un point extrême sur un continuum de domination sexuelle, qui est effectivement une norme, construite très tôt dans nos identités, très consciencieusement, incessamment. Ce sont toutes ces micro-habitudes, cette multitude d’expériences de soumission qui conditionnent la fille à devenir victime de viol. Et toutes ces injustices, ces prises de pouvoir « anodines », ces caprices assouvis et cette pression à être un homme, un vrai, capable de « faire le premier pas » et de se donner les moyens de « prendre ce dont il a envie » qui poussent l’homme au viol.
Cela n’excuse rien. Cela n’a jamais rien excusé et n’excusera jamais rien. Il y a une part de liberté, il n’y a pas que de la fatalité dans ce destin social. Tous les hommes sont des violeurs potentiels, ils sont éduqués à ça. Mais tous les hommes ne violent pas. Par contre, je n’ai encore jamais rencontré d’homme qui n’ait jamais bénéficié, sur le plan sexuel, de ce schéma de domination, et jamais rencontré de femme qui ne se soit pas soumise, tout en la justifiant ou en la banalisant, à une situation de domination sexuelle.
Pour réussir à lutter contre son agresseur particulier, il lui faut se battre contre sa propre disposition à accepter ou légitimer l’injustice sexuelle de notre société. Se battre contre les fantômes de toutes ces situations de domination dont elle a souffert mais qu’elle a relativisées, banalisées. Comment les policiers, médecins, psychologues, journalistes, et moralistes en tous genres peuvent reprocher à celles qui, comme moi, tendent à rester figées, de ne pas réussir à mener ce combat ? Comment arrivent-illes à s’arranger avec leur conscience, en culpabilisant les victimes au lieu de se remettre en cause, au lieu de se mordre les doigts d’avoir été complices, d’avoir permis qu’une situation de cette violence ne se produise ? Qu’elle devienne et se maintienne comme norme ?
Pourtant, malgré toute vraisemblance, contre toute attente, certaines opposent une résistance. Des héroïnes parmi les rescapées. Pas de fatalité. Souvent, ce sont plutôt des femmes libres, indépendantes, féministes ? De celles qui ne se laissent pas trop marcher sur les pieds... elles sont visées, aussi. Plus qu’on ne le croit. On croit moins à leur témoignage. Comment une libertine, une pute, une allumeuse, une camionneuse, une directrice de communication peuvent-elles être aussi des victimes sociales ? La question relève à ce point de la mauvaise foi que c’est du foutage de gueule ! Il y a quand même des trucs, basiques, pas si durs, qu’il faudrait réussir à assumer en tant qu’adultes, merde, et à transmettre, à enseigner aux enfants !
Déjà, repérer, décrire toutes ces micro-situations qui instaurent une identité sexuelle dominée. Pouvoir dire non n’est jamais anodin. Le respect de nos corps, le fait que le corps d’une femme ne lui appartienne qu’à elle n’est pas négociable ! Il est plus que jamais urgent de hurler et de faire rentrer une bonne fois pour toutes dans la tête de tout le monde qu’une femme peut être nue dans le lit d’un mec, avoir couché avec lui quelques minutes plus tôt, ou être en train d’avoir des rapports sexuels avec lui et dire « NON », signifier qu’elle ne veut pas continuer, qu’elle ne veut plus ou pas de sexe avec lui, maintenant, comme ça, ici... et c’est son droit le plus fondamental : sa volonté doit être respectée stric-te-ment. Il n’y a pas de circonstances atténuantes pour excuser un viol. Tout garçon qui a un vrai souci de ne pas se comporter en dominant, de respecter sa partenaire, ou simplement de ne pas lui faire de mal ne doit JAMAIS revenir à la charge, insister lorsqu’on lui a dit ou signifié un refus, une hésitation, un doute.
