• Pourquoi la question des droits des enfants dans nos écoles est-elle absolument centrale pour l’ensemble de nos systèmes éducatifs et pour l’avenir de nos sociétés ? (Bernard Defrance)
    http://www.bernard-defrance.net/archives/artic/index.php?textesperso=144

    Or jusqu’à présent l’éducation était pensée sur le mode de la transmission des savoirs, des savoir-faire, des générations précédentes aux générations suivantes. Le défi de l’école aujourd’hui c’est de proposer aux enfants de découvrir, d’inventer des solutions à un certain nombre de problèmes que nous avons été nous-mêmes incapables de résoudre. Il suffit de regarder le développement des technologies dans tous les domaines, de la biologie, de l’informatique, dans la physique également, dans l’agriculture, dans tous nos modes de vie habituels. Quand on regarde les prévisions des futurologues d’il y a une trentaine d’années, toutes ces prévisions se sont révélées fausses.
    […]
    Et c’est d’autant plus important que nous sortons d’un siècle où nous avons découvert ceci : que l’école est devenue l’alliée des pires violences, que les auteurs des crimes et des génocides de ce siècle étaient tous d’anciens bons élèves […].
    Comment articuler la construction des savoirs et l’institution de la loi ? Comment l’apprentissage des savoirs et des savoir-faire, l’accès à la culture, peut-il s’articuler à l’institution de la loi, c’est à dire non pas l’enseignement de la loi au sens où on l’enseignerait comme une discipline à côté des autres, mais par une mise en pratique de la loi et du droit dans les fonctionnements institutionnels même de l’école.
    […]
    Il y a en effet cinq grandes lignes de travail, de mise à l’action, qui se dessinent pour nous dans nos systèmes éducatifs. […]
    D’abord instituer dans les établissements scolaires une instance de médiation et de jugement. […] Ce n’est pas la violence, ce n’est pas l’agressivité chez les jeunes qui est inquiétante, c’est leur immense capacité de résignation et de passivité à l’égard de situations qui sont institutionnellement intolérables. […]
    Deuxième proposition : distinguer, tous les moyens sont à inventer, l’évaluation pédagogique interne au travail de la classe et la validation externe des compétences, des savoirs, des savoir-faire acquis. Séparer donc les rôles d’entraîneur et de juge, inventer donc les moyens institutionnels de cette séparation des pouvoirs. […]
    Troisième proposition : la réorganisation des cursus. Aujourd’hui nous savons bien quels sont les enjeux scientifiques et techniques des développements de notre monde et donc ça impose une réorganisation complète des cursus. Aujourd’hui à chaque étape, l’enfant est obligé de renoncer à une part de ses potentialités […].
    Quatrième proposition : à propos du débat entre services publics et institutions privées, avec à l’horizon la menace que fait peser la marchandisation des savoirs et la commercialisation de l’école. Je crois qu’il serait du rôle de l’État, des États que de définir des « cahiers des charges » extrêmement précis, garantissant par exemple l’égalité des ressources financières entre les établissements, par élève et selon les filières, par exemple aussi garantissant le statut des enseignants, les programmes et surtout les méthodes pédagogiques qui permettent aux enfants de s’approprier les significations données au monde et à l’histoire par les générations qui ont précédé, d’entrer à leur tour dans la construction des savoirs, la création culturelle et l’institution de la loi. […]
    Cinquième proposition : je fais, probablement comme un bon nombre d’entre vous, un métier absolument impossible. […] Il faut absolument en effet qu’il y ait ces moments de contrôle, au sens anglais du terme, qui me permettent de me contrôler, de reconnaître mes erreurs et d’en assumer les conséquences. Groupe de formation réciproque et de soutien, formation continue dans le temps de travail même des enseignants, pour assumer l’impossibilité de cette tâche. […]
    Pour conclure, je crois qu’il y a deux enjeux majeurs qui ne se séparent pas l’un de l’autre :
    Le premier : les savoirs, la culture. À quoi sert l’école ? […] Je crois que, d’une part, l’école invite les enfants à s’approprier, je l’ai dit, les significations données au monde et à l’histoire par les générations qui ont précédé, rôle essentiel de conservation (l’école est conservatrice, oui, d’une certaine manière), à s’inscrire dans des filiations culturelles, historiques et universelles et, d’autre part, […] si l’école est essentiellement conservatrice, elle est aussi essentiellement révolutionnaire c’est à dire qu’elle doit habituer les enfants à s’affronter à l’imprévisible du monde qui les attend, à ne pas se soumettre aux prétendues fatalités de la guerre et de la violence. […]
    Deuxième enjeu, la loi. Comment l’école peut-elle permettre aux enfants de découvrir que la loi est l’outil de la liberté ? La loi est l’outil de ma liberté et non pas limite à ma liberté parce que ma liberté peut s’articuler à celle de l’autre. Et donc je crois que le défi est de permettre aux enfants dans le quotidien de l’école le plus à ras de terre de découvrir que ma liberté – contrairement à ce qu’on dit très souvent – ne s’arrête pas là où commence celle de l’autre mais qu’elle commence là où commence celle de l’autre […]. Et si j’arrive à ne pas confondre ces deux comportements contradictoires que sont l’exercice du pouvoir sur et l’autorité dans, peut être alors les élèves vont-ils comprendre qu’il y a une contradiction essentielle entre se soumettre à quelqu’un et obéir, d’une part à la loi et d’autre part aux exigences extraordinairement complexes de la construction des savoirs. […]
    Et donc, à l’école, on peut (on doit !) découvrir ceci : je ne peux réellement m’approprier que ce que je donne. […] Et alors vous voyez ici l’exigence radicale de résistance qui est la nôtre dans l’école, par rapport à toutes les logiques extérieures de la prédation, de l’appropriation, du « moi d’abord et les autres après », des jeux meurtriers de prestance, de rivalités, de concurrence et de guerre. Si on est fidèle aux finalités de l’école, alors nous heurtons de front toutes les logiques économiques et institutionnelles actuelles, y compris celles de l’école telle qu’elle fonctionne encore, qui oblige l’élève à réussir contre les autres et non pas avec les autres. Et nous prenons alors conscience des enjeux éthiques et politiques de notre travail pour que l’école soit l’école.

