• Clinea, l’autre « cash machine » du groupe Orpea

    La branche d’Orpea spécialisée dans les #soins_de_suite et la #psychiatrie connaît les mêmes dérives que les Ehpad de la société.

    Sur les hauteurs des collines varoises, les murs blancs de la clinique des Oliviers dominent le petit village provençal de Callas. Propriété depuis 2009 du groupe Orpea, l’établissement de 85 lits, spécialisé dans les soins de suite – l’accueil de patients se remettant d’une longue maladie ou d’une intervention chirurgicale lourde –, a bénéficié d’une rénovation complète, jusqu’à la plantation d’un olivier dans sa cour. Les plaquettes de présentation du lieu vantent son « équipe soignante à l’écoute », ses « prestations hôtelières de qualité » ou ses « repas cuisinés sur place par notre chef ». Michel Lavollay a un autre avis, plus tranché : « J’y ai été fait prisonnier, littéralement. »

    A 71 ans, ce médecin, ancien consultant en politiques de santé internationales, a réchappé de peu au Covid-19, contracté en novembre 2020. Remis, mais encore très affecté, il est envoyé aux Oliviers, où il passera dix semaines. « Ils n’étaient pas équipés pour me prendre en charge, assure aujourd’hui M. Lavollay au Monde. Je me suis retrouvé dans un service fermé, entouré d’Alzheimer et de gens délabrés. » Comme dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du groupe, c’est du manque de personnel que provient l’essentiel du problème : « Les gens ne sont pas remplacés, témoigne le médecin. Surtout la nuit, il n’y avait parfois qu’une infirmière pour deux étages. »

    Résultat, des heures d’attente pour obtenir de l’aide, le changement d’une protection ou d’une sonde et un manque de temps pour autre chose que l’essentiel. « J’ai été sorti seulement deux fois de ma chambre en dix semaines », déplore M. Lavollay. Surmené, le personnel connaît « des tensions très fortes entre aides-soignants, infirmiers ». Lorsqu’il finit par sortir de la clinique, le médecin est « très affecté, sous antidépresseurs », et très en colère contre le groupe, qui, découvre-t-il, lui a fait payer des prestations qu’il juge indues. Contacté, le groupe Orpea-Clinea dit « n’avoir pas connaissance d’une réclamation » et assure se tenir à sa disposition pour « répondre à toutes ses questions ». Pourtant, le témoignage de M. Lavollay est loin d’être isolé.

    Des spécialités très rentables

    Lancée en 1999 par Orpea – acronyme d’« ouverture, respect, présence, écoute, accueil » – la branche Clinea s’est spécialisée dans deux types de prestations : les soins de suite et réadaptation (SSR) et les soins psychiatriques. Outre les Ehpad, elle gère aujourd’hui 72 cliniques SSR et 53 établissements psychiatriques en France. Un choix cohérent pour un groupe « spécialisé dans la prise en charge globale de la dépendance », et qui permet d’offrir un « continuum de soins », explique Orpea. C’est aussi, du point de vue économique, un choix judicieux : la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé classe ces deux spécialités comme les plus rentables, avec des taux de 5 % à 6 %, loin devant les cliniques « MCO » (médecine, chirurgie, obstétrique) . Se concentrant sur l’accueil et la surveillance de patients, elles demandent moins de matériel et de compétences spécialisés.

    « Celui qui gère des cliniques SSR est le roi du pétrole », résume Patrick Métais, ancien médecin coordinateur national du groupe Orpea, et témoin-clé du livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs (Fayard, 400 pages, 22,90 euros), à l’origine du scandale qui touche la société. Si son volume est bien moindre que celui des Ehpad, et si le groupe rappelle la baisse « sur six années consécutives » des tarifs de prise en charge de la Sécurité sociale et de l’Assurance-maladie, de 2013 à 2018, l’activité clinique d’Orpea rapporte : 62,8 millions d’euros de résultat net en 2020 pour un chiffre d’affaires de 762 millions d’euros, confirme l’entreprise.

    Un bénéfice confortable, pour une activité financée essentiellement par l’argent public . Comme sa maison mère, Clinea a construit sa croissance à l’ombre de la « profonde mutation du système de santé français et de l’offre de soins », justifie le groupe. La tarification à l’activité, mise en place pour diminuer les dépenses, pousse les hôpitaux à déléguer au privé les hospitalisations longues. Une mutation à laquelle Clinea assure avoir « activement participé en investissant massivement pour moderniser et médicaliser des établissements ».

