#suivre_les_rails

  • "Le basculement, ce moment où tout se brise en s’éclairant"

    Entretien avec l’écrivaine Lola Lafon

    paru dans CQFD n°157 (septembre 2017), rubrique Culture, par Emilien Bernard, illustré par Damien Roudeau

    Dans son cinquième roman Mercy, Mary, Patty, Lola Lafon interroge la destinée de jeunes femmes refusant de suivre les rails qu’on leur a assignés, au premier rang desquelles la sulfureuse Patricia Hearst.

    http://cqfd-journal.org/Entretien-avec-l-ecrivaine-Lola

    Chez les captives des Amérindiens au XVIIIe siècle, on retrouve aussi une forme d’ouverture. « Ces adolescentes [...] voient paradoxalement leur espace de liberté s’agrandir en captivité », écrivez-vous...

    Ces jeunes filles ont généralement été rayées des chronologies et arbres généalogiques, comme pour effacer leur existence. Mais il existe de nombreux récits de captivité. Comme les femmes écrivaient alors rarement, ils étaient souvent l’œuvre d’un référent homme, le pasteur ou le père par exemple. Parmi les exceptions, le récit de Mary Jemison, qui raconte son enlèvement par les Sénéca et sa vie à leurs côtés. À contre-courant de la propagande anti-Indiens, qui les présente comme une masse indifférenciée de barbares sanguinaires, elle les décrit comme des personnes, les humanise.

    Quoi qu’il en soit, il y a vraiment un paradoxe dans ces captivités. L’enlèvement est un moment terrible, avec des épreuves physiques, mais c’est aussi l’occasion d’apprendre et découvrir. Ces femmes travaillent, se confrontent à la nature, se lient d’amitié. Elles ont grandi dans une société très puritaine et rigoriste, les confinant au foyer, et les voilà soudain dans le monde extérieur, actives.

    C’est comparable à ce qu’expérimente Patricia. Avec son enlèvement, elle passe d’une vie très monotone, marquée par une éducation ultra-conservatrice, à la découverte d’un pan inconnu de l’Amérique. Un choc difficilement imaginable. Je m’intéresse à ce basculement, ce moment où tout se brise en s’éclairant.