Dire non n’est jamais anodin. Si le premier non n’est pas entendu, le second est plus difficile à dire, le troisième encore davantage... certaines d’entre nous, dans certaines situations-limites, n’arrivons même pas à prononcer clairement ce premier « non ». Quelqu’un de vraiment attentif et qui nous connaît un tout petit peu verra vite que quelque chose cloche, mais de fait, des hommes profitent allègrement de cette assignation au silence pour se donner bonne conscience ou présumer le consentement.
Il y a une quinzaine de jours, une amie a été violée par un demi-inconnu rencontré dans une ambiance festive. Peut-être avec un complice, elle ne sait plus trop, elle avait bu. Sa mère a été violée lorsqu’elle était jeune. Pendant plusieurs années, ma s¦ur a subi des attouchements sexuels, alors qu’elle était mineure. Ma meilleure amie et sa s¦ur en ont aussi subi quand elles avaient moins de 5 ans. La s¦ur de ma coloc a été violée par un inconnu dans la rue. Une copine d’une de ses copines a été violée plusieurs fois par son frère. Une copine m’a dit l’autre jour qu’elle ne savait pas trop comment définir le viol, mais qu’elle avait vécu des trucs limites. Une collègue s’est mise à pleurer lorsqu’on a raconté une histoire qui lui a rappelé son viol (en stop). Ma belle-s¦ur a été violée par son ex-petit ami. Ma tante de plus de 55 ans a réussi à éviter une tentative de viol cette année grâce à son chien qui l’a défendue... dès que l’on se met parler de ce sujet "défendu", des filles, des femmes se rapprochent et racontent leur histoire. Vous connaissez à coup sûr des femmes victimes de viol. Si vous avez un vagin et que vous avez eu des expériences hétérosexuelles, il est certain que vous avez vécu des situations de domination sexuelle. Oh, pas grand-chose, juste de ces petites anecdotes qu’on légitime, qu’on relativise et qu’on range soigneusement dans sa mémoire, en espérant qu’elles atteignent vite la case "oubli", ces trucs "anodins" qui pourtant remontent très vite lorsqu’on cherche à se souvenir de ce qu’on a vécu d’injuste dans notre sexualité, ces assignations à notre corps féminin à servir d’abord et avant tout, le mieux possible, à assouvir le désir masculin.
Je considère que j’ai plutôt eu beaucoup de chance dans mes relations affectivo-sexuelles avec les hommes. Elles ont, de fait, été souvent liées à de belles histoires d’amour, qui m’ont beaucoup apporté. La plupart de mes relations avec des hommes ont contribué à me rendre plus confiante en moi, en mes qualités, potentiels, non seulement en ma capacité à séduire et à plaire, mais aussi en ma capacité à identifier et exiger ce dont j’ai besoin. J’ai rarement fini un rapport sexuel avant d’arriver à l’orgasme, j’ai appris à le rechercher et le provoquer chez moi, à le faire durer, le retenir un peu... je n’ai jamais testé une nouvelle pratique juste pour "faire plaisir" à un mec, mais j’ai développé une curiosité et une imagination qui m’ont permis de toucher à de nombreuses formes de plaisir, dans des relations avec peu de tabous. Presque une parfaite description de "success story".
Pourtant.
