• Les statistiques ethniques au Royaume-Uni, un outil essentiel pour lutter contre les inégalités
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    Les statistiques ethniques au Royaume-Uni, un outil essentiel pour lutter contre les inégalités. Ces données, dont la collecte est réclamée par les minorités, sont désormais systématiquement utilisées par les institutions britanniques. La pandémie de Covid-19 a souligné leur pertinence.
    Le 21 mars dernier, c’était le « census day » au Royaume-Uni : tous les résidents britanniques devaient avoir rempli à cette date un questionnaire destiné au recensement décennal en Angleterre et au Pays de Galles – les retardataires ont encore quelques jours pour s’y coller sur le site census.gov.uk. L’exercice est obligatoire et prend une bonne vingtaine de minutes pour un foyer de cinq personnes : la liste des questions est longue, notamment celles liées à l’ethnicité. Britannique blanc, irlandais, gitan ou rom ? Britannique noir, noir africain ou caribéen ? Britannique indien, pakistanais, chinois, bangladais, ou « autres » ? Et si métis, blanc et asiatique, blanc et noir caribéen, ou noir africain ?
    La pertinence d’une case « Somalien », de deux autres mentionnant les religions « sikh » ou « juive », a bien été discutée en amont, mais surtout entre experts. Pour le reste, les questions (y compris, celles, optionnelles, sur les orientations sexuelles) n’ont choqué personne : au Royaume-Uni, où les interrogations identitaires sont centrales (avec des velléités séparatistes en Ecosse et le vote en faveur du Brexit), la collecte des données religieuses et ethniques ne pose plus problème depuis une trentaine d’années. Au contraire : ces données sont considérées par les Britanniques issus des minorités (on utilise pour les désigner l’acronyme BAME, pour « Black, Asian and minority ethnic » ) comme un puissant outil d’action politique « positive ».Déjà, lors du recensement de 1966, les autorités avaient tenté de classer la population du pays entre Britanniques de l’« ancien Commonwealth » (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande), du « nouveau Commonwealth » (Inde, Pakistan, Bangladesh, Antilles) et du « Commonwealth africain » (Nigeria, Ouganda, Kenya), rappelle, dans un post de blog, Richard Laux, directeur adjoint de la Race Disparity Unit, une unité de collecte des données ethniques au sein du cabinet du premier ministre. Le gouvernement de l’époque voulait évaluer la part des « non-Blancs » dans une population en rapide évolution : l’Empire britannique était en voie avancée de délitement et le Royaume-Uni accueillait chaque année des dizaines de milliers d’expatriés indiens ou jamaïcains.
    Ce n’est qu’avec le recensement de 1991 qu’a été pour la première fois assumée la collecte des données ethniques (liées à une histoire, une culture, une langue, des traditions ou la couleur de peau). Le Labour Force Survey (LFS), la grande enquête trimestrielle sur l’emploi britannique menée par le Bureau de la statistique nationale (Office for National Statistics, ONS), a suivi. « Au début, les pouvoirs publics craignaient que les gens refusent de répondre parce qu’ils auraient eu peur que ces données soient utilisées contre eux. C’est le contraire qui s’est passé, les gens ont répondu sans problème », rappelle James Nazroo, directeur adjoint du Center on the Dynamics of Ethnicity à l’université de Manchester.
    Après la forte montée des inégalités dans les années 1980, la prise de conscience des communautés noires discriminées (notamment lors des émeutes de Brixton, un quartier du sud de Londres), les autorités ont pris l’engagement d’utiliser les données ethniques pour piloter l’application de politiques de justice sociale. « Durant les gouvernements de David Cameron et de Theresa May, cette volonté politique d’utiliser ces statistiques pour lutter contre les inégalités fondées sur l’ethnie s’est encore accentuée. Theresa May a même établi la “Race Disparity Unit” pour diffuser des données sur les inégalités religieuses et ethniques dans les ministères : l’éducation, la santé, etc. », souligne le professeur Nazroo.
    Au dernier recensement (de 2011), les BAME représentaient 14 % des Britanniques (dont 3,3 % de Noirs et 7,5 % d’Asiatiques). Ces statistiques ont-elles aidé à une meilleure représentation de ces populations dans la société ? Elles sont en tout cas systématiquement utilisées comme références. L’université d’Oxford communique ainsi fièrement sur la part des nouveaux inscrits issus des minorités : elle est montée à 22,1 % à la rentrée 2019. La BBC s’est engagée à ce que 15 % de son personnel à l’antenne soit BAME. « Il y a 20 % de BAME dans les écoles à Glasgow, je veux travailler à ce qu’ils aient au moins 20 % des opportunités d’emploi sur place », explique Graham Campbell, candidat d’origine jamaïcaine du parti indépendantiste SNP aux élections législatives écossaises du 6 mai. « Le gros avantage des statistiques ethniques, c’est qu’il est très difficile aux politiques d’ignorer les faits quand les chiffres sont là », constate M. Nazroo.
    La pandémie de Covid-19 a souligné la pertinence de ces statistiques. Dès la fin du printemps 2020, l’ONS a pu montrer que les populations BAME avaient près de deux fois plus de risques de tomber gravement malades et de mourir du Covid-19 que les Blancs. Une surexposition liée, a priori, surtout à leurs conditions de vie et leur travail (beaucoup sont employés par le NHS, l’hôpital public britannique). Ces publics à risque ont fait l’objet de campagnes de communication spécifiques, notamment depuis le début de la vaccination (sans avoir pour autant été priorisés). Le NHS est lui aussi censé collecter les données ethniques de ses patients – il n’en fait pas assez, se plaignent les représentants BAME. Ces données ont entre autres permis de montrer que les femmes noires britanniques avaient cinq fois plus de risques de mourir de complications en couches que celles d’autres ethnies (selon des données compilées entre 2014 et 2016). « La collecte des données ethniques n’a pas joué en défaveur des minorités ni freiné leur intégration, au contraire. Les gens considèrent qu’elles valorisent leur identité, ils sont parfaitement satisfaits de dire qu’ils sont à la fois pakistanais et britanniques, par exemple, ce ne sont pas des identités contradictoires », conclu le professeur Nazroo.

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