#stefan_zweig

  • Romain Rolland était-il « poutiniste » ? Anne Morelli
    Source : https://www.investigaction.net/fr/romain-rolland-etait-il-poutiniste

    Il est très difficile de faire comprendre, en Belgique, aux étudiants d’aujourd’hui, l’enthousiasme qui a poussé, il y a cent ans, d’autres jeunes à participer – pour certains volontairement – à la Première Guerre mondiale. La rivalité entre les puissances européennes de l’époque leur semble incompréhensible.

    Rappelons qu’au début de la Première Guerre mondiale, la « Triple Entente » réunit la France, la Grande-Bretagne et la Russie tsariste dans le but d’isoler l’Allemagne. De l’autre côté, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie forment la « Triple Alliance ». Il est difficile de croire aujourd’hui que tous les « barbares » étaient réunis d’un même côté et les « démocrates » (alliés au tsar) de l’autre. Les jeunes actuels ont très généralement intériorisé la thèse de l’« inutile boucherie saignant une génération », et le nationalisme anti-boche du début du XXe siècle leur semble risible.

    Ils s’esclaffent franchement en apprenant que des rues de Bruxelles, dont le nom évoquait les « ennemis », ont été débaptisées après la défaite de l’Allemagne et de l’Autriche. De même, on n’a plus parlé, lorsque ces pays furent écrasés, de « café viennois », mais de « café liégeois » (pour saluer la résistance des forts de la ville à l’invasion allemande), et les « boules de Berlin » sont devenues pour un temps des « boules de l’Yser ». (1)

    Lorsqu’on en vient à leur parler de l’infime minorité qui – des deux côtés de la frontière – avait refusé de s’investir dans le conflit et avait prôné une solution négociée, on voit des jeunes auditeurs soulagés d’apprendre qu’au milieu de ce délire nationaliste, il y avait donc au moins quelques personnes sensées ne se laissant pas entraîner à la haine envers ceux qui ont une autre nationalité.

    La difficulté d’être pacifiste en temps de guerre
    Le principal ténor de l’humanisme internationaliste, Jean Jaurès, qui, quelques jours avant l’invasion allemande, galvanisait, au Cirque royal de Bruxelles, la foule venue l’acclamer et défilant au cri de « Guerre à la guerre », est assassiné le 31 juillet 1914.

    Sa voix est donc étouffée à la veille du conflit alors qu’elle était écoutée, et même vénérée, dans les divers partis socialistes des pays désormais belligérants.

    Reste alors la voix de Romain Rolland, homme de lettres, musicologue, internationaliste. Il cherche un moyen de communion entre tous les êtres humains. Il ne veut pas mettre à l’écart, comme le prônent les chauvinistes français, Beethoven et Richard Strauss (qui est d’ailleurs un de ses amis personnels) parce que nés dans le camp « ennemi ».

    Il critique les deux camps dans leur volonté belliciste et dénonce la démence dans laquelle sombre l’humanité.

    Ami de Stefan Zweig, il publie un appel pacifiste (Au-dessus de la mêlée) qui fait dire à Zweig que Rolland est la « conscience de l’Europe ».
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    Bien qu’il ait été couronné en 1915 par le Prix Nobel de littérature, Romain Rolland est vilipendé par tous les va-t-en-guerre et les médias dont ils se servent. Ses appels au désarmement et à la cessation des combats y sont évidemment ignorés.

    Prudemment exilé en Suisse, il est accusé d’être un traître à la patrie française, un agent de l’ennemi, un pion de Guillaume II, ce « Kaiser » allemand, qui sert d’épouvantail en France.

    Et aujourd’hui…
    La bêtise nationaliste est sans frontières et défie le temps.

    On a vu récemment l’Université « Bicocca » de Milan interdire à Paolo Nori de donner un cours consacré à l’écrivain russe Dostoïevski (1821-1881).

    Le concert d’un groupe folklorique suédois a été annulé à Uppsala parce que… il jouait de la balalaïka.