Le dernier récit de viol que j’ai entendu a provoqué chez moi comme une illumination : j’ai vu, compris, perçu, non plus intellectuellement, de loin, mais dans ma chair, mon histoire, le continuum terrifiant qui existe entre l’agression sexuelle violente, par un inconnu, dans une ruelle sombre et les "anecdotes" de domination sexuelle que j’ai subies. J’ai repensé à chacun de mes partenaires, enfin surtout à chaque histoire d’amour que j’ai vécue. J’espérais me tromper. Mais je n’ai pas eu besoin de les passer au peigne fin : très vite, les souvenirs sont revenus, parfois vieux de plusieurs années, des petites choses que je croyais oubliées, que j’avais négligées... tous m’ont fait du mal, à un moment, en se comportant en dominants sur le plan sexuel. Affligeant de banalité, rien d’extraordinaire pour remplir les colonnes de la presse à sensation, mais une violence ordinaire, latente, celle qui fait que moi, jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas si je serais capable de réagir autrement à un viol que par la paralysie, le regard vide, l’attente passive, l’impression de sortir de mon corps mentalement pour ne pas être là, que ça ne soit pas en train de m’arriver... et l’envie de suicide, après. Ça vaut ptêt le coup d’en parler, de ces anecdotes pas si anodines :
17 ans, première fellation. On se cherche, découvre notre corps, celui de l’autre. Excitant aussi de lui faire de l’effet. Mais en fait, je trouve ça nul : ça pue, ça n’a pas bon goût (la dernière douche devait dater un peu) et puis d’un coup je me sens renvoyée à tous ces clichés à la con avec lesquels je suis pas d’accord mais qui quand même sont bien ancrés que ça fait un peu "pute" de "sucer". J’arrête. Mon partenaire a la grandeur d’âme de ne pas insister pour que je poursuive. Mais il me fait clairement comprendre que "je vais pas le laisser en chien". Puisque le voilà excité, puisque j’ai voulu avoir une relation sexuelle avec lui, là, maintenant, ben c’est comme s’il en allait de ma responsabilité de m’assurer que Môssieu prenne son pied, et concrètement (et vu notre connaissance du plaisir à l’époque ça se résume plutôt à ça) qu’il aille jusqu’à éjaculation. Et ben oui, j’ai 17 ans, je suis assez conne pour me laisser à moitié culpabiliser et à moitié attendrir et je me retrouve à le branler. Et mon plaisir là-dedans ? Et il était pas foutu de le faire lui-même ? Et il en avait vraiment besoin ? Et il aurait pas mieux fait d’essayer de capter ce qui m’avait "bloquée", "déplu" et de discuter plutôt que de continuer à baiser ?
Premier grand grand amour. On est déjà ensemble depuis un an et demi à deux ans. Sexualité débridée, confiance, recherche du plaisir mutuel. Jamais autant eu d’orgasmes synchronisés avec personne d’autre qu’avec lui. On connaît très bien le corps de l’autre. Trop. On aime faire l’amour, c’est souvent le premier truc qu’on fait en se retrouvant, pas systématiquement non plus, mais souvent. Ça devient une évidence dangereuse. Un jour, on a envie, se le fait savoir, on est chez son père, en pleine journée. Difficile. Interdit, encore plus excitant. J’en joue. Et puis, comme c’est vraiment pas possible, on fait autre chose. Mon désir se calme. Son père part faire une course. Il me saute dessus. Surprise, un peu, et puis flattée, et puis je m’attends à ce qu’on fasse l’amour avec la même attention à l’autre que d’habitude, et que j’y trouve mon plaisir... mais je comprends vite avant d’avoir eu le temps de dire "ouf" qu’il m’a juste "prise" vite fait bien fait. Il est dans son monde, il va à 100 à l’heure, ne me voit plus. Heureusement, c’est rapide, à peine le temps de comprendre ce qui m’arrive que c’est fini. Là, il relève la tête, voit que moi, ça va pas. Je ne parle pas avant quelques heures, puis j’arrive à vraiment lui exprimer mon ressenti. À lui dire que je me suis dit que ça ne devait pas être si dur de se prostituer... avec tout ce que cela implique de terrible comme constat quand on est en train d’avoir un rapport sexuel avec "quelqu’un qu’on aime".
