#subsistance

  • « La Subsistance. Une perspective écoféministe » par Veronika Bennholdt-Thomsen & Maria Mies
    https://topophile.net/savoir/la-subsistance-une-perspective-ecofeministe-par-veronika-bennholdt-thomse

    Voici un ouvrage exceptionnel, particulièrement bien traduit par Annie Gouilleux, qui ne peut laisser indifférent quiconque recherche la plus large autonomie pour chacune et chacun dans le plus grand respect envers le vivant. Maria Mies (1931-2023) est une sociologue, ayant cosignée avec Vandana Shiva, Écoféminisme,traduit en français chez L’Harmattan en 1999, Veronika Bennholdt (née en... Voir l’article

  • Peut-on se réapproprier la science ?

    S’il est tout à fait nécessaire et utile de se réapproprier nombre de connaissances scientifiques et médicales, on ne peut le faire de manière émancipatrice que dans la perspective d’une critique radicale de la société capitaliste et industrielle. Plutôt que de continuer la recherche scientifique vers la quête de toujours plus de maîtrise et de puissance pour l’État et le Marché, il nous faut développer des recherches et acquérir des connaissances qui peuvent aider chacun à assurer mieux et plus facilement sa subsistance en se fondant sur les ressources locales.

    #Bertrand_Louart #Sciences_Critiques #Technocritique #critique_techno #subsistance #technoscience #société_industrielle etc.

    https://sciences-critiques.fr/peut-on-se-reapproprier-la-science

  • The Land, L’humain monbiotique, 2022
    Critique du dernier ouvrage de G. Monbiot

    #Georges_Monbiot est une grande figure de l’#écologie britannique. Il est chroniqueur au journal The Guardian (l’équivalent du journal Le Monde en France), ce qui lui donne une grande influence sur l’opinion publique. Mais depuis quelques années, il s’est engagé dans la défense d’une écologie technocratique.

    Déjà peu après l’accident nucléaire de Fukuhima, il avait signé une tribune où il se faisait le soutien de l’industrie nucléaire au prétexte que l’accident japonais n’avait pas fait des monceaux de cadavres bien visibles à la télévision et que le nucléaire est un moyen de produire de l’énergie « décarbonnée » qui permet de « lutter contre le réchauffement climatique » sans remettre en question la société capitaliste et industrielle.

    Dans son dernier ouvrage, il propose de supprimer toute forme d’agriculture et d’élevage sur la planète, car ces activités quelque soit leur forme sont selon lui les principales causes du changement climatique. Les terres consacrées à l’agriculture et l’élevage seraient alors ré-ensauvagées. Les humains concentrés dans les villes se nourriraient alors de protéines produites par des bactéries dans des réacteurs bio-chimiques.

    « Nous pouvons désormais penser la fin de l’agriculture, la force la plus destructrice jamais provoquée par l’homme. Nous pouvons envisager le début d’une ère nouvelle dans laquelle nous n’aurons plus besoin de sacrifier le monde vivant sur l’autel de nos appétits. Nous pouvons résoudre le principal dilemme qu’il nous a été donné d’affronter, nourrir le monde sans dévorer la planète. »

    Ainsi, l’écologiste Monbiot se rallie à la « guerre contre la #subsistance » que l’industrie capitaliste, dès ses débuts, a mené d’abord en Angleterre et continue encore à mener aujourd’hui à travers le monde afin de rendre chacun d’entre nous dépendant de ses marchandises, de ses ersatz…

    Dans les pages qui suivent, je vous propose de lire les critiques que les rédacteurs du magazine The Land, an occasional magazine about land rights [La terre, un magazine intermittent sur les droits de la terre] ont adressé à l’ouvrage de Monbiot, la réponse hystérique de celui-ci et les précisions et approfondissement qu’ils ont ensuite ajoutés en réponse.

    Avec cet échange, on verra que le projet d’enfermer complètement l’humanité dans la prison urbaine et industrielle s’exprime maintenant sans retenue au sein de certains cercles d’entrepreneurs. En attendant prochainement des dirigeants ?

    Il me semble que ce projet liberticide et mortifère doit être dénoncé et combattu comme tel.

    https://sniadecki.wordpress.com/2023/09/08/the-land-monbiotic-fr

    #technocratie #solutionnisme_technologique #technocritique

  • Une critique très intéressante du livre Terre et Liberté d’Aurélien Berlan est parue l’année dernière dans la revue L’inventaire. Cette critique se situe dans la même perspective que celle de Berlan, qui a ses limites, qui à mon avis apparaissent mieux avec cette critique de Nicolas Gey. A lire absolument !

    Nicolas Gey, « Subsister », L’Inventaire , automne 2022

    https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2023/05/24/nicolas-gey-subsister

    #agriculture #subsistance

    • Bah c’était déprimant @deun 😭

      s’il est légitime de décrier le calcul des aides que la politique agricole commune indexe à la surface de production, il faut s’exprimer (ce qu’on fait moins) sur la dimension énergétique de ces aides, dont le calcul dépend aussi de la valeur calorique des aliments produits. De sorte que le maraîchage et l’arboriculture sont nettement moins subventionnés que la production d’oléo-protéagineux (comme les appellent les agronomes). Un kilo de tomate, du fait de la main-d’œuvre nécessaire pour sa culture et sa récolte, dépasse souvent le prix de 1 kg de blé, mais sa valeur politique est à peu près nulle : on n’a jamais fait de révolution pour cause de pénurie de tomates.

      […]

      Jusqu’à preuve du contraire, et dans les conditions qui sont les nôtres (et qui n’ont guère de raison de devenir plus favorables), on peut donc affirmer qu’il n’existe, en Occident, aucun modèle agricole économiquement viable susceptible de récolter davantage d’énergie qu’il n’en consomme pour la produire

      […]

      Pour nous subsistantialistes, il ne suffit pas de suggérer qu’on pourrait toujours, le moment venu, se déplacer et labourer avec un animal de trait (21), battre les céréales au fléau, trier le grain avec un tarare, remettre en service des moulins à vent ou à eau, entretenir nous-mêmes les sentiers, les conduites d’eau, les routes pavées et les entrepôts, que sais-je ? N’oublions pas de poser ces questions, en apparence naïves : Qui fait quoi, et surtout quand ? En d’autres termes, qui s’y lance maintenant, avant les autres, au risque de l’épuisement moral et physique ? Qui accepte de commercer avec l’ensemble d’une population directement et indirectement mécanisée et subventionnée ? Qui accepte, en somme, de troquer l’or contre la pacotille ?

      […]

      Jusqu’à preuve du contraire, toutes les expérimentations «  permacoles  » (27) et «  agroécologiques  » non mécanisées des régions tempérées ont échoué à produire non seulement des légumes sur des terres généreusement amendées et paillées (souvent avec fumier et paille du commerce), mais suffisamment de calories pour nourrir, au minimum, les agriculteurs eux-mêmes.

      Dans certains cas, comme au mas de Beaulieu de feu Pierre Rabhi, l’expérimentation, sur un hectare, est loin d’égaler la modeste production maraîchère d’un jardin ouvrier (28). Ailleurs, à la Ferme du Bec-Hellouin (29), Perrine et Charles Hervé-Gruyer renouvellent quant à eux les trouvailles de Bouvard et Pécuchet (30) en terre normande. Là-bas, les cultures nourricières cèdent systématiquement le pas aux productions à forte valeur ajoutée, jusqu’à délaisser la pomme de terre ! Les amendements proviennent de haras voisins ; les résultats publiés sont avant tout financiers, proviennent pour bonne part de formations, et lorsque les volumes de production de certains fruits ou légumes sont annoncés, il n’est jamais question de calories. Or la Ferme Potemkine du Bec-Hellouin est censée apporter sa contribution (sinon la solution) au problème de l’autonomie alimentaire (individuelle, communale, régionale, nationale, etc.). En dépit de l’évidence, une succession de rapports de l’Inra-AgroParisTech conclut toutefois au succès de l’entreprise agroécologique (31).

      […]

      Ce que nombre de «  permaculteurs  » (plus ou moins survivalistes) et «  d’agroécologistes  » ne perçoivent pas lorsqu’ils tentent l’expérience de «  l’autonomie  » (mais ils finissent invariablement par délaisser l’agriculture au profit d’activités plus lucratives, comme la formation, l’accueil de touristes, les «  soins alternatifs  », etc.), c’est le caractère systémique d’une organisation paysanne. Les dimensions d’héritage culturel, de normes, de devoirs, d’effort et de temps sont généralement refoulées ou fantasmées plutôt qu’appréhendées dans leur complexité et leurs limites. S’il est évidemment impossible de répondre à tous ses besoins (de la mine à la forge, de la carrière au four à chaux, des champs de lin aux métiers à tisser, etc.), il l’est presque autant, sous nos latitudes surpeuplées (37), de répondre à ses besoins les plus vitaux, sans se soumettre aux lois de la physique bien sûr, mais aussi à l’autorité d’un groupe, sinon à l’un.e de ses représentant.e.s.

      #déprime #céréales ! #calories #alimentation #nutrition #mode_de_vie #paysannerie etc etc

    • Bah c’était déprimant @deun 😭

      Ah ça ! J’ai lu l’article il y une quinzaine de jours et j’avoue que ça m’a bien sonné ...

      Pourtant, il y a des positions chez Nicolas Gey qui me paraissent assez biaisées, genre :

      Si la dénonciation des effets dévastateurs de la mécanisation, de l’aliénation des agriculteurs, de l’irrigation par pompage, des engrais de synthèse et des pesticides est parfaitement légitime, il est en revanche assez malhonnête d’en déduire que cette agriculture industrielle n’aurait obtenu que des «  résultats minimes  ». Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1990, les rendements céréaliers moyens ont bel et bien été multipliés par 4 en France et par 3 en moyenne dans le monde. Puisque la surface cultivée totale est restée à peu près constante (la surface de champs urbanisés étant pour l’instant «  compensée  » par la conversion des pâturages et le défrichement accéléré des ultimes forêts primaires), la production a donc été multipliée par trois et la population mondiale, dont la frange la plus riche s’est mise à consommer de plus en plus de viande (9), par 2,5 (passant de 2,4 à 6 milliards d’individus).

      La question (subsidiaire) aurait pu être : mais pour combien de temps ?

      Et d’ailleurs arrive cette forme d’aveu concernant les limites de cette croissance productive :

      Depuis les années 1990, effectivement, les rendements du blé plafonnent et paraissent même, depuis 2016, amorcer leur déclin.

      Avec, en filigrane, ce sentiment qui est mien, à savoir que le dérèglement climatique et son cortège de nuisances pourrait bien y être pour quelques chose.

      Après, il y aurait un fastidieux travail de vérification des données techniques (entre autre le raisonnement qui s’appuie sur un bilan calories entre le travail à fournir et récolte obtenue) et économique (valeur de la chose produite rapportée à la quantité de travail nécessaire pour la produire)

      Or ce sont précisément les productions agricoles les plus riches en calories et en travail, fût-il mécanique, que les expériences subsistantialistes tendent à ajourner (14). Et pour cause : acheter des céréales, des légumineuses, des sucres, des huiles issues de la production mécanisée et subventionnée revient à acheter chaque jour, pour moins de 2 euros le kilo, une quantité de travail que nous refuserions de fournir à ce prix. Pour fixer les idées : l’équivalent d’une journée de travail de cinq à sept heures (15). Payé au smic de 2021, le coût du travail nécessaire pour produire 1 kg de blé sans tracteur, moissonneuse-batteuse ni subvention serait donc compris entre 50 et 70 euros. Dans ces conditions, qui d’entre nous, s’il ne possédait une rente d’au moins 1500 euros par mois (ce qui le rangerait indiscutablement du côté des puissants), pourrait encore acheter quotidiennement son kilo de farine équitablement subsistantialiste (ou son équivalent énergétique d’environ 2 500 kcal) ?

