Pour sauver l’#Amazonie, un archéologue, un avion et un laser
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Par-dessus l’Amazonie vadrouille ces derniers temps un curieux petit avion. En apparence, rien ne le distingue de ses congénères, si ce n’est la très basse altitude de son survol. Mais à son bord, l’aéronef transporte une technologie bien particulière, le Lidar : un procédé de télédétection par laser de haute précision capable de « déshabiller » la végétation, révéler les secrets dissimulés sous la canopée et, peut-être, contribuer à son sauvetage.
Le coucou opère pour le compte du projet Amazonia Revelada (« Amazonie révélée »), lancé en 2023 par l’archéologue brésilien Eduardo Goes Neves. A 58 ans, ce professeur renommé de l’université de Sao Paulo a passé plus de la moitié de sa vie à arpenter la jungle en quête de vestiges. « Mais aujourd’hui, je ne veux plus me contenter de parler de céramiques vieilles de 8 000 ans. Je veux agir dans le présent ! », explique le scientifique.
« Le Lidar émet des milliards d’ondes par seconde, dont une petite partie perce la sylve et atteint le sol, permettant d’identifier élévations ou structures humaines », poursuit-il. Depuis un an, près de 1 600 kilomètres carrés ont été cartographiés par ce procédé de « déforestation digitale », soit l’équivalent de quinze fois la superficie de Paris, depuis l’embouchure de l’Amazone jusqu’à l’Etat enclavé de l’Acre.
Une trentaine de « sites » ont été découverts. Des structures géométriques, des champs surélevés, une muraille et même un village portugais abandonné, datant du XVIIIe siècle, à la frontière avec la Bolivie. « Partout où on cherche, on trouve ! », s’enthousiasme M. Goes Neves, pour qui l’Amazonie est tout sauf une forêt vierge ou un « désert humide » : « C’est un patrimoine bioculturel, un bassin écologique mais aussi civilisationnel, profondément transformé par les peuples indigènes. »
Mais l’objectif affiché ne se limite pas à la science. Le projet « est aussi une réaction contre la dévastation de l’Amazonie », insiste l’archéologue. Les zones de survol du #Lidar ont été soigneusement sélectionnées pour suivre plusieurs lignes de front de la déforestation qui ravagent aujourd’hui la jungle. Plus de 100 000 incendies ont été identifiés dans la forêt tropicale depuis le début de l’année, soit le double de ceux recensés en 2023.
« Lieux sacrés »
La Constitution brésilienne tout comme une loi en vigueur depuis 1961 imposent aux autorités de protéger les sites archéologiques. Amazonia Revelada ambitionne donc de forger de nouvelles zones de sauvegarde constituées de portions de forêts abritant des vestiges préservés. « Soit la création d’une nouvelle strate de protection, culturelle cette fois », résume M. Goes Neves.
Avant toute chose, ses équipes ont pris soin d’obtenir l’accord des populations survolées. « Il s’agit d’Indigènes, mais aussi de communautés quilombolas [descendants d’esclaves] et ribeirinhas [pêcheurs traditionnels]. A chaque fois, on travaille avec des chercheurs locaux, formés, capables d’aller authentifier les découvertes », explique #Bruna_Rocha, archéologue participant au projet et basée à Santarem, sur l’#Amazone.
Pour les #indigènes, ces vestiges ont une valeur qui va bien au-delà du patrimoine. « Ce sont des lieux témoins de notre passé, que nous visitons avec les plus jeunes pour leur raconter notre histoire. Mais ce sont aussi des lieux sacrés, vivants, où l’on peut sentir la présence des esprits », témoigne le cacique Juarez Saw, sexagénaire issu du peuple Munduruku, joint par téléphone depuis son village du rio Tapajos, au cœur de la forêt.
Certains peuples, comme ceux du Haut-Xingu, ont refusé de participer au projet, « de peur que les données soient utilisées par leurs ennemis pour détruire ces vestiges », selon Bruna Rocha. Le cas s’est malheureusement produit sur les terres munduruku. « Les orpailleurs illégaux ont démoli beaucoup de nos lieux sacrés », déplore M. Saw.
Mais répertorier des sites #archéologiques aura-t-il un effet sur la protection de la forêt ? « On essaie depuis trente ans de sauver l’Amazonie à coups d’arguments environnementaux, économiques, humains… Mais rien ne fonctionne. Alors, oui, le patrimonial, ça peut aider. Il faut mettre le paquet ! », croit #Stéphen_Rostain, archéologue et premier signataire d’un article retentissant de la revue Science, publié en janvier, révélant, grâce au Lidar, l’existence d’un gigantesque réseau de cités-jardins vieux de 2 500 ans en Amazonie équatorienne.
Le temps presse et l’argent manque
Difficile, cependant, d’imaginer que l’Institut du patrimoine brésilien, l’Iphan, pourra faire mieux en la matière que l’Ibama, la police environnementale. « Le projet est très intéressant, mais il ne crée pas de dispositif concret de sauvegarde de la nature », relève Francois-Michel Le Tourneau, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique et spécialiste de l’Amazonie. « Pour que ça fonctionne, il faudra que la loi incorpore la dimension culturelle de la protection de la nature », insiste de son côté Ane Alencar, directrice scientifique à l’Institut pour les enquêtes environnementales en Amazonie.
« On n’est pas naïfs. On sait bien que l’archéologie seule ne peut pas sauver l’Amazonie ! », concède M. Goes Neves, qui estime que son projet servira d’abord à « accentuer la pression » sur le gouvernement de Luiz Inacio da Silva et, plus encore, sur un Congrès brésilien « réactionnaire » et acquis aux intérêts de l’agronégoce.
Mais le temps presse et l’argent manque. Amazonia Revelada est pour le moment financée par la seule National Geographic Society, organisation scientifique et éducative non lucrative basée aux Etats-Unis. Celle-ci a déboursé 1,8 million de dollars (1,6 million d’euros) pour le projet dont l’intensification nécessitera forcément l’aide de pouvoirs publics.
Bonne nouvelle : çà et là en Amazonie, des projets de protection environnementale reposant sur le patrimoine culturel et archéologique commencent à voir le jour. Le plus éloquent reste celui du « Stonehenge brésilien » : un site exceptionnel, composé de 127 blocs de granit et vieux d’un millénaire, qui aurait accueilli des cérémonies rituelles liées au solstice. Les autorités souhaitent en faire une zone protégée et attirer les touristes.
Les premiers résultats des survols d’#Amazonia_Revelada seront présentés lors d’un congrès organisé à Manaus, dans le nord du #Brésil, en octobre. « A terme, notre rêve, c’est de cartographier toute l’Amazonie ! », assure un Eduardo Goes Neves à l’enthousiasme contagieux. Le petit coucou, armé de sa technologie #laser, n’en a pas fini de voler au-dessus la canopée.
#Bruno_Meyerfeld (Sao Paulo, correspondant)