Amsterdam, en hiver. Week-end en amoureux (avec un autre amoureux !) et tout ce que ça peut comporter de kitsch. On n’a pas de sous alors on est dans une auberge de jeunesse un peu miteuse et on partage la chambre avec un couple de punks fort sympathiques. Notre couple bat de l’aile à plein de niveaux. Je tente de me rapprocher au moins par la tendresse, un matin. Il est tout excité mais gêné car on n’est pas seuls. Il a du mal à distinguer tendresse et sexualité. Je crois que ça finit par m’exciter un peu, cette situation, et je lui propose d’aller prendre une douche avec moi, ne sachant pas trop au juste ce dont j’avais envie encore, mais sachant très bien que c’était possible avec lui de flirter entre les frontières et de prendre une douche ensemble sans même se toucher si on ne le souhaitait pas. Il est à moitié réveillé, il traîne, je file, il arrive trop tard, y a plein de monde dans les douches et j’ai fini. Tant pis. Une demi-heure plus tard, nos voisins de chambre s’en vont. Il me relance. Je joue le jeu sans en avoir vraiment envie, pour lui faire plaisir, parce que je me sens un peu responsable, quand même, d’avoir éveillé un désir en lui, parce que le mythe de la réconciliation « sur l’oreiller », que ça résout tout, etc. Je me retrouve en mode missionnaire bête et méchant à le sentir en moi sans rien sentir du tout et je trouve ça vraiment nul, et je sais très bien que j’ai tort d’avoir fait semblant d’avoir envie, et il voit bien que je ne prends pas beaucoup de plaisir (au moins que je le montre moins que d’habitude) et il me demande « ça va ? » et là - ERREUR - je dis « ouais » juste pour ne pas avoir à me justifier et expliquer le pourquoi du comment de mon comportement ostensiblement contradictoire. Pfff, faire l’amour par cohérence, par politesse ! Évidemment, ça n’a rien arrangé entre nous. Et brisé quelque chose en moi. Je me suis jurée de ne plus jamais faire ça.
Pourtant, deux ans plus tard, je me suis retrouvée dans le même schéma, avec un autre garçon, et je m’en suis tellement voulue de mon impuissance, de mon réflexe débile de silence et d’abnégation, j’ai eu peur de moi-même, de ma pré-disposition à la soumission. La seule, la légère différence à deux ans d’intervalle, et beaucoup de brochures féministes : j’ai arrêté. J’ai dit stop. Tard, mais je l’ai dit. Et ça a été entendu. Et je me suis fait violence mais cette fois j’ai cherché à expliquer. Pas pour me justifier. Parce que j’avais besoin de le dire et d’entendre que c’était cohérent. Pour qu’il sache le mal qu’il peut faire, aussi bêtement que ça, juste en n’étant pas attentif, en ne percevant pas un mal-être que je n’arrive pas toujours à formuler, sur le coup. Et parce que je pensais que notre relation en valait la peine.
Je ne sais pas trop à quel point il me plaît. Je n’ai pas complètement envie d’esquiver ses bisous. Je sais que je ne veux pas être « avec lui ». Il est tard, on discute, s’attarde, je lui propose de rester dormir. Il n’y a qu’un lit simple. Petit câlin, l’excitation monte, c’est très agréable, mais j’ai décidé dans ma tête que j’ai pas envie, pas besoin de compliquer ma situation affectivo-sexuelle du moment en couchant avec lui. Je le calme gentiment en disant un truc genre « c’est un peu rapide, je préfère dormir ». Ok, on s’endort. Quelques heures plus tard, il revient à la charge. Doucement, subtilement. Je le laisse comprendre que ça me plaît, et je n’ai plus la même sagesse pour tenir mes bonnes résolutions. C’est trop bien, pour une première fois avec quelqu’un, et je le connais à peine. Je lui en veux, quand même, il me fait peur d’avoir insisté comme ça. Si je n’avais vraiment pas voulu, il aurait tenté une 3ème puis une 4ème fois ? Comment un gars responsable aujourd’hui dans notre société peut se permettre d’insister auprès d’une fille ? C’est pas évident que ça crée des risques de consentement confus, ou dérobé, pressé, chamboulé ? Pour rester sur des adjectifs très softs...
Il me réveille en me caressant. Ça dérape très vite vers ma chatte, mes seins... je suis très fatiguée et à peine réveillée. J’ai envie de dormir. Je suis dans son lit. Toutes mes affaires dans sa chambre. Temporaire. On n’est même pas ensemble, même si oui, on a une forme de relation « officieuse ». C’est la première fois que je fais un truc pareil, de tout déménager chez un gars. J’ai osé parce que je le considère d’abord comme mon meilleur ami, une très grande confiance. Je me retourne, je repousse ses mains, il revient, il insiste. Plusieurs fois. Je ne sais plus si je finis par pleurer ou par me mettre en colère. Il arrête. Se mure dans le silence. On n’en reparlera que 24h après. C’était il y a plus d’un an et il m’a dit récemment qu’il s’en voulait encore. Je crois que notre discussion et puis tout un tas d’autres choses qu’il a vécues depuis le font cogiter... ça fait du bien !