      Et l’auteur lui-même nous invite à remettre cette évaluation sur le métier dans la note 15 :

      Cette estimation m’est propre, et mérite sans doute discussion. Je suis parti du principe qu’il fallait en moyenne 5 à 10 m2 de terre pour fournir 1 kg de blé tendre dans des conditions «  subsistantialistes  », sans tracteur ni engrais de synthèse. Le calcul consiste simplement à additionner le temps passé à labourer (ou bêcher) cette surface de terre, avant de la semer et d’enterrer le semis (afin qu’il ne soit pas détruit par des étourneaux, des corneilles ou des pies), puis de la désherber (des gaillet, vulpin, folle avoine, rumex, chénopode, renouée, amarante et chardon, entre autres) et de l’amender, avant de la moissonner, d’en transporter les gerbes jusqu’à l’aire de battage, de battre les gerbes, d’en vanner le grain, de le moudre puis de bluter la mouture. Sans compter le travail de cuisine et de boulangerie, ni le temps passé à récolter du bois pour la cuisson.

      La modélisation des rendements énergétiques lié aux activités agricoles, ça a déjà dû être fait. Après, vérifier si tous les paramètres ont été inclus, c’est plus compliqué. En outre, l’anticipation des circonstances (dérèglements climatiques, bouleversements socio- et géopolitiques) qui pourraient influer sur la validité de ces paramètres voire en introduire de nouveaux, ça rajoute du « niveau ». Pas d’autre choix pour l’instant que de confier toutes ces tâches d’expertises à un groupe d’étude comme celui qui travaille sur l’évolution du climat.

    • Est-ce qu’il faut nécessairement envisager les choses comme le fait Nicolas Gey (et Aurélien Berlan peut-être je ne sais pas bien) ? C’est-à-dire penser que la seule alternative à la société industrielle ce sont des sociétés paysannes où tout est fait localement, donc forcément à la main puisque qu’il n’y a pas d’autres types d’énergie disponible sur place ?

      Le texte a tout de même le mérite de pointer le prisme habituel autour du maraîchage et des légumes, en laissant de côté ce que l’on appelle les « grandes cultures », c’est-à-dire comme il l’indique les aliments qui nourrissent vraiment d’un point de vue calorique.
      Encore que, à mon sens, les légumes sont indispensables pour la santé, non pas à cause de leur contenu calorique, mais en terme de vitamines par exemple.

      Plutôt que produire à la main du blé dans une contrée où c’est fait avec d’énormes machines énergivores, on peut aussi s’intéresser aux régions où l’agriculture est déjà sans machines, mais où de petites machines sont introduites à l’intérieur d’une organisation où le travail manuel est la norme.

      Par exemple pour en Afrique, des batteuses sont utilisées pour décortiquer les haricots. Elles peuvent être apportées dans les ferme derrière une moto (par exemple le modèle Imara tech Multi-crop). Ca coûte 700$.

      Actuellement, les femmes et les jeunes supportent la majeure partie de la charge du battage, et l’utilisation du battage mécanisé libère leur temps pour d’autres tâches plus gratifiantes. Un exemple de cela est fourni par l’utilisation de la batteuse multicultures Imara tech, qui prétend traiter les haricots 75 fois plus rapidement qu’à la main.

      https://taat-africa.org/wp-content/uploads/2022/02/Catalogue_Haricot_commun_FR.pdf

      En France toujours pour des haricots on parlera plutôt pour battre les haricots d’une machine à 130000€

      https://www.youtube.com/watch?v=UBc-2m2t5zw

      La deuxième chose c’est de considérer le problème de la mécanisation dans sa dynamique et dans son contexte marchand.
      C’est ce qui manque à la perspective de Bey - à la critique anti-industrielle en général ? Elle finit par rejoindre la perspective survivaliste, comme Bey le reconnaît :

      Autrement dit, qui peut prétendre subvenir à ses besoins, vivre substantiellement de sa production ? S’il existe quelques personnes ou communautés d’Europe de l’Ouest qui y parviennent, je serais ravi, sinon de les rencontrer, du moins d’entendre de quelle manière elles s’y prennent. De ce point de vue, il n’est pas nécessaire de partager les orientations politiques du courant survivaliste pour souscrire au tragique de ses analyses.

      ... comme si le but c’était de vivre de sa propre production. Bien-sûr ce but est évident pour le survivaliste puisqu’il se prépare à une rupture d’approvisionnement généralisé. Mais pour les révolutionnaires ?

  • Première version d’un texte débutant par une critique de Lordon. Commentaires bienvenus !

    Vers un socle de subsistance

    Sous le nom de « salaire à vie » ou bien de « revenu de base », des propositions politiques entendent libérer l’individu de la servitude au marché de l’emploi. Les justifications à ces propositions sont diverses mais il nous semble qu’elles conduisent toutes à des bizarreries.

    Prenons comme exemple la proposition de « garantie économique générale » de Lordon, dans l’article « La transition dans la transition » paru en 2020 (1).

    Lordon défend sous ce terme les mêmes propositions que Bernard Friot sous l’expression de « salaire à vie ».
    Passons, dans un premier temps, sur le fait que Lordon défend l’argent et le marché comme ne devant pas être abolis, au motif qu’ils seraient les seuls moyens d’organiser le minimum de division du travail encore nécessaire dans une société communiste.

    Le salaire à vie, nous dit l’auteur, « délivre de toute obligation d’aller s’insérer dans la division du travail sous l’impératif reproductif de l’emploi ». Dès lors, « la question se pose notamment de savoir comment pourvoir les places à faire tenir dont personne ne voudra ».
    Les problèmes de pénuries et de désorganisations matérielles étant les pires ennemis de la révolution, « il faudra envisager une période transitoire (...) qui « gèlera » temporairement les assignations présentes à ces segments « indispensables » de la division du travail ». Dès lors comment différencier la période de transition de la marche normale du capitalisme ?

    Cette « assignation obligatoire » et transitoire à ne pas pouvoir quitter son emploi, est faite « au nom des nécessités de la division du travail, c’est-à-dire des intérêts de tous : il doit alors y avoir une contrepartie spéciale ». A savoir, nous dit Lordon, un salaire plus élevé.

    Mais qu’est-ce que cette « garantie économique générale », qui oblige -en période de transition- certains individus à tenir certains postes, en lieu et place de « la double tyrannie de la valeur d’échange et de l’emploi capitaliste » dans un monde où il y a toujours des salaires, et donc toujours des marchandises à acheter ? Certains devront absolument garder leur emploi pour que d’autres puissent refuser le leur sans crainte (la fameuse garantie), pour que ce soit le cas pour tout le monde, mais plus tard (la fameuse transition). On n’y comprend pas grand chose, si ce n’est que cette « garantie économique générale » est avant tout du pur verbiage. Prévoir et légitimer, comme le fait Lordon, l’obligation « transitoire » des gens à travailler pour une garantie générale en dit long sur le potentiel politique d’une telle proposition.

    Les incohérences qui en découlent devraient démontrer par l’absurde que les postulats de départ sont à reconsidérer.

    Un des ces postulats est à mon avis la nécessité d’imaginer une alternative générale au capitalisme, imposant d’élaborer une proposition située à un même niveau d’abstraction. D’où les problématiques de division de travail, par exemple, comme si les révolutionnaires devaient obligatoirement prendre en charge l’intégralité de la production capitaliste. La proposition de restreindre la question à la « subsistance » est une tentative pour gagner en concrétude et ne pas prendre le problème par n’importe quel bout. La question alimentaire et agricole est en la matière centrale. Nous y reviendront plus loin.

    J’aurais plutôt envie de questionner la notion même de « garantie ». Sous prétexte que le capitalisme précarise les gens en les soumettant au règne de la valeur marchande, le communisme a-t-il pour but de délivrer l’individu de l’inquiétude de la subsistance et de lui garantir « la plus grande tranquillité matérielle sur toute la vie », comme le dit Lordon (2) ? On le voit, dans le raisonnement absurde de Lordon à propos de la « transition », cette garantie est difficile à concevoir sans de puissants mécanismes de coercition, sinon d’obligation sociale. Il est en effet difficile de vouloir ne pas s’occuper des choses importantes de la vie, sans que d’autres s’en occupent par ailleurs. Et comme il y a des chances que cela ne se fasse pas de façon spontanée, Lordon n’hésite pas à substituer au marché capitaliste de l’emploi des propositions de « transition » aussi bizarres que rédhibitoires pour boucler logiquement un système politique bancal à la base.

    En fait, le communisme ne ressemble certainement pas à une vie de retraité généralisée à tous, comme le laisse entendre Friot, mais plutôt à une vie sociale où les moyens de subsistance essentiels ne sont jamais très loin de tout un chacun. Aussi bien en tant que consommateur qu’en tant que producteur. Si garantie il y a, elle relève bien plus de l’existence de cette « proximité » matérielle et sociale d’un tel socle de subsistance, que de l’abstraction d’un salaire à vie, gros d’une logique d’irresponsabilité à tous les niveaux. Irresponsabilité du consommateur qui en veut pour son argent, irresponsabilité du producteur qui -sans la contrainte capitaliste- a intérêt à en faire le moins possible, irresponsabilité du planificateur qui dispose d’un accès privilégié aux ressources en cas de pénurie.

    En la matière, la façon de produire sa nourriture de façon non-marchande est une source d’inspiration essentielle. Dès lors que des personnes participent sans coercition, dès à présent, au fait de se nourrir et de nourrir les autres, on visualise beaucoup mieux de quoi sera faite une « garantie non-économique générale », qui se passerait du marché de l’emploi capitaliste. L’abolition complète de l’argent et du marché n’est sans doute pas un préalable à cela, mais plutôt une conséquence logique d’une organisation se concentrant sur l’accès à tous aux biens essentiels. Refuser l’économie capitaliste n’impose peut-être pas, en effet, d’abolir l’argent et le marché. Par contre, dès lors que le société s’organise autour de l’accès de tous à la subsistance et à la sa production, nous ne sommes plus dans le cadre d’une société marchande faite de producteurs séparés, et que seule la monnaie ou un autre équivalent général permet de relier. Précisément, comme l’a montré André Orléan, pour des producteurs isolés, l’accès à la monnaie est une question existentielle (3). La valeur abstraite est ce qui caractérise les relations marchandes, comme ce qui motive au plus profond les sujets économiques parce qu’il y va de leur existence même.

    Dès lors, soit on accepte la société marchande dans son principe, et il faut donc accepter que la précarité de l’existence passe par l’accès à la monnaie. Soit on refuse cette forme de précarité comme fondement sociétal, mais alors on ne peut pas rester en société marchande. Il faut inventer autre chose.

    Les propositions du salaire à vie ou de garantie économique générale sont présentées comme l’aboutissement d’une transition post-capitaliste. Au contraire, ne sont-elles pas essentiellement, de même que celles du revenu de base, des solutions précaires et transitoires, qui permettent à une partie de la population de s’extirper du marché de l’emploi, afin de transiter vers des formes de société non-marchandes ?