    #éducation #droit_de_l'enfant #loi #transmission #savoirs #système_éducatif #pédagogie #pédagogie_coopérative

  • Education sexuelle : « Les parents ne sont pas informés » (Libération)
    http://www.liberation.fr/societe/2014/01/30/education-sexuelle-il-n-y-a-pas-d-informations-qui-sont-donnees-aux-paren

    Il ne faut pas oublier que l’attention portée à l’enfant, de manière générale, est assez récente dans l’histoire de l’humanité. Avant la fin du XIXe, les enfants n’avaient pas de droits, ils n’étaient pas considérés. A partir du moment où on a commencé à s’intéresser à eux, on a d’abord considéré que c’était des adultes miniatures, puis on s’est rendu compte que non. Freud, au début du XXe, est le premier à dire que l’enfant a une sexualité qui lui est propre. Mais la sexualité infantile n’est pas celle d’un adulte.

    L’éducation sexuelle a aussi été très influencée par son époque. En pleine révolution industrielle, les progrès étaient multiples, notamment sur les conditions de vie grâce aux progrès médicaux. Cette dimension hygiéniste va se ressentir fortement tout au long du XXe siècle. Au niveau de la sexualité infantile, le milieu médical suivit par le milieu scolaire, va se focaliser sur la question de la lutte contre la masturbation, vue comme une manifestation du malin et comme un signe d’impureté. Ensuite l’attention sera portée aux questions liées à la contraception. Plus tard, dans les années 80, on lutte contre les maladies sexuellement transmissibles.

    […]

    De fait, à partir du moment où l’école s’est démocratisée et s’est vraiment ouverte à tous, on a évolué d’un droit vers un devoir à l’éducation. Les parents ont commencé à avoir des attentes et des exigences. Il est apparu une tension permanente entre parents, professeurs et institution scolaire, comme s’ils étaient en rivalité l’un l’autre, alors qu’ils devraient être complémentaires.

    En ce moment, c’est la question du genre, mais il y a six mois c’était le rythme scolaire. On n’est pas jamais dans le débat constructif, mais toujours dans le défensif, et les enfants en sont toujours les premières victimes.

    […]

    Le curseur doit être la question du respect de soi-même, de son corps et des autres. […]
    La difficulté, c’est qu’il n’y a pas d’informations données aux parents. A aucun moment en début d’année, on les prévient, on les informe pour leur dire, « comment on va en parler ». Du coup, certains parents sont réticents. Communiquer plus permettrait d’éviter certaines rumeurs et de dédramatiser le sujet.
    Dans le programme de bio, on apprend la différence physiologique entre les filles et les garçons, de manière évolutive de la primaire au lycée. Mais, pour certains parents, cela est tabou […].