    Une cantate de Prokofiev (1891-1953) a été supprimée par l’Orchestre national de Slovaquie, comme la représentation de Boris Godounov de Moussorgski (1839-1881) par l’Opéra de Varsovie. Même la Scala de Milan a procédé à ces censures absurdes.

    Les musiciens et chefs d’orchestre détenteurs d’un passeport russe, quelles que soient par ailleurs leurs convictions politiques, sont « déprogrammés », écartés, montrés du doigt par des institutions culturelles européennes.

    L’Académie européenne du cinéma boycotte tous les films russes pour les « European Film Awards ».

    Cerise sur le gâteau dans l’excès de zèle et le ridicule, le MR bruxellois a suggéré qu’on débaptise la rue de Russie ( La Libre du 6 mai 2022), ignorant sans doute qu’en 1918 les fureurs nationalistes avaient déjà débaptisé à Bruxelles toutes les rues évoquant l’Allemagne et l’Autriche.

    « Pacifiste » est redevenu une injure comme lors de la Première Guerre mondiale et le mot équivaut aujourd’hui à être considéré comme un « agent de Poutine ».

    Romain Rolland, resté, malgré le conflit entre la France et l’Autriche alliée à l’Allemagne, l’ami de Stefan Zweig, n’aurait certainement pas davantage renié aujourd’hui son autre ami, l’écrivain russe Maxime Gorki, avec lequel il a échangé vingt ans de correspondance.

    Le dixième principe de propagande de guerre veut que celui qui n’adhère pas avec enthousiasme à la propagande de son pays soit vilipendé en tant qu’agent de l’ennemi.

    On taxerait donc en 2022, sans aucun doute, ce Prix Nobel de « poutiniste ».

    (1) Anne Morelli, Principes élémentaires de propagande de guerre, utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède, nouvelle édition 2022 sous presse.

    #Romain_Rolland #pacifisme #guerre_mondiale #guerre #Jean_Jaurès #Stefan_Zweig #censure #va-t-en-guerre #médias Université de #Bicocca #Uppsala
    #Orchestre-national-de-Slovaquie #Opéra-de-Varsovie #Scala-de-Milan #european-film-awards #Moussorgski #Prokofiev

  • Magallanes. El hombre y su gesta

    http://www.nosolosig.com/libros-geo/1157-magallanes-el-hombre-y-su-gesta

    Capitán Swing reedita con mimo una de las obras más importantes sobre la figura del navegante y la circunvalación de la Tierra narrada de forma magistral por #Stefan_Zweig.

    Y no es para menos. Si, gracias sobre todo a «#Lemónov», hoy reconocemos en Emmanuel Carrère (Paris, 1957) un escritor especialmente capacitado para ejercer esa narrativa que discurre a medio camino entre el periodismo y la biografía novelada, Stefan Zweig (1881-1942) es el maestro, uno de los escritores clásicos del género y «Magallanes. El hombre y su gesta» es una buena prueba de ello. Zweig tiene en su haber unas 15 biografías, entre las que se incluye «Américo Vespucio. Relato de un error histórico» reeditada en España en 2019 por Acantilado.

    #magellan #voyage #exploration #dragons #carto_experiment #géographie

  • #Stefan_Zweig : « Avant 1914, la terre appartenait à tous ses habitants » | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/olivier-beuvelet/blog/181216/stefan-zweig-avant-1914-la-terre-appartenait-tous-ses-habitants