    Par delà l’actualité contemporaine, gros d’inquiétudes quant à la pérennité de la vie quand diverses limites planétaires physiques sont déjà dépassées, l’existence est précaire et l’a toujours été. En déléguant à un petit nombre d’acteurs la production des biens essentiels, disposant dans les étals de quantités de denrées injustement bon marché, une partie privilégiée du monde a peut-être être eu le sentiment que son existence était garantie. A l’inverse, faire pousser ses propres légumes, s’occuper concrètement de quoi l’on tire sa subsistance, que l’on soit amateur ou professionnel, en bio ou pas, c’est toujours se confronter à maints incertitudes d’un monde non-humain, qu’il s’agisse du climat, des maladies ou des ravageurs.

    Est-ce un privilège que de ne pas être relié à ce monde vivant-là, de ne pas y être un minimum immergé ? Pour la majeure partie de la population, pour qui l’accès à une alimentation saine en quantité suffisante est devenu impossible, cela pourrait bien apparaître comme la question essentielle. Notre objectif n’est plus d’obtenir de l’argent indépendamment d’un emploi, mais de mettre en place un accès inconditionnel à un socle de subsistance. En nature, et non en valeur monétaire. Et de plus, cet accès doit impérativement être couplé à un accès, tout aussi inconditionnel, à son mode de production (4).

    Dès lors, l’accès inconditionnel à un socle de subsistance et à sa production devient une revendication concrète et précise : il s’agit d’accéder aux terres agricoles autour des villes et au-delà, à des savoirs-faire, des moyens matériels, ce qui demande une autre organisation de l’espace compatible avec cet accès, soit une abolition de la distinction entre ville et campagne (5). C’est dans cette optique que le temps arraché au marché de l’emploi a un sens, et c’est dans les marges de l’emploi, et non au centre (6), que s’expérimentent les balbutiements d’un socle de subsistance. C’est d’ailleurs assez logique : comment espérer une validation marchande de pratiques non-marchandes, quand l’économie verrouille toutes les initiatives en vue de prendre soin du vivant ?

    C’est ce mouvement vers une réappropriation de la production alimentaire, par tout un chacun, qui nous paraît constituer un chemin désirable, cohérent, possible.

    Ce socle ne reposera pas uniquement sur une autarcie alimentaire locale (7). Celui-ci devant être articulé avec un fonds commun de réserves et de ressources de sécurité en cas d’urgence. C’est ce que l’on pourrait appeler une cotisation sociale en nature, pour une distribution de l’aide également en nature suivant les besoins. Les institutions existantes de sécurité sociale pourraient donc être une source d’inspiration, non pas pour en étendre le fonctionnement, mais pour le transformer sous une forme pertinente pour notre époque. Il est temps de réfléchir et débattre de la nature marchande, et pas seulement capitaliste, de notre société.

    (1) https://blog.mondediplo.net/transition-dans-la-transition

    (2) https://blog.mondediplo.net/ouvertures

    (3) Monnaie, séparation marchande et rapport salarial, 2006
    http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Monnaie0612.pdf

    (4) C’est par exemple l’objectif des non-marchés de l’association le Jardin de Kodu, inspiré de _Bolo’bolo écrit en 1983. https://kodu.ouvaton.org/?NonMarches http://www.lyber-eclat.net/lyber/bolo/bolo.html

    (5) Pour approfondir cette question, on lira le passionnant article de Jasper Bernes, "Le ventre de la révolution : L’agriculture, l’énergie, et l’avenir du communisme – Jasper Bernes", 2020
    https://choublanceditions.noblogs.org/post/2022/01/13/le-ventre-de-la-revolution-lagriculture-lenergie-et-laven

    (6) Nous partageons ici pleinement les constats faits dans le livre Reprendre la terre aux machines de l’Atelier paysan (2021) de l’impasse de l’agriculture labellisée bio, en tant qu’alternative à l’intérieur de l’économie de marché, intrinsèquement incapable de nourrir toute la population et laissant s’installer une agriculture duale (une chimique pour la majeure partie de la population, une autre plus saine pour ceux qui un pouvoir d’achat suffisant). Pour des raisons économiques, la situation restera bloquée : il ne sera pas possible de sortir de l’agriculture industrielle et chimique dans ce monde marchand. Cependant, les auteurs n’imaginent pas d’autre porte de sortie qu’une captation de la valeur économique par les agriculteurs (au détriment des industries agro-alimentaire et de la distribution), par le biais d’une nouvelle sécurité sociale alimentaire, qui serait une nouvelle branche de la sécurité sociale, à financer par de nouvelles cotisations sociales (proposition directement inspirée de celle du salaire à vie de Friot et Lordon).

    (7) On sait que les flux, en matière alimentaire, sont actuellement totalement irrationnels quels qu’en soient les critères (ils sont rationnels d’un point de vue économique cependant, bien entendu, sans quoi ils n’existeraient pas). Même si chaque territoire a ses caractéristiques propre qui l’amène à s’orienter vers certaines cultures spécifiques, cela ne justifie aucunement le fait que, en France par exemple, n’importe quel territoire autour d’une ville donné alimente à 95 % celui des autres villes.

    #Lordon #Friot #post-capitalisme #post-monétaire #agriculture #subsistance #BoloBolo

    • Ah et puis en français il ya ce très long podcast découpé (qui mériterait sûrement un seen dédié) :
      https://floraisons.blog/patriarcat-et-capitalisme-selon-maria-mies

      Patriarcat et capitalisme selon Maria Mies est série de podcasts en 13 épisodes, présentée par Gwladys, qui explore en détail le livre Patriarchy and Accumulation on a world scale écrit par Maria Mies et publié pour la première fois en 1986. Ce livre est le premier à présenter de manière claire et articulée comment le patriarcat puis le capitalisme sont ancrés dans l’exploitation de la nature, des femmes et des colonies.

      Tout au long de la série, le podcast est enrichi de lectures et de ressources contemporaines qui illustrent la pertinence durable de la pensée de Maria Mies. En tant que femmes, féministes et écoféministes, c’est un ouvrage-clé pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Une première étape essentielle pour envisager un avenir au-delà de la violence du patriarcat et du capitalisme.

      Le livre Patriarchy and Accumulation on a world scale sera traduit aux Éditions Entremonde, sortie prévue début 2024.

  • Maria Mies, Avons-nous besoin d’une nouvelle « économie morale » ?, 1991
    https://sniadecki.wordpress.com/2023/06/04/mies-economie-morale-fr

    Le soi-disant développement n’est pas un processus d’évolution d’un stade inférieur à un stade supérieur, mais un processus de polarisation dans lequel certains deviennent de plus en plus riches parce qu’ils rendent les autres de plus en plus pauvres. Il y a 200 ans, le monde occidental n’était que cinq fois plus riche que les pays pauvres d’aujourd’hui. En 1960, ce rapport était déjà de 20 pour un, et en 1983 il était de 46 pour un, les pays riches étant 46 fois plus riches que les pays pauvres [Trainer]. La richesse des pays riches croît toujours plus vite et, dans un monde limité, cela signifie qu’elle croît aux dépens des autres, de ce que je continue à appeler des colonies : la nature, les femmes, les pays dits du « tiers monde ».

    Si l’on vise la durabilité, il faut alors en finir avec le marché mondial industriel et le modèle de croissance axé sur le profit. Ce dépassement est, comme l’a montré de manière convaincante Vandana Shiva, pour les pauvres, pour les femmes et les enfants des pays et régions pauvres, une question de survie. Ils luttent explicitement contre le « développement » et la modernisation parce qu’ils savent que ce développement va détruire les fondement de la pérennité de leur existence – leur accès aux biens communs : la terre, l’eau, l’air, les forêts, leurs communautés, leur culture. Ce sont eux qui doivent payer le prix du développement industriel urbain et masculin.

    #Maria_Mies #économie #capitalisme #développement #croissance #colonialisme #morale #subsistance #histoire

  • Une grosse salve de Geneviève Pruvost.

    En mode extrait condensé :
    Geneviève Pruvost : pour des alternatives écologiques
    https://www.youtube.com/watch?v=3qATaDjeh4U

    La sociologue Geneviève Pruvost publie « Quotidien politique » aux Éditions de La Découverte. Il s’agit d’une enquête sur les solutions alternatives de vie quotidienne, sujet très lié au féminisme et à l’environnement.

    Entretien dans Reporterre :
    Dans les campagnes, « nous pouvons reproduire de petites sociétés autogérées »
    https://reporterre.net/Dans-les-campagnes-nous-pouvons-reproduire-de-petites-societes-autogeree
    https://audio.ausha.co/yJVlWUkE30gW.mp3

    Elle dépeint les espoirs et les enjeux d’une société inspirée par l’écoféminisme où l’entraide mènerait à la subsistance et à l’ancrage local : Geneviève Pruvost est l’invitée des Grands entretiens de Reporterre.

    Geneviève Pruvost est sociologue du travail et du genre au Centre d’étude des mouvements sociaux (EHESS). Elle a publié Quotidien politique - Féminisme, écologie, subsistance éd.La Découverte) en 2021.

    Entretien avec @lundimatin :
    Geneviève Pruvost : Quotidien politique, féminisme, écologie et subsistance
    https://www.youtube.com/watch?v=diWsimT5iDY

    Partir de la subsistance, du tissu de notre quotidien comme point de départ c’est le pari que font certains d’entre nous en désertant ce monde. Ce soir, nous recevons, Geneviève Pruvost, qui, avec Quotidien politique, essaye justement de comprendre et d’armer ces départs. Il s’agit de se défaire de la dépossession de notre rapport au monde matériel.

    Faire l’histoire de cette dépossession, c’est s’approprier des contre-récits éco-féministes qui lient, invisibilisation du travail de subsistance, renforcement du patriarcat et émergence du capitalisme. En partant de cette attention de ce qui fait la matérialité de nos vies et en la prenant en charge collectivement, il est possible de reprendre pied dans notre quotidien.

    Puis vraiment des textes de ses travaux :

    Geneviève Pruvost, Chantiers participatifs, autogérés, collectifs, 2015
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/12/05/pruvost-chantiers

    Des partisans de l’utopie concrète, engagés dans la recherche de cohérence entre théories et pratiques écologiques, interrogent les notions de « participation » et de « travail » dans une perspective critique du développement industriel. Le travail est alors appréhendé comme une prise de position politique (écologique, libertaire). Dans le monde militant de l’écoconstruction, on étudiera les variantes de l’organisation des tâches dans des chantiers participatifs, autogérés et collectifs, que ce soit dans le cadre légal du bénévolat et d’une société coopérative et participative (SCOP) ou dans un contexte de lutte à Notre-Dame-des-Landes.

    Que le travail soit contraint ou choisi, aliénant ou épanouissant, productif ou reproductif, salarié ou indépendant, la même notion de « travail » est convoquée, en ce qu’elle se distingue du temps familial, du loisir, de l’action politique – c’est-à-dire du « non-travail ». Depuis la révolution industrielle s’est en effet progressivement instaurée la norme d’une scission spatio-temporelle entre le travail et les autres activités humaines, privées ou publiques [Abbott, 1988]. Cette partition n’en fait pas moins débat à la fois sur le plan philosophique et politique. Des groupes sociaux s’inscrivant dans le sillage d’Ivan Illich et d’André Gorz prônent d’autres lignes de partage qu’ils expérimentent dans des utopies concrètes. La réduction du travail au salariat et à un bien marchand, mais aussi la hiérarchie entre, d’une part, le « labeur » manuel voué à l’autosubsistance et, d’autre part, la créativité de l’œuvre artistique et de l’action politique [Arendt, 1993], font l’objet d’une critique active [Pruvost, 2013] : pourquoi le travail ne serait-il pas une activité autonome, coopérative et inventive ?