Il était fleur bleue. Il m’a même dit qu’il était amoureux. Il avait tenté plusieurs fois. Je lui avais écrit par texto que je serais p’têt bien capable de craquer un soir trop arrosé mais qu’en vrai ce n’était pas ce que je voulais. Ben il a créé l’occasion de cette soirée alcoolisée, m’a travaillée au corps, pendant trente minutes, dans un coin, à me blablater, me voler qui un bisou dans le cou, qui un bisou sur la joue... c’était un gars chouette, j’aurais voulu qu’il soit mon ami, mais ça ne lui a pas suffi. J’ai craqué. On a fini dans mon lit et il n’a pas voulu coucher avec moi ce soir-là (remords soudain du procédé alcoolisé ?), en me réveillant je me suis sentie très très mal à son contact et je l’ai limite viré à coups de balai (pour aller avec l’imaginaire ménagère-sorcière). Plus tard, on a fini par avoir une courte liaison, je passais des bons moments avec lui, en particulier de beaux ébats sexuels. J’ai mis fin à la relation de façon unilatérale et brutale, pour en privilégier une autre. On ne s’était rien promis. Ça a mis du temps mais il m’a « pardonnée ». Je suis venue lui rendre visite plus d’un an plus tard (il avait déménagé dans une autre ville), la chambre était toute petite, on a dormi dans le même lit. Contente de le retrouver « ami ». J’ai même l’initiative de le prendre dans mes bras et de dire bonne nuit avec un bisou sur la joue. Je n’ai pas fermé l¹¦il. Il n’a pas arrêté de chercher à m’attirer vers lui, me caresser, m’exciter... j’ai dû dire non mille fois, je l’ai fait, mais je n’ai pas su montrer la colère équivalente au malaise qu’il y avait en moi. J’avais peur. Il disait « tu sais, ça fait longtemps que j’ai pas eu une nana dans mon lit ». Je n’étais pas moi, j’étais « une nana » et une nana dans son lit, c’est fait pour assouvir ses désirs sexuels. Il m’a dégoûtée. La colère et la résistance plus forte que j’aurais pu opposer ce jour-là, elles ont été anesthésiées par ma volonté de lui expliquer au début, de lui dire pourquoi c’était horrible cette phrase, de me justifier de pourquoi je ne voulais pas coucher avec lui... de quel droit ?!
Plus délicat. Un féministe. On m’avait prévenu que certains hommes deviennent « féministes » pour baiser avec des féministes. Jolie rencontre. Ami d’amis, confiance. Moments fort, tendresse, attention, affection. Sentiments mêlés. Mais moi je n’aurais pas fait le pas de l’embrasser. Peur que ça complique tout. Alors de là à imaginer coucher ensemble ! Il m’a embrassée, et ça a effectivement tout compliqué. Connaissant mon système de références, de valeurs, il avait un avantage dans la persuasion, la manipulation. Je ne dis pas que c’était prémédité. Je ne sais pas. Mais il a su s’en servir pour se déresponsabiliser. On a beaucoup « parlé », il ne m’a pas beaucoup entendue, et, en tout cas, on a fini par faire ce qu’il voulait.