    Des prestations complémentaires

    Des investissements qu’il faut rentabiliser, ce pourquoi Clinea, tout à sa logique d’optimisation, ne refuse jamais un patient. « Je disais aux établissements de travailler à fax chaud », raconte M. Métais, qui a quitté le groupe en 2013. En clair, le fax, qui servait alors à transmettre les dossiers de patients, ne devait jamais refroidir. Comme pour les Ehpad, la direction exige de ses cadres un taux de remplissage à 100 %. Laisser un lit vide est « inconcevable, en conséquence, on avait des lits supplémentaires », quitte à dépasser la capacité d’accueil, assure l’ancien coordinateur médical. Clinea rappelle que, dans une certaine mesure, un dépassement ponctuel est autorisé, dès lors qu’il est lissé sur l’année entière.

    Outre l’optimisation des capacités d’accueil, l’autre objectif de Clinea est de rentabiliser chaque patient au moyen de prestations complémentaires, en théorie facultatives mais auxquelles les patients sont fortement incités à souscrire. A commencer par la chambre individuelle, quasiment systématique – les chambres doubles sont en nombre restreint dans les établissements. Un choix que le groupe assume, au nom du « confort hôtelier », assurant veiller à « réévaluer » le niveau de prestations selon les moyens des patients ; mais qui réserve parfois de mauvaises surprises.

    François (les personnes dont seul le prénom apparaît ont requis l’anonymat) ne décolère pas de la « facturation exorbitante » qu’il a dû régler pour sa fille de 25 ans, souffrant de troubles bipolaires et d’anorexie. Admise en juin 2021 à la clinique Villa Montsouris, à Paris, après une crise, « on lui a fait signer un document avec une chambre à 280 euros par jour, alors qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait », raconte-t-il. Sa mutuelle n’en remboursant que 50 euros, il reste 230 euros par jour à sa charge. Alors que la jeune femme n’a que peu de ressources, la clinique lui fait signer « deux chèques de caution de 1 500 euros et un chèque d’acompte, qu’ils ont présenté à l’encaissement sans aucune hésitation », ce qui lui vaudra une interdiction bancaire.

    La facture, que Le Monde a pu consulter, s’élève à plus de 2 000 euros, pour une chambre « basique » et « quinze minutes d’entretien par jour avec un psychiatre ». Le groupe rappelle qu’il a finalement accordé une ristourne de 600 euros à François.

    « Des chambres sombres, froides »

    Le mari d’une patiente hospitalisée dans la même clinique en 2019 et qui préfère rester anonyme raconte les mêmes déboires : alors que la clinique, avec laquelle il est en contentieux, lui restreint l’accès à son épouse, les factures continuent d’affluer, envoyées directement à sa mutuelle. « C’est une boîte à fric, une cash machine », déplore-t-il. Une accusation récurrente dans les témoignages.

    Ces récits n’étonnent pas Patrick Métais. « Le rôle du directeur d’établissement, c’est de vendre des prestations en plus », assure ce dernier. Pire, selon lui, Clinea – qui le dément – « sait exactement ce que telle mutuelle paye » et combien de jours peuvent être pris en charge, et ajuste ses propositions en fonction : « C’est l’optimisation maximale, pour tout. »

    Derrière les photos flatteuses, les prestations de Clinea sont souvent, selon les témoignages recueillis, peu reluisantes. Frédéric raconte le « traumatisme » vécu lors d’un séjour dans un établissement Clinea par son compagnon Jean-Louis, décédé en 2019. A l’automne 2017, il est admis à la clinique La Jonquière, à Paris. « C’est une belle vitrine, un beau bâtiment avec des terrasses arborées mais, en réalité, les chambres sont sombres, froides, au point que j’ai dû lui amener un radiateur électrique », raconte Frédéric, qui se souvient des remontées d’égouts qui empuantissaient la chambre et de la nourriture « infâme, pire qu’à l’hôpital ».

    « Son premier contact avec l’établissement a été avec l’intendante, qui est venue le voir tout de suite pour lui présenter les prestations hôtelières, poursuit Frédéric. Il n’a vu le médecin que deux jours plus tard, ce qui importait le plus, c’était de vendre de la prestation. » Et encore, celle-ci est loin d’être à la hauteur des attentes de Jean-Louis. Atteint de diabète, il doit normalement bénéficier d’un régime spécifique, qui ne sera, selon son compagnon, « jamais respecté » : il a droit au même plateau que tous les autres patients. En trois semaines, il perd 7 kilos.