    « Et de fait, rien ne rend peut-être plus palpable l’énorme régression dans laquelle est entrée l’humanité depuis la première guerre mondiale que les restrictions apportées à la liberté de mouvement des hommes et à leurs libertés. Avant 1914, la terre appartenait à tous ses habitants. Chacun allait où il voulait et y restait aussi longtemps qu’il voulait. Il n’y avait pas de permissions, pas d’autorisations, et cela m’amuse toujours de voir l’étonnement des jeunes lorsque je leur raconte qu’avant 1914, je voyageais en Inde et en Amérique sans avoir de passeport et même n’en avais jamais vu aucun. On montait dans le train et on en descendait sans rien demander, sans qu’on vous demandât rien, on n’avait pas à remplir un seul de ces centaines de papiers qu’on réclame aujourd’hui. Il n’y avait ni permis, ni visas, ni tracasseries ; ces mêmes frontières qui, avec leurs douaniers, leur police, leurs postes de gendarmerie, sont aujourd’hui transformées en réseau de barbelés en raison de la méfiance pathologique de tous envers tous, n’étaient rien d’autre que des lignes symboliques qu’on traversait avec autant d’insouciance que le méridien de Greenwich. C’est seulement après la guerre que le monde se vit bouleversé par le national-socialisme, et le premier phénomène qu’engendra cette épidémie spirituelle de notre siècle fut la xénophobie : la haine ou du moins la peur de l’autre. On se défendait partout contre l’étranger, partout on l’excluait. Toutes les humiliations qu’autrefois on avait inventées exclusivement contre les criminels, on les infligeait maintenant à tous les voyageurs avant et pendant le voyage. Il fallait se faire photographier de droite et de gauche, de profil et de face, les cheveux coupés assez court pour que l’oreille fût visible, il fallait donner ses empreintes digitales, d’abord le pouce seul, puis les dix doigts, il fallait en plus présenter des certificats : de santé, de vaccination, de police, de bonne vie et mœurs, des recommandations, il fallait pouvoir présenter des invitations et des adresses de parents, il fallait fournir des garanties morales et financières, remplir des formulaires et les signer en trois, quatre exemplaires, et s’il manquait ne fût-ce qu’une feuille de ce tas de paperasses, on était perdu. »

    • Stefan Zweig: Die Welt von Gestern - Die Agonie des Friedens
      https://gutenberg.spiegel.de/buch/die-welt-von-gestern-6858/18

      » The sun of Rome is set. Our day is gone.
      Clouds, dews and dangers come; our deeds are done.
      «
      Shakespeare, ›Julius Cäsar‹

      In der Tat: nichts vielleicht macht den ungeheuren Rückfall sinnlicher, in den die Welt seit dem ersten Weltkrieg geraten ist, als die Einschränkung der persönlichen Bewegungsfreiheit des Menschen und die Verminderung seiner Freiheitsrechte. Vor 1914 hatte die Erde allen Menschen gehört. Jeder ging, wohin er wollte und blieb, solange er wollte. Es gab keine Erlaubnisse, keine Verstattungen, und ich ergötze mich immer wieder neu an dem Staunen junger Menschen, sobald ich ihnen erzähle, daß ich vor 1914 nach Indien und Amerika reiste, ohne einen Paß zu besitzen oder überhaupt je gesehen zu haben. Man stieg ein und stieg aus, ohne zu fragen und gefragt zu werden, man hatte nicht ein einziges von den hundert Papieren auszufüllen, die heute abgefordert werden. Es gab keine Permits, keine Visen, keine Belästigungen; dieselben Grenzen, die heute von Zollbeamten, Polizei, Gendarmerieposten dank des pathologischen Mißtrauens aller gegen alle in einen Drahtverhau verwandelt sind, bedeuteten nichts als symbolische Linien, die man ebenso sorglos überschritt wie den Meridian in Green wich. Erst nach dem Kriege begann die Weltverstörung durch den Nationalsozialismus, und als erstes sichtbares Phänomen zeitigte diese geistige Epidemie unseres Jahrhunderts die Xenophobie: den Fremdenhaß oder zumindest die Fremdenangst. Überall verteidigte man sich gegen den Ausländer, überall schaltete man ihn aus. All die Erniedrigungen, die man früher ausschließlich für Verbrecher erfunden hatte, wurden jetzt vor und während einer Reise jedem Reisenden auferlegt. Man mußte sich photographieren lassen von rechts und links, im Profil und en face, das Haar so kurz geschnitten, daß man das Ohr sehen konnte, man mußte Fingerabdrücke geben, erst nur den Daumen, dann alle zehn Finger, mußte überdies Zeugnisse, Gesundheitszeugnisse, Impfzeugnisse, polizeiliche Führungszeugnisse, Empfehlungen vorweisen, mußte Einladungen präsentieren können und Adressen von Verwandten, mußte moralische und finanzielle Garantien beibringen, Formulare ausfüllen und unterschreiben in dreifacher, vierfacher Ausfertigung, und wenn nur eines aus diesem Schock Blätter fehlte, war man verloren.