    Geneviève Pruvost, Vivre et travailler autrement, 2013
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/12/08/pruvost-autrement

    Cet article se fonde sur une soixantaine de récits de vie ayant pour thème « vivre et travailler autrement », autrement dit les « alternatives écologiques au quotidien ». Les entretiens révèlent qu’emprunter les chemins de traverse permettant de vivre de telles alternatives en zone rurale relève de tâtonnements et d’une conquête perpétuelle, très réfléchie, que l’on soit ou non issu d’une famille déjà engagée dans cette démarche ou vivant à la campagne. À rebours de l’utopie communautaire des années 1970, on fait par ailleurs le constat d’un mode de vie en réseau organisé à partir d’une vie de couple dans des maisons individuelles. La conversion du travail en art de vivre et en action collective visant le « bien vivre ensemble » constitue la trame de témoignages qui se présentent comme des expériences à portée de main, à partir du moment où saute l’obstacle (présenté comme idéologique, non seulement matériel) de l’accès à l’autoproduction. Cet article entend mettre en évidence le continuum entre travail domestique, labeur, œuvre, activité professionnelle et militance, qui caractérise ces formes d’engagement écologique contemporaines.

    Et cet article déjà seené :
    Geneviève Pruvost, Changer d’échelle : penser et vivre depuis les maisonnées, 2021
    https://seenthis.net/messages/957042

    #Geneviève_Pruvost #travail #subsistance #écologie #autoconstruction #autogestion #féminisme

  • Veronika Bennholdt-Thomsen et Maria Mies, Subsistance et économie mondialisée, 1997
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/11/18/perspective-subsistance-fr

    Nouvelle traduction et publication aux éditions La lenteur de « La perspective de subsistance » renommé en français en « La Subsistance, une perspective écoféministe ». Ici l’intro du livre.

    Si nous rapportons cette histoire, c’est parce qu’elle montre en quelques mots la différence de perspective entre Hillary Clinton et les villageoises de Maishahati. Leur perspective est une perspective d’en bas, qui se fonde sur ce qui est nécessaire à la vie ; c’est une perspective de la subsistance.

    Si l’on observe le monde depuis cette perspective, toutes les choses et toutes les relations nous apparaissent sous un autre jour. Il en va de même pour ce qui fonde une vie bonne : pour Mme Clinton et la plupart de ses sœurs riches au Nord, une vie bonne ne peut se fonder que sur beaucoup d’argent et une abondance de marchandises et de produits luxueux que l’on ne trouve que dans les pays du Nord ou au sein des classes les plus aisées dans le reste du monde. Pour elles, tous les autres modes de vie relèvent de la misère.

    La rencontre à Maishahati a sans doute été un choc culturel pour Mme Clinton. Elle s’attendait probablement à ce que les villageoises lui demandent humblement un peu d’argent pour l’un ou l’autre de leurs projets et qu’elles la regardent avec admiration, elle, l’épouse de l’homme le plus puissant au monde, venue du pays le plus riche du monde.

    Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Les femmes de Maishahati n’ont pas adopté la perspective par en haut de Hillary Clinton. Par leurs questions, elles montrent qu’elles se font une idée différente de la richesse et de la pauvreté. Elles n’ont pas besoin de supermarchés remplis de marchandises importées. Elles nous montrent l’absurdité de nos conceptions de la pauvreté, de la richesse et de ce qui fait une vie bonne.

    […]

    La crise actuelle nous permet aussi de comprendre que toutes les affirmations au sujet de la stabilité du système économique en place ne tiennent pas. Il ne peut plus nous échapper que l’accumulation des richesses entre les mains d’un nombre toujours réduit de personnes s’accompagne d’une pauvreté et d’un chômage toujours plus importants, qui touche de plus en plus de gens, même dans le Nord.

    Mais si on regarde le monde depuis le point de vue des villageoises du Bangladesh (et elles représentent la majorité des habitants de la planète), alors on se retrouve immunisé contre cette tendance au désespoir apocalyptique. Ce désespoir est le luxe d’une minorité choyée dans le Nord, qui empêche surtout cette minorité de comprendre que ses privilèges sont fondés sur le pillage et qu’une vie bonne pour tous (ce que nous appelons la subsistance) ne nécessite pas de tels privilèges. Les gens qui partagent cette orientation vers la subsistance n’attendent pas de grands changements sociaux de la part des institutions situées en dehors et au-dessus d’eux. Ils sont conscients de leur propre pouvoir et sont capables d’agir à la fois individuellement et au sein d’une communauté.

    #subsistance #écoféminisme #féminisme #femmes #sud #anti-industriel #économie #Éditions_La_Lenteur #Marie_Mies #Veronika_Bennholdt-Thomsen

    • Une présentation de l’ouvrage par l’autrice aura lieu le 29 mars à 19h au 83 du boulevard Ornano à Paris. Je ne site pas le nom du lieu car je ne cautionne pas son mode de fonctionnement, mais la rencontre me semble tout de même à signaler.

  • Expulsion de la ZAP et destructions du vergers et des cultures

    https://mars-infos.org/communique-de-presse-de-la-zap-6445

    Je m’interroge sur la signification politique des plantations qui ont été faites sur la ZAP (verger, blé, etc), sachant qu’on voit aussi ce genre d’initiative dans d’autres occupations en défense des terres agricoles menacées de bétonisation.

    S’agit-il simplement de défendre ces terres agricoles pour faire ensuite de l’agriculture dans le cadre d’un rapport social inchangé (produire pour vendre) ? Ou bien s’agit-il d’une initiative des occupants squatteurs, pas seulement symbolique de l’occupation mais relevant d’une autoproduction (i.e. mener une activité de subsistance sans être professionnel de cette activité ), non relayée politiquement et assortie d’aucun discours , qui n’entre manifestement pas dans le cadre des revendications simplement écologistes de la coalition des associations de défense de l’environnement ?

    Dans le 1er cas, comme avec la Zad de Nndl, une fois que les autorités ont abandonné le projet de bétonisation, l’occupation, et avec elle toutes les expérimentations porteuse d’une autre rapport social , qui ne consiste pas à défendre des terres agricoles ou protéger l’environnement, peut légitimement être détruite par les autorités, sans que la coalition d’associations environnementales n’ait grand chose à redire puisque ses revendications ont été satisfaites. Il ne restera ensuite qu’à normaliser les usages de ces terres en les faisant entrer dans un cadre professionnel et économique. Ce qui contraste singulièrement avec la façon dont une vie matérielle s’était déployée pendant l’occupation, par des gens éloignés de l’emploi - mais qui n’avait fait l’objet d’aucun discours politique, celui-ci étant dominé par la vision finalement très conservatrice des coalitions militantes seniors où rien de ce qui fait la société marchande n’est jamais critiqué.

    Ainsi, le communiqué de presse suite à l’expulsion de la ZAP n’est pas tout à fait exact :

    Peut-être parce qu’elles [les destructions du verger et des cultures] sont le signe le plus visible de la violence d’un état policier déterminé à raser tout ce qui lui oppose résistance, fut-ce aussi symbolique que des arbres fruitiers.

    Il aurait fallu écrire :

    Peut-être parce qu’elles [les destructions du verger et des cultures] sont le signe le plus visible de l’insuffisance des luttes écologistes, lesquelles ne revendiquent que la préservation des ressources naturelles et humaines, dans le cadre marchand qu’elles partagent avec les autorités auxquelles elles prétendent s’opposer

    #zap #écologie #zad #luttes #autoproduction #subsistance

    • Je ne comprend pas trop pourquoi l’autoproduction ainsi définie (sans sens juxtaposé, sans vocation à la revente) peut être exempte de la critique que tu fais — ne caractérise-t-elle pas en effet l’ensemble de la production, auto ou pas ? C’est quoi la limite ? Le rapport ou non à la totalité sociale ?

    • Oui, j’autoproduction en elle-même ne porte pas tellement de dépassement du capitalisme. Surtout que la plupart du temps elle est confondue avec l’autoconsommation (ce qui est un contresens). Par exemple dans cet extrait émanant d’une association soutenant les occupants :

      De quel droit et à quel titre peut-on expulser des jeunes qui veulent tout simplement vivre dignement et se nourrir sainement.

      https://zappertuis.noblogs.org/post/2022/07/01/communique-de-sos-durance

      Il y a quand même la reconnaissance de quelque chose d’autre qui se joue, mais ça reste tellement vague :

      De jeunes humains inquiets pour leur avenir, occupent des maisons, s’organisent, inventent de nouvelle forme de vie collective et plantent de quoi se nourrir sur des terres fertiles et irriguées.

      Pour avoir quelques éléments sur l’autoproduction, tu peux lire l’article de Wikipedia :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Autoproduction

      A mon sens l’autoproduction, peut être une pratique intéressante, comme remise en cause du rapport social capitaliste, à condition que ses produits circulent au delà du cercle des autoproducteurs.

      #autoproduction

  • À propos de « Terre et liberté » d’Aurélien Berlan, par Anselm Jappe (recension)
    http://www.palim-psao.fr/2022/04/a-propos-de-terre-et-liberte-d-aurelien-berlan-par-anselm-jappe-recension

    Mais par la suite une évolution dans sa pensée a eu lieu, et toujours en refusant tout « romantisme agraire », il a progressivement abandonné l’idée que l’émancipation sociale dépende forcément d’un degré du développement industriel que seulement le capitalisme a pu assurer. La rupture avec le marxisme traditionnel devait aussi passer par le rejet de cette assomption – qui est resté moins marquée, cependant, que le rejet de la centralité de la « lutte des classes ». De toute manière, il a nettement nié la possibilité de sortir de la logique de la valeur à travers le numérique, en répondant avec son article « La non-valeur du non-savoir » (Exit ! n°5, 2008) à l’article « La valeur du savoir » d’Ernst Lohoff (Krisis, n°31, 2007). La conception d’une sortie du travail à travers les machines « qui travaillent à notre place » est depuis des décennies assez populaire dans une bonne partie de la gauche radicale, et on en trouve des traces même dans le Manifeste contre le travail de 1999. Cependant, la critique « catégorielle » du travail, qui met l’accent sur le caractère tautologique du côté abstrait du travail accumulé comme représentation phantasmagorique de la pure dépense d’énergie et qui devient le lien social, n’est pas identique à une critique « empirique » du travail en tant qu’activité déplaisante – même si l’énorme augmentation du « travail concret » dans la société capitaliste est évidemment une conséquence de l’intronisation du travail abstrait comme lien social. La critique de la valeur a certainement dépassé le stade de l’« éloge de la paresse » ‒ même si ce slogan pouvait constituer jusqu’à 2000 environ une provocation salutaire envers le marxisme traditionnel autant qu’envers le mainstream social. Ensuite cette forme de critique du travail a trouvé une certaine diffusion s’accompagnant de sa banalisation, la polémique contre les « jobs à la con » (David Graeber), etc.

