Les multiples visages de la révolte globale & la face assassine de Big Brother,par Serge Q., marcheur de Gênes
Agone Revenir aux Luttes
PDF ►http://agone.org/lyber_pdf/lyber_401.pdf
"D’abord le rejet radical de l’obscène discours sur la « vio-
lence », qui réunit sous le même vocable la casse par des manifes-
tants et les cassages de gueule forcenés pratiqués par les forces de
l’ordre ; qui met sur le même plan le bris de vitrine, le bris des os et
le meurtre pur et simple, qui furent l’œuvre des flics. Ceux qui
accordent autant d’importance à la destruction des biens qu’à celle
des personnes montrent de quel côté de la barricade ils se trouvent.
C’est justement contre ce gouvernement des choses que nous (des
milliers de gens) nous nous sommes insurgés. Ensuite, il faut bien
dire que, face à cette ville qui semblait incarner comme un nouveau
pas en avant vers la minéralisation du monde, devant le mufle cas-
qué et blindé de Big Brother, la pulsion destructrice me semble plu-
tôt une manifestation vitale. Plus généralement, je dirai que je n’ai
pas envie de parler avec ceux qui, en face de la vie qui nous est
faite, n’ont jamais ressenti l’envie de tout casser.
En revanche, la discussion avec les Black Blocks doit avoir lieu, pour
cerner les désaccords. Reconnaître la légitimité de l’envie de détrui-
re ne signifie pas qu’il faille s’y abandonner n’importe quand et
n’importe comment. Les Tute bianche avaient cherché l’accord
avec les autres composantes du GSF sur la base de la « désobéis-
sance civile », en portant cette démarche jusqu’à son extrême limi-
te. Ils avaient notamment annoncé dans une proclamation aux
habitants de Gênes qu’ils ne voulaient faire aucun mal à leur ville,
mais au contraire la délivrer de l’occupant, le G8 et son armée de
18 000 hommes. Ils avaient pour principe de ne pas toucher aux
biens privés des habitants. Cette volonté de chercher une alliance
avec eux a démontré son bien-fondé : une bonne partie de la popu-
lation qui n’avait pas fui était très remontée contre le cirque milita-
riste et les restrictions de son droit à la libre circulation. Les mani-
festations de sympathie n’ont pas manqué : de ceux qui nous
jetaient de l’eau du haut des fenêtres pour lutter contre la chaleur
et les lacrymos à ce vieux Génois qui déclara avoir plus peur que
pendant la guerre, non à cause des manifestants mais à cause de
« ceux-là » (il montrait un groupe de flics avec leurs blindés). Mais
le sourire s’effaça du visage de ces habitants quand ils ont vu des
individus masqués en train de dévaster leur petit commerce de
proximité et démolir la station d’essence de leur carrefour. Comme
l’a dit, sur une télé locale, une manifestante génoise, pacifiste pas
vraiment bêlante : « Bon, casser les banques, je comprends, mais
pas le petit bar en bas de chez moi. »
Au carrefour du front de mer et de la via Torino, comme un jeune
masqué s’acharnait sur le rideau de fer d’un tabac, un vieux prolo
lui a lancé : « Mais qu’est-ce que tu veux ? Une cigarette ? Je t’en
donne une, moi ! » Et de joindre le geste à la parole. Le casseur
n’agissait pas sous l’emprise d’un manque vital, il n’avait rien d’un
de ces émeutiers de la faim surgissant périodiquement au Sud du
monde, ni même d’un pillard des grandes métropoles occidentales
exprimant la frustration des pauvres devant les vitrines marchandes.
Il ne pouvait donc être mu que par la mythologie du pillage, si
pesante en milieu radical. L’offre du vieux montrait seulement
qu’un dialogue entre eux, le jeune casseur dans son impasse théâ-
trale et le vieil ouvrier porteur de la mémoire de tant de défaites,
aurait été infiniment plus prometteur que la répétition d’un rituel
creux. Mais cette amorce d’échange critique a été interrompue par
la chute des premières lacrymos lancées depuis bien longtemps en
Europe au cœur d’une manif de masse.
Rappelons en tout cas qu’une bonne partie des Black Blocks étaient
opposée à la casse indiscriminée, qu’ils étaient au contraire parti-
sans de s’en prendre seulement à des symboles capitalistes évi-
dents. Et reconnaissons que tout homme épris de liberté ne peut
que saluer l’attaque de la prison par certains de ces éléments et le
début d’incendie qu’ils y ont provoqué.
La présence d’infiltrés parmi les Black Blocks n’est pas discutable.
Comme presque tout ce qui s’est passé ces jours-là, elle a été filmée.
Et je n’ai pas manqué de remarquer un trio de types masqués, spor-
tifs à la petite quarantaine qui s’agitaient beaucoup et que les autres
Black Blocks, manifestement, évitaient. (En cela, les pratiques des
policier italiens ne différent guère de celles de leurs homologues
européens.) Mais comme l’existence de provocateurs ne change pas
la portée de l’authentique colère de classe qu’exprimaient les cas-
seurs, les infiltrations chez les Black Blocks et les manipulations dont
certains ont pu être l’objet ne permettent pas de les réduire à une
armée de marionnettes de la répression. Une partie d’entre eux ne
s’intéresse sans doute que de loin au G8 : pour ceux-là, ce genre de
grand rassemblement n’est qu’une bonne occasion de casser. […] Il
me semble pourtant que balbutie un mouvement de contestation
du gouvernement mondial d’un intérêt infiniment plus vaste que la
satisfaction du légitime mais misérable besoin de tout casser. […]"
Page 141. La récupération de la contestation par les médias
Serge Halimi & Pierre Rimbert
#luttes #violence #etat #soutien_populaire #medias #genes