    • Téléchargez Die Welt von Gestern von Stefan Zweig | Projekt Gutenberg
      https://gutenberg.spiegel.de/buch/die-welt-von-gestern-6858/1

      A télécharger au format EPUB
      http://www.epub2go.eu/index.php?formID=nix&HandlerName=CCGB2EPub&action=download&FN=6858_Stefan_Zw

      Gutenberg ePub Generator von Furtmeier.IT - Generator
      http://www.epub2go.eu

      Full text of "STEFAN ZWEIG. DIE WELT VON GESTERN. ERINNERUNGEN EINES EUROPAERS. THE WORLD OF YESTERDAY.
      https://archive.org/stream/StefanZweigDieWeltVonGestern/Stefan%20Zweig%20-%20Die%20Welt%20von%20gestern_djvu.txt

  • Abolir les #frontières

    https://www.scienceshumaines.com/abolir-les-frontieres_fr_37457.html

    Dans Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen (1942), Stefan Zweig parle d’un monde antérieur à la Première Guerre mondiale où les frontières n’existaient pas pour les voyageurs et où la prise de conscience de l’immensité du monde à découvrir s’ouvrait aux Européens. La question d’un monde ouvert pour tous les habitants du monde n’est pas nouvelle, car elle a été déjà abordée par Emmanuel Kant dans son Projet de paix perpétuelle (1795) : il y distinguait le droit de visite du droit d’installation, reprise par Zigmunt Baumann dans ses travaux sur la mondialisation et la fluidité des échanges (une modernité liquide, selon ses termes). Cette question est néanmoins controversée. Dans son ouvrage L’Obsession des frontières (2007), Michel Foucher décrit un monde où il n’y a jamais eu autant de kilomètres de frontières depuis la chute du rideau de fer, tandis que Régis Debray dans Éloge des frontières (2010) montre qu’elles permettent de définir des communautés politiques et culturelles en leur sein.

  • Souvenirs d’un Européen - Théâtre / Critique - Journal La Terrasse
    http://www.journal-laterrasse.fr/souvenirs-dun-europeen

    Jérôme Kircher fait entendre la voix du Viennois #Stefan_Zweig (1881-1942), immense écrivain qui témoigna du tragique basculement de l’Europe. Une voix poignante et lucide, dont la pertinence traverse les époques.

    C’est dans sa fonction première et essentielle que s’affirme ici le théâtre, celle de l’adresse au public, du texte incarné, celle qui accorde aux mots leur pleine puissance et résonance, qui sculpte aussi leur beauté et leur mouvement précis et condensé. C’est un immense auteur qui se fait entendre, dont les nouvelles si saisissantes ont d’ailleurs régulièrement été portées à la scène – Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, Le Joueur d’échecs, Amok, et récemment aux Gémeaux La Pitié dangereuse, éblouissante mise en scène de Simon Mc Burney… Un auteur aussi de riches biographies qui disent tout son amour de la culture – Marie-Antoinette, Joseph Fouché… Autrichien, juif, écrivain, citoyen du monde humaniste et pacifiste, Stefan Zweig incarne mieux que tout autre cet esprit viennois brillant et tolérant. « Vivre et laisser vivre, c’était la maxime de Vienne », souligne-t-il… S’il rédigea son autobiographie, ce fut surtout pour témoigner de ce basculement terrifiant qui emporta l’Europe tout entière. Pour raconter et commenter l’histoire d’une vie mais aussi de tous ses frères humains, à travers un acte testamentaire destiné aux générations futures, avant la fin terrible, un soir de février 1942 au Brésil.