    […]

    L’ancienne idée que le développement des forces productives doit s’achever avant de pouvoir passer à une société émancipée, et qui fait à nouveau rage avec des tendances comme l’accélérationnisme cher à Multitudes, a été abandonnée par la majorité des auteurs de la critique de la valeur (mais non par tous). La critique de la logique de la valeur et une critique des appareils technologiques peuvent donc bien s’intégrer et se compléter dans une critique de la « méga-machine » (Mumford), même si le degré de « mélange » de ces deux critiques peut varier assez fortement selon l’approche choisie. Berlan ne va pas jusqu’à dire, comme d’autres auteurs de la critique anti-industrielle, que la critique du travail aide le capitalisme parce qu’elle dénigrerait le faire artisanal et l’ethos du travail, en favorisant ainsi les procédures automatisées, voire numérisées. Mais Berlan n’évoque jamais vraiment la différence entre travail concret et travail abstrait.

    […]

    Mais lorsque l’écroulement progressif de la société marchande poussera des millions de gens vers ces expériences – comme Berlan le prévoit et le souhaite, ce qui est d’ailleurs une perspective très optimiste – que trouveront-ils à récupérer ? Des arbres coupés et des vignes arrachées, des sols empoisonnés et des savoir-faire complètement perdus. Combien de temps faudrait-il pour recomposer ce qui a été perdu (si on y arrive) ? Et surtout, quoi faire si, au moment de la récolte, des gens se présentent, qui n’ont contribué en rien au labeur, mais qui ont des mitraillettes ? Berlan évoque effectivement le problème de la défense, presque toujours négligé dans ces contextes. Mais il le reperd tout de suite. Or, l’autodéfense ne fait pas peur aux zapatistes et aux kurdes dans le Rojava, et pourrait en tenter quelques-uns dans les zad – mais la plupart des aspirants à l’autonomie en Europe choisissent sans doute d’éviter le problème, effectivement épineux, et préfèrent la bêche au fusil.

    Une autre faiblesse de cette approche réside dans la méconnaissance du rôle de l’argent : en stigmatisant le « purisme » de ceux qui voudraient bannir tout usage de la monnaie, Berlan en défend un usage « raisonnable », limitée, pour les échanges entre communautés largement autosuffisantes. Ainsi fait retour le vieil espoir, pour ne pas dire le mythe éternel, de la « production simple de marchandises », où l’argent ne s’accumule pas en capital, mais reste sagement à sa place en jouant un rôle purement auxiliaire. Proudhon l’a proclamé comme un idéal, Fernand Braudel comme une vérité historique (le marché sans le capitalisme), Karl Polanyi (ce sont tous des auteurs cités par Berlan) comme une situation historique passée (quand la terre, le travail et la monnaie n’étaient pas des marchandises) et qui serait à rétablir. Mais c’est un leurre, très présent même à l’intérieur du marxisme. Marx a déjà démontré le caractère « impérialiste » de l’argent qui ne peut que prendre possession graduellement de toutes les sphères vitales. Le problème réside dans l’homologation des activités les plus différentes dans une seule substance, « le travail » ; si ensuite celle-ci se représente dans une « monnaie fondante », des bons de travail ou de la monnaie tout court, ne touche pas à l’essentiel. La méconnaissance du rôle du travail abstrait est ici évidemment étroitement liée à celle du rôle de l’argent.

    […]

    Dernièrement, on a prêté une attention croissante à l’« absence de limites » que provoque la société capitaliste (et sur laquelle elle se fonde en retour), à la « pléonexie », à son déni de la réalité physique. Cela constitue une partie indispensable de la mise en discussion de l’utilitarisme, du productivisme, de l’industrialisme et du culte de la consommation marchande qui distinguent autant le capitalisme que ses critiques de gauche. Cependant, Berlan risque d’aller un peu trop loin. Il oppose le désir de vivre en communautés autonomes fondées sur le partage et l’entraide, qui aurait caractérisé la plupart des êtres humains dans l’histoire, au désir de se libérer de la condition humaine et de ses contraintes. Ainsi risque-t-on de jeter aux orties, ou de déclarer pathologique, une bonne partie de l’existence humaine. Le désir de délivrance est un élément constant de l’existence humaine, souvent considérée comme sa partie noble, et s’explique avec les limites inévitables, mais quand même difficiles à accepter, de la conditio humana. La volonté d’aventure et d’extraordinaire, de grands exploits et de triomphes, de reconnaissance et de traces à laisser de son passage sur terre semble difficilement éliminable, et même si on pouvait l’éradiquer, on appauvrirait terriblement le monde humain. Le côté agonistique de l’homme doit être canalisé en des formes non trop destructrices, non simplement renié ou refoulé (avec les résultats qu’on connaît).

    […]

    L’omniprésence du désir d’être délesté des taches les plus ennuyeuses et répétitives de la vie évidemment ne justifie en rien le mille et une formes d’hiérarchie et d’oppression auxquelles ce désir a conduit. Mais il faut faire les comptes avec cette pulsion qui semble aussi originaire et fondamentale que le désir de communauté, et en tirer des bénéfices.

    […]

    Même si on n’a jamais trouvé le ciel, ou seulement pour de brefs moments, sa quête a constamment aiguillonné les humains à faire autre chose que l’accomplissement des cycles éternels. Sous-évaluer l’importance de la dimension du sacré, de la religion, du transcendant, ou simplement du rêve et de la recherche de l’impossible (les chiens qui savent voler) a déjà coûté cher aux mouvements d’émancipation. Ce ne sont pas nécessairement ces désirs qui font problème, mais la tentative de les réaliser à travers les technologies apparues sous le capitalisme, qui font sauter toutes les barrières entre le rêve et le passage á l’acte, détruisant au passage aussi la possibilité de rêver. Les mythes universels sur l’immortalité ne sont pas responsables du transhumanisme.

    […]

    [9] D’ailleurs, ce mythe mésopotamien, un des plus anciens connus et dont ils existent de nombreuses versions, débouche justement sur l’impossibilité d’atteindre l’immortalité - un serpent vole l’herbe de l’immortalité que les dieux ont donnée à Gilgamesh, qui accepte alors sa mortalité et décide de jouir des plaisirs des mortels, comme celui de tenir son enfant par la main.

    #Aurélien_Berlan #liberté #subsistance #délivrance #recension #livre #Anselm_Jappe #critique_de_la_valeur #anti-industriel #décroissance #philosophie #désir #émancipation #argent #travail #travail_abstrait #critique_du_travail #mythe #rêve #immortalité #transcendance

  • Bertrand Louart, Réappropriation, jalons pour sortir de l’impasse industrielle, 2022
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/05/30/louart-reappropriation

    Or, en cernant les conditions qui transforment ces savoir-faire au point d’en être « réduits à n’être plus que des suites d’opérations matérielles des plus vulgaires », il m’est apparu que le problème était non pas que la production soit industrielle, mais qu’actuellement toute production tend à devenir industrielle au détriment des capacités de production autonome des individus et des communautés. Plutôt que de « critique anti-industrielle » (dénomination qui s’attirait le reproche peu subtil : « Vous êtes contre toutes les machines ! »), il me se semblait plus intéressant d’approfondir la critique du capitalisme industriel.

    Depuis, ces brochures ont fait leur chemin, dans les infokiosques et ailleurs. Surtout, la multiplication des oppositions aux projets d’aménagement du territoire et d’extraction des ressources minières en France et en Europe (ZaD et autres) a mis en avant dans une fraction de la jeunesse engagée une critique de la société industrielle qui, sur les lieux et territoires occupés, s’articule à une reconquête de l’autonomie matérielle. Il me semble aujourd’hui nécessaire d’étoffer et d’actualiser cette brochure et ces propositions pour les mettre plus en phase avec leur temps, exposer les banalités de base de la critique du capitalisme industriel et de la démarche de réappropriation des savoir-faire qui est son pendant nécessaire.

    #livre #subsistance #réappropriation #capitalisme #anti-industriel #critique_techno

  • Geneviève Pruvost, Changer d’échelle : penser et vivre depuis les maisonnées, 2021
    https://www.terrestres.org/2022/01/05/changer-dechelle-penser-et-vivre-depuis-les-maisonnees
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/04/15/pruvost-maisonnees

    Lors des rencontres Reprises de terres, qui ont eu lieu sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes en août 2021, la sociologue Geneviève Pruvost a proposé une intervention nourrissant les discussions et les réflexions entamées lors de cette semaine de rencontres. Ce texte, qui fait écho à la parution de son ouvrage Quotidien politique. Féminisme, écologie et subsistance (La Découverte, 2021) est la trace écrite et légèrement remaniée de son intervention estivale.

    Qui travaille sans parvenir à toucher le SMIC, ne compte pas ses heures, même si la reconnaissance n’est pas au rendez-vous et ne peut faire autrement que de faire ce qu’il y a à faire, parfois le couteau sous la gorge, sinon personne ne mange ? Une première réponse à cette énigme pourrait être : les paysans. Mais cela pourrait tout aussi bien désigner les femmes, assignées au travail domestique. Paysans, paysannes, travailleurs, travailleuses de l’ombre dans les foyers, même combat ?

    Il s’agit de repenser la reprise de terres, qu’elles soient urbaines ou rurales, à partir de la cuisine, pour reprendre ici la formule de la féministe marxiste révolutionnaire Silvia Federici pour qui le travail ménager est le point zéro de toute révolution [1]. Le mouvement féministe l’a martelé sur tous les tons possibles : il faut porter le féminisme dans les mouvements sociaux, dans les lois, mais aussi au cœur des maisonnées. C’est de ce dernier levier, plus invisible, plus silencieux dont il sera question ici.

    […]

    il ne s’agit, certes, pas de savoir tout faire en vertu d’un modèle paysan fantasmatique d’autosubsistance accomplie (qui est en réalité toujours entre-subsistance avec d’autres maisonnées et interdépendance avec d’autres régions), mais de relancer des circuits denses d’interconnaissance active en prise avec un milieu de vie. Encore faut-il avoir à disposition un écosystème, riche de matières transformables et renouvelables. L’enjeu n’est ainsi pas seulement de favoriser l’augmentation du nombre de candidat.e.s aux métiers paysans et artisanaux, mais de proposer une réforme foncière d’ampleur qui donne accès à tout le monde à des parcelles de terre arable.

    #Geneviève_Pruvost #habitat #urbanisme #subsistance #autonomie #féminisme @chezsoi

  • Autonomie : l’imaginaire révolutionnaire de la subsistance | Terrestres
    https://www.terrestres.org/2021/11/27/autonomie-limaginaire-revolutionnaire-de-la-subsistance

    Bonnes feuilles – Liberté ? Le mot, le concept et la valeur de liberté figurent parmi les plus importantes captures du libéralisme. S’en revendiquer reviendrait nécessairement à se rattacher à ce courant idéologique. Pourtant, des conceptions alternatives de la liberté existent et ont existé. A la conception libérale de la liberté, Aurélien Berlan oppose une autre voie politique et existentielle.

    Dans son essai Terre et liberté, Aurélien Berlan s’interroge sur ce qui, dans la conception moderne de la liberté, a contribué à nous mettre sur les rails du désastre socio-écologique actuel. Dans un premier chapitre, il montre que derrière la conception libérale de la liberté, il y a le désir d’être déchargé, délivré, de certaines activités relatives à la dimension politique et matérielle de la vie quotidienne. Et dans le deuxième chapitre, il élargit la focale de son enquête pour mettre en évidence que ce désir de délivrance, notamment dans sa dimension matérielle, s’enracine très profondément dans les imaginaires et les pratiques sociales – et qu’il est devenu hégémonique à l’âge moderne, traversant la plupart des conceptions socialistes de la liberté. Nous vous proposons le début du chapitre 3 où Aurélien Berlan analyse une autre conception de la liberté, diamétralement opposée puisqu’elle n’invite pas à se décharger des nécessités de la vie, mais à les prendre en charge nous-mêmes.