    Un encadrement défaillant

    Le diabète de Jean-Louis requiert un contrôle quotidien de sa glycémie, mais il doit le rappeler chaque jour aux infirmières débordées. Alors qu’on lui a prescrit des séances de kinésithérapie quotidiennes, « le ratio patients/kiné était trop important, les kinés n’avaient pas le temps, il avait trois séances maximum par semaine », raconte encore Frédéric. Le groupe reconnaît qu’à « cette époque, cet établissement était effectivement confronté à des difficultés de recrutement ».

    Après un burn-out, Maouèle Bouhraoua, responsable administrative et financière, a été admise, fin octobre 2021, à la clinique Clinea d’Orgemont, à Argenteuil (Val-d’Oise). Plus que les « douches qui fuient », c’est le déficit global d’encadrement et d’activités proposées qui l’a marquée. « J’ai fait partie des chanceux qui ont eu droit à deux visites chez le psychiatre par semaine », témoigne-t-elle. Le planning d’activités sur la période de sa prise en charge, que Le Monde a pu consulter, est quasiment vide. Les patients finiront par en organiser eux-mêmes. L’encadrement infirmier est, lui aussi, défaillant. « Une patiente (…) a fait une tentative de suicide et c’est nous, patients, qui avons vu que quelque chose n’allait pas, on a dû la porter jusqu’au poste de soins », raconte-t-elle, encore sous le choc. Clinea promet d’« étudier le dossier ».

    Comme pour ses Ehpad, la méthode concernant les cliniques est bien rodée : Clinea rachète un établissement existant, y fait des travaux d’embellissement, puis met en place un « projet d’avenir », qui se traduit souvent en coupes dans les effectifs. Sandrine, une ancienne salariée de la société aujourd’hui à la retraite, l’a vécu dans le Val-d’Oise lors du rachat de son établissement, en 2001. « On est passés d’une centaine à 65 salariés. Il y a eu des licenciements, mais pas tout de suite, ils ont d’abord gardé une partie du personnel pour valider l’accréditation » auprès des autorités sanitaires. « Puis, une fois l’accréditation obtenue, ils ont viré du monde, en les harcelant. » Le groupe préfère parler de gestion de personnel « de manière transversale à la région ».

    Violence managériale

    Si Clinea met en avant un taux de 76 % de « respect et de reconnaissance » des salariés envers leur direction, selon une enquête menée en janvier 2021 par « trois cabinets indépendants », les nombreux témoignages recueillis par Le Monde sont moins enthousiastes. Il suffit de consulter les décisions de justice pour constater l’abondance de condamnations pour des licenciements jugés « sans cause réelle et sérieuse » ou pour harcèlement moral, qui se comptent en dizaines sur une décennie. « Dégradation des conditions de travail », « climat de suspicion », « stress, sentiment d’impuissance et d’isolement », « intrusion dans la vie privée », « demande de vider son bureau alors qu’elle est en arrêt maladie et sur le point d’accoucher »… les extraits des jugements sont édifiants.

    « Il n’y a ni politique de licenciements systématiques ni aucun intérêt de l’entreprise à des contentieux prud’homaux », assure le groupe, qui dément également toute politique de discrimination et de harcèlement envers les syndicats autres qu’Arc-en-Ciel, l’organisation « maison », accusée de collusion avec la direction. Là encore, les nombreux témoignages recueillis par Le Monde et corroborés par des décisions de justice racontent une autre histoire, celle d’un véritable « système mis en place pour éliminer les syndicalistes les plus revendicatifs », selon le défenseur syndical Claude Lévy.