    #théâtre

  • Lettre d’une inconnue de #Stefan_Zweig

    https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/lettre-dune-inconnue-de-stefan-zweig

    « Un écrivain déjà connu reçoit une très longue lettre d’une femme inconnue, qui n’est pas celle du « rêve étrange et pénétrant » des Poèmes saturniens de Verlaine, mais une mère dont le jeune garçon vient de mourir d’une grippe impitoyable, elle-même en train de succomber à cette maladie en refusant d’y résister. Il y apprend que cet enfant est de lui et découvre la passion amoureuse qui a dévoré l’existence de cette femme depuis qu’elle a treize ans, quand elle habitait à Vienne, dans le même immeuble que lui, sur le même palier. Plusieurs fois portée à l’écran, cette nouvelle (parue pour la première fois le 1er janvier 1922 dans la Neue Freie Presse) est sans doute l’une des plus célèbres de Zweig. »

    #littérature

  • Dernières lettres - En attendant Nadeau
    http://www.en-attendant-nadeau.fr/2016/11/08/dernieres-lettres-zweig-rolland

    On croyait tout savoir, ou à peu près, de la personnalité de #Stefan_Zweig, après tant de biographies qui lui ont été consacrées [1] et le « biopic » de Maria Schrader. Le dernier volet du triptyque de sa monumentale correspondance avec #Romain_Rolland apporte cependant des touches nouvelles et essentielles à notre image de l’auteur du Joueur d’échecs. Il apparaît dans ses lettres comme un observateur perspicace de la grande crise européenne, du stalinisme et de la terreur nazie tandis que Rolland, pour sa part, défend avec conviction des positions en perpétuelle évolution.

    #littérature

  • La liberté de mouvement, vue par Stefan ZWEIG juste avant sa mort
    http://asile.ch/2015/12/11/la-liberte-de-mouvement-vue-par-stefan-zweig-juste-avant-sa-mort

    Juste avant de se suicider en 1942, Zweig décrit dans un mouvement désespéré le monde d’avant l’avènement des folies meurtrières du XXè siècle. Ce passage donne, à rebours, le vertige sur ce que nous avons perdu, aujourd’hui où le consensus de l’Europe s’établit sur les bases de la peur et du rejet des étrangers.