J’ai émis un doute, exprimé une hésitation claire. Ça aurait dû suffire à le calmer, s’il avait vraiment été féministe. En même temps, il me plaisait, en tant que personne. Et comme on était dans un même truc de libertinage tous les deux, pourquoi pas se rapprocher ainsi ? N’empêche, sa façon de s’y prendre ne me donnait pas vraiment envie. Hésité un peu, et puis, quitte à savoir qu’on avait déjà franchi le cap de ne plus pouvoir être une belle relation amicale tranquille, puisque la relation naissante était déjà consumée, autant chercher mon plaisir dans cette situation. Autant aller à la jouissance physique, au moins. Demain, il serait grand temps de penser à autre chose. Je cesse d’hésiter, deviens plus entreprenante, propose une position de pénétration vaginale avec laquelle je trouve facilement du plaisir, une position où c’est plutôt moi qui contrôle. Mais là, pas le temps, il éjacule très vite. Alors, sans vraiment se préoccuper de savoir où j’en suis moi, il me fait patiemment un cours de féminisme en m’expliquant que ouais, bof, c’est pas parce qu’il a éjaculé qu’il a eu un orgasme et que il est sûr que pour moi aussi c’était nul, et que y a pas que la pénétration et que même lui il trouve qu’il vaut mieux éviter ça comme pratique sexuelle, qu’en fait on trouve seulement du plaisir dans d’autres trucs, que c’est le meilleur « sexo seguro »... blablabla. J’explique que, pour moi, contrairement au vocabulaire débile de « préliminaires » l’ensemble des pratiques sexuelles autres que la pénétration vaginale (même me masturber) sont des trucs plus intimes, que je ne me sens pas toujours de partager direct à la première relation... mais il n’entend pas la personne qui est en face de lui et préfère prendre en compte seulement les grandes généralités conceptuelles qu’il a retenues d’une mauvaise lecture de discours féministes. Et sans que j’aie eu le temps de dire ouf, il s’occupe de mon cas, je pense bien décidé à ouvrir mes prunelles naïves sur le monde enchanté des autres formes de plaisirs sexuels... (il se prend pour qui ?) Ça me fait quand même doucement rire à l’intérieur quand je le vois dérouté par le fait que je lui demande de chatouiller aussi mon anus. Il m’a « à la longue » : pour le coup je finis par jouir et ça fait un bon moment que je ne me préoccupe plus du tout de son plaisir à lui, je suis ailleurs... et plutôt contente de constater qu’il a trouvé moyen de se branler en même temps et qu’il atteint ainsi l’orgasme. Une histoire qui « finit bien ». Mais c’est quand même fou que ce type ait réussi à me faire culpabiliser d’aimer ce que j’aimais et d’avoir envie de certains trucs dans un cadre précis, d’autres dans un autre. Car c’est limite s’il ne m’a pas dit que j’étais pas une « vraie féministe si j’étais capable de kiffer une pénétration vaginale ». Mais j’emmerde profondément toutes les personnes qui croient pouvoir me donner des leçons au nom de la religion, de la « nature » féminine ou d’un idéal. Il a rien compris ce type, le féminisme que je défends c’est une plus grande liberté de choix. On ne lutte pas contre le conformisme et le conservatisme en adoptant systématiquement des comportements anticonformistes par principe, ou alors le seul but c’est de choquer et de se rendre malheureux-se ! On déborde des cases, on brouille les frontières, on peut être féministe et féminine et/ou féministe et maman et/ou féministe et lesbienne et/ou féministe et masochiste et/ou féministe et bi et/ou féministe et pute... et si ça dérange ce qui est bien rangé de façon rassurante dans les têtes, comme les « recettes pour baiser comme il faut quand on est féministe » et ben tant mieux !
