La langue française emploie le terme de suffragettes afin de désigner les femmes1 qui militaient pour obtenir le droit de vote. Les anglophones opèrent la distinction entre suffragist et suffragette. Ces deux termes ne sont pas interchangeables en contexte. Au Royaume-Uni, suffragist a historiquement désigné les personnes qui se sont engagées en faveur du droit de vote des femmes en menant une campagne modérée ; on les appelait parfois les constitutionnalistes. Elles étaient partisanes de méthodes pacifiques et croyaient avant tout en la force de l’argumentation et la collaboration avec les hommes politiques. Aux États-Unis, le terme suffragist désignait toute personne soutenant le droit de vote des femmes. Apparu pour la première fois au Royaume-Uni en 1906 dans The Daily Mail, le terme suffragette a été utilisé par la presse pour railler les femmes et dénigrer leur engagement : le suffixe -ette à valeur de diminutif visait à minorer tant les femmes que leur engagement. Les suffragettes décidèrent de s’approprier et de revendiquer le terme. Le terme suffragette a alors désigné toutes celles qui se sont engagées dans un combat aux méthodes plus radicales. Ces femmes estimaient que seules des tactiques plus musclées ou des actions plus violentes pouvaient produire un résultat. Aux États-Unis, ce même mot a également revêtu une connotation péjorative et il fut souvent utilisé par les opposants au droit de vote des femmes pour se moquer des femmes engagées dans la lutte et les discréditer, en insinuant notamment que les Américaines suivaient les égarements violents des Britanniques2, tandis que le terme suffragist ne semblait pas porter de jugement de valeur. Certaines militantes se réapproprièrent cette appellation, telle l’organisation new yorkaise des suffragettes américaines (American Suffragettes) qui s’inspira des méthodes britanniques et organisa les premiers défilés et réunions en plein air dès 19073. Dans nos traductions, nous conservons également cette distinction terminologique afin de rendre compte de la position des différents énonciateurs et énonciatrices.
4 L. Ford, Iron-Jawed Angels : The Suffrage Militancy of the National Woman’s Party, 1912-1920, Lanh (...)
2Pour désigner celles qui se sont engagées dans le combat de façon plus radicale et parfois violente, la langue anglaise utilise le terme de militant. En français, l’acception du terme « militant » est différente. Si l’on s’attache au sens strict du mot militant, les suffragistes étaient toutes militantes : elles étaient toutes engagées dans un combat. On peut aussi estimer qu’elles étaient toutes radicales dans la mesure où le droit de vote était une cause radicale à l’époque et parce qu’elles entendaient aller au bout de leurs convictions. Le terme militant (et son dérivé militancy) renvoie à un phénomène historique complexe. Au Royaume-Uni, le terme désigne les personnes engagées dans une lutte dite extrémiste et violente en réaction à l’immobilisme du gouvernement, à la violence croissante de la répression policière contre elles, ainsi qu’à ce qu’elles estimaient être l’inefficacité des méthodes pacifiques. La notion d’extrémisme est bien évidemment sujette à interprétation : les pratiques consistant à l’interruption systématique d’un orateur politique ou au harcèlement d’un ministre dans la rue, qui étaient plutôt communes pour les militantes les plus radicales, pouvaient être jugées extrêmes par certaines suffragistes. Nous utiliserons le terme de suffragettes pour désigner ces femmes, en prenant soin toutefois de tenir compte de la complexité du contexte et des points de vue pour traduire militant et militancy. Pour l’opinion publique américaine au début des années 1910, le terme revêtait une connotation péjorative car il était associé à la violence des suffragettes britanniques. Il était utilisé par la presse pour discréditer le mouvement, de sorte que les partisanes du droit de vote aux États-Unis furent souvent amenées à désavouer ce terme publiquement et à condamner les méthodes des Britanniques. Pourtant, comme au Royaume-Uni, certaines suffragistes américaines s’approprièrent le mot et le revendiquèrent pour décrire de nouvelles tactiques : c’est le cas de l’Union parlementaire (Congressional Union, ou CU), qui affirma en 1914 dans sa déclaration de principes que sa stratégie était effectivement « militant », car elle souhaitait adopter une ligne politique forte et vigoureuse4. Pour ces suffragistes, l’action radicale prit plusieurs formes, dont l’opposition systématique aux candidats du parti démocrate lors des élections de 1914 et 1916, l’organisation d’un piquet de grève devant la Maison-Blanche en 1917 et la critique du gouvernement en place pendant la Grande Guerre. Ces femmes revendiquaient une différence de rapport à l’action collective et aux structures de pouvoir par opposition aux autres suffragistes qu’elles percevaient comme complaisantes ou conciliantes. Il est également important de noter que le mot militant était employé pour décrire des actions ou des stratégies différentes des deux côtés de l’Atlantique, et que les suffragistes américaines n’eurent pas vraiment recours à la violence, à la différence de certaines de leurs homologues britanniques. Ainsi, les termes militant et militancy donnent lieu à des traductions différentes en contexte. Lorsque cela nous a semblé nécessaire, les termes sont indiqués en anglais entre parenthèses.