  • La préface du livre « #Le_monde_d'hier » de #Stefan_Zweig est troublante...
    « Chaque fois qu’au cours d’une conversation je rapporte à des amis plus jeunes des épisodes de l’époque antérieure à la Première Guerre, je remarque à leurs questions étonnées combien ce qui est encore pour moi la plus évidente des réalités est devenu pour eux de l’histoire, ou combien il leur est impossible de se le représenter. Et un secret instinct en moi leur donne raison : entre notre aujourd’hui, notre hier et notre avant-hier, tous les ponts sont rompus. Moi-même, je ne puis m’empêcher de m’étonner de l’abondance, de la variété que nous avons condensées dans l’étroit espace d’une seule existence – à la vérité fort précaire et dangereuse, surtout quand je la compare avec le genre de vie de nos devanciers. Mon père, mon grand-père, qu’ont-ils vu ? Ils vivaient leur vie tout unie sous sa forme. Une seule et même vie du commencement à la fin, sans élévations, sans chutes, sans ébranlements et sans périls, une vie qui ne connaissait que de légères tensions, des transitions insensibles. D’un rythme égal, paisible et nonchalant, le flot du temps les portait du berceau à la tombe. Ils vivaient sans changer de pays, sans changer de ville, et même presque toujours sans changer de maison ; les événements du monde extérieur ne se produisaient à vrai dire que dans le journal et ne venaient pas frapper à la porte de leur chambre. De leur temps, il y avait bien quelque guerre quelque part, mais ce n’était jamais qu’une petite guerre, rapportée aux dimensions de celles d’aujourd’hui, et elle se déroulait loin à la frontière, on n’entendait pas les canons, et au bout de six mois elle était éteinte, oubliée, elle n’était plus qu’une page d’histoire pareille à une feuille desséchée, et l’ancienne vie reprenait, toujours la même. Nous, en revanche, nous avons tout vécu sans retour, rien ne subsistait d’autrefois, rien ne revenait ; il nous a été réservé de participer au plus haut point à une masse d’événements que l’histoire, d’ordinaire, distribue à chaque fois avec parcimonie à tel pays, à tel siècle. Au pis aller, une génération traversait une révolution, la deuxième un putsch, la troisième une guerre, la quatrième une famine, la cinquième une banqueroute de l’Etat – et bien des peuples bénis, bien des générations bénies, rien même de tout cela. Mais nous, qui à soixante ans pourrions légitimement avoir encore un peu de temps devant nous, que n’avons-nous pas vu, pas souffert, pas vécu ? Nous avons étudié à fond et d’un bout à l’autre le catalogue de toutes les catastrophes imaginables (et nous n’en sommes pas encore à la dernière page).
    (…)
    Il m’a fallu être le témoin sans défense et impuissant de cette inimaginable rechute de l’humanité dans un état de barbarie qu’on croyait depuis longtemps oublié, avec son dogme antihumaniste consciemment érigé en programme d’action. Il nous était réservé de revoir après des siècles des guerres sans déclaration de guerre, des camps de concentration, des tortures, des spoliations massives et des bombardements de villes sans défense, tous actes de bestialité que les cinquante dernières générations n’avaient plus connus et que les futures, espérons-le, ne souffrirons plus. Mais, paradoxalement, dans ce même temps, alors que notre monde régressait brutalement d’un millénaire dans le domaine de la moralité, j’ai vu cette même humanité s’élever dans les domaines de l’intelligence et de la technique à des prodiges inouïs, dépassant d’un coup d’aile tout ce qu’elle avait accompli en des millions d’années : la conquête de l’éther par l’avion, la transmission à la seconde même de la parole terrestre sur toute la surface de notre globe, et, la fission de l’atome, la victoire remportée sur les maladies les plus insidieuses, la réalisation presque journalière de nouveaux exploits qui semblaient hier encore impossibles. Jamais jusqu’à notre époque l’humanité dans son ensemble ne s’est révélée plus diabolique par son comportement et n’a accompli tant de miracles qui l’égalent à la divinité »
    Stefan ZWEIG, Le monde d’hier, Belfont, 1993 [1972], pp.8-11.

    #histoire #littérature
    cc @reka @fil

  • Actualité de Stefan Zweig - Histoire - France Culture
    http://www.franceculture.fr/emission-concordance-des-temps-actualite-de-stefan-zweig-2013-06-15

    Parmi tous les grands noms qui ont brillé, dans l’entre-deux-guerres, au firmament de la littérature européenne, la plupart sont entrés au purgatoire des libraires et ils ont plus de place dans les évocations rétrospectives d’une époque, de ses passions, de ses sagesses, de ses folies, de ses controverses les plus instructives, que sur les tables de chevet. L’œuvre de Stefan Zweig échappe tout à fait à ce destin. À peine son œuvre est-elle tombée dans le domaine public, au début de notre année 2013, soixante-dix ans après son suicide survenu le 22 février 1942 au Brésil, que les éditions nouvelles se sont multipliées en France, chez Flammarion, chez Robert Laffont, et notamment dans la prestigieuse collection de la Pléiade chez Gallimard voici quelques semaines. Les ventes ont répondu aussitôt à cette ardeur éditoriale. Stefan Zweig est toujours abondamment lu, à telle enseigne que j’ai été incité à l’inscrire dans la série des grands personnages que nous tâchons à ce micro, de temps en temps, d’apprécier, de comprendre et de mesurer l’actualité. Que cet auteur puisse parler fort à nos contemporains, la preuve en est faite. Mais l’explication vaut d’être éclaircie, à si longue distance de cette Grande Guerre, que l’on va commémorer cent ans après, et qui a tant compté dans l’œuvre, dans la sensibilité et dans l’influence de Stefan Zweig. Jacques Le Rider, directeur d’études à l’École des Hautes Études, spécialiste reconnu de l’histoire culturelle de l’Autriche et de l’Allemagne, le connaît bien, et je vais faire fond ce matin sur sa compétence. Jean-Noël Jeanneney

    #Stefan_Zweig #littérature