    #Aurélien_Berlan #liberté #autonomie #subsistance #philosophie #Histoire

    • 00:07 Introduction
      02:29 Présentation de l’auteur
      05:10 Pourquoi avoir écrit Terre et Liberté
      12:10 Libéralisme et capitalisme
      14:31 La sphère privée, idée centrale du libéralisme
      20:31 Conception de la liberté avant la modernité

      Qu’est-ce que le libéralisme ? le concept de liberté libérale ? ses fondements et ses implications politiques ? Comment rompre avec cet imaginaire et pourquoi renouer avec la quête d’autonomie ?

      Sous l’idéal d’émancipation comme arrachement à la nature, Aurélien Berlan décèle la vieille aspiration aristocratique à la délivrance : le désir de mener une vie déchargée des tâches pénibles de la vie quotidienne. Injustice sociale et désastre écologique apparaissent ainsi indissociables, puisque se délivrer des nécessités vitales implique à la fois l’exploitation des autres et celle de la nature.

      https://d3ctxlq1ktw2nl.cloudfront.net/staging/2021-10-15/e45f326f-f3b3-f4ea-0562-dcea19b051c3.mp3

      00:03 Introduction
      00:46 Justification de la conception de liberté moderne et individualisation des citoyens modernes
      07:58 La liberté libérale comme espace vide d’entraves et des autres
      12:31 Hypocrisie de la liberté libérale qui présuppose l’esclavage
      15:22 Le concept libéral dans le marxisme, l’absence de contraintes naturelles grâce à la technique
      20:32 La quête de délivrance des nécessités de la vie comme conception des dominants et comme reprise de fantasmes religieux

      Quels fondements matériels à la liberté moderne ? son lien avec la notion de délivrance des autres ? avec quelles contradictions ? Pourquoi des courants politiques comme le marxisme embrassent la quête de liberté moderne ?

      Travaillée par les changements structurels des sociétés modernes, la notion de liberté se voit de plus en plus comme délivrance des autres et des limites terrestres. L’industrialisation qui voit le jour en Angleterre se charge de répondre à ces aspirations de délivrance. On y retrouve alors des courants politiques antagonistes (capitalisme/ marxisme) s’y référer pour mieux convaincre les masses qu’un nouveau monde advient. Ce discours n’est pas nouveau et puise dans les religions.

      https://d3ctxlq1ktw2nl.cloudfront.net/staging/2021-10-15/c39e1e2b-a6c4-f53e-0e6b-6c7f0a8e71bd.mp3

      00:04 Introduction
      00:35 Conceptions industrialistes de la liberté chez les libéraux et les socialistes
      03:41 Libéraux et socialistes anti-industriels
      04:44 La critique culturelle, réaction à l’industrialisation en Allemagne
      09:00 Différentes oppositions à l’industrialisation
      14:58 La dichotomie progressiste/ réactionnaire
      22:23 Qu’est-ce que l’autonomie ?

      La quête de délivrance est-elle partagée par tou·te·s à l’ère industrielle ? Quelle est la définition du progrès à cette époque ? Que signifie l’autonomie ?

      Alors que la social-démocratie et le capitalisme épousent l’ère industrielle, la soustraction des nécessités matérielles de la vie semble être un horizon atteignable. Les forces productives et la technique seront le moteur de cette délivrance. Pour autant des dissensus font jour sur la possibilité d’être délivré des nécessités politiques. En opposition au déferlement industriel qui touche toutes les puissances européennes d’avant-guerre, on retrouve le développement des mouvements anarchistes, mais également nationalistes et volkisch en Allemagne. Leurs aspirations contradictoires et les guerres qui viennent finiront par brouiller la définition du mot « progrès ».

      https://d3ctxlq1ktw2nl.cloudfront.net/staging/2021-10-15/3c6448df-0be3-f83b-36d2-56f06452198d.mp3

      00:07 Introduction
      01:41 Inspirations écoféministes
      04:14 Quelles formes de vie collectives ? Quelles dépendances
      07:09 L’importance de l’accès à la terre
      11:44 La récupération fallacieuse du mot liberté
      20:06 Dépendances personnelles ou impersonnelles
      24:50 Résumé de fin
      27:50 Clôture

      Quelles perspectives pratiques de la liberté en tant que quête d’autonomie ? Ses relations avec l’écoféminisme ? Quelle relation entre autonomie et accès à la terre ?

      Il est tentant de percevoir l’autonomie comme un appel à se soumettre à la nécessité, réactivant la quête d’un salut jusqu’alors défendu par les religions. Aurélien Berlan, nous rappelle que l’autonomie est avant tout une manière de subvenir à ses propres besoins collectifs comme individuels. La liberté est alors un choix sur les réponses matérielles à apporter à un besoin. C’est une stratégie pour échapper aux pouvoirs structurels et impersonnels de l’époque moderne (salariat, société de consommation, médias de masse). Le libre accès à la terre est une condition à cette liberté puisqu’elle est la seule à fournir les ressources matérielles accessibles aux groupes humains qui l’habitent. Cette idée de la liberté renoue avec des luttes paysannes, féministes et populaires d’hier et aujourd’hui.

      https://d3ctxlq1ktw2nl.cloudfront.net/staging/2021-10-15/fd1058ab-03a6-e4b7-f3fe-987c32d53075.mp3

      #Aurélien_Berlan #livre #recension #Aude_Vidal #autonomie #liberté #philosophie #libéralisme #délivrance #subsistance #terre_et_liberté

  • Désastre écologique, question sociale et dynamique politique du pouvoir
    https://atecopol.hypotheses.org/5114

    Nous ressentons toutes et tous un sentiment d’impuissance face à la « mégamachine » complexe dans laquelle nos sociétés sont engluées, ainsi qu’à la difficulté à imaginer une alternative à ce système. Fabian Scheidler, philosophe et dramaturge, auteur de La fin de la Mégamachine (Seuil, 2020), et Aurélien Berlan, docteur HDR en philosophie, auteur de Terre et liberté. La quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance (La Lenteur, 2021), ont donné des pistes pour déboulonner cette « mégamachine ».

    Aurélien Berlan :
    https://www.youtube.com/watch?v=IhtxhWTrluQ

    Fabian Scheidler :
    https://www.youtube.com/watch?v=XdmgkmbXsTc

    #mégamachine #Aurélien_Berlan #Fabian_Scheidler #Histoire #philosophie #liberté #autonomie #subsistance #écologie #besoin #production #consommation #Communs

  • Radio : Renaud Garcia, Anti-industrialisme ou anticapitalisme ?, 2020
    https://sniadecki.wordpress.com/2021/12/01/rmu-garcia-anticapitalisme

    L’anticapitalisme ou la critique du capitalisme, sous les formes de la dénonciation du profit, des marchés, de la finance et des banques, aussi légitime soit-elle, peut ne jamais toucher au cœur de la dépossession universelle qui s’étend depuis plus de deux siècles, à savoir le mode de vie fondé sur le salariat et l’industrie qui permet la production en masse des marchandises.

    Il est donc nécessaire d’élargir la critique sociale, en lui adjoignant une critique culturelle des grandes organisations, du machinisme et de la représentation scientifique du monde.

    La version orale (pas tout à fait pareille que l’écrit) :
    https://archive.org/download/rmu-071-garcia-anticapitalisme/RMU_071_Garcia-Anticapitalisme.mp3

    + version écrite de l’intervention + un glossaire vulgarisé de la critique de la valeur + un début de critique

    Et la même chose mais compilé dans un même PDF :
    https://ia601400.us.archive.org/26/items/rmu-071-garcia-anticapitalisme/RMU_071_Garcia-Anticapitalisme.pdf

    #Renaud_Garcia #radio #radio_zinzine #audio #anti-industriel #anti-capitalisme #capitalisme #débat #critique_de_la_valeur #wertkritik #subsistance #Écran_total #quantification #Marx #travail #critique_du_travail #dépossession #subjectivité

  • BALLAST | L’#écoféminisme en question — par Janet Biehl
    https://www.revue-ballast.fr/lecofeminisme-en-question-par-janet-biehl

    En 1991, l’es­sayiste éta­su­nienne Janet Biehl fai­sait paraître son livre Rethinking Ecofeminist Politics : une cri­tique réso­lue du mou­ve­ment éco­fé­mi­niste. Bien que consciente de la diver­si­té des cou­rants qui tra­versent ce der­nier, l’au­trice y per­çoit un renon­ce­ment glo­bal à cer­tains des idéaux du fémi­nisme. Dans l’ex­trait que nous tra­dui­sons ici, Biehl dénonce tout par­ti­cu­liè­re­ment la réha­bi­li­ta­tion de l’oikos — la mai­son —, du « foyer » et du « care » pour mieux louer la Cité, la chose publique, bref, la poli­tique, enten­due sous sa plume comme radi­ca­le­ment démo­cra­tique et éco­lo­gique. Face à ce qu’elle per­çoit comme des « replis mys­tiques régres­sifs » et un « déni­gre­ment direct ou indi­rect de la rai­son », l’é­co­lo­giste sociale enjoint à tra­vailler à « un ensemble d’i­dées anti­hié­rar­chique, cohé­rent, ration­nel et démo­cra­tique ».

    • ah bé c’est marrant, je venais juste d’enfin lire ya quelques heures le dernier chapitre de Sorcières, où @mona l’évoque à quelques pages de la fin :

      Mais cet essentialisme, peut-on vraiment se satisfaire de le récuser, comme le fait par exemple Janet Biehl, qui fut proche du théoricien écosocialiste Murraya Mookchin ? Selon la philosophe Catherine Larrère, « pour libérer les femmes de la domination qui pèse sur elles, il ne suffit pas de déconstruire leur naturalisation pour les rapatrier du côté des hommes - celui de la culture. Ce serait ne faire le travail qu’à moitié, et laisser la nature en plan. La cause de la nature y perdrait, mais tout autant celle des femmes ». Les écoféministes, explique Émilie Hache, veulent pouvoir se réapproprier, investir et célébrer ce corps qui a été diabolisé (c’est le cas de le dire), dégradé et vilipendé pendant des siècles ; et elles veulent aussi pouvoir questionner le rapport guerrier à la nature qui s’est développé en parallèle. Le problème qui se pose à elles pourrait se résumer ainsi : « Comment (re)construire un lien avec une nature dont on a été exclue ou dont on s’est exclue parce qu’on y a été identifiée de force et négativement ? ».

      Dans le même temps, elles refusent que la « nature » serve de prétexte pour leur imposer un destin ou un comportement normés tels que la maternité ou l’hétérosexualité. L’expérience méconnue du « retour à la terre » de communautés séparatistes lesbiennes dans les années 70 en Oregon témoigne bien de cette attitude (en plus d’avoir de quoi rentre catatoniques ceux qui, en France, sortent de leurs gonds à la simple idée que des femmes - ou des victimes du racisme - organisent une réunion non mixte de deux heures). "Pourquoi laisser aux hétérosexuels le monopole d’une sexualité « naturelle » et penser que les mouvements queer n’ont pu se développer que dans les villes, loin de la nature et contre celle-ci ?" interroge Catherine Larrère, qui ne voit « pas de raison de construire le féminisme sur le déni de la nature ».

