Une idée largement répandue aujourd’hui consiste à considérer que les pays créés par Sykes-Picot sont dépassés, et qu’une reconfiguration des frontières est nécessaire, ou au moins inévitable. Beaucoup, d’ailleurs, utilisent l’illégitimité du découpage Sykes-Picot, comme argument supplémentaire. Cela donne deux arguments complémentaires pour « redessiner » les frontières :
– le découpage Sykes-Picot est inadapté aux réalités ethno-religieuses des populations, et cela provoque les instabilités parce que les populations d’un même pays ne veulent/peuvent plus vivre ensemble ;
– et de toute façon ce découpage imposé par l’Occident est illégitime.
Ce qui conduit immanquablement à proposer la partition de l’Irak et de la Syrie sur des bases ethno-religieuses.
Or, comme le rappelle Georges Corm (et bien d’autres), l’histoire donne une lecture exactement contraire :
1. ce n’est pas le fait que les pays issus de Sykes-Picot soient « trop grands » qui a provoqué l’instabilité, mais au contraire la balkanisation, qui a contribué à détruire l’identité nationale arabe, provoqué des affrontements entre royaumes/républiques/dictatures, ce qui a entraîné l’affaiblissement les possibilités de résistance de la région aux interventions extérieures (et notamment à l’implantation coloniale sioniste). Résumé ainsi :
La balkanisation du Levant arabe, issue des arrangements coloniaux entre la France et l’Angleterre lors du premier conflit mondial, va entraîner une instabilité et des violences chroniques.
2. l’illégitimité du découpage occidental n’est pas d’avoir imposé des pays « trop grands » à des populations qui désiraient une partition « plus fine », mais exactement le contraire :
En dépit du fait que les populations arabes souhaitent être unies dans un seul État, du moins pour ce qui concerne le Levant, ce que confirmera le travail d’enquête méticuleux auprès des élites et notables réalisé par une commission d’enquête américaine, dite King-Crane Commission, les deux puissances européennes dominantes fragmentent en entités étatiques distinctes et plus ou moins viables les anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman disparu.
Ce sont d’ailleurs les Syriens eux-mêmes qui ont refusé le découpage du pays en petite entités ethno-religieuses que voulaient imposer les Français.
Comme cela est régulièrement rappelé ici, les redécoupages actuellement proposés ne correspondent pas du tout à un refus historique de Sykes-Picot, mais bien plus à l’approfondissement de sa logique de balkanisation, et répondent certainement bien plus aux exigences israéliennes qu’aux besoins historiques des populations arabes.