    La violence managériale touche aussi les directeurs d’établissement, en permanence sous pression pour tenir leurs objectifs de bénéfices. Chaque mois, ils sont réunis au niveau régional pour éplucher leurs chiffres, dans une ambiance parfois violente. « Des échanges et débats », nuance le groupe, pour qui « la démocratie peut être houleuse (…) mais elle est présente ». Patrick Métais, qui a assisté à nombre de ces réunions, en fait un autre récit : « Les directeurs en sortaient blancs comme linge. » Lui-même n’y a pas échappé. L’ancien directeur médical raconte que « la plus grosse engueulade » qu’il ait reçue a eu lieu lorsqu’il a tenté d’aborder la question de la qualité des soins. « J’ai été traité plus bas que terre (…), je me souviens qu’on m’a dit : “La qualité, c’est quoi ? Tu ne sais même pas de quoi tu parles”. »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/08/patients-maltraites-manque-de-personnel-profits-a-tout-prix-clinea-l-autre-c

    #santé_publique

  • Prevalence and Risk Factors of Neurologic Manifestations in Hospitalized Children Diagnosed with Acute SARS-CoV-2 or MIS-C - ScienceDirect
    https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0887899421002769

    Abstract
    Background
    Our objective was to characterize the frequency, early impact, and risk factors for neurological manifestations in hospitalized children with acute severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) infection or multisystem inflammatory syndrome in children (MIS-C).

    Methods
    Multicenter, cross-sectional study of neurological manifestations in children aged <18 years hospitalized with positive SARS-CoV-2 test or clinical diagnosis of a SARS-CoV-2-related condition between January 2020 and April 2021. Multivariable logistic regression to identify risk factors for neurological manifestations was performed.

    Results
    Of 1493 children, 1278 (86%) were diagnosed with acute SARS-CoV-2 and 215 (14%) with MIS-C. Overall, 44% of the cohort (40% acute SARS-CoV-2 and 66% MIS-C) had at least one neurological manifestation. The most common neurological findings in children with acute SARS-CoV-2 and MIS-C diagnosis were headache (16% and 47%) and acute encephalopathy (15% and 22%), both P < 0.05. Children with neurological manifestations were more likely to require intensive care unit (ICU) care (51% vs 22%), P < 0.001. In multivariable logistic regression, children with neurological manifestations were older (odds ratio [OR] 1.1 and 95% confidence interval [CI] 1.07 to 1.13) and more likely to have MIS-C versus acute SARS-CoV-2 (OR 2.16, 95% CI 1.45 to 3.24), pre-existing neurological and metabolic conditions (OR 3.48, 95% CI 2.37 to 5.15; and OR 1.65, 95% CI 1.04 to 2.66, respectively), and pharyngeal (OR 1.74, 95% CI 1.16 to 2.64) or abdominal pain (OR 1.43, 95% CI 1.03 to 2.00); all P < 0.05.

    Conclusions
    In this multicenter study, 44% of children hospitalized with SARS-CoV-2-related conditions experienced neurological manifestations, which were associated with ICU admission and pre-existing neurological condition. Posthospital assessment for, and support of, functional impairment and neuroprotective strategies are vitally needed.

    #covid-19 #hospitalisation #enfants #PIMS #neurologie #soins_de_suite

  • Les formes prolongées de la #COVID-19 ou #COVID_long : formes cliniques et prise en charge - EM consulte
    https://www.em-consulte.com/article/1495893/les-formes-prolongees-de-la-covid-19-ou-covid-long

    Au décours d’un épisode aigu de COVID-19 symptomatique, plus de 30 % des patients adultes ont encore des symptômes à 1-2 mois et 10 à 15 % à 6-8 mois. Il peut s’agir de symptômes persistants ou de nouveaux symptômes. Si les plus fréquents sont une fatigue sévère, une dyspnée et des signes neurocognitifs, de nombreux autres organes peuvent être atteints. Ces symptômes évoluent en général de façon fluctuante et sont souvent majorés par l’effort physique ou intellectuel. Avec le temps, ils évoluent de façon lente vers l’amélioration. L’absence de documentation virologique de l’épisode aïgu (la PCR n’ayant pu être faite et/ou la sérologie étant négative) n’exclut pas ce diagnostic. L’origine de ces symptômes n’est pas encore élucidée et certaines hypothèses sont en cours d’exploration, comme par exemple une persistance virale qui a été démontrée dans certains cas, une réponse inflammatoire notamment mastocytaire excessive, ou bien un défaut de l’immunité innée ou adaptative. Des facteurs génétiques et hormonaux sont possiblement associés. La prise en charge des patients doit être initiée dès le premier recours aux soins. Suite à une analyse approfondie des symptômes, des diagnostics seront portés et feront l’objet d’une prise en charge multidisciplinaire où les traitements symptomatiques et la rééducation tiennent une place importante. Si le recours à l’hospitalisation est rare, ces formes prolongées, maintenant appelées « COVID long », vont avoir un impact sociétal majeur nécessitant la mise en place de politiques publiques adaptées.

