A mon sens, le livre est en principe le « dernier espace sans publicité ».
Ce n’est pas parce que d’autres ont déjà inséré de la publicité dans ce qu’ils continuent d’appeler des livres que cela peut justifier cette nouvelle tentative de faire pénétrer la pub partout.
A mon sens, un produit écrit ou illustré avec de la pub dedans ne devrait pas pouvoir s’appeler « livre ».
Audible, filiale d’Amazon, part en quête de nouveaux clients. Et pour les sortir de leur terrier, expérimente une offre audiolivres et podcasts gratuite, financée par des spots publicitaires. Un modèle économique bien connu, qui dévoile la guerre ouverte entre les géans du web, autour de la publicité en ligne... Ou comment l’œuvre devient monétisable à l’envi.
Publié le :
05/04/2023 à 15:32
Zoé Picard
Les commentaires et questionnements d’utilisateurs intrigués ont contraint Amazon à sortir du bois : des tests sont bien en cours sur la rentabilisation du format audio. Et, plus spécifiquement, les productions Audible Original – autrement dit, les titres qu’édite le vendeur. La solution avec pub cible les curieux non encore abonnés, suivant le modèle classique : œuvres en accès gratuit contre messages promotionnels, précise la FAQ.
Concrètement, 8 spots audio par tranche de 24 heures d’écoute qui ne « ne seront pas diffusés trop fréquemment dans un court laps de temps ». Comme l’expérimentation concerne aussi les podcasts, leurs producteurs ont été informés, avec la possibilité de se désinscrire du programme.
Un avenir pour l’audiolivre ?
L’entreprise prétend confusément répondre à un objectif « d’optimisation » pour « mieux connaître les besoins changeants » côté clients et partenaires. Une déclaration d’intention qui peine à masquer les enjeux lucratifs de cette décision.
Nouvelles sources de revenus
Audible coupe les poils des oreilles d’acteurs comme Spotify - qui se rêve en leader du marché. L’été dernier, la société suédoise a acheté le distributeurs d’audiolivres Findaway pour 119 millions $, afin de consolider son offre. Dawn Ostroff, anciennement directrice du contenu, l’avait à l’époque glissé : Spotify « envisageait d’introduire la monétisation publicitaire dans les livres audio ».
Idem pour Pushkin Industries (producteur de podcasts et audiolivres), dont la directrice Heather Fain faisait part de son intérêt pour ce modèle à Marketing Brew. Sans avoir encore exploré le sujet en profondeur, elle serait « prête à expérimenter ».
Le format qui séduit
Avec 839,5 millions $ de ventes en 2022, par téléchargement, le format audio connaît une croissance constante aux États-Unis : il pèse désormais pour 9,2 % sur le marché du livre en valeur, avec 7 % de croissance par rapport à 2021. La production se maintient : 74.000 nouveautés l’an passé, le même nombre que l’année précédente.
Porté aux nues, de même que le livre numérique voilà quelques années, l’audiolivre représente le relai de croissance tant attendu – puisque l’ebook stagne. Et Amazon entend bien dominer largement le marché.
Pub et livres, une vieille histoire
Amazon n’invente rien avec sa solution. Au milieu du XIXe siècle, les livres de Dickens contenaient d’authentiques pause publicitaire, sur une page entière. De même avec le poche : dans les années 60 et 70, les lecteurs américains y trouvaient des campagnes pour des produits de beauté ou des cigarettes.
Une approche peu à peu abandonnée : les marketeux préféraient les magazines, la radio et télévision, plus attractifs. Les éditeurs ont été contraints contractuellement à cesser cette pratique. Le nombre de cerveaux disponibles dépend de ventes impossibles à prévoir : pas très rassurant. Ils se heurtaient également à la réticence des lecteurs soucieux de ce que leur temps de lecture échappe au consumérisme. Fin 1980, la réclame disparut...
Manifestement inspiré, Amazon a adapté cette solution en 2010 : sa liseuse se déclina en deux versions. Sur l’une, moins chère, le fond d’écran affichait une pub, l’autre sans pub, était plus onéreuse.
D’ailleurs, dans un autre registre, les écrivains eux-mêmes, n’hésitent pas à monnayer leur image. Joël Dicker devint ambassadeur de la compagnie aérienne Swiss en 2014, puis en 2016 pour les montres suisses Piaget. Beigbeder a posé pour les Galeries Lafayette ou promu les smartphones de Samsung. Colette, plus sobre, travailla pour Perrier, quand Cocteau se fit, en 1947, vendeur de télévisions…
Audiobook et publicité online
Les livres audio ont gagné en popularité au fil des ans et en particulier depuis la pandémie de la covid-19. Au niveau mondial, les ventes de 2021 représentaient 4,2 milliards $, selon le cabinet Grand View Research, qui estime que l’audiobook devrait en peser 15 milliards $ dès 2027. Et, mieux encore, 30 milliards en 2030...
Or, de même que le livre papier fut le moteur de développement d’Amazon, avant d’en devenir un produit d’appel, l’audiobook sert avant tout de moyen. La croissance économique de la firme ne réside pas dans les ventes de biens : voilà des années qu’Amazon Web Service (le département technologique centré sur le cloud) porte les résultats financiers, avec la publicité numérique.
L’Observatoire de l’E-Pub du Syndicat des Régies Internet a dévoilé des chiffres qui attestent du ralentissement de la croissance de la pub numérique. Après une hausse de 10 % à 8,5 milliards € en 2022, cette année le taux estimé ne dépasse pas 6 %. En cause : un climat général antipub, une exigence de sobriété....
Mais la guerre fait rage entre Google, Meta (ex-Facebook) et Amazon : ils accaparent les deux tiers du marché de la publicité en ligne, avec 5,6 milliards $. En parallèle, l’économie de l’audiodigital (webradios, streaming, assistants vocaux, podcasts... et audiolivres) a connu une hausse de 53 % l’an passé.
Toute nouvelle solution de commercialisation est bonne à prendre, pour convaincre les annonceurs.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)