Histoire de la Corse et Révoltes Paysannes au XVIIIe siècle
(vu sur twitter ▻https://twitter.com/Lev_Bronystein/status/630007242264322049 )
Peu de temps après la conquête militaire de l’ile par le Royaume de France, Louis XV charge toute une équipe d’une trentaine de géomètres et de dessinateurs pour cartographier la #Corse, en connaitre toutes ses ressources, savoir par exemple le nombre de moulins par villages...
C’est intéressant car cette cartographie de l’ile s’accompagne d’un « Plan de Régéneration », un plan de développement piloté par l’Etat ou comment une proto-technocratie se charge de faire passer la Corse, de gré ou de force, dans une sorte de « #capitalisme agraire moderne ».
Comme quoi quand on dit que la géographie c’est la retranscription spatiale des rapports de classe...
Épistémologiquement parlant, c’est intéressant aussi car les méthodologies de la #cartographie et des statistiques modernes apparaissent ici.
Le contexte de l’époque, c’est avec Diderot et son « Supplément au voyage de Bougainville », le mythe du « bon sauvage », simple, honnête...
Mais il n’y a pas de « bon sauvage » en Corse, loin de là :
En attendant, ceux qui ne portent qu’a peine une « figure humaine » sortent de 14 ans d’indépendance, avec une des premières constitutions démocratiques au monde hein... Tandis que le Royaume de France est toujours dirigé par un monarque absolu.
250 ans après, les mêmes schémas restent, c’est impressionnant
Voila a titre d’introduction. Passons au texte « Plan Terrier et conscience sociale », écrit par Ange Rovère.
Le Terrier c’est d’abord le regard que la France Monarchique porte sur sa nouvelle conquête. Testevuide et Bedigis qui y participent sont certes nourris de la pensée des #Lumières mais leur grille de lecture de la Corse est révélatrice du choc de deux mondes.
Ainsi parmi les termes qui reviennent le plus, il y a « médiocre », « archaïque », « sauvage ».Prisonniers de leurs cultures, de leurs éducations comme d’autres francais qui viendront en Corse (Pommereul, Gaudin), ils se persuadent que la #civilisation, c’est eux, c’est la France et qu’ils ont un devoir moral d’apporter la civilisation en Corse, de « régénér[er] l’Isle ».
La philosophie du Terrier est pétrie d’esprit physiocratique : le savoir est un moyen pour faire de la Corse un terrain d’expérience.
Il s’agit ainsi de modifier l’ensemble de la formation économique et sociale, d’organiser sur un mode totalement différent les rapports de production et les rapports entre les hommes pour trouver une voie originale de passage au capitalisme agraire.
L’articulation des rubriques dans le plan Terrier a donc sa logique. Connaitre l’étendue des terres du Roi, c’est savoir où l’état mettra en place son #agriculture moderne. Fixer les limites des « pieve » et des communautés permet de casser les habitudes du libre-parcours et tout un mode de vie sylvo-pastoral. (Ce qui rappelle les travaux de Marx sur l’#enclosure (pas sur du nom) au Royaume Uni qui precède la #révolution_industrielle.)
Réorganiser le système de #propriété pour en finir avec ce statut sur la terre et ses fruits, pour casser l’#égalité, préjudiciable au #progrès
Briser donc un mode de #production où chacun grâce a ses petites propriétés, aux biens communaux et aux droits d’usage, par le biais de l’organisation communautaire, de l’indivision et de la mise en valeur dans le cadre du groupe familial permet a chacun de vivre sans être contraint de vendre sa force de travail. Dans cette entreprise, l’#impôt occupe donc une place stratégique centrale.
Il faut individualiser la propriété, cloisonner les communautés, bloquer les libres-parcours pour lever l’impôt.
Les Corses ne pouvaient donc que gueuler face à une entreprise de #spoliation de leurs biens, et de mise en cause de leurs moyens d’existence.
La résistance est multiforme : sabotages, agressions, émeutes spontanées ou organisées. Dès le 24 novembre 1769, soit 6 mois apres la bataille de Ponte Novu, des paysans de Campuloru empoisonnent l’étang de Diana revendiqué par les Domaines (le roi quoi)
Mars 1770 à Appiettu : les paysans reviennent de leurs champs au village pour tomber a coup d’outils agricoles, de batons, de fusils, et de pistolets sur une troupe de soldats : 1 troufion et deux paysans sont tués, plusieurs autres sont blessés.
Mars 1771, c’est toute la région de Vicu qui s’enflamme quand la monarchie s’annexe l’ancienne colonie grecque de Paomia, au detriment des habitants de Vicu et Rennu qui en avaient repris l’usage dans les années 1730. La tension monte, entre l’état qui continue ses travaux et la résistance de la population jusqu’à l’explosion de 1773 où plusieurs centaines d’habitants armés de Rennu attaquent les géomètres.
D’autres cas similaires d’embuscades sont signalés par Testevuine et Bédigis, affolés, dans le Nebbiu, dans la plaine de Biguglia...
Ces luttes se produisaient ainsi contre l’état, mais aussi contre les notables qui, soutenus par la France et ses représentants, profitaient des opérations de limitation de propriétés pour s’annexer les biens communaux. Des révoltes contre l’impôt aussi.
Et aussi (d’où l’utilité du travail de division mis en place par la France), des tensions entre communautés et villages pour le partage du #territoire. Ca me fait penser aux années 1990, quand Joxe et Pasqua donneront aux uns la puissance économique et aux autres la puissance politique qui entrainera la guerre fratricide entre nationalistes... D’où l’intérêt de connaitre l’#histoire...
Ou un peu comme dans les colonies africaines (aof et aef) avec des ethnies privilégiées au détriment d’autres selon les coins...
C’est fascinant de voir a quel point ce qui a été réalisé et perfectionné par la France en Afrique et en Indochine a été initié en Corse. C’est exactement les memes schemas de pensée : moderniser et civiliser les sauvages
Bref, le Terrier provoque un grand chambardement, dont les attaques contre les géomètres sont l’expression la + consciente de la #résistance
Toute aussi consciente est la #lutte engagée contre les Domaines, qu’ils soient en concession ou en régie directe.
Exemples :
Enfin à Coti-Chiavari, des notables (les Stephanopoli, le comte Rossi et l’apothicaire Fleury) n’ont jamais pu utiliser ni bénéficier des terres attribuées par le Roi, tout simplement parce que les #paysans de Frassetu, Quasquara et Campu, qui avaient arraché ces terres aux Gênois les ont en quelque sorte réquisitionnées et ont continué a les cultiver comme avant, genre on s’en bat les couilles du roi...
Je conclurai en disant que l’auteur, Ange Rovère, historien, ancien 1er adjoint PCF à la mairie de Bastia, est l’archétype du « Vive la France » et par conséquent ça m’a agréablement surpris de le voir écrire ça.
J’espère ne pas avoir été trop long, mais je voulais vous faire partager ma découverte et mon contentement d’en avoir appris un peu plus sur l’histoire de mon pays.