    #soins_de_suite (c’est achtemieux que la prévention, hein, et là on pourra inventer des trucs)

    • On comprends pas bien, on formule des hypothèses, mais il y a déjà des explications disponibles, au moins pour une partie du phénomène :

      L’invocation de La Solidarité comme valeur absolue sert seulement à interdire de poser les questions vitales : « Avec qui ? Sur quelle base ? Contre qui ? Dans quelles relations ? »
      Nous interdire de nous les poser, c’est nous interdire de nous défendre contre ce qui nous affaiblit. Contre ce qui nous tue.
      C’est nous vouloir malades.
      Et nous livrer à nos bourreaux.
      Cela advient même physiologiquement chez toutes ces victimes de « Covid long » qui n’ont en réalité jamais contracté la maladie. En vertu de l’effet nocebo, ils sont littéralement malades de solidarité. (Manifeste conspi.)

  • Covid-19 : la barre des 100 000 morts en France est déjà franchie depuis des semaines
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/04/14/covid-19-en-france-la-barre-des-100-000-deces-est-deja-franchie-depuis-des-s


    Lors de la messe d’enterrement d’une victime du covid-19 à Malo-les-Bains, le 7 avril 2021.
    AIMÉE THIRION POUR « LE MONDE »

    Les données du centre d’épidémiologie sur les causes de décès de l’Inserm, plus fiables car établies à partir des certificats de décès, confirment que le bilan officiel de Santé publique France est largement sous-estimé.

    Le nombre est hautement symbolique mais sous-estimé : le cap des 100 000 décès liés au Covid-19 en France, issu du décompte quotidien de l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SPF), est en réalité franchi depuis déjà des semaines.
    C’est ce qu’il ressort des dernières données du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDc). Encore partielles, celles-ci ont été présentées par le démographe et épidémiologiste Jean-Marie Robine (directeur de recherches émérite à l’Inserm), vendredi 9 avril, lors d’un séminaire en ligne sur la mortalité du Covid-19.

    En matière de surveillance de la mortalité et de ses causes en France, les chiffres du CépiDc ne sont pas les plus rapides à être rendus publics, mais ils sont les plus fiables car réalisés à partir de l’ensemble des certificats de décès remplis par les médecins. Ils permettent des études par sexe, tranche d’âge, selon la zone géographique du décès et du lieu de celui-ci (hôpital, domicile…).
    « Pour la période allant du 1er mars au 31 décembre 2020, il y a déjà 75 732 certificats mentionnant le Covid-19 comme cause initiale ou associée de la mort, révèle M. Robine, également conseiller scientifique auprès de la direction de l’Institut national d’études démographiques (INED). Au 31 décembre 2020, le tableau de bord de l’épidémie de SPF faisait, lui, état de 64 632 décès, 44 852 dans les hôpitaux et 19 780 dans les Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] et autres établissements médico-sociaux. »

    « Une usine à gaz »
    En clair, pour les dix derniers mois de 2020 – qui correspondent aux deux premières vagues de l’épidémie sur le territoire –, l’écart est déjà de plus de 11 000 décès entre les données de SpF et celles du CépiDc. Il a sans doute continué à se creuser depuis début 2021. De son côté, l’INED avait récemment évalué à 68 000 le nombre de décès par Covid-19 en France en 2020, à partir des données de l’Insee, soit un delta de près de 8 000 avec les chiffres de l’Inserm.

    Au total, le CépiDc a réceptionné 538 972 certificats de décès exploitables (vingt ne l’étaient pas) pour la période du 1er mars au 31 décembre 2020, dont 75 732 avec la mention Covid-19. L’infection à SARS-CoV-2 est donc impliquée dans 14 % des décès. Les hommes ont payé un plus lourd tribut que les femmes (38 324 décès contre 37 408). Les tranches d’âge 75-84 ans et 85-94 sont les plus touchées.

    • Ces chiffres sont encore provisoires : les certificats reçus représentent 97 % de ceux attendus pour les mois de mars à novembre 2020, et 90,6 % pour décembre (les analyses ne sont effectuées que lorsque le CépiDc a obtenu plus de 90 % des certificats attendus pour un mois donné, ce qui n’est pas encore le cas pour janvier, février et mars 2021).
      Pourquoi de telles différences entre les institutions ? Comme l’avait déjà souligné Jean-Marie Robine dans nos colonnes https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/01/19/le-decompte-de-la-mortalite-liee-au-covid-19-est-une-usine-a-gaz_6066788_324, le comptage des morts du Covid-19 est « une usine à gaz » . La surveillance est assurée par plusieurs organismes, qui travaillent à partir de bases de données différentes.