Le plus évident. Aurait pu dégénérer. Un gars beau, rigolo, pas très fut-fut. Je suis loin de mon mec, à l’époque relation exclusive. Envie de tendresse. Soirée dans un chalet en montagne, avec un groupe de potes. On danse. Zouk. Ce que ça fait effet ! J’avoue que c’est délicieux de le sentir bander contre moi... mais je n’ai pas envie de plus (ben ouais, c’est fou, hein, mais le respect du consentement, c’est aussi de respecter ce que veut la personne même si on pense que c’est débile, en l’occurrence même si je frustre mes désirs sur ce coup-là, c’est mon choix, et il est on ne peut plus clair). La musique s’arrête. On dort tous dans une grande pièce. Moi loin de lui. Mais dans la nuit, il tente de se rapprocher pour m’embrasser. Je l’envoie chier. Quelques semaines plus tard, rebelote, chalet et compagnie. Sauf que c’est un traquenard. Comme de par hasard, on se retrouve tous les deux seuls. Je refuse de danser, je ne veux surtout pas être ambiguë, lui donner de faux espoirs. On passe une bonne soirée, on va voir le luthier dans le village. Au moment de dormir, un seul lit, double, dans la seule pièce chauffée. Et lui qui commence à devenir très insistant. Je le rembarre plusieurs fois, et puis, je me dis un truc horrible : « donne-lui ce qu’il veut après tu seras tranquille ». Je le laisse m’embrasser. Il me caresse les seins... je ne sais pas pourquoi ni comment mais la vue de son pénis en train de se tendre au travers de son caleçon m’a alertée, faite réagir, j’arrête illico et je dis clairement que je ne veux pas, un point c’est tout. Je retourne dans mon coin au bout du lit. J’espère vraiment que cette fois, ça va suffire. Je l’imagine devenir plus contraignant. Et je ne vois pas comment m’échapper en courant dans le mètre cinquante de neige vers la petite route de montagne, en pleine nuit. Il n’insiste plus. Moi j’ai failli abdiquer. Ça se joue tellement à rien ! Le pire ? Le lendemain, comme si de rien était, presque comme si on était ensemble, trop mignon, petit dej au lit et tout. Plus un sentiment d’insouciance totale et de refuser de voir la violence qu’il m’a faite et qui fait que je suis en colère contre lui. Quelques semaines plus tard, je lui ai dit que je n’avais jamais autant eu l’impression d’être un bout de viande. Il m’a regardé avec de grands yeux. Il n’a juste rien compris. Moi, j’ai eu peur.
Je relis ces bouts de vie balancées sur une page blanche d’une traite, une nuit. Drôle de sensation d’exhibitionnisme. En même temps, je n’y trouve rien de si « trash ». Envie d’enlever des détails trop « persos ». Est-ce que je dois laisser les happy ends ou juste focaliser sur les situations de domination même ? Ben je laisse les happy ends. Parce que c’est ça, la vraie vie. Parce que, comme dit ma pote, ben c’est plus facile de jouer le jeu de cette foutue norme d’obéissance et de soumission. De recevoir cadeaux plutôt que coups, choisir de toujours dire oui, rester « ouverte » plutôt que de choisir, et donc dire non, parfois, pour de vrai, et être sanctionnée pour cette infraction à la norme. Plus facile, tant que l’on s’illusionne. Ces anecdotes sont autant de batailles perdues. Les happy ends ont un goût amer de ce qu’elles m’auront coûté en respect de moi-même. En les écrivant je voudrais pouvoir les rejouer, réagir différemment. Les identifier, c’est allumer la rage, me donner la foi de ne plus accepter de situations de domination, même « insignifiantes » ou « banales » ! Il ne s’agit pas de voir le mal partout, de se rendre malheureuse avec ça et de « persécuter » nos « pauvres » partenaires... il s’agit de voir tous les niveaux où un progrès est possible (et complètement nécessaire !) de déconstruire la norme du viol, de refuser de tolérer l’intolérable. Courage, les filles ! On n’est pas des dominées, des victimes éternelles, seulement potentielles ! Oui, même les plus proches, surtout les plus proches, peuvent nous faire du mal. Ce n’est pas inscrit dans leurs gènes, mais dans la série des situations de domination qui s’installent en silence entre eux et nous, entre toi et lui. Faisons attention aux détails, à ces phrases qui tuent, à ces attitudes blessantes, à toutes ces mini-dominations qui nous conditionnent. C’est une façon d’apprendre à dire non, à poser des limites. Les souvenirs que j’ai décrits touchent à mes propres limites. Elles peuvent être différentes d’une fille à l’autre. Dans tous les cas, elles méritent toujours d’être posées !