• Le premier mystère, déjà, c’était la disparition de tous mes maillots de bain. J’avais beau faire tous les placards, je n’en avais plus un. Disparus, envolés, volés, mais par qui ? Je peux comprendre à la rigueur qu’on collectionne les petites culottes de Madonna, qu’on s’arrache les dentelles d’une jeune demoiselle, mais MES MAILLOTS DE BAIN ?

    N’empêche, il fallait bien se rendre à l’évidence. La cata. Obligé de mettre un slip sous ma combinaison néoprène. (Et encore, j’avais de la chance : des slips, il m’en restait encore quelques uns. Une chance inouïe, vous verrez, car les slips aussi, ça disparaît).

    Le lundi suivant, à 17h tapantes, je me rue donc à Décalthon, bien décidé à m’acheter des maillots de substitution. Et là, stupéfaction : des maillots de bain, il y en a des trouzaines, de toutes marques et de toutes couleurs, mais TOUS, JE DIS BIEN TOUS, en taille S. (Je suis médisant, il y avait bien quelques L, mais absolument rien dans les tailles non-présidentielles).

    Sauf au rayon des boxers. Alors là, les boxers, vous en aviez en taille XL, en XXL, en taille David Douillet même, mais pour ce qui est des slips, queudalle, ceinture : taille S ou rien.

    J’en étais là, dans mes réflexions, quand mon ancien collègue de bureau a débarqué fortuitement dans le rayon. Je le voyais bien, il était grognon.

    Il lui était arrivé la même chose aux rayons chaussures. Lui, qui chausse du 47 (comme tout le monde), il n’avait pas trouvé chaussure à son pied. « Les chaussures, y en a que pour les nains », a-t-il grommelé. « C’est des décisions qui doivent venir d’en haut », j’ai dit. (Pour ce qui est de la politique, je préfère toujours l’insinuation).

    « On peut comprendre à la limite qu’on ne trouve pas de bottines roses en taille 49 dans toutes les grandes surfaces », j’ai concédé, « c’est une question d’offre et de demande ». « M’enfin, des baskets, en 47... ».

    Ceci dit, ça ne résolvait pas la question de mes slips. Je lui ai fait part, évidemment, de mon intense préoccupation du moment. Lui qui a des pieds qui chaussent du 47, vous imaginez bien que pour les slips, il avait forcément rencontré les mêmes problèmes que les miens...

    Hé bien oui : lui aussi, à la rentrée, il lui était arrivé la même chose. Impossible de mettre la main sur des maillots de bain à sa taille : il avait dû se rabattre sur les boxers de bain !

    Le plus fou, c’est que la même scène - peu ou prou - s’était produite quelques semaines auparavant. Quand j’étais tombé sur le Fred, au Carrefour. Je sortais juste du rayon des slips, justement, là-bas aussi : bredouille, presque abasourdi.

    Je lui avais dit exactement la même chose : qu’il n’y avait plus de slips à ma taille. (Alors que j’avais fait vachement gaffe à la crème fraîche tout l’hiver, justement, c’était pas ça : non, il n’y avait tout simplement plus de slips en taille 4. Ni 5 d’ailleurs. Les slips ça s’arrêtait en taille 3. Au-delà, il n’y avait plus que les boxers).

    Et le Fred, qui n’avait pas forcé plus que ça sur la crème fraîche ni sur le reste, il m’avait dit pareil : « ben non, c’est vrai, maintenant que tu le dis, je m’étais dit la même chose, et puis j’avais pris des boxers, du coup ».

    Je me souviens qu’on était resté un bout de temps à discuter de ça dans les rayons. Et si c’était pas mieux de mettre des boxers, finalement.

    Mais enfin, MERDE, que les boxers soient plus agréables que les slips, peut-être, mais qui a décidé, une fois pour toutes, que seuls les non-grands pouvaient avoir un désir de slips ?

    Si vous voulez mon avis, ça doit venir une sombre querelle de personnes dans l’équipe marketing. Il doit y avoir un petit qui kiffe les slips (qui rassurent le client et lui offrent une expérience client unique), et un grand qui déclame à longueur de réunion qu’il n’y a que les boxers pour sentir vraiment sa liberté dodeliner (dans une expérience client unique). Et au-dessus d’eux il doit y avoir une directrice marketing qui n’a pas d’idée arrêtée sur le sujet et qui les laisse gérer chacun comme ils l’entendent leurs segments de marché...

    Tout ça, c’est comme les chemises rouges à Rennes. Une fois, il y a 15 ans, j’avais voulu acheter une chemise rouge à Rennes. J’ai fait toute la ville. 200.000 habitants, j’ai bien dû faire 20 magasins de vêtements. Impossible de trouver une chemise rouge. « Cette année, c’est surtout le kaki qui se fait. Et le beige. C’est très beige, cette année ».

    Au dixième magasin, je bouillais. « Vous ne voulez pas une chemise beige ? C’est très recherché, vous savez ». JE VOULAIS UNE CHEMISE ROUGE. Bordel, à quoi ça sert d’avoir 500 boutiques de fringues si on peut pas choisir la couleur d’une chemise ? S’il n’y a qu’une seule couleur QUI SE FAIT ?

    Hé ben non. Il y aura toujours des marketeurs pour choisir pour vous la couleur de vos chemises, et la découpe de vos slips. Et le pire, c’est que vu ce que l’on trouve en rayon, ils finiront l’année en disant à leur chef : « tu vois, je te l’avais dit qu’on cartonnerait cette année avec les boxers kakis en 44 ».

    Alors que si ça se trouve, tout le monde rêvait juste d’un slip rouge.

    #Chronique_du_Menteur #slips #marketing