      « Plusieurs angles morts »

      SPF comptabilise quotidiennement les décès à partir des remontées des hôpitaux, par le biais de Si-Vic (système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles). S’y ajoutent deux fois par semaine les données des Ehpad et autres établissements médico-sociaux.

      « Cette surveillance comporte plusieurs angles morts, explique M. Robine. D’abord, elle ne tient pas compte des #morts_à_domicile. Ensuite, Si-Vic ne comptabilise pas les décès dans les #unités_de_soins_de_longue_durée [USLD], soit 30 000 lits d’hôpitaux en France. Or, les patients des USLD sont particulièrement fragiles et sensibles aux maladies opportunistes. Les décès survenant aux #urgences, dans les services de #psychiatrie et de #soins_de_suite et de réadaptation ne sont pas bien dénombrés, ce qui sous-estime beaucoup de cas nosocomiaux. » Quant aux remontées concernant les décès en Ehpad, le démographe regrette qu’elles n’aient, jusqu’à récemment, pas précisé l’âge et le sexe de la victime.

      Les données : la France a connu en en 2020 la plus importante mortalité de son histoire récente https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/01/15/avec-667-400-deces-enregistres-la-france-a-connu-9-d-excedent-de-mortalite-e

      L’Insee, pour sa part, évalue le nombre de décès de façon réactive à partir des actes d’état civil, en principe transmis dans les vingt-quatre heures. Ces données présentent l’avantage d’être exhaustives, mais l’inconvénient de ne pas permettre une analyse fine de surmortalité faute d’information sur les causes du décès.

      Dans leur analyse publiée en mars https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/17/en-france-68-000-personnes-seraient-mortes-du-covid-19-en-2020_6073436_3244., où ils évaluaient le nombre de décès dus au Covid-19 à 68 000 pour 2020, Gilles Pison et France Meslé de l’INED notaient que ce chiffre était supérieur à l’augmentation du nombre de décès entre 2019 et 2020 : 55 000. « Cela vient du recul d’autres causes de décès comme la grippe et les accidents de la circulation », écrivaient les deux chercheurs.

      « Rendre obligatoire la certification électronique des décès »

      Quant au CépiDc de l’Inserm https://opendata.idf.inserm.fr/cepidc/covid-19, il suit une partie des décès en temps réel, grâce aux certificats électroniques de décès. Mais ceux-ci restent très minoritaires (20 % au début de la pandémie, de 25 % à 30 % actuellement) par rapport aux certificats papiers, envoyés avec des semaines voire des mois de décalage.
      Pour Jean-Marie Robine, qui plaide pour un système réactif de suivi de la mortalité depuis la canicule de 2003 – à la suite de laquelle avaient été mis en place les certificats de décès électroniques –, la situation actuelle est incompréhensible. « Dans cette épidémie, on devrait pouvoir communiquer avec fiabilité sur les décès de la veille. La solution serait simple : rendre obligatoire pour tout médecin la certification électronique des décès dans les quarante-huit heures », martèle le démographe.

      En juillet 2020 https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2020/mortalite-en-france-d-ou-viennent-les-chiffres, Anne Fouillet (SPF) jugeait de son côté « fondamental de déployer dans les meilleurs délais l’utilisation de la certification électronique sur tout le territoire (…) afin d’assurer une surveillance exhaustive et réactive de la mortalité par cause de décès en routine et en particulier en cas de menace sur la santé de la population ».

      100 000 morts du Covid-19 en France : notre sélection d’articles sur le sujet

      Le décryptage : La barre des 100 000 morts en France est déjà franchie depuis des semaines selon l’Inserm

      La synthèse : La mortalité de la pandémie est encore sous-estimée dans le monde

      L’entretien de Marie-Frédérique Bacqué : « Les morts du Covid-19 n’ont été ni identifiés ni pleurés collectivement »

      Le reportage : La troisième vague de Covid-19 vue de l’hôpital Bichat

      #Covid-19 #bilan #mortalité #CépiDc #certificats_de_décès #Covid-19_nocosomial