    On reste dans un apprentissage juridique, techniciste. Pour la prévention des grossesses précoces, par exemple, à part dire, « il faut pas », « c’est mal », on ne fait pas grand-chose. Et on sait bien que, pour certains enfants, plus on leur dit « il faut pas », plus c’est tentant de transgresser l’interdit. Le constat est le même des limites des actions de prévention quand elles s’inscrivent sur le seul registre répressif (prévention drogue, alcoolisme, suicide, jeux dangereux, harcèlement, etc.).

    Malheureusement, l’éducation nationale est trop souvent sur ce registre répressif et n’a pas la culture d’une « co-construction » des savoirs où chacun - élève, parents, enseignants - serait respecté dans ses connaissances et dans ses attentes. L’enseignement et le fonctionnement de l’institution scolaire restent très « verticaux » comme lorsque l’instruction était réservée à une élite, dans l’injonction et la répression. La société a évolué et ce mode de fonctionnement ne correspond plus à une scolarisation de masse et à la société actuelle. Or, pour un enfant, grandir s’appuie en partie sur le fait de s’opposer. Mais il a aussi besoin d’adultes en qui il ait confiance et qui aient confiance en lui et en ses compétences. Si, dans toutes les actions de prévention, l’éducation nationale, comme les parents, reste sur un discours désubjectivant, c’est-à-dire qui ne prend pas en compte réellement l’enfant, ses connaissances et ses besoins, il ne peut y avoir « transmission » et plaisir d’apprendre, mais terreur, contrainte et souffrance.

    #éducation #système_éducatif #éducation_sexuelle #éducation_à_la_sexualité #relations_parents_enseignants

  • Frustrée, la jeunesse française rêve d’en découdre
    http://www.lemonde.fr/emploi/article/2014/02/25/frustree-la-jeunesse-francaise-reve-d-en-decoudre_4372879_1698637.html

    Les jeunes se montrent très sévères sur le fonctionnement du système éducatif à la française. Récompense-t-il le mérite ? Non, à 61 %. Donne-t-il sa chance à tous ? Non, à 61 %. Logiquement, plus le statut du jeune est précaire, plus son opinion est négative. Des réponses lourdes de rancœurs dans une société « où formation initiale et diplôme exercent une si forte emprise sur les parcours de vie ».

    […]

    Jamais la jeunesse, en France, n’a été aussi éduquée. Lorsqu’ils sont chômeurs, stagiaires, coincés dans l’intérim, ces enfants de la démocratisation scolaire et de la mondialisation culturelle, extrêmement informés, vivent comme une indignité de devoir se contenter de survivre alors que leurs études ont fait naître de forts espoirs. D’où cette frustration existentielle et cette capacité à développer un discours de plus en plus critique sur l’épreuve sociale qu’ils traversent. « Un ‘‘nous’’ pourrait se former, croient les sociologues, si les diplômés étaient rejoints par les jeunes en désespérance sociale. »

    #génération_quoi #jeunesse #système_éducatif #éducation #sociologie

  • Répondre à la promesse républicaine d’égalité (Le Café pédagogique)
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/06/04062012Article634743915834585659.aspx

    Une partie des réformes de l’école prévues par le nouveau gouvernement sont déjà connues : rythmes scolaires, révision des programmes de l’école élémentaire, formation des maîtres… Réformes urgentes tant, sur les dix dernières années, les constats des recherches #PISA sont alarmants : augmentation de la proportion d’élèves faibles, accroissement des inégalités de compétences entre élèves, origine sociale déterminant plus qu’ailleurs le destin scolaire. Toute la difficulté du redressement est, outre les réformes difficiles déjà programmées, de modifier en profondeur les spécificités du système éducatif français.
    […]
    Pour les élèves en difficulté, la note n’est pas seulement inutile, elle est aussi contreproductive. L’exigence institutionnelle de la note finit par se substituer à l’essentiel : aider, expliquer, apporter confiance et enthousiasme. […] L’élève n’est pas une performance qu’il faut évaluer mais une intelligence qu’il faut construire.
    […]
    De nouveau, sous couvert de différences individuelles, notre école de la République scolarise de plus en plus séparément les enfants des catégories aisées et populaires.
    […]
    L’individualisation se réalise parfois au détriment du collectif, parfois même contre certains élèves qui vont davantage progresser dans l’anonymat de la classe.
    […]
    Le fossé croissant entre la promesse d’égalité et la réalité grandissante de l’inégalité n’est pas seulement un renoncement à une école de la République digne de ce nom, elle détruit aussi, progressivement et en profondeur, le fondement même de la démocratie politique.

    #éducation #réforme #système_éducatif #évaluation