      Alors oui, mais du coup j’ai l’impression que c’est sans lien avec la critique de Janet Biehl évoquée au début du passage, puisque justement elle est écosocialiste…

      Alors je ne sais pas si du coup elles parlent (@mona et Biehl) des mêmes écoféministes, puisqu’il y a plusieurs courants, et si on est capable de déterminer lesquelles sont les plus connues, les plus lues, les plus influentes ? Là dans l’article Biehl évoque Hamilton en disant qu’elle est une exception, mais que (c’est moi qui souligne)

      pour l’essentiel, les écrits écoféministes sont remarquablement dépourvus de référence à la démocratie. L’approche la plus courante ignore complètement la question de la polis

      […]

      Les nombreuses écoféministes qui ignorent complètement le sujet de la démocratie semblent penser que les « valeurs féminines » de « care et d’éducation » constituent une alternative pleine d’empathie naturelle à l’idéal démocratique, supposé froid, abstrait, individualiste et rationaliste — voire carrément « masculin »

      #féminisme #éco-féminisme #éco-socialisme #care #démocratie #essentialisme (ou pas) #débat #Janet_Biehl
      @antonin1

    • Dans Être écoféministe, Jeanne Burgart Goutal parle de cette diversité : les essentialistes, les matérialistes, les intersectionnelles... À la fin on a tout mélangé mais l’autrice nous dit que c’est pas grave. Elle mentionne Janet Biehl et est un peu critique envers elle mais ne l’assassine pas. J’ai le bouquin de Biehl chez moi mais je ne l’ai pas encore ouvert. Donc : pas d’avis !

      Voir aussi
      https://ecorev.org/spip.php?article711
      pour le texte de Biehl

      https://www.lechappee.org/collections/versus/etre-ecofeministe
      (Plein d’interv en lien.)

    • « Dans cette période de privatisation massive, nous ne pouvons pas permettre que ce qui subsiste de la sphère politique démocratique soit souillé par des penchants privatistes, particularistes, ou repliés sur l’oikos. Nous devons nous réapproprier la tradition politique de la démocratie radicale, nous battre pour la préserver et la généraliser. »

      Le problème étant que la « démocratie radicale » ne peut exister que sur la base d’une réappropriation de la #subsistance par des communautés autonomes, et donc aussi en partie sur le « foyer ». Une fois de plus les progressistes oublient la base matérielle sur lesquelles leurs constructions politiques reposent...

      Voir : http://sniadecki.wordpress.com/tag/subsistance

    • Il me semble que c’est bien ce que professe généralement le courant écosocialiste (Biehl c’est courant Bookchin) donc ya pas d’oubli. Sauf que non pas au niveau d’un « foyer » même un peu étendu, mais plutôt à l’échelle d’une commune + des communes liées (et pour l’instant je ne pense pas non plus que là de nos jours, avec les ressources actuelles, les compétences des gens, etc, on puisse subvenir à tous les besoins de base, habitat + nourriture + habits, etc, au niveau d’un « foyer » seulement, alors qu’au niveau d’une commune ça s’imagine quand même). Mais donc au niveau d’une commune ça nécessite une démocratie non basée uniquement sur le foyer et le « care ». Enfin c’est ce que je comprends.

  • Le surplus de subsistance |Bruno Latour, Revue Esprit
    https://esprit.presse.fr/actualites/bruno-latour/le-surplus-de-subsistance-42765

    Tout change s’il s’agit, non pas de maintenir ou d’accélérer la production pour avoir plus à redistribuer et le faire plus équitablement, mais d’assurer le maintien des conditions de subsistance de tous les participants nécessaires à l’habitabilité des humains.

    La crise sanitaire actuelle est d’une telle dimension qu’elle commence à donner une petite idée des crises à venir imposées par la mutation climatique1. Il y a de nombreuses manières d’aborder les liens entre ces deux événements majeurs, mais c’est aux rapports entre ce qu’exigent les gouvernements et ce que les sociétés considèrent comme acceptable que je voudrais m’intéresser ici. Il me semble qu’il faut aviver le contraste entre l’autorité dont dispose l’État pour imposer des mesures concernant la santé, au sens traditionnel du terme, et celle dont il disposerait s’il en venait à nous imposer des mesures drastiques pour notre santé, au sens élargi qu’impose l’écologie. La Covid-19 ne teste pas l’administration de la même façon que la mutation climatique – plus ancienne, plus massive, plus radicale. Si l’on a accepté pour un temps de multiplier les « gestes barrières » à la contagion d’un virus, je ne suis pas sûr que l’on soit prêt à accepter du même État l’imposition de gestes barrières pour favoriser la santé de la planète !

    De la biopolitique un à la biopolitique deux

    La probabilité pour que la crise sanitaire serve de répétition ou de « crash test » pour la mutation écologique paraît faible quand on compare les relations qu’entretiennent la société civile et l’administration – pour reprendre provisoirement des catégories trop générales. Quand il s’agit de santé et de protection de la vie, on bénéficie de plusieurs siècles derrière nous au cours desquels la société civile a pris l’habitude de s’en remettre à l’État et, en gros, malgré d’innombrables critiques, à lui faire confiance. D’ailleurs, sans l’État, sans l’appareil statistique, sans les capacités de mobilisation des ministères, sans la police ou même parfois sans l’armée, les populations ne sauraient pas comment se comporter devant une menace dont elles ne verraient même pas clairement les effets. Pour cette crise-là, et parce qu’il s’agit de maladie, le public accepte donc ce rapport relativement infantilisant de se trouver littéralement « dans la main de l’État ». La raison en est que la légitimité de son action s’est construite depuis très longtemps (depuis l’hygiène au XIXe siècle, la mise en place des vaccinations, etc.) et que la société civile a transféré ses connaissances et ses compétences à l’administration. D’où la docilité très relative avec laquelle le confinement a été accepté. On s’est retrouvée dans la biopolitique décrite par Michel Foucault avec un rapport plus ou moins filial à l’État pasteur qui gère, soigne et dirige ses « brebis »… (N’appelle-t-on pas, en Allemagne, Madame Merkel « Mutti » pour souligner ce rapport filial et presque maternel avec son administration ?)

    La situation est entièrement différente avec les questions dites écologiques. Là, c’est l’administration qui est souvent considérée comme un obstacle aux efforts encore timides de la société civile pour imaginer ce que peut vouloir dire une alternative écologique aux sociétés industrielles du passé. Il n’est pas question ici de volonté générale partagée entre l’administration et le public, puisque ni le public ni l’État ne partagent des conceptions communes sur ce qu’il convient de faire. Dans ce cas-là, le décalage est parfaitement clair entre une administration qui a su accompagner, après-guerre, la reconstruction, puis l’effort de modernisation ( ce qu’on a fort indûment appelé les « Trente Glorieuses »2), mais qui, déjà à partir des années 1980, a eu toutes les peines du monde à se situer dans l’immense mouvement de la globalisation où elle ne savait pas s’il fallait l’accélérer ou le ralentir3. Voilà un cas typique où le logiciel actuel de l’administration est en décalage avec la nouvelle tâche d’exploration nécessaire pour faire face à la mutation écologique. Par conséquent, chaque décision de l’État se trouve en conflit radical ou partiel avec les nécessités de la transition. Pour ces questions nouvelles, l’administration ne peut donc en aucun cas jouer le rôle de gestion paternelle et donner des directions fiables à ses « brebis »…

    #crise_sanitaire #écologie #subsistance #biopolitique #État #Bruno_Latour (...)

    • C’est... incroyable soit de malhonnêteté soit -ms je n’ose pas le penser, moi je suis une nobody de basse extraction- d’inculture !

      https://twitter.com/JustUnaDonna/status/1265348020448702465

      Quel géographe et / ou quel marxiste conséquent peut ne pas hyperventiler en lisant le dernier B.Latour ?
      C’est très, très mauvais. [...]

      Classe « géosociale » parce que le type découvre que les outils marxistes sont pas du tout ce qu’il croyait, et qu’il a au mieux 50a de retard ?

      Que l’écologie en fait c’est aussi de l’économie, donc lié aux territoires et ressources ?

      [...] C’est ça le génie que le monde ns envie ?
      Mais. Mais la géographie politique, l’écologie politique, il... n’en a pas eu vent ? Il a pas su ?

      Bruno Latour a rejoint Sciences Po en 2006 comme Professeur des Universités, avant d’en devenir directeur adjoint et directeur scientifique à la rentrée 2007.

      https://medialab.sciencespo.fr/equipe/bruno-latour

      #Bruno_Latour

  • Snowden, Constant et le sens de la liberté à l’heure du désastre | Terrestres
    https://www.terrestres.org/2019/12/20/snowden-constant-et-le-sens-de-la-liberte-a-lheure-du-desastre

    Aurélien Berlan

    Les géants du numériques ont aboli la « vie privée », face visible de la liberté des Modernes. C’est au contraire à l’autre versant de cette conception de la liberté qu’il faudrait renoncer : être délivrés des nécessités de la vie, rendue possible par l’instauration de dispositifs lointains et aliénants. Il s’agit alors de reconquérir la liberté de subvenir à nos vies.

    A propos d’Edward Snowden, Mémoires vives, Seuil, Paris, 2019.

    Les appels à décréter « l’état d’urgence écologique » qui foisonnent aujourd’hui à l’adresse des Etats sont le dernier avatar d’une idée qui hante une partie du mouvement écologiste depuis longtemps. Compte tenu des liens historiques entre la dynamique des sociétés industrielles et la conception occidentale moderne de la liberté, enrayer l’aggravation des nuisances et la multiplication des catastrophes que ces sociétés provoquent supposerait d’engager une politique étatique volontariste, voire dirigiste, supposant de restreindre les libertés, que ce soit sous la forme d’un renouveau républicain ou d’une dictature verte1. Entre la nature et la liberté, il faudrait choisir – et vu le degré de dégradation environnementale déjà atteint, manifeste dans la brutalité de l’effondrement en cours du vivant, on n’aurait en réalité pas le choix.

    Sur les terrains de lutte ayant une dimension écologiste, là où des gens se mettent en danger pour empêcher tel ou tel projet désastreux de se réaliser, qu’il s’agisse d’un méga-transformateur électrique pour exporter de l’énergie prétendument verte (comme en Aveyron où l’Amassada vient d’être expulsée manu militari), d’une mine de lignite (à Hambach en Allemagne où l’intervention de la police a provoqué un mort) ou d’une poubelle nucléaire (à Bure où les militants font l’objet d’une répression judiciaire acharnée), c’est un autre son de cloche que l’on entend en général. Les militant-es ne se battent pas pour que les prérogatives de l’Etat soient encore renforcées après deux décennies de lois « antiterroristes » (utilisées contre la contestation écologiste lors de la COP 21) et cinquante ans de politiques « sécuritaires », mais pour reconquérir une liberté que le capitalisme industriel, avec la complicité des Etats, nous a selon eux ravie.

    Dans les deux cas, il ne s’agit bien sûr pas de la même liberté – notion dont on sait à quel point elle est polysémique. Dans le premier discours, c’est la conception (néo)libérale de la liberté qui est en ligne de mire, c’est-à-dire la liberté d’échanger et de faire des affaires sans entraves (« laisser faire, laisser passer »), sur les deux plans individuel (« je fais ce que je veux ») et entrepreneurial (« dérégulation des marchés ») – et l’on retombe dans les vieilles ornières du débat opposant les libéraux aux interventionnistes, qu’ils se disent socialistes, républicains ou écologistes. Dans le second discours, c’est une autre idée de la liberté qui est en jeu, que les militant-es désignent en général par la notion d’autonomie en un sens qui ne se réduit pas au fait de « se donner ses propres lois » (l’autonomie politique, au sens étymologique), mais implique aussi de pourvoir à ses propres besoins – c’est de cela dont il est question quand on parle d’autonomie matérielle en général, et en particulier d’autonomie énergétique, alimentaire, médicinale, etc.❞

    • Excellent article !

      Car le désir d’autonomie qui anime une partie du mouvement écologiste, et bien au-delà, invite à lire l’histoire autrement, à penser que si une conception de la liberté a triomphé, c’est l’aspiration à la délivrance – vieux rêve dont le transhumanisme incarne aujourd’hui la radicalisation high-tech : en promettant le dépassement de la mort et en faisant miroiter la colonisation de Mars aux riches qui s’inquiètent tout de même de leurs chances de survie sur la Terre dévastée, cette idéologie réactualise le fantasme d’être délivré des aspects négatifs de la condition terrestre. Or, ce fantasme s’est historiquement imposé contre les aspirations à l’autonomie des classes populaires qui, pendant des siècles, ne se sont pas battues pour être déchargées des nécessités de la vie, mais pour avoir libre accès aux moyens de subsistance, en premier lieu la terre, permettant de prendre en charge ces nécessités.

      […]

      En réalité, les révélations de Snowden n’en étaient que pour celles et ceux qui ne s’étaient jamais interrogés sur les tenants et aboutissants de l’informatisation de leurs activités, ou qui ne le voulaient pas. Pour les autres, elles ne faisaient qu’administrer les preuves irréfutables de ce qu’ils avaient déjà dénoncé, dans l’indifférence générale. Le rappeler, ce n’est pas amoindrir le mérite de Snowden, mais mettre en évidence sa véritable contribution au débat, absolument décisive : avoir permis de démasquer les béni-oui-oui de la High-tech, qui taxent toute critique de « conspirationniste » ou de « technophobe ». Grâce à Snowden, on sait désormais que les discours rassurants sur la révolution numérique sont le fait, au mieux de grands naïfs se voilant la face, au pire de marchands de sable cyniques que l’informatisation du monde renforce et enrichit.

      […]

      Si la sacralisation de la vie privée avait gardé de sa force, on aurait pu s’attendre – c’est ce qu’espérait Snowden – à ce que ses révélations provoquent une levée de boucliers de ce type. Il n’en fut rien. En France, la plupart des gens qui se disaient choqués n’envisageaient pas pour autant de modifier leurs pratiques de communication, comme s’il n’y avait rien d’essentiel à défendre ici, et donc aucune raison de se mobiliser ou de changer ses habitudes électroniques. Ce que l’affaire Snowden a révélé fut pour lui une cruelle désillusion : la liberté pour laquelle il avait pris tant de risques ne faisait plus vibrer grand monde11. Est-ce à dire que la liberté ne nous importe plus ? Ce n’est pas ce que suggère le matraquage idéologique persistant à vendre n’importe quelle réforme et n’importe quelle innovation dans l’emballage de la « liberté ». En réalité, l’indifférence suscitée par Snowden tient au fait que nous nous sentons toujours aussi « libres » qu’avant, comme si la violation de la vie privée n’affectait plus notre liberté. Mais alors, n’est-ce pas le mot liberté qui aurait changé de sens ? Si la véritable révélation de Snowden concerne la dissolution de la liberté des Modernes dans les réseaux de fibre optique, alors nous serions, comme Constant en son temps, à un tournant dans l’histoire du mot liberté, qu’il nous faudrait interroger à nouveau. Où en est-on dans l’histoire du sens de la liberté ?

      […]

      Nous pouvons dès lors reformuler le problème posé par Snowden. Si nous nous sentons toujours libres aujourd’hui, ce n’est peut-être pas que le sens de la liberté aurait fondamentalement changé, mais plus simplement que l’inviolabilité de la sphère privée n’était pas la seule chose qui faisait la valeur de la liberté aux yeux des Modernes, ou la chose principale qui faisait qu’ils se sentaient libres. Mais alors, quelle qualité constituait le cœur de la liberté bourgeoise ?

      […]

      Ce que signe l’affaire Snowden n’est donc pas tant la fin de la liberté des Modernes que celle de l’interprétation libérale qui la définissait par l’inviolabilité de la vie privée. En réalité, ce critère constitutionnel, effectivement bafoué aujourd’hui, masque le fait que les Modernes aspirent d’abord à autre chose, à la délivrance à l’égard des nécessités politiques et matérielles de la vie sur terre. C’est justement ce que suggère l’indifférence suscitée par les révélations de Snowden. C’est aussi ce que confirme une lecture attentive de Constant. Et c’est également ce qu’une histoire de la liberté moderne montrerait. Car face à la conception libérale de la liberté comme délivrance à l’égard des soucis matériels et politiques, le socialisme a souvent, dans ses tendances marxistes dominantes, surenchérit sur ce désir de délivrance en rêvant de surmonter le « règne de la nécessité » par le productivisme industriel et de dépasser la conflictualité sociale dans « l’administration des choses25 ».

      #Aurélien_Berlan #philosophie #liberté #libéralisme #démocratie #politique #capitalisme #anti-industriel #subsistance #autonomie #Edward_Snowden #Benjamin_Constant #vie_privée #privacy #Modernité #transhumanisme @antonin1

    • C’est un très beau texte, et bien écrit. Berlan reprend l’alternative de Constant sur les deux libertés, montre que la liberté individuelle ne peut exister sans liberté politique, collective, et qu’on nous vend la première, censée compenser la perte de la seconde, dans un contexte où celle-ci ne peut pas s’exercer. Et il étend la notion classique de liberté politique en liberté d’assurer et de contrôler ses conditions de vie matérielle, sa subsistance. Au final, c’est comme ça que je l’entends, nous avons accepté le « ou bien oui bien » de cette fausse alternative en prenant la seconde, dénuée de son sens et protégée par de bien maigres garde-fous et déclarations d’intention, parce qu’elle nous libère des nécessités de la vie en nous fourguant des biens et services bien « pratiques » (bagnole, télécom, bouffe produite par des spécialistes, objets à deux balles mais en nombre, la #poubelle_industrielle avec ses nuisances écologiques qu’on feindra de déplorer).

      Ce faisant, on comprendra pourquoi nous nous sentons toujours aussi « libres », en dépit des révélations de Snowden : parce que le système étatico-industriel, si liberticide soit-il, nous délivre toujours plus des limites et des contraintes liées à la vie humaine sur terre.

      Mais depuis, il est devenu clair que la liberté effective ne dépend pas seulement des droits fondamentaux et de l’agencement des institutions, mais aussi de conditions sociales et matérielles. Si l’on dépend d’une instance supérieure pour assurer ses besoins, on se retrouve « à sa merci » et donc potentiellement en situation d’impuissance et d’oppression

      Et si la quête de délivrance à l’égard des nécessités de la vie sur terre, le désir d’un allègement de nos conditions de vie jusqu’à l’apesanteur, jusqu’à l’idée de quitter la terre pour mener une vie extra-terrestre, a fait le lit du capitalisme industriel et du saccage de la planète, il faut rompre avec cet imaginaire et revaloriser l’autonomie comme une manière de revenir sur terre, de revenir à une vision terrestre de la liberté, compatible avec la préservation de nos conditions de vie sur notre planète fragile. En tout cas, c’est une perspective plus enthousiasmante que celle d’un état d’urgence écologique qui conduirait à une restriction draconienne du peu de libertés qui nous reste.

      Merci @rastapopoulos pour l’appel !

  • Gustav Landauer, Appel au socialisme , 1911

    Au sein de la tradition libertaire, #Gustav_Landauer (1870-1919), qui se décrivait lui-même comme « anarchiste-socialiste » est peut-être l’auteur dont la pensée se prête le plus à des tentatives d’actualisation, et cela en raison de quelques caractéristiques de son idéal social, exposé dans son Appel au socialisme (1911).
    Il s’agit d’abord d’un socialisme culturel, associé à une critique de la modernité capitaliste qui dénonce non seulement l’État et l’exploitation du travail, mais aussi la foi en le Progrès et la technique, ainsi que la disparition des formes de vie partagée. Il s’agit ensuite d’un socialisme critique à l’égard du marxisme, qui récuse sa croyance en un déterminisme historique implacable et son matérialisme étroit, qui refuse d’accorder au prolétariat en tant que tel le rôle de sujet révolutionnaire et qui réhabilite les activités de subsistance pour penser la transformation sociale. Il s’agit enfin d’un socialisme communautaire, qui revalorise les formes héritées du passé tout en prônant la constitution de nouvelles communautés, considérées comme des commencements, ici et maintenant, de la future société socialiste.
    Associée à la dénonciation des faux besoins et du déclin du monde engendré par le développement capitaliste, cette insistance sur l’expérimentation sociale, qui ne renonce pas pour autant à la révolution, est sans doute ce qui peut continuer à faire de l’ Appel au socialisme une source d’inspiration pour le présent.

    https://sniadecki.wordpress.com/2019/11/14/landauer-socialisme

    #socialisme, #anarchisme, #révolution, #critique_sociale, #marxisme, #réaproppriation, #subsistance et #communauté.

    Bonne lecture !

  • Illich et la guerre contre la subsistance,
    hier et aujourd’hui

    Jean Robert

    https://lavoiedujaguar.net/Illich-et-la-guerre-contre-la-subsistance-hier-et-aujourd-hui

    Durant l’automne de 2013, l’essayiste public que je prétends être a dû faire face à deux tâches hétérogènes entre lesquelles j’ai eu l’intuition de convergences à explorer, mais aussi la certitude immédiate d’incompatibilités. Ce furent, d’une part, la rédaction d’un essai et la traduction française de textes d’un collègue mexicain sur la « petite école » zapatiste qui eut lieu en août, et, d’autre part l’élaboration de l’article que le lecteur a sous les yeux.

    La première de ces tâches consistait à mettre au net, d’abord en espagnol et puis en français, les souvenirs des jours passés au Chiapas à étudier, sous la conduite de paysans et paysannes indigènes, l’expérience zapatiste, depuis 2003, de construction d’un monde de liberté et de justice concrètes, c’est-à-dire proportionnées aux communautés qui les pratiquent. La seconde : la rédaction du présent article sur un homme — un penseur, un historien, un philosophe et un théologien qui se défendait de l’être — qui m’honora de son amitié du début des années 1970 à sa mort, en 2002 : Ivan Illich. Quel rapport y a-t-il entre ce qui en 2002 était encore un mouvement insurgé indigène et ce penseur « radical au vrai sens du mot » ? (...)

    #Ivan_Illich #zapatistes #EZLN #Mexique #Guillermo_Bonfil #Ernst_Bloch #État-nation #Marché #subsistance #guerre #travail #autonomie #modernité #développement #aliénation #Karl_Polanyi #Marx #transports #villes #conquête #invasion #faim #misère